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8C_756/2022 (d) du 14.12.2023 – Notion de salaire inférieur à la moyenne statistique – Parallélisme des revenus à comparer / Confirmation du TF d’un revenu sans invalidité fixé sur la base de la CCT et non de l’ESS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_756/2022 (d) du 14.12.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion de salaire inférieur à la moyenne statistique – Parallélisme des revenus à comparer / 16 LPGA

Confirmation du TF d’un revenu sans invalidité fixé sur la base de la CCT et non de l’ESS

 

Assuré, né en 1964, employé depuis le 08.07.2019 en tant qu’ouvrier du bâtiment, a été victime d’un accident professionnel le 10.07.2019.

Par décision du 28.05.2021, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 10% et nié le droit à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt UV 2021/75 – consultable ici)

Par jugement du 26.10.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré dès le 01.05.2021 à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 10%.

 

TF

Consid. 4.1
L’instance cantonale a constaté que le dernier salaire perçu par l’assuré était inférieur à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés. Rien dans le dossier n’indique qu’en tant qu’ouvrier non qualifié, il aurait été moins performant que la moyenne. Le fait que l’assuré ait obtenu en dernier lieu un salaire inférieur à la moyenne est dû à des facteurs du marché réel du travail qui ne sont pas pertinentes pour l’évaluation de l’invalidité. S’il avait eu la possibilité d’accepter un emploi dont le salaire se situait dans la moyenne, il en aurait probablement profité. Le revenu sans invalidité réalisable sur le marché équilibré du travail, déterminant en l’espèce, correspondrait par conséquent à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés.

Consid. 4.2
L’assurance-accidents objecte que l’assuré a obtenu dans son activité habituelle un salaire conforme à la Convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse (CN) déclarée de force obligatoire. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un tel revenu ne doit pas être considéré comme inférieur à la moyenne, même s’il est nettement inférieur au salaire moyen dans le secteur principal de la construction, tel qu’il ressort de l’ESS.

Consid. 5.1.1
Lorsqu’il apparaît que l’assuré touchait un salaire nettement inférieur à la moyenne des salaires de la branche pour des raisons étrangères à l’invalidité (par exemple une faible formation scolaire et l’absence de formation professionnelle, des connaissances insuffisantes d’une langue nationale, ainsi que des possibilités restreintes d’embauche à cause du statut [saisonnier, etc.] de l’intéressé), et que les circonstances ne permettent pas de supposer qu’il s’est contenté d’un salaire plus modeste que celui auquel il aurait pu prétendre, il y a lieu d’en tenir compte dans la comparaison des revenus au sens de l’art. 16 LPGA. C’est la seule manière de respecter le principe selon lequel les pertes de salaire dues à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doivent pas être prises en compte du tout ou doivent l’être de manière égale pour les deux revenus comparés (ATF 141 V 1 consid. 5.4 et les références). Dans la pratique, le parallélisme des revenus à comparer peut être effectué soit au regard du revenu sans invalidité en augmentant de manière appropriée le revenu effectivement réalisé ou en se référant aux données statistiques, soit au regard du revenu d’invalide en réduisant de manière appropriée la valeur statistique (ATF 148 V 174 consid. 6.4 avec renvois).

Consid. 5.1.2
Le revenu sans invalidité ne peut toutefois pas être considéré comme inférieur à la moyenne s’il correspond au salaire minimum prévu par une convention collective de travail (CCT) déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral dans la branche professionnelle concernée, car les salaires usuels de la branche y sont représentés de manière plus précise que dans l’ESS. Un parallélisme des revenus à comparer n’entre donc pas en ligne de compte dans un tel cas (arrêt 8C_502/2022 du 17 avril 2023 consid. 5.2.1 et les références).

Consid. 5.2
Selon l’assurance-accidents, en tant qu’ouvrier du bâtiment auprès d’une entreprise soumise à la CN du secteur principal de la construction, l’assuré a perçu en 2019 un salaire horaire de 25.90 francs (hors indemnités de vacances et de jours fériés et 13e salaire). Ce revenu correspondait à la classe de salaire C de la CN à partir du 01.07.2019. Dans sa feuille de calcul, qui lui a servi de base de décision, l’assurance-accidents a estimé que l’assuré aurait percevoir un revenu de CHF 60’289 en 2021 (CHF 26.35/h x 176h/mois x 13). Pour ce faire, elle s’est basée sur le salaire horaire fixé par la CN pour la classe de salaire C (dès le 01.01.2020), déterminant en l’occurrence pour l’examen du caractère inférieur à la moyenne. Ce revenu (hypothétique) correspond donc aux prescriptions minimales de la CN du secteur principal de la construction, raison pour laquelle, conformément à la jurisprudence, il ne peut en principe pas être considéré comme inférieur à la moyenne, même s’il est inférieur au revenu statistique de l’ESS (tableau TA1_tirage_skill_level, 2018, niveau de compétence 1, hommes) dans le secteur de la construction (ch. 41-43). En particulier, en raison de la très courte durée des rapports de travail et de l’absence d’expérience professionnelle dans le secteur de la construction dans notre pays, il n’y a pas lieu non plus d’approfondir ici la question soulevée dans l’arrêt 8C_759/2017 du 8 mai 2018 (consid. 3.2.2 in fine). Il faut donc renoncer à une parallélisation des revenus à comparer. De même, contrairement à l’instance cantonale, il n’y a pas lieu de s’écarter du principe selon lequel il faut se référer au dernier salaire réalisé pour calculer le revenu sans invalidité (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1).

En se basant sur la valeur centrale des salaires des ouvriers non qualifiés pour déterminer le revenu sans invalidité, le tribunal cantonal a, au vu de ce qui précède, violé le droit fédéral. En suivant l’assurance-accidents, il faut retenir un revenu de CHF 60’289.

Consid. 5.3
Il est établi que l’assuré pourrait exercer une activité adaptée à son état de santé sans perte de rendement. L’instance cantonale, en procédant à une « comparaison en pourcentage », n’a pas déterminé de revenu d’invalide concret, mais s’est contentée d’exposer que celui-ci correspondait à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés. Selon les bases de calcul de l’assurance-accidents, le revenu d’invalide se monte à CHF 62’527 (y compris l’abattement de 10% sur le salaire statistique), ce qui ne donne lieu à aucun autre commentaire. Par conséquent, la comparaison entre le revenu sans invalidité de CHF 60’289 et le revenu d’invalide de CHF 62’527 ne laisse subsister aucune incapacité de gain.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_756/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_756/2022 (d) du 14.12.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/02/8c_756-2022)

 

 

9C_434/2023 (f) du 30.11.2023 – Revenu sans invalidité – Possibilités théoriques de développement professionnel – Maxime inquisitoire / Moment déterminant pour la comparaison des revenus

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_434/2023 (f) du 30.11.2023

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité – Possibilités théoriques de développement professionnel – Maxime inquisitoire / 16 LPGA – 61 let. c LPGA

Moment déterminant pour la comparaison des revenus en cas de dépôt tardif de la demande AI / 29 al. 1 LAI

 

Assuré, né en 1983, titulaire d’un CFC de vendeur spécialisé en photographie, a travaillé en dernier lieu comme « Customer support » à plein temps (du 01.01.2017 au 31.03.2019). En arrêt de travail depuis le 24.09.2018, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 01.11.2019.

Entre autres mesures, l’office AI a recueilli des informations sur la situation professionnelle de l’assuré auprès de l’employeur, puis versé à son dossier celui de l’assurance perte de gain maladie. Il a ensuite mis en œuvre une expertise psychiatrique (rapport du 23.04.2021, complété le 06.07.2021). L’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente de l’assurance-invalidité dès le 01.05.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 215/22 – 158/2023 – consultable ici)

Par jugement du 06.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
D’après l’art. 61 let. c seconde phrase LPGA, la maxime inquisitoire est applicable à la procédure judiciaire cantonale. En vertu de ce principe, il appartient au juge d’établir d’office l’ensemble des faits déterminants pour la solution du litige et d’administrer, le cas échéant, les preuves nécessaires. En principe, les parties ne supportent ni le fardeau de l’allégation ni celui de l’administration des preuves. Cette maxime doit cependant être relativisée par son corollaire, soit le devoir de collaborer des parties (art. 61 let. c première phrase LPGA), lequel comprend l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela est raisonnablement exigible, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués. Si le principe inquisitoire dispense les parties de l’obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve. Dès lors, en cas d’absence de preuve, c’est à la partie qui voulait en déduire un droit d’en supporter les conséquences, sauf si l’impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s’applique toutefois que s’il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d’établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 144 V 427 consid. 3.2; 139 V 176 consid. 5.2).

 

Consid. 3
Pour déterminer le revenu sans invalidité, nécessaire à l’évaluation du taux d’invalidité conformément à l’art. 16 LPGA, il faut établir ce que la personne assurée aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2), réellement pu obtenir au moment déterminant si elle n’était pas devenue invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par la personne assurée avant l’atteinte à la santé, en tenant compte de l’évolution des salaires jusqu’au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 144 I 103 consid. 5.3; 139 V 28 consid. 3.3.2). Le salaire réalisé en dernier lieu comprend tous les revenus d’une activité lucrative (y compris les gains accessoires, la rémunération des heures supplémentaires effectuées de manière régulière) soumis aux cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants (AVS; arrêt 9C_611/2021 du 21 novembre 2022 consid. 4.1 et la référence). A cet effet, on se fondera en principe sur les renseignements fournis par l’employeur. Il est toutefois possible de s’écarter du dernier salaire que la personne assurée a obtenu avant l’atteinte à la santé quand on ne peut pas l’évaluer sûrement. Ainsi, lorsque le revenu avant l’atteinte à la santé a été soumis à des fluctuations importantes à relativement court terme, il y a lieu de se baser sur le revenu moyen réalisé pendant une période assez longue (arrêt 8C_157/2023 du 10 août 2023 consid. 3.2 et les références).

Les possibilités théoriques de développement professionnel (lié en particulier à un complément de formation) ou d’avancement ne sont pas prises en considération, à moins que des indices concrets rendent très vraisemblables qu’elles se seraient réalisées. Cela pourra être le cas lorsque l’employeur a laissé entrevoir une telle perspective d’avancement ou a donné des assurances en ce sens. En revanche, de simples déclarations d’intention de la personne assurée ne suffisent pas. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (arrêt 9C_271/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3.3.2 et la référence).

 

Consid. 4.1
Pour fixer le revenu sans invalidité, la cour cantonale s’est référée au salaire que l’assuré avait effectivement perçu en 2018, soit au montant de 64’400 fr. Elle a indexé ce revenu pour l’année 2019, en tenant compte de l’évolution des salaires nominaux, des prix à la consommation et des salaires réels, et obtenu un montant de 64’979 fr. 60. Par ailleurs, elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu de se fonder sur le montant de 75’000 fr. mentionné dans le rapport d’employeur pour l’année 2020. En effet, la brièveté des rapports de travail – un peu moins de vingt-et-un mois au moment de la survenance de l’incapacité de travail – ne permettait pas de préjuger, en l’absence d’autres indices concrets, d’une évolution salariale positive d’une ampleur comparable à celle invoquée. La comparaison du revenu sans invalidité de 64’979 fr. 60 avec un revenu avec invalidité de 34’188 fr. 29 aboutissait à un degré d’invalidité de 47 % (47,38 %). L’assuré avait dès lors droit à un quart de rente de l’assurance-invalidité dès le 01.05.2020, soit six mois après le dépôt de sa demande de prestations.

Consid. 4.2
Invoquant une appréciation arbitraire des preuves, l’assuré reproche à la juridiction cantonale de s’être écartée du revenu sans invalidité de 75’000 fr. indiqué par son employeur pour l’année 2020. Outre que sa situation n’était pas comparable à celle examinée dans l’arrêt 9C_221/2014 précité, il fait valoir qu’il était au bénéfice d’un contrat de travail de durée indéterminée et que son revenu avait régulièrement augmenté, passant notamment de 49’910 fr. en 2017 à 64’400 fr. en 2018.

Consid. 5.1
En l’occurrence, comme le relève l’assuré, la comparaison des revenus avec et sans invalidité s’effectue au moment déterminant de la naissance du droit à une éventuelle rente de l’assurance-invalidité (art. 29 al. 1 et 3 LAI; ATF 129 V 222 consid. 4.1; arrêt 8C_350/2022 du 9 novembre 2022 consid. 6). Dans la mesure où l’assuré a déposé sa demande de prestations le 01.11.2019, soit plus de six mois après la survenance de son incapacité de travail (le 24.09.2018), la comparaison des revenus devait s’effectuer six mois plus tard (art. 29 al. 1 LAI), pour l’année 2020 (01.05.2020). Dès lors, en procédant à la comparaison des revenus avec et sans invalidité de l’assuré avec les salaires de l’année 2019 (24.09.2019), la juridiction cantonale a violé le droit fédéral.

Consid. 5.2
Ensuite, s’agissant du revenu sans invalidité, la juridiction cantonale a versé dans l’arbitraire en écartant d’emblée les indications fournies par l’employeur dans le questionnaire du 20.01.2020 au motif qu’il ne pouvait « préjuger », en l’absence d’autres indices concrets, une « évolution salariale positive d’une ampleur comparable à celle invoquée », vu la brièveté des rapports de travail. Etant donné que les juges cantonaux avaient des doutes sur l’évolution salariale en fonction des données fournies par l’employeur (un revenu annuel brut de 75’000 fr. en 2020, soit une augmentation de 10’600 fr. par rapport à l’année 2018 [64’400 fr.]), ils étaient tenus en vertu de la maxime inquisitoire de procéder à l’administration des preuves nécessaires par documents, renseignements des parties ou encore renseignements ou témoignages de tiers pour établir de la manière la plus concrète possible le revenu sans invalidité que l’assuré aurait perçu durant l’année 2020. A cet égard, sans connaître les motifs pour lesquels l’employeur a indiqué que l’assuré aurait perçu un revenu annuel (brut) de 75’000 fr. en 2020, on ne saurait suivre la juridiction cantonale lorsqu’elle se réfère à l’arrêt 9C_221/2014 du 28 août 2014. Dans cette cause, qui concernait un employé travaillant dans le cadre d’une mission temporaire, le Tribunal fédéral a retenu qu’il n’existait aucun indice concret mettant en évidence l’intention de la personne assurée d’entreprendre une nouvelle formation professionnelle conduisant à une activité plus rémunératrice avant la survenance de son atteinte à la santé. A l’inverse, faute pour la juridiction cantonale d’avoir instruit ce point, on ignore dans la présente cause si l’employeur s’est fondé – comme semble le supposer la juridiction cantonale – sur un changement (hypothétique) d’activité ou du cahier des charges. En l’état, la référence à l’arrêt 9C_221/2014 est erronée. Dès lors, en s’abstenant de mettre en œuvre les mesures d’instruction nécessaires pour trancher l’étendue du droit de l’assuré à une rente de l’assurance-invalidité (quart ou demi-rente d’invalidité), la juridiction cantonale a violé le droit fédéral matériel (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 et la référence).

Consid. 5.3
Finalement, c’est en vain que l’assuré demande à ce que le Tribunal fédéral statue sur la base des données fournies par son employeur, puisque celles-ci doivent être complétées (supra consid. 5.2).

Consid. 6
Cela étant, faute pour l’arrêt entrepris de reposer sur des constatations de fait suffisantes, le Tribunal fédéral n’est pas en mesure de se prononcer sur le fond. L’arrêt attaqué doit par conséquent être annulé et la cause renvoyée à l’autorité précédente pour qu’elle procède à l’administration des preuves nécessaires pour établir de la manière la plus concrète possible le revenu sans invalidité que l’assuré aurait perçu en 2020. Il appartiendra ensuite à la juridiction cantonale de statuer à nouveau sur l’étendue du droit de l’assuré à une rente de l’assurance-invalidité dès le 01.05.2020.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_434/2023 consultable ici

 

8C_46/2023 (f) du 26.10.2023 – Evaluation du taux d’invalidité pour un employé avec un salaire fixe et un bonus variable (dépendant du résultat de l’exercice annuel de la société) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_46/2023 (f) du 26.10.2023

 

Consultable ici

 

Evaluation du taux d’invalidité pour un employé avec un salaire fixe et un bonus variable (dépendant du résultat de l’exercice annuel de la société) / 16 LPGA

Nécessité d’un lien de causalité entre la perte de gain et l’atteinte à la santé

Conséquences de l’absence de preuve

 

Assuré, comptable depuis octobre 1983 au service de la fiduciaire B.__ SA, dont il est directeur et, depuis janvier 2015, administrateur avec droit de signature individuelle, après avoir été administrateur-secrétaire de 1998 à 2000 et administrateur-président de janvier 2010 à janvier 2015. Il est également administrateur-président de la société C.__ SA depuis décembre 2001, avec droit de signature individuelle. Ladite société est détenue par B.__ SA et sise à la même adresse que cette dernière.

Le 12.03.2015, l’assuré a été percuté par une camionnette, alors qu’il circulait à vélo. L’accident lui a causé un polytraumatisme impliquant de nombreuses fractures et notamment un traumatisme crânio-cérébral ainsi que des atteintes neurologiques. Generali a pris en charge le cas.

L’assuré, en incapacité totale de travail depuis l’accident, a pu reprendre son activité à 50% dès le 01.07.2015. Il a ensuite progressivement augmenté son taux d’activité, à 60% dès le 01.04.2016, puis à 75% dès le 01.07.2016 et à 100% dès le 01.01.2017, avant de connaître une nouvelle incapacité de travail de 10% dès le 01.03.2017, la tentative de reprise à plein temps s’étant soldée par un échec, en raison d’un état de fatigue accru.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a considéré que l’état de santé de l’assuré était stabilisé et a mis fin au versement de l’indemnité journalière et à la prise en charge du traitement médical avec effet au 31.08.2019. Elle a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, mais lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité, fondée sur un taux de 32.5%, compte tenu des atteintes orthopédiques et neurologiques.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 108/20-154/2022 – consultable ici)

Par jugement du 14.12.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition dans le sens de la reconnaissance du droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 37.5%.

 

TF

Consid. 3.2
Chez les assurés exerçant une activité lucrative, le taux d’invalidité doit être évalué sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1). Dans certaines circonstances, il est possible de fixer la perte de gain d’un assuré directement sur la base de son incapacité de travail en faisant une comparaison en pour-cent (arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 consid. 2.2). Cette méthode constitue une variante admissible de la comparaison des revenus basée sur des données statistiques: le revenu hypothétique réalisable sans invalidité équivaut alors à 100%, tandis que le revenu d’invalide est estimé à un pourcentage plus bas, la différence en pour-cent entre les deux valeurs exprimant le taux d’invalidité (arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 consid. 6.2.2 et les arrêts cités). L’application de cette méthode se justifie notamment lorsque les salaires avant et/ou après invalidité ne peuvent pas être déterminés ou lorsque l’activité exercée précédemment est encore possible (en raison par exemple du contrat de travail qui n’a pas été résilié) (arrêt 9C_237/2016 précité consid. 2.2; MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, LPGA, 2018, n° 44 s. ad art. 16 LPGA).

Consid. 3.3
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 4.1
La cour cantonale a retenu que l’assuré présentait une diminution de rendement de 10% due aux séquelles de l’accident du 12.03.2015. Dans la mesure où il avait repris le travail en juillet 2015 en qualité de comptable et directeur de B.__ SA, et qu’il s’agissait-là d’une activité stable dont on pouvait admettre qu’elle mettait pleinement en valeur sa capacité résiduelle de travail et de gain, l’invalidité devait être calculée en fonction de sa situation professionnelle concrète.

Consid. 4.2
Sur le plan économique, les juges cantonaux ont constaté que l’assuré était rémunéré d’une double manière, à savoir par un salaire fixe et par un bonus variable, résultant de la répartition entre les associés d’une enveloppe de direction déterminée chaque printemps en fonction du résultat de l’exercice annuel précédent.

En ce qui concernait la rémunération fixe, la cour cantonale a retenu que, depuis le 01.09.2019, l’assuré avait perçu un salaire fixe inférieur de 10% au salaire qui aurait été le sien sans invalidité. S’agissant de la rémunération variable (bonus), l’éventuel préjudice économique subi par l’assuré ne pouvait pas être évalué en valeurs absolues. Une comparaison en francs des bonus avec et sans atteinte à la santé n’était pas représentative, puisque le montant versé à l’assuré était tributaire de la valeur de l’enveloppe à répartir, autrement dit du résultat réalisé par l’entreprise. Il n’était dès lors pas possible de distinguer une éventuelle influence des limitations fonctionnelles de l’assuré sur le montant perçu d’une simple variation du bénéfice de la société due à d’autres facteurs. Ce constat s’illustrait notamment s’agissant du bonus alloué à l’assuré pour les années 2016 et 2018, qui avait été respectivement de 93’072 fr. 93 et de 60’075 fr.40, alors que la clé de répartition de l’enveloppe était identique avec 66,66% en faveur de l’assuré contre 33,33% en faveur de D.__. Une comparaison du bonus s’imposait mais elle devait s’opérer sur des valeurs relatives, à savoir sur les proportions de la clé de répartition de l’enveloppe de direction. Or les documents produits par l’assuré en réponse à une mesure d’instruction du 26.08.2022 ne permettaient pas de vérifier les allégations de celui-ci, selon lesquelles la proportion en sa faveur était passée de 66,66% à 60%. En effet, le ratio de deux tiers pour lui et un tiers pour D.__ n’avait été appliqué que depuis 2016, soit précisément l’année qui avait suivi l’accident. Le bonus alloué à l’assuré pour 2013, première année de partage de l’enveloppe de direction avec D.__, représentait 70% de l’enveloppe. En 2014, année précédant l’accident, sa part avait chuté à 37% contre 63% pour D.__, étant précisé que selon une attestation du 07.09.2022 de cette dernière, le bonus décidé début 2015 pour l’année 2014 tenait également compte de l’absence très fréquente de l’assuré en 2014 en raison d’un important conflit familial. En 2015, la part de l’assuré au bonus s’était à nouveau limitée à 34%. Ces chiffres étaient bien loin d’une clé de répartition linéaire et durable de 66,66% en faveur de l’assuré et de 33,33% en faveur de D.__. Au final, la clé de répartition du bonus entre les intéressés avait constamment varié au fil des années, sans que l’assuré parvienne à démontrer que ces variations seraient attribuables aux séquelles de son accident et à sa capacité résiduelle de travail. Alors que l’assuré annonçait une diminution de sa part de 66,66% à 60% dès 2019 pour tenir compte de son incapacité de travail de 10%, sa part s’était ensuite encore réduite à 55% en 2020, puis à 50% en 2021, alors que son incapacité de travail, inchangée, était toujours de 10%. Ainsi, la part de l’assuré au bonus avait varié de manière substantielle entre 2013 et 2021, pour passer de très faible certaines années avant l’accident (2014 et 2015), à haute alors même que l’assuré travaillait à un taux d’activité réduit en raison des séquelles de son accident (2016 à 2018). Il ne pouvait donc pas être retenu comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante que les variations de la part de l’assuré au bonus étaient en lien de causalité avec les séquelles de l’accident du 12.03.2015 et sa capacité de travail désormais réduite.

Consid. 4.3
Enfin, les explications données par B.__ SA, sous signature de l’assuré, au sujet de l’évolution de sa rémunération en fonction de son état de santé avaient varié au fil du temps, de sorte qu’elles semblaient dénuées de cohérence, voire contradictoires. En définitive, dès lors que l’assuré avait échoué à rendre vraisemblable une réduction de sa part au bonus annuel de minimum 10% qui pourrait être mise en lien de causalité avec l’accident assuré, la seule diminution de 10% de son salaire fixe ne suffisait pas à établir à satisfaction une différence de 10% au moins entre les revenus globaux sans et avec invalidité. C’était ainsi de manière fondée que l’assurance-accidents avait considéré que l’assuré ne présentait pas une invalidité au moins égale à 10% et lui avait refusé l’octroi d’une rente de l’assurance-accidents.

 

Consid. 5.1.2
Il est vrai que le bonus afférent à l’année 2015, alloué début 2016, porte sur l’année de l’accident, survenu en mars 2015. Cela ne change toutefois rien au raisonnement des juges cantonaux en tant que ceux-ci ne voient pas de corrélation entre les clés de répartition de l’enveloppe des bonus et la capacité résiduelle de travail de l’assuré due à son accident. En effet, il n’est pas contesté que la clé de répartition était moins favorable à l’assuré en 2014 (37%) que de 2016 à 2021 (de 50 à 66,66%). Quand bien même l’année 2014 fut marquée par des absences liées à un conflit familial, il n’est pas possible d’en déduire que la clé aurait été supérieure à 66,66% s’il avait été plus présent. En tant que l’assuré soutient qu’il aurait fallu se fonder sur davantage d’années, il perd de vue que l’argumentation des juges cantonaux visait à répondre à son allégation selon laquelle avant l’accident, la clé de répartition était de 66,66% en sa faveur. En outre, à la lecture du tableau produit par l’assuré en instance cantonale ce n’est qu’à partir de 2014 que le bonus (afférent à 2013) a été fixé sur la base d’une enveloppe de direction à partager avec D.__ selon une clé de répartition. Autrement dit, il n’est pas possible d’opérer un examen de la clé de répartition sur trois ou quatre années avant l’accident. En tout état de cause, le fait que les proportions ont varié entre 2019 et 2021, alors que la capacité de travail résiduelle était stabilisée, montre qu’il n’y a pas de lien direct entre celle-ci et la répartition de l’enveloppe. Dans cette mesure, les conclusions des juges cantonaux sur l’absence de rapport de causalité entre les séquelles de l’accident et les variations de la part au bonus échappent à la critique.

 

Consid. 5.3.1
L’assuré procède ensuite à son propre calcul des revenus avec et sans invalidité. Sur la base de l’extrait du compte individuel AVS et des fiches de salaire, il invoque un revenu sans invalidité de 255’509 fr. 55 (moyenne des années 2011 à 2014) et un revenu avec invalidité de 204’229 fr. 95 (moyenne des années 2015 à 2019, hors indemnités journalières). Il n’est selon lui pas compréhensible que la cour cantonale n’ait pas considéré ces chiffres et qu’elle se soit fondée sur la clé de répartition du bonus, qui ne serait pas déterminante. Il faudrait bien plus se fonder sur le bénéfice effectivement réparti.

Consid. 5.3.2
En l’occurrence, les juges cantonaux ont refusé de se fonder sur les valeurs absolues du bonus au motif que celui-ci était tributaire du résultat réalisé par l’entreprise, lequel ne permettait pas de distinguer l’influence des limitations fonctionnelles de l’assuré d’une simple variation du bénéfice due à d’autres facteurs. Cela étant, le raisonnement des juges cantonaux n’est pas incompréhensible, ni contraire au droit. La jurisprudence reconnaît d’ailleurs que les données comptables ne permettent pas de tirer des conclusions valables sur la diminution de la capacité de gain due à l’invalidité lorsque les résultats de l’exploitation ont été influencés par des facteurs étrangers à l’invalidité (cf. arrêts 8C_1/2020 du 15 octobre 2020 consid. 3.2; 9C_826/2017 du 28 mai 2018 consid. 5.2; 9C_106/2011 du 14 octobre 2011 consid. 4.3 et les références). En outre, si l’examen auquel a procédé la cour cantonale sur la base de la clé de répartition de l’enveloppe n’a pas permis d’établir une perte de gain suffisante liée à l’accident, l’argumentation de l’assuré ne le permet pas non plus. A cet égard, il ne suffit pas de se prévaloir d’une diminution des revenus effectivement perçus. Encore faut-il que la baisse éventuelle du bénéfice de la société, en fonction duquel est calculé le montant de l’enveloppe des bonus à répartir, soit imputable à l’accident de l’assuré, étant précisé que, selon un rapport de visite du 10.10.2019, B.__ SA compte plusieurs associés, dont trois travaillent dans l’entreprise, et emploie, avec la société C.__ SA, neuf collaborateurs en tout.

 

Consid. 6.2
La diminution de 10% du salaire fixe de l’assuré à compter de la fin de son droit aux indemnités journalières (pour tenir compte d’une capacité de travail de 90%), se distingue manifestement de la question du bonus. En effet, le bonus – dont il n’est pas contesté qu’il est fixé en fonction du bénéfice de la société et de la clé de répartition – ne dépend pas, à tout le moins pas directement ni uniquement, de la capacité de travail de l’assuré. Or, comme on l’a déjà dit (cf. consid. 5.3.2), pour reconnaître le droit de l’assuré à une éventuelle rente d’invalidité, il faut que la perte de gain (à déterminer selon une des méthodes reconnues par la jurisprudence) soit imputable à l’accident assuré (sur la nécessité d’un lien de causalité entre la perte de gain et l’atteinte à la santé, cf. MOSER-SZELESS, op. cit. n° 28 s. ad art. 7 LPGA). A la lecture du tableau récapitulatif des bonus produit par l’assuré en procédure cantonale, on observe que l’enveloppe à répartir est passée de 84’239 fr. 24 en 2015 (pour l’année 2014) à 98’625 fr. 47 en 2016 (pour l’année 2015). Autrement dit, l’enveloppe des bonus, qui dépend du bénéfice de la société, a augmenté l’année de l’accident par rapport à l’année précédente. Elle est même passée à 139’609 fr. 40 en 2017 (bonus afférents à l’année 2016). On ne voit toutefois pas en quoi le versement des indemnités journalières par l’assurance-accidents permettrait d’expliquer la hausse de l’enveloppe des bonus à répartir. Dans ces conditions, on ne peut que confirmer l’absence de lien de causalité entre la diminution des revenus alléguée par l’assuré et son incapacité de travail de 10%. Enfin, les faits de la présente cause se distinguent de ceux qui ont fait l’objet de l’arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 où la méthode de comparaison en pour-cent a été appliquée. En effet, la rémunération de l’assurée concernée était certes composée d’une part fixe et d’une part variable, mais cette dernière dépendait des commissions perçues par l’assurée et non du bénéfice de la société. De surcroît, il n’y a pas lieu d’appliquer la méthode en pour-cent en l’espèce car la difficulté de la cause ne consiste pas dans l’impossibilité à chiffrer les revenus sans et avec invalidité mais dans la reconnaissance d’une perte de gain (suffisante) imputable à l’accident, ce que les pièces au dossier n’ont précisément pas permis d’établir. Un renvoi de la cause apparaît par ailleurs superflu. Il s’ensuit que l’assuré devra supporter les conséquences de l’absence de preuve (cf. consid. 3.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_46/2023 consultable ici

 

8C_605/2022 (f) du 29.06.2023 – Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / Niveau de compétences 2 vs 1 / Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_605/2022 (f) du 29.06.2023

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 vs 1 – Eventuelles compétences acquises sur le plan administratif ne remplacent pas une formation commerciale ou bureautique

Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

 

Assurée est titulaire d’un CFC d’assistante en soins et santé communautaire obtenu en 2007 après avoir suivi une formation d’aide-soignante en France. Engagée le 01.11.2010 en tant qu’assistante en soins et santé communautaire. Accident de la circulation le 30.06.2015, lequel lui a notamment causé des lésions au niveau de l’épaule gauche. Après une interruption de travail suivie d’une reprise, elle a été en incapacité totale de travailler depuis le 01.02.2016.

Par décision sur opposition du 15.02.2019, l’assurance-accidents a mis fin au versement des indemnités journalières avec effet au 31.01.2019. Cette décision n’a pas été contestée.

Par décision, confirmée sur opposition le 25.06.2021, l’assurance-accidents a clôturé le cas, considérant que l’état de santé de l’assurée était stabilisé au 30.11.2019, date à partir de laquelle elle ne prendrait plus en charge les frais médicaux; elle a reconnu le droit de l’intéressée à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 22% dès le 01.12.2019 et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/792/2022 – consultable ici)

Par jugement du 09.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 47% à compter du 01.11.2018.

 

TF

Consid. 3
En ce qui concerne le revenu sans invalidité (en soi non contesté par les parties), les juges cantonaux ont retenu qu’en 2015, l’assurée travaillait pour l’institution B.__ à raison de 32 heures par semaine, soit à un taux d’activité de 80%. Le revenu annuel tiré de cette activité s’élevait à 73’918 fr. 75, ce qui correspondait à 92’398 fr. 45 à temps plein. Adapté à la hausse générale des salaires dans la branche économique « santé, hébergement médico-social et action sociale » entre 2015 et 2018 selon un taux de 1.014%, cela aboutissait à un revenu sans invalidité final de 93’335 fr. 35.

Pour le revenu avec invalidité, les juges cantonaux se sont fondés sur le salaire médian global des femmes, niveau de compétence 1, de la table TA1_tirage_skill_level (ci-après: TA1) de l’ESS, ce qui correspondait à un salaire mensuel de 4’371 fr., respectivement à un salaire annuel de 52’452 fr. pour 40 heures de travail hebdomadaires. Adapté à la durée normale hebdomadaire de travail en 2018 en Suisse, à savoir 41,7 heures, cela aboutissait à un salaire de référence en 2018 de 54’681 fr. 20 ([52’452/40] x 41.7). Sur la question d’un abattement sur le salaire statistique, les juges cantonaux ont confirmé le taux de 10% retenu par l’assurance-accidents. Le revenu hypothétique d’invalide de l’assurée en 2018 s’élevait donc à 49’213 fr. 10.

En conséquence, la cour cantonale a retenu un taux d’invalidité de 47,273% ([93’335.35 – 49’213.10] / 93’335.35 x 100), arrondi à 47%.

Consid. 4.1
L’assurance-accidents reproche à l’instance cantonale de s’être fondée sur le salaire médian global pour les femmes dans les emplois de niveau de compétence 1 de la table TA_1 de l’ESS 2018 plutôt que sur le salaire médian dans les emplois de niveau de compétence 2 dans la branche économique « Assurances » (ligne 65) de la table « T1_skill_level » (secteur privé et secteur public ensemble) (ci-après: T1) de l’ESS 2018.

A propos du choix de la table, l’assurance-accidents fait valoir qu’on ne saurait faire abstraction de l’historique professionnel de l’assurée, dans la mesure où le fait d’avoir déjà exercé un emploi durant huit ans dans le secteur public augmenterait de manière substantielle les chances de retrouver un emploi dans ce secteur, y compris dans un nouveau domaine d’activité. Le fait que l’assurée ait déjà exercé un emploi dans le secteur public permettrait de démontrer que celui-ci lui est également ouvert. La jurisprudence admettrait d’ailleurs que l’on peut se référer à la table T1 lorsque la personne assurée a exercé sa dernière activité dans le secteur public. En l’occurrence, l’assurance-accidents fait valoir qu’une activité adaptée à son état de santé après l’événement invalidant dans ce secteur serait également envisageable et qu’il serait en effet notoire que les directions de la santé des administrations cantonales et les offices AI emploient des collaborateurs administratifs ayant une formation de base dans le domaine médical ou paramédical.

En ce qui concerne la branche d’activités applicable, l’assurance-accidents fait valoir que l’assurée disposerait de solides connaissances médicales et paramédicales et d’une longue expérience professionnelle dans le domaine de la santé. Avant d’être engagée en qualité d’assistante en soins et santé communautaire par l’institution B.__ dès le 01.11.2010, l’assurée avait travaillé pendant de nombreuses années à la clinique C.__, d’abord comme aide-soignante puis comme assistante en soins et santé communautaire dès l’obtention de son CFC en 2007. Les compétences et l’expérience professionnelles de l’assurée dans le domaine de la santé correspondraient aux critères de plusieurs offres d’emploi dans le secteur des assurances (en référence aux pièces produites à l’appui de son recours et devant l’instance cantonale). La majorité des offres d’emploi pour des postes dans les services administratifs des assurances actives dans le domaine de la santé et dans les offices AI mettraient en effet l’accent sur la nécessité d’avoir achevé une formation dans le domaine médical ou paramédical et de disposer de plusieurs années d’expérience dans ce domaine. Les connaissances administratives, assécurologiques voire juridiques ne constitueraient qu’un atout supplémentaire. Il existerait ainsi sur un marché du travail équilibré des emplois dans le domaine des assurances pour lesquels l’assurée disposerait d’un profil adéquat et qui seraient dès lors raisonnablement exigibles de sa part.

 

Consid. 4.2.1
Selon la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base des données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ATF 148 V 419 consid. 5.2 et les arrêts cités). Dans ce cas, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 (secteur privé), à la ligne « total » (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). Toutefois, lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Il y a en revanche lieu de se référer à la ligne « total » secteur privé lorsque l’assuré ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’il est tributaire d’un nouveau domaine d’activité pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible (arrêt 8C_405/2021 du 9 novembre 2021 consid. 5.2.1 et les références). En outre, lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 (secteur privé) pour se référer à une table portant sur les secteurs privé et public ensemble, si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et que le secteur en question est adapté et exigible (ATF 148 V 174 consid. 6.2; arrêts 8C_205/2021 du 4 août 2021 consid. 3.2.2; 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2).

Consid. 4.2.2
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêt 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 5.1.2 et les arrêts cités). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.3 et les arrêts cités). L’application du niveau 2 se justifie uniquement si la personne assurée dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêt 8C_801/2021 du 28 juin 2022 consid. 3.4 et les arrêts cités).

Consid. 4.2.3
En l’espèce,
après avoir relevé que la dernière activité exercée par l’assurée (en tant qu’assistante en soins et santé communautaire) relevait du secteur public, les juges cantonaux ont retenu que celle-ci était totalement incapable de travailler dans ce domaine d’activité au 01.11.2018, et que cette situation perdurerait à l’avenir (éléments qui ne sont pas contestés par l’assurance-accidents). Aussi, selon les juges cantonaux, dès lors que rien au dossier ne laissait spécifiquement penser que l’assurée pourrait retrouver plus facilement une place dans le secteur public dans un nouveau domaine d’activité, en comparaison avec un assuré moyen, il convenait d’avoir recours au tableau TA1. Pour déterminer le revenu d’invalide, c’était en effet la situation de l’assurée après la survenance de son invalidité qui était déterminante. Le fait que celle-ci ait autrefois exercé un emploi dans le secteur public ne signifiait donc pas automatiquement qu’il en serait de même à l’avenir.

Consid. 4.2.4
Ces considérations ne prêtent pas le flanc à la critique et il convient de s’y rallier. Certes, l’activité d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, peut s’exercer dans le secteur public. Il n’en reste pas moins qu’il est établi que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle. On ajoutera, au demeurant, que l’activité d’aide-soignante de l’assurée auprès de la clinique C.__ relevait du secteur privé. En ce qui concerne ensuite la branche d’activité « Assurances », comme l’ont relevé les juges cantonaux, elle recouvre la souscription de contrats d’assurance de rente et d’autres formes de contrats d’assurance ainsi que l’investissement des primes pour constituer un portefeuille d’actifs financiers en prévision des sinistres futurs ainsi que la fourniture de services d’assurance et de réassurance directe (cf. notes explicatives de la nomenclature NOGA 2008). En l’occurrence, la formation d’aide-soignante et d’assistante en soins et santé communautaire, ainsi que l’expérience accumulée dans ce domaine, ne justifient en rien de se fonder sur cette branche d’activité. La faculté reconnue par la jurisprudence de se référer aux salaires de secteurs particuliers plutôt qu’à la ligne « total » concerne les cas dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Or, en l’espèce, l’assurée n’a pas travaillé dans le domaine des assurances pendant de nombreuses années. Même si elle pouvait hypothétiquement trouver un emploi dans le secteur administratif d’une assurance, en référence aux offres d’emploi produites par l’assurance-accidents, on ne peut pas encore en déduire que cette branche d’activité soit exigible de sa part, alors qu’il n’apparaît pas – en tout cas l’assurance-accidents ne le soutient pas – qu’elle aurait bénéficié de mesures de réadaptation dans ce secteur. C’est donc à raison que les juges cantonaux se sont référés à la ligne « total » de la table TA1, dès lors que l’assurée ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’elle est tributaire d’un nouveau domaine d’activités pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible.

 

Consid. 5.1
Par une argumentation subsidiaire, l’assurance-accidents soutient que les juges cantonaux auraient violé l’art. 16 LPGA en n’adaptant pas le revenu hypothétique d’invalide au moyen d’une « parallélisation inversée » des revenus. Elle soutient en résumé qu’avant l’accident, l’assurée percevait un revenu nettement supérieur au revenu médian des personnes au profil similaire, de sorte qu’il conviendrait d’augmenter le revenu hypothétique d’invalide dans la même proportion, en l’occurrence 36,80% (41,80% – 5% de marge tolérée). A cet égard, elle compare le revenu sans invalidité perçu auprès de l’institution B.__ en 2018, soit 93’335 fr. 35, et le salaire statistique médian d’une employée ayant prétendument les mêmes caractéristiques, soit 65’819 fr. 50 selon l’ESS 2018, T1, lignes 86-88 « domaines de la santé humaine et de l’action sociale », avec un niveau de compétence 2 et un horaire hebdomadaire de 41.6 heures.

Consid. 5.2
L’argumentation est mal fondée. En effet, la possibilité d’opérer un parallélisme des revenus a été introduite afin de ne pas défavoriser et éventuellement exclure du cercle des bénéficiaires de rente les personnes dont les revenus avant l’invalidité étaient nettement inférieurs aux salaires habituels de la branche pour des raisons étrangères à l’invalidité et sans que les personnes en question s’en contentent délibérément (sur le parallélisme des revenus cf. notamment ATF 134 V 322). Tel n’est précisément pas le cas de l’assurée et il n’y a aucun motif de pénaliser cette dernière pour tenir compte du fait qu’elle était éventuellement bien mieux rémunérée que la moyenne des salariés actifs dans son domaine de compétence. En outre, si le salaire perçu auprès de l’institution B.__ était (hypothétiquement) justifié par l’expérience ou d’autres qualités ou compétences personnelles de l’assurée, cela ne signifie pas encore qu’elle pourra mettre à profit ces caractéristiques de la même manière dans un nouveau domaine d’activité auprès d’un nouvel employeur. Contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents de manière péremptoire, on ne voit pas que si une personne perçoit un salaire nettement supérieur à la moyenne dans l’activité exercée en bonne santé en raison de ses caractéristiques personnelles, tout indiquerait qu’elle serait également en mesure de réaliser un revenu largement supérieur à la moyenne ensuite de l’événement invalidant.

 

Consid. 6.1
Par une argumentation plus subsidiaire, l’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir également violé l’art. 16 LPGA en ne se fondant pas sur le niveau de compétence 2 pour fixer le revenu hypothétique d’invalide. Elle invoque à cet égard les compétences professionnelles de l’assurée et ses limitations fonctionnelles excluant un travail du membre supérieur gauche au-dessus de l’horizontale et le port de charges de plus de trois ou quatre kilos.

Consid. 6.2
Ce grief doit être rejeté. En effet, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, pour laquelle elle dispose d’une formation complète. Or rien au dossier n’indique qu’elle aurait, durant ses années d’activité, assuré des tâches administratives ou logistiques outrepassant largement l’administration de soins, qui, quoi qu’en dise l’assurance-accidents, constitue l’essentiel des tâches incombant aux professions susmentionnées (cf. a contrario arrêt 8C_202/2022 du 9 novembre 2022 consid. 4.4). En outre, les éventuelles compétences que l’assurée aurait acquises sur le plan administratif ne peuvent manifestement pas remplacer une formation commerciale ou bureautique. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser, à propos d’une infirmière qui ne pouvait plus exercer son activité habituelle et ne disposait pas de compétences professionnelles transposables dans un autre domaine, qu’il convenait de se référer au niveau de compétence 1 pour déterminer le revenu d’invalide (arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.2). Quant aux limitations fonctionnelles invoquées par l’assurance-accidents, elles ne présentent pas de contraintes majeures ou de spécificités telles qu’elles seraient incompatibles avec le large éventail d’activités légères du niveau de compétence 1 sur un marché équilibré du travail (sur cette notion, cf. arrêts 8C_240/2021 consid. 3; 9C_597/2018 du 18 janvier 2019 consid. 5.2 et les arrêts cités).

 

Le rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_605/2022 consultable ici

 

8C_396/2022 (d) du 21.04.2023 – Revenu sans invalidité d’un indépendant – Vraisemblance de la poursuite ou de la cessation de l’activité en bonne santé – Revenu précédant l’atteinte à la santé relativement bas – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_396/2022 (d) du 21.04.2023

 

Consultable ici

NB : Traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu sans invalidité d’un indépendant – Vraisemblance de la poursuite ou de la cessation de l’activité en bonne santé – Revenu précédant l’atteinte à la santé relativement bas / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1982, a exercé une activité indépendante en tant que propriétaire de l’entreprise individuelle B.__ à partir du 01.03.2010. Troubles dès janvier 2016 en lien avec une sclérose en plaques (diagnostic posé en septembre 2016). Dépôt de la demande AI : 08.03.2017. Expertise neurologique en octobre 2018 et expertises psychiatriques en janvier 2019 et mai 2021. Décision de refus de prestations AI le 05.10.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2021.178 – consultable ici)

Par jugement du 30.03.2022, admission du recours par le tribunal cantonal (droit à une demi-rente AI dès septembre 2017 et à un quart de rente dès avril 2021).

 

TF

Consid. 3.2.1
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il est déterminant de savoir ce que la personne assurée aurait gagné au moment déterminant sur la base de ses capacités professionnelles et de ses circonstances personnelles, au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1). Partant de la présomption que l’assuré aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité, ce revenu se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en prenant en compte également l’évolution des salaires jusqu’au moment de la naissance du droit à la rente ; les exceptions doivent être établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 144 I 103 consid. 5.3 avec référence). Ce n’est que lorsque les circonstances réelles ne permettent pas de chiffrer le revenu sans invalidité avec une précision suffisante que l’on peut recourir à des valeurs statistiques telles que les enquêtes sur la structure des salaires (ESS) publiées par l’Office fédéral de la statistique (OFS) (arrêts 8C_236/2022 du 4 octobre 2022 consid. 9.4 ; 8C_177/2022 du 13 juillet 2022 consid. 8.1).

Consid. 3.2.2
Le revenu sans invalidité des indépendants peut en principe être déterminé sur la base des inscriptions au compte individuel (CI) (SVR 2017 IV no 6 p. 15, 9C_644/2015 consid. 4.6.2 ; arrêt 8C_738/2021 du 8 février 2023 consid. 3.4.2.2 et les références). Si le dernier revenu réalisé présente des fluctuations importantes et relativement brèves, il faut se baser sur le gain moyen réalisé sur une période plus longue (SVR 2021 UV n° 26 p. 123, 8C_581/2020 E. 6.1 ; arrêt 9C_341/2022 du 8 novembre 2022 consid. 4.3). La jurisprudence du Tribunal fédéral n’exclut toutefois pas que, même pour les personnes exerçant une activité lucrative, on ne se base pas, dans certaines circonstances, sur le dernier revenu réalisé. C’est notamment le cas pour les indépendants lorsque les circonstances permettent de supposer au degré de la vraisemblance prépondérante que la personne assurée aurait, en cas d’atteinte à la santé, abandonné son activité indépendante et accepté une autre activité mieux rémunérée. Il en va de même lorsque l’activité indépendante exercée avant l’atteinte à la santé ne constitue pas, en raison de sa courte durée, une base suffisante pour la détermination du revenu sans invalidité, d’autant plus que les bénéfices d’exploitation sont habituellement faibles au cours des premières années suivant le début de l’activité indépendante, et ce pour diverses raisons (taux d’amortissement élevé sur les nouveaux investissements, etc. ; ATF 135 V 58 consid. 3.4.6; arrêt 8C_572/2021 du 19 janvier 2022 consid. 3.2 et les références; 9C_153/2020 du 9 octobre 2020 consid. 2 et les références; cf. CHRISTOPH FREY/NATHALIE LANG, in: Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 44 f. zu Art. 16 ATSG). Si la personne assurée, même lorsque sa capacité de travail n’était pas encore réduite, s’est toutefois contentée pendant plusieurs années d’un revenu modeste provenant d’une activité indépendante, c’est ce revenu qui est déterminant pour la fixation du revenu de valide (ATF 135 V 58 consid. 3.4.6 et les références; arrêt 8C_738/2021 du 8 février 2023 consid. 3.4.2.3).

Consid. 3.2.3
La question de savoir quelle serait l’activité professionnelle de la personne assurée si elle n’était pas atteinte dans sa santé est une question de fait que le Tribunal fédéral ne peut examiner que sous un angle restreint (art. 105 al. 1 et 2 LTF), dans la mesure où elle repose sur l’appréciation des preuves, même si elle prend également en compte des conclusions tirées de l’expérience générale de la vie (arrêts 9C_52/2021 du 15 mars 2021 consid. 4.3 et les références; 8C_784/2020 du 18 février 2021 consid. 2.3 et les références). Les constatations du tribunal cantonal à ce sujet lient donc en principe le Tribunal fédéral, sauf si elles sont manifestement inexactes ou si elles reposent sur une violation du droit au sens de l’art. 95 LTF.

 

Consid. 4.1
Dans sa décision, l’office AI a constaté que l’assuré était limité dans sa capacité de travail depuis septembre 2016. A l’échéance du délai d’attente en septembre 2017, il n’était plus en mesure d’exercer son ancienne activité d’indépendant. Des activités adaptées à son état de santé auraient toutefois pu être exigées de lui à un taux d’occupation de 50%. A partir de janvier 2019, sa capacité de travail dans des activités adaptées est passée à 60%. Pour calculer les revenus sans invalidité, l’office AI s’est basé sur la moyenne des revenus des années 2012 (32’300 francs), 2013 (32’700 francs) et 2014 (46’200 francs) inscrit au CI de l’assuré, adaptée à l’évolution des salaires nominaux jusqu’en 2017 et 2019. Pour l’année 2017, il en résulte un revenu d’invalidité de 37’776 francs, pour l’année 2019 de 38’494 francs. L’office AI a déterminé le revenu d’invalide sur la base des salaires statistiques de l’ESS (valeur totale de la table TA1, niveau de compétence 1, hommes, ESS 2016 ou 2018), ce qui a donné pour l’année 2017 un revenu d’invalide de 33’551 francs pour un taux d’occupation raisonnable de 50% et pour l’année 2019 un revenu d’invalide de 41’026 francs en supposant un taux d’occupation de 60%. Les comparaisons de revenus ont abouti à des taux d’invalidité de 11 % (2017) et de 0 % (2019) ne donnant pas droit à une rente.

Consid. 5.1
La cour cantonale a d’abord retenu à ce sujet qu’il semblait en soi correct que l’office AI n’ait pas pris en compte les revenus des années 2010 (29’400 francs) et 2011 (9’094 francs) mentionnés dans l’extrait du CI de l’assuré, étant donné que l’entreprise était encore en phase de développement durant ces années. […] En raison de la chute massive du revenu en 2015 à 9’333 francs – que l’office AI n’a pas prise en compte dans le calcul de la valeur moyenne en faveur de l’assuré – la question se pose toutefois de savoir si, relativement peu d’années après la création de l’entreprise, il aurait continué à exercer cette activité même sans atteinte à la santé. Il est frappant de constater qu’au cours des cinq années qui se sont écoulées entre l’ouverture de son commerce et le début des symptômes de la sclérose en plaques en janvier 2016, il n’a réalisé qu’un revenu relativement faible. Il est concevable que l’assuré ait espéré une nette amélioration en raison de la tendance à la hausse à partir de l’année 2012 et du revenu réalisé en 2014. Toutefois, il n’apparaît pas comme étant vraisemblable qu’il aurait continué à exercer l’activité indépendante après la baisse massive de revenus en 2015, alors qu’il était en bonne santé, d’autant plus qu’en l’absence d’indices correspondants, on ne peut pas non plus supposer que les affaires se seraient rétablies. Il faut plutôt partir du principe que l’assuré aurait abandonné l’activité indépendante, car un revenu aussi bas n’aurait pas permis de vivre à long terme.

 

Consid. 5.2.2.1
Pour conclure que l’assuré aurait cessé d’exercer une activité indépendante même s’il était en bonne santé, l’instance cantonale s’est appuyée sur les revenus qu’il a perçus, en accordant notamment une importance décisive à la chute des revenus en 2015. On ne peut toutefois pas suivre son point de vue. Comme l’a objecté à juste titre l’office AI, les fluctuations de revenus sont inhérentes à une activité lucrative indépendante. L’arrêt attaqué ne fait d’ailleurs pas état d’éléments concrets qui plaideraient en faveur de l’hypothèse de l’instance cantonale selon laquelle la situation économique de l’assuré ne se serait probablement pas rétablie dans les années suivant 2015 ; il s’agit donc d’une simple spéculation sur ce point. En ce qui concerne la baisse de revenu subie en 2015 et la nature modeste des revenus obtenus auparavant, la cour cantonale ne tient pas compte du fait que l’assuré a malgré tout exercé son activité pendant plus de cinq ans et n’a finalement cessé son activité qu’en septembre 2017, c’est-à-dire un an après le début de son incapacité de travail pour raisons de santé. Dans cette situation initiale, un revenu modeste ne revêt pas en soi une importance telle qu’il faille déroger à la règle lors de la détermination du revenu sans invalidité et recourir exceptionnellement aux valeurs statistiques (cf. sur l’ensemble consid. 3.2.1 supra).

Consid. 5.2.2.2
Le tribunal cantonal n’a pas mentionné d’indices pertinents permettant de conclure que l’assuré ne se serait pas contenté d’un revenu modeste, mais qu’il aurait cherché un travail mieux rémunéré. Au contraire, la cour cantonale s’est contentée de supposer qu’il était « concevable qu’il ait espéré une nette amélioration de son revenu en raison de la tendance à la hausse à partir de l’année 2012 ». Dans la mesure où elle a néanmoins conclu, dans ce contexte, que l’assuré aurait abandonné son activité indépendante même s’il était en bonne santé, cette conclusion est manifestement insoutenable.

Consid. 5.2.2.3
On peut renoncer à un renvoi de l’affaire à la cour cantonale pour un examen plus approfondi de l’activité hypothétique de l’assuré (cf. art. 107 al. 2 LTF), les faits pouvant être complétés sans autre sur la base du dossier de procédure (art. 105 al. 2 LTF). Selon le rapport d’enquête du 21 novembre 2017, l’assuré a justifié l’abandon de l’affaire en septembre 2017 auprès de l’office AI en raison de son état de santé. Il en va de même de divers rapports médicaux. En revanche, aucun indice ne plaide en faveur de l’hypothèse des juges cantonaux. Contrairement à l’avis de ces derniers, l’office AI a donc à juste titre basé les revenus sans invalidité déterminants sur la base des revenus provenant d’une activité lucrative indépendante.

Consid. 5.2.3
En ce qui concerne le calcul concret des revenus sans invalidité la décision de l’office AI (consid. 4.1 supra-dessus) doit également être confirmée. La cour cantonale avait déjà constaté à cet égard qu’il semblait en soi correct que l’office AI n’ait pas tenu compte des revenus de la phase de développement commercial 2010 et 2011 mentionnés dans l’extrait CI de l’assuré et qu’il se soit également basé sur la valeur moyenne correspondante des revenus de ces trois années en raison des grandes différences de revenus entre 2012 et 2014. Cela peut être suivi sans autre (cf. consid. 3.2.2 supra). Les revenus sans invalidité de 37’776 francs (2017) et de 38’494 francs (2019) calculés par l’office AI s’avèrent globalement conformes au droit fédéral. […] Le recours de l’office AI est fondé.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 8C_396/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_396/2022 (d) du 21.04.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/8c_396-2022)

 

9C_298/2022 (f) du 26.07.2023 – Détermination du revenu sans invalidité d’un manager – Examen de la prise en compte d’un bonus (« variable bonus component ») – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_298/2022 (f) du 26.07.2023

 

Consultable ici

 

Détermination du revenu sans invalidité d’un manager – Examen de la prise en compte d’un bonus (« variable bonus component ») / 16 LPGA

 

Assuré, en dernier lieu en tant que « Manager Risk Assurance, (…)  » de novembre 2013 à juillet 2015. A la suite d’un arrêt de travail depuis le mois d’octobre 2014 (qui a donné lieu au versement d’indemnités de l’assureur perte de gain en cas de maladie de l’employeur), l’assuré a déposé en août 2015 une demande de prestations de l’assurance-invalidité, en invoquant notamment une très importante fatigabilité, ainsi que des troubles neuropsychologiques apparus en lien avec un accident de la circulation survenu en novembre 2009.

Expertise pluridisciplinaire : les experts ont conclu à une capacité résiduelle de travail de 50% dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée, depuis le 08.10.2014 (appréciation consensuelle du spécialiste en médecine interne générale, du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et du spécialiste en médecine interne générale). L’office AI a, par décision du 09.07.2021, reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente depuis le 01.02.2016.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 290/21 – 150/2022 – consultable ici)

Dans le cadre de la comparaison des revenus, la juridiction a retenu que les perspectives de développement de carrière évoquées par l’assuré en relation avec l’expertise privée qu’il avait produite ne pouvaient pas être prises en considération pour déterminer le revenu sans invalidité. Elles reposaient en effet sur de simples hypothèses qui n’étaient pas étayées par des éléments concrets. De plus, les juges cantonaux n’ont pas tenu compte d’un bonus de 16’800 fr., ainsi que d’une somme forfaitaire de 6’000 fr., mentionnés dans une lettre de promotion adressée à l’assuré par son dernier employeur en juin 2014. Si ces éléments figuraient certes sur ce courrier, ainsi que sur le certificat de prévoyance, rien ne permettait d’affirmer que l’assuré percevait concrètement ces montants. En effet, ni le questionnaire de l’employeur rempli à la demande de l’office AI, ni l’extrait du compte individuel de l’assuré, pas plus que les calculs effectués par l’assureur perte de gain en cas de maladie ne faisaient état de ces montants supplémentaires en sus du salaire annuel de 120’300 fr.

Par jugement du 16.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 1.2
En ce qui concerne la comparaison des revenus (art. 16 LPGA), la constatation des deux revenus hypothétiques à comparer est une question de fait, dans la mesure où elle repose sur une appréciation concrète des preuves; il s’agit en revanche d’une question de droit si elle se fonde sur l’expérience générale de la vie (ATF 137 V 64 consid. 1.2; arrêt 9C_835/2019 du 20 octobre 2020 consid. 5.1).

 

Consid. 4.2.2
On rappellera qu’en ce qui concerne le revenu sans invalidité, est déterminant le salaire qu’aurait effectivement réalisé l’assuré sans atteinte à la santé, selon le degré de la vraisemblance prépondérante. En règle générale, on se fonde sur le dernier salaire réalisé avant l’atteinte à la santé, compte tenu de l’évolution des circonstances à l’époque où est né le droit à la rente (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2; arrêt 9C_271/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3.3.1).

Consid. 4.2.3
En n’incluant pas le montant de 16’800 fr. (« target bonus ») mentionné dans la lettre de promotion de l’ancien employeur de l’assuré datée de juin 2014, dans le revenu sans invalidité, la cour cantonale a procédé à une constatation manifestement inexacte des faits. Il ressort en effet de cette lettre que l’assuré a été promu à la fonction de « Manager » à partir du 1er juillet 2014 avec un salaire annuel de 120’300 fr. assorti d’une somme de 16’800 fr. comme « variable bonus component », l’objectif final de salaire étant de 137’100 fr. Si le bonus cible constituait certes un montant variable en fonction des performances du collaborateur et de l’entreprise, selon les indications données en cours de procédure par l’ancien employeur, la société a non seulement annoncé un salaire annuel de 137’100 fr. à la caisse de pension, mais elle a également indiqué, dans le questionnaire de l’employeur du 22 septembre 2015, une « Gratifikation » pour l’année 2014. Il en découle que l’ancien employeur entendait concrètement verser un bonus à l’assuré, qui a apparemment perçu un montant s’ajoutant à son salaire de base à titre de gratification. Celle-ci correspondait sans doute aux mois de juillet à septembre 2014, l’incapacité de travail, qui a débuté à partir d’octobre 2014, expliquant que l’employeur n’a plus indiqué de gratification pour l’année 2015. Celui-ci a par ailleurs confirmé au cours de la procédure administrative que le principe du salaire assorti d’un bonus cible était resté le même dans l’entreprise. L’extrait du compte individuel de l’assuré pour l’année 2014 n’est par ailleurs pas déterminant à cet égard, puisque le revenu inscrit ne correspond pas à une année complète sans atteinte à la santé, des indemnités de l’assureur perte de gain en cas de maladie, qui ne sont pas soumises à l’AVS (cf. art. 6 al. 2 let. b RAVS), ayant été versées à l’assuré.

Dans ces circonstances, l’appréciation de la juridiction cantonale selon laquelle le dossier ne comprenait pas d’éléments suffisants pour admettre que l’assuré percevait concrètement un bonus ne peut être suivie, puisqu’elle ne repose pas sur l’ensemble des indications de l’ancien employeur quant au nouveau salaire de l’assuré à partir du 1er juillet 2014, qui doivent être prises en considération en tenant compte de la survenance de l’incapacité de travail dès octobre 2014. Par conséquent, on peut admettre, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’employeur aurait versé le bonus cible à l’assuré en l’absence d’invalidité, dès lors aussi qu’il avait déclaré le nouveau salaire (y compris le « target bonus », soit un total de 137’100 fr.) de son employé à sa caisse de pension.

Consid. 4.3
En tenant compte d’un revenu sans invalidité de 137’100 fr. et d’un revenu avec invalidité de 40’670 fr. tel que retenu par la juridiction cantonale, le degré d’invalidité de l’assuré s’élève à 70% (70,33%). Il ouvre ainsi un droit à une rente entière d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI) depuis le 1er février 2016, étant précisé que le début du droit à la rente n’est pas contesté.

Au vu de ce résultat, il n’y a pas lieu d’examiner ni le grief de l’assuré relatif à l’inclusion de la somme forfaitaire de 6’000 fr. dans le revenu sans invalidité, ni celui consistant à critiquer le « revenu d’invalide trop élevé ».

Consid. 5
Ensuite de ce qui précède, la conclusion de l’assuré visant à l’octroi d’une rente entière d’invalidité à compter du 1er février 2016 est bien fondée. L’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_298/2022 consultable ici

 

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023

 

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 31.08.2023 la 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023. Le tableau se trouve ici :

  • en français (estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux)
  • en italien (stima trimestrale dell’evoluzione dei salari nominali)
  • en allemand (Quartalschätzungen der Nominallohnentwicklung)

On rappellera que l’estimation de l’évolution des salaires est nécessaire afin d’indexer un revenu (sans invalidité / d’invalide) à 2023 (arrêt du Tribunal fédéral 8C_659/2022+8C_707/2022 du 2 mai 2023 consid. 7.2).

 

 

9C_325/2022 (f) du 25.05.2023 – Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire – 44 LPGA / Revenu d’invalide selon ESS – Âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_325/2022 (f) du 25.05.2023

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire / 44 LPGA

Revenu d’invalide selon ESS – âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Revenu sans invalidité selon ESS – Niv. de compétences 1 in casu

 

Assurée, née en 1971, ayant travaillé en dernier lieu à temps partiel comme livreuse de repas à domicile (du 01.10.2005 au 30.04.2012), puis comme auxiliaire de santé polyvalente (du 01.05.2012 au 30.11.2014). Par décisions des 16.03.2011 et 03.05.2016, l’office AI a rejeté les deux premières demandes de prestations de l’assurance-invalidité déposée par la prénommée.

Le 10.04.2018, l’assurée a déposé une troisième demande de prestations. L’office AI a entre autres mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Dans un rapport établi le 09.02.2021, les médecins-experts (spécialiste en médecine interne générale, en psychiatrie et psychothérapie et en rhumatologie) ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – une douleur de l’épaule gauche sur arthropathie acromio-claviculaire, une cervicalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une lombalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une douleur en extension du poignet droit (post ablation d’un kyste, fracture et greffe osseuse) et une douleur des deux gros orteils (post chirurgie pour hallux valgus à l’âge de 18 ans); l’assurée ne pouvait plus exercer son activité habituelle depuis le 30.09.2017. Dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites, les médecins ont indiqué que l’assurée disposait d’une capacité de travail de 100%. Par décision du 09.03.2021, l’office AI a nié le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 149/21 – 160/2022 – consultable ici)

Par jugement du 23.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

2.1. Lorsque l’administration entre en matière sur une nouvelle demande (art. 87 al. 3 RAI), elle doit procéder de la même manière que dans les cas de révision au sens de l’art. 17 LPGA et comparer les circonstances prévalant lors de la nouvelle décision avec celles existant lors de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (ATF 130 V 71) pour déterminer si une modification notable du taux d’invalidité justifiant la révision du droit en question est intervenue.

 

Rapport de l’expertise pluridisciplinaire

Consid. 5.2
En l’espèce, mise à part la référence à la divergence d’opinions entre le médecin traitant, d’une part, et les médecins du centre d’expertise, d’autre part, l’assurée ne fait état d’aucun élément concret susceptible de remettre en cause les conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, ni de motifs susceptibles d’établir le caractère arbitraire de leur appréciation. En particulier, les médecins experts ont pris connaissance du résultat des IRM lombaires; ils ont indiqué que ces examens avaient montré des sacro-iliaques « parfaitement normales », avec des signes uniquement dégénératifs, sans aucun élément en faveur d’une spondylarthrite ankylosante. Quoi qu’en dise l’assurée, la tomographie par émission monophotonique (Spect) du corps entier réalisées en date du 12 juillet 2021 n’infirme par ailleurs nullement les conclusions des experts. Dans le rapport y relatif, le médecin responsable ne fait pas de lien entre les atteintes constatées (atteinte inflammatoire de l’articulation sacro-iliaque et, notamment, enthésite du tendon d’Achille) et la suspicion d’une spondyloarthrite. De plus, l’assurée ne conteste pas le fait qu’elle ne répond pas au traitement médical d’une spondylarthropathie et qu’elle est HLA B27 négative. Quant aux autres critères de classification d’une spondylarthropathie que l’assurée met en avant, ils reposent essentiellement sur son ressenti personnel. Le fait que l’assurée annonce des problèmes de fatigue, de douleurs, d’imprévisibilité, de stress et de concentration n’établissent par conséquent pas en quoi les juges cantonaux auraient suivi de manière arbitraire les conclusions des médecins experts. Pour le surplus, les experts se sont fondés non pas sur la manière dont l’assurée ressent et perçoit ses facultés de travail, mais ont établi la mesure de ce qui est raisonnablement exigible de sa part le plus objectivement possible. Dans ces circonstances, et compte tenu également du fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc et les références), il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.

 

Revenu d’invalide

Consid. 6.2
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 de l’ESS, à la ligne « total secteur privé »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_tirage_skill_ level (ATF 142 V 178).

La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral. En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.3
En l’espèce, l’assurée n’expose aucun élément qui justifierait de s’écarter du revenu avec invalidité fixé par la juridiction cantonale. En particulier, elle ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter du salaire de référence auquel peuvent prétendre les femmes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples de la table TA1_tirage_skill_level. Cette valeur statistique s’applique en effet à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu’elle est trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers (arrêts 9C_603/2015 du 25 avril 2016 consid. 8.1 et 9C_692/2015 du 23 février 2016 consid. 3.1 et la référence). Le marché équilibré du travail pris en considération dans le domaine de l’assurance-invalidité (à ce sujet, voir arrêt 9C_659/2014 du 13 mars 2015 consid. 5.3 et les références) offre par ailleurs un éventail suffisamment large d’activités légères, dont on doit admettre qu’un nombre significatif d’entre elles sont accessibles à l’assurée sans aucune formation préalable particulière et compatibles avec les limitations fonctionnelles décrites par les experts. En tant que facteur étranger à l’invalidité, il n’y a en outre pas lieu de tenir compte du fait que l’âge de la personne assurée peut avoir une influence négative sur la recherche d’emploi (arrêt 8C_808/2013 du 14 février 2014 consid. 7.3). Pour le surplus, par la simple énumération des circonstances personnelles et professionnelles susceptibles d’être prises en considération au titre de l’abattement, l’assurée n’établit pas que la juridiction cantonale aurait excédé ou abusé de son pouvoir d’appréciation en prenant en considération un abattement de 10%. Mal fondé, les griefs doivent être rejetés.

 

Consid. 7
C’est finalement en vain que l’assurée conteste son revenu sans invalidité en faisant valoir qu’il aurait dû être déterminé en fonction d’un niveau de compétence 2 de l’ESS. En tant qu’auxiliaire de santé polyvalente, chargée de la livraison de repas, l’assurée exerçait avant la survenance de son atteinte de la santé une tâche physique ou manuelle simple (niveau de compétence 1 de l’ESS), comme l’a constaté sans arbitraire la juridiction cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_325/2022 consultable ici

 

9C_260/2022 (f) du 15.05.2023 – Revenu sans invalidité et d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 4 pour un assuré ayant obtenu un bachelor de design graphique – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2022 (f) du 15.05.2023

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité et d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 4 pour un assuré ayant obtenu un bachelor de design graphique / 16 LPGA

 

Assuré suivait des études en design. Il a subi un traumatisme crânien à la suite d’une chute survenue le 02.06.2017. Arguant souffrir des séquelles de ce traumatisme, il a requis des prestations de l’assurance-invalidité le 06.12.2017.

Entre autres mesures de réadaptation, l’office AI a pris à sa charge les coûts de formation supplémentaires occasionnés par les suites de l’atteinte à la santé. Il a alloué à l’assuré des indemnités journalières pour la période courant du 01.07.2018 au 11.09.2020. L’assuré a obtenu un Bachelor de Design graphique le 04.09.2020.

Au terme de la procédure administrative, se référant principalement au rapport d’expertise pluridisciplinaire du 11.11.2020, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité pour le mois de juin 2018 et à trois quarts de rente à partir du 01.09.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2021 153-154 – consultable ici)

Par jugement du 13.04.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont considéré que les revenus avec et sans invalidité de l’assuré devaient être évalués sur la base du tableau TA1_skill_level de l’ESS, groupe d’activités no 73-75, total homme, niveau de compétence 4 dans la mesure où celui-ci venait d’obtenir un Bachelor dans le domaine du design et où une activité exercée dans ce secteur était jugée adaptée par les médecins-experts. Ils en ont dès lors inféré que le taux d’invalidité équivalait au taux d’incapacité de travail retenu par les experts et l’ont arrêté à 60%. Vu les circonstances (assuré suisse, âgé de moins de 35 ans, dont les limitations fonctionnelles avaient déjà été prises en compte dans l’évaluation de la capacité résiduelle de travail), ils ont aussi exclu toute réduction supplémentaire du revenu d’invalide. Ils ont toutefois relevé que l’abattement de 15% requis par l’assuré n’influençait pas le droit à la rente, dans la mesure où un désavantage salarial de 15% correspondait en l’espèce à une perte de gain de 6% (15% de 40%) et, partant, entraînait un taux d’invalidité de 66% inférieur aux 70% exigés pour ouvrir le droit à une rente entière d’invalidité. Ils ont donc entériné les décisions litigieuses en tant qu’elles allouaient à l’assuré trois quarts de rente à partir du 1er septembre 2020.

 

Consid. 5.2.2
Grâce aux mesures mises en œuvre par l’office AI, l’assuré a obtenu un Bachelor dans le secteur du design. Dès lors que celui-ci n’avait jamais travaillé dans le secteur pour lequel il avait été formé, la juridiction cantonale a déterminé son revenu sans invalidité sur la base de l’ESS. Elle a constaté à cet égard que, d’après la Nomenclature générale des activités professionnelles (NOGA 2008), le diplôme de designer (cf. ch. 741007 NOGA 2008) plaçait l’assuré dans le groupe des professions n° 73-75 de l’ESS (autres activités spécialisées, scientifiques et techniques) et, selon la Classification internationale type des professions (CITP 08), dans le groupe 21 (spécialistes des sciences techniques inclus dans le groupe 2 des professions intellectuelles et scientifiques), auquel un niveau de compétence 4 était attribué. L’assuré ne critique pas ces différents éléments. Dans la mesure où le diplôme obtenu récemment atteste que celui-ci a les connaissances et les compétences nécessaires pour travailler dans le domaine d’activité dans lequel il a été formé, il n’y a en principe pas de motif, pour fixer le revenu d’invalide, de se fonder sur un autre groupe d’activités de l’ESS ni un autre niveau de compétence que ceux retenus pour déterminer le revenu sans invalidité.

Invoquer les limitations fonctionnelles causées par les affections dont il souffre depuis sa chute du 02.06.2017 n’est par ailleurs d’aucune utilité à l’assuré. Ces limitations ne l’ont effectivement nullement empêché d’obtenir un diplôme de designer ni d’acquérir les connaissances et les compétences indispensables afin d’exercer une activité professionnelle dans ce secteur. Des limitations fonctionnelles ne sont de surcroît pas de nature à modifier les connaissances et les compétences acquises, d’autant moins lorsqu’elles étaient déjà présentes tout au long de cette formation spécialisée comme en l’occurrence. Elles servent notamment à évaluer la proportion dans laquelle la personne concernée peut encore réaliser les tâches inhérentes à l’activité dans laquelle elle vient d’être formée, comme en l’espèce. Concrètement, la prise en considération d’une capacité résiduelle de travail de 40% attestée par les experts et retenue par les autorités administrative et judiciaire signifie qu’il est exigible de la part de l’assuré qu’il assume toutes les tâches inhérentes à la profession de designer, comme son diplôme l’atteste, mais à un taux d’activité réduit. On ajoutera que l’expression utilisée afin de décrire le niveau de compétence 4 (tâches nécessitant une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions basées sur de vastes connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé) est une formule générale censée caractériser le type de compétences nécessaires pour réaliser les activités nombreuses et diverses comprises dans les deux groupes de professions de la CITP qui constituent le niveau de compétence 4 (les directeurs/trices, cadres de direction, gérant (e) s; les professions intellectuelles et scientifiques). De plus, le fait qu’un emploi adapté aux limitations fonctionnelles de l’assuré ne doit notamment pas impliquer la capacité à prendre des décisions immédiates, à traiter des informations simultanées, à s’adapter rapidement ou à planifier ne signifie pas que celui-ci est incapable de prendre des décisions ou de s’adapter, mais uniquement qu’il a besoin de plus de temps ou de plus de soutien pour mettre à profit les vastes connaissances théoriques et factuelles acquises grâce à sa formation supérieure dans le domaine spécialisé qu’est le design.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_260/2022 consultable ici

 

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 1e estimation basée sur les données du premier trimestre 2023

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 1e estimation basée sur les données du premier trimestre 2023

 

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 31.05.2023 la 1e estimation basée sur les données du premier trimestre 2023. Le tableau se trouve ici :

  • en français (estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux)
  • en italien (stima trimestrale dell’evoluzione dei salari nominali)
  • en allemand (Quartalschätzungen der Nominallohnentwicklung)

L’estimation de l’évolution des salaires est nécessaire afin d’indexer un revenu (sans invalidité / d’invalide) à 2023 (arrêt du Tribunal fédéral 8C_659/2022+8C_707/2022 du 2 mai 2023 consid. 7.2).