9C_241/2024 (f) du 21.10.2024 – Indemnité journalière LAMal / Epuisement partiel du droit aux prestations, surindemnisation et montant des primes d’assurance encore dues

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_241/2024 (f) du 21.10.2024

 

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Indemnité journalière LAMal / 67 ss LAMal

Epuisement partiel du droit aux prestations, surindemnisation et montant des primes d’assurance encore dues / 72 al. 4 LAMal – 72 al. 5 LAMal

 

Assurée, née en 1972, employée agricole pour le compte de l’Association B.__ du 01.01.2014 au 31.10.2020. À ce titre, elle était assurée dans le cadre d’un contrat d’assurance collective, pour des indemnités journalières en cas de maladie. À compter du 01.11.2020, elle a été assurée auprès du même assureur, à titre individuel. La prime mensuelle a été fixée à CHF 178.45, puis à CHF 190.35 dès le 01.01.2021.

L’assurée a connu deux périodes d’incapacité de travail : du 13.06.2019 au 21.07.2019, puis à partir du 07.01.2020. L’assureur-maladie a versé des indemnités journalières jusqu’au 15.12.2021, date à laquelle il a résilié la couverture d’assurance, estimant que l’assurée avait épuisé son droit aux prestations (730 indemnités journalières sur 900 jours ; décision du 16.12.2021).

Le 09.08.2022, l’office AI a accordé à l’assurée une rente entière d’invalidité à compter du 01.12.2020. En raison d’une surindemnisation, l’office AI a versé CHF 26’047.35 à l’assureur-maladie pour la période du 01.12.2020 au 15.12.2021.

A la suite de ce remboursement, l’assureur-maladie a révisé sa décision du 16.12.2021, « réactivant » la couverture d’assurance à partir du 16.12.2021 et reportant la date d’épuisement du droit aux prestations au 16.10.2027, sous réserve de modifications ultérieures de la situation de l’assurée (décision de révision du 21.11.2022, confirmée sur opposition).

 

Procédure cantonale (arrêt AM 17/23 – 8/2024 – consultable ici)

Par jugement du 19.03.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’assurée fait en substance valoir qu’elle ne bénéficie plus d’une couverture d’assurance « au sens strict », étant donné qu’elle est en « incapacité de travail complète » et qu’elle s’est déjà intégralement acquittée de la prime d’assurance pour la période de perception des indemnités journalières de 730 jours prévue par l’art. 7 ch. 1 des CGA applicables (ouverte jusqu’au 15.12.2021 à la suite de son incapacité de travail survenue le 10.06.2019, puis le 07.01.2020). L’instance cantonale ne pouvait dès lors pas considérer qu’elle était tenue de s’acquitter d’une prime entière jusqu’à l’épuisement de son droit aux indemnités journalières, le 16.10.2027. Selon l’assurée, pareille conclusion reviendrait à ne pas respecter les règles d’équivalence prévues à l’art. 72 al. 5 LAMal, car les primes seraient complètement disproportionnées par rapport au montant des prestations et donc sans lien avec un risque assuré; autrement dit, l’assureur serait ainsi autorisé à facturer des primes sans contre-prestation adéquate.

Consid. 3.2.1
L’argumentation de l’assurée est mal fondée. Quoi qu’elle en dise, en cas d’épuisement partiel du droit aux prestations selon l’art. 72 al. 4 et 5 LAMal, la loi ne prévoit pas le droit de l’assuré de payer des primes réduites (cf. arrêt 9C_790/2018 du 9 avril 2019 consid. 3.4.4), comme l’a dûment exposé la juridiction cantonale. Certes, en cas de réduction des indemnités journalières pour cause d’incapacité partielle de travail (art. 72 al. 4 LAMal) et de surindemnisation (art. 72 al. 5 LAMal), la durée de l’indemnisation doit être prolongée jusqu’au moment où la personne assurée a perçu l’équivalent des indemnités journalières auxquelles elle aurait eu droit durant la période minimale de 720 jours (selon l’art. 72 al. 3 LAMal, respectivement de 730 jours selon les CGA applicables en l’occurrence), en fonction du taux de l’incapacité partielle de travail et à défaut de surindemnisation (cf. ATF 127 V 88 consid. 1d; 125 V 106 consid. 2b et 2c). Cela étant, la prolongation des délais relatifs à l’octroi des indemnités journalières en fonction de la réduction (conformément à l’art. 72 al. 4-5 LAMal) ne signifie pas que le montant des primes doit être diminué, voire qu’aucune prime ne doit plus être prélevée. Comme le fait valoir l’assureur-maladie, le rapport d’équivalence doit en effet être réalisé entre le montant de la prime (en l’occurrence CHF 190.35 dès le 01.01.2021) et le montant assuré (correspondant à 730 indemnités journalières complètes d’un montant de CHF 74.35 chacune).

Consid. 3.2.2
Dans ce contexte, on rappellera que le droit aux prestations d’un assureur-maladie est lié à l’affiliation (ATF 125 V 106 consid. 3) et que l’indemnité journalière n’est versée que si la prime a aussi été payée pour la période correspondante (cf. Évaluation du système d’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie et propositions de réforme, Rapport du Conseil fédéral du 30 septembre 2009 en réponse au postulat 04.3000 de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national, du 16 janvier 2004, p. 12). Par ailleurs si le législateur a adopté des dispositions légales minimales impératives qui encadrent la pratique de l’assurance facultative d’une indemnité journalière (cf. art. 67 à 77 LAMal), notamment quant à la durée du droit à l’indemnité (art. 72 al. 3 LAMal), à la réduction de la prestation en cas d’incapacité partielle de travail (art. 72 al. 4 LAMal) et à la surindemnisation (art. 72 al. 5 LAMal), la réglementation d’autres aspects relève de la liberté contractuelle des parties (cf. arrêt K 74/02 du 16 avril 2004 consid. 2.1 et les références). Or s’agissant des primes des assurés, l’art. 76 LAMal prévoit que l’assureur en fixe le montant (al. 1 LAMal) et qu’une réduction doit intervenir si un délai d’attente est applicable au versement de l’indemnité journalière (art. 76 al. 2 LAMal). Une obligation de l’assureur de réduire le montant des primes d’assurance dans une hypothèse autre que celle visée à l’art. 76 al. 2 LAMal, notamment en cas de prolongation du versement des indemnités journalières par suite de surindemnisation selon l’art. 72 al. 5 LAMal, n’est ainsi pas prévue par la loi. Une telle obligation ne découle par ailleurs pas des CGA applicables en l’espèce. Sur ce point, on constate que l’art. 24 ch. 1 des CGA donne la possibilité à l’assureur d’adapter annuellement le taux des primes en fonction de l’évolution des sinistres, sans prévoir une telle adaptation dans le cas de la réactivation du versement d’indemnités journalières à la suite de surindemnisation. À cet égard, l’assurée ne saurait rien tirer en sa faveur de l’art. 24 ch. 2 des CGA. S’il réserve une adaptation immédiate du taux de prime lors de l’entrée en vigueur de nouvelles circonstances, celles-ci englobent les cas de fusion, de scission ou d’absorption, soit des circonstances qui concernent l’assureur. Ne sont donc pas visés les « cas de diminution importante du risque » comme il en va, selon l’assurée, lorsque la durée de versement des indemnités journalières a été prolongée conformément à l’art. 72 al. 5 LAMal.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_241/2024 consultable ici

 

9C_77/2024 (f) du 10.10.2024 – Partage entre les époux de prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage et jusqu’à l’introduction de la procédure de divorce / Maxime inquisitoire

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_77/2024 (f) du 10.10.2024

 

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Partage entre les époux de prétentions de prévoyance professionnelle acquises durant le mariage et jusqu’à l’introduction de la procédure de divorce / 122-124e CC – 22, 22a et 25a LFLP – 8a OLP

Maxime inquisitoire / 25 LFLP – 73 al. 2 LPP

 

Par jugement du 25.06.2021, le Tribunal de première instance a prononcé le divorce des époux A.__ et B.__, mariés depuis le 23.12.2006. Sous le ch. 12 du dispositif du jugement, il a donné acte aux prénommés de leur accord de partager par moitié leurs avoirs accumulés au titre de la prévoyance professionnelle pendant le mariage. Le jugement est devenu définitif le 01.09.2021 et a été transmis d’office à la Chambre des assurances sociales le 22.09.2021, pour exécution du partage.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/963/2023 – consultable ici)

La Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève a alors contacté les institutions de prévoyance concernées pour obtenir les montants des avoirs à partager, accumulés par A.__ et B.__ entre le 23.12.2006 et le 17.07. 2018, date à laquelle la demande de divorce a été introduite.

Une audience de comparution personnelle a eu lieu le 27.04.2023. Le 08.06.2023, elle a informé les parties que les prestations de libre passage à partager s’élevaient respectivement à CHF 35’037. 0 pour B.__ et à CHF 96’188.44 pour A.__, indiquant qu’elle rendrait un arrêt sur cette base en l’absence d’observations. Le 19 juin 2023, A.__ a contesté le calcul effectué par la juridiction cantonale. Par la suite, la cour cantonale a demandé des informations complémentaires à une autre institution de prévoyance, où B.__ avait été affilié du 01.06.2014 au 31.03.2020.

Dans un arrêt rendu le 07.12.2023, rectifié le 12.01.2024, la juridiction cantonale a ordonné à l’institution supplétive LPP de transférer un montant de CHF 30’575.60 du compte de A.__ à la caisse de pension en faveur de B.__, ainsi que des intérêts compensatoires depuis le 17.07.2018 jusqu’au moment du transfert.

 

TF

Consid. 4.1 [résumé]
La cour cantonale a constaté que le Tribunal de première instance avait ordonné le partage par moitié des prestations de sortie acquises durant le mariage entre A.__ et B.__, avec comme dates déterminantes le 23.12.2006, date du mariage, et le 17.07.2018, date de dépôt de la demande en divorce. Selon l’accord entre les ex-conjoints, il a été décidé de réintégrer dans les avoirs de prévoyance de B.__ l’équivalent en francs suisses du montant de 45’000 euros retiré par A.__ pour indemniser sa précédente épouse. Lors de l’audience du 27.04.2023, les parties ont convenu d’appliquer un taux de conversion au 09.06.2022, soit 1 euro = 0,9704 franc suisse, ce qui a permis de déterminer que la somme à réintégrer s’élevait à CHF 43’668. Après cette réintégration, la prestation acquise par B.__ pendant le mariage était de CHF 35’037.20 ([43’668 + 189’447,20] – 198’078). En parallèle, la prestation acquise par A.__ s’élevait à CHF 96’188.44 (88’146,19 + 3’348 + 4’694.25). Ainsi, B.__ devait à son ex-épouse un montant de CHF 17’518.60 (35’037,20 : 2), tandis qu’A.__ devait à son ex-époux un montant de CHF 48’094.20 (96’188,44 : 2). Il en résultait que la prénommée devait à B.__ la somme de 30’575 fr. 60 (48’094,20 – 17’518,60).

Consid. 4.2. [résumé]
Dans le cadre de son recours, A.__ soutient que l’établissement des faits par la juridiction précédente était arbitraire et contraire à la maxime d’instruction. Elle reproche aux juges de ne pas avoir déduit des avoirs de prévoyance de B.__ au 23.12.2006 le montant de CHF 43’753 versé à sa première épouse pour le partage des avoirs accumulés durant leur mariage, assimilant à tort ce montant à la somme de CHF 43’668 qui devait être réintégrée aux avoirs de son ex-époux. Cette omission aurait conduit à une augmentation de CHF 21’876.50 du montant qu’elle recourante devait payer. De plus, A.__ critique la juridiction cantonale pour avoir fondé le partage des avoirs de prévoyance sur des chiffres qu’elle considère comme « insuffisamment établis et potentiellement faux », ce qui constituerait une violation de la maxime inquisitoire. Elle estime que les avoirs accumulés par B.__ entre le 23.12.2006 et le 17.07.2018 devraient être fixés à CHF 111’537.27, et réclame que la caisse de pension transfère la somme de CHF 7’674 du compte de son ex-époux à l’institution supplétive en sa faveur.

Consid. 4.3 [résumé]
Pour sa part, B.__ soutient que la cour cantonale n’a pas violé l’interdiction de l’arbitraire en ne déduisant pas le montant versé à sa première épouse de ses avoirs au 23.12.2006, car l’accord trouvé lors de l’audience du 27.04.2023 ne concernait pas cette déduction. Concernant le grief d’A.__ sur la violation de la maxime inquisitoire, B.__ argue qu’il n’est pas fondé, affirmant que ses avoirs de prévoyance à la date du mariage avec A.__ et à celle du dépôt de la demande en divorce ont été correctement établis grâce à des certificats de prévoyance.

Consid. 5.1
Le jugement de divorce entré en force lie en principe le juge compétent selon l’art. 73 al. 1 LPP en ce qui concerne le partage à exécuter (ATF 134 V 384 consid. 4.2; cf. aussi arrêt 9C_780/2013 du 18 février 2014 consid. 4.2). En l’occurrence, conformément au jugement du Tribunal de première instance du 25.06.2021, qui est entré en force, afin de tenir compte d’un retrait anticipé pour l’accession à la propriété effectué au mois de novembre 2008 par B.__ (d’un montant de CHF 124’000), ainsi que du prix de cession convenu entre les ex-époux de la part de copropriété du prénommé sur le bien immobilier en question (EUR 45’000), seul un montant de EUR 45’000 devait être réintégré dans les avoirs de prévoyance de B.__ au 17.07.2018. À cet égard, les constatations de la cour cantonale quant à l’accord intervenu entre les parties, selon lequel il y avait lieu de réintégrer dans les avoirs de prévoyance de B.__ l’équivalent en francs suisses du montant de EUR 45’000 retiré par le prénommé « pour indemniser sa précédente épouse » sont manifestement inexactes. Le montant de EUR 45’000 à réintégrer dans les avoirs de prévoyance de B.__ doit permettre de tenir compte du retrait anticipé effectué pour l’accession à la propriété.

Consid. 5.2 [résumé]
Le jugement du Tribunal de première instance du 25.06.2021 précise que les avoirs accumulés au titre de la prévoyance professionnelle par A.__ et B.__ pendant leur mariage doivent être partagés par moitié, avec la détermination des montants à effectuer par la Chambre des assurances sociales. En l’absence d’une convention conforme à l’article 280 CPC, le Tribunal de première instance a déféré l’affaire au tribunal compétent pour établir le montant des avoirs à partager. Lors de l’audience, B.__ a affirmé que le montant de CHF 43’753, qu’il devait verser à son épouse précédente, devait être soustrait de ses avoirs avant le mariage. Il a reconnu qu’il était juste de déduire ce montant des avoirs au moment du mariage.

Cependant, en instance cantonale, il n’a pas contesté cette déduction, mais a critiqué la volonté de son ex-épouse d’ajouter des intérêts. La juridiction cantonale a ensuite confondu le montant de CHF 43’753 avec celui de EUR 45’000 devant être pris en compte selon l’accord ratifié par le Tribunal de première instance. Elle a indiqué que le montant à réintégrer était en fait la conversion des EUR 45’000, soit CHF 43’668, et a reproché à la demanderesse d’avoir additionné les deux montants, ce qui aurait entraîné une double prise en compte, soit une première fois en francs suisses et une deuxième fois en euro. Cette confusion s’est poursuivie dans l’arrêt final, où la juridiction cantonale a admis que les EUR 45’000 correspondaient au montant retiré pour indemniser la précédente épouse. L’attestation de l’institution de prévoyance a confirmé l’existence de deux montants distincts : un versement anticipé et un versement divorce, qui doivent tous deux être pris en compte pour le partage.

En conséquence, l’erreur manifeste de la juridiction cantonale doit être corrigée et le montant de CHF 43’753 doit être déduit des avoirs de prévoyance de B.__ au 23.12.2006 (consid. 5.3.4 infra). Le recours est bien fondé sur ce point.

 

Consid. 5.3
Pour le reste, l’argumentation de la recourante à l’appui d’une violation de la maxime inquisitoire (art. 25 LFLP, art. 73 al. 2 LPP) et de l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) en relation avec le montant des avoirs de prévoyance accumulés par B.__ est en revanche mal fondée, pour les raisons qui suivent.

Consid. 5.3.1
Contrairement à ce que soutient B.__, on rappellera que ce n’est pas la maxime des débats, mais bien la maxime inquisitoire qui s’applique lorsque, comme en l’occurrence, le juge compétent au sens de l’art. 73 al. 1 LPP exécute d’office, après que l’affaire lui a été transmise (art. 281 al. 3 CPC), le partage de la prévoyance professionnelle sur la base de la clé de répartition déterminée par le juge du divorce (cf. art. 25a al. 1 LFLP, art. 73 al. 2 LPP).

Consid. 5.3.2
En l’espèce, en se fondant sur les documents dont elle avait requis la production auprès des institutions de prévoyance auxquelles B.__ avait été affilié, la cour cantonale a arrêté le montant des avoirs de prévoyance du prénommé comme il suit: CHF 198’078 à la date de son mariage avec la recourante (correspondant à CHF 164’243.40, intérêts au 17.07.2018 non compris); CHF 189’447. 20 au jour de l’introduction de la procédure de divorce, intérêts compris à ce jour. Il en résultait que la prestation acquise pendant la durée du mariage (du 23.12.2006 au 17.07.2018) par B.__ était, après réintégration du montant de CHF 43’668 (destiné, comme on vient de le voir, à tenir compte d’un retrait anticipé pour l’accession à la propriété effectué au mois de novembre 2008 ; consid. 4.1 supra), de CHF 35’037.20 (soit [43’668 + 189’447 fr. 20] – 198’078).

Consid. 5.3.3
À l’inverse de ce qu’allègue A.__, les pièces figurant au dossier permettent de déterminer le montant des avoirs accumulés par B.__ durant son mariage avec elle et celui des intérêts sur le montant des avoirs de prévoyance dont disposait le prénommé à la date du mariage (le 23.12.2006), jusqu’à l’introduction de la requête de divorce (le 17.07.2018).

Pour arrêter le montant des avoirs de prévoyance de B.__ à CHF 198’078 à la date de son mariage avec la recourante et à CHF 189’447.20 au jour de l’introduction de la procédure de divorce, la juridiction cantonale s’est fondée sur les décomptes établis par la caisse de pension. L’institution de prévoyance auprès de laquelle le prénommé avait été affilié du 01.06.2014 au 31.03.2020 avait en effet fait état d’une prestation de libre passage à l’introduction de la procédure de divorce (le 17.07.2018) de CHF 189’447.20 et d’une prestation de sortie à la conclusion du mariage (le 23.12.2006) de CHF 198’078, en précisant que ce dernier montant correspondait à une prestation de sortie de CHF 164’243.40, majorée des intérêts composés au taux minimum LPP jusqu’à l’introduction de la demande en divorce. Or il n’était pas arbitraire pour la juridiction cantonale de se fonder sur ces chiffres pour établir le montant des avoirs de prévoyance de B.__; ces chiffres résultaient en effet des attestations de l’institution de prévoyance et les juges précédents s’étaient assurés des montants attestés par celle-ci en lui demandant de lever une incertitude liée à un courrier du 19.01.2023. A.__ conteste certes ces montants. Cela étant, en présentant une addition des cotisations que son ex-époux aurait effectuées avec son employeur pendant la période déterminante, la recourante ne met pas en évidence que l’institution de prévoyance n’aurait pas correctement pris en compte les cotisations au cours des années d’assurance de B.__ dans les certificats de prévoyance que l’institution de prévoyance a établis pour chaque année d’affiliation.

Par ailleurs, aucun document ne met en évidence que les intérêts selon l’art. 22a al. 1 LFLP n’auraient pas été pris en compte. En ce qu’elle se limite à affirmer que la question du calcul des intérêts demeure à ce jour « totalement opaque », A.__ n’établit pas que les deux retraits effectués par son ex-époux en 2008 et 2009 (retrait anticipé pour l’accession à la propriété de CHF 124’000, puis retrait d’un montant de CHF 43’753 destiné à la première épouse de l’intimé au titre du partage des avoirs de prévoyance professionnelle accumulés durant leur mariage) n’auraient pas été assortis d’intérêts équivalents ou auraient porté à tort des intérêts, vu la prise en considération des déductions au moment du divorce. Elle n’établit pas non plus que les intérêts sur ces deux montants – l’un déduit, l’autre ajouté – n’auraient pas été à peu près équivalents. La recourante n’allègue du reste pas que les documents produits par son ex-mari ne confirmeraient pas les attestations de l’institution de prévoyance.

Consid. 5.3.4
En définitive, le montant de la prestation acquise pendant la durée du mariage par B.__ doit être fixé à CHF 78’790.20 (soit CHF 233’115.20 – [198’078 + 43’753]). Ce montant correspond à la différence entre le montant de la prestation de libre passage du prénommé lors de l’introduction de la procédure de divorce de CHF 189’447.20, auquel il y a lieu de réintégrer le montant de CHF 43’668 destiné à tenir compte d’un retrait anticipé pour l’accession à la propriété effectué en 2008 (soit un montant total de CHF 233’115.20 [43’668 + 189’447.20]), et le montant de la prestation de sortie de B.__ à la date de la conclusion de son mariage avec A.__ de CHF 198’078 fr. (consid. 5.3.2 supra), duquel il y a lieu de déduire le montant de CHF 43’753 (correspondant au montant que l’intimé devait à sa précédente épouse à titre du partage de la prévoyance professionnelle; consid. 5.2 supra).

Le montant de la prestation acquise par B.__ pendant la durée du mariage ainsi déterminé, de CHF 78’790.20, correspond du reste au montant allégué par la recourante en lien avec l’erreur de la juridiction cantonale quant à la somme à réintégrer dans le calcul. Au vu du montant de la prestation acquise par la recourante (CHF 96’188.44), celle-ci doit à B.__ la somme de CHF 8’699.10 (48’094,20 [soit 96’188,44 : 2] – 39’395,10 [soit 78’790,20 : 2]). L’arrêt entrepris doit être réformé en ce sens.

 

Le TF admet partiellement le recours de A.__.

 

 

Arrêt 9C_77/2024 consultable ici

 

Rapport sur la protection sociale des indépendants

Rapport sur la protection sociale des indépendants

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 06.12.2024 consultable ici

Les indépendants ne bénéficient pas de la même protection sociale que les salariés. Toutefois, mettre en place un régime obligatoire visant à améliorer leur couverture sociale serait difficilement réalisable, tant sur le plan technique que financier. Tel est le constat que dresse le Conseil fédéral dans un rapport adopté lors de sa séance du 6 décembre 2024. Il salue donc les initiatives privées qui encouragent les indépendants à se constituer des réserves.

La couverture sociale des indépendants diffère de celle des salariés. Les indépendants ne sont pas soumis à la prévoyance professionnelle obligatoire (caisse de pension) ni à l’assurance-accidents obligatoire. S’ils souhaitent disposer d’une couverture maladie, ils doivent prendre leurs propres dispositions, par exemple en souscrivant une assurance d’indemnités journalières. Les salariés, en revanche, ont dans ce cas droit au maintien de leur salaire pendant un certain temps. De plus, les indépendants n’ont jusqu’à présent aucune possibilité de se couvrir contre la perte d’activité (baisse de mandats ou commandes) ou contre le chômage.

 

Des solutions techniquement complexes et très coûteuses

Dans son rapport en réponse au postulat 20.4141 (Benjamin Roduit), le Conseil fédéral a analysé comment améliorer la protection sociale des indépendants. Il a ainsi examiné trois modèles : la création d’une assurance facultative destinée aux indépendants dans le cadre de l’assurance-chômage (AC), l’intégration d’une telle assurance dans le régime des allocations pour perte de gain (APG) et la constitution d’une réserve obligatoire.

Après examen, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion que l’intégration n’est réalisable ni dans l’AC ni dans le régime des APG. La mise en œuvre serait techniquement complexe et pourrait entraîner des coûts élevés. Une assurance-chômage facultative pour les indépendants serait peu attrayante. Comme ce sont surtout les personnes présentant un risque élevé qui chercheraient à s’assurer, les cotisations seraient donc également élevées. Une assurance obligatoire ne ferait pas disparaître les incitations inopportunes et nécessiterait un aménagement plus que restrictif. Il serait difficile de définir des critères clairs pour déterminer si la personne est en situation de sous-emploi de façon «délibérée» (par ex. efforts insuffisants pour obtenir des mandats) ou non. Il faut également éviter un subventionnement croisé par les salariés au profit des indépendants, qui constituerait un obstacle supplémentaire à l’intégration de cette couverture dans les systèmes préexistants.

Le Conseil fédéral salue les initiatives privées qui encouragent les indépendants à se constituer des réserves, à l’exemple du modèle développé par le syndicat Syndicom. En effet, il est indispensable pour les indépendants de disposer de réserves pour résister à des périodes d’activité ralentie (carnet de commandes en berne) et à des pertes temporaires. Instaurer un régime obligatoire réservé aux seuls indépendants présenterait toutefois de nombreux inconvénients. En cas d’introduction d’une épargne obligatoire des indépendants, il serait notamment difficile de l’imposer et d’exercer un contrôle.

Le postulat a été déposé pendant la pandémie de COVID-19. Alors que les employeurs avaient pu faire valoir leur droit aux indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail pour leurs salariés, il n’y avait, au début de la crise, aucune couverture équivalente pour les indépendants. C’est pourquoi le Conseil fédéral avait mis en place, en mars 2020, l’allocation pour perte de gain COVID-19 visant à compenser en partie la diminution du revenu des indépendants à la suite des mesures prises par les autorités.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 06.12.2024 consultable ici

Rapport du Conseil fédéral du 06.12.2024 donnant suite au postulat 20.4141 Roduit disponible ici

Article de Stella Boleki, Une assurance contre le risque du chômage des indépendants n’est pas réalisable, in Sécurité sociale CHSS du 06.12.2024, disponible ici

 

8C_271/2024 (f) du 11.10.2024 – Capacité de travail exigible de 100% mais exercice de l’ancienne activité (non adaptée) à 60% – Détermination du revenu d’invalide

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_271/2024 (f) du 11.10.2024

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide pour un assuré ayant subi une amputation transtibiale / 16 LPGA

Obligation de réduire le dommage / 21 al. 4 LPGA

Capacité de travail exigible de 100% mais exercice de l’ancienne activité (non adaptée) à 60% – Détermination du revenu d’invalide

 

Assuré, né en 1962, disposant d’un CFC de ramoneur, travaillait depuis 1989 comme agent d’exploitation spécialisé auprès de l’entreprise B.__ SA. Le 03.07.2019, il a subi une chute en montagne pendant son travail, entraînant une fracture ouverte du pilon tibial de la jambe droite. Malgré plusieurs interventions chirurgicales, son état s’est détérioré, menant à une amputation transtibiale droite le 30.04.2020 en raison d’un retard de consolidation, avec pseudarthrose septique et insuffisance vasculaire.

L’assuré a été hospitalisé pour réadaptation à deux reprises, d’abord du 04.03.2020 au 30.04.2020, puis du 05.05.2020 au 07.08.2020. Une évaluation médicale effectuée le 01.10.2020 a objectivé une bonne évolution à presque cinq mois de l’amputation. Il a été relevé les limitations fonctionnelles suivantes : pas de position prolongée debout, pas de marche en terrain irrégulier ou en pente, pas de montée ou descente d’escaliers de manière fréquente, pas de port de charges de plus de 10 kg de manière fréquente et montée ou descente d’échelle très occasionnellement seulement. La marche sur les échafaudages devait être évitée et l’assuré devait pouvoir utiliser des bâtons de marche pour la marche prolongée.

Le 17.02.2021, l’employeur a proposé un poste à 65%, mais l’assurance-accidents a exprimé des doutes quant à la prise en charge des 35% restants. Le médecin-conseil a confirmé, le 01.03.2021, qu’une activité adaptée à plein temps était exigible, sous réserve de pauses régulières (minimum quatre par jour) afin de soigner le moignon.

L’assuré a commencé un travail à temps partiel le 24.05.2021 pour trois semaines, prolongé ensuite pour évaluation. À la suite de cette période, son rendement a été fixé à 40% puis à 50%.

L’état de santé de l’assuré étant stabilisé, l’assurance-accidents a mis fin au paiement des soins médicaux et des indemnités journalières avec effet au 30.09.2021 (sous réserve de contrôles médicaux et des traitements symptomatiques). Par décision du 17.09.2021, confirmée sur opposition, elle a reconnu à l’assuré le droit à une rente d’invalidité d’un taux de 25% dès le 01.10.2021. Elle a notamment déterminé le revenu d’invalide sur la base des données statistiques issues de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS). En outre, elle lui a accordé une IPAI de 35%.

L’assuré a été engagé à un taux d’activité de 60% auprès de l’entreprise B.__ SA dès le 01.10.2021.

L’office AI a accordé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.07.2020 au 31.12.2020, au motif que, dès le 16.09.2020, toute activité légère et adaptée à son état de santé était exigible de sa part, à 100%, avec un rendement normal; dès lors, elle a fixé le taux d’invalidité à 32%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 419 consid. 5.2; 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 6.2
L’assuré soutient que, durant toute la procédure administrative, l’assurance-accidents n’aurait proposé aucune autre démarche de réinsertion que celle chez son ancien employeur. Il serait donc contraire à la bonne foi de lui reprocher indirectement cette réinsertion, en lui imposant un autre emploi. À ce propos, il sied de rappeler que la réadaptation professionnelle incombe en principe aux organes de l’assurance-invalidité (cf. art. 19 al. 1 LAA et art. 15 ss LAI). En l’espèce, l’office AI a constaté qu’un droit théorique à un reclassement (art. 17 LAI) existait, dès lors que l’activité exercée auparavant n’était plus réalisable à 100%; toutefois, les conditions subjectives du droit à cette mesure n’étaient pas réalisées, parce que l’assuré souhaitait conserver son activité habituelle adaptée à 60%. Le grief soulevé par l’assuré est ainsi infondé. La cour cantonale a en outre exposé à juste titre que le principe général de l’obligation de diminuer le dommage valable en droit des assurances sociales, ancré notamment à l’art. 21 al. 4 LPGA, exige de l’assuré de mettre en œuvre tout ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui pour atténuer les conséquences de son accident (ATF 134 V 109 consid. 10.2.7; 129 V 460 consid. 4.2).

Consid. 6.3.1
Il ressort des constatations de l’arrêt attaqué et des protocoles d’entretien que l’assuré ne peut pas reprendre l’activité qu’il avait exercé auprès de B.__ SA avant l’accident à cause des limitations fonctionnelles qu’il présente. L’employeur a fait un effort pour lui attribuer des travaux qui sont adaptées à ces limitations et qu’il est encore en mesure d’accomplir. Cependant, l’employeur a souligné qu’il n’a pas la possibilité de regrouper certaines activités pour en faire une occupation à 100% en raison de l’organisation du travail et qu’il ne pourra pas toujours assurer une occupation durable de 65 à 70%. Finalement, il a engagé l’assuré dès le 01.10.2021 à un taux de 60%. Ce taux d’occupation est ainsi dû principalement à l’impossibilité pour l’employeur d’offrir à l’assuré un taux d’activité supérieur.

Consid. 6.3.2
Si une augmentation du taux d’occupation n’est pas possible selon les indications de l’employeur, le revenu correspondant à la capacité de travail résiduelle (dépassant le taux d’activité effectivement mis en œuvre), peut être déterminé, selon la jurisprudence, en fonction des donnés statistiques, pour autant qu’une telle possibilité de gain puisse être réalistement envisagée au regard du marché du travail équilibré (arrêts 9C_140/2017 du 18 août 2017 consid. 5.4; 8C_7/2014 du 10 juillet 2014 consid. 7 et 8, in SVR 2014 IV n° 37 p. 130; MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 30 ad art. 16 LPGA).

Consid. 6.3.3
En l’espèce l’employeur n’a pas pu proposer un taux d’occupation supérieur à 60%. Le maintien de cet emploi est par ailleurs justifié au vu des circonstances. En ce qui concerne le salaire exact dès le 01.10.2021, il ne figure pas au dossier, mais l’assuré admet que sa perte de gain, s’il travaille à 60% exclusivement pour B.__ SA, est de 40%. On peut ainsi partir du principe que son revenu effectif se situe à 60% du salaire de 87’075 fr. qu’il gagnait avant l’accident, soit autour de 52’245 fr. Compte tenu de l’éventail d’emplois diversifiés disponibles sur le marche équilibré du travail, la nature et l’importance des troubles présentés par l’assuré ne constituent pas des obstacles irrémédiables à la reprise d’une activité professionnelle à 40%.

Consid. 6.3.4
Par conséquent, il sied de déterminer le revenu d’invalidité sur la base du salaire que réalise l’assuré pour son activité de 60% auprès de B.__ SA et d’y ajouter un salaire hypothétique, qui est pris en compte à raison de 40%. Ce dernier se détermine sur la base de l’ESS 2018 (tableau TA1_tirage_skill_level, total homme, niveau de compétence 1, en tenant compte de l’horaire normal de travail de la branche économique et de l’évolution des salaires nominaux, soit 68’761 fr. 80, selon le calcul de l’assurance-accidents qui n’est pas remis en question par l’assuré). Pour une activité à 40%, il correspond à un montant de 27’504 fr. 70. Même en prenant en considération, par hypothèse, un abattement maximal de 25%, le revenu à prendre en considération (20’628 fr. 50), additionné à celui réalisé auprès de B.__ SA (52’245 fr.), exclurait un taux d’invalidité supérieur à celui constaté par l’assurance-accidents. Il n’en va pas différemment en prenant en considération une diminution de rendement de 10% pour tenir compte de la nécessité de faire des pauses. Il s’ensuit que le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_271/2024 consultable ici

 

9C_528/2023 (f) du 09.10.2024 – Reconsidération de décomptes de prestations / 51 LPGA – 53 al. 2 LPGA / Allocation Covid-19 pour une personne au bénéfice d’une rente vieillesse ordinaire de l’AVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_528/2023 (f) du 09.10.2024

 

Consultable ici

 

Reconsidération de décomptes de prestations / 51 LPGA – 53 al. 2 LPGA

Allocation Covid-19 pour une personne au bénéfice d’une rente vieillesse ordinaire de l’AVS / Ordonnance sur la perte de gain COVID-19 – 11 LAPG

Revenu moyen de l’activité lucrative obtenu avant le début du droit à l’allocation – Déduction de la franchise pour rentiers

 

Assurée, née en décembre 1955, exploite à titre indépendant l’entreprise individuelle « Hôtel B.__ ». Depuis le 01.01.2020, elle bénéficie d’une rente ordinaire de l’assurance-vieillesse.

À la suite des mesures officielles prises pour endiguer la propagation de la pandémie de coronavirus (COVID-19) en mars 2020, l’assurée a dû fermer temporairement son hôtel. À sa demande, elle a perçu une allocation pour perte de gain en cas de coronavirus destinée aux personnes exerçant une activité indépendante du 17.03.2020 au 16.09.2020. Les 01.03.2021 et 03.03.2021, la caisse de compensation a rectifié les décomptes de prestations, au motif qu’elle avait omis de déduire la franchise de revenu pour les retraités actifs. Par décision, confirmée sur opposition le 30.11.2021, elle a réclamé à l’assurée la restitution de la somme de 7’250 fr. 80 pour la période du 17.03.2020 au 16.09.2020.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 10.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon la jurisprudence, les décomptes de prestations adressées sous la forme simplifiée de l’art. 51 al. 1 LPGA peuvent produire les mêmes effets qu’une décision entrée en force. En particulier, l’administration ne peut demander la répétition des prestations allouées selon la procédure simplifiée après un laps de temps correspondant au délai de recours qu’aux conditions de la reconsidération ou de la révision procédurale (ATF 129 V 110 consid. 1.2). À l’échéance de ce délai, le décompte de prestations non contesté produit pour l’administration les mêmes effets qu’une décision entrée en force (s’agissant de la situation de la personne assurée, voir ATF 134 V 145 consid. 5.2), étant précisé que l’entrée en force s’étend également au montant du gain assuré figurant sur le décompte (cf. arrêt 8C_82/2020 du 12 mars 2021 consid. 5.3 et la référence).

Consid. 3.2
Le principe et les conditions de la reconsidération d’une décision entrée en force sont prévus à l’art. 53 al. 2 LPGA, aux termes duquel l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable. Dès lors, la reconsidération est soumise à deux conditions: l’importance notable de la rectification et l’existence d’une erreur manifeste. L’erreur manifeste signifie qu’il n’existe aucun doute raisonnable sur l’irrégularité initiale de la décision, cette conclusion étant la seule envisageable (ATF 148 V 195 consid. 5.3; 138 V 324 consid. 3.3). Le vice peut résulter de l’application des mauvaises bases légales, de la non-application ou de la mauvaise application des normes déterminantes (ATF 147 V 167 consid. 4.2; 144 I 103 consid. 2.2; 140 V 77 consid. 3.1). Pour juger s’il est admissible de reconsidérer une décision pour le motif qu’elle est manifestement erronée (art. 53 al. 2 LPGA), il faut se fonder sur les faits et la situation juridique existant au moment où cette décision a été rendue, compte tenu de la pratique en vigueur à l’époque (ATF 141 V 405 consid. 5.2 et la référence).

Consid. 5.1
Dans le cadre des mesures destinées à lutter contre le coronavirus, l’indemnité journalière est égale à 80% du revenu moyen de l’activité lucrative obtenu avant le début du droit à l’allocation (art. 5 al. 1 de l’ordonnance sur la perte de gain COVID-19). Pour déterminer le montant du revenu, la caisse de compensation doit partir du revenu communiqué par les autorités fiscales, tel qu’il ressort de la clôture du dernier exercice comptable. Selon les directives de l’OFAS sur les cotisations des travailleurs indépendants et des personnes sans activité lucrative dans l’AVS, AI et APG (DIN) du 1er janvier 2008, dans leur version en vigueur du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2020, elle doit considérer le revenu communiqué par l’autorité fiscale comme un revenu net après déduction des cotisations (n° 1170.2 DIN). Elle ne peut déroger à cette règle que lorsqu’il ressort clairement, expressément et sans réserve des indications données par les autorités fiscales qu’aucune déduction n’a été ou ne sera opérée. Dans ce cas, aucun rajout en pour-cent ne doit être effectué (n° 1170.3 DIN).

Ensuite, pour fixer le revenu déterminant, les caisses de compensation rajoutent les cotisations AVS/AI/APG au revenu communiqué et apuré de l’intérêt sur le capital propre investi dans l’entreprise selon les n° 1172 ss (art. 9 al. 4 LAVS) et de l’éventuelle franchise pour rentiers selon le n° 3006.2 de la Circulaire de l’OFAS concernant les cotisations dues à l’AVS, AI et APG par les personnes exerçant une activité lucrative qui ont atteint l’âge ouvrant le droit à une rente de vieillesse (CAR; n° 1170 DIN).

Consid. 5.2
En l’espèce, l’assurée a sollicité le versement de prestations du 17.03.2020 au 16.09.2020. La caisse de compensation devait dès lors prendre en compte la situation de fait prévalant durant cette période. Le revenu moyen de l’activité lucrative de l’assurée a certes été déterminé sur la base des données fiscales d’un exercice comptable antérieur (en l’espèce celui de l’année 2017). En se fondant sur les données fiscales disponibles (de 2017), la caisse de compensation a toutefois fixé le revenu censé avoir été perçu par l’assurée immédiatement avant l’interruption de son activité lucrative indépendante en mars 2020. Pour évaluer le revenu déterminant, la caisse de compensation aurait donc dû constater que l’assurée avait déjà atteint l’âge de retraite de référence fixé à l’ancien art. 21 al. 1 LAVS (64 ans révolus pour les femmes). Dès lors, elle aurait dû déduire du montant communiqué par les autorités fiscales la franchise pour rentiers (16’600 fr; art. 4 al. 2 let. b LAVS et 6quater RAVS; arrêt 9C_37/2021 du 23 juin 2021 consid. 4.2), puis ajouter les cotisations AVS/AI/APG (n os 1170 DIN et 3006.2 CAR). Le raisonnement de l’autorité cantonale, confirmant que la caisse était en droit de corriger le revenu déterminant 2020 en conséquence, ne prête pas le flanc à la critique. Partant, le grief, mal fondé, doit être rejeté.

Consid. 6
C’est finalement en vain que l’assurée soutient que les conditions de la reconsidération (au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA) n’étaient pas réunies, parce que la caisse aurait appliqué correctement les art. 5 de l’ordonnance sur la perte de gain COVID-19 et 11 al. 1 LAPG. Au moment des décomptes de prestations, il n’existait en effet aucun doute sur le fait que la franchise pour rentiers aurait dû être déduite. Dès lors, le vice est manifeste, car il résulte d’une non-application d’une disposition univoque (art. 6quater RAVS, en lien avec les nos 1170 DIN et 3006.2 CAR). L’assurée ne présente par ailleurs aucun argument concret pour étayer son affirmation selon laquelle la caisse de compensation aurait changé de pratique en 2021. Elle ne prétend en particulier pas que la caisse de compensation lui aurait garanti en 2020 qu’elle ne procéderait pas à la déduction de la franchise pour rentiers (à ce sujet, cf. ATF 138 V 258 consid. 6).

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_528/2023 consultable ici

 

9C_33/2024 (d) du 24.06.2024 – Notion d’indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence (Tarmed 00.2505) / Restitution par le fournisseur de soins des prestations indues

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_33/2024 (d) du 24.06.2024

 

Consultable ici

 

Notion d’indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence (Tarmed 00.2505) / 43 LAMal – Tarmed

Principe de restitution par le fournisseur de soins des prestations indues

 

La permanence A.__ SA gère un centre d’urgence et de santé ou un cabinet d’urgence et de médecine générale. Celui-ci peut être consulté sans rendez-vous tous les jours (365 jours par an) de 7 à 22 heures en cas de problèmes médicaux urgents.

Le 12.07.2021, vingt-cinq assureurs-maladie ont entamé une procédure contre la permanence A.__ devant le tribunal arbitral en matière de litiges d’assurances sociales, en demandant que celui-ci soit condamné à leur verser un montant total d’au moins CHF 1’177’038.62. Ils ont motivé leur demande en substance par le fait que la permanence A.__ a facturé à tort l’indemnité forfaitaire de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F selon TARMED pour les traitements qu’elle a effectués durant la période du 01.01.2016 au 30.04.2021.

Par jugement du 04.12.2023 (arrêt SR.2021.00006), le tribunal arbitral a rejeté la demande dans son intégralité.

 

TF

Consid. 3.1
Conformément à l’art. 43 al. 1 LAMal, les fournisseurs de prestations établissent leurs factures sur la base de tarifs ou de prix. Conformément à l’art. 44 al. 1 LAMal (protection tarifaire), ils doivent s’en tenir aux tarifs et aux prix fixés par contrat ou par les autorités et ne peuvent pas facturer de rémunérations plus élevées pour les prestations fournies en vertu de la LAMal. La protection tarifaire, dans une acception large, englobe l’obligation pour les fournisseurs de prestations et les assureurs de respecter les tarifs et les prix applicables, tant dans leurs relations mutuelles que dans leurs rapports avec les assurés (ATF 144 V 138 consid. 2.1 ; 131 V 133 consid. 6). Dans le cadre du contrôle des factures – à distinguer du contrôle de l’économicité – les assureurs-maladie vérifient l’exactitude des notes d’honoraires des fournisseurs de prestations, notamment en ce qui concerne le respect des règles tarifaires et des limitations particulières de prestations (arrêt 9C_201/2023 du 3 avril 2024 consid. 3.1).

 

Consid. 3.2
Le droit tarifaire vise – par l’obligation faite aux fournisseurs de prestations de s’en tenir aux tarifs et aux prix fixés par contrat ou par les autorités (art. 44 al. 1 LAMal) – à garantir une rémunération contrôlée des prestations dans l’assurance-maladie obligatoire et à contribuer à la maîtrise des coûts. Il a ainsi également pour but d’assurer l’économicité des prestations, respectivement d’empêcher des prestations non économiques et/ou inappropriées (arrêt précité 9C_201/2023 du 3 avril 2024 consid. 3.6).

Consid. 3.3
Des sanctions sont prises à l’encontre des fournisseurs de prestations qui contreviennent aux exigences d’économicité et de qualité prévues par la loi (art. 56, 58a et 58h LAMal) ou aux accords contractuels (art. 42 LAMal) ainsi qu’aux dispositions relatives à la facturation (art. 59 al. 1 LAMal). Outre les sanctions prévues dans les contrats de qualité, elles comprennent notamment le remboursement total ou partiel des honoraires perçus pour des prestations inappropriées (art. 59 al. 1 let. b LAMal).

Consid. 3.4
Depuis le 01.01.2004, les prestations médicales fournies en ambulatoire dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins (AOS) sont facturées de manière uniforme via le système tarifaire TARMED. La base en est notamment la convention-cadre TARMED conclue le 13.05.2002 entre les parties contractantes (santésuisse, FMH, H+, CTM) représentant les assureurs et les fournisseurs de prestations et – en tant que partie intégrante de cette convention – la structure tarifaire TARMED.

Consid. 3.5
Selon la position tarifaire TARMED 00.2505, le forfait d’urgence F peut être facturé en cas de consultations ou visites urgentes en dehors des heures de consultation régulières, ainsi que du lundi au vendredi de 19 à 22 heures, le samedi de 7 à 19 heures et le dimanche de 7 à 19 heures. Les critères tarifaires d’urgence définis dans cette position tarifaire doivent être remplis. De plus, la disposition de cette position tarifaire précise qu’elle ne peut pas être facturée « dans le cadre d’une consultation régulière (consultation en soirée, consultation régulière le dimanche) ».

Consid. 3.6
Le point de départ de toute interprétation est le libellé de la norme applicable. Si le texte n’est pas tout à fait clair et que différentes interprétations sont possibles, il convient de rechercher la véritable portée de la disposition, en tenant compte de tous les éléments d’interprétation (pluralisme des méthodes). Il faut alors tenir compte de l’objectif de la réglementation, des valeurs sous-jacentes au texte ainsi que du contexte dans lequel la norme s’insère. Les travaux préparatoires ne sont certes pas directement déterminants, mais servent d’instrument pour cerner le sens de la norme. Ces travaux préparatoires revêtent une importance particulière, notamment pour l’interprétation de textes récents qui se heurtent encore à des circonstances et à une compréhension du droit qui n’ont guère évolué. Il est possible de s’écarter du texte lorsqu’il existe des raisons valables de penser qu’il ne reflète pas le véritable sens de la réglementation. Si plusieurs interprétations sont possibles, il faut choisir celle qui correspond le mieux à la Constitution. Cependant, une interprétation conforme à la Constitution trouve aussi ses limites dans le libellé clair et le sens d’une disposition légale (ATF 141 V 221 consid. 5.2.1 et les références ; 140 V 449 consid. 4.2 et les références ; concernant l’interprétation de la structure tarifaire TARMED, cf. également l’arrêt 9C_664/2023 du 24 juin 2024 consid. 4).

Consid. 4.1
Il est établi et non contesté que la permanence A.__ exploite un cabinet d’urgence qui peut être consulté sans rendez-vous tous les jours (365 jours par an) de 7 à 22 heures en cas de problèmes médicaux urgents. Selon les constatations du tribunal arbitral cantonal, aucun rendez-vous n’est pris pour ce cabinet d’urgence. Par ailleurs, la permanence A.__ exploite dans les mêmes locaux un cabinet de médecine générale où des consultations peuvent être programmées pendant les horaires habituels les jours ouvrables. En l’espèce, seule la facturation des traitements effectués par le cabinet d’urgence entre 19 et 22 heures du lundi au vendredi et entre 7 et 22 heures le samedi et le dimanche (ci-après : heures litigieuses) est contestée.

Consid. 4.2
Le tribunal arbitral cantonal a considéré en substance que la permanence A.__ fonctionnait avec une double structure. D’une part, elle gère un cabinet de médecine générale, dans lequel des consultations peuvent être convenues aux heures habituelles. D’autre part, elle exploite un cabinet d’urgence au même endroit ; les traitements litigieux en l’espèce ont été facturés pour ce cabinet. Ce cabinet d’urgence était exploité exclusivement comme une structure « walk-in », pour lequel il n’est pas possible de convenir à l’avance des heures de consultation. Le cabinet d’urgence n’a donc pas d’heures de consultation régulières, ce qui l’autorise en principe à facturer le forfait d’urgence F pour les traitements effectués pendant les heures litigieuses. Les longues heures d’ouverture publiées n’y changeaient rien, puisqu’elles n’auraient pas été choisies volontairement, mais seraient dues à l’accomplissement d’une obligation légale (assurer les soins d’urgence pour la ville et la région de U.__).

Consid. 4.3
Selon le texte du TARMED, l’indemnité forfaitaire de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F ne peut être facturée que pour des traitements qui ne sont pas effectués pendant une heure de consultation régulière. Or, un traitement pendant les plages horaires litigieuses n’est pas automatiquement considéré comme se déroulant en dehors des heures régulières ; ainsi, le TARMED réserve expressément les heures de consultation du soir ou les heures de consultation régulières du dimanche. La réglementation ne distingue cependant pas si ces horaires sont proposés volontairement ou pour remplir des obligations légales ou contractuelles. Ce qui compte, c’est uniquement si ces horaires constituent des «heures régulières de consultation». Il n’est donc pas nécessaire en l’espèce de se prononcer sur la question de savoir si la permanence A.__ pouvait choisir librement les heures d’ouverture de son cabinet de garde ou si elle était tenue de maintenir une certaine offre en raison de directives des autorités ou d’accords contractuels avec le corps médical de la région U.__. La question de savoir si les heures d’ouverture des cabinets de garde sont des heures régulières ou non est donc sans objet.

Consid. 4.4
La question se pose donc de savoir ce qu’il faut entendre par heure de consultation «régulière» au sens du TARMED – qui exclut la facturation du forfait litigieux en l’espèce. Le tribunal arbitral cantonal a considéré à ce sujet que seules les heures durant lesquelles il est possible de convenir d’heures de consultation doivent être considérées comme des heures régulières de consultation.

Toutefois, le tribunal arbitral cantonal part toutefois d’une notion trop étroite des heures de consultation «régulières» : le forfait litigieux vise à compenser l’inconvénient subi par un médecin contraint de traiter un patient de manière urgente en dehors de ses heures de travail normales. À l’inverse, un médecin ne subit aucun inconvénient digne d’être indemnisé au sens de cette position tarifaire lorsqu’il effectue un traitement pendant des plages horaires où il est, de toute façon, présent dans son cabinet. Ainsi, un traitement effectué pendant les heures d’ouverture publiées est considéré comme effectué pendant les heures «régulières» de consultation. Si un cabinet propose de longues heures d’ouverture, en fait la publicité et oriente ainsi en quelque sorte son modèle économique vers le traitement de patients en dehors des heures habituelles, il en résulte qu’il n’est pas autorisé à facturer le forfait litigieux pour les traitements effectués pendant durant ces horaires.

Consid. 4.5
En résumé, il faut retenir que la permanence A.__ n’était pas autorisée à facturer les indemnités forfaitaires de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F (position tarifaire TARMED 00.2505) pour les traitements effectués pendant les heures d’ouverture qu’elle a rendues publiques. Par conséquent, le recours doit être admis en ce sens qu’il faut admettre le principe d’une obligation de remboursement. Le jugement de l’instance précédente doit être annulé dans la mesure où il concerne les recourantes et l’affaire doit être renvoyée au tribunal arbitral pour qu’il fixe le montant du remboursement. Le recours est rejeté pour le surplus.

 

Le TF admet le recours des caisses-maladies.

 

 

Arrêt 9C_33/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_33/2024 (d) du 24.06.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/12/9c_33-2024)

 

 

9C_664/2023 (d) du 24.06.2024, destiné à la publication – Notion d’indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence / Interprétation d’« institut » au sens du Tarmed (00.2510, 00.2520, 00.2530) / Restitution par le fournisseur de soins des prestations indues

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_664/2023 (d) du 24.06.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Notion d’indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence / 43 LAMal – Tarmed

Interprétation d’« institut » au sens du Tarmed (00.2510, 00.2520, 00.2530) / 35 al. 2 let. n LAMal – 36a aLAMal

Restitution par le fournisseur de soins des prestations indues / 25 LPGA

 

Par requête datée du 20.06.2022 (postée le 20.07.2022, reçue le 21.07.2022), une caisse-maladie a procédé auprès du Tribunal arbitral contre A.__ SA. Elle a notamment demandé que A.__ SA soit tenue de payer CHF 352’071 (avec intérêt de 5%) pour des indemnités forfaitaires de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F (position tarifaire TARMED 00.2505), des indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence A et B (positions tarifaires TARMED 00.2510 et 00.2520) ainsi que des majorations en pourcents pour urgence B (position tarifaire TARMED 00.2530) pour la période du 01.01.2018 au 31.05.2022 et que A.__ SA devait être tenu de facturer à l’avenir ces forfaits conformément aux règles.

Par arrêt du 08.09.2023, le Tribunal arbitral a condamné A.__ SA à rembourser à la caisse-maladie la somme de CHF 393’295.–.

 

TF

Consid. 2.2.1
Sous le titre « Principe », l’art. 43 LAMal contient notamment les règles suivantes concernant la fixation des tarifs : Les tarifs et les prix sont fixés par convention entre les assureurs et les fournisseurs de prestations (convention tarifaire) ou, dans les cas prévus par la loi, par l’autorité compétente. Ceux-ci veillent à ce que les conventions tarifaires soient fixées d’après les règles applicables en économie d’entreprise et structurées de manière appropriée (art. 43 al. 4, 1e et 2e phrases, LAMal). Les tarifs à la prestation et les tarifs des forfaits par patient liés aux traitements ambulatoires doivent chacun se fonder sur une seule structure tarifaire uniforme, fixée par convention sur le plan suisse (art. 43 al. 5, 1e phrase, LAMal). Le Conseil fédéral peut procéder à des adaptations de la structure tarifaire si celle-ci s’avère inappropriée et que les parties ne peuvent s’entendre sur une révision de la structure (art. 43 al. 5bis LAMal). Les parties à la convention et les autorités compétentes veillent à ce que les soins soient appropriés et leur qualité de haut niveau, tout en étant le plus avantageux possible (art. 43 al. 6 LAMal). Le Conseil fédéral peut établir des principes visant à ce que les tarifs soient fixés d’après les règles d’une saine gestion économique et structurés de manière appropriée; il peut aussi établir des principes relatifs à leur adaptation (art. 43 al. 7, 1e phrase, LAMal). Ensuite, l’art. 46 al. 4 LAMal précise ce qui suit : La convention tarifaire doit être approuvée par le gouvernement cantonal compétent ou, si sa validité s’étend à toute la Suisse, par le Conseil fédéral. L’autorité d’approbation vérifie que la convention est conforme à la loi et à l’équité et qu’elle satisfait au principe d’économie (ATF 144 V 138 consid. 2.2.1 et les références).

Consid. 2.2.2
Depuis le 1er janvier 2004, les prestations médicales ambulatoires fournies dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins sont facturées de manière uniforme via le système tarifaire TARMED. Ce système se fonde notamment sur la convention-cadre TARMED conclue le 13 mai 2002 entre les associations santésuisse et H+ ainsi que– en tant que partie intégrante de cette convention – sur la structure tarifaire TARMED. Les prestations médicales et techniques sont saisies dans cette dernière et se voient attribuer des points tarifaires. Le montant des points tarifaires (en francs et en centimes) est fixé au moyen de conventions tarifaires au niveau cantonal. Le prix de chaque unité de prestation résulte de la multiplication des points de taxation par la valeur du point de taxation.

Le 15 juin 2012, le Conseil fédéral a approuvé la structure tarifaire TARMED version 1.08 convenue par les partenaires tarifaires. En édictant l’ordonnance du 20 juin 2014 sur la fixation et l’adaptation de structures tarifaires dans l’assurance‑maladie (RS 832.102.5 ; ci-après : ordonnance sur l’adaptation), il est intervenu lui-même pour la première fois dans la structure tarifaire. Le Conseil fédéral a abrogé ces dispositions à la fin de l’année 2016 ; en contrepartie, il a approuvé, le 23 novembre 2016, la convention des partenaires tarifaires prévoyant le maintien de la structure tarifaire existante (y compris les adaptations mentionnées) jusqu’à la fin de l’année 2017. Au 1er janvier 2018, il a de nouveau modifié l’ordonnance d’adaptation et donc la structure tarifaire TARMED (cf. ATF 144 V 138, état de fait let. A.a.). Les adaptations effectuées se trouvent à l’annexe 1 de l’ordonnance et la structure tarifaire version 1.09 valable à partir du 1er janvier 2018 à l’annexe 2.

Consid. 2.2.3
Conformément à l’art. 25 al. 2 LPGA (dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2021) en relation avec l’art. 56 al. 2 LAMal (cf. ATF 133 V 579 consid. 4.1), le droit de demander la restitution s’éteint trois ans (d’un an selon l’art. 25 al. 2 LPGA dans sa version en vigueur jusqu’à fin 2020) après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Les délais mentionnés sont des délais de péremption (ATF 140 V 521 consid. 2.1 avec renvois).

Si le versement indu de la prestation repose sur une erreur de l’administration, le délai de péremption relatif ne commence à courir qu’à partir de ce que l’on appelle la « deuxième circonstance » [« zweiten Anlass »]. En revanche, la connaissance raisonnablement attendue de la situation déclenche déjà le délai lorsque le caractère indu de la prestation fournie ressort directement du dossier et qu’il n’y a donc pas (ou plus) besoin de clarifier les éléments constitutifs de la demande de restitution. La question de savoir si et dans quelle mesure la demande de restitution est périmée est une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement (ATF 148 V 217 consid. 2.2 et 5 et les références).

Consid. 4.2
Selon les interprétations correspondantes de la structure tarifaire TARMED version 1.09, les indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence A et B ainsi que la majoration en pourcents pour urgence B (positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530) ne peuvent être facturés que par des médecins spécialistes non rémunérés de manière fixe par l’hôpital ou l’institut.

En ce qui concerne le terme «institut» (allemand : «Institut» ; italien : «istituti»), il faut convenir avec la recourante [A.__ SA] que le libellé n’est pas clair d’emblée. L’OFSP fait également remarquer à juste titre que, contrairement à la notion d’«hôpital» (cf. art. 35 al. 2 let. h et art. 39 LAMal), la LAMal ne contient pas de catégorie de fournisseurs de prestations analogue. En particulier, les termes utilisés à l’art. 35 al. 2 let. n LAMal ne correspondent pas, du moins dans les versions allemande («Einrichtungen») et française (« institutions»), aux termes utilisés dans les interprétations des positions tarifaires TARMED 00.2510 à 00.2530 (allemand : «Institut» ; français : «institut») ; dans la version italienne, les termes sont en revanche identiques (respectivement «istituti»). Il n’en va pas autrement en ce qui concerne l’art. 36a aLAMal, encore en vigueur lors de la formulation de la structure tarifaire TARMED version 1.08, qui utilisait la même terminologie que l’art. 35 al. 2 let. n LAMal.

Si la structure tarifaire TARMED avait effectivement voulu reprendre la terminologie de la LAMal en suivant l’argumentation de l’instance précédente, on aurait pu s’attendre à ce qu’une terminologie uniforme ne se limite pas à la version italophone. Le terme «institut» (allemand : «Institut» ; italien : «istituti») utilisé dans la structure tarifaire n’est donc pas clair et il faut, puisque différentes interprétations sont possibles, en rechercher la véritable portée à l’aide d’autres éléments d’interprétation.

Consid. 4.3
A.__ SA objecte à juste titre qu’avec l’ordonnance d’adaptation du Conseil fédéral, c’est une ordonnance dépendante qui est au cœur de l’examen (ATF 144 V 138 consid. 2.4). Il convient néanmoins de tenir compte, lors de l’interprétation, du fait que la structure tarifaire TARMED version 1.09 repose en grande partie sur une structure tarifaire convenue au préalable entre les représentants des assureurs et des fournisseurs de prestations, et donc sur un contrat de droit public (cf . ATF 139 V 82 consid. 3.1.1 et 3.1.2 ainsi que décision du Conseil fédéral du 5 octobre 2001 dans la cause Verband Krankenversicherer St. Gallen-Thurgau gegen Regierungsrat des Kantons St. Gallen betreffend Festsetzung der Tarife des Kantonsspitals und der Regionalspitäler, in: RKUV 2002 Nr. KV 215 S. 210ff.). C’est précisément la condition négative formulée dans les positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 «Ne peut être facturé que par des spécialistes qui ne sont pas salariés d’un hôpital ou d’un institut» qui a été reprise telle quelle dans la structure tarifaire TARMED version 1.09, à l’exception d’une simple modification rédactionnelle (le singulier «istituto» a été remplacé par le pluriel «istituti» dans la version italophone).

La fixation autonome des tarifs par les partenaires tarifaires constitue la règle en matière de tarification des prestations (cf. message du 6 novembre 1991 concernant la révision de l’assurance-maladie, BBl 1992 I 93, 180 [en français : FF 1992 I 77, 162). En conséquence, le législateur a souligné, en introduisant l’art. 43 al. 5bis LAMal, l’importance de l’autonomie tarifaire et la subsidiarité des compétences accordées au Conseil fédéral (cf. rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 1er septembre 2011 sur l’initiative parlementaire « Tarmed : compétence subsidiaire du Conseil fédéral », BBl 2011 7385 (en français : FF 2011 6793) ; cf. sur l’ensemble l’arrêt 9C_524/2013 du 21 janvier 2014 consid. 3 et les références). Il se justifie donc de prendre également en considération, dans le cadre de l’interprétation (historique), ce que les partenaires contractuels avaient voulu à l’époque en formulant que les positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 ne pouvaient être facturées que par des médecins spécialistes qui ne sont pas salariés d’un hôpital ou d’un institut.

Consid. 4.3.1
Les parties s’accordent à dire que A.__ SA exploite un cabinet médical de type walk-in et qu’elle est une institution au sens de l’art. 35 al. 2 let. n LAMal (resp. art. 36a aLAMal ; cf. à ce sujet l’ATF 135 V 237) avec des médecins à rémunération fixe. Dans le cadre de son interprétation historique et téléologique, elle souligne à juste titre que la proposition de modifications de la structure tarifaire TARMED de mars 2017, mise en consultation, selon laquelle les positions tarifaires TARMED 00.2510 à 00.2590 auraient dû être précisées notamment en ce sens qu’elles ne pouvaient plus, de manière générale (c.-à-d. indépendamment d’autres critères), être utilisées par des institutions au sens de l’art. 36a aLAMal, a finalement été rejetée par le Conseil fédéral. La solution prévue dans un premier temps avait été justifiée par le fait que les institutions au sens de l’art. 36a aLAMal (institutions de soins ambulatoires dispensés par des médecins) avaient explicitement axé leur infrastructure et leur personnel sur les cas d’urgence. Une urgence ne constituerait pas plus un inconvénient pour de telles institutions que pour les hôpitaux (cf. modification proposée par l’OFSP de l’ordonnance sur la détermination et l’adaptation des structures tarifaires dans l’assurance-maladie de mars 2017, p. 12). Selon le rapport de l’OFSP du 18 octobre 2017 sur les résultats de la consultation, les réactions (des cantons, des partis politiques et des commissions, des organisations du système de santé [assureurs et patients] ainsi que des fournisseurs de prestations) ont cependant montré qu’une distinction claire entre les diverses offres n’était guère réalisable et que celles-ci contribuaient dans certains cantons au financement des soins ambulatoires d’urgence (p. 23 ss du rapport ; cf. également la fiche d’information de l’OFSP sur les adaptations du tarif médical TARMED du 18 octobre 2017). En conséquence, le passage décrit dans la proposition, selon lequel les positions tarifaires 00.2510 à 00.2590 ne sont généralement plus prises en charge par les institutions au sens de l’art. 36a LAMal, a été supprimé et les critères d’urgence sont restés plus stricts.

A la lumière de ce qui vient d’être exposé, on peut conclure avec A.__ SA que l’OFSP et le Conseil fédéral étaient tous deux partis du principe que les institutions au sens de l’art. 36a aLAMal pouvaient facturer les forfaits d’urgence en présence des critères correspondants (éventuellement négatifs). C’était déjà le cas dans le cadre de la structure tarifaire TARMED version 1.08, où le chapitre 00.08 (suppléments pour cas urgents et suppléments d’urgence) indiquait encore expressément qu’il s’agissait de la facturation « par des institutions ambulatoires (p. ex. permanences, centres médicaux, etc.) ».

Consid. 4.3.2
En guise de conclusion intermédiaire, il convient de retenir que la structure tarifaire TARMED, ni dans sa version 1.09, ni dans sa version 1.08, n’exclut ou n’a exclu de manière générale – et donc indépendamment de la question d’une rémunération fixe – les médecins d’institutions au sens de l’art. 35 al. 2 let. n LAMal (ou de l’art. 36a aLAMal) de la facturation des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530. A.__ SA ne peut toutefois pas en déduire quoi que ce soit en sa faveur. En particulier, on ne peut pas en conclure qu’un cabinet walk-in tel que celui qu’elle exploite est de ce fait libéré de la condition négative «Ne peut être facturé que par des spécialistes qui ne sont pas salariés d’un hôpital ou d’un institut» (cf. également à ce sujet consid. 4.3.6 infra).

Consid. 4.3.3
Les interprétations des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 ne définissent pas ce qu’il faut entendre par «institut». Elles expliquent toutefois, à la suite de la phrase «Ne peut être facturé que par des spécialistes qui ne sont pas salariés d’un hôpital ou d’un institut», que lors d’interventions à l’hôpital ou dans un institut, la règle suivante est applicable : « Le spécialiste doit, depuis l’extérieur, venir d’urgence et de manière imprévue à l’hôpital ou à l’institut. L’indemnité de déplacement est alors comprise. Les spécialistes qui touchent un salaire fixe, entier ou partiel, de la part de l’hôpital ou de l’institut ne peuvent pas facturer cette position. »

Les interprétations expliquent ainsi ce qu’il faut entendre par dérangement en cas d’urgence et justifient pourquoi les médecins à rémunération fixe ne peuvent pas la facturer. L’intention est d’indemniser les médecins qui se rendent de manière non planifiée à l’hôpital ou à l’institut en raison d’une urgence, sans être indemnisés pour ce dérangement personnel dans le cadre d’une rémunération fixe.

Dans ce contexte, il ne faut pas seulement considérer l’indemnité de déplacement explicitement mentionnée dans les interprétations, mais également prendre en compte le fait que le médecin appelé qui effectue un service de garde est limité dans ses activités privées et doit éventuellement les interrompre immédiatement à un moment inopportun. En conséquence, les positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 font partie des groupes de prestations LG-59 et LG-63 et ne peuvent être revendiquées, selon la structure tarifaire TARMED, que dans les rôles définis de médecin de cabinet ou de médecin agréé.

Consid. 4.3.4
A.__ SA n’explique pas de manière compréhensible et on ne voit pas non plus pourquoi une interdiction de facturer devrait s’appliquer au personnel médical à rémunération fixe d’un hôpital ou d’un autre institut, mais pas au personnel médical à rémunération fixe d’un «walk-in practice». Outre le fait que A.__ SA ne parvient pas à démontrer quels autres fournisseurs de prestations devraient être couverts par la notion d’«institut» à sa place, une interprétation conforme à la lecture de la recourante ne serait guère compatible avec les interprétations des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 présentées précédemment au consid. 4.3.3. Il n’en va pas autrement de l’avis de l’OFSP, selon lequel le terme «institut» ne doit désigner que les établissements situés dans un environnement proche de l’hôpital ou les instituts gérés par des hôpitaux.

Dans leurs objections, A.__ SA et l’OFSP ne tiennent pas compte du fait que le point de rattachement essentiel est l’absence de rémunération fixe pour un dérangement subi personnellement par le médecin et non la forme d’organisation du côté de l’employeur.

A la lumière de ce qui précède, les réserves exprimées lors de la consultation sur l’adaptation prévue de la structure tarifaire TARMED, selon lesquelles il ne serait pas approprié d’exclure de manière générale toutes les institutions au sens de l’art. 35 al. 2 let. n LAMal (resp. art. 36a aLAMal) de la facturation des positions tarifaires TARMED 00.2510 à 00.2590, notamment en raison du nombre d’offres insuffisamment distinctes, prennent tout leur sens (cf. consid. 4.3.1 supra). Ainsi, il est tout à fait concevable – comme c’est le cas pour les hôpitaux explicitement mentionnés dans les interprétations (on pense en particulier aux médecins agréés) – que, selon les offres, des médecins exercent également dans les institutions constituées en personnes morales (cf. à ce sujet l’ATF 135 V 237), qui ne sont pas rémunérés de manière fixe.

Consid. 4.3.5
Il faut donc partir du principe, avec l’instance précédente, que les cabinets walk-in comme celui de la recourante doivent être considérés comme des instituts au sens des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530, si bien que leurs médecins à rémunération fixe ne sont pas autorisés à facturer ces positions tarifaires. Ce n’est qu’à la condition négative qu’un cabinet sans rendez-vous (walk-in practice) ne rémunère pas ses médecins de manière fixe, qu’une facturation des indemnités forfaitaires correspondantes peut entrer en ligne de compte (cf. consid. 4.3.1 supra).

Consid. 4.3.6 [résumé]
La recourante semble être d’avis qu’il existe une catégorie de fournisseurs de prestations avec des médecins à salaire fixe qui ne relèvent pas des notions d’hôpital ou d’institut au sens des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 et qui peuvent donc toujours facturer les forfaits correspondants lorsque les critères médicaux d’urgence sont remplis. La question de savoir ce qu’il en est peut rester ouverte ici, compte tenu de ce qui a été exposé au considérant 4.3.5. Il n’en va pas autrement du grief formulé dans ce contexte, selon lequel cette catégorie de fournisseurs de prestations serait privilégiée et qu’il y aurait donc une violation du principe de l’égalité.

Par ailleurs, il convient de souligner avec le tribunal arbitral qu’il est objectivement justifié de distinguer, pour le droit à la facturation, si les médecins sont rémunérés de manière fixe et donc indemnisés pour les inconvénients personnels ou non. Une distinction objective ferait plutôt défaut si, selon l’argumentation de la recourante, les médecins à rémunération fixe d’un cabinet walk-in pouvaient facturer les positions tarifaires 00.2510, 00.2520 et 00.2530, alors que leurs collègues d’un hôpital ou d’un institut, également à rémunération fixe, n’y seraient pas autorisés.

Consid. 4.3.7
En suivant le Tribunal arbitral et en considérant la recourante comme un institut au sens des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530, le Tribunal fédéral ne néglige pas non plus le fait que les urgences peuvent également causer des inconvénients dans les cabinets sans rendez-vous et les permanences. Il faut notamment penser au fait que les traitements de patients réguliers sont retardés en raison des urgences et qu’il en résulte des temps d’attente. De tels désagréments n’affectent toutefois pas les médecins engagés à titre permanent par les cabinets médicaux et se trouvant sur place, et sont – dans la mesure où ils concernent ces derniers – indemnisés par un salaire correspondant. Le Tribunal fédéral ne méconnaît pas non plus le fait que les cabinets walk-in et les permanences peuvent, en raison du service d’urgence proposé, présenter des frais d’exploitation plus élevés que les cabinets qui n’entretiennent pas un tel service. Il n’est pas non plus contesté que de tels services d’urgence déchargent les hôpitaux ayant éventuellement des structures de cabinet encore plus élevées et qu’ils puissent ainsi avoir une influence positive sur les coûts de la santé. Dans la structure tarifaire TARMED version 1.08 et version 1.09, rien n’indique toutefois que les positions tarifaires litigieuses visent, au-delà de l’indemnisation des inconvénients personnels des médecins décrits dans les interprétations, à indemniser les employeurs disposant de structures de cabinet coûteuses ou à financer un service d’urgence. Le fait que de telles considérations (de politique de santé) aient pu jouer un rôle dans le cadre de la tentative, finalement rejetée, d’exclure totalement les institutions au sens de l’art. 35 al. 2 let. n LAMal (resp. art. 36a aLAMal) du droit de facturer (cf. consid. 4.3.1 supra), n’y change rien.

 

Consid. 5
Il convient d’examiner si le droit de demander la restitution est périmé dans la mesure où il concerne des indemnités forfaitaires de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F décomptés à tort avant le 01.01.2020.

Consid. 5.1
En se référant à l’ATF 133 V 579 consid. 4.3.5 ainsi qu’à l’absence de procédure de conciliation obligatoire dans le canton de Berne, le délai de péremption relatif peut être respecté par un acte préalable par lequel l’assureur-maladie a fait valoir de manière appropriée sa créance de remboursement envers le débiteur. Dans le cas présent, cela a été fait en temps utile avec les deux courriers du 04.11.2020 et du 08.10.2021.

Consid. 5.2
La recourante objecte que le Tribunal fédéral n’a pas du tout traité, dans l’ATF 133 V 579, la question de savoir comment le délai de péremption devait être respecté lorsque la procédure (art. 44 et 45 des Gesetzes betreffend die Einführung der Bundesgesetze über die Kranken-, die Unfall- und die Militärversicherung des Kantons Bern [EG KUMV; BSG 842.11]) ne prévoient pas de procédure de conciliation obligatoire. Si, dans de telles constellations, l’ayant droit au remboursement renonce à une procédure de conciliation, seule la requête peut être considérée comme respectant le délai. En l’espèce, la caisse-maladie a déposé sa demande le 22.06.2022. Sur la base du délai de péremption relatif d’un an en vigueur à l’époque, la péremption est donc intervenue pour toutes les indemnités forfaitaires de dérangement F versés avant le 01.01.2020.

Consid. 5.3
Par ce grief, la recourante ne tient pas compte du fait qu’un assureur-maladie n’a pas la possibilité, selon les art. 44 et 45 EG KUMV, de se prononcer pour ou contre la mise en œuvre d’une procédure de conciliation. Il peut certes déposer une demande en ce sens, mais il appartient en fin de compte uniquement au président du tribunal arbitral de décider de la mise en œuvre ou non d’une telle procédure. La question de savoir si de telles requêtes sont susceptibles de respecter les délais n’a pas besoin d’être clarifiée ici.

Ainsi, dans l’ATF 133 V 579, consid. 4.3.5, le Tribunal fédéral a expressément et sans équivoque considéré que, contrairement à l’arrêt K 167/04 du 18 mars 2005 du Tribunal fédéral des assurances, la question de l’effet sur la conservation du délai d’autres actions devait être approuvée, chaque fois qu’il n’existe pas de procédure d’arbitrage obligatoire. Dans la présente constellation, il est incontestable qu’il n’existe pas de procédure arbitrale obligatoire, de sorte que d’autres actes, comme c’est en principe le cas en droit public (cf. ATF 133 V 579 consid. 4.3.1), ont un effet sur le respect des délais. Aucun motif visible ou invoqué à bon droit ne justifie de s’écarter de cette jurisprudence claire.

 

Le TF rejette le recours de A.__ SA.

 

Arrêt 9C_664/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_664/2023 (d) du 24.06.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/11/9c_664-2023)

 

 

Assurances sociales : ce qui va changer en 2025

Assurances sociales : ce qui va changer en 2025

 

Article de Mélanie Sauvain, paru in Sécurité sociale CHSS du 26.11.2024, consultable ici

 

À l’instar des rentes AVS et AI, plusieurs prestations sociales vont augmenter au 1er janvier 2025. C’est également à partir de cette date que l’âge de référence des femmes passera progressivement de 64 à 65 ans.

Plusieurs nouvelles mesures entrent en vigueur début 2025. Afin que les assurés, les employeurs et les personnes actives dans le domaine des assurances sociales aient une vue d’ensemble, le présent article résume les principaux changements, sur la base des informations disponibles à la fin novembre 2024. Au moment de la rédaction de cet article, le recours contre le relèvement de l’âge de la retraite des femmes est toujours pendant au Tribunal fédéral.

 

1er pilier : hausse des rentes et des allocations pour impotent

Les rentes du 1er pilier augmentent de 2,9% dès le 1er janvier 2025. La rente minimale dans l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) et dans l’assurance-invalidité (AI) passe ainsi de 1’225 à 1’260 francs par mois ; la rente maximale pour une durée de cotisation complète de 2’450 à 2’520 francs. La rente AVS pour couples mariés s’élève désormais à 3’780 francs. La dernière adaptation de ces rentes à l’évolution des prix et des salaires datait de 2023.

En parallèle, le montant de la cotisation minimale AVS/AI/APG pour les indépendants et les personnes sans activité lucrative passe à 530 francs par an ; celui de la cotisation minimale dans l’AVS/AI facultative à 1’010 francs.

Destinées aux bénéficiaires de rentes tributaires de l’aide d’autrui, les allocations pour impotent dans l’AVS et l’AI sont également relevées. Leurs montants dépendent du degré de l’impotence. Enfin, dans l’AI, la contribution d’assistance se monte désormais à 35.30 francs par heure (+ 1 franc) et à 169.10 francs par nuit (+ 4.65 francs).

 

Besoins vitaux : hausse des PC et des Ptra

Les prestations complémentaires (PC) et les prestations transitoires (Ptra) augmentent également. Le forfait annuel pour couvrir les besoins vitaux passe à 20’670 francs pour les personnes seules (+ 570 francs) ; à 31’005 francs pour les couples (+ 855 francs) ; à 10’815 francs pour les enfants âgés de plus de 11 ans (+ 300 francs) et à 7’590 francs pour les enfants de moins de 11 ans (+ 210 francs).

Les montants maximaux des loyers pris en compte dans le cadre des PC et des Ptra sont aussi adaptés au renchérissement. Ils s’élèvent désormais à 18’900 francs dans les grands centres urbains (région 1), à 18’300 francs dans les villes (région 2) et à 16’680 francs à la campagne (région 3). Enfin, les franchises sur le revenu de l’activité lucrative sont relevées de 1’000 à 1’300 francs par an pour les personnes seules ; de 1’500 à 1’950 francs par an pour les couples ou les personnes avec enfant.

 

Allocations familiales : hausse des montants minimaux

Dans le domaine des allocations familiales, les montants minimaux fixés par la Confédération sont revus à la hausse en 2025. L’allocation pour enfant s’élève désormais à 215 francs par mois au lieu de 200 francs ; l’allocation de formation à 268 francs par mois au lieu de 250 francs.

Cette augmentation concerne en premier lieu les parents travaillant dans les cantons qui versent les montants minimaux, à savoir Argovie, Bâle-Campagne, Glaris, Soleure, Tessin, Thurgovie et Zurich. Les autres cantons, qui prévoient déjà des allocations plus élevées, ne sont pas obligés de procéder à une hausse.

 

2e et 3e piliers : nouveaux montants

Liés aux rentes du 1er pilier, plusieurs montant de la prévoyance professionnelle subissent aussi des changements début 2025. La déduction de coordination dans le régime obligatoire (LPP) passe à 26’460 francs ; le seuil d’entrée à 22’680 francs. Pour le 3e pilier (3a), la déduction fiscale autorisée par année s’élève désormais à 7’258 francs pour les personnes avec un 2e pilier et à 36’288 francs pour celles qui n’en ont pas.

Les rentes de survivants et d’invalidité de la LPP sont également adaptées. Elles augmentent de 0,8% si elles ont été adaptées pour la première fois en 2024 ; de 2,5% si leur dernière adaptation a eu lieu en 2023. Dans le régime surobligatoire, c’est l’organe suprême de l’institution de prévoyance qui décide chaque année si et dans quelle mesure les rentes doivent être adaptées.

Le taux d’intérêt minimal dans la LPP reste inchangé à 1,25% en 2025. Le Conseil fédéral a suivi les recommandations de la Commission fédérale de la prévoyance professionnelle pour fixer l’intérêt minimal auquel doivent être rémunérés les avoirs de vieillesse de la LPP.

Enfin, dans la prévoyance individuelle liée (pilier 3a), il sera désormais possible d’effectuer des rachats à certaines conditions. Concrètement, une personne exerçant une activité lucrative en Suisse et qui n’aura pas versé chaque année la cotisation maximale autorisée dans son 3e pilier pourra la verser rétroactivement dans les dix années qui suivent. Seules les lacunes de cotisation survenant après l’entrée en vigueur du projet pourront être rachetées. Les lacunes étant apparues avant 2025 ne peuvent donc pas être comblées. Ce rachat sera autorisé en plus de la cotisation ordinaire et pourra également être déduit du revenu imposable.

 

AVS 21 : 2e étape

La deuxième étape de la réforme Stabilisation de l’AVS (AVS 21) entre en vigueur début 2025. Seules les femmes nées après 1960 sont concernées. Leur âge de référence (auparavant «âge de la retraite») va augmenter progressivement jusqu’en 2028 pour s’établir finalement à 65 ans comme pour les hommes.

 

L’âge de référence indique l’âge auquel une personne peut percevoir sa rente de vieillesse sans réduction ni supplément. Il n’est pas contraignant. Depuis 2024, il est en effet possible de prendre sa retraite entre 63 et 70 ans ; et cela également de manière partielle. En cas de départ à la retraite avant 65 ans, la rente est réduite ; si la retraite est repoussée après 65 ans, la rente est augmentée (Sauvain, 2023). Les taux de réduction et d’ajournement seront prochainement revus à la baisse, probablement en 2027, afin de mieux tenir compte de l’allongement de l’espérance de vie.

L’augmentation de l’âge de référence s’accompagne de mesures de compensation (OFAS, 2022). Ainsi, les femmes nées entre 1961 et 1969 ont droit dès 2025 à un supplément de rente pour autant qu’elles perçoivent leur rente de vieillesse à l’âge de référence ou ultérieurement. Les femmes qui choisissent d’anticiper leur rente n’ont pas droit à ce supplément, mais elles bénéficient de taux de réduction plus favorables.

Le supplément de rente est échelonné en fonction du revenu et de l’année de naissance. Il s’élève entre 13 et 160 francs par mois. Il n’est pas soumis au plafonnement des rentes pour les couples mariés et est versé même si le montant de la rente maximale est dépassé. Versé à vie, il n’entraîne pas de réduction du montant des prestations complémentaires.

AMal : hausse des primes et règles pour les courtiers

Les primes de l’assurance-maladie obligatoire (AMal) augmentent pour toutes les catégories d’âge en 2025. La prime mensuelle moyenne s’élèvera à 378.70 francs, ce qui correspond à une augmentation de 6% par rapport à 2024. La prime moyenne est calculée en additionnant toutes les primes payées en Suisse et en les divisant par le nombre total d’assurés. La hausse moyenne pour les jeunes adultes et pour les enfants sera un peu moins élevée, respectivement de 5.4% et 5.8%.

L’annonce de cette augmentation de primes a pour la première fois été accompagnée de règles contraignantes pour les intermédiaires d’assurances. Ainsi, le démarchage téléphonique à froid, c’est-à-dire la prise de contact avec une personne qui n’a jamais été assurée auprès de l’assureur en question ou qui ne l’est plus depuis trois ans, est interdit. De plus, l’intermédiaire a l’obligation d’établir un procès-verbal lors de ses entretiens-conseils et de le faire signer par le client. Quant à sa rémunération, elle est dorénavant limitée. Les assureurs qui contreviennent à ces règles, entrées en vigueur en septembre 2024, encourent une amende pouvant aller jusqu’à 100’000 francs.

 

Social et santé : numérisation en marche

La numérisation des assurances sociales franchit une nouvelle étape avec la possibilité pour les personnes effectuant un service (militaire, civil, Protection civile) de demander en ligne leurs allocations pour perte de gain (APG). Les modifications légales en ce sens entrent en vigueur début 2025. Les formulaires papier seront dès 2026 progressivement remplacés par une procédure numérisée, plus simple et plus efficace. Le changement de loi vise à alléger les démarches administratives, tant pour les assurés que pour leurs employeurs.

Dans le domaine de la santé, un jalon important pour le dossier électronique du patient (DEP) est posé. La Confédération soutient désormais financièrement les fournisseurs de DEP. Cette mesure visant à diffuser et promouvoir le dossier électronique est transitoire jusqu’à ce que la révision de la loi correspondante soit adoptée et mise en œuvre. Le message sur cette révision complète doit être transmis au Parlement au printemps 2025.

 

Protection de la jeunesse renforcée

La première étape de la nouvelle loi sur la protection des mineurs dans les secteurs du film et du jeu vidéo entre en vigueur en 2025. Les enfants et les adolescents seront ainsi mieux protégés face aux contenus de films et de jeux vidéo susceptibles de les heurter, notamment les contenus violents ou sexuellement explicites. La loi harmonise à l’échelle du pays, le système de classification et de contrôle de l’âge en matière d’accès aux films et jeux vidéo.

 

Champ d’action élargi pour les fonds patronaux

Les fonds patronaux de bienfaisance pourront élargir leur champ d’action dès 2025. Jusqu’ici limités aux situations de détresse, ils peuvent désormais accorder des prestations visant à prévenir les risques financiers liés à la maladie, aux accidents et au chômage. De nouvelles mesures pour soutenir la formation continue, la conciliation entre vie familiale et professionnelle, ainsi que la promotion de la santé, seront également possibles. La modification du Code civil en ce sens vise à encourager ces fondations d’entreprise à caractère social.

 

 

Bibliographie :

OFAS (2024). Montants valables dès le 1er janvier 2025.

Sauvain, Mélanie (2023). Entre le travail et la retraite : plus grande flexibilité dès 2024, Sécurité sociale CHSS. 21 novembre.

OFAS (2022). Fiche d’information AVS 21 : Conséquences pour les femmes

 

Assurances sociales : ce qui va changer en 2025, article de Mélanie Sauvain, paru in Sécurité sociale CHSS du 26.11.2024, consultable ici

Sozialversicherungen: Was ändert sich 2025?, Artikel von Mélanie Sauvain, in Soziale Sicherheit CHSS vom 26.11.2024 erschienen, hier abrufbar

 

8C_639/2023 (f) du 25.09.2024 – Troubles psychiques – Causalité adéquate – 6 LAA / Collisions moto-auto – Scootériste percutée par un véhicule qui ne lui a pas accordé la priorité (« stop »)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_639/2023 (f) du 25.09.2024

 

Consultable ici

 

Troubles psychiques – Causalité adéquate / 6 LAA

Collisions moto-auto – Scootériste percutée par un véhicule qui ne lui a pas accordé la priorité (« stop ») – Rappel de la casuistique pour la catégorisation de l’accident – Moyen stricto sensu in casu

Critère des difficultés apparues au cours de la guérison et complications importantes admis – Processus de guérison compliqué par le développement d’un SDRC et de deux thromboses veineuses profondes

Critère des douleurs physiques persistantes admis en raison notamment du SDRC

Critère de la durée anormalement longue du traitement médical admis

 

Assurée, née en 1970, a été victime d’un accident de la circulation routière le 22.01.2018 alors qu’elle circulait à scooter. Elle a subi une fracture du plateau tibial gauche justifiant des interventions chirurgicales le 30.01.2018 et le 21.06.2018, puis une ablation du matériel d’ostéosynthèse (AMO) le 09.04.2019. L’assurée a présenté des douleurs persistantes au genou et à la cheville gauches, avec des sensations de blocage, nécessitant l’utilisation de béquilles.

L’assurée a repris son activité professionnelle en août 2019, de façon progressive jusqu’à un taux de 70%. Dès le 19.06.2020, elle a présenté une incapacité de travail de 50% pour des motifs psychiques.

Le 16.02.2021, le médecin-conseil a retenu les diagnostics de fracture du plateau tibial gauche, de syndrome douloureux régional complexe (SDRC), de douleurs neuropathiques du membre inférieur gauche et de raideur de la cheville gauche. La capacité de travail était diminuée de 20% jusqu’à l’échéance des deux ans post-opératoires puis, dans le futur, de 10% pour une activité sédentaire stricte. L’état était stabilisé à deux ans de la dernière intervention du 09.04.2019. Ce médecin a fixé le taux de l’IPAI à 25%. Le 30.04.2021, il a réévalué la baisse de rendement à 5%.

Par décision, confirmée sur opposition le 16.09.2021, l’assurance-accidents a refusé à l’assurée le droit à une rente d’invalidité et fixé une IPAI de 25%. Du point de vue somatique, la capacité de travail dans une activité adaptée était de 100% avec une diminution de rendement de 5%. La relation de causalité adéquate entre les troubles psychiques et l’accident était exclue.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/662/2023 – consultable ici)

Par jugement du 04.09.2023, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, condamnant notamment l’assurance-accidents à verser à l’assurée une rente fondée sur un taux d’invalidité de 50% dès le 01.09.2021, ainsi qu’une IPAI de 40%, sous déduction des prestations déjà versées.

 

TF

Consid. 4.2.1
Les juges cantonaux ont considéré, sur la base de la jurisprudence fédérale, que les collisions entre motocycles et voitures de tourisme devaient généralement être qualifiées d’accidents de gravité moyenne au sens strict, en l’absence de circonstances aggravantes supplémentaires. En l’occurrence, ils ont noté qu’un taxi avait coupé la route à l’assurée alors que celle-ci circulait en scooter; ensuite de la chute, elle s’était retrouvée coincée en partie sous le taxi, avec le scooter sur sa jambe. Au vu de la jurisprudence, ils ont qualifié cet événement d’accident de gravité moyenne au sens strict.

Consid. 4.2.2
La casuistique des accidents impliquant des motocyclistes percutés par un véhicule automobile classe le choc d’un motocycliste roulant à une vitesse comprise entre 50 km/h et 70 km/h avec un automobiliste en train de bifurquer dans la catégorie des accidents de gravité moyenne stricto sensu (arrêt 8C_99/2019 du 8 octobre 2019 consid. 4.4.1 et les arrêts cités). Les cas d’un motocycliste projeté à une dizaine de mètres du point d’impact et d’une collision frontale entre un scooter et une camionnette ont pour leur part été considérés comme des accidents de gravité moyenne à la limite des cas graves (arrêts 8C_134/2015 du 14 septembre 2015 consid. 5.3; 8C_917/2010 du 28 septembre 2011 consid. 5.3).

Au vu de la jurisprudence, les circonstances invoquées par l’assurance-accidents, à savoir le fait que l’assurée n’ait pas été projetée et qu’il n’y ait pas eu d’impact direct avec le véhicule, auraient été susceptibles d’aggraver la qualification de l’accident si elles avaient été réalisées. Leur absence ne saurait cependant remettre en cause la classification opérée par les juges cantonaux. En particulier, dans le premier arrêt que l’assurance-accidents invoque à l’appui de son argumentation (arrêt 8C_235/2020 du 15 février 2021), un automobiliste avait heurté avec l’avant droit de sa voiture l’avant du scooter de l’assuré et l’avait ainsi projeté par-dessus la voiture; la classification de l’accident (gravité moyenne au sens strict) n’avait toutefois pas été remise en question devant le Tribunal fédéral et donc pas été examinée par celui-ci (consid. 4.2), qui avait cependant jugé que la projection en l’air conférait un caractère impressionnant à l’accident (consid. 4.3.1). Dans le second cas invoqué par l’assurance-accidents, qualifié d’accident de peu de gravité à la limite supérieure (arrêt 8C_105/2012 du 23 juillet 2012 consid. 5.4), l’assuré, surpris par une manœuvre de freinage de son fils qui roulait devant lui, avait dû freiner brusquement et avait chuté de son scooter sur l’épaule droite. Cette constellation n’est cependant pas comparable avec le cas sous revue, où l’assurée s’est fait couper la route et a été percutée par un véhicule qui ne lui a pas accordé la priorité en quittant une route marquée d’un signal « stop ».

Consid. 4.2.3
Au vu de ce qui précède, c’est à bon droit que la cour cantonale a considéré que l’accident entrait dans la catégorie des accidents de gravité moyenne au sens strict. Pour cette catégorie d’accident, trois critères jurisprudentiels doivent être remplis ou l’un des critères doit s’être manifesté de manière particulièrement marquante pour que le lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques et l’accident puisse être admis (cf. arrêt 8C_418/2022 du 1 er mars 2023 consid. 4.1 et l’arrêt cité).

Consid. 4.4.1
Concernant l’existence de difficultés apparues au cours de la guérison et les complications importantes, ces deux aspects ne doivent pas être remplis de manière cumulative. Il doit toutefois exister des motifs particuliers ayant entravé ou ralenti la guérison (arrêts 8C_236/2023 du 22 février 2014 consid. 3.4.5; 8C_400/2022 du 21 décembre 2022 consid. 4.3.4 et les arrêts cités).

De tels motifs existent en l’espèce puisque le processus de guérison de l’assurée a été compliqué par le développement d’un SDRC avec allodynie et des douleurs aux épaules, ce qui a prolongé le traitement médical et nécessité des infiltrations. L’assurée a en outre subi deux opérations imposées par des complications, soit une AMO partielle (le matériel gênant le glissement des tissus mous périarticulaires), doublée d’une intervention pour redonner de la mobilité au genou gauche, et une AMO complète (en raison de l’équin de la cheville gauche et pour obtenir une cheville plus mobile). L’assurée a également subi des complications en raison de deux thromboses veineuses profondes, d’une plaie chirurgicale qui a mis du temps à se fermer, d’une raideur du genou, d’arthrose et de douleurs aux épaules nécessitant des soins continus. Le fait que l’assurance-accidents juge ces difficultés comme surmontables dès lors que l’assurée avait pu reprendre le travail à temps partiel plus d’un an et demi après l’accident n’affecte pas leur réalité. Le critère en cause est ainsi réalisé.

Consid. 4.4.2
S’agissant du critère des douleurs physiques persistantes, il faut que des douleurs importantes aient existé sans interruption notable durant tout le temps écoulé entre l’accident et la clôture du cas (cf. art. 19 al. 1 LAA). L’intensité des douleurs est examinée au regard de leur crédibilité ainsi que de l’empêchement qu’elles entraînent dans la vie quotidienne (ATF 134 V 109 consid. 10.2.4; arrêt 8C_565/2022 du 23 mai 2023 consid. 4.2.7 et l’arrêt cité).

En l’occurrence, il n’est pas contesté que l’assurée souffre d’un SDRC en lien de causalité naturelle avec l’accident. Or l’un des critères (dits de Budapest) pour admettre l’existence d’un SDRC est la présence d’une douleur persistante disproportionnée par rapport à l’événement initial (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1). L’expertise atteste par ailleurs des douleurs physiques persistantes dues à l’allodynie et à l’arthrose du genou gauche. Les différents médecins, y compris le médecin-conseil, rapportent d’intenses douleurs et le taux de travail de l’assurée a précisément dû être revu à la baisse en raison notamment de ses douleurs, ce qui illustre leur impact sur sa vie quotidienne. Les critiques de l’assurance-accidents à cet égard sont manifestement mal fondées et doivent être écartées.

Consid. 4.4.3
Comme retenu à juste titre par l’instance cantonale, le critère de la durée anormalement longue du traitement médical (cf. à ce titre ATF 148 V 138 consid. 5.3.1) doit également être admis, au vu de la nature et de l’intensité des nombreux traitements et interventions subis par l’assurée (cf. consid. 4.4.1 supra). L’assurance-accidents ne le conteste d’ailleurs pas.

Consid. 4.5
Les trois critères jurisprudentiels retenus par les juges cantonaux sont ainsi réalisés, de sorte que le lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques de l’assurée et l’accident doit être confirmé. Le grief de l’assurance-accidents doit être rejeté sans qu’il soit nécessaire d’examiner ses critiques dirigées contre les critères que la juridiction cantonale a laissé ouverts.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_639/2023 consultable ici

 

8C_104/2024 (d) du 22.10.2024, destiné à la publication – Prestations de l’assurance-invalidité en cas d’obésité : adaptation de la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_104/2024 (d) du 22.10.2024, destiné à la publication

 

Arrêt 8C_104/2024 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 21.11.2024 consultable ici

 

Prestations de l’assurance-invalidité en cas d’obésité : adaptation de la jurisprudence

 

Le Tribunal fédéral adapte sa jurisprudence concernant le droit aux prestations de l’assurance-invalidité en cas d’obésité. Le fait que l’obésité soit en principe accessible à un traitement ne s’oppose ainsi plus d’emblée au droit à une rente. Il peut toutefois être attendu des personnes concernées qu’elles suivent des traitements qui peuvent raisonnablement être exigés d’elles pour remédier à l’atteinte, tels qu’une thérapie diététique ou un programme d’activité physique.

Conformément à la jurisprudence antérieure, l’obésité (surpoids important) n’entraînait en principe pas d’invalidité donnant droit à une rente. Une obésité ne relevait de l’assurance-invalidité que s’il en résultait une atteinte à la santé physique ou psychique ou si de telles atteintes en étaient la cause. Cette jurisprudence considérait en fin de compte que le surpoids important pouvait être surmonté par un effort de volonté. Cette pratique s’était développée sur la base de celle concernant les addictions. Le Tribunal fédéral a par la suite cependant adapté (suite également à la modification de sa pratique concernant les troubles dépressifs légers ou moyens) sa jurisprudence en la matière (ATF 145 V 215, communiqué de presse du 5 août 2019). Selon dite jurisprudence, il faudrait à l’avenir déterminer dans chaque cas, dans le cadre d’une procédure probatoire structurée, dans quelle mesure l’atteinte influe sur la capacité de travail de la personne assurée.

On ne voit pas de raison de maintenir la jurisprudence spécifique rendue jusqu’ici en matière d’obésité. A cet égard, il convient de tenir compte du fait que l’obésité est une maladie somatique (physique) chronique et complexe. La jurisprudence doit par conséquent être modifiée en ce sens que le fait qu’un traitement de l’obésité soit en principe possible ne s’oppose pas per se à un droit à la rente. Il convient ainsi de se demander pour chaque cas particulier dans quelle mesure la maladie restreint la capacité de travail. Bien évidemment, l’obligation de diminuer le dommage s’applique aussi en cas d’obésité. Un droit à une rente d’invalidité suppose en ce sens que la personne concernée entreprenne les traitements qui peuvent raisonnablement être exigés d’elle, tels que des thérapies diététiques, médicamenteuses ou comportementales ou encore un programme d’activité physique.

Dans le cas concret, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours d’une femme présentant une obésité de classe III et un indice de masse corporelle de 58, qui avait demandé sans succès une rente d’invalidité. Il va de soi que la recourante n’a en tous les cas pas la possibilité de retrouver immédiatement une capacité de travail à 100%. L’Office AI devra rendre une nouvelle décision ; à cet effet, des examens médicaux devront également être effectués au regard de l’obligation de réduire le dommage.

 

Arrêt 8C_104/2024 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 21.11.2024 consultable ici

 

NB : le même jour que le communiqué de presse du TF, l’office fédéral de la statistique a publié les résultats de l’enquête suisse sur la santé (communiqué de presse de l’OFS du 21.11.2024).

En 2022, 31% des personnes de 15 ans ou plus vivant en Suisse étaient en surpoids et 12% étaient obèses. La proportion de personnes présentant ces affections variait toutefois selon le groupe de population. Les hommes étaient par exemple davantage touchés que les femmes. Les personnes obèses ou en surpoids souffraient plus fréquemment de maladies cardiovasculaires, de diabète ou d’autres maladies chroniques que les personnes de poids normal. L’obésité allait en outre plus souvent de pair avec des symptômes sévères de dépression. Ce sont là quelques-uns des résultats de la nouvelle publication de l’OFS consacrée au surpoids et à l’obésité.

Selon l’OFS, le surpoids et l’obésité peuvent favoriser l’apparition de maladies chroniques, provoquer des troubles physiques et détériorer la qualité de vie des personnes atteintes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît l’obésité comme une maladie chronique complexe. Critère essentiel en la matière, le poids corporel est notamment influencé par le sexe, l’âge et le niveau de formation.

Les personnes sans formation post-obligatoire souffraient davantage de surpoids et d’obésité en 2022. Le gradient social s’est fait sentir davantage chez les femmes que chez les hommes : en tenant compte de l’âge, les hommes sans formation post-obligatoire avaient respectivement 2,4 et 1,4 fois plus de risques d’être obèses ou en surpoids que les hommes ayant achevé une formation du degré tertiaire. Les femmes sans formation post-obligatoire présentaient un risque 2,9 fois plus élevé d’être obèses et un risque 2,0 fois plus grand d’être en surpoids que les femmes titulaires d’un diplôme du degré tertiaire

Publication de l’OFS « Enquête suisse sur la santé 2022 – Surpoids et obésité » disponible ici