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8C_188/2023 (f) du 31.05.2024 – Révision d’une décision sur opposition entrée en force – 53 al. 1 LPGA / Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_188/2023 (f) du 31.05.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision sur opposition entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

 

Le 01.05.2018, l’assuré a conclu un contrat à durée déterminée avec B.__ SA pour un poste de maçon. Le 28.05.2018, il a été victime d’un accident professionnel en chutant d’un échafaudage.

Un désaccord est survenu concernant sa fonction exacte :

  • Le 19.11.2018, un certificat de travail le désignait comme chef d’équipe.
  • Le 15.10.2020, l’employeur a déclaré à l’assurance-accidents que l’assuré était maçon avec quelques responsabilités supplémentaires. Il a précisé que durant l’engagement, il avait été convenu que l’assuré aurait un peu plus de responsabilités afin d’acquérir de l’expérience en tant que chef d’équipe ; toutefois, au vu de sa courte période de travail et compte tenu du peu d’expérience accumulée, il n’était pas possible de qualifier l’assuré en tant que chef d’équipe.
  • L’assuré a maintenu avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe.

Par décision du 23.11.2020, elle lui a nié le droit à une rente, au motif que le taux d’invalidité était inférieur au degré d’invalidité minimum de 10%.

Le 06.01.2021, l’assuré a formé opposition contre la décision, affirmant avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, ce qui influait sur son salaire, les indemnités journalières et le calcul de la rente d’invalidité.

Le 22.02.2021, l’assuré a affirmé à l’assurance-accidents avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, contredisant la déclaration de B.__ SA du 15.10.2020. Il a fourni des documents appuyant sa position, dont des rapports de travail le désignant comme chef de chantier. Le 10.03.2021, via un syndicat, il a demandé à son ancien employeur de rectifier sa déclaration et de lui verser la différence de salaire, invoquant également un certificat et une attestation de travail confirmant sa fonction de chef d’équipe. Le même jour, il a sollicité une réanalyse de sa situation auprès de l’assurance-accidents.

Par décision sur opposition du 12.03.2021, l’assurance-accidents a confirmé sa décision du 23.11.2020.

Le 25.03.2021, le conseil de la société a répondu au courrier de l’assuré du 10.03.2021 en maintenant sa position quant à sa fonction de maçon. Il a ajouté que le certificat de travail du 19.11.2018 et l’attestation de travail du 02.12.2020 avaient été rédigés à la requête de l’assuré, sans que la société n’ait été informée de leur but.

Non contestée, la décision sur opposition du 12.03.2021 est entrée en force.

Le 11.11.2021, l’assuré a déposé une demande de révision de la décision du 23.11.2020 et de la décision sur opposition du 12.03.2021. Il a expliqué qu’à l’occasion d’une audience de conciliation, tenue le 26.10.2021 dans la procédure civile initiée à l’encontre de son ancien employeur, celui-ci avait reconnu que l’assuré travaillait en qualité de chef d’équipe, acceptant de ce fait de lui payer la différence de salaire correspondante et de corriger son certificat de travail. Ces éléments avaient été consignés dans une convention qui valait jugement définitif et constituait donc un fait ou un moyen de preuve nouveau. Par décision du 16.12.2021 confirmée le 25.05.2022, l’assurance-accidents a refusé d’entrer en matière sur la demande de révision.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/22 – 19/2023 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont estimé que le statut de chef d’équipe de l’assuré n’était pas un fait nouveau au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Cependant, ils ont considéré que la convention conclue entre l’assuré et son ancien employeur, ayant valeur de jugement définitif, constituait un nouveau moyen de preuve important. Cette convention, établie après la décision sur opposition du 12.03.2021, attestait de la fonction de chef d’équipe de l’assuré et du salaire correspondant, éléments que l’assuré n’avait pas pu prouver auparavant.

Le tribunal cantonal a jugé que ce nouveau moyen de preuve était susceptible d’influencer significativement la décision de l’assurance-accidents concernant le montant des indemnités journalières et le droit à la rente d’invalidité. La convention ne servait pas à réévaluer un fait connu, mais à établir un fait objectif définitif. Par conséquent, le tribunal a conclu qu’il s’agissait bien d’un nouveau moyen de preuve selon l’art. 53 al. 1 LPGA.

Par jugement du 15.02.2023, admission du recours interjeté par l’assuré, toujours représenté par le syndicat, et renvoi de la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient pas être produits auparavant.

Consid. 3.1
Sont « nouveaux » au sens de cette disposition les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus de la personne requérant la révision, malgré toute sa diligence (ATF 134 III 669 consid. 2.2 et les références). En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 144 V 245 consid. 5.2; 143 III 272 consid. 2.2; 134 IV 48 consid. 1.2).

Consid. 3.2
Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment de la personne qui requiert la révision de la décision. Si les nouveaux moyens de preuve sont destinés à prouver des faits allégués antérieurement, le requérant doit aussi démontrer qu’il ne pouvait pas les invoquer dans la procédure précédente. Une preuve est considérée comme concluante lorsqu’il faut admettre qu’elle aurait conduit le juge à statuer autrement s’il en avait eu connaissance dans la procédure principale. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers. Il n’y a ainsi pas motif à révision du seul fait que l’administration ou le tribunal paraît avoir mal interprété des faits connus déjà lors de la décision principale. L’appréciation inexacte doit être, bien plutôt, la conséquence de l’ignorance ou de l’absence de preuve de faits essentiels pour la décision (ATF 144 V 245 consid. 5.3; 127 V 353 consid. 5b).

Consid. 3.3
Comme condition supplémentaire à la révision au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, il faut que les faits ou moyens de preuve n’aient pas été connus de la personne requérant la révision ou de l’assureur social qui entend réviser sa décision, malgré toute sa diligence. Il appartient au requérant qui se fonde sur un nouveau moyen de preuve destiné à prouver des faits allégués antérieurement dans la procédure précédente de démontrer qu’il ne pouvait pas invoquer ce moyen précédemment. Il doit pouvoir se prévaloir d’une excuse valable pour justifier le fait que le moyen en cause n’a pas été invoqué en temps utile. En effet, la révision ne doit pas servir à réparer une omission qui aurait pu être évitée par un requérant diligent. En cela, elle est un moyen subsidiaire par rapport aux voies de droit ordinaires. On appréciera la diligence requise avec moins de sévérité en ce qui concerne l’ignorance des faits, dont la découverte est souvent due au hasard, que l’insuffisance des preuves au sujet de faits connus, la partie ayant le devoir de tout mettre en œuvre pour prouver ceux-ci dans la procédure principale (MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 54 ad art. 53 LPGA; THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar ATSG, 2020, n° 26 ad art. 53 LPGA; arrêts 8C_334/2013 du 15 novembre 2013 consid. 3.3; U 561/06 du 28 mai 2007 consid. 6.2).

 

Consid. 5.1
En l’espèce, la juridiction cantonale a retenu que la convention constituait un nouveau moyen de preuve dès lors qu’elle permettait d’établir, et non seulement d’apprécier, des faits connus au moment de la décision de l’assurance-accidents du 23.11.2020 confirmée sur opposition le 12.03.2021. La question de savoir si c’est à tort ou à raison que les juges cantonaux ont admis que cette convention constituait réellement un « nouveau » moyen de preuve concluant pour établir le statut de chef d’équipe de l’assuré peut demeurer ouverte. En effet, même en présence d’un nouveau moyen de preuve, si la personne requérant la révision ou son représentant omet, de manière négligente, de faire valoir celui-ci dans la procédure ordinaire, la révision n’est pas possible. Le seul facteur décisif est donc celui de savoir si l’assuré aurait déjà pu présenter son nouveau moyen de preuve dans la procédure ordinaire. Le but de la procédure extraordinaire de révision n’est en effet pas de réparer les omissions évitables du requérant commises au cours de la procédure ordinaire (cf. consid. 3.3 supra).

Consid. 5.2
Il ressort des faits constatés par la juridiction cantonale que l’assuré avait correspondu avec son employeur avant et après la décision sur opposition du 12.03.2021 au sujet de sa position au sein de la société. En effet, le 10.03.2021, il avait écrit à son ancien employeur pour lui demander de rectifier son courrier du 15.10.2020 confirmant sa position de maçon auprès de l’assurance-accidents. En date du 08.04.2021, il avait réitéré auprès de son ancien employeur sa demande du 10.03.2021. Bien qu’il estimait que sa position de chef d’équipe avait des conséquences sur son droit à une rente d’invalidité de l’assurance-accident et qu’il ait allégué ces faits devant l’assurance-accidents en tentant de les étayer par divers moyens de preuve, l’assuré n’a cependant pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 devant la juridiction cantonale. Or rien n’indique qu’il aurait été empêché de le faire. Devant l’instance cantonale de recours, dans la mesure où la question du poste qu’il occupait au sein de la société était au cœur du litige, l’assuré aurait pu et dû défendre sa position de chef d’équipe en invoquant ses échanges de courriers avec son ancien employeur et en fournissant les moyens de preuve se trouvant déjà au dossier qu’il a produit ultérieurement devant le Tribunal de prud’hommes. Au besoin, après avoir recouru en temps utile contre la décision sur opposition du 12.03.2021, il aurait pu demander au tribunal des assurances de suspendre la procédure jusqu’à ce que le Tribunal de prud’hommes ait rendu un jugement ou que les parties aient trouvé un accord. Pour des raisons inexplicables, il n’a non seulement pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 mais il a en outre attendu près de six mois après cette décision pour ouvrir action contre son ancien employeur devant le Tribunal de prud’hommes. L’assuré ne saurait cependant faire reposer sa demande de révision sur un élément qu’il aurait, à tout le moins, pu tenter d’invoquer dans le cadre de la procédure initiale. Il faut dès lors conclure à un manque de diligence de sa part puisque la découverte des éléments prétendument nouveaux sur lesquels il fonde sa demande de révision résulte de démarches qui auraient pu et dû être effectuées durant la procédure précédente. La voie de la révision ne constitue pas uniquement la continuation de la procédure précédente, mais bel et bien un moyen de droit extraordinaire et il appartient ainsi aux parties de contribuer en temps utile à l’établissement des faits litigieux conformément aux règles de procédure applicables (arrêt 8C_334/2013 déjà cité consid. 3.3 et les références).

Consid. 6
Compte tenu de ce qui précède, c’est de manière contraire au droit fédéral que la juridiction cantonale a admis que l’on était en présence d’un nouveau moyen de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Il s’ensuit que le recours est bien fondé.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_188/2023 consultable ici

 

8C_562/2023 (d) du 29.05.2024 – Revenu sans invalidité d’un assuré au chômage au moment de l’accident déterminé sur la base de la CCT et non de l’ESS – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_562/2023 (d) du 29.05.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Revenu sans invalidité d’un assuré au chômage au moment de l’accident déterminé sur la base de la CCT et non de l’ESS / 16 LPGA

Refus du parallélisme pour un assuré travaillant depuis longtemps ou presque exclusivement de manière temporaire

Valeur probante du rapport du médecin-conseil

 

Assuré, né en 1963, aide plâtrier, était inscrit au chômage depuis le 22.12.2017. Le 17.02.2019, il a glissé sur une route verglacée et s’est blessé au métacarpe gauche. Le 20.06.2019, l’assurance-accidents a communiqué la fin du versement des indemnités journalières dès le 01.07.2019, l’assuré ayant retrouvé sa pleine capacité de travail. L’assuré a été opéré le 17.10.2019 (ablation du matériel d’ostéosynthèse). Les 14.05.2020 et 12.01.2021, l’assurance-accidents a considéré que l’assuré était à nouveau apte à travailler à 100% dans son activité habituelle, arrêtant le versement des prestations au 31.05.2020.

Le 30.05.2020, l’assuré a été victime d’un nouvel accident, entraînant fracture du radius distal intra-articulaire à plusieurs fragments du côté droit. L’assurance-accidents a octroyé les prestations, sous forme de traitement médical et d’indemnités journalières, pour ce nouvel événement. Par pli du 24.05.2022, l’assurance-accidents a considéré que l’état de santé en lien avec l’accident du 30.05.2020 était stabilisé, sur la base de l’avis de son médecin-conseil.

Par décision du 10.06.2022, confirmée sur opposition le 30.09.2022, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et a octroyé une IPAI de 15%.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2022.00207 – consultable ici)

Par jugement du 18.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’instance cantonale a considéré que l’avis du médecin-conseil était probant. Selon cette évaluation, l’assuré ne peut plus exercer son activité d’aide plâtrier ou de peintre en raison notamment des séquelles de l’accident du 30.05.2020. Une activité professionnelle à plein temps sans utilisation de la force de la main droite est exigible. Ont été retenues les limitations fonctionnelles suivantes : pas de soulèvement et de port de charges, jusqu’à hauteur du bassin, de plus de 5 kg, pas d’exposition au froid et aux vibrations, pas de travaux dans un milieu humide ou mouillé ou dans une chaleur excessive, pas d’activités nécessitant des poussées et tractions, pas de travaux sur des échelles et des échafaudages, pas de travaux en hauteur avec un déploiement de force. Etaient encore possibles la manipulation d’outils légers (motricité fine, clavier). La posture et la locomotion n’étaient pas limitées.

Consid. 3.2
Les juges cantonaux ont confirmé le revenu sans invalide déterminé par l’assurance-accidents sur la base de la convention collective de travail (CCT) pour le secteur de la plâtrerie de la ville de Zurich en vigueur à partir du 01.04.2020. Avec un salaire minimum pour l’année 2022 pour les ouvriers professionnels semi-qualifiés (âge 61 ; à partir de 5 ans de service) de CHF 5’046.95 par mois, soit un revenu annuel de CHF 65’610.35. Le salaire minimum pour le secteur de la plâtrerie de la ville de Zurich est ainsi supérieur à la CCT pour l’industrie de la peinture et de la plâtrerie de Suisse alémanique et du Tessin (sans la ville de Zurich) de CHF 4’691, valable à partir du 01.04.2021.

La cour cantonale a fixé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS 2020 (tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé, total, niveau de compétence 1, hommes). Après prise en compte de la durée hebdomadaire de travail usuelle dans l’entreprise et de l’évolution du salaire nominal, le revenu d’invalide s’élevait à CHF 66’016 francs pour l’année 2022. Les juges cantonaux ont confirmé l’abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles. Il résultait de la comparaison du revenu d’invalide de CHF 59’414.05 avec le revenu sans invalidité de CHF 65’610.35 un taux d’invalidité de 9.44%, excluant le droit à une rente d’invalidité LAA.

 

Consid. 4.1.1 (revenu sans invalidité)
L’assuré fait valoir que le revenu sans invalidité ne doit pas être calculé sur la base des prescriptions minimales de la CCT, mais sur la base des valeurs statistiques de l’ESS. Il n’est pas contesté que l’assuré était au chômage au moment de l’accident, raison pour laquelle on ne peut pas se baser sur le dernier gain réalisé.

Consid. 4.1.2
Contrairement à l’avis de l’assuré, les objectifs des salaires minimaux minimum d’une CCT déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral dans la branche professionnelle correspondante ne sont pas utilisés uniquement pour examiner le caractère inférieur à la moyenne d’un revenu effectivement réalisé (cf. SVR 2022 UV Nr. 32 p. 130, 8C_541/2021 consid. 4.2.2, SVR 2022 UV Nr. 43 p. 172, 8C_528/2021 consid. 8.3 s.). Au contraire, la jurisprudence a, à diverses reprises, pris en compte les salaires dus en vertu de conventions collectives de travail pour déterminer le revenu sans invalidité, comme l’a déjà reconnu à juste titre l’instance cantonale (arrêts 8C_677/2021 du 31 janvier 2022 consid. 4.2.1 ; 8C_134/2021 du 8 septembre 2021 consid. 5.4 et les références).

Consid. 4.1.3
Le revenu qu’il obtiendrait hypothétiquement en bonne santé (revenu sans invalidité) doit être fixé aussi concrètement que possible (ATF 144 I 103 consid. 5.3; 135 V 58 consid. 3.1; cf. aussi ATF 135 V 297 consid. 5.1; 134 V 322 consid. 4.1). L’objection selon laquelle le salaire minimal selon la CCT ne correspond pas au revenu usuel de la branche n’est pas pertinente, car les revenus spécifiques à la branche y sont représentés de manière plus précise que dans l’ESS (au lieu de : arrêt 8C_756/2022 14 décembre 2023 consid. 5.1.2). En outre, l’instance cantonale et l’assurance-accidents ont souligné à juste titre que l’assuré n’avait jamais perçu un revenu aussi élevé avant son accident (cf. extrait du CI). L’assuré ne fait d’ailleurs pas valoir de tels arguments.

Consid. 4.1.4
Dans la mesure où la question du caractère inférieur à la moyenne du revenu effectivement réalisé se pose, il n’est certes pas admissible d’imputer à la personne assurée un revenu sans invalidité fictif à hauteur d’un salaire minimum CCT pour nier sur cette base le caractère inférieur à la moyenne du revenu (SVR 2022 UV Nr. 43 p. 172, 8C_528/2021 consid. 8.3.3). Comme dans le cas cité supra, l’assuré travaillait depuis longtemps ou, en l’occurrence, presque exclusivement de manière temporaire, raison pour laquelle il existe de sérieux indices qu’il s’est contenté de son plein gré d’un bas revenu. Il n’y a donc pas lieu de procéder à un parallélisme des revenus à comparer (ATF 134 V 322 consid. 4.1). Rien d’autre ne ressort de l’ATF 148 V 174, invoqué dans le recours, qui traite de l’évaluation du revenu d’invalide sur la base de l’ESS. Il n’y a donc pas lieu de reconnaître une violation du droit fédéral dans la procédure de l’instance cantonale.

 

Consid. 4.2.1 à 4.2.4 (revenu d’invalide ; résumé)
L’assuré conteste l’évaluation de sa capacité de travail dans une activité adaptée, remettant en question la valeur probante de l’exigibilité par le médecin-conseil. L’instance cantonale a écarté tout doute quant à cette évaluation, qui concordait avec le diagnostic non contesté et les limitations indiquées par le chirurgien traitant. L’appréciation du médecin de famille concernant l’impossibilité d’augmenter le taux d’occupation n’a pas été jugée suffisamment motivée pour être prise en compte.

Le rapport du chirurgien traitant, sur lequel s’est basé le médecin-conseil, a été jugé trop succinct et dépourvu d’évaluation quantitative de la capacité de travail. L’évaluation du médecin-conseil a été considérée comme sommaire, d’autant plus qu’il n’y a pas eu d’examen clinique personnel. L’assuré se plaignait de douleurs au poignet, mais l’avis du médecin-conseil ne précise pas comment et dans quelles circonstances ces douleurs se manifestent, se contentant de mentionner des « douleurs au poignet ». Il n’y a donc pas de discussion détaillée sur la description des douleurs, rendant les conclusions peu convaincantes.

Le Tribunal fédéral a estimé que les juges cantonaux ont violé le droit fédéral en procédant à une appréciation définitive des preuves sans investigations supplémentaires, compte tenu des doutes subsistants. En conséquence, le jugement du tribunal cantonal et la décision sur opposition sont annulés, et l’affaire est renvoyée à l’assurance-accidents pour qu’elle mette en œuvre une expertise médicale (art. 44 LPGA) avant de statuer à nouveau sur le droit aux prestations de l’assuré.

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_562/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_562/2023 (d) du 29.05.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/07/8c_562-2023)

 

 

Enquête suisse sur la structure des salaires : Publication des tableaux TA1_skill-level, T1_skill-level et T17 de l’ESS 2022

Enquête suisse sur la structure des salaires : Publication des tableaux TA1_skill-level, T1_skill-level et T17 de l’ESS 2022

 

L’Office fédéral de la statistique a publié le 29.05.2024 les tableaux TA1_skill-level, T1_skill-level et T17 de l’ESS 2022.

Le salaire médian standardisé (40h/sem.) d’un homme, avec le niveau de compétences 1 (tâches physiques ou manuelles simples) est de 5’305 fr. en 2022, contre 5’261 fr. pour l’ESS 2020.

Le salaire médian standardisé (40h/sem.) d’une femme, avec le niveau de compétences 1 (tâches physiques ou manuelles simples) est de 4’367 fr. en 2022, contre 4’276 fr. pour l’ESS 2020.

Vous trouverez les nouveaux tableaux sur le site de l’OFS :

 

NB : Les résultats des ESS 2012 à 2018 étaient calculés sur la base de la classification internationale type des professions CITP-08. Pour les résultats dès l’ESS 2020, la nomenclature suisse des professions CH-ISCO-19 est utilisée.

Dans la note contenue dans les tableaux Excel, l’OFS a précisé que les résultats 2012-2018 ont été recalculés de manière rétroactive sur la base de la CH-ISCO-19.

 

La section «Liens utiles – Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) – Horaire hebdomadaire – Evolution des salaires» du site, contenant tous les tableaux utiles, a également été mise à jour.

 

Hausse des salaires nominaux de 1,7% en 2023 et baisse des salaires réels de 0,4%

Hausse des salaires nominaux de 1,7% en 2023 et baisse des salaires réels de 0,4%

 

Communiqué de presse de l’OFS du 25.04.2024 consultable ici

 

L’indice suisse des salaires nominaux a augmenté en moyenne de 1,7% en 2023 par rapport à 2022. Il s’est ainsi établi à 102,4 points (base 2020 = 100). Compte tenu d’un taux d’inflation annuel moyen de +2,1%, les salaires réels ont baissé de 0,4% (96,9 points, base 2020 = 100), selon les calculs de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

 

Nous vous rappelons l’importance de l’indexation dans la détermination du revenu d’invalide mais également du revenu sans invalidité en cas d’utilisation de l’ESS.

Notre page « Evolution des salaires » a été mise à jour, dans laquelle vous trouverez tous les liens pour l’indexation de 1993 à 2023.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 25.04.2024 consultable ici

 

8C_163/2023 (d) du 07.02.2024 – Revenu sans invalidité selon l’ESS – Résiliation du contrat de travail pour des raisons indépendantes à l’état de santé – Employeur ayant fait faillite

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_163/2023 (d) du 07.02.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Détermination du revenu sans invalidité selon l’ESS – Résiliation du contrat de travail pour des raisons indépendantes à l’état de santé – Employeur ayant fait faillite / 16 LPGA

Allocations familiales non comprises dans le revenu sans invalidité

Niveau de compétences 1 en l’absence de formation professionnelle achevée – Expérience professionnelle écartée

 

Assuré, né en 1975, employé depuis le 01.05.2013 par la société B.__ AG en tant que monteur d’échafaudages, a subi un accident le 18.12.2014 (a sauté au sol depuis une hauteur d’un mètre en démontant un échafaudage). Diagnostic initial : traumatisme en supination de l’articulation talo-calcanéenne supérieure droite.

Le 07.01.2016, l’employeur a licencié l’assuré avec effet immédiat pour des raisons sans rapport avec son état de santé. En septembre de la même année, la société a été déclarée en faillite.

Par décision du 29.04.2021, l’assurance-accidents a octroyé dès le 01.04.2021 une rente d’invalidité fondée sur un taux de 30% et une IPAI de 25%. L’opposition a été admise partiellement, le taux d’invalidité étant porté à 31%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 01.02.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Pour déterminer le revenu hypothétique réalisable sans atteinte à la santé, il est déterminant de savoir ce que la personne assurée aurait gagné au moment déterminant (début de la rente ; cf. ATF 135 V 58 consid. 3.1) sur la base de ses capacités professionnelles et de sa situation personnelle, au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1), et non ce qu’elle pourrait gagner dans le meilleur des cas (ATF 135 V 58 consid. 3.1).

En règle générale, on se fonde sur le dernier salaire réalisé avant l’atteinte à la santé, adapté si nécessaire au renchérissement et à l’évolution réelle du revenu, , en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 p. 30; 135 V 58 consid. 3.1 p. 59 et la référence). Ce n’est que lorsque les circonstances réelles ne permettent pas de chiffrer le revenu sans invalidité avec suffisamment de précision qu’il est possible de recourir à des valeurs statistiques telles que les enquêtes sur la structure des salaires (ESS) publiées par l’Office fédéral de la statistique, pour autant que les facteurs personnels et professionnels déterminants pour la rémunération dans le cas d’espèce soient pris en compte (ATF 144 I 103 consid. 5.3 ; 139 V 28 consid. 3.3.2). En particulier lorsque la personne assurée, en bonne santé, ne travaillerait plus à son ancien poste, le revenu de valide doit être déterminé, conformément à la pratique, en faisant application des valeurs statistiques moyennes (arrêt 8C_581/2020 du 3 février 2021 consid. 6.3 et les références).

Consid. 3.2.1
La cour cantonale a reconnu que même sans accident, l’assuré n’aurait plus été employé par son dernier employeur. Par conséquent, le revenu sans invalidité de CHF 70’303.83 a été déterminé au moyen de la table TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, hommes, secteur de la construction (ch. 41-43), adapté au temps de travail hebdomadaire moyen dans le secteur de la construction (41,3 heures) ainsi qu’à l’évolution des salaires nominaux en 2021.

Consid. 3.2.2
Le revenu d’invalide 2021 de CHF 48’732.40 a été déterminé sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, ligne Total, hommes, niveau de compétence 1, après adaptation de l’horaire hebdomadaire (41,7 heures), à l’évolution du salaire nominal, et prise en compte de la capacité de travail exigible de 75% et enfin d’un abattement de 5% en raison des limitations fonctionnelles.

Consid. 6.1.1
En premier lieu, il convient de rappeler que la date du début de la rente (en l’occurrence le 01.04.2021) est déterminante pour le calcul du revenu sans invalidité (cf. consid. 2.3 supra). Le grief de l’assuré selon lequel la date de l’accident est déterminante est à cet égard dénué de pertinence. Il n’est pas contesté que l’ancien employeur a été mis en faillite en septembre 2016. A cela s’ajoute le fait que celui-ci avait déjà résilié le contrat de travail de l’assuré en janvier 2016 pour des raisons indépendantes de son état de santé. L’assuré n’aurait donc plus travaillé chez son ancien employeur en avril 2021, et ce pour deux raisons. Il ne peut donc pas se prévaloir du fait qu’il y aurait (hypothétiquement) encore travaillé sans atteinte à la santé. Conformément à la jurisprudence, le revenu sans invalidité doit en principe être déterminé au moyen de valeurs statistiques (cf. consid. 2.3 supra).

Consid. 6.1.2
Pour que l’on puisse malgré tout se fonder sur le salaire obtenu auprès de l’ancien employeur, il faudrait établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré aurait continué à l’obtenir dans un autre emploi et que les tables de l’ESS ne sont pas en mesure de fournir à cet égard des résultats plausibles (sur l’ensemble : cf. arrêt 8C_581/2020 du 3 février 2021 consid. 6.1 et 6.3 et les références, in : SVR 2021 UV no 26 p. 123).

Or, l’assuré ne le démontre pas. Il fait valoir qu’il a réalisé en 2014 un revenu de CHF 88’062 auprès de son ancien employeur, revenu qu’il aurait également pu obtenir dans un autre emploi s’il n’y avait pas eu d’accident. Il n’explique pas de manière compréhensible comment il est parvenu à ce salaire pour l’année en question. Quoi qu’il en soit, ce salaire ne ressort pas de l’extrait du compte individuel (CI). Selon ce relevé, il a perçu d’avril à décembre 2014 un salaire de CHF 58’843. Durant les trois autres mois de 2014, il a perçu des indemnités de chômage d’un montant de 12’136 francs.

Dans la mesure où il voudrait se baser, pour le revenu de l’année 2014, sur le gain assuré [ndt : pour la rente] déterminé par l’assurance-accidents, l’assuré oublie d’une part que ce montant a déjà été revalorisé jusqu’en 2020 [ndt : application de l’art. 24 al. 2 OLAA] et ne peut donc pas correspondre au salaire annuel de 2014. D’autre part, les allocations familiales comprises dans le gain assuré ne doivent pas être prises en compte pour le calcul du revenu sans invalidité (arrêt 8C_541/2022 du 8 mai 2023 consid. 3.3 avec référence). Il ne parvient en outre pas à démontrer que son salaire, déduction faite des allocations pour enfants, aurait effectivement augmenté jusqu’en 2021 pour atteindre environ CHF 88’000. En effet, en mars 2018, l’assurance-accidents s’est renseignée auprès de l’ancien employeur sur l’évolution du salaire jusqu’à cette date. Au vu de ses déclarations, le salaire de base qu’elle aurait versé n’aurait augmenté de moins de CHF 1’000 au total entre 2014 et 2018 (salaire de base 2014 par mois : 5’800 francs x 13 ; salaire de base 2018 par mois : 5’848 francs x 13).

L’instance cantonale a démontré de manière convaincante que l’assuré n’aurait pas gagné autant dans un nouvel emploi que chez son ancien employeur. Il ressort de l’extrait du CI qu’avant de travailler pour son dernier employeur, où il était employé depuis le 01.05.2013, il percevait des revenus nettement inférieurs et qu’il avait également été au chômage à plusieurs reprises. A cela s’ajoute le fait que l’assuré ne peut faire état d’une formation professionnelle achevée. Il convient de préciser que ce qui est déterminant en fin de compte n’est pas ce qu’il aurait pu gagner au mieux au moment déterminant en bonne santé, mais ce qu’il aurait pu effectivement gagner au degré de la vraisemblance prépondérante (consid. 2.3 supra). Compte tenu de ce qui précède, la cour cantonale a déterminé le revenu sans invalidité conformément au droit fédéral au moyen de valeurs statistiques basées sur les données de l’ESS (cf. consid. 2.3 et consid. 3.2.1 supra).

L’expérience professionnelle invoquée par l’assuré ne saurait, au regard de l’absence de formation professionnelle achevée, justifier à elle seule le recours au salaire du niveau de compétences 2 (cf. arrêt 8C_728/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3), comme l’a reconnu à juste titre la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_163/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_163/2023 (d) du 07.02.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/03/8c_163-2023)

 

8C_215/2023 (d) du 01.02.2024 – Revenu d’invalide – Abattement nié (longue absence du marché du travail, âge avancé, connaissances linguistiques insuffisantes, permis B, limitations fonctionnelles)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_215/2023 (d) du 01.02.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide – Abattement en raison de la longue absence du marché du travail, de l’âge avancé, de connaissances linguistiques insuffisantes, du permis B et des limitations fonctionnelles (activités légères à moyennement lourdes) nié / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un assuré d’âge moyen (commentaires et remarques personnelles) / 28 al. 4 OLAA

 

Assuré, né en 1960, travaillait depuis le 01.01.2018 en qualité de nettoyeur pour la société B.__ GmbH, qui a entre-temps été déclarée en faillite. Le 23.06.2019, il s’est blessé au genou gauche lors d’une chute.

Stabilisation de l’état de santé décrété le 10.03.2022, avec fin du versement des frais médicaux et des indemnités journalières au 30.04.2022. Décision du 26.04.2022, confirmée sur opposition : octroi d’une IPAI de 20% et droit à une rente d’invalidité nié.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.379 – consultable ici)

Par jugement du 06.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Il n’est pas contesté que tant le revenu d’invalide mais également le revenu sans invalidité – à la suite de la faillite du dernier employeur – doivent être déterminés sur la base de l’ESS 2020. […]

Consid. 4.2
Pour l’année 2022 (début de la rente), l’assurance-accidents a initialement fixé le revenu sans invalidité à CHF 60’558 dans sa décision, en se basant sur le tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, branches économiques 77-82 « Activités de services admin. et de soutien », niveau de compétences 1, hommes. Elle a évalué le revenu d’invalide à CHF 69’061 sur la base du total du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, hommes, ce qui, comparé au revenu valide, a conduit à un taux d’invalidité de 0%. Dans la décision sur opposition, la Suva a en revanche considéré qu’en raison de l’âge avancé de l’assuré, l’art. 28 al. 4 OLAA s’appliquait, raison pour laquelle il fallait se baser « alternativement » sur le tableau T17 de l’ESS, désormais la plus récente, pour les hommes dans la tranche d’âge entre 30 et 49 ans du groupe professionnel 91 (« aides de ménage »). Il en résulte un revenu sans invalidité de CHF 56’258.65 pour l’année 2022. En ce qui concerne le revenu d’invalide, elle a également procédé à un nouveau calcul sur la base de l’ESS 2020 publiée entre-temps. Sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2020, ligne Total, il en résulte un revenu annuel de CHF 66’997.15, et sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020, secteur 9 « Professions élémentaires », un revenu de CHF 66’548. Sur la base de ces chiffres actualisés, le taux d’invalidité était toutefois toujours de 0%.

L’instance cantonale n’est pas parvenue à une conclusion différente, bien qu’elle n’ait pas été d’accord avec l’assurance-accidents sur tous les points. Pour la comparaison des revenus, elle s’est basée sur le revenu sans invalidité fixé par la Suva dans la décision sur opposition sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020 à CHF 56’258.65 et, alternativement, sur un revenu d’invalide de CHF 66’997.15 (sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2020) ou de CHF 66’548.80 (sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020).

Consid. 4.2.1
L’assuré critique les incohérences de l’arrêt cantonal, notamment en ce qui concerne le revenu sans invalidité ; elles sont dues au fait que le tribunal cantonal – contrairement à l’assurance-accidents – a appliqué l’art. 28 al. 4 OLAA dans le cas d’espèce, mais s’est tout de même basé sur un revenu d’un assuré d’âge moyen selon la T17 (alternativement, pour le revenu d’invalide, sur la ligne Total du TA1_tirage_skill_level) pour déterminer les revenus à comparer.

Consid. 4.2.2
La réglementation spéciale de l’art. 28 al. 4 OLAA s’applique dans le domaine de l’assurance-accidents lorsqu’une personne assurée ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident en raison de son âge (variante I) ou lorsque la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé (d’environ 60 ans) (variante II). Selon l’art. 28 al. 4 OLAA, dans un tel cas, les revenus déterminants pour la fixation du degré d’invalidité sont ceux qu’un assuré d’âge moyen pourrait obtenir s’il présentait une atteinte à la santé de même gravité. Il est ainsi tenu compte, lors de l’évaluation de l’invalidité, du fait que, outre l’invalidité due à l’accident – en principe seule assurée –, l’âge avancé peut également entraîner des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain (sur l’ensemble : ATF 148 V 419 consid. 7.2 et les références).

Dans les cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA, un abattement en raison de l’âge avancé de la personne assurée n’entre pas en ligne de compte (ATF 148 V 419 consid. 8). La question de savoir si les conditions d’application de la réglementation spéciale de l’art. 28 al. 4 OLAA sont remplies dans le cas présent (selon l’assurance-accidents) ou si leur présence (selon l’instance cantonale) doit être niée (l’assuré lui-même ne s’exprime pas à ce sujet) peut rester ouverte. En effet, comme on le verra plus loin, il n’en résulte pas, d’une manière ou d’une autre, un taux d’invalidité donnant droit à une rente.

Consid. 5.1
Se référant à l’expertise du Bureau BASS SA « Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung » du 08.01.2021 (ci-après : expertise BASS), l’assuré argue que le revenu d’invalide doit être réduit de 15%. Au vu du profil d’exigibilité défini par le médecin-conseil de l’assurance-accidents et en référence à l’avis de droit du 22.01.2021 (« Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung » [ci-après : avis de droit] et des conclusions in « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten »), il faudrait en outre procéder à un abattement en raison des limitations fonctionnelles. Dans le détail, il en résulterait un abattement de 15% en raison des limitations dues à l’état de santé, de 10% en raison des possibilités de travail limitées et moins bien rémunérées au niveau de compétence 1, de 10% en raison de son âge de 62 ans au moment de la décision, de 5% en raison de la désintégration sur le marché du travail, de 12,4% sur la base de son statut de séjour B, de 10% en raison du manque d’expérience professionnelle en Suisse et dans différentes activités ainsi qu’en raison du manque de connaissances linguistiques. Au total, la déduction maximale possible de 25% devrait donc être accordée.

Consid. 5.2.1
Dans l’ATF 148 V 174, le Tribunal fédéral s’est déjà penché sur les expertises et contributions invoquées par l’assuré et a confirmé la jurisprudence actuelle selon laquelle le revenu d’invalide peut toujours être déterminé à partir de la valeur centrale ou médiane de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 9.2.3 et 9.2.4 ; arrêt 8C_682/2021 du 13 avril 2022 consid. 12.1 s.). Il n’y a pas lieu de revenir en l’espèce sur ce résultat, également important dans le domaine de l’assurance-accidents sociale (arrêt 8C_121/2022 du 27 juin 2022 consid. 5.4.2 in fine et les références). L’assuré ne démontre pas de raisons pour un changement de pratique et de telles raisons ne sont d’ailleurs pas visibles (à ce sujet, cf. ATF 145 V 304 consid. 4.4).

Consid. 5.2.2.1
L’assuré cite ensuite l’éloignement du marché du travail comme l’un des motifs d’abattement sur le revenu d’invalide, n’ayant travaillé en Suisse que pendant huit mois jusqu’à l’accident du 23.06.2019 et n’ayant depuis lors plus exercé d’activité lucrative. La longue absence du marché du travail concerne le critère des années de service, dont l’importance diminue, selon la jurisprudence dans le secteur privé, plus le profil d’exigences à prendre en compte est bas (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc ; arrêt 8C_383/2022 du 10 novembre 2022 consid. 4.2.7 et les références). A cela s’ajoute le fait que, selon la jurisprudence, une longue absence du marché du travail n’a de toute façon pas nécessairement pour effet de diminuer le salaire (cf. arrêt 8C_111/2021 du 30 avril 2021 consid. 4.3.3 et les références). Contrairement aux allégations de l’assuré, on ne peut pas déduire sans autre de la table T15 de l’ESS 2020 que l’ancienneté dans l’entreprise a une influence à la hausse sur le salaire, même pour un travail non qualifié. D’une part, ce tableau ne couvre pas le secteur privé pertinent, mais le secteur privé et le secteur public ensemble, et d’autre part, il ne différencie pas selon le niveau d’exigences (cf. aussi arrêt 8C_361/2011 du 20 juillet 2011 consid. 6.6 concernant le tableau T15 de l’ESS 2008). Dans l’ensemble, l’assuré ne démontre pas et on ne voit pas en quoi un abattement serait néanmoins approprié à cet égard.

Consid. 5.2.2.2
Dans la mesure où l’assuré invoque à nouveau son âge comme facteur d’abattement, la question de savoir si – en dehors du champ d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA – un abattement en raison de l’âge avancé est admissible peut rester ouverte (ATF 148 V 419 consid. 8.3 et les références). A cet égard, il convient de noter avec l’instance cantonale que ce sont précisément les travaux non qualifiés qui sont demandés sur le marché équilibré du travail déterminant, indépendamment de l’âge, et que pour ces activités, un âge avancé n’a pas nécessairement pour effet de diminuer le salaire (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 et les références ; arrêt 8C_128/2022 du 15 décembre 2022 consid. 6.2.3).

De même, des connaissances linguistiques insuffisantes ne justifient pas, en règle générale, un abattement sur le salaire statistique pour le niveau de compétence 1 applicable en l’espèce (arrêt 8C_703/2021 du 28 juin 2022 consid. 5.3 et la référence). L’assuré n’invoque pas de raisons pour une exception à ce principe. En ce qui concerne le statut d’étranger (permis de séjour B), il n’apparaît pas que celui-ci réduirait considérablement la possibilité pour l’assuré de pouvoir obtenir un salaire moyen sur le marché équilibré du travail qui entre en ligne de compte (cf. également les arrêts 8C_339/2022 du 9 novembre 2022 consid. 6.4.2 et 8C_314/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6.2, tous deux avec référence à la table TA12).

Consid. 5.2.2.3
Ce ne sont pas seulement des activités légères qui peuvent être raisonnablement exigées de l’assuré, mais des activités légères à moyennement lourdes, raison pour laquelle aucun abattement sur le revenu statistique n’est en principe justifiée à cet égard (cf. arrêt 9C_449/2015 du 21 octobre 2015 consid. 4.2.4 avec référence). Les limitations qualitatives de la capacité de travail, qui restreignent encore l’éventail des activités pouvant être raisonnablement exigées de lui, ne donnent pas lieu à un abattement de façon systématique (cf. arrêt 9C_312/2022 du 5 janvier 2023 consid. 5.5.2 avec référence à l’ATF 148 V 174). La question de savoir dans quelle mesure les troubles liés à la lésion au genou pourraient avoir des conséquences économiques plus importantes dans le cadre d’une activité adaptée (notamment sans travaux sur terrain accidenté, sur des échelles ou des échafaudages, sans travaux à genoux ou accroupi, sans monter des escaliers de manière répétitive), dans le sens où l’assuré devrait d’emblée s’attendre à une discrimination salariale par rapport à une personne en bonne santé exerçant la même activité, n’est pas exposée de manière substantielle dans le recours et n’est pas non plus facilement identifiable.

Consid. 5.3
En résumé, l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral en refusant une « déduction préalable » forfaitaire et un abattement supplémentaire sur le revenu d’invalide. Si aucun abattement n’entre en ligne de compte pour le revenu d’invalide, la comparaison avec le revenu sans invalidité aboutit, dans toutes les variantes de calcul envisagées jusqu’ici (cf. consid. 4.2 supra), à un taux d’invalidité excluant l’octroi d’une rente.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_215/2023 consultable ici

 

Remarques/Commentaires

S’agissant du revenu sans invalidité d’un assuré d’âge moyen (art. 28 al. 4 OLAA), le recours au tableau T17 semble critiquable. En effet, cette table se rapporte au secteur privé et secteur public ensemble, contrairement à la table TA1_tirage_skill_level (secteur privé uniquement). Puisque le revenu d’invalide est déterminé sur la base du secteur privé uniquement (TA1_tirage_skill_level), il semble plus approprié de recourir au même secteur économique pour évaluer le revenu sans invalidité. Ainsi, à mon sens, le revenu sans invalidité dans la décision initiale me semble moins critiquable (TA1_tirage_skill_level, branches 77-82 « Activités de services admin. et de soutien », niveau de compétences 1). De surcroît, comme le Tribunal fédéral le relève lui-même au consid. 5.2.2.1, seul le secteur privé pertinent.

Dans un souci de cohérence, soit la personne assurée a accès au secteur privé et au secteur public et il convient de déterminer le revenu sans invalidité sur la base de la T17 et le revenu d’invalide sur la base de la T1_tirage_skill_level (secteur privé et secteur public ensemble), soit elle n’a accès qu’au secteur privé et les revenus à comparer sont déterminés sur la base du seul secteur privé (TA1_tirage_skill_level).

On rappellera encore que les revenus statistiques des hommes et des femmes ressortant de la table TA1_tirage_skill_level correspondent à ceux obtenus par l’ensemble des travailleurs, respectivement des travailleuses, quel que soit leur âge. On peut admettre que les revenus par niveau de compétences et branches économiques correspondent à ceux d’un·e travailleur·euse d’âge moyen.

Pour l’abattement sur le revenu d’invalide, le critère de la nationalité et l’autorisation de séjour mériterait à l’occasion une appréciation claire de la part du Tribunal fédéral. Comme l’a encore relevé l’OFS dans son communiqué de presse pour les premiers résultats de l’ESS 2022, les salaires varient fortement selon les permis de séjour. Pour les postes de travail n’exigeant pas de responsabilité hiérarchique, la rémunération des salariés de nationalité suisse (CHF 6’496) est supérieure aux salaires versés à la main-d’œuvre étrangère (CHF 5’300 pour les permis B, CHF 5’787 pour les permis C et CHF 5’859 pour les permis G). La différence atteignant au moins 5% (cf. a contrario l’ATF 146 V 16), cet élément statistique devrait être pris en compte. Cela étant, il est probable que notre Haute Cour rappelle que le permis de séjour et/ou la nationalité de la personne assurée ne constituent pas per se un facteur de réduction du salaire statistique. L’effet du critère «nationalité / autorisation de séjour» doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels, tels que la formation et l’expérience professionnelle de la personne assurée concernée (cf. David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, ch. 255).

 

Proposition de citation : 8C_215/2023 (d) du 01.02.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/03/8c_215-2023)

 

Enquête suisse sur la structure des salaires en 2022: premiers résultats

Enquête suisse sur la structure des salaires en 2022: premiers résultats

 

Communiqué de presse de l’OFS du 19.03.2024 consultable ici

 

Au niveau global de l’économie (secteurs privé et public ensemble), le salaire médian pour un poste à plein temps s’élevait en 2022 à 6788 francs bruts par mois. Bien que la pyramide générale des salaires soit restée relativement stable entre 2008 et 2022, il existe d’importantes différences selon les branches économiques et les profils des salariés. Un tiers des salariés (33,6%) a perçu des bonus et 12,1% ont touché un bas salaire. C’est ce qu’indiquent les premiers résultats de l’enquête suisse sur la structure des salaires 2022 réalisée par l’Office fédéral de la statistique (OFS).

 

Commentaires personnelles / Remarques

Les tableaux TA1_skill-level, T1_skill-level et T17 utilisés dans le domaine des assurances sociales, n’a pas encore été publié par l’OFS (probablement au courant de l’été 2024).

Cela étant, les tableaux de l’ESS 2022 publiés ce jour par l’OFS, en particulier le tableau T1_b (Salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les divisions économiques, la position professionnelle et le sexe, Secteur privé et secteur public ensemble), font apparaître une augmentation des revenus par rapport à ceux de l’ESS 2020. Le salaire médian était de CHF 6’665 selon l’ESS 2020 et est de CHF 6’788 selon l’ESS 2022. Pour les travailleuses sans fonction de cadre, le revenu médian était de CHF 5’787 selon l’ESS 2020 et est de CHF 5’944 selon l’ESS 2022 ; pour les travailleurs sans fonction de cadre, le revenu médian était de CHF 6’214 selon l’ESS 2020 et est de CHF 6’305 selon l’ESS 2022.

La question est ainsi posée de savoir si les données de l’ESS 2022 du TA1_skill-level notamment seront plus élevées que celles de l’ESS 2020 avec, comme corollaire, un revenu d’invalide plus élevé et un taux d’invalidité plus bas.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 19.03.2024 consultable ici

 

8C_756/2022 (d) du 14.12.2023 – Notion de salaire inférieur à la moyenne statistique – Parallélisme des revenus à comparer / Confirmation du TF d’un revenu sans invalidité fixé sur la base de la CCT et non de l’ESS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_756/2022 (d) du 14.12.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion de salaire inférieur à la moyenne statistique – Parallélisme des revenus à comparer / 16 LPGA

Confirmation du TF d’un revenu sans invalidité fixé sur la base de la CCT et non de l’ESS

 

Assuré, né en 1964, employé depuis le 08.07.2019 en tant qu’ouvrier du bâtiment, a été victime d’un accident professionnel le 10.07.2019.

Par décision du 28.05.2021, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 10% et nié le droit à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt UV 2021/75 – consultable ici)

Par jugement du 26.10.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré dès le 01.05.2021 à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 10%.

 

TF

Consid. 4.1
L’instance cantonale a constaté que le dernier salaire perçu par l’assuré était inférieur à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés. Rien dans le dossier n’indique qu’en tant qu’ouvrier non qualifié, il aurait été moins performant que la moyenne. Le fait que l’assuré ait obtenu en dernier lieu un salaire inférieur à la moyenne est dû à des facteurs du marché réel du travail qui ne sont pas pertinentes pour l’évaluation de l’invalidité. S’il avait eu la possibilité d’accepter un emploi dont le salaire se situait dans la moyenne, il en aurait probablement profité. Le revenu sans invalidité réalisable sur le marché équilibré du travail, déterminant en l’espèce, correspondrait par conséquent à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés.

Consid. 4.2
L’assurance-accidents objecte que l’assuré a obtenu dans son activité habituelle un salaire conforme à la Convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse (CN) déclarée de force obligatoire. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un tel revenu ne doit pas être considéré comme inférieur à la moyenne, même s’il est nettement inférieur au salaire moyen dans le secteur principal de la construction, tel qu’il ressort de l’ESS.

Consid. 5.1.1
Lorsqu’il apparaît que l’assuré touchait un salaire nettement inférieur à la moyenne des salaires de la branche pour des raisons étrangères à l’invalidité (par exemple une faible formation scolaire et l’absence de formation professionnelle, des connaissances insuffisantes d’une langue nationale, ainsi que des possibilités restreintes d’embauche à cause du statut [saisonnier, etc.] de l’intéressé), et que les circonstances ne permettent pas de supposer qu’il s’est contenté d’un salaire plus modeste que celui auquel il aurait pu prétendre, il y a lieu d’en tenir compte dans la comparaison des revenus au sens de l’art. 16 LPGA. C’est la seule manière de respecter le principe selon lequel les pertes de salaire dues à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doivent pas être prises en compte du tout ou doivent l’être de manière égale pour les deux revenus comparés (ATF 141 V 1 consid. 5.4 et les références). Dans la pratique, le parallélisme des revenus à comparer peut être effectué soit au regard du revenu sans invalidité en augmentant de manière appropriée le revenu effectivement réalisé ou en se référant aux données statistiques, soit au regard du revenu d’invalide en réduisant de manière appropriée la valeur statistique (ATF 148 V 174 consid. 6.4 avec renvois).

Consid. 5.1.2
Le revenu sans invalidité ne peut toutefois pas être considéré comme inférieur à la moyenne s’il correspond au salaire minimum prévu par une convention collective de travail (CCT) déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral dans la branche professionnelle concernée, car les salaires usuels de la branche y sont représentés de manière plus précise que dans l’ESS. Un parallélisme des revenus à comparer n’entre donc pas en ligne de compte dans un tel cas (arrêt 8C_502/2022 du 17 avril 2023 consid. 5.2.1 et les références).

Consid. 5.2
Selon l’assurance-accidents, en tant qu’ouvrier du bâtiment auprès d’une entreprise soumise à la CN du secteur principal de la construction, l’assuré a perçu en 2019 un salaire horaire de 25.90 francs (hors indemnités de vacances et de jours fériés et 13e salaire). Ce revenu correspondait à la classe de salaire C de la CN à partir du 01.07.2019. Dans sa feuille de calcul, qui lui a servi de base de décision, l’assurance-accidents a estimé que l’assuré aurait percevoir un revenu de CHF 60’289 en 2021 (CHF 26.35/h x 176h/mois x 13). Pour ce faire, elle s’est basée sur le salaire horaire fixé par la CN pour la classe de salaire C (dès le 01.01.2020), déterminant en l’occurrence pour l’examen du caractère inférieur à la moyenne. Ce revenu (hypothétique) correspond donc aux prescriptions minimales de la CN du secteur principal de la construction, raison pour laquelle, conformément à la jurisprudence, il ne peut en principe pas être considéré comme inférieur à la moyenne, même s’il est inférieur au revenu statistique de l’ESS (tableau TA1_tirage_skill_level, 2018, niveau de compétence 1, hommes) dans le secteur de la construction (ch. 41-43). En particulier, en raison de la très courte durée des rapports de travail et de l’absence d’expérience professionnelle dans le secteur de la construction dans notre pays, il n’y a pas lieu non plus d’approfondir ici la question soulevée dans l’arrêt 8C_759/2017 du 8 mai 2018 (consid. 3.2.2 in fine). Il faut donc renoncer à une parallélisation des revenus à comparer. De même, contrairement à l’instance cantonale, il n’y a pas lieu de s’écarter du principe selon lequel il faut se référer au dernier salaire réalisé pour calculer le revenu sans invalidité (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1).

En se basant sur la valeur centrale des salaires des ouvriers non qualifiés pour déterminer le revenu sans invalidité, le tribunal cantonal a, au vu de ce qui précède, violé le droit fédéral. En suivant l’assurance-accidents, il faut retenir un revenu de CHF 60’289.

Consid. 5.3
Il est établi que l’assuré pourrait exercer une activité adaptée à son état de santé sans perte de rendement. L’instance cantonale, en procédant à une « comparaison en pourcentage », n’a pas déterminé de revenu d’invalide concret, mais s’est contentée d’exposer que celui-ci correspondait à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés. Selon les bases de calcul de l’assurance-accidents, le revenu d’invalide se monte à CHF 62’527 (y compris l’abattement de 10% sur le salaire statistique), ce qui ne donne lieu à aucun autre commentaire. Par conséquent, la comparaison entre le revenu sans invalidité de CHF 60’289 et le revenu d’invalide de CHF 62’527 ne laisse subsister aucune incapacité de gain.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_756/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_756/2022 (d) du 14.12.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/02/8c_756-2022)

 

 

9C_434/2023 (f) du 30.11.2023 – Revenu sans invalidité – Possibilités théoriques de développement professionnel – Maxime inquisitoire / Moment déterminant pour la comparaison des revenus

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_434/2023 (f) du 30.11.2023

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité – Possibilités théoriques de développement professionnel – Maxime inquisitoire / 16 LPGA – 61 let. c LPGA

Moment déterminant pour la comparaison des revenus en cas de dépôt tardif de la demande AI / 29 al. 1 LAI

 

Assuré, né en 1983, titulaire d’un CFC de vendeur spécialisé en photographie, a travaillé en dernier lieu comme « Customer support » à plein temps (du 01.01.2017 au 31.03.2019). En arrêt de travail depuis le 24.09.2018, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 01.11.2019.

Entre autres mesures, l’office AI a recueilli des informations sur la situation professionnelle de l’assuré auprès de l’employeur, puis versé à son dossier celui de l’assurance perte de gain maladie. Il a ensuite mis en œuvre une expertise psychiatrique (rapport du 23.04.2021, complété le 06.07.2021). L’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente de l’assurance-invalidité dès le 01.05.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 215/22 – 158/2023 – consultable ici)

Par jugement du 06.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
D’après l’art. 61 let. c seconde phrase LPGA, la maxime inquisitoire est applicable à la procédure judiciaire cantonale. En vertu de ce principe, il appartient au juge d’établir d’office l’ensemble des faits déterminants pour la solution du litige et d’administrer, le cas échéant, les preuves nécessaires. En principe, les parties ne supportent ni le fardeau de l’allégation ni celui de l’administration des preuves. Cette maxime doit cependant être relativisée par son corollaire, soit le devoir de collaborer des parties (art. 61 let. c première phrase LPGA), lequel comprend l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela est raisonnablement exigible, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués. Si le principe inquisitoire dispense les parties de l’obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve. Dès lors, en cas d’absence de preuve, c’est à la partie qui voulait en déduire un droit d’en supporter les conséquences, sauf si l’impossibilité de prouver un fait peut être imputée à la partie adverse. Cette règle ne s’applique toutefois que s’il se révèle impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et en application du principe de la libre appréciation des preuves, d’établir un état de fait qui correspond, au degré de la vraisemblance prépondérante, à la réalité (ATF 144 V 427 consid. 3.2; 139 V 176 consid. 5.2).

 

Consid. 3
Pour déterminer le revenu sans invalidité, nécessaire à l’évaluation du taux d’invalidité conformément à l’art. 16 LPGA, il faut établir ce que la personne assurée aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2), réellement pu obtenir au moment déterminant si elle n’était pas devenue invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par la personne assurée avant l’atteinte à la santé, en tenant compte de l’évolution des salaires jusqu’au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 144 I 103 consid. 5.3; 139 V 28 consid. 3.3.2). Le salaire réalisé en dernier lieu comprend tous les revenus d’une activité lucrative (y compris les gains accessoires, la rémunération des heures supplémentaires effectuées de manière régulière) soumis aux cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants (AVS; arrêt 9C_611/2021 du 21 novembre 2022 consid. 4.1 et la référence). A cet effet, on se fondera en principe sur les renseignements fournis par l’employeur. Il est toutefois possible de s’écarter du dernier salaire que la personne assurée a obtenu avant l’atteinte à la santé quand on ne peut pas l’évaluer sûrement. Ainsi, lorsque le revenu avant l’atteinte à la santé a été soumis à des fluctuations importantes à relativement court terme, il y a lieu de se baser sur le revenu moyen réalisé pendant une période assez longue (arrêt 8C_157/2023 du 10 août 2023 consid. 3.2 et les références).

Les possibilités théoriques de développement professionnel (lié en particulier à un complément de formation) ou d’avancement ne sont pas prises en considération, à moins que des indices concrets rendent très vraisemblables qu’elles se seraient réalisées. Cela pourra être le cas lorsque l’employeur a laissé entrevoir une telle perspective d’avancement ou a donné des assurances en ce sens. En revanche, de simples déclarations d’intention de la personne assurée ne suffisent pas. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (arrêt 9C_271/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3.3.2 et la référence).

 

Consid. 4.1
Pour fixer le revenu sans invalidité, la cour cantonale s’est référée au salaire que l’assuré avait effectivement perçu en 2018, soit au montant de 64’400 fr. Elle a indexé ce revenu pour l’année 2019, en tenant compte de l’évolution des salaires nominaux, des prix à la consommation et des salaires réels, et obtenu un montant de 64’979 fr. 60. Par ailleurs, elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu de se fonder sur le montant de 75’000 fr. mentionné dans le rapport d’employeur pour l’année 2020. En effet, la brièveté des rapports de travail – un peu moins de vingt-et-un mois au moment de la survenance de l’incapacité de travail – ne permettait pas de préjuger, en l’absence d’autres indices concrets, d’une évolution salariale positive d’une ampleur comparable à celle invoquée. La comparaison du revenu sans invalidité de 64’979 fr. 60 avec un revenu avec invalidité de 34’188 fr. 29 aboutissait à un degré d’invalidité de 47 % (47,38 %). L’assuré avait dès lors droit à un quart de rente de l’assurance-invalidité dès le 01.05.2020, soit six mois après le dépôt de sa demande de prestations.

Consid. 4.2
Invoquant une appréciation arbitraire des preuves, l’assuré reproche à la juridiction cantonale de s’être écartée du revenu sans invalidité de 75’000 fr. indiqué par son employeur pour l’année 2020. Outre que sa situation n’était pas comparable à celle examinée dans l’arrêt 9C_221/2014 précité, il fait valoir qu’il était au bénéfice d’un contrat de travail de durée indéterminée et que son revenu avait régulièrement augmenté, passant notamment de 49’910 fr. en 2017 à 64’400 fr. en 2018.

Consid. 5.1
En l’occurrence, comme le relève l’assuré, la comparaison des revenus avec et sans invalidité s’effectue au moment déterminant de la naissance du droit à une éventuelle rente de l’assurance-invalidité (art. 29 al. 1 et 3 LAI; ATF 129 V 222 consid. 4.1; arrêt 8C_350/2022 du 9 novembre 2022 consid. 6). Dans la mesure où l’assuré a déposé sa demande de prestations le 01.11.2019, soit plus de six mois après la survenance de son incapacité de travail (le 24.09.2018), la comparaison des revenus devait s’effectuer six mois plus tard (art. 29 al. 1 LAI), pour l’année 2020 (01.05.2020). Dès lors, en procédant à la comparaison des revenus avec et sans invalidité de l’assuré avec les salaires de l’année 2019 (24.09.2019), la juridiction cantonale a violé le droit fédéral.

Consid. 5.2
Ensuite, s’agissant du revenu sans invalidité, la juridiction cantonale a versé dans l’arbitraire en écartant d’emblée les indications fournies par l’employeur dans le questionnaire du 20.01.2020 au motif qu’il ne pouvait « préjuger », en l’absence d’autres indices concrets, une « évolution salariale positive d’une ampleur comparable à celle invoquée », vu la brièveté des rapports de travail. Etant donné que les juges cantonaux avaient des doutes sur l’évolution salariale en fonction des données fournies par l’employeur (un revenu annuel brut de 75’000 fr. en 2020, soit une augmentation de 10’600 fr. par rapport à l’année 2018 [64’400 fr.]), ils étaient tenus en vertu de la maxime inquisitoire de procéder à l’administration des preuves nécessaires par documents, renseignements des parties ou encore renseignements ou témoignages de tiers pour établir de la manière la plus concrète possible le revenu sans invalidité que l’assuré aurait perçu durant l’année 2020. A cet égard, sans connaître les motifs pour lesquels l’employeur a indiqué que l’assuré aurait perçu un revenu annuel (brut) de 75’000 fr. en 2020, on ne saurait suivre la juridiction cantonale lorsqu’elle se réfère à l’arrêt 9C_221/2014 du 28 août 2014. Dans cette cause, qui concernait un employé travaillant dans le cadre d’une mission temporaire, le Tribunal fédéral a retenu qu’il n’existait aucun indice concret mettant en évidence l’intention de la personne assurée d’entreprendre une nouvelle formation professionnelle conduisant à une activité plus rémunératrice avant la survenance de son atteinte à la santé. A l’inverse, faute pour la juridiction cantonale d’avoir instruit ce point, on ignore dans la présente cause si l’employeur s’est fondé – comme semble le supposer la juridiction cantonale – sur un changement (hypothétique) d’activité ou du cahier des charges. En l’état, la référence à l’arrêt 9C_221/2014 est erronée. Dès lors, en s’abstenant de mettre en œuvre les mesures d’instruction nécessaires pour trancher l’étendue du droit de l’assuré à une rente de l’assurance-invalidité (quart ou demi-rente d’invalidité), la juridiction cantonale a violé le droit fédéral matériel (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 et la référence).

Consid. 5.3
Finalement, c’est en vain que l’assuré demande à ce que le Tribunal fédéral statue sur la base des données fournies par son employeur, puisque celles-ci doivent être complétées (supra consid. 5.2).

Consid. 6
Cela étant, faute pour l’arrêt entrepris de reposer sur des constatations de fait suffisantes, le Tribunal fédéral n’est pas en mesure de se prononcer sur le fond. L’arrêt attaqué doit par conséquent être annulé et la cause renvoyée à l’autorité précédente pour qu’elle procède à l’administration des preuves nécessaires pour établir de la manière la plus concrète possible le revenu sans invalidité que l’assuré aurait perçu en 2020. Il appartiendra ensuite à la juridiction cantonale de statuer à nouveau sur l’étendue du droit de l’assuré à une rente de l’assurance-invalidité dès le 01.05.2020.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_434/2023 consultable ici

 

8C_46/2023 (f) du 26.10.2023 – Evaluation du taux d’invalidité pour un employé avec un salaire fixe et un bonus variable (dépendant du résultat de l’exercice annuel de la société) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_46/2023 (f) du 26.10.2023

 

Consultable ici

 

Evaluation du taux d’invalidité pour un employé avec un salaire fixe et un bonus variable (dépendant du résultat de l’exercice annuel de la société) / 16 LPGA

Nécessité d’un lien de causalité entre la perte de gain et l’atteinte à la santé

Conséquences de l’absence de preuve

 

Assuré, comptable depuis octobre 1983 au service de la fiduciaire B.__ SA, dont il est directeur et, depuis janvier 2015, administrateur avec droit de signature individuelle, après avoir été administrateur-secrétaire de 1998 à 2000 et administrateur-président de janvier 2010 à janvier 2015. Il est également administrateur-président de la société C.__ SA depuis décembre 2001, avec droit de signature individuelle. Ladite société est détenue par B.__ SA et sise à la même adresse que cette dernière.

Le 12.03.2015, l’assuré a été percuté par une camionnette, alors qu’il circulait à vélo. L’accident lui a causé un polytraumatisme impliquant de nombreuses fractures et notamment un traumatisme crânio-cérébral ainsi que des atteintes neurologiques. Generali a pris en charge le cas.

L’assuré, en incapacité totale de travail depuis l’accident, a pu reprendre son activité à 50% dès le 01.07.2015. Il a ensuite progressivement augmenté son taux d’activité, à 60% dès le 01.04.2016, puis à 75% dès le 01.07.2016 et à 100% dès le 01.01.2017, avant de connaître une nouvelle incapacité de travail de 10% dès le 01.03.2017, la tentative de reprise à plein temps s’étant soldée par un échec, en raison d’un état de fatigue accru.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a considéré que l’état de santé de l’assuré était stabilisé et a mis fin au versement de l’indemnité journalière et à la prise en charge du traitement médical avec effet au 31.08.2019. Elle a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, mais lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité, fondée sur un taux de 32.5%, compte tenu des atteintes orthopédiques et neurologiques.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 108/20-154/2022 – consultable ici)

Par jugement du 14.12.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition dans le sens de la reconnaissance du droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 37.5%.

 

TF

Consid. 3.2
Chez les assurés exerçant une activité lucrative, le taux d’invalidité doit être évalué sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1). Dans certaines circonstances, il est possible de fixer la perte de gain d’un assuré directement sur la base de son incapacité de travail en faisant une comparaison en pour-cent (arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 consid. 2.2). Cette méthode constitue une variante admissible de la comparaison des revenus basée sur des données statistiques: le revenu hypothétique réalisable sans invalidité équivaut alors à 100%, tandis que le revenu d’invalide est estimé à un pourcentage plus bas, la différence en pour-cent entre les deux valeurs exprimant le taux d’invalidité (arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 consid. 6.2.2 et les arrêts cités). L’application de cette méthode se justifie notamment lorsque les salaires avant et/ou après invalidité ne peuvent pas être déterminés ou lorsque l’activité exercée précédemment est encore possible (en raison par exemple du contrat de travail qui n’a pas été résilié) (arrêt 9C_237/2016 précité consid. 2.2; MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, LPGA, 2018, n° 44 s. ad art. 16 LPGA).

Consid. 3.3
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 4.1
La cour cantonale a retenu que l’assuré présentait une diminution de rendement de 10% due aux séquelles de l’accident du 12.03.2015. Dans la mesure où il avait repris le travail en juillet 2015 en qualité de comptable et directeur de B.__ SA, et qu’il s’agissait-là d’une activité stable dont on pouvait admettre qu’elle mettait pleinement en valeur sa capacité résiduelle de travail et de gain, l’invalidité devait être calculée en fonction de sa situation professionnelle concrète.

Consid. 4.2
Sur le plan économique, les juges cantonaux ont constaté que l’assuré était rémunéré d’une double manière, à savoir par un salaire fixe et par un bonus variable, résultant de la répartition entre les associés d’une enveloppe de direction déterminée chaque printemps en fonction du résultat de l’exercice annuel précédent.

En ce qui concernait la rémunération fixe, la cour cantonale a retenu que, depuis le 01.09.2019, l’assuré avait perçu un salaire fixe inférieur de 10% au salaire qui aurait été le sien sans invalidité. S’agissant de la rémunération variable (bonus), l’éventuel préjudice économique subi par l’assuré ne pouvait pas être évalué en valeurs absolues. Une comparaison en francs des bonus avec et sans atteinte à la santé n’était pas représentative, puisque le montant versé à l’assuré était tributaire de la valeur de l’enveloppe à répartir, autrement dit du résultat réalisé par l’entreprise. Il n’était dès lors pas possible de distinguer une éventuelle influence des limitations fonctionnelles de l’assuré sur le montant perçu d’une simple variation du bénéfice de la société due à d’autres facteurs. Ce constat s’illustrait notamment s’agissant du bonus alloué à l’assuré pour les années 2016 et 2018, qui avait été respectivement de 93’072 fr. 93 et de 60’075 fr.40, alors que la clé de répartition de l’enveloppe était identique avec 66,66% en faveur de l’assuré contre 33,33% en faveur de D.__. Une comparaison du bonus s’imposait mais elle devait s’opérer sur des valeurs relatives, à savoir sur les proportions de la clé de répartition de l’enveloppe de direction. Or les documents produits par l’assuré en réponse à une mesure d’instruction du 26.08.2022 ne permettaient pas de vérifier les allégations de celui-ci, selon lesquelles la proportion en sa faveur était passée de 66,66% à 60%. En effet, le ratio de deux tiers pour lui et un tiers pour D.__ n’avait été appliqué que depuis 2016, soit précisément l’année qui avait suivi l’accident. Le bonus alloué à l’assuré pour 2013, première année de partage de l’enveloppe de direction avec D.__, représentait 70% de l’enveloppe. En 2014, année précédant l’accident, sa part avait chuté à 37% contre 63% pour D.__, étant précisé que selon une attestation du 07.09.2022 de cette dernière, le bonus décidé début 2015 pour l’année 2014 tenait également compte de l’absence très fréquente de l’assuré en 2014 en raison d’un important conflit familial. En 2015, la part de l’assuré au bonus s’était à nouveau limitée à 34%. Ces chiffres étaient bien loin d’une clé de répartition linéaire et durable de 66,66% en faveur de l’assuré et de 33,33% en faveur de D.__. Au final, la clé de répartition du bonus entre les intéressés avait constamment varié au fil des années, sans que l’assuré parvienne à démontrer que ces variations seraient attribuables aux séquelles de son accident et à sa capacité résiduelle de travail. Alors que l’assuré annonçait une diminution de sa part de 66,66% à 60% dès 2019 pour tenir compte de son incapacité de travail de 10%, sa part s’était ensuite encore réduite à 55% en 2020, puis à 50% en 2021, alors que son incapacité de travail, inchangée, était toujours de 10%. Ainsi, la part de l’assuré au bonus avait varié de manière substantielle entre 2013 et 2021, pour passer de très faible certaines années avant l’accident (2014 et 2015), à haute alors même que l’assuré travaillait à un taux d’activité réduit en raison des séquelles de son accident (2016 à 2018). Il ne pouvait donc pas être retenu comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante que les variations de la part de l’assuré au bonus étaient en lien de causalité avec les séquelles de l’accident du 12.03.2015 et sa capacité de travail désormais réduite.

Consid. 4.3
Enfin, les explications données par B.__ SA, sous signature de l’assuré, au sujet de l’évolution de sa rémunération en fonction de son état de santé avaient varié au fil du temps, de sorte qu’elles semblaient dénuées de cohérence, voire contradictoires. En définitive, dès lors que l’assuré avait échoué à rendre vraisemblable une réduction de sa part au bonus annuel de minimum 10% qui pourrait être mise en lien de causalité avec l’accident assuré, la seule diminution de 10% de son salaire fixe ne suffisait pas à établir à satisfaction une différence de 10% au moins entre les revenus globaux sans et avec invalidité. C’était ainsi de manière fondée que l’assurance-accidents avait considéré que l’assuré ne présentait pas une invalidité au moins égale à 10% et lui avait refusé l’octroi d’une rente de l’assurance-accidents.

 

Consid. 5.1.2
Il est vrai que le bonus afférent à l’année 2015, alloué début 2016, porte sur l’année de l’accident, survenu en mars 2015. Cela ne change toutefois rien au raisonnement des juges cantonaux en tant que ceux-ci ne voient pas de corrélation entre les clés de répartition de l’enveloppe des bonus et la capacité résiduelle de travail de l’assuré due à son accident. En effet, il n’est pas contesté que la clé de répartition était moins favorable à l’assuré en 2014 (37%) que de 2016 à 2021 (de 50 à 66,66%). Quand bien même l’année 2014 fut marquée par des absences liées à un conflit familial, il n’est pas possible d’en déduire que la clé aurait été supérieure à 66,66% s’il avait été plus présent. En tant que l’assuré soutient qu’il aurait fallu se fonder sur davantage d’années, il perd de vue que l’argumentation des juges cantonaux visait à répondre à son allégation selon laquelle avant l’accident, la clé de répartition était de 66,66% en sa faveur. En outre, à la lecture du tableau produit par l’assuré en instance cantonale ce n’est qu’à partir de 2014 que le bonus (afférent à 2013) a été fixé sur la base d’une enveloppe de direction à partager avec D.__ selon une clé de répartition. Autrement dit, il n’est pas possible d’opérer un examen de la clé de répartition sur trois ou quatre années avant l’accident. En tout état de cause, le fait que les proportions ont varié entre 2019 et 2021, alors que la capacité de travail résiduelle était stabilisée, montre qu’il n’y a pas de lien direct entre celle-ci et la répartition de l’enveloppe. Dans cette mesure, les conclusions des juges cantonaux sur l’absence de rapport de causalité entre les séquelles de l’accident et les variations de la part au bonus échappent à la critique.

 

Consid. 5.3.1
L’assuré procède ensuite à son propre calcul des revenus avec et sans invalidité. Sur la base de l’extrait du compte individuel AVS et des fiches de salaire, il invoque un revenu sans invalidité de 255’509 fr. 55 (moyenne des années 2011 à 2014) et un revenu avec invalidité de 204’229 fr. 95 (moyenne des années 2015 à 2019, hors indemnités journalières). Il n’est selon lui pas compréhensible que la cour cantonale n’ait pas considéré ces chiffres et qu’elle se soit fondée sur la clé de répartition du bonus, qui ne serait pas déterminante. Il faudrait bien plus se fonder sur le bénéfice effectivement réparti.

Consid. 5.3.2
En l’occurrence, les juges cantonaux ont refusé de se fonder sur les valeurs absolues du bonus au motif que celui-ci était tributaire du résultat réalisé par l’entreprise, lequel ne permettait pas de distinguer l’influence des limitations fonctionnelles de l’assuré d’une simple variation du bénéfice due à d’autres facteurs. Cela étant, le raisonnement des juges cantonaux n’est pas incompréhensible, ni contraire au droit. La jurisprudence reconnaît d’ailleurs que les données comptables ne permettent pas de tirer des conclusions valables sur la diminution de la capacité de gain due à l’invalidité lorsque les résultats de l’exploitation ont été influencés par des facteurs étrangers à l’invalidité (cf. arrêts 8C_1/2020 du 15 octobre 2020 consid. 3.2; 9C_826/2017 du 28 mai 2018 consid. 5.2; 9C_106/2011 du 14 octobre 2011 consid. 4.3 et les références). En outre, si l’examen auquel a procédé la cour cantonale sur la base de la clé de répartition de l’enveloppe n’a pas permis d’établir une perte de gain suffisante liée à l’accident, l’argumentation de l’assuré ne le permet pas non plus. A cet égard, il ne suffit pas de se prévaloir d’une diminution des revenus effectivement perçus. Encore faut-il que la baisse éventuelle du bénéfice de la société, en fonction duquel est calculé le montant de l’enveloppe des bonus à répartir, soit imputable à l’accident de l’assuré, étant précisé que, selon un rapport de visite du 10.10.2019, B.__ SA compte plusieurs associés, dont trois travaillent dans l’entreprise, et emploie, avec la société C.__ SA, neuf collaborateurs en tout.

 

Consid. 6.2
La diminution de 10% du salaire fixe de l’assuré à compter de la fin de son droit aux indemnités journalières (pour tenir compte d’une capacité de travail de 90%), se distingue manifestement de la question du bonus. En effet, le bonus – dont il n’est pas contesté qu’il est fixé en fonction du bénéfice de la société et de la clé de répartition – ne dépend pas, à tout le moins pas directement ni uniquement, de la capacité de travail de l’assuré. Or, comme on l’a déjà dit (cf. consid. 5.3.2), pour reconnaître le droit de l’assuré à une éventuelle rente d’invalidité, il faut que la perte de gain (à déterminer selon une des méthodes reconnues par la jurisprudence) soit imputable à l’accident assuré (sur la nécessité d’un lien de causalité entre la perte de gain et l’atteinte à la santé, cf. MOSER-SZELESS, op. cit. n° 28 s. ad art. 7 LPGA). A la lecture du tableau récapitulatif des bonus produit par l’assuré en procédure cantonale, on observe que l’enveloppe à répartir est passée de 84’239 fr. 24 en 2015 (pour l’année 2014) à 98’625 fr. 47 en 2016 (pour l’année 2015). Autrement dit, l’enveloppe des bonus, qui dépend du bénéfice de la société, a augmenté l’année de l’accident par rapport à l’année précédente. Elle est même passée à 139’609 fr. 40 en 2017 (bonus afférents à l’année 2016). On ne voit toutefois pas en quoi le versement des indemnités journalières par l’assurance-accidents permettrait d’expliquer la hausse de l’enveloppe des bonus à répartir. Dans ces conditions, on ne peut que confirmer l’absence de lien de causalité entre la diminution des revenus alléguée par l’assuré et son incapacité de travail de 10%. Enfin, les faits de la présente cause se distinguent de ceux qui ont fait l’objet de l’arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 où la méthode de comparaison en pour-cent a été appliquée. En effet, la rémunération de l’assurée concernée était certes composée d’une part fixe et d’une part variable, mais cette dernière dépendait des commissions perçues par l’assurée et non du bénéfice de la société. De surcroît, il n’y a pas lieu d’appliquer la méthode en pour-cent en l’espèce car la difficulté de la cause ne consiste pas dans l’impossibilité à chiffrer les revenus sans et avec invalidité mais dans la reconnaissance d’une perte de gain (suffisante) imputable à l’accident, ce que les pièces au dossier n’ont précisément pas permis d’établir. Un renvoi de la cause apparaît par ailleurs superflu. Il s’ensuit que l’assuré devra supporter les conséquences de l’absence de preuve (cf. consid. 3.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_46/2023 consultable ici