Réglementation de l’IA: le Conseil fédéral veut ratifier la Convention du Conseil de l’Europe

Réglementation de l’IA: le Conseil fédéral veut ratifier la Convention du Conseil de l’Europe

 

Communiqué de presse de l’Office fédéral de la communication du 12.02.2025 consultable ici

 

La Suisse doit ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur l’intelligence artificielle (IA) et apporter les modifications nécessaires dans le droit national. Il faut en outre poursuivre les activités de réglementation de l’IA dans différents secteurs, tels que la santé ou les transports. Le Conseil fédéral s’est prononcé en faveur de cette approche lors de sa séance du 12 février 2025.

Le Conseil fédéral veut réglementer l’IA de façon à exploiter son potentiel au profit de la Suisse en tant que place économique et d’innovation. Dans le même temps, les risques pour la société doivent rester aussi faibles que possible. Le Conseil fédéral a décidé de se baser sur les éléments suivants :

  • La Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe est reprise dans le droit suisse. Son champ d’application concerne en premier lieu des acteurs étatiques.
  • Lorsque des modifications légales sont nécessaires, elles doivent être aussi sectorielles que possible. Une réglementation générale, intersectorielle, se limite aux domaines juridiques centraux pertinents, comme la protection des données.
  • Outre la législation, des mesures juridiques non contraignantes sont élaborées pour mettre en œuvre la Convention. Celles-ci peuvent inclure des accords d’autodéclaration ou des solutions sectorielles.

La réglementation dans le domaine de l’IA vise trois objectifs : le renforcement de la Suisse comme lieu d’innovation, la protection des droits fondamentaux, y compris de la liberté économique, et l’amélioration de la confiance de la population en l’IA.

Le Conseil fédéral a également fixé la suite de la procédure. Le DFJP, en collaboration avec le DETEC et le DFAE, élaborera d’ici fin 2026 un projet de consultation qui met en œuvre la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe, en déterminant les mesures juridiques nécessaires dans les domaines de la transparence, de la protection des données, de la non-discrimination et de la surveillance. De plus, le DETEC, le DFJP, le DFAE et le DEFR élaboreront d’ici fin 2026 également un plan pour définir des mesures supplémentaires de nature non contraignante juridiquement, en tenant compte notamment de la compatibilité de l’approche suisse avec celles de ses principaux partenaires commerciaux. Les milieux intéressés internes et externes à l’administration fédérale seront impliqués dans les travaux.

L’interaction entre les mesures juridiquement contraignantes et non contraignantes doit non seulement garantir un cadre légal sûr, mais aussi prendre en considération l’évolution rapide et le potentiel de l’IA.

 

Rapport à l’attention du Conseil fédéral: état des lieux sur la réglementation de l’intelligence artificielle

En novembre 2023, le Conseil fédéral a chargé le DETEC et le DFAE d’examiner les approches réglementaires possibles dans le cadre d’un état des lieux. Le DFJP était également étroitement impliqué dans les travaux. Plusieurs analyses de base ont été établies pour constituer les fondements de cet état des lieux: une analyse juridique de base, une analyse des activités de réglementation sectorielles et une analyse des réglementations de l’IA dans d’autres pays. Des estimations économiques et de politique européenne ont été intégrées dans chaque analyse.

L’analyse juridique de base examine les effets et les objectifs de la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe, de l’AI Act de l’UE et des développements actuels dans certains domaines juridiques suisses.

L’analyse sectorielle offre un aperçu des modifications existantes et prévues au niveau du droit fédéral dans différents secteurs.

L’analyse par pays présente les évolutions réglementaires dans 20 pays choisis.

 

Communiqué de presse de l’Office fédéral de la communication du 12.02.2025 consultable ici

Rapport du DETEC du 12.02.2025 « Etat des lieux sur la règlementation de l’intelligence artificielle – Rapport à l’attention du Conseil fédéral » disponible ici

Rapport du DETEC du 16.12.2024 « Aperçu des activités de réglementation sectorielles actuelles en lien avec l’intelligence artificielle » disponible ici

Rapport du DETEC du 16.12.2024 « Analyse des réglementations en matière d’intelligence artificielle dans différents pays et régions du monde – Analyse de base pour l’état des lieux sur la régulation suisse en matière d’intelligence artificielle » disponible ici

Rapport du DFJP du 31.08.2024 « Analyse juridique de base dans le cadre de l’état des lieux sur les approches de régulation en matière d’intelligence artificielle » disponible ici

 

Notifications par envoi postal le week-end : le délai ne commencera à courir que le lundi

Notifications par envoi postal le week-end : le délai ne commencera à courir que le lundi

 

Communiqué de presse de l’OFJ du 12.02.2025 consultable ici

 

Lorsqu’une communication déclenchant un délai est remise le week-end par envoi postal, le délai ne commencera à courir que le premier jour ouvrable suivant la notification. Les destinataires de documents tels que des résiliations ou des jugements disposeront en conséquence de plus de temps pour réagir. Ce principe qui s’applique déjà en droit de la procédure civile s’étendra à l’ensemble du droit fédéral. Le Conseil fédéral a pris acte des résultats de la procédure de consultation et a adopté le projet et le message à l’intention du Parlement le 12 février 2025.

Le Conseil fédéral veut éviter que les destinataires de communications déclenchant un délai remises un samedi par envoi postal – par exemple une résiliation de contrat ou un jugement –, soient lésés. Après avoir pris acte des avis majoritairement positifs des participants à la consultation sur la révision de divers actes fédéraux, le Conseil fédéral a adopté lors de sa séance du 12 février 2025 le message relatif à un projet mettant en œuvre la motion 22.3381 « De l’harmonisation de la computation des délais » de la Commission des affaires juridiques du Conseil national.

À l’avenir, les communications déclenchant un délai déposées le week-end dans la boîte aux lettres du destinataire seront réputées notifiées le premier jour ouvrable qui suit. Ce principe figure déjà dans le code de procédure civile et, conformément à la proposition du Conseil fédéral, s’étendra à l’ensemble du droit fédéral. Les destinataires auront en conséquence plus de temps pour exercer leurs droits, notamment si, ne travaillant que les jours ouvrables, ils ne relèvent leur courrier que pendant la semaine. Les nouvelles règles accroîtront par ailleurs la sécurité juridique, puisque dans tous les cas, le délai ne commencera à courir que le premier jour ouvrable qui suit.

Dans le but d’étendre cette fiction de notification à l’ensemble du droit fédéral, le projet prévoit la modification de plusieurs lois : la loi fédérale sur la procédure administrative, la loi sur le Tribunal fédéral, le code pénal militaire, la procédure pénale militaire, la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct et la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales.

Pour éviter les lacunes juridiques, le Conseil fédéral propose en outre d’inscrire ces nouvelles règles dans la loi fédérale sur la supputation des délais comprenant un samedi, afin de couvrir notamment les délais du droit privé matériel, par exemple en cas de résiliation du bail d’un logement, et ceux du droit pénal matériel, par exemple en cas de plainte pénale.

 

La fiction de notification s’appliquera au droit fiscal

Suite aux retours de la procédure de consultation, le Conseil fédéral a ajouté la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes au projet. Les règles de notification des objets fiscaux le week-end et les jours fériés seront à l’avenir les mêmes en droit fédéral et en droit cantonal.

 

Modification des art. 38 et 38a LPGA et explications (cf. Message du Conseil fédéral [point 5.9, p. 27 s.])

Art. 38 LPGA – Calcul des délais

2bis Abrogé

3 Les communications ci-après, remises par envoi postal, sont réputées notifiées comme suit:
a. communications qui ne sont remises que contre la signature du destinataire ou d’un tiers habilité: au plus tard sept jours après la première tentative infructueuse de distribution;
b. communications qui sont remises un samedi, un dimanche ou un jour férié selon le droit fédéral ou cantonal sans qu’une signature soit requise: le premier jour ouvrable qui suit.

4 Lorsque le délai échoit un samedi, un dimanche ou un jour férié selon le droit fédéral ou cantonal, son terme est reporté au premier jour ouvrable qui suit.

5 Le droit cantonal déterminant pour les jours fériés est celui du canton où la partie ou son mandataire a son domicile ou son siège.

L’art. 38 LPGA régit le calcul et la suspension des délais pour les procédures relevant du droit des assurances sociales. Il n’y a pas en la matière d’obligation d’envoyer les communications par courrier recommandé. La situation est donc comparable à celle qui prévaut pour la procédure relevant du champ d’application de la PA. Une modification de l’art. 38 LPGA s’impose pour couvrir les cas où une communication des autorités est envoyée par courrier ordinaire et remise un samedi, un dimanche ou un jour férié sans qu’une signature du destinataire soit requise.

Afin d’améliorer la structure de la loi, le calcul et la suspension des délais sont réglés dans deux articles distincts. L’art. 38 ne réglera plus que le calcul des délais et aura de ce fait un nouveau titre correspondant, tandis que l’actuel al. 4 sur la suspension des délais figurera dans un nouvel art. 38a avec un titre adéquat.

La phraséologie de l’art. 38 LPGA est comparable à celle de l’art. 20 PA et la réunion de la notification contre signature et sans signature dans un nouvel al. 3, let. a (précédemment al. 2bis) et b (nouvelle) s’inspire de la solution intégrée dans la PA ; les explications fournies peuvent être reprises par analogie (voir le ch. 5.1).

L’al. 3 de la disposition en vigueur règle le cas dans lequel le délai échoit un samedi, un dimanche ou un jour férié. La première phrase reste inchangée, mais figurera au nouvel al. 4, tandis que le contenu de la deuxième est déplacé à l’al. 5.

L’al. 5 disposera donc, comme la deuxième phrase de l’al. 3 actuellement, que le droit cantonal déterminant pour les jours fériés est celui du canton où la partie ou son mandataire a son domicile ou son siège. Il n’y a pas de changement matériel

 

Art. 38a LPGA – Suspension des délais

Les délais en jours ou en mois fixés par la loi ou par l’autorité ne courent pas:
a. du 7e jour avant Pâques au 7e jour après Pâques inclusivement;
b. du 15 juillet au 15 août inclusivement;
c. du 18 décembre au 2 janvier inclusivement.

Le nouvel art. 38a LPGA reprend sans changement l’al. 4 de l’art. 38 LPGA en vigueur. Cela n’implique pas de changement matériel.

 

Communiqué de presse de l’OFJ du 12.02.2025 consultable ici

Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les notifications d’actes le week-end et les jours fériés du 12 février 2025 consultable ici

Projet de modifications consultable ici

 

Notificazione postale nei fine settimana: secondo il diritto federale il termine inizia a decorrere soltanto il lunedì, Comunicato stampa dell’Ufficio federale di giustizia del 12.02.2025 disponibile qui

Postzustellung am Wochenende: Fristenlauf soll im Bundesrecht erst am Montag beginnen, Medienmitteilung des Bundesamtes für Justiz vom 12.02.2025 hier abrufbar

 

Une étude fournit pour la première fois des données scientifiques sur le COVID long dans l’AI

Une étude fournit pour la première fois des données scientifiques sur le COVID long dans l’AI

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 30.01.2025 consultable ici

 

Les cas de personnes souffrant d’une affection post-COVID-19 – communément appelée COVID long – représentent un peu moins de 2% des nouvelles demandes adressées à l’AI. C’est ce que montre une étude réalisée sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) à partir de données disponibles pour la période de 2021 à 2023. Elle fournit pour la première fois des informations scientifiques permettant de mesurer les effets du COVID long sur une période prolongée. Les personnes qui déposent une demande à l’AI à la suite d’un COVID long présentent généralement des symptômes particulièrement graves et une rente leur est plus souvent accordée qu’aux assurés qui ne sont pas atteints par cette maladie.

Fin 2023, environ 2900 personnes s’étaient annoncées à l’AI à la suite d’une atteinte liée au COVID long. Le nombre de ces cas, en augmentation début 2021, a légèrement diminué en 2023. Ils ne représentent cependant que 1,8% des nouvelles demandes, soit une proportion assez faible. Cependant, les personnes atteintes de la maladie présentent souvent des symptômes graves et environ neuf sur dix d’entre elles se retrouvent en incapacité de travail totale. 85% montrent des symptômes de fatigue ou d’intolérance à l’effort. Elles souffrent de fatigue chronique et atteignent rapidement un seuil d’épuisement. 60% d’entre elles souffrent également de troubles cognitifs comme des difficultés à se concentrer ou des troubles neurologiques multiples. Deux tiers des personnes atteintes du COVID long sont des femmes.

Suivant le principe de la primauté de la réadaptation sur la rente, l’AI explore en premier lieu les possibilités de réadaptation pour chaque personne. Dans près de 60% des cas, la capacité de travail s’améliore dans les deux premières années qui suivent l’annonce à l’AI. Pour une part considérable des personnes atteintes de COVID long, en particulier les personnes âgées et celles souffrant de plusieurs atteintes à la santé, l’incapacité de travail reste de 100% même deux ans plus tard. Les améliorations sont soit rapides soit inexistantes.

 

Une rente plus souvent octroyée que pour les autres demandes

Les personnes atteintes du COVID long ont bénéficié de plus de mesures d’instruction et de réadaptation de l’AI que celles appartenant au groupe de référence (personnes ne souffrant pas de COVID long) ; elles sont également plus nombreuses à se voir accorder une rente. À la fin de l’année 2023, 12% des personnes atteintes du COVID long qui avaient déposé leur demande en 2021 ou 2022 percevaient une rente de l’AI. À titre de comparaison, cette même proportion était de 9% dans le groupe de référence. La proportion de rentes octroyées dans des cas de COVID long continuera très probablement d’augmenter. En effet, à la fin 2023, 20% des personnes ayant présenté une demande à l’AI pour COVID long en 2021 percevaient une rente (alors que dans le groupe de référence, cette proportion ne dépassait pas 13%).

L’étude en conclut que pour l’AI également, le COVID long représente une nouvelle maladie à prendre au sérieux, aux conséquences souvent graves. Elle signifie pour l’AI des instructions longues, complexes, et émaillées d’incertitudes. Il est difficile de prévoir à long terme l’évolution du nombre de nouvelles rentes qu’occasionnera le COVID long, du fait que le virus continue à circuler. Leur nombre peut néanmoins être considéré comme peu élevé en regard du total des autres rentes AI en cours (251 000 en 2023) et des nouvelles rentes octroyées chaque année (22 300 en 2023).

 

Lacune comblée par l’étude

L’étude analysant les conséquences du COVID long sur l’AI a permis de dresser un bilan préliminaire sur le nombre de personnes atteintes qui ont déposé une demande à l’AI ainsi que sur les prestations qui leur ont été octroyées. Elle s’appuie sur l’analyse de 500 demandes déposées auprès d’offices AI entre 2021 et 2023 par des personnes atteintes d’une affection post-COVID-19 identifiée comme un COVID long. Les résultats de l’analyse ont été extrapolés à l’ensemble des demandes présentées à l’AI pour la période étudiée. Afin de mieux répertorier les différents cas, l’étude a établi une comparaison avec un groupe de référence constitué de personnes ayant présenté une demande à l’AI sans être atteintes de cette maladie.

Cette étude comble une lacune en observant l’évolution de cas avérés de COVID long sur une durée significative de près de trois ans. Par contre, les renseignements ponctuels relatifs au diagnostic de cette affection et aux prestations octroyées à ce titre ne sont ni complets ni précis, pour les raisons suivantes :

  • toutes les demandes présentées à l’AI ne sont pas accompagnées d’un diagnostic médical attestant d’un «COVID long» ;
  • le tableau clinique de certains assurés évolue entre le moment de la demande et celui de la décision de l’AI. Dans certains cas, il se peut que l’AI ait accordé des mesures de réadaptation et que l’assuré ait donc bénéficié de prestations au moment de l’enquête, mais ne perçoive pas de rente à ce moment-là. Cela n’exclut pas l’octroi ultérieur d’une rente ;
  • une rente n’est octroyée que lorsque l’assuré présente une incapacité de travail de 40% au moins en moyenne sur une durée d’un an et qu’il continuera, selon toute probabilité, de présenter une incapacité de 40% au moins. Même dans les cas ne présentant aucun potentiel de réadaptation, il se peut que la rente n’ait pas encore été octroyée au moment de l’enquête, pour des raisons liées au fonctionnement de l’assurance.

 

Quel est l’objectif des instructions de l’AI ?

L’objectif de l’AI est de permettre aux personnes atteintes dans leur santé de conserver malgré tout une activité lucrative et ainsi de rester autonomes. Une rente n’est envisagée que lorsque la réadaptation n’est pas possible. L’octroi d’une rente peut donc prendre plusieurs années.

L’AI a l’obligation de traiter toutes les personnes de manière égale, quelle que soit leur maladie ou l’atteinte à leur santé. L’AI n’a pas de procédures propres aux diagnostics, et, par définition, aucun diagnostic ne donne en soi droit à des prestations. L’instruction des demandes est un processus individuel qui se déroule en fonction de l’état de santé et de la situation professionnelle de l’assuré. Les offices AI peuvent s’appuyer sur la large variété des disciplines médicales couvertes par les centres d’expertise pour l’examen des cas, dont la complexité est souvent liée à la diversité des symptômes. Les recommandations formulées par la Swiss Insurance Medicine (SIM), en collaboration avec l’université de Bâle, sur l’examen des cas de COVID long du point de vue de la médecine des assurances servent de guide aux centres d’expertise et sont régulièrement mises à jour.

 

Résumé du rapport de recherche 2/25 « Auswirkungen von Long-Covid auf die Invalidenversicherung »

Le domaine Assurance-invalidité (AI) de l’OFAS a été chargé d’établir un rapport en réponse au postulat de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) (21.3454) «Conséquences du « Covid long »», adopté par le Conseil national. L’étude analyse les conséquences du COVID long sur l’AI en se fondant sur l’état actuel des connaissances et sur les expériences acquises dans le domaine. Le résultat de cette étude sera synthétisé dans le rapport demandé à l’administration en réponse au postulat.

Problématique et procédure

L’étude a plusieurs objectifs.

Le premier est de dresser un état des lieux des connaissances disponibles actuellement sur le COVID long, sur la base d’une analyse de la littérature, afin de mieux classifier les résultats et observations empiriques sur les cas de COVID long dans l’AI.

Le deuxième consiste à déterminer le nombre de cas de COVID long ayant déposé une demande de prestations à l’AI, les prestations et mesures accordées tant au niveau de l’instruction que de l’intervention précoce et de la réadaptation, et le nombre des rentes octroyées (état fin 2023). Pour cela, l’étude s’est appuyée sur l’analyse quantitative d’un échantillonnage d’environ 500 dossiers tirés du monitoring du COVID que réalisent les offices AI depuis début 2021. Les informations issues de cette analyse ont permis de dresser un tableau de la situation du point de vue de l’état de santé, de l’incapacité de travail, et de l’examen du droit à la rente des personnes atteintes du COVID long ayant déposé une demande à l’AI. Les enseignements de l’analyse de dossiers ont été complétés par les informations tirées des données des registres AI, entre autres, des octrois de prestations. À des fins d’évaluation, les chiffres résultant de l’analyse des cas de COVID long ont été comparés à ceux d’un groupe témoin de personnes sans COVID long ayant déposé une demande auprès de l’AI pendant la même période.

Le troisième objectif est d’obtenir, au moyen d’une enquête en ligne menée auprès de tous les offices AI, une vue d’ensemble des expériences faites avec des cas de COVID long. Cette enquête ne portait pas sur l’analyse et l’appréciation des processus, des décisions et des octrois de prestations, ni sur la perception du soutien de l’AI par les personnes concernées.

 

Analyse des connaissances actuelles sur le COVID long dans la littérature

Les connaissances sur le COVID long ne sont pas définitives, car elles ne cessent de progresser. L’OMS définit le COVID long comme l’ensemble des symptômes apparus dans les trois mois suivant une infection au virus SARS-CoV-2 et dont la manifestation dure au moins deux mois. La prévalence de COVID long auprès des cas infectés par le virus SARS-CoV-2 est estimée à 5%, avec une proportion moindre de cas graves et persistants. Ces derniers sont spécialement pertinents pour la problématique de cette étude, puisqu’il s’agit de patients gravement atteints qui, après douze mois ou plus, éprouvent toujours de grandes difficultés à accomplir les tâches du quotidien et dont la capacité de travail est fortement réduite. La plupart des personnes atteintes de COVID long se trouvaient dans un état moyennement grave pendant la partie aiguë de la maladie ; les femmes, les personnes plus âgées et celles atteintes de maladies chroniques sont particulièrement touchées. La probabilité de contracter le COVID long semble avoir diminué au cours de la pandémie, notamment en raison de l’apparition de nouveaux variants du virus et de l’immunité accrue de la population.

Les symptômes du COVID long sont multiples ; environ 200 d’entre eux sont documentés. Les groupes de symptômes les plus courants sont des troubles des voies respiratoires, des problèmes cardio-vasculaires, une fatigue excessive et des troubles cognitifs. Dans de nombreux cas chroniques de COVID long, les symptômes s’apparentent à une encéphalomyélite myalgique, ou syndrome de fatigue chronique (EM/FSC), qui réduit considérablement la capacité de travail. Il existe des tests spécifiques à certains symptômes, mais pas de marqueurs généraux permettant de diagnostiquer les cas de COVID long. Les thérapies possibles se limitent au soulagement des symptômes et aux stratégies d’adaptation. Le pacing et les techniques pour éviter le surmenage sont très importants pour les patients atteints de fatigue avec intolérance à l’effort, car ils permettent d’éviter une aggravation. Le pronostic pour les patients chroniques gravement atteints n’est pas bon : un grand nombre d’entre eux souffriront probablement à vie d’importantes limitations dans leur quotidien et leur capacité de travail.

 

Cas de COVID long à l’AI

Fin 2023, le nombre des personnes atteintes de symptômes du COVID long ayant fait une demande à l’AI atteignait 2900 au moins. Dans environ un cas sur sept, soit assez rarement, la demande liée au COVID long vient s’ajouter à une procédure AI déjà en cours. Ces personnes sont représentées dans l’échantillon LC1 qui couvre ces cas précis. Pour la grande majorité des cas de COVID long annoncés à l’AI, il s’agit d’une première demande ; ces cas sont représentés dans l’échantillon LC2 (nouvelles demandes pour cause de COVID long).

La majorité de ces demandes est parvenue à l’AI entre 4 et 12 mois après l’infection au COVID, une plus faible partie, plus d’un an après. Les femmes risquent moins que les hommes de souffrir de symptômes graves pendant la phase aiguë de l’infection au COVID, mais elles sont plus nombreuses à être touchées par le COVID long, selon les connaissances actuelles. Ce schéma se retrouve dans les demandes AI liées au COVID long : les femmes constituent près des deux tiers (64%) de ces demandes et sont donc nettement surreprésentées.

Le nombre de demandes déposées auprès de l’AI à la suite d’un COVID long a augmenté depuis début 2021, puis régressé depuis fin 2022. Ces demandes représentent 1,8% de toutes les nouvelles demandes AI déposées pour la même période, dont 1,6% sont liées exclusivement au COVID long. Il est possible que le nombre de cas de COVID long enregistré par l’AI soit sous-estimé dans cette étude, étant donné qu’elle ne prend en considération que les cas dont le dossier comportait, en août 2023, un avis médical attestant ou supposant explicitement la présence d’un COVID long. Il existait ainsi au moment de l’analyse de dossiers un millier de cas ne présentant (encore) aucune indication claire d’atteinte du COVID long, selon le monitoring réalisé en 2021/2022. Ce nombre représente environ un tiers des personnes considérées par le monitoring. Il est possible qu’entre-temps, les symptômes d’un COVID long aient été médicalement attestés pour une partie d’entre elles. On peut également supposer que nombre de personnes concernées ne s’annoncent à l’AI que très tard, voire pas du tout et n’apparaissent donc pas (encore) dans les données disponibles. Il n’est pas possible d’estimer ce nombre. Il reste à établir combien de personnes se retrouveront à l’avenir à l’AI parce qu’elles présentent des symptômes caractéristiques du COVID long (par ex. EM/FSC) sans lien avec une infection du COVID.

Comme évoqué plus haut, les symptômes du COVID long sont multiples. Parmi les personnes ayant fait une demande à l’AI, un nombre remarquable de patients souffre de fatigue/intolérance à l’effort (présente dans 85% des cas) et de troubles neurocognitifs (60% des cas). Ces chiffres indiquent que les personnes qui déposent une demande à l’AI en raison d’un COVID long présentent des symptômes particulièrement graves, affectant fortement leurs fonctions. Cela se retrouve dans leur incapacité de travail au moment de l’annonce : dans neuf cas sur dix, elle est de 100%.

Comme l’indique la recherche, le COVID long touche les jeunes comme les vieux, les personnes en bonne santé comme les malades chroniques. Un tiers des personnes à l’AI à la suite d’un COVID long ne souffre d’aucune autre affection et était en bonne santé avant l’affection au COVID-19. La littérature ne livre actuellement aucune information claire sur d’éventuelles maladies chroniques comportant un risque accru de COVID long. Parmi les cas de COVID long, la part des personnes souffrant également d’une maladie chronique (cas de comorbidité) est de 66%, soit un taux supérieur à celui de l’ensemble de la population ; c’est ce que montre une comparaison avec les données sur la santé de la population suisse. De plus, la distinction entre les symptômes du COVID long et ceux de certaines autres maladies chroniques, telles que les maladies cardio-vasculaires et rénales, n’est pas toujours très claire. De même, il n’est toujours possible de faire une distinction entre les troubles cognitifs et psychiques liés au COVID long comme les troubles du sommeil ou de l’anxiété, le syndrome de stress post-traumatique ou la dépression, et les troubles psychiques préexistants. Il se peut donc que la proportion des cas de comorbidité prise en compte dans cette étude soit surévaluée. Par ailleurs, on observe que plus la demande à l’AI est ancienne, plus les comorbidités sont fréquentes, ce qui semble indiquer que, dans une partie des cas, il ne s’agit pas réellement de maladies préexistantes, mais plutôt de symptômes ou de conséquences du COVID long lui-même.

Dans 60% des cas, une amélioration de la capacité de travail est constatée dans les deux ans qui suivent l’annonce à l’AI. Pour une part considérable des personnes atteintes de COVID long, dont les personnes plus âgées et celles souffrant de plusieurs atteintes à la santé, l’incapacité de travail reste de 100%, même après deux ans. Dans la plupart des cas, une amélioration se présente soit rapidement, soit pas du tout. Une personne sur quatre perd son emploi dans les un à deux ans qui suivent le dépôt de la demande de prestation à l’AI pour cause de COVID long. On ne dispose pas de données permettant de comparer ces chiffres avec ceux des demandes à l’AI liées à d’autres atteintes à la santé pour une période similaire. La comparaison avec les résultats d’une autre étude sur le sujet (Guggisberg et al. 2023) laisse néanmoins présumer que le risque de perdre son emploi est plus élevé pour les personnes atteintes du COVID long que pour les autres. Cette étude montre qu’en 2017, une personne sur quatre perdait son emploi dans les quatre années suivant une nouvelle demande à l’AI. Dans les participants à notre enquête faisant partie de l’échantillon LC2, une personne sur quatre avait déjà perdu son emploi deux ans seulement après sa demande.

 

Mesures d’instruction et de réadaptation

L’analyse de la présente étude porte sur la quantité, la rapidité et le coût des mesures d’instruction et de réadaptation accordées à des assurés atteints de COVID long, en comparaison avec ceux du groupe témoin. Ses résultats montrent que, dans les cas de COVID long, le nombre de mesures octroyées dans les 12 à 24 mois suivant la demande tend à être supérieur au nombre de mesures octroyées pour le groupe témoin. Cette tendance peut être une indication que les personnes souffrant du COVID long doivent faire face à des limitations plus graves. L’analyse distingue les mesures déjà décidées et facturées de celles pour lesquelles une décision a été rendue mais qui n’ont pas encore été facturées. Lorsqu’une mesure a fait l’objet d’une décision et d’une facture, il est certain qu’elle a effectivement été exécutée et n’a pas, par exemple, été reportée en raison d’une modification de l’état de santé de la personne.

 

Vue d’ensemble des principaux chiffres

Mesures d’instruction médicales et professionnelles : pour 10,2% des personnes concernées par le COVID long, au moins une mesure d’instruction a été décidée dans les 12 mois suivant le dépôt de la demande, et dans 4,3% des cas, une mesure a déjà été facturée, soit le double des chiffres du groupe témoin. Dans ce groupe, seules 4,2% des personnes ont reçu une décision de mesure d’instruction médicale ou professionnelle, et la prestation n’a déjà été facturée que dans 2,9% des cas. Le coût moyen des mesures d’instruction des cas de COVID long est légèrement supérieur et la dispersion du coût, légèrement plus élevée que celles du groupe témoin. Le délai moyen avant la décision de mesure d’instruction est d’environ huit mois pour le groupe témoin et d’un peu plus de huit mois pour les cas de COVID long.

Mesures de réadaptation (y c. mesures d’intervention précoce) : 47,1% des personnes atteintes du COVID long se sont vu octroyer au moins une mesure de réadaptation dans les 12 mois suivant le dépôt de la demande, soit légèrement plus que le groupe témoin (41,6%). Il s’agit le plus souvent de mesures d’intervention précoce (COVID long : 39,6%, groupe témoin : 31,5%). Les mesures de réinsertion (COVID long : 9,4%, groupe témoin : 5,7%) et les mesures d’ordre professionnel (COVID long : 12,4%, groupe témoin : 9,7%) sont accordées aux deux groupes avec une fréquence similaire. Le coût moyen par bénéficiaire de mesures de réadaptation (y c. mesures d’intervention précoce) est d’environ 5000 francs. Ce montant est sensiblement le même pour les cas de COVID long que pour le groupe témoin. Le coût par bénéficiaire de prestations chez les personnes atteintes de COVID long est légèrement inférieur mais comparable à celui du groupe témoin, toutes mesures de réadaptation confondues (intervention précoce comprise). Pour les deux groupes, le délai moyen de décision est d’environ deux mois pour les mesures d’intervention précoce et d’environ huit mois pour les mesures d’ordre professionnel et les mesures de réinsertion.

 

Rentes

Pour un peu moins de la moitié (45%) de toutes les demandes déposées à la suite d’un COVID long (échantillon LC2), une décision relative à l’octroi d’une rente a été rendue dans les 24 mois suivant la demande. Dans un peu plus d’un tiers de ces cas, une rente était octroyée, dans les deux tiers restants, elle était refusée. Ces informations proviennent de l’analyse des dossiers. Une décision d’octroi de rente dans les cas de COVID long prend en règle générale plus longtemps (médiane : 19 mois) qu’une décision de refus (médiane : 11 mois). Aucunes données de comparaison ne sont disponibles pour le groupe témoin, étant donné que la date de la décision figure uniquement dans le dossier et non dans le registre dont sont tirées les données du groupe témoin.

En revanche, les informations de ce registre permettent de savoir qui percevait une rente AI en décembre 2023, tant chez les personnes atteintes du COVID long que chez le groupe témoin. En tout, 12% des personnes de l’échantillon LC2 (nouvelles demandes 2021/2022 liées au COVID long) et 9% du groupe témoin (nouvelles demandes 2021/2022 sans COVID long) percevaient une rente en décembre 2023. Ce pourcentage augmentera à mesure que les décisions encore en suspens seront prises. L’on peut donc présumer qu’une part des personnes pour lesquelles l’examen du droit à la rente n’est pas encore achevé recevra une rente. C’est ce que l’on peut déduire si l’on compare les taux de bénéficiaires de rente en fonction de l’année de la demande. 20% des personnes atteintes du COVID long ayant déposé leur demande en 2021 percevaient une rente fin 2023, contre seulement 6% de celles l’ayant déposée en 2022. Le taux de bénéficiaires de rente du groupe témoin ayant déposé leur demande en 2021 n’était que de 13% et celui des bénéficiaires l’ayant déposée en 2022, de 6%. Étant donné que tous les bénéficiaires n’ont pas droit à une rente entière, les taux de rentes pondérées méritent attention. La proportion des personnes de l’échantillon LC2 (demande en 2021/2022) bénéficiaires d’une rente pondérée était de 9%, un chiffre légèrement supérieur au taux du groupe témoin (8%). La proportion des demandes liées au COVID long de 2021 bénéficiaires d’une rente pondérée était de 14%, un chiffre légèrement supérieur au taux du groupe témoin (11%).

Les différences en matière d’octroi de rente observées entre certaines catégories de personnes dans le groupe témoin se retrouvent également chez les assurés atteints de COVID long. Une rente est octroyée aux hommes plus souvent qu’aux femmes, aux jeunes moins fréquemment qu’aux plus âgés ; le taux de bénéficiaires de rente est plus élevé dans les cantons latins que dans les cantons alémaniques.

 

Évaluation et expériences des offices AI

Près de quatre après le début de la pandémie, la plupart des offices AI de Suisse n’observent pas d’augmentation remarquable du nombre de cas ni de conséquences directes sur la charge de travail de leurs collaborateurs. Cette évaluation se reflète dans les indications des analyses statistiques selon lesquelles la part des cas de COVID long ne représente qu’une faible proportion des nouvelles demandes à l’AI et que sa tendance est à la baisse. De manière générale, les offices AI pensent être en mesure d’examiner le droit aux prestations dans les cas de COVID long et de soutenir les personnes concernées à l’aide des moyens et instruments actuels, sans modification spécifique du processus. Jusqu’à présent, l’impact du COVID long s’est surtout ressenti dans le fait que l’instruction des demandes correspondantes est souvent gourmande en ressources et empreinte de grandes incertitudes (diagnostic, évaluation des limitations fonctionnelles, potentiel de réadaptation). C’est en particulier le symptôme de fatigue/intolérance à l’effort présent dans la majorité des cas qui constitue un défi spécifique, car il s’agit là d’un symptôme peu objectivable et difficile à instruire. Les mesures de réinsertion dans les cas de COVID long revêtent une importance toute particulière, car ces mesures sont faciles d’accès et adaptées aux cas des personnes atteintes de fatigue/intolérance à l’effort. Bien que de nombreux offices AI considèrent le COVID long comme un phénomène plutôt marginal (du point de vue quantitatif), l’enquête menée auprès des offices AI et des SMR a montré que les sondés peinaient à évaluer aujourd’hui ses conséquences à long terme pour l’AI.

 

Considérations finales

Ce mandat a été l’occasion d’évaluer brièvement et de synthétiser l’état actuel des connaissances sur le COVID long et, lorsque c’était possible, de le corréler avec les observations empiriques de l’AI sur les cas de COVID long. Les données à disposition permettent de tirer un premier bilan sur le nombre de personnes atteintes du COVID long ayant déposé une demande à l’AI et sur les prestations et mesures qui leur ont été octroyées en matière d’instruction, de réadaptation et de rentes, à la fin 2023. Le recours à un groupe témoin composé de personnes s’étant annoncées à l’AI durant la même période pour une autre raison que le COVID long a permis une appréciation des résultats concernant le nombre, la rapidité de l’octroi et le coût des prestations accordées dans les cas de COVID long. Les expériences et les avis recueillis dans l’enquête menée en ligne auprès des offices AI sur les conséquences du COVID long pour l’assurance-invalidité ont permis de compléter le tableau.

D’un point de vue médical, les patients atteints du COVID long souffrent de symptômes graves limitant fortement leurs fonctions. 9 personnes concernées sur 10 sont en incapacité de travail à 100% au moment de la demande. La majorité d’entre elles (85%) souffrent de fatigue/intolérance à l’effort, souvent combinée à d’autres symptômes tels que des troubles neurocognitifs ou, dans une moindre mesure, des troubles respiratoires ou cardio-vasculaires. Il est donc vraisemblable qu’une part considérable des cas de COVID long annoncés à l’AI souffre d’encéphalomyélite myalgique ou syndrome de fatigue chronique (EM/FSC). L’EM/FSC est une maladie chronique lourde et complexe qui se manifeste par une fatigue persistante, des douleurs et des troubles cognitifs, avec une aggravation des symptômes post-exercice. Les techniques pour éviter le surmenage, en particulier le pacing, sont indiquées dans ces cas, étant donné que le forçage peut mener à une aggravation durable de l’état du patient. Ce constat est à prendre en compte, en particulier dans les mesures de réadaptation.

Du fait qu’il n’existe à ce jour aucune thérapie efficace reconnue pour soigner le COVID long ou l’EM/FSC, et que les pronostics de ces maladies ne sont pas favorables (Renz-Polster & Scheibenbogen, 2022), on peut s’attendre à ce que l’état de santé d’une partie de la population atteinte de COVID long ne s’améliore ni sur le moyen ni sur le long terme et que les personnes concernées doivent apprendre à vivre avec ces troubles chroniques. De plus, ces personnes ne sont souvent pas prises en charge de manière adéquate. Partout dans le monde, les systèmes de santé et de sécurité sociale recherchent des solutions tant pour gérer cette nouvelle maladie que pour soulager les personnes qui en souffrent (The Economist, 2024). Cela signifie que, pour l’AI, cette nouvelle maladie est à prendre au sérieux, avec toute la charge de sa pathologie. Il est difficile de prévoir à long terme l’évolution du nombre de nouvelles rentes qu’occasionnera le COVID long. Ce nombre peut néanmoins être considéré comme marginal en regard du total des autres rentes AI en cours (251 000 en 2023) et des nouvelles rentes octroyées chaque année (22 300 en 2023). Étant donné que d’autres variants du virus SARS-CoV-2 sont amenés à circuler, il est très probable que le nombre de nouveaux cas ne diminuera pas.

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 30.01.2025 consultable ici

Rapport de recherche 2/25 « Auswirkungen von Long-Covid auf die Invalidenversicherung » disponible ici (en allemand, avec avant-propos et résumé en français)

 

Uno studio fornisce per la prima volta dati scientifici sulla sindrome post COVID-19 nell’AI, comunicato stampa dell’UFSP del 30.01.2025 disponibile qui

Studie liefert erstmals wissenschaftliche Angaben zu Long-Covid in der IV, Medienmitteilung des BAG vom 30.01.2025 hier abrufbar

 

Amélioration de la procédure de conciliation encadrant les expertises médicales monodisciplinaires dans l’AI : ouverture de la procédure de consultation

Amélioration de la procédure de conciliation encadrant les expertises médicales monodisciplinaires dans l’AI : ouverture de la procédure de consultation

 

Communiqué de presse du Parlement du 30.01.2025 consultable ici

 

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) entend pleinement mettre en œuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al. Pour ce faire, elle propose d’optimiser la procédure de conciliation encadrant les expertises monodisciplinaires. Elle ouvre une procédure de consultation sur son avant-projet.

En réponse à l’initiative parlementaire Roduit «Mettre en œuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al» (21.498), la CSSS-N a adopté le 17 janvier 2025 un avant-projet de modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI).

La CSSS-N considère qu’il est nécessaire de mettre en œuvre l’ensemble des recommandations formulées dans le rapport d’évaluation des expertises médicales dans l’assurance-invalidité réalisé en août 2020 sur mandat du Département fédéral de l’intérieur (DFI). Les mesures proposées dans ce cadre visent à renforcer la confiance à l’égard du processus, améliorer l’acceptation des résultats des expertises mono-disciplinaires et ainsi réduire la probabilité de longues procédures judiciaires. Or, selon la commission, la 5e recommandation portant sur l’optimisation de la procédure de consultation pour les expertises mono-/bidisciplinaires n’a jusqu’à présent pas été suffisamment prise en compte.

L’avant-projet a pour but d’impliquer l’assuré dès le début dans la désignation de l’expert chargé d’effectuer une expertise médicale monodisciplinaire de l’AI. Il vise également à mettre en œuvre une véritable procédure de recherche de consensus, sur la base d’une pratique déjà appliquée par certains offices AI. L’avant-projet prévoit en outre que les parties (c.-à-d. l’assuré d’une part et l’office AI d’autre part) peuvent chacune désigner un expert pour une expertise commune, dans la mesure où aucune solution consensuelle concernant le choix de l’expert n’a été trouvée auparavant dans le cadre de la tentative de conciliation. Après avoir examiné l’assuré, les experts doivent rédiger un rapport d’expertise qui détaille le résultat de leur évaluation consensuelle. Dans les cas où les deux experts arrivent à des résultats différents ou lorsque les opinions des experts divergent, l’avant-projet prévoit que ceux-ci exposent leurs positions respectives de manière transparente. Il incombera ensuite au service médical régional de prendre position sur les questions qui ne font pas l’unanimité et de rendre ses conclusions sur l’évaluation médicale.

Par 18 voix contre 7, la commission a approuvé l’avant-projet, qu’elle met en consultation accompagné d’un rapport explicatif, jusqu’au 8 mai 2025.

 

Commentaire

L’initiative de la CSSS-N visant à optimiser la procédure de conciliation pour les expertises médicales monodisciplinaires dans l’AI représente indéniablement une avancée positive. Cette approche, qui cherche à impliquer davantage l’assuré dans le processus de désignation de l’expert et à instaurer une véritable recherche de consensus, est louable et pourrait effectivement renforcer la confiance dans le système d’expertise médicale.

L’introduction d’un modèle d’expertise commune en cas d’échec de la conciliation est particulièrement intéressante. Cette méthode, inspirée du modèle français, pourrait potentiellement accélérer les procédures et réduire le nombre de longues batailles juridiques, ce qui serait bénéfique tant pour les assurés que pour l’administration.

Cependant, il est regrettable que cette réforme se limite uniquement au domaine de l’assurance-invalidité. Une telle approche aurait pu être étendue à l’ensemble des assurances sociales régies par la LPGA. Cette limitation soulève des questions quant à l’uniformité des procédures dans le système suisse des assurances sociales.

Bien que la commission ait brièvement envisagé une réglementation au niveau de la LPGA, elle a finalement opté pour une modification uniquement de la LAI. Cette décision, bien que fondée sur le fait que le rapport d’évaluation ne concernait que l’AI, manque peut-être d’ambition et de vision à long terme.

Il est légitime de se demander pourquoi les autres branches des assurances sociales ne pourraient pas bénéficier de ces améliorations procédurales. Les problématiques liées aux expertises médicales ne sont certainement pas l’apanage de l’AI et pourraient concerner d’autres domaines comme l’assurance-accidents ou l’assurance-maladie (perte de gain maladie soumise LAMal ou AOS).

Si cette réforme constitue un pas dans la bonne direction pour l’AI, elle met en lumière un manque de cohérence dans l’approche globale des assurances sociales. Une réflexion plus large sur l’harmonisation des procédures d’expertise médicale dans l’ensemble du système des assurances sociales aurait été souhaitable, afin de garantir une égalité de traitement pour tous les assurés, quel que soit le type d’assurance concerné. Cela pourrait mener à une fragmentation du système, où chaque branche d’assurance sociale développerait ses propres procédures d’expertise, en contradiction avec l’esprit d’uniformisation visé par la LPGA.

Une telle situation non seulement compliquerait la tâche des praticiens et des médecins-experts, qui devraient jongler entre différentes procédures selon l’assurance concernée, mais pourrait aussi créer une confusion chez les assurés. De plus, cela pourrait potentiellement conduire à des résultats différents pour des situations médicales similaires, selon l’assurance impliquée, ce qui serait contraire au principe d’égalité de traitement.

Enfin, il est important d’éviter une situation similaire à celle observée dans l’évaluation de l’invalidité, où la LAI et la LAA appliquent des règles distinctes, les modifications législatives du DCAI étant inscrites dans le RAI. Cette divergence entre les deux lois crée une complexité inutile et potentiellement des inégalités de traitement entre les assurés.

En conclusion, il serait judicieux que le législateur envisage une approche plus globale et cohérente, non seulement pour les procédures d’expertise médicale, mais aussi pour l’évaluation du taux d’invalidité dans l’ensemble du système des assurances sociales suisse. Une telle harmonisation permettrait de réduire les disparités entre les différentes branches d’assurance, comme l’AI et la LAA, et d’assurer une plus grande équité dans le traitement des assurés. Cette approche globale serait plus en accord avec l’esprit de la LPGA et éviterait la création de règles spécifiques à chaque branche d’assurance, contribuant ainsi à un système plus transparent et équitable.

 

Communiqué de presse du Parlement du 30.01.2025 consultable ici

Projet de modification de l’art. 57 al. 4 et 5 LAI consultable ici

Rapport explicatif de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 17.01.2025 disponible ici

 

Ottimizzazione della procedura di conciliazione per le perizie mediche monodisciplinari nell’AI: apertura della procedura di consultazione, comunicato stampa del Parlamento del 30.01.2025 disponibile qui

Verbesserung des Einigungsverfahrens bei den monodisziplinären medizinischen IV-Gutachten: Eröffnung des Vernehmlassungsverfahrens, Medienmitteilung des Parlaments vom 30.01.2025 hier abrufbar

 

9C_46/2024 (f) du 31.10.2024 – Changement de caisse-maladie d’assureur en cas de non-paiement des primes et des participations aux coûts ou de retard de paiement / Réparation du dommage résultant de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_46/2024 (f) du 31.10.2024

 

Consultable ici

 

Changement de caisse-maladie d’assureur en cas de non-paiement des primes et des participations aux coûts ou de retard de paiement / 7 LAMal – 64a LAMal – 105l OAMal

Réparation du dommage résultant de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur / 7 al. 6 LAMal

Indemnité pour tort moral / 49 CO – 78 LPGA

Frais de défense engagés par les assurés comme un élément du dommage

 

Affiliés à Helsana pour l’assurance obligatoire des soins depuis le 01.01.2012, les conjoints A.__ et B.__ ont résilié leurs contrats pour le 31.12.2014 par courriers du 25.11.2014.

Le 09.01.2015, Helsana a d’abord refusé ces résiliations (au motif que toutes les factures qu’elle avait émises en 2014 n’avaient pas été payées), puis les a acceptées par courrier du 02.06.2015, sous réserve du paiement des primes échues et du dépôt d’une attestation d’affiliation à un autre assureur-maladie depuis le 01.01.2015. Faute pour les assurés d’avoir présenté l’attestation requise, le changement d’assureur-maladie n’a pas eu lieu.

Helsana a poursuivi les assurés pour des primes impayées entre novembre 2016 et janvier 2019, et a prononcé des mainlevées d’opposition. L’assureur a également refusé de résilier rétroactivement les contrats au 31.12.2014. Le tribunal cantonal, saisi de recours contre ces décisions, a annulé celles-ci et renvoyé l’affaire à Helsana pour qu’elle évalue le dommage causé aux assurés par le refus injustifié de résiliation. Le Tribunal fédéral, sur recours d’Helsana, a partiellement admis ce dernier, par arrêt 9C_203/2021 du 02.02.2022; il a annulé l’arrêt du 13.02.2021, en tant qu’il portait sur l’annulation des décisions sur opposition du 13.11.2019, et a rejeté le recours pour le surplus.

Helsana a ensuite évalué le dommage causé aux assurés à 1’983 fr. 60 pour A.__ et 1’618 fr. 80 pour B.__, correspondant à la différence entre les primes qu’ils auraient payées au nouvel assureur-maladie (soit Assura en l’occurrence) et celles d’Helsana en 2015. Après compensation avec les arriérés de primes dus par les assurés (29’172 fr. 50), Helsana a conclu n’avoir rien à leur verser.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/940/2023 – consultable ici)

Par jugement du 05.12.2023, admission partielle des recours par le tribunal cantonal, reformant les décisions sur opposition en ce sens que Helsana devait payer, à titre de dommage résultant de l’empêchement de changer d’assureur-maladie au 01.01.2015, les sommes de 10’071 fr. 40 à l’assuré et de 9’161 fr. 80 à l’assurée, avec intérêts à 5% l’an dès le 01.01.2019.

 

TF

Consid. 4
L’arrêt attaqué expose les normes et la jurisprudence nécessaires à la résolution du cas, plus particulièrement celles relatives au changement d’assureur (art. 7 LAMal) en cas de non-paiement des primes et des participations aux coûts (art. 64a LAMal) ou de retard de paiement (art. 105l OAMal) et à la réparation du dommage résultant de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur (art. 7 al. 6 LAMal; cf. arrêt 9C_203/2021 du 2 février 2022 consid. 7.2). Il cite en outre la jurisprudence portant sur le niveau de vraisemblance qu’un fait doit atteindre pour être considéré comme établi (ATF 144 V 427 consid. 3.2) et l’appréciation anticipée des preuves (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Il expose encore les dispositions légales et la jurisprudence concernant le principe de la bonne foi en relation avec la transmission de renseignements erronés (ATF 131 II 627 consid. 6), le droit à une réparation morale en relation avec une atteinte à la personnalité (art. 49 CO et 78 LPGA) et les frais de défense en tant que poste du dommage en matière de responsabilité civile (ATF 131 II 121 consid. 2.1; arrêt 4A_346/2023 du 13 juin 2024 consid. 5.1.3). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 5.1.1 [résumé]
La cour cantonale a estimé que l’assureur avait violé son devoir d’information en ne communiquant pas le montant des arriérés dus avant le 02.06.2015. Cette violation engendrait une obligation de réparation du dommage pour l’année 2015, mais pas pour les années suivantes, car les assurés restaient tenus de payer leurs primes malgré l’empêchement fautif de changer d’assureur. Cependant, la responsabilité de l’assureur concernant l’impossibilité de changer de caisse-maladie et le dommage en résultant s’étendait jusqu’au 31.12.2017. Cette extension de responsabilité était due à des courriers équivoques de l’assureur qui, jusqu’en 2017, avaient laissé croire aux assurés qu’une résiliation rétroactive de leurs contrats au 31.12.2014 était encore possible.

Consid. 5.1.2 [résumé]
Les recourants contestent la limitation de la période d’indemnisation au 31.12.2017, affirmant que le lien de causalité entre le comportement de leur caisse d’assurance-maladie et l’impossibilité de changer d’assureur s’étendait au-delà de cette date. Les recourants retracent la chronologie des événements, du refus d’Assura d’accepter leur affiliation rétroactive en avril 2017 jusqu’à l’arrêt du Tribunal fédéral en février 2022. Ils soutiennent que l’assureur n’a pas modifié son comportement, qualifié de fautif et manquant de transparence, jusqu’à la confirmation par le Tribunal fédéral en 2022. Par conséquent, ils estiment que la période d’indemnisation devrait être étendue jusqu’au 31.12.2022. Les recourants affirment également n’avoir jamais reçu le courrier d’Assura du 18.04.2017, remettant ainsi en question un élément clé de la chronologie établie par l’autorité cantonale.

Consid. 5.1.3
L’argumentation des assurés est infondée. Comme l’ont dûment indiqué les juges cantonaux, la conséquence légale de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur ne consiste pas en une reconnaissance du changement d’assureur avec effet rétroactif, mais en l’obligation de l’ancien assureur de verser des dommages-intérêts conformément aux principes généraux du droit de la responsabilité civile. Elle suppose ainsi un acte ou une omission illicite, un dommage, un lien de causalité entre l’acte ou l’omission d’une part et le dommage d’autre part, ainsi qu’une faute (cf. art. 41 CO en lien avec l’art. 7 al. 6 LAMal; ATF 130 V 448 consid. 5.2). Or, en l’occurrence, la juridiction cantonale a considéré que le fait pour la caisse-maladie intimée de ne pas avoir chiffré le montant des arriérés de primes avant le 02.06.2015 constituait une violation de son obligation d’informer qui avait empêché les recourants de changer d’assureur et leur avait causé un dommage dû notamment à la différence entre les primes qu’ils auraient payées à Assura et celles qu’ils ont payées à l’assureur intimé en 2015. Elle a relevé que ce dernier avait du reste admis ce poste du dommage. Elle a en outre retenu que le fait pour la caisse-maladie intimée d’avoir laissé entendre aux assurés dans ses courriers des 02.06.2015 et 15.03.2017 que leurs contrats pourraient sous conditions particulières être résiliés de manière rétroactive au 31.12.2014 constituait une violation du principe de la bonne foi en lien avec la communication d’informations erronées, qui avait empêché les recourants de changer d’assureur et prolongé la période au cours de laquelle ils avaient subi un dommage jusqu’au mois de mai 2017.

On relèvera toutefois que, contrairement à ce que les recourants soutiennent, ils ne pouvaient plus dès le mois de mai 2017 se prévaloir d’un comportement fautif de la part de la caisse-maladie intimée ni de la communication de la part de celle-ci de renseignements erronés justifiant l’impossibilité de changer d’assureur et la persistance d’un dommage au-delà du 31 décembre 2017. En effet, par courrier du 18.04.2017, Assura avait clairement indiqué qu’elle avait annulé les contrats initialement conclus avec les assurés conformément à la loi (compte tenu de l’annonce de l’assureur intimé du 09.01.2015 relative au maintien de l’affiliation) et qu’elle n’entendait pas accéder à une demande d’affiliation rétroactive mais restait à disposition des assurés pour leur adresser une offre d’affiliation valable dès le 01.01.2018. Ce courrier avait été adressé au recourant qui gérait aussi les affaires de son épouse. Ces différents éléments avaient également été communiqués directement au mandataire (à l’époque) des assurés par courrier de l’assureur intimé du 15.05.2017, qui évoquait expressément le maintien de l’affiliation. Dans ces circonstances, les juges cantonaux n’ont pas fait preuve d’arbitraire ni violé le droit fédéral en excluant l’existence d’un dommage causé par un comportement fautif de la caisse-maladie intimée au-delà du 31.12.2017 et, partant, une obligation de le réparer.

Consid. 5.2.1 [résumé]
La juridiction cantonale a examiné les différents éléments du dommage subi par les recourants, en se concentrant particulièrement sur la différence de primes entre leur assureur actuel et Assura, l’assureur qu’ils auraient choisi.

Pour 2015, le tribunal a calculé un dommage de 1’983 fr. 60 pour le recourant et 1’618 fr. 80 pour la recourante, basé sur la différence entre les primes mensuelles payées à l’assureur actuel et celles qui auraient été payées à Assura.

Le calcul a été étendu aux années 2016 et 2017, en utilisant les mêmes modèles d’assurance choisis par les recourants auprès d’Assura et conclus avec l’assureur intimé. Le dommage total a été fixé à 4’108 fr. 80 pour le recourant et 3’564 fr. pour la recourante.

La cour a exclu du calcul la redistribution de la taxe environnementale et les subsides, considérant qu’ils ne variaient pas selon l’assureur. Elle a également rejeté l’hypothèse d’un modèle d’assurance plus avantageux à partir de 2016, estimant que cette possibilité n’était pas suffisamment établie. Cependant, elle a pris en compte l’absence de couverture du risque accident pour l’assurée en 2017.

Consid. 5.2.2
Les recourants contestent uniquement les montants retenus par le tribunal cantonal au titre des primes qu’ils auraient payées s’ils avaient pu changer d’assureur. Ils soutiennent en substance que, vu leur situation financière, rien ne démontre que les montants à prendre en compte seraient ceux figurant dans le contrat d’assurance conclu avec Assura, ni qu’ils n’auraient pas cherché à minimiser leurs coûts en renonçant à couvrir le risque accident dès 2015, comme l’art. 9 LAMal en lien avec l’art. 8 al. 1 LAMal le leur permettait, et en optant pour le modèle « médecin de famille » dès 2016.

Consid. 5.2.3
Cette argumentation n’est pas fondée. On rappellera que les juges cantonaux ont fixé le montant des primes 2015 en fonction de la police d’assurance conclue avec Assura. Or une police d’assurance est un certificat qui atteste le contrat passé entre l’assuré et sa caisse-maladie. Contrairement à ce qu’allèguent les assurés, il ne s’agit pas seulement d’un document démontrant la continuité de la couverture d’assurance obligatoire mais d’un véritable contrat décrivant précisément les conditions auxquelles la couverture d’assurance est accordée ou reprise. Il n’était dès lors pas arbitraire de la part de la juridiction cantonale de reprendre le montant des primes indiqué dans les polices d’assurance signées par les recourants.

On précisera que si l’art. 8 al. 1 LAMal permet à l’assuré de demander la suspension de la couverture du risque accident, cette suspension n’est qu’une possibilité et ne découle pas automatiquement de l’existence d’une couverture d’assurance au sens de la LAA. Elle est conditionnée notamment par une demande dont le dépôt éventuel en 2015 ou plus tard n’a en l’occurrence pas été rendu vraisemblable.

Une situation financière précaire ne suffit pas davantage à établir qu’une telle demande aurait été immanquablement déposée par les recourants. Le fait que la juridiction cantonale a admis que l’assurée aurait présenté une telle demande en 2017 en raison de la circonstance particulière d’une reprise d’une activité professionnelle cette année-là et qu’elle n’a pas pris en considération une telle éventualité pour le recourant dès 2015 n’apparaît pas arbitraire. Celui-ci était en effet déjà actif en 2015 et avait alors opté pour le modèle d’assurance pris en compte dans le calcul du dommage. On ajoutera par ailleurs que les considérations développées par les assurés à propos du choix du modèle « médecin de famille » dès 2016 ne sont que des éventualités qui, comme le tribunal cantonal l’a retenu à bon droit, n’ont pas été rendues suffisamment vraisemblables et qui, au demeurant, peuvent dépendre d’autres circonstances qu’une situation financière précaire.

Consid. 5.3.1
Les juges cantonaux ont encore examiné si les recourants avaient droit à une indemnité pour tort moral au sens de l’art. 49 CO que ceux-ci réclamaient en raison du stress, de la honte, du dépit et du désespoir ressentis face à la multiplication des poursuites et aux difficultés à éclaircir leur situation suscités par le comportement contraire au droit de l’assureur intimé. Ils ont laissé ouverte la question de savoir si le droit à une indemnité pour tort moral, constitutive du dommage dans le cadre général de l’art. 78 LPGA, existait également dans le cadre plus spécifique de l’art. 7 al. 6 LAMal. En effet, d’après eux, le comportement illicite et fautif de la caisse intimée n’était pas de nature à léser les assurés dans leurs droits de la personnalité mais seulement dans leurs intérêts pécuniaires, quand bien même ce comportement avait entraîné des difficultés et des souffrances réelles pour ceux-ci.

Consid. 5.3.2
Les recourants font grief au tribunal cantonal d’avoir fait montre d’arbitraire en reconnaissant que le comportement fautif de l’assureur intimé avait entraîné chez eux des difficultés et des souffrances réelles mais en rejetant leur droit à une réparation morale au motif qu’ils n’auraient été atteints que dans leurs intérêts patrimoniaux et pas dans leurs droits de la personnalité. Ils soutiennent que ce raisonnement est contradictoire, d’autant plus que les juges cantonaux n’ont pas donné suite à leur offre de preuve sur ce point.

Consid. 5.3.3
Cette argumentation n’est pas fondée. En effet, l’allocation d’une indemnité pour tort moral fondée sur l’art. 49 al. 1 CO suppose que l’atteinte présente une certaine gravité objective et qu’elle ait été ressentie par la victime comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime qu’une personne dans ces circonstances s’adresse au juge pour obtenir réparation (cf. p. ex. arrêt 6B_1196/2022 du 26 janvier 2023 consid. 2.2 et les références). Pour admettre le droit à une indemnité pour tort moral, il faut donc que l’atteinte subie soit exceptionnelle aux yeux de tiers et pas seulement ressentie comme tel par la personne concernée (cf. p. ex. arrêt 8C_539/2015 du 13 novembre 2015 consid. 2.2). Or le fait d’être poursuivi en raison du non paiement de primes de l’assurance-maladie obligatoire ne saurait objectivement constituer une grave atteinte à la personnalité des recourants. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant l’intensité de la douleur ressentie par ceux-ci. On ne saurait dès lors valablement reprocher aux juges cantonaux d’avoir violé le droit fédéral ou fait preuve d’arbitraire en niant le droit des recourants à une indemnité pour tort moral.

Consid. 5.4.1 [résumé]
La juridiction cantonale a examiné les frais de défense engagés par les assurés comme un élément du dommage. Elle a précisé que seuls les frais liés à l’obtention du changement d’assureur au 01.01.2015 et à la réparation du dommage causé par l’empêchement de ce changement pouvaient être pris en compte. Les frais relatifs au refus de payer les primes et aux poursuites en découlant ont été exclus.

Les assurés ont allégué des « frais juridiques nécessaires » non couverts par les indemnités de dépens, s’élevant à 14’036 fr. 10 pour le mandataire actuel et 940 fr. pour les anciens mandataires. Après examen, la cour cantonale a estimé que seule la moitié du montant facturé par le nouveau mandataire et la totalité du montant facturé par les anciens mandataires étaient en lien avec la question du changement d’assureur. Cette répartition correspondait à celle adoptée par le Tribunal fédéral dans l’arrêt 9C_203/2021 cité.

En conséquence, la juridiction cantonale a fixé le montant de ce poste du dommage à 3’979 fr. pour chacun des recourants.

Consid. 5.4.2
Les recourants semblent faire grief à la juridiction cantonale d’avoir divisé par deux le montant des honoraires que pouvait encore prétendre leur nouveau mandataire dans la mesure où elle avait limité la période d’indemnisation au 31.12.2017. Ils soutiennent en substance que, comme leur recours démontre la persistance du lien de causalité entre le comportement de l’assureur intimé et le dommage jusqu’au 31.12.2022, il n’y avait pas de raison de diviser par deux le montant des honoraires. Ils prétendent en outre que l’examen des notes de frais produites en première instance établit que seul un montant anecdotique correspond aux frais relatifs aux démarches entreprises dans le cadre de poursuites.

Consid. 5.4.3
Cette argumentation est mal fondée. Contrairement à ce que les assurés allèguent, les frais et honoraires pris en compte par le tribunal cantonal au titre du dommage couvrent les activités déployées par leur conseil actuel en lien avec le changement d’assureur et le dommage causé par l’empêchement de changer d’assureur jusqu’au 12.12.2022. Ils ont été divisés en deux par rapport au montant total réclamé (et répartis par moitié sur chacun des recourants) au motif que seule la moitié de ce montant devait être considérée comme « pertinent[e], justifié[e], nécessaires et adéquat[e] ». La prise en compte seulement de la moitié du montant réclamé n’a donc rien à voir avec la durée de la période d’indemnisation.

On ajoutera que, comme l’a relevé la juridiction cantonale, on ne peut pas aisément distinguer dans les notes de frais et d’honoraires produites pour quel type d’activité déployée des honoraires ont été réclamés. Ainsi, les intitulés « entretien (téléphonique) avec le client », « étude du dossier », « lettre à…/reçue et lue », « e-mail à…/reçu et lu », etc. ne permettent pas de déterminer si les démarches facturées sont plutôt liées à l’impossibilité de changer d’assureur qu’aux poursuites résultant du non paiement des primes de l’assurance obligatoire des soins. Dans ces circonstances, il n’apparaît pas arbitraire pour le tribunal cantonal de n’avoir pris en compte que la moitié des honoraires facturés au titre de réparation du dommage. On précisera que, quoi qu’en disent les assurés, il leur appartenait de produire d’emblée des notes d’honoraires suffisamment détaillées pour en déduire la légitimité des montants qu’ils réclamaient, une audition a posteriori de leur conseil n’étant plus susceptible d’objectiver les motifs des activités déployées.

 

Le TF rejette le recours des assurés.

 

Arrêt 9C_46/2024 consultable ici

 

9C_61/2024 (f) du 07.11.2024 – Prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle – Lien de connexité temporelle / 10 LPP – 23 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_61/2024 (f) du 07.11.2024

 

Consultable ici

 

Prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle – Lien de connexité temporelle / 10 LPP – 23 LPP

 

Assurée, née en 1967, a travaillé à 80% comme aide-familiale du 01.09.2004 au 27.09.2008, étant alors affiliée à la CPEG.

En arrêt de travail à 100% du 01.12.2006 au 15.04.2007, puis à 50% dès le 16.04.2007, l’assurée a déposé une première demande de prestations de l’assurance-invalidité le 13.11.2007. Par décision du 24.04.2008, l’office AI a rejeté la demande. En application de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, il a retenu un degré d’invalidité arrondi de 38% (30% pour la part professionnelle, et 7,50% pour la part ménagère).

L’assurée a suivi une formation de janvier à mai 2009, puis a bénéficié d’un délai-cadre d’indemnisation de l’assurance-chômage. Durant l’année 2010, elle a travaillé comme assistante administrative, puis comme secrétaire à un taux d’activité de 80% du 01.02.2011 au 30.06.2017. À ce titre, elle était assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de la fondation LPP Personalvorsorgestiftung Elenka (ci-après: la fondation Elenka).

Une deuxième demande AI en mars 2013 a été rejetée.

À la suite d’un nouvel arrêt de travail dès mars 2016, l’assurée a déposé une troisième demande AI en juillet 2016. Une expertise psychiatrique en juillet 2019 a diagnostiqué un trouble dépressif récurrent sévère et un trouble de la personnalité, concluant à une incapacité de travail complète depuis le 07.03.2016. Par décision du 11.03.2020, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité dès le 01.03.2017, soit une année après le début de l’incapacité de travail.

Le 23.11.2020, la fondation Elenka a versé des prestations préalables de la prévoyance professionnelle à l’assurée à compter du 01.10.2018. La CPEG a, pour sa part, refusé de prendre en charge des prestations de la prévoyance professionnelle.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/943/2023 – consultable ici)

La fondation Elenka a ouvert action contre la CPEG le 03.02.2023, demandant le remboursement des prestations d’invalidité préalables qu’elle avait versées.

Par jugement du 05.12.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
Le litige concerne la décision de la juridiction cantonale de rejeter la demande de la fondation Elenka visant à obtenir le remboursement des prestations préalables de prévoyance professionnelle par la CPEG. En particulier, il s’agit d’examiner si les juges cantonaux ont constaté de manière arbitraire que le lien de connexité temporelle avait été interrompu entre l’incapacité de travail survenue à l’époque où l’assurée était affiliée à la CPEG, soit entre septembre 2004 et octobre 2008 (art. 10 al. 3 LPP).

Le point central est de savoir si les juges cantonaux ont correctement évalué l’interruption du lien de connexité temporelle entre l’incapacité de travail de l’assurée lorsqu’elle était affiliée à la CPEG (2004-2008) et son invalidité survenue en mars 2017. À cet égard, l’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment au droit à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle (art. 23 LPP) et à la notion de survenance de l’incapacité de travail, en relation avec la double condition de la connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l’obligation de prester d’une institution de prévoyance (ATF 135 V 13 consid. 2.6; 134 V 20 consid. 3.2.1 et 5.3 et les références). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 3.2
On rappellera que la preuve suffisante d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail déterminante sous l’angle du droit de la prévoyance professionnelle (ATF 134 V 20 consid. 3.2.2) ne suppose pas forcément l’attestation médicale d’une incapacité de travail « en temps réel » (« echtzeitlich »). Toutefois, des considérations subséquentes et des suppositions spéculatives, comme une incapacité médico-théorique établie rétroactivement après bien des années, ne suffisent pas. L’atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur les rapports de travail; en d’autres termes, la diminution de la capacité fonctionnelle de travail doit s’être manifestée sous l’angle du droit du travail, notamment par une baisse des prestations dûment constatée, un avertissement de l’employeur ou une accumulation d’absences du travail liées à l’état de santé (arrêt 9C_556/2019 du 4 novembre 2019 consid. 4.3 et la référence).

Consid. 4.1 [résumé]
La juridiction cantonale a conclu que le lien de connexité temporelle entre l’incapacité de travail de l’assurée pendant son affiliation à la CPEG et son invalidité survenue en mars 2017 avait été interrompu. Les juges cantonaux ont constaté que l’assurée avait retrouvé une pleine capacité de travail dès février 2011. Elle avait travaillé à 80% de février 2011 à octobre 2012, puis de 2013 à mars 2016, sans preuve médicale d’un arrêt de travail d’au moins 20% durant ces périodes. L’expert psychiatre n’avait conclu à une incapacité de travail de 80% qu’à partir de mars 2016, date à laquelle l’office AI avait également reconnu une incapacité de travail significative. Sur cette base, les juges cantonaux ont estimé que la CPEG n’était pas tenue de verser des prestations.

Consid. 5
En l’espèce, la fondation Elenka reconnaît tout d’abord que l’assurée a repris une activité professionnelle à un taux d’activité de 80% dès le 01.02.2011, soit à un taux d’activité supérieur à celui de 50% pris en compte par l’office AI dans sa décision du 24.04.2009. Dès lors, la juridiction cantonale pouvait conclure sans arbitraire à une amélioration de l’état de santé de l’assurée survenue postérieurement à sa période d’affiliation à la CPEG (de septembre 2004 à fin octobre 2008).

Ensuite, bien que l’assurée ait indiqué à l’office AI qu’elle aurait travaillé à 100% en l’absence d’atteinte à la santé, cette simple déclaration, en tant que telle, ne suffit pas à établir au degré de la vraisemblance prépondérante requis en assurances sociales qu’une atteinte à la santé l’aurait empêchée de travailler à plus de 80% dès le 01.02.2011. L’office AI s’est d’ailleurs écarté de l’affirmation de l’assurée, considérant plutôt qu’elle se serait toujours consacrée à 80% à son activité professionnelle, et à 20% à l’accomplissement de ses travaux habituels dans le ménage (décision de l’office AI du 11.03.2020).

Enfin, la fondation Elenka ne prétend pas qu’un médecin aurait confirmé que l’assurée aurait été empêchée, dans une activité adaptée, de travailler à 100% (ou à plus de 80% [cf. ATF 144 V 58 consid. 4.4]) pour des raisons médicales dès le 01.02.2011, et pour une période de plus de trois mois. Au contraire, dans l’expertise psychiatrique, l’expert psychiatre a constaté que l’assurée avait présenté un « nouvel épisode dépressif » dès mars 2016, en raison notamment de conflits et de l’ambiance à son travail.

Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations des juges cantonaux, ni de leur appréciation.

 

Le TF rejette le recours de l’institution de prévoyance.

 

Arrêt 9C_61/2024 consultable ici

 

8C_36/2024 (i) du 25.11.2024, destiné à la publication – Pension d’invalidité décidée par l’État italien contraignante pour les organes suisses compétents / Indemnité journalière AI – L’exigence d’une obligation de cotiser à l’AVS constitue une discrimination indirecte / Calcul de l’indemnité journalière AI en présence d’une pension d’invalidité italienne

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_36/2024 (i) du 25.11.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Principe d’assimilation et équivalence – Pension d’invalidité décidée par l’État italien contraignante pour les organes suisses compétents / 5 let. a Règl. n° 883/2004 – 46 al. 3 Règl. n° 883/2004

Indemnité journalière AI – L’exigence d’une obligation de cotiser à l’AVS constitue une discrimination indirecte / 23 LAI – 4 Règl. n° 883/2004

Calcul de l’indemnité journalière AI en présence d’une pension d’invalidité italienne / 68 LPGA – 24 al. 5 LAI – 21septies al. 5 RAI –10 Règl. n° 987/2009

 

Assuré, né en 1986, est un citoyen italien ayant résidé en Italie jusqu’en 2019. Après avoir obtenu un diplôme de comptable en 2000, il a exercé la profession de cuisinier dans diverses villes italiennes jusqu’en juin 2016, date à laquelle il a été licencié. Le 19 août 2015, l’assuré a été victime d’un grave accident de la circulation alors qu’il conduisait son cyclomoteur, subissant des blessures importantes (notamment hémothorax et/ou pneumothorax traumatique, contusion pulmonaire, hémorragie sous-arachnoïdienne, sous-durale, traumatique) nécessitant une hospitalisation et des soins intensifs. À la suite de cet accident, il a bénéficié d’une rente d’invalidité italienne à partir de novembre 2015.

En mars 2019, l’assuré est entré en Suisse pour vivre avec sa compagne qui assurait son soutien, obtenant un permis de séjour UE/AELE B (« but du séjour sans activité lucrative »). Le 02.07.2019, il a déposé une première demande auprès de l’assurance-invalidité suisse, dans laquelle il était indiqué que la réadaptation due à l’accident était toujours en cours. La demande a été rejetée le 25.11.2019 au motif qu’aucune période de cotisation n’avait été enregistrée depuis son arrivée en Suisse et que l’atteinte à la santé était présente depuis avant son arrivée sur le sol helvétique.

Le 30.01.2021, l’assuré a déposé une nouvelle demande. Après une expertise médicale, il a été établi que son métier de cuisinier n’était plus exigible du point de vue orthopédique, mais qu’il disposait d’une pleine capacité de travail avec une baisse de rendement dans une activité adaptée depuis le 31.07.2019. L’office AI a reconnu des mesures professionnelles à partir du 29.07.2022, mais a refusé l’octroi d’une rente par décision du 13.09.2022.

A la suite des observations de l’assuré quant au projet de décision du 05.05.2023, l’office AI a, par décision du 22.06.2023, rejeté la demande d’indemnités journalières formulée par l’assuré le 13.10.2022, dans la mesure où il était domicilié en Italie au début de l’atteinte à la santé et qu’il percevait un revenu étranger non soumis à l’AVS suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt 32.2023.82 – consultable ici)

Par jugement du 04.12.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré est ressortissant d’un Etat partie à l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne (aujourd’hui : Union européenne) et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ci-après : ALCP). Résidant en Suisse depuis 2019 et au bénéfice d’un permis B sans activité lucrative, il a sollicité des prestations d’invalidité, notamment des indemnités journalières pour des mesures de réadaptation. Le litige porte donc sur la coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale (annexe II de l’ALCP), ce qui n’est pas contesté par les parties.

Consid. 4.2
Jusqu’au 31 mars 2012, les parties à l’ALCP appliquaient mutuellement le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (RO 2004 121 ; ci-après : règlement n° 1408/71). La décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 (RO 2012 2345) a mis à jour le contenu de l’annexe II de l’ALCP avec effet au 1er avril 2012. En particulier, il a été stipulé que les parties à l’ALCP appliquent dorénavant le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (RS 0.831.109.268.1 ; ci-après : règlement no 883/2004).

Compte tenu des faits de la cause, la nouvelle version du Règlement n° 883/2004 est donc applicable ratione temporis, ratione personae (art. 2 ch. 1 Règlement n° 883/2004) et ratione materiae (art. 3 ch. 1 lett. c Règlement n° 883/2004), comme l’a également relevé la cour cantonale. Aucune critique n’ayant été formulée à cet égard, il n’y a pas lieu de s’attarder sur ces aspects.

Consid. 6.1
Le tribunal cantonal a nié le droit de l’assuré aux indemnités journalières tant en vertu du droit suisse que de l’ALCP.

Consid. 6.2
Se référant aux art. 23 al. 1 et 3 LAI et 20sexies al. 1 RAI, ainsi qu’au n° 0312 CIJ [Circulaire concernant les indemnités journalières de l’assurance-invalidité], les juges cantonaux ont considéré comme déterminant le fait que l’assuré, au moment du début de son incapacité de travail à la suite de l’accident d’août 2015, n’exerçait pas une activité avec revenu soumise à l’obligation de cotiser à l’AVS puisqu’il travaillait à X.__ et qu’il était domicilié en Italie jusqu’en mars 2019. Rien n’a changé dans l’arrêt I 365/00 du 28 novembre 2001 du Tribunal fédéral des assurances cité par l’assuré, défendant la thèse selon laquelle l’élément déterminant serait le revenu effectivement réalisé avant l’atteinte à la santé sans qu’il soit nécessaire que des cotisations soient prélevées sur celui-ci. Selon la cour cantonale, cette appréciation concernait en premier lieu les indépendants, pour lesquels il est indifférent que les cotisations pour l’année en question aient été fixées ou non par une décision définitive. Le libellé de l’art. 21 al. 3 RAI ne permettait pas non plus de tirer une conclusion différente, la question de l’évolution des salaires n’étant pas pertinente puisque le droit aux indemnités journalières devait être exclu a priori.

Consid. 6.3
A ce stade, après avoir rappelé le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement ancré respectivement à l’art. 2 ALCP et à l’art. 4 Règlement n° 883/2004, le tribunal cantonal a nié une discrimination directe fondée sur la nationalité, puisque le droit aux indemnités journalières de la LAI est garanti à toute personne ayant exercé en dernier lieu une activité soumise aux cotisations de l’AVS. La cour cantonale n’a pas non plus constaté de discrimination indirecte, dans la mesure où le recourant « n’est pas placé dans une situation plus défavorable, à situation égale, que les ressortissants suisses qui vivent depuis un certain temps à l’étranger – dans un pays de l’UE ou de l’AELE – et qui, après y avoir été victimes d’un accident, décident de retourner dans leur patrie ».

Selon les juges cantonaux, de tels citoyens suisses ne peuvent en effet pas prétendre à des indemnités journalières de l’AI en l’absence d’un revenu soumis aux cotisations de l’AVS immédiatement avant l’incapacité de travail. Même si l’on devait considérer qu’il s’agit d’une discrimination indirecte, l’exigence en question ne s’avère pas disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, à savoir que l’indemnité journalière soit en principe versée aux personnes qui exerçaient une activité lucrative immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail, et donc aux personnes qui ont été assujetties à l’AVS pendant une durée minimale. Les assurés considérés comme n’exerçant pas d’activité lucrative peuvent tout au plus, sous certaines conditions, avoir droit à une allocation pour frais de garde et d’assistance (n° 0311, 0312, 0315 CIJ).

Consid. 7.1.1
S’appuyant sur l’arrêt I 365/00 précité, l’assuré soutient que le revenu déterminant serait celui effectivement réalisé avant la survenance de l’incapacité de travail, sans toutefois que des cotisations aient nécessairement été prélevées. L’objectif de l’art. 23 LAI, en relation avec l’art. 20sexies RAI, serait d’octroyer des indemnités journalières qu’aux personnes exerçant une activité lucrative qui, en raison d’une atteinte à la santé, subissent une perte de gain, excluant ainsi les personnes se trouvant dans la situation opposée.

En l’espèce, l’art. 23 al. 3 LAI ne permettrait pas de déterminer le revenu provenant d’une activité lucrative car celui-ci a été réalisé en Italie et y a été soumis à cotisation, malgré la perte économique concrète subie par la personne professionnellement active. Étant donné qu’il a été dûment rémunéré pour l’activité lucrative exercée au moment de la survenance de l’incapacité de travail, le requérant aurait donc droit à des indemnités journalières.

De l’avis de l’assuré, si le droit aux indemnités journalières était soumis à une condition de rattachement au territoire suisse comme l’a indiqué l’autorité inférieure (en plus de l’assujettissement à l’assurance selon l’art. 9 al. 1bis LAI pour le droit aux mesures de réadaptation), le législateur l’aurait précisé à l’art. 22 LAI, comme il l’a fait par exemple pour le droit à la rente d’invalidité à l’art. 36 al. 1 LAI.

Consid. 7.1.2
Subsidiairement, l’assuré invoque une discrimination indirecte contraire à l’art. 2 ALCP. Si par personnes professionnellement actives on entendait uniquement celles ayant un revenu soumis à l’AVS, la condition de l’art. 23 LAI en lien avec l’art. 20sexies RAI serait plus facilement réalisée par un ressortissant suisse que par un ressortissant étranger, ce dernier se trouvant ainsi désavantagé. Le caractère discriminatoire indirect serait injustifié par rapport à l’objectif poursuivi, à savoir la couverture de la perte du revenu réalisé par la personne assurée durant la dernière période d’activité lucrative, exercée sans limitations dues à des raisons de santé. Contrairement à ce que suggère le tribunal cantonal, pour apprécier si la condition de «revenu soumis à l’AVS suisse» est indirectement discriminatoire, il faudrait comparer le rapport entre les ressortissants étrangers et les ressortissants suisses au sein du groupe des personnes désavantagées ou non bénéficiaires, d’une part, avec celui rapport entre les ressortissants étrangers et les ressortissants suisses au sein du groupe des personnes non désavantagées ou bénéficiaires, d’autre part.

Consid. 7.2.1
L’OFAS convient avec l’assuré que la règle de l’art. 23 al. 3 LAI serait indirectement discriminatoire et donc illicite selon le Règlement n° 883/2004. Les revenus soumis aux cotisations sociales d’un État membre de l’UE devraient ainsi être considérés comme revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI au même titre que ceux soumis aux cotisations prévues par la LAVS. De plus, l’art. 21 al. 3 RAI serait applicable même si la dernière activité lucrative en question avait été exercée dans un État membre de l’UE.

De l’avis de l’OFAS, pour se prononcer sur les prétentions de l’assuré, il faudrait encore examiner, d’une part, l’éventuelle équivalence, au sens de l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004, entre la rente italienne et une rente AI selon le droit suisse, et, d’autre part, établir le degré d’invalidité selon le droit suisse en vue d’une éventuelle rente selon le droit suisse, ce que l’assuré a omis de faire. Dans ce cas, en vertu de ce que dispose l’art. 22bis al. 5 LAI, les indemnités journalières lui seraient en effet refusées.

Consid. 7.2.2
L’assuré soutient que l’instruction médicale déjà effectuée aurait conduit le SMR à retenir une incapacité de travail totale dans l’activité précédente de cuisinier, exercée en Italie jusqu’à la survenance de l’atteinte à la santé, et une incapacité de travail de 80% dans des activités adaptées depuis le 31.07.2019. Le taux d’invalidité qui en résulterait serait donc certainement supérieur à 40%, si l’on procède à une comparaison des revenus sur la base des données statistiques, avec une capacité de travail de seulement 20% dans des activités adaptées comparée à une activité de cuisinier exercée à plein temps, sans qu’il soit nécessaire de procéder à des investigations complémentaires à cet égard comme le suggère l’OFAS. Sur le fond, on arriverait donc au même résultat, à savoir un refus du droit aux indemnités journalières, mais en application de l’art. 22bis al. 5 LAI au lieu de l’art. 23 al. 3 LAI.

Consid. 7.2.3
Répliquant spontanément à l’administration, l’assuré rappelle que, selon l’évaluation du Dr D.__ du 8 mai 2017, il aurait récupéré une capacité partielle de 10% en tant que cuisinier déjà 60 jours après l’accident. Il en résulte qu’il est probable qu’à la fin du délai d’attente d’une année, en août 2016, il aurait pu disposer d’un potentiel de réinsertion dans une activité adaptée, et donc bien avant le 31.07.2019 tel que retenu par le SMR. L’assuré fait ensuite valoir que la rente italienne « cat. IO » dont il bénéficie est déterminée sur la base d’une capacité de travail réduite qui ne tient pas compte d’une réadaptation potentielle, par des mesures appropriées, dans une autre activité lucrative afin d’établir une perte de gain comme le prévoit le droit suisse à l’art. 16 LPGA. L’évaluation du degré d’invalidité selon le droit suisse, qui pourrait lui conférer le droit à une rente d’invalidité – qui ne serait de toute façon pas versée faute de remplir la condition de cotisation –, ne devrait donc être évaluée qu’une fois les mesures achevées.

Consid. 8.1
L’art. 22bis al. 5 LAI prévoit que lorsqu’un assuré reçoit une rente de l’AI, celle-ci continue de lui être versée en lieu et place d’indemnités journalières durant la mise en œuvre des mesures de réinsertion au sens de l’art. 14a LAI et des mesures de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a LAI.

La question de l’assimilation des prestations selon l’art. 5 let. a du Règlement 883/2004, également soulevée par l’OFAS, a donc une influence sur la résolution du litige et nécessite d’être approfondie. En effet, si la « pensione cat. IO (INVALIDITA’ DEI LAVORATORI DIPENDENTI) » [rente cat. IO (invalidité des travailleurs dépendants)] versée par l’État italien, dont l’assuré est bénéficiaire, pouvait être assimilée à une rente d’invalidité selon le droit suisse, il ne pourrait– en vertu de l’art. 22bis al. 5 LAI précité – percevoir des indemnités journalières pour les mesures de nouvelle réadaptation.

Consid. 8.1.1
L’art. 5 du Règlement 883/2004, qui fait partie des dispositions générales et qui est intitulé «Assimilation de prestations, de revenus, de faits ou d’événements», est ainsi libellé : « A moins que le présent règlement n’en dispose autrement et compte tenu des dispositions particulières de mise en œuvre prévues, les dispositions suivantes s’appliquent:

  1. si, en vertu de la législation de l’Etat membre compétent, le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d’autres revenus produit certains effets juridiques, les dispositions en cause de cette législation sont également applicables en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d’un autre Etat membre ou de revenus acquis dans un autre Etat membre;
  2. si, en vertu de la législation de l’Etat membre compétent, des effets juridiques sont attribués à la survenance de certains faits ou événements, cet Etat membre tient compte des faits ou événements semblables survenus dans tout autre Etat membre comme si ceux-ci étaient survenus sur son propre territoire. »

Consid. 8.1.2
Conformément à l’art. 16 al. 2 ALCP, dans la mesure où l’application de l’ALCP implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes (maintenant : Cour de justice de l’Union européenne, ci-après également « CJUE ») antérieure à la date de sa signature (21 juin 1999). La jurisprudence postérieure à la date de la signature de l’ALCP sera communiquée à la Suisse. En vue d’assurer le bon fonctionnement de l’ALCP, à la demande d’une partie contractante, le Comité mixte déterminera les implications de cette jurisprudence.

Afin d’assurer une situation juridique analogue entre les États de la Communauté européenne (maintenant : l’Union européenne), d’une part, et la Suisse, d’autre part, selon une jurisprudence constante, le Tribunal fédéral ne s’écarte de l’interprétation des dispositions de droit communautaire pertinentes à l’accord, telle qu’établie par la CJUE – même postérieurement à la date de sa signature -, qu’en présence de motifs sérieux («triftige Gründe»; ATF 149 V 136 consid. 7.2 et les références; 145 V 39 consid. 2.3.2 et les références).

Consid. 8.1.3
Selon une jurisprudence constante de la CJUE développée sous l’égide du Règlement n° 1408/71, les prestations de sécurité sociale doivent être considérées comme étant de même nature lorsque leur objet, leur finalité, ainsi que leur base de calcul et leurs conditions d’attribution sont identiques. En revanche, des caractéristiques purement formelles ne doivent pas être considérées comme des éléments décisifs pour la qualification des prestations (cf. arrêt du 15 mars 2018 C-431/16 Blanco Marqués [publié au Recueil numérique], point 50, et les références ; en particulier arrêt du 18 juillet 2006 C-406/04 De Cuyper [Rec. 2006 I-06947], point 25). La notion de prestations de « même nature » est désormais réglée à l’art. 53 par. 1 du Règlement n° 883/2004 (cf. Rolf Schuler, in Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 9 ad art. 5 du Règlement n° 883/2004).

Cela étant, dans l’arrêt du 21 janvier 2016 C-453/14 Knauer (publié au Recueil numérique) concernant le prélèvement des cotisations d’assurance maladie en Autriche sur les pensions de vieillesse versées par une caisse de pension du Liechtenstein, la CJUE a également eu l’occasion de se pencher spécifiquement sur la notion de « prestations équivalentes » contenue dans l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004. Elle a d’abord relevé que cette notion n’a pas nécessairement la même signification que la notion de « prestations de même nature » contenue dans l’art. 53 de ce règlement (Knauer, n° 28), mais dispose d’une définition propre. L’équivalence n’est pas donnée du seul fait que le règlement n° 883/2004 s’applique aux deux prestations ; celles-ci doivent également être comparables, ce qui doit être apprécié sur la base de l’objectif qu’elles poursuivent et des réglementations qui les ont instituées (Knauer, n° 31-34 ; cf. aussi Basile Cardinaux, Das EuGH-Urteil «Knauer u. Mathis», RSAS 2019 p. 134, qui fait référence à une «funktionelle Äquivalenz»).

Consid. 8.1.4
Or, comme nous venons de le voir, la présence de dispositions contraires du Règlement n° 883/2004 empêche l’assimilation de prestations, de revenus, de faits ou d’événements comme prévu par son art. 5.

À cet égard, dans l’ATF 141 V 396 (au consid. 7), le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le droit aux prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité selon la LPC (RS 831.30) d’une ressortissante suisse, d’origine roumaine, bénéficiaire d’une rente d’invalidité roumaine. L’objet du litige était de savoir si la pension d’invalidité roumaine pouvait être assimilée à une pension d’invalidité de droit suisse, dont le bénéfice était l’une des conditions préalables aux prestations complémentaires demandées. Après avoir discuté la notion du principe d’assimilation des prestations prévu par l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004, le Tribunal fédéral a relevé que l’art. 46 par. 3 du Règlement n° 883/2004 (applicable aux personnes soumises exclusivement à des législations de type B ou de type A et B, comme la Suisse et la Roumanie ; cf. art. 44 du Règlement n° 883/2004), pour que la décision concernant le degré d’invalidité de l’institution d’un État membre soit contraignante pour l’institution de l’autre État membre, imposait la reconnaissance dans l’annexe VII de la concordance des conditions respectives entre les législations des deux États membres en question. Tel n’était pas le cas pour la Suisse et la Roumanie, de sorte que la décision prise par l’organisme roumain compétent concernant le degré d’invalidité de la recourante et la prestation de pension qui en résulte n’était pas contraignante pour l’institution suisse concernée. Le principe d’assimilation des prestations de l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004 n’était donc pas applicable en l’espèce et la recourante ne pouvait pas se prévaloir de sa propre rente d’invalidité roumaine pour prétendre à des prestations complémentaires suisses (ATF 141 V 396 consid. 7.2.2 et 7.2.3 ; cf. aussi arrêt 8C_611/2021 du 10 mars 2022 consid. 3.1).

Consid. 8.1.5
Le raisonnement adopté dans l’ATF 141 V 396 est pertinent pour trancher également le présent litige. L’application de l’art. 46 al. 3 du Règlement n° 883/2004 dans un cas comme celui en l’espèce est d’ailleurs conforme au considérant n° 26 du Règlement n° 883/2004, qui promeut, en matière de prestations d’invalidité, l’élaboration d’un « système de coordination qui respecte les spécificités des législations nationales, notamment en ce qui concerne la reconnaissance de l’invalidité et son aggravation ». En effet, seule une reconnaissance concrète de la concordance des législations respectives par les États membres concernés serait contraignante pour le degré d’invalidité et, donc, du moins selon le droit suisse, pour la présence ou non d’une invalidité (cf. en particulier art. 28 al. 1 let. c LAI).

Par conséquent, en l’absence d’une telle reconnaissance en l’espèce, la pension d’invalidité décidée par l’État italien n’est pas contraignante pour les organes suisses compétents, ce qui fait obstacle à l’application du principe d’assimilation selon l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004 entre les rentes d’invalidité en question (ATF 141 V 396 consid. 7.2.3).

Il convient d’ajouter que l’interdiction du cumul de la rente et des indemnités journalières accordées en application de la LAI (art. 22bis al. 5 et art. 29 al. 2 LAI) est une forme de coordination intrasystémique qui prend en considération le mode de calcul de la rente, d’une part, et des indemnités journalières, d’autre part. Il n’est pas possible, dans le contexte d’une telle interdiction de cumul, de considérer une rente italienne comme équivalente à une rente suisse compte tenu de la différence marquée de leurs méthodes de calcul respectives.

Consid. 8.1.6
Il est incontesté que l’assuré n’a droit ni à une rente d’invalidité ordinaire, ni à une rente extraordinaire (art. 36 et 39 LAI ; sur ce sujet, cf. ATF 131 V 390 consid. 6 et 7 ; cf. aussi arrêt 9C_259/2016 du 19 juillet 2017 consid. 5).

La proposition de l’OFAS, à savoir évaluer le degré d’invalidité de l’assuré selon le droit suisse, afin d’établir l’existence hypothétique d’un droit à une rente d’invalidité, n’est pas convaincante. En particulier, on ne voit pas sur quelle base légale et sur quels motifs une telle démarche pourrait être justifiée. Par ailleurs, contrairement à ce qui peut être le cas dans le domaine des prestations complémentaires (cf. art. 4 al. 1 let. d LPC), la législation en matière d’assurance-invalidité ne prévoit pas l’accès à des prestations d’assurance sur la base d’un droit seulement hypothétique à une rente d’invalidité (dans ce sens, cf. Michel Valterio, in Commentaire de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, n. 1 ad art. 36).

Déterminer le degré d’invalidité d’un assuré mis au bénéfice de mesures professionnelles pour lesquelles il a déjà demandé des indemnités journalières, sachant déjà qu’il ne pourra de toute façon pas bénéficier d’une rente, s’avère être un exercice difficile et peu opportun. Ce n’est en effet qu’à la fin de ces mesures, conformément à l’art. 16 LPGA, qu’il serait possible de déterminer le degré d’invalidité, comme l’a rappelé à juste titre l’assuré dans sa réplique spontanée.

D’autre part, l’art. 22bis al. 5 LAI ne devrait être examiné que dans le cas d’un assuré qui est déjà au bénéfice d’une rente d’invalidité et qui effectue des mesures de réadaptation visées à l’art. 8a LAI.

L’assuré recourant, comme on l’a vu, ne peut en revanche être considéré ni comme bénéficiaire d’une rente d’invalidité italienne équivalente à une rente d’invalidité suisse selon le Règlement n° 883/2004, ni comme ayant droit à une rente d’invalidité selon le droit suisse. Il bénéficie donc de mesures de réadaptation au sens de l’art. 8 LAI, de sorte que l’art. 22bis al. 5 LAI ne constitue pas un obstacle à son droit potentiel à des indemnités journalières.

Consid. 8.2
Il reste litigieux, à ce stade, l’application de l’art. 23 LAI. Afin de procéder à son évaluation, il convient de rappeler le cadre législatif pertinent.

Consid. 8.2.1
L’art. 23 LAI prévoit que l’indemnité de base s’élève à 80% du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé; toutefois, elle s’élève à 80 % au plus du montant maximum de l’indemnité journalière fixée à l’art. 24 al. 1 LAI (al. 1). Le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fonde sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant) (al. 3).

Selon l’art. 20sexies al. 1 RAI, sont considérés comme exerçant une activité lucrative les assurés qui exerçaient une activité lucrative immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail (art. 6 LPGA).

Enfin, l’art. 21 al. 3 RAI prescrit que lorsque la dernière activité lucrative exercée par l’assuré sans restriction due à des raisons de sa santé remonte à plus de deux ans, il y a lieu de se fonder sur le revenu que l’assuré aurait tiré de la même activité, immédiatement avant la réadaptation, s’il n’était pas devenu invalide

Consid. 8.2.2.1
Dans l’arrêt 9C_141/2023 du 5 juin 2024 (dont les consid. 2 et 4 sont prévus pour la publication [publié entre-temps aux ATF 150 V 316]), le Tribunal fédéral a examiné si, dans le contexte d’un indépendant, le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI était celui sur lequel les cotisations ont été effectivement perçues, ou celui soumis au prélèvement de cotisations et qui sert de base pour leur détermination. Dans la mesure où elle présente un intérêt en l’espèce, l’interprétation historique de la disposition a été confirmée par l’arrêt I 365/00 du 28 novembre 2001, dans lequel le TFA avait à son tour traité le sujet du revenu déterminant d’un indépendant au sens de l’art. 24 al. 2 aLAI. Après avoir constaté que les conditions légales étaient restées inchangées au fil des révisions de l’AI, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter du principe selon lequel le revenu déterminant pour le calcul des indemnités journalières est celui effectivement réalisé avant la survenance de l’atteinte à la santé, indépendamment du fait que des cotisations aient été prélevées sur ce montant (arrêt 9C_141/2023 précité consid. 4.3 [publié entre-temps aux ATF 150 V 316 consid. 4.3]).

Consid. 8.2.3
Il convient donc de se pencher sur le grief selon lequel l’art. 23 al. 3 LAI constituerait une discrimination indirecte.

Consid. 8.2.3.1.1
En vertu de l’art. 4 du Règlement n° 883/2004, à moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout Etat membre, que les ressortissants de celui-ci. Selon la jurisprudence, l’art. 4 du Règlement n° 883/2004 interdit non seulement les discriminations manifestes fondées sur la nationalité (discrimination directe), mais aussi toutes les formes dissimulées de discrimination qui, par l’application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discrimination indirecte).

Une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire – à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi – si elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les ressortissants d’autres États membres que ses propres ressortissants et si elle risque, par conséquent, de désavantager plus particulièrement les premiers. Tel est le cas d’une condition qui peut être plus facilement remplie par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants (ATF 145 V 266 consid. 6.1.3; 143 V 1 consid. 5.2.4; 142 V 538 consid. 6.1; 136 V 182 consid. 7.1; 133 V 367 consid. 9.3; 131 V 390 consid. 5.1).

Consid. 8.2.3.1.2
Pour déterminer si l’utilisation d’un critère de distinction particulier au sens précité conduit indirectement à une inégalité de traitement fondée sur la nationalité, il convient de comparer la proportion de ressortissants et de non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes désavantagées, respectivement non favorisées, d’une part, et la proportion de ressortissants et de non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes non désavantagées, respectivement favorisées, d’autre part.

Il convient en outre de préciser que non seulement les travailleurs migrants étrangers peuvent invoquer l’interdiction de discrimination consacrée par le droit conventionnel, respectivement communautaire, à l’égard de l’État d’accueil, mais également les travailleurs nationaux à l’égard de leur propre pays dans la mesure où le lien euro-international nécessaire est établi. Cela vaut également si la règle en question, sans pénaliser davantage les étrangers de l’UE que les nationaux, affecte néanmoins davantage les travailleurs migrants, quelle que soit leur nationalité, que les travailleurs non migrants (ATF 133 V 367 consid. 9.3 et les références).

Consid. 8.2.3.1.3
En présence d’une discrimination, le recourant aurait donc droit à la prestation comme s’il remplissait les conditions pour son octroi. En effet, lorsque le droit national prévoit un traitement différencié entre divers groupes de personnes en violation de l’interdiction de discrimination, les membres du groupe désavantagé doivent être traités de la même manière et se voir appliquer le même régime que les autres intéressés. Tant que la réglementation nationale n’est pas structurée de manière non discriminatoire, ce régime reste le seul système de référence valable (ATF 145 V 231 consid. 6.4; 134 V 236 consid. 6.1; 131 V 390 consid. 5.2).

Il est utile de rappeler à cet égard qu’au sens de l’art. 190 Cst., le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. Ni l’art. 190 Cst. ni l’art. 5 al. 4 Cst. n’établissent une hiérarchie entre les normes de droit international et celles de droit interne. Néanmoins, selon la jurisprudence, en cas de conflit, les normes de droit international qui lient la Suisse primes celles de droit interne qui leur sont contraires (cf. ATF 146 V 87 consid. 8.2.2; 144 II 293 consid. 6.3; 142 II 35 consid. 3.2; 139 I 16 consid. 5.1; 138 II 524 consid. 5.1; 125 II 417 consid. 4d; cf. art. 27 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]). Il faut en effet présumer que le législateur fédéral a entendu respecter les dispositions des traités internationaux régulièrement conclus, à moins qu’il n’ait décidé – en toute connaissance de cause – d’édicter une norme interne contraire au droit international. En cas de doute, le droit interne doit être interprété conformément au droit international (ATF 149 I 41 consid. 4.2; 146 V 87 consid. 8.2.2, qui renvoie à l’ATF 99 Ib 39 consid. 3, également dénommée jurisprudence « Schubert » [cf. à ce sujet le consid. 11.1.1 de l’ATF 133 V 367 déjà citée]).

Consid. 8.2.3.2
Au vu de ce qui précède, il convient de partager l’avis du recourant (et de l’OFAS) selon lequel l’exigence d’une obligation de cotiser à l’AVS, telle que jugée par l’instance cantonale, constitue en l’espèce une discrimination indirecte.

Consid. 8.2.3.2.1
En effet, une telle exigence est sans doute plus facilement remplie par les personnes exerçant une activité lucrative en Suisse plutôt qu’en Italie. L’art. 23 al. 3 LAI entrave manifestement l’accès aux indemnités journalières des personnes travaillant à l’étranger, ces dernières n’étant, en principe, pas soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS. En ce sens, le raisonnement de la cour cantonale pour comparer les personnes désavantagées par cette règle – concrètement, les citoyens italiens et suisses professionnellement actifs à l’étranger – est fondamentalement erroné et ne peut être partagé.

Comme expliqué précédemment, et il convient de le répéter, il faut au contraire comparer les ressortissants et non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes désavantagées ou non favorisées (en l’occurrence, les personnes non actives en Suisse et donc non soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS, comme le recourant), d’une part, et les ressortissants et non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes non désavantagées ou favorisées (c’est-à-dire les personnes actives en Suisse et soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS), d’autre part.

Consid. 8.2.3.2.2
Par ailleurs, le caractère indirectement discriminatoire de l’art. 23 al. 3 LAI ne semble pas objectivement justifié et proportionné par rapport à l’objectif poursuivi, comme l’ont au contraire proposé les juges cantonaux selon une logique qui ne peut convaincre. Dans l’arrêt I 365/00 précité, le TFA avait en effet établi que les indemnités journalières de la LAI ont pour but de garantir à l’assuré et à ses proches la base matérielle nécessaire à leur existence pendant la période de réadaptation. Les moyens nécessaires à cette fin ne pouvaient être définis de manière générale, mais dépendaient de divers facteurs, variables dans le temps (arrêt I 365/00 précité consid. 4a/cc; cf. aussi l’arrêt 9C_141/2023 précité consid. 4.3.1). Au vu de ces constatations, il est clair que l’exigence de l’obligation de cotiser à l’AVS même à des personnes qui en sont empêchées ne peut être tolérée.

 

Consid. 8.3
En résumé, l’art. 23 al. 3 LAI constitue une discrimination indirecte, contraire à l’art. 4 du Règlement n° 883/2004 et à la jurisprudence respective, à l’égard des personnes qui perçoivent une pension d’invalidité de l’État italien (non reconnue comme telle en Suisse) et qui, bénéficiant de mesures de réadaptation, demandent des indemnités journalières. Une telle discrimination n’est pas objectivement justifiée et proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, et on ne peut pas non plus conclure à la volonté expresse du législateur, en toute connaissance de cause, d’édicter une norme contraire au droit international contraignant pour la Suisse. L’art. 23 LAI doit donc être interprété conformément à ce dernier, dans le sens que, pour le calcul de l’indemnité de base d’une personne ayant obtenu un revenu à l’étranger et qui bénéficie de mesures de réadaptation selon l’art. 8 LAI, le revenu moyen doit être pris en compte même si aucune cotisation n’a été perçue selon la LAVS. Ce résultat est d’ailleurs compatible avec ce qui est prévu à l’art. 5 let. b du Règlement n° 883/2004, concernant l’assimilation de « faits ou événements » (cf. sur ce sujet ATF 140 V 98 consid. 9) à l’activité lucrative exercée à l’étranger et au revenu qui y est réalisé, lesquels peuvent servir de base au calcul du montant de l’indemnité journalière selon la LAI.

Ce faisant, il faudra naturellement respecter les autres prescriptions prévues par la législation en matière d’assurance-invalidité, notamment les art. 20sexies et 21 al. 3 RAI. En outre, bien que la rente versée en application de la législation italienne ne puisse être qualifiée d’équivalente à une rente fondée sur la LAI – dans le cadre des règles de coordination intrasystémique qui interdisent le cumul d’une rente de l’assurance invalidité et d’indemnités journalières de la même assurance (art. 22bis al. 5 et art. 29 al. 2 LAI) –, il n’en demeure pas moins que tant la rente en cause que les indemnités journalières allouées conformément à la LAI sont des prestations d’assurances sociales allouées à une même personne pour compenser une perte de revenu due à une atteinte à sa santé. Dans le cas de rentes et d’indemnités journalières provenant de différentes assurances sociales suisses (coordination intersystémique), le législateur fédéral a admis le cumul d’une rente octroyée par un assureur social et d’indemnités journalières octroyées par un autre assureur social, mais uniquement sous réserve de surindemnisation (art. 68 LPGA). Dans le même sens, l’art. 21septies al. 5 RAI, en relation avec l’art. 24 al. 5 LAI, prévoit une limitation du montant des indemnités journalières de l’assurance invalidité si leur cumul avec une rente de l’assurance accidents entraîne une surindemnisation. Les méthodes d’évaluation de l’invalidité et de calcul du droit à une rente d’invalidité selon les législations suisse et italienne sont trop différentes pour assimiler purement et simplement la rente italienne à une rente basée sur la LAI dans le cadre de l’interdiction du cumul des prestations. En revanche, la rente italienne doit être considérée comme équivalente à une prestation d’un autre assureur social suisse dans le cadre d’un calcul de surindemnisation tel que prévu par les règles de coordination intersystémique. En effet, le montant effectif de la pension et des indemnités journalières est pris en compte dans un tel calcul.

Il incombera donc à l’office AI d’effectuer un calcul de surindemnisation conformément à l’art. 21septies al. 5 RAI, la rente versée en application de la législation italienne pouvant être considérée comme équivalente, dans ce contexte, à une rente de l’assurance accidents. Il faudra toutefois tenir compte de l’art. 10 du Règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 qui établit les modalités d’application du Règlement n° 883/2004. Cette disposition a pour objet de coordonner les réductions de prestations pour cause de surindemnisation auxquelles pourraient procéder les différents États concernés en application de leurs législations respectives. Elle prévoit ainsi que lorsque des prestations dues au titre de la législation de deux Etats membres ou plus sont réduites, suspendues ou supprimées mutuellement, les montants qui ne seraient pas payés en cas d’application stricte des clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation des Etats membres concernés sont divisés par le nombre de prestations sujettes à réduction, suspension ou suppression.

Consid. 9
Il s’ensuit que le recours doit être admis. Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder au calcul des indemnités journalières demandées, ni de recueillir d’éventuelles preuves nécessaires à cet effet. Le jugement attaqué doit donc être annulé et l’affaire renvoyée à l’office AI pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

Arrêt 8C_36/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_36/2024 (d) du 25.11.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/01/8c_36-2024)

 

 

8C_267/2024 (f) du 31.10.2024 – Droit à la rente de veuf – 29 LAA / Pas d’application de l’arrêt CrEDH Beeler contre Suisse

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_267/2024 (f) du 31.10.2024

 

Arrêt à cinq juges, non publié, consultable ici

 

Droit à la rente de veuf / 29 LAA

Pas d’application de l’arrêt CrEDH Beeler contre Suisse

 

Le 19.11.2014, l’assurée, née en 1977, a été percutée par une voiture alors qu’elle traversait un passage piéton, avec pour conséquences un TCC sévère, une fracture du condyle occipital gauche et une dissection de la carotide gauche. L’assurance-accidents a reconnu le droit de la prénommée à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 100%, à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) de 100%, à une allocation pour impotent de degré grave ainsi qu’à une participation aux frais d’aide et de soins à domicile.

L’assurée est décédée le 19.12.2021 des suites d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë sévère sur pneumonie à SARS-CoV-2. Le 20.10.2022, son mari (né en 1965) et son fils (né le 10.06.2003) ont fait valoir auprès de l’assurance-accidents leur droit à des rentes de survivants.

Par décision du 27.03.2023, confirmée sur opposition, l’assurance a octroyé au fils une rente d’orphelin de 15% à partir du 01.09.2022, date à laquelle il a commencé une formation. Cependant, elle a refusé d’accorder une rente de veuf au mari. L’assurance-accidents a justifié ce refus en expliquant qu’au moment du décès de l’assurée, le fils avait plus de 18 ans et ne suivait pas de formation, ne remplissant donc pas les conditions pour une rente d’orphelin. L’assurance-accidents a souligné qu’en vertu de l’art. 190 Cst., elle était tenue d’appliquer l’art. 29 al. 3 LAA, quand bien même cette disposition opérait une distinction claire entre les conditions d’octroi d’une rente à un veuf et celles d’octroi d’une rente à une veuve.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 68/23 – 22/2024 – consultable ici)

Par jugement du 07.03.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1 [résumé]
Le droit au respect de la vie privée et familiale est garanti par l’art. 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), ainsi que le principe de non-discrimination énoncé à l’article 14 CEDH.

Consid. 3.1.2
La Confédération et les cantons respectent le droit international (art. 5 al. 4 Cst.). Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international (art. 190 Cst.). Aucune de ces deux dispositions n’instaure de rang hiérarchique entre les normes de droit international et celles de droit interne. Selon la jurisprudence, en cas de conflit, les normes du droit international qui lient la Suisse priment celles du droit interne qui lui sont contraires. Il faut présumer que le législateur fédéral a entendu respecter les dispositions des traités internationaux régulièrement conclus, à moins qu’il ait en pleine connaissance de cause décidé d’édicter une règle interne contraire au droit international. En cas de doute, le droit interne doit s’interpréter conformément au droit international (ATF 147 IV 182 consid. 2.1; 146 V 87 consid. 8.2.2 et les arrêts cités; cf. aussi art. 27, première phrase, de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]).

Consid. 3.1.3 [résumé]
En droit suisse de l’assurance-accidents, lorsque l’assuré décède des suites de l’accident, le conjoint survivant et les enfants ont droit à des rentes de survivant (art. 28 LAA). Le conjoint survivant a droit à une rente lorsque, au décès de son conjoint, il a des enfants ayant droit à une rente ou vit en ménage commun avec d’autres enfants auxquels ce décès donne droit à une rente ou lorsqu’il est invalide aux deux tiers au moins ou le devient dans les deux ans qui suivent le décès du conjoint (art. 29 al. 3, première phrase, LAA). La veuve a en outre droit à une rente lorsque, au décès du mari, elle a des enfants qui n’ont plus droit à une rente ou si elle a accompli sa 45e année; elle a droit à une indemnité en capital lorsqu’elle ne remplit pas les conditions d’octroi d’une rente (art. 29 al. 3, seconde phrase, LAA).

Concernant les rentes d’orphelin, elles sont accordées aux enfants de l’assuré décédé jusqu’à leurs 18 ans, ou jusqu’à 25 ans s’ils poursuivent une formation. Le droit à la rente débute le mois suivant le décès de l’assuré ou du parent survivant.

Consid. 3.1.4
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), toute prestation pécuniaire a généralement certaines incidences sur la gestion de la vie familiale de celui ou celle qui la perçoit, sans que cela suffise à la faire tomber sous l’empire de l’art. 8 CEDH. Dans le cas contraire, en effet, l’ensemble des allocations sociales tomberaient sous l’empire de cette disposition, ce qui serait excessif (arrêt Beeler contre Suisse du 11 octobre 2022, § 67). Pour que l’art. 14 CEDH entre en jeu en matière de prestations sociales, la matière sur laquelle porte le désavantage allégué doit compter parmi les modalités d’exercice du droit au respect de la vie familiale tel que garanti par l’art. 8 CEDH, en ce sens que les mesures visent à favoriser la vie familiale et qu’elles ont nécessairement une incidence sur l’organisation de celle-ci. Un éventail d’éléments sont pertinents pour déterminer la nature de l’allocation en question et il convient de les examiner dans leur ensemble. Figurent parmi ces éléments, notamment: le but de l’allocation tel que déterminé à la lumière de la législation concernée; les conditions de l’octroi, du calcul et de l’extinction de l’allocation prévues par les dispositions légales; les effets sur l’organisation de la vie familiale tels qu’envisagés par la législation; les incidences réelles de l’allocation, compte tenu du cas individuel du requérant et de sa vie familiale pendant toute la période de versement de l’allocation (ibidem, § 72).

Dans son arrêt Beeler contre Suisse précité, la CourEDH a constaté une violation de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH, du fait d’une inégalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de rentes de survivants de l’assurance-vieillesse et survivants suisse (ibidem, § 98 à 116).

Consid. 3.2 [résumé]
En l’espèce, les juges cantonaux ont retenu qu’il n’était pas contesté que le régime des prestations de survivants de l’assurance-accidents contenait une inégalité entre les hommes et les femmes contraire à la Constitution, dans la mesure où il ne prévoyait pas les mêmes prestations pour les uns et pour les autres. Les juges ont reconnu que cette inégalité était contraire à la Constitution, mais ont examiné le cas spécifique à la lumière de la jurisprudence de la CourEDH.

Dans l’affaire Beeler contre Suisse, la rente de veuf avait été octroyée alors que les enfants étaient mineurs et cette prestation avait eu pour but d’alléger la situation du conjoint survivant et l’impact sur l’organisation de la vie familiale, en offrant au veuf une marge de manoeuvre plus étendue pour l’organisation de la vie familiale. Dans le cas d’espèce, le veuf était âgé de 56 ans et ses fils étaient majeurs au moment du décès de son épouse. Les juges cantonaux ont estimé que l’octroi d’une rente de veuf n’aurait pas d’influence sur l’organisation de la vie familiale, mais servirait uniquement à compenser la perte de soutien engendrée par le décès de sa conjointe. Les juges ont conclu que cet aspect n’étant pas couvert par l’art. 8 CEDH, l’assuré ne pouvait pas invoquer une violation de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH. En conséquence, le tribunal cantonal, lié par l’art. 190 Cst., ne pouvait pas déroger à l’art. 29 LAA.

Consid. 3.4.1
En assurance-accidents, la rente de veuf vise à compenser la perte de soutien résultant du décès du conjoint (FF 1976 III 143, p. 197). Selon l’art. 29 al. 3 LAA, le conjoint survivant peut notamment prétendre à une rente lorsqu’au moment du décès de son conjoint, il a des enfants ayant droit à une rente d’orphelin ou vit en ménage commun avec d’autres enfants ayant droit à une rente d’orphelin. Comme la rente de veuf en LAVS (cf. arrêt Beeler, § 73 à 77), la rente de veuf en assurance-accidents vise donc à tout le moins en partie à favoriser la vie familiale du conjoint survivant, en lui permettant de s’occuper des enfants sans avoir à affronter des difficultés financières qui le contraindraient à exercer une activité professionnelle.

Consid. 3.4.2
Reste à déterminer, conformément à la jurisprudence Beeler, si en l’espèce, l’octroi d’une rente de veuf à l’assuré aurait nécessairement une incidence sur l’organisation de la vie familiale. À cet égard, il convient d’examiner la situation au moment où l’assuré pourrait prétendre à une rente, à savoir au décès de son épouse en décembre 2021, et non pas au moment de l’accident en 2014.

À la différence de l’affaire Beeler, au moment du décès de l’épouse de l’assuré, les deux enfants du couple étaient majeurs. Dès lors, comme retenu à juste titre par la cour cantonale, la perception d’une rente de veuf ne pourrait en aucun cas permettre à l’assuré de se consacrer à ses enfants, qui sont réputés autonomes quand bien même le cadet vit encore avec son père. L’assuré ne se trouve pas dans une situation dans laquelle il devrait renoncer à une activité professionnelle, ou plus généralement orienter ses choix professionnels, en raison d’enfants dont il a la garde. En d’autres termes, la rente de veuf ne peut pas viser à compenser une perte de gain due à la nécessité de s’occuper de ses enfants en raison de la disparition de son épouse. Les conditions de vie, la situation financière et l’organisation de la famille avant et après l’accident ne sont pas déterminantes.

Même dans l’hypothèse où l’assuré aurait dû renoncer à travailler en 2014 après l’accident pour s’occuper des enfants, force est de constater qu’au moment du décès de son épouse en décembre 2021, l’octroi d’une rente de veuf ne peut pas avoir pour but de lui permettre de s’occuper de ses enfants devenus majeurs. La reprise ou non d’une activité lucrative par l’assuré ensuite de ce décès n’a aucune incidence sur la prise en charge des enfants, quelle que soit la situation financière de la famille. En outre, le seul fait que l’assuré ait des difficultés à réintégrer le marché du travail n’est pas pertinent, cette problématique n’étant pas couverte par le droit au respect de la vie familiale garanti par l’art. 8 CEDH. Une éventuelle perte de gain en raison de son invalidité – au demeurant étrangère au décès de son épouse – n’est pas non plus déterminante eu égard au champ de protection de cette disposition.

L’assuré soutient encore qu’en l’absence d’une rente de veuf, son fils cadet devrait renoncer à sa formation, ce qui relèverait de l’organisation de la vie familiale. Or le fils en question a entamé sa formation en août 2022, avant le dépôt de la demande de rentes de survivants le 22.10.2022, et rien n’indique qu’il y a mis un terme. On ne voit donc pas que l’accomplissement de cette formation puisse dépendre nécessairement de l’octroi d’une rente de veuf à l’assuré. Au demeurant, la possibilité d’effectuer une formation plutôt qu’assumer un emploi rémunéré n’est pas couverte par l’art. 8 CEDH. En droit suisse, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser que la formation suivant l’enseignement de base n’était pas protégée par un droit constitutionnel, un tel droit existant uniquement en ce qui concerne l’enseignement de base (cf. art. 19 Cst.) (ATF 146 II 56 consid. 7.1 et les arrêts cités).

Consid. 3.4.3
Au vu de ce qui précède, les juges cantonaux ont considéré à bon droit que la situation de l’assuré ne tombait pas sous l’empire de l’art. 8 CEDH et qu’il ne pouvait pas être dérogé à l’art. 29 al. 3 LAA compte tenu de l’art. 190 Cst.

 

Le TF rejette le recours du veuf.

 

Arrêt 8C_267/2024 consultable ici

 

Expertises AI : permettre le réexamen des dossiers en cas de graves insuffisances

Expertises AI : permettre le réexamen des dossiers en cas de graves insuffisances

 

Communiqué de presse du Parlement du 17.01.2025 consultable ici

 

Les décisions concernant l’octroi de prestations AI doivent se baser sur des expertises médicales de qualité irréprochable. Il en va de la confiance dans l’assurance-invalidité. La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) a analysé les récentes révélations au sujet des expertises douteuses réalisées par PMEDA SA. Elle exhorte les acteurs concernés à redoubler d’efforts pour garantir que de telles situations ne se reproduisent plus et a déposé une motion visant à permettre le réexamen des dossiers reposant sur des expertises dont la qualité aurait été remise en question par la COQEM.

En présence de représentants de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), de la Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM), ainsi que du Professeur Thomas Gächter de l’Université de Zurich, la commission s’est penchée sur la question des graves insuffisances décelées dans les expertises médicales effectuées pour déterminer le droit à des prestations de l’AI.

La commission estime que les mesures introduites dans le cadre de la révision «Développement continu de l’AI» permettent actuellement de garantir la qualité des expertises et des diagnostics. Des lacunes et des problèmes subsistent cependant encore en ce qui concerne les expertises réalisées avant l’entrée en vigueur de cette révision. Cette situation a été récemment mise en lumière de manière flagrante par les révélations liées aux expertises douteuses réalisées par l’entreprise PMEDA SA. La commission estime que ces révélations sont choquantes. La décision d’octroi ou non d’une prestation AI a en effet de grandes répercussions sur la vie des personnes concernées.

Par 14 voix contre 7 et 4 abstentions, la commission a déposé une motion (25.3006) visant à adapter les bases juridiques pour permettre aux personnes assurées de déposer une demande de révision lorsque leur dossier a été jugé sur la base d’une expertise médicale réalisée par un centre d’expertises ou des médecins avec lesquels la collaboration a été suspendue à la suite d’une recommandation de la COQEM. En cas de réexamen, les offices AI devraient contrôler la capacité de travail, déterminer le début d’une éventuelle incapacité de travail, accorder des mesures d’ordre professionnel et octroyer avec effet rétroactif une éventuelle rente.

 

 

Commentaire personnel

La motion déposée par la commission constitue un pas dans la bonne direction, mais elle pourrait être améliorée pour garantir une justice plus équitable et transparente dans le domaine des assurances sociales ; les parlementaires auraient pu faire preuve d’une ambition plus marquée.

Il serait judicieux d’étendre la portée de cette motion au-delà des offices AI pour englober tous les assureurs sociaux. Les problématiques liées aux expertises médicales ne se limitent pas à l’AI et une approche uniforme pour tous les assureurs sociaux renforcerait la cohérence et l’équité du système.

Par ailleurs, il serait pertinent de confier la responsabilité d’initier la révision à l’assureur social ayant mandaté un centre d’expertise ou un médecin dont la collaboration a été suspendue à la suite d’une recommandation de la COQEM. Cette approche pourrait être un prolongement du principe d’instruction d’office prévu à l’art. 43 LPGA, en imposant aux assureurs une obligation proactive de réexamen, et renforcerait la protection des droits des assurés, qui sont souvent la partie vulnérable dans ces procédures. En effet, les assurés ne sont pas toujours informés des décisions de la COQEM et peuvent se trouver démunis face à la complexité des démarches administratives nécessaires pour faire valoir leurs droits.

Cette proposition vise à établir un équilibre plus juste entre les responsabilités des assureurs sociaux et les droits des assurés, tout en garantissant une révision systématique et équitable des dossiers potentiellement problématiques. Elle permettrait également de restaurer la confiance dans le système des assurances sociales, élément central pour son bon fonctionnement et son acceptation par la société.

Cette motion constitue donc moins un aboutissement qu’une étape importante, invitant à poursuivre avec détermination le travail de modernisation et d’humanisation de notre système de sécurité sociale. Il est essentiel de maintenir cet élan réformateur pour assurer une protection sociale à la hauteur des défis contemporains.

 

Communiqué de presse du Parlement du 17.01.2025 consultable ici

 

Perizie AI : consentire il riesame dei dossier in caso di gravi lacune, comunicato stampa del Parlamento del 17.01.2025 disponibile qui

IV-Gutachten: Bei gravierenden Mängeln Neubeurteilung der Dossiers ermöglichen, Medienmitteilung des Parlaments vom 17.01.2025 hier abrufbar

 

4A_417/2023 (f) du 01.10.2024 – IJ maladie LCA – Personne assurée licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé) – Preuve du dommage / 8 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_417/2023 (f) du 01.10.2024

 

Consultable ici

 

IJ maladie LCA – Personne assurée licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé) – Preuve du dommage / 8 CC

Indemnités journalières calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage et non sur l’ancien salaire

Le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie

Indemnité de départ, prévue contractuellement, couvre la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports – Indemnité de départ prise en considération par la caisse de chômage et non par l’assurance perte de gain maladie

 

Assuré engagé le 01.06.2008 par la société C.__ SA. Son contrat de travail prévoyait qu’en cas de licenciement, l’employeuse verserait une indemnité unique correspondant à six mois de salaire de base.

L’employeuse a souscrit une assurance perte de gain collective auprès d’une compagnie d’assurances, effective dès le 01.01.2020. Cette assurance couvrait 90% du salaire assuré pendant 730 jours, après un délai d’attente de 60 jours, en cas d’incapacité de travail due à une maladie. Les CGA prévoient notamment qu’est réputée incapacité de travail toute perte de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une maladie.

Par courrier du 22.01.2021, l’employeuse a licencié l’assuré pour le 31.07.2021 et l’a libéré de son obligation de travailler.

En août 2021, l’employeuse a transmis à l’assureur une déclaration de maladie indiquant que l’assuré se trouvait en incapacité totale de travail depuis le 21.06.2021.

Le 07.09.2021, l’assureur a informé l’assuré qu’il le considérait apte à reprendre son activité chez un autre employeur et a clos le dossier. L’assuré a contesté cette décision. Il s’est inscrit au chômage le 07.11.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/494/2023 – consultable ici)

Par arrêt du 26.06.2023, la cour cantonale a partiellement admis la demande, condamnant l’assureur à verser CHF 191’576.25 plus intérêts à l’assuré pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. Se basant sur une expertise judiciaire, la cour a établi que l’assuré était en incapacité de travail totale jusqu’au 30.11.2021, puis à 50% du 01.12.2021 au 31.01.2022. La cour a retenu que l’assuré avait perçu son salaire jusqu’au 31.07.2021 et qu’il était toujours sous contrat de travail pendant la période litigieuse, durant laquelle il a subi une perte de gain due à son incapacité de travail. Les indemnités journalières ont été calculées sur la base de 90% de l’ancien salaire de l’assuré, soit CHF 565’287.85.

 

TF

Consid. 3
En l’espèce, il est établi et non contesté que l’employé a été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et libéré de l’obligation de travailler jusqu’à cette échéance; il a perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire.

Il s’est trouvé en incapacité totale de travailler dès le 21.06.2021. Selon l’expertise, cette incapacité s’est prolongée jusqu’au 31.01.2022, d’abord à 100% puis à 50%. Compte tenu du délai d’attente de 60 jours prévu par la police d’assurance, le droit aux prestations de l’assurance perte de gain ne pouvait débuter que le 20.08.2021, point de départ qui n’est pas contesté.

La cour cantonale a admis l’incapacité de travailler sur la base de l’expertise et, partant, la perte de gain de l’employé. Elle l’a calculée en se fondant sur un salaire annuel de CHF 565’287.85 (90% de ce montant, conformément aux CGA).

Consid. 6.1
S’agissant d’une assurance de dommages, conformément à l’art. 8 CC, la personne assurée doit établir au degré de la vraisemblance prépondérante que son incapacité de travailler pour cause de maladie lui a causé une perte de gain, c’est-à-dire un dommage. Autrement dit, elle doit établir avec vraisemblance prépondérante que si elle n’était pas malade, elle exercerait une activité lucrative. Cela implique donc de se poser, dans chaque cas d’espèce, la question suivante: le travailleur exercerait-il ou non une activité lucrative s’il n’était pas malade? Ce n’est en effet que dans l’affirmative que tant l’assurance d’indemnités journalières pour cause de maladie que l’assurance-chômage allouent des prestations.

Il ressort de la jurisprudence qu’il faut distinguer deux cas de figure, en fonction du moment auquel intervient la résiliation du contrat de travail (signification du congé) :

  • Si la personne assurée était déjà malade au moment où son contrat de travail a été résilié, après la période de protection contre les congés, il est présumé (présomption de fait) que, sans la maladie qui l’affecte, elle exercerait non seulement une activité lucrative, mais elle aurait continué à travailler pour son employeur, et donc à percevoir le même salaire pendant toute la durée de son incapacité de travail. Dans ce cas de figure, la perte de gain correspond à sa perte de salaire (ATF 147 III 73 consid. 3.2 et 3.3).
  • Si la personne assurée a été licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé), elle doit établir avec une vraisemblance prépondérante qu’elle exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade, et qu’elle aurait eu droit aux indemnités de l’assurance-chômage. Dans ce cas de figure, il ne peut pas être présumé qu’elle percevrait le même salaire que précédemment et les indemnités journalières doivent être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage (ATF 147 III 73 consid. 3.3; cf. toutefois consid. 4 non publié de cet ATF s’agissant d’un nouvel emploi concret [ » konkret bezeichnete Stelle « ], avec des indications sur le nouveau salaire possible).

Lorsqu’elle est en incapacité de travail, la personne qui exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade n’est pas apte au travail et ne peut donc pas percevoir de prestations de l’assurance-chômage. En revanche, puisqu’elle est malade, elle a droit aux prestations de l’assurance-maladie collective, calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage.

Consid. 6.2
Selon la cour cantonale, pour déterminer si l’assuré avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, il convenait de définir s’il était encore lié par son contrat de travail avec son ancienne employeuse. Il avait été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et s’était retrouvé en incapacité de travail dès le 21.06.2021. Se fondant sur les dispositions légales applicables au contrat de travail, la cour cantonale a retenu que le terme des rapports de travail était reporté au 31.01.2022 au vu de la période de protection contre les congés dont bénéficiait l’assuré (art. 336c al. 1 let. b CO; art. 336c al. 2 et 3). Ce dernier avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il n’avait reçu aucun revenu alors qu’il était encore sous contrat de travail et se trouvait en incapacité de travailler. La cour cantonale a ensuite calculé le montant des indemnités journalières sur la base de l’ancien salaire de l’assuré.

Consid. 6.3
En l’espèce, il est établi que la résiliation des rapports de travail a été communiquée par courrier du 22.01.2021, et que l’employé est tombé en incapacité de travailler le 21.06.2021, soit pendant le délai de congé. Au vu du délai d’attente de l’assurance de 60 jours, le droit aux prestations de l’assurance n’a commencé que le 20.08.2021. L’assureur ne conteste pas le report du terme des rapports de travail au 31.01.2022.

Ces faits réalisent les conditions du second cas de figure sus-exposé. Les prestations de l’assureur perte de gain doivent donc être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage. C’est ainsi à tort que la cour cantonale a tablé sur la fin des rapports de travail au 31.01.2022 pour admettre que l’employé a droit à des prestations de l’assureur perte de gain fondées sur son ancien salaire de CHF 565’287.85 pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. En effet, puisque le contrat de travail a été résilié avant que l’employé ne tombe malade, il est évident que les rapports de travail n’auraient pas été poursuivis, même sans la maladie.

Dans sa réponse, l’assuré soutient que l’arrêt 4A_424/2020 – soit l’ATF 147 III 73 – dans lequel les indemnités perte de gain litigieuses ont été calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage, concernait des prestations qui devaient être versées une fois que le travailleur ne pouvait plus prétendre à recevoir son salaire et émargeait à l’assurance-chômage. Selon l’assuré, il en allait différemment dans son cas, puisqu’il disposait d’un droit à recevoir son salaire jusqu’au 31.01.2022. L’assuré se méprend. L’ATF 147 III 73 concerne le même cas de figure que la présente affaire: les rapports de travail, débutés en 2008, ont été résiliés le 12.02.2018 pour le 31.08.2018; la personne assurée est devenue incapable de travailler dès le 27.07.2018. Les indemnités litigieuses ont été versées après le délai d’attente de 90 jours de l’assurance perte de gain dès l’incapacité de travail. Contrairement à ce qu’allègue l’assuré, elles n’ont pas été payées après que le contrat de travail ait pris fin; il omet le report du terme des rapports de travail dû à la période de protection contre les congés. Cet ATF ne lui est donc d’aucun secours.

Ainsi, il appartiendra à la cour cantonale de calculer le montant des indemnités journalières de l’assurance perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022 en se fondant sur les indemnités de chômage auxquelles l’assuré aurait pu prétendre s’il n’avait pas été malade. Il incombera également à l’autorité précédente de statuer à nouveau sur les dépens de la procédure cantonale; elle n’a à juste titre pas perçu de frais judiciaires (cf. art. 114 let. e CPC).

 

Consid. 7.1.1
Sous le grief lié à l’incapacité de travail de l’assuré, l’assureur soutient que celle-ci ne devrait pas être appréciée par rapport à l’activité qu’il exerçait précédemment pour son employeur. Selon l’assureur, l’expertise est théorique puisqu’elle apprécie l’incapacité par rapport à une situation hypothétique, soit celle d’une activité de cadre supérieur d’une entreprise multinationale, alors que l’assuré n’exerce plus cette activité depuis qu’il a été libéré de son obligation de travailler. Elle se fonde sur le ch. D2 CGA, qu’elle rapproche de l’art. 6 LPGA (poste de travail habituel), et en déduit que depuis son licenciement, avec libération de l’obligation de travailler, l’assuré a eu une activité de recherche d’emploi, qu’il s’agit de son activité habituelle et que c’est sur cette base que devait s’apprécier sa capacité de travail. Il se plaint d’arbitraire et de violation des dispositions légales et contractuelles applicables.

Cette critique est infondée. La jurisprudence n’a jamais déduit du fait que l’employé a été libéré de l’obligation de travailler que désormais, sa capacité de travail devait être appréciée en fonction de sa recherche d’un emploi.

 

Consid. 7.2
L’assureur avance encore que, puisque l’assuré a été libéré de son obligation de travailler, il n’y avait pas de lien de causalité entre son incapacité de travail et l’éventuelle perte de gain, de sorte que l’assuré n’avait pas droit aux indemnités litigieuses.

Toutefois, le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie.

 

Consid. 7.4.1
A titre complémentaire, l’assureur soutient que l’assuré n’a de toute façon pas subi de perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il avait perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire. La volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer cette indemnité comme du salaire pour cette période, ce qu’avait également retenu la caisse de chômage. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont constaté de manière arbitraire que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Ils ne pouvaient pas reporter cette indemnité sur la période postérieure au 31.01.2022.

Consid. 7.4.2
La cour cantonale a relevé que l’indemnité de départ, prévue contractuellement, couvrait à la fin des rapports de travail la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports, et non de l’incapacité de travail. Puisque le terme du délai de congé avait été reporté au 31.01.2022 en raison de l’incapacité de travail de l’assuré, l’indemnité de départ serait prise en considération par la caisse de chômage dès le 01.02.2022. Certes, il ressortait de la décision de la caisse de chômage qu’elle avait tenu compte de cette indemnité dès le mois d’août 2021; cependant, elle avait précisé que sa décision revêtait un caractère provisoire et pourrait être revue en cas de décision judiciaire tranchant différemment la question de la fin des rapports de travail. Partant, durant la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, l’assuré, qui était alors sous contrat de travail, se trouvait en incapacité de travail et n’avait pas perçu de revenu, de sorte qu’il avait subi une perte de gain.

Consid. 7.4.3
L’assureur fait valoir que dans le cadre d’un litige aux prud’hommes, la volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer l’indemnité versée comme du salaire pour la période litigieuse, de sorte qu’il n’y avait aucune perte de gain. Ce faisant, l’assureur se fonde sur des éléments non constatés, sans requérir valablement un complètement de l’état de fait à cet égard. Cela n’est pas suffisant. Par ailleurs, contrairement à ce qu’il soutient, les juges cantonaux ont basé leur appréciation sur un élément concret. En effet, le contrat de travail prévoyait lui-même le versement d’une indemnité en cas de licenciement. Ainsi, cette indemnité aurait de toute évidence été payée même sans l’incapacité de travail de l’assuré et n’était donc pas en lien avec cette dernière. Pour le surplus, lorsque l’assureur allègue que la caisse de chômage avait elle-même retenu que l’assuré n’avait subi aucun dommage pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, il ne discute pas valablement l’argumentation de la cour cantonale relative à la décision de la caisse de chômage.

En définitive, l’assureur ne parvient pas à démontrer que les juges cantonaux auraient retenu de manière arbitraire que l’indemnité de départ était destinée à couvrir une éventuelle perte de gain dès le 31.01.2022, et que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Le grief doit donc être rejeté.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assureur, annule l’arrêt cantonal et renvoie la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.

 

Arrêt 4A_417/2023 consultable ici