Archives par mot-clé : Capacité de travail exigible

8C_546/2023 (f) du 28.03.2024 – Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Revenu d’invalide / Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_546/2023 (f) du 28.03.2024

 

Consultable ici

 

Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Activité habituelle partiellement adaptée aux limitations fonctionnelles – Revenu d’invalide / 16 LPGA

Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

 

Assuré, né en 1973, travaille depuis 2011 comme opérateur logistique. Le 03.08.2014, il a glissé dans les escaliers à son domicile et ressenti une douleur au genou gauche. Les investigations médicales ont mis en évidence des antécédents opératoires (résection d’un kyste para-méniscal externe) et des troubles dégénératifs débutants. Le spécialiste en chirurgie orthopédique a pratiqué une arthroscopie du genou gauche en mars 2015 puis une arthroscopie et méniscectomie quasi totale du ménisque externe en juin 2017. L’assuré a été en mesure de reprendre son activité à 100% après ces opérations. En octobre 2020, le chirurgien traitant a procédé à l’implantation d’une prothèse unicompartimentale (PUC) externe du genou gauche. A la suite de cette opération, l’assuré a repris progressivement son activité à un taux de 80%. Se fondant sur un rapport de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assurance-accidents a, par décision du 21.02.2022, confirmée sur opposition le 03.10.2022, mis un terme au versement des indemnités journalières et à la prise en charge du traitement médical au 30.04.2022, refusé le droit à une rente d’invalidité et accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI), fondée sur un taux de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 189 – consultable ici)

Par jugement du 01.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1).

Consid. 3.3
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3).

Consid. 3.4
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 5.4
Dans ses réponses apportées le 29.10.2022 à un questionnaire soumis par le mandataire de l’assuré, le spécialiste en médecine interne générale et médecin traitant a indiqué, s’agissant de la pleine capacité de travail exigible retenue par l’assureur-accidents, qu’une reprise à plein temps était illusoire, relevant que l’orthopédiste traitant attestait toujours d’une incapacité de travail de 20%. Malgré des activités déjà allégées par l’employeur, l’assuré était toujours gêné au niveau du genou gauche qui enflait et lâchait surtout en fin de journée. Toutes les limitations fonctionnelles retenues par le médecin-conseil étaient exactes, mais l’expérience à sa place actuelle avait démontré qu’il y avait d’autres limitations tenant essentiellement au temps de travail, le médecin traitant énonçant à cet égard un facteur d’épuisement de « l’organe » handicapé souvent ignoré par les experts. Ce faisant, il se prononce sur l’exigibilité au regard de l’activité actuelle exercée par l’assuré. Ses réponses ne sont pas de nature à mettre en doute les conclusions du médecin-conseil quant à la capacité de travail entière dans une activité adaptée qui ne nécessite pas de position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, de position à genoux ou accroupie, d’utilisation répétée d’escaliers, de déplacements en terrain accidenté ni de port de charges lourdes. La fatigue de l’articulation du genou liée à l’activité physique de l’assuré a été en outre expressément prise en compte par le médecin-conseil. Par ailleurs, rien au dossier ne permet d’attester une adaptation du poste de travail respectivement un allègement des activités par l’employeur. En l’état, l’activité d’opérateur logistique, reprise à 80%, n’est pas adaptée aux séquelles de l’accident. Au regard de la description du poste de travail contenue dans les rapports d’entretien de l’assureur-accidents, il s’agit d’une activité physique avec des ports de charges jusqu’à 30 kg, avec pour tâches principales la manutention de colis, la gestion du stock et le chargement des camions. Compte tenu en particulier du port de charges, cette activité n’est pas raisonnablement exigible.

Consid. 5.5
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’écarter de la capacité de travail de 100% dans une activité adaptée retenue par l’assurance-accidents sur la base de l’appréciation de son médecin-conseil.

 

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3, 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb).

Consid. 6.2.2
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, la prise en compte d’un abattement lié aux années de service n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétences 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.1 et l’arrêt cité).

Pour le surplus, les séquelles de l’accident ne sont pas de nature à justifier un abattement. Les limitations au genou gauche ne restreignent la capacité de l’assuré que dans certaines positions (position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, position à genoux et accroupie) et situations bien particulières (utilisation répétée d’escaliers, déplacement en terrain accidenté, port de charges lourdes). Ces limitations, qui ne sont pas inhabituelles, sont compatibles avec des activités simples et légères, et ne requièrent pas des concessions telles, de la part d’un employeur, qu’un abattement sur le salaire tiré de l’ESS s’imposerait pour en tenir compte.

C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale n’a procédé à aucun abattement.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_546/2023 consultable ici

 

9C_392/2023 (f) du 26.02.2024 – Révision d’une rente d’invalidité – 17 LPGA / Valeur probante du rapport médical (attestant une amélioration de la capacité de travail) niée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_392/2023 (f) du 26.02.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité / 17 LPGA

Valeur probante du rapport médical (attestant une amélioration de la capacité de travail) du médecin traitant niée

La modification de la capacité de travail doit être corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique

 

Par décisions des 03.01.2020 et 10.02.2020, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité et à une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.02.2019. L’administration a ensuite réduit la rente entière d’invalidité à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020 (décision du 09.10.2020), au terme d’une procédure de révision initiée en mars 2020. Elle a également nié le droit de l’assuré à des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle et à des mesures d’ordre professionnel autres qu’une aide au placement (décision du 12.10.2020).

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a examiné l’évolution de l’état de santé de l’assuré entre la décision du 03.01.2020, par laquelle l’office AI lui avait reconnu le droit à une rente entière d’invalidité dès le 01.02.2019, et la décision du 09.10.2020 de réduction de la rente entière à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020. Elle est parvenue à la conclusion que les différents avis médicaux versés au dossier démontraient un changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité à compter du 10.12.2019, date à partir de laquelle l’assuré était en mesure d’exercer à mi-temps une activité adaptée respectant ses limitations fonctionnelles. En conséquence, elle a nié la nécessité d’une expertise indépendante, comme le requérait l’assuré.

Par jugement du 23.05.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Le Tribunal fédéral annule une décision au titre de l’arbitraire dans l’appréciation des preuves ou la constatation des faits uniquement si la décision litigieuse est manifestement insoutenable, si elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle viole gravement une disposition légale ou un principe juridique indiscuté ou si elle heurte de façon choquante le sentiment de la justice et de l’équité. Pour parvenir à une telle solution, non seulement la motivation, mais aussi le résultat de la décision doivent être arbitraires. L’existence d’une autre solution, même préférable à celle retenue, ne saurait suffire (cf. ATF 140 III 264 consid. 2.3; 139 III 334 consid. 3.2.5 et les références).

Consid. 3.2
A l’appui de son recours, l’assuré se prévaut d’une violation du droit (art. 28 ss LAI et art. 17 LPGA), ainsi que d’un établissement des faits et d’une appréciation des preuves arbitraires. Il reproche en substance à la juridiction cantonale de s’être fondée « entièrement » sur le rapport de la doctoresse B.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation, du 08.04.2020, dont il remet en cause la valeur probante, pour admettre que sa capacité de travail s’était améliorée à compter du 10.12.2019. L’assuré conteste également l’évaluation de son taux d’invalidité, ainsi que le refus de lui octroyer un reclassement ou des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle.

Consid. 4.1
En l’espèce, l’assuré a présenté une incapacité totale de travail depuis le 11.02.2018 en relation avec une paraplégie AIS B de niveau D9 sur ischémie médullaire après dissection aortique de type Stanford B, à la suite de laquelle l’office AI lui a reconnu le droit à une rente entière d’invalidité à compter du 01.02.2019 (décision du 03.01.2020). Par décision du 09.10.2020, l’administration a ensuite diminué la rente entière à trois quarts de rente avec effet au 01.12.2020. Selon les docteurs D.__ et E.__, médecins au SMR de l’AI, les pièces médicales en leur possession démontraient une stabilité de l’état de santé et un degré d’autonomie compatible de l’assuré avec une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à compter du 10.12.2019. La juridiction cantonale a confirmé la décision du 09.10.2020, en se référant notamment à la jurisprudence selon laquelle une amélioration de la capacité de travail peut être atteinte même lorsque l’état de santé ne s’est pas modifié, parce que l’assuré a appris à gérer son handicap et à acquérir une certaine autonomie au quotidien (sur ce point, cf. ATF 147 V 167 consid. 4.1; 144 I 103 consid. 2.1; 130 V 343 consid. 3.5 et les références).

Consid. 4.2
S’agissant d’abord de l’évaluation de sa capacité de travail, l’assuré reproche à la juridiction de première instance d’avoir procédé à une « sélection médicale » afin de « brosser un tableau positif » de son état de santé et d’avoir passé sous silence ses très nombreuses limitations fonctionnelles. Il s’en prend également à la valeur probante du rapport de la doctoresse B.__ du 08.04.2020, qui, selon lui, aurait été rédigé à la « va-vite » et contiendrait des « erreurs multiples ». A cet égard, l’assuré affirme que sa médecin traitante se serait « manifestement trompée » quant à son état de santé sur plusieurs points et que l’instance précédente aurait dès lors dû accéder à sa demande de mettre en œuvre une expertise.

Consid. 4.3
L’argumentation de l’assuré est fondée en tant qu’elle démontre une constatation manifestement inexacte des faits et une appréciation arbitraire des preuves par la juridiction cantonale. Certes, après avoir d’abord attesté une incapacité totale de travail dans toute activité dès le 19.07.2018 (rapport de la doctoresse B.__ et des docteurs F.__, spécialiste en médecine interne générale, et G.__, médecin assistant, du 06.09.2018), la doctoresse B.__ a conclu à une capacité de travail de quatre heures par jour dans une activité adaptée (rapport du 08.04.2020). Cela étant, dans son rapport du 08.04.2020, la médecin traitante n’a pas motivé son point de vue, ni ne s’est référée à des observations qu’elle aurait faites lors de la consultation du 10.12.2019. Ainsi, à la question « Combien d’heures de travail par jour peut-on raisonnablement attendre de votre patient/patiente dans une activité qui tienne compte de l’atteinte à la santé? », la doctoresse B.__ a seulement répondu « 4 Hs ». Par ailleurs, dans ce même rapport du 08.04.2020, appelée à donner son pronostic quant à la capacité de travail de son patient, la doctoresse B.__ a fait état d’une évolution stable. Le simple fait que la médecin traitante ait attesté une capacité de travail différente à la suite d’un examen ultérieur ne saurait justifier, à lui seul, la révision du droit à la rente, dans la mesure où un tel constat ne permet pas d’exclure l’existence d’une appréciation différente d’un état de fait qui, pour l’essentiel, est demeuré inchangé. Un motif de révision ne saurait être admis que si la modification de la capacité de travail est corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence (sur les exigences en matière de preuve pour une évaluation médicale dans le cadre d’une révision, voir arrêts 9C_418/2010 du 29 août 2011 consid. 4.2, in SVR 2012 IV n° 18 p. 81, et 8C_441/2012 du 25 juillet 2013 consid. 6, in SVR 2013 IV n° 44 p. 134).

On ajoutera que dans son rapport du 01.09.2020, le docteur F.__ a exprimé son doute quant à une potentielle activité adaptée pour l’assuré. Il a en effet expliqué qu’aucune activité ne lui paraissait envisageable, en précisant que l’absence d’activité adaptée aux capacités actuelles de l’assuré primait à ses yeux une éventuelle évaluation d’un pourcentage de capacité résiduelle de travail dans ladite activité, rendant caduque toute tentative de chiffrer une quelconque capacité résiduelle. Aussi, la juridiction cantonale ne pouvait-elle pas retenir que le docteur F.__ avait « entériné » la capacité de travail de quatre heures par jour de l’assuré dans une activité adaptée attestée par la doctoresse B.__ dans son rapport du 08.04.2020. Au demeurant, dans un rapport du 12.03.2021, produit dans le cadre de la procédure cantonale, la doctoresse B.__ est par la suite revenue partiellement sur son appréciation du 08.04.2020 et a attesté une incapacité totale de travail.

Dans ces circonstances, il était manifestement insoutenable de la part des juges cantonaux de retenir que le recouvrement, par l’assuré, d’une capacité de travail à mi-temps dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dès le 10.12.2019, malgré la stabilité de son état de santé, constituait un changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité, justifiant la réduction de la rente entière à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020. En particulier, on ne saurait inférer du rapport de la médecin traitante du 08.04.2020 que la capacité de travail de l’assuré s’était améliorée parce qu’il avait appris à gérer son handicap et à acquérir une certaine autonomie au quotidien, dès lors déjà que ledit rapport ne contient aucune constatation à ce propos. Le recours est bien fondé sur ce point.

Consid. 4.4
Le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité devant être maintenu au-delà du 30.11.2020, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les griefs qu’il soulève en relation avec l’évaluation de son taux d’invalidité et le refus de lui octroyer un reclassement ou des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_392/2023 consultable ici

 

9C_291/2023 (f) du 30.01.2024 – Suppression de la rente AI lors du premier octroi à un assuré de plus de 55 ans

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_291/2023 (f) du 30.01.2024

 

Consultable ici

 

Suppression de la rente AI lors du premier octroi à un assuré de plus de 55 ans

 

A la suite d’un premier refus de prestations de l’assurance-invalidité (avril 2017), l’assuré, né en 1965, a déposé une nouvelle demande de prestations en septembre 2019, en relation avec un accident survenu sur son lieu de travail le 11.03.2019. Il exerçait l’activité de monteur en échafaudages. Après avoir notamment fait verser au dossier celui de l’assureur-accidents et sollicité des renseignements auprès des médecins traitants de l’assuré, l’office AI lui a octroyé une rente entière d’invalidité du 01.03.2020 au 30.11.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 335/22 ap. TF – 83/2023 – consultable ici)

Par jugement du 23.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, s’il est vrai que des facteurs tels que l’âge, le manque de formation ou les difficultés linguistiques jouent un rôle non négligeable pour déterminer dans un cas concret les activités que l’on peut encore raisonnablement exiger d’un assuré, ils ne constituent pas, en règle générale, des circonstances supplémentaires qui, à part le caractère raisonnablement exigible d’une activité, sont susceptibles d’influencer l’étendue de l’invalidité, même s’ils rendent parfois difficile, voire impossible la recherche d’une place et, partant, l’utilisation de la capacité de travail résiduelle (arrêt 9C_774/2016 du 30 juin 2017 consid. 5.2 et la référence).

Consid. 6.2.2
En l’espèce, âgé de 55 ans au moment où il a été examiné par les médecins de la clinique de réadaptation en août 2020 (sur le moment où la question de la mise en valeur de la capacité [résiduelle] de travail pour un assuré proche de l’âge de la retraite sur le marché de l’emploi doit être examinée, voir ATF 138 V 457 consid. 3.3), l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel la jurisprudence considère généralement qu’il n’existe plus de possibilité réaliste de mise en valeur de la capacité résiduelle de travail sur un marché du travail supposé équilibré (sur ce point, voir ATF 143 V 431 consid. 4.5.2). C’est donc à bon droit que la juridiction cantonale n’a pas appliqué cette jurisprudence en l’occurrence.

Les juges cantonaux ont en revanche expliqué de manière convaincante que les limitations fonctionnelles retenues par les médecins de la clinique de réadaptation (épaule gauche: pas de port de charges lourdes répétitif ni de travail prolongé ou répétitif avec le membre supérieur gauche au-dessus du plan des épaules et en porte-à-faux; rachis: éviter les activités nécessitant le maintien prolongé du tronc en porte-à-faux, les flexions et torsions répétées du tronc et le port de charges lourdes) ne présentaient pas de spécificités telles qu’elles rendraient illusoire l’exercice d’une activité professionnelle. Ils ont exposé à cet égard que le marché du travail offrait un large éventail d’activités légères, dont un certain nombre étaient adaptées aux limitations de l’assuré et accessibles sans aucune formation particulière. Au regard de la liste des activités compatibles avec les limitations fonctionnelles de l’assuré établie par l’office intimé (travail simple et répétitif dans le domaine industriel léger, par exemple montage, contrôle ou surveillance d’un processus de production, ouvrier à l’établi dans des activités simples et légères, ouvrier dans le conditionnement), on constate en effet que la juridiction de première instance n’a pas violé le droit en admettant qu’il existait de réelles possibilités d’embauche sur le marché équilibré de l’emploi (à ce sujet, voir arrêt 9C_286/2015 du 12 janvier 2016 consid. 4.2 et les arrêts cités). Quant à l’absence de formation de l’assuré et à sa maîtrise imparfaite du français, elles ne constituent pas un obstacle à l’exercice des activités adaptées entrant en ligne de compte en l’occurrence (arrêts 9C_344/2015 du 25 novembre 2015 consid. 2.3; 9C_426/2014 du 18 août 2014 consid. 4.2). En conséquence, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations de la juridiction cantonale quant à l’exigibilité d’une capacité de travail totale dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré dès le mois d’août 2020.

Consid. 6.3.1
[…] Par ailleurs, en ce qu’il requiert l’application du TA1_skill_level, total hommes, niveau de compétence 1 dans le secteur de l’industrie manufacturière (ligne 10-33; salaire mensuel de 5’462 fr.), l’assuré perd de vue que dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de déterminer le revenu avec invalidité en se fondant, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans le tableau TA1_tirage_skill_level, à la ligne « total secteur privé » (arrêt 9C_325/2022 du 25 mai 2023 consid. 6.2 et les références), soit un salaire mensuel de 5’261 fr. selon l’ESS 2020, respectivement de 5’417 fr. selon l’ESS 2018. Au demeurant, on ne voit pas en quoi la prise en compte du salaire applicable au secteur de l’industrie manufacturière (ligne 10-33; salaire mensuel de 5’462 fr. selon l’ESS 2020, respectivement de 5’614 fr. selon l’ESS 2018) pour déterminer le revenu avec invalidité serait plus favorable à l’assuré que l’application du salaire correspondant à la ligne « total secteur privé » (salaire mensuel de 5’261 fr. selon l’ESS 2020, respectivement de 5’417 fr. selon l’ESS 2018), dès lors que le salaire mentionné à la ligne 10-33 est supérieur à celui figurant à la ligne « total secteur privé ».

Consid. 6.4
En définitive, les considérations des juges cantonaux quant à un taux d’invalidité de 6% (résultant de la comparaison entre un revenu sans invalidité de 69’108 fr. et un revenu avec invalidité de 65’023 fr. 75, tenant compte d’un abattement de 5%) doivent être confirmées. Ce taux est insuffisant pour maintenir le droit à une rente de l’assurance-invalidité.

 

Consid. 7.2
Selon la jurisprudence à laquelle se réfère l’assuré, dûment rappelée par les juges cantonaux, il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, les organes de l’assurance-invalidité doivent vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si ce dernier a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (cf. arrêts 9C_211/2021 du 5 novembre 2021 consid. 3.1; 9C_276/2020 du 18 décembre 2020 consid. 6 et les arrêts cités). Des exceptions ont déjà été admises lorsque la personne concernée avait maintenu une activité lucrative malgré le versement de la rente – de sorte qu’il n’existait pas une longue période d’éloignement professionnel – ou lorsqu’elle disposait d’emblée de capacités suffisantes lui permettant une réadaptation par soi-même (arrêts 8C_582/2017 du 22 mars 2018 consid. 6.3; 9C_183/2015 du 19 août 2015 consid. 5).

Consid. 7.3
Il est constant que l’assuré, né en 1965, était âgé de plus de 55 ans lorsqu’il a été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité limitée dans le temps par décision du 27.05.2021 (concernant le moment auquel il convient de déterminer si l’âge de référence de 55 ans est atteint [date de la décision de l’office AI], cf. ATF 148 V 321 consid. 7.3). Il appartient donc à la catégorie d’assurés dont il convient de présumer qu’ils ne peuvent en principe pas entreprendre de leur propre chef tout ce que l’on peut raisonnablement attendre d’eux pour tirer profit de leur capacité résiduelle de travail.

Or en l’espèce, l’office AI n’a pas examiné si l’assuré avait besoin de mesures d’ordre professionnel, ni ne lui en a partant proposées, avant de statuer sur son droit à une rente d’invalidité limitée dans le temps, comme cela ressort du reste de ses déterminations adressées à la juridiction cantonale le 30.11.2021. Dans ce contexte, en présumant que l’intéressé aurait de toute façon refusé de telles mesures à supposer que l’office AI lui en eût proposées, de sorte qu’elles étaient vaines car vouées à l’échec, les juges cantonaux ont commis une violation du droit en ne faisant pas une application correcte de la jurisprudence (consid. 7.2 supra). A cet égard, on rappellera que la motivation de l’assuré par rapport aux mesures de réadaptation doit faire l’objet d’un examen approfondi (arrêt 8C_235/2019 du 20 janvier 2020, consid. 3.2.3). En l’occurrence, un tel examen n’a pas eu lieu, la juridiction cantonale s’étant bornée à déduire une absence de volonté subjective de l’assuré à participer à des mesures d’ordre professionnel de son attitude au cours des thérapies mises en œuvre lors de son séjour à la clinique de réadaptation durant les mois de juillet et août 2020 (difficultés à se mobiliser et participation faible). En l’état, il n’apparaît par ailleurs à première vue pas vraisemblable que l’assuré puisse reprendre du jour au lendemain une activité lucrative à 100% sans que ne soient mises préalablement en œuvre des mesures destinées à l’aider à se réinsérer dans le monde du travail. A ce propos, c’est à bon droit que l’instance précédente a considéré que l’argumentation développée par l’office AI dans son écriture du 30.11.2021, selon laquelle les nombreux métiers exercés par l’assuré sont significatifs d’une « grande capacité d’adaptation », n’était pas déterminante, dès lors que l’intéressé est une personne sans formation professionnelle, qui a exercé en dernier lieu une activité de monteur en échafaudages pendant plus de vingt ans. La cause doit dès lors être renvoyée à l’office AI afin qu’il examine concrètement le besoin de mesures de réadaptation avant la suppression de la rente de l’assuré. Il y a ainsi lieu d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il porte sur la suppression du droit à la rente d’invalidité au 30.11.2020.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_291/2023 consultable ici

 

 

Remarques :
La jurisprudence relative aux personnes assurées de plus de 55 ans ne concerne que le domaine de l’assurance-invalidité et non l’assurance-accidents.

 

8C_663/2022 (d) du 30.11.2023 – Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / 16 LPGA

Capacité de travail exigible inférieur dans l’activité exercée mais capacité de gain supérieure – Obligation de réduire le dommage

Nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, admissible devant le Tribunal fédéral – 99 LTF

Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / 17 LPGA

Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Réduction de la rente d’invalidité à l’âge AVS et dispositions transitoires / 20 al. 2ter LAA

 

Assurée, née en 1957, travaillait à 60% comme masseuse (assurée en LAA auprès d’Helsana) et à 30% comme professeur de musique (assurée en LAA auprès d’Allianz). 1er accident le 15.09.2011 (fracture de la tête radiale droite et arrachement du tendon sus-épineux). 2ème accident le 12.12.2012 (fracture de l’humérus gauche). Entre les deux accidents, on a diagnostiqué chez elle un carcinome mammaire qui a nécessité des interventions chirurgicales et une chimiothérapie. Helsana a d’abord versé les prestations temporaires (traitement médical et indemnités journalières). Elle a mandaté le Dr E.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, pour une expertise médicale (expertise du 28.03.2014 avec complément du 26.08.2014). Pour des raisons de coordination, Allianz a ensuite pris en charge la gestion du cas et a dès lors versé les prestations temporaires. Elle a demandé au Dr E.__ une nouvelle évaluation (expertise du 14.11.2016), mais l’a ensuite rejeté et s’est basée à la place sur sa première expertise datant de 2014. Par décision du 13.11.2018, confirmée sur opposition le 04.12.2019, Allianz a mis un terme aux prestations temporaires au 31.10.2014, a nié tout droit à une rente et a accordé à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité pour une perte d’intégrité de 15% au total.

Entre-temps, l’office AI a octroyé à l’assurée, par décision du 26.09.2014, une rente entière d’invalidité dès le 01.11.2012 puis une demi-rente dès le 01.08.2013. En raison d’une péjoration de l’état de santé (récidive tumorale et aggravation d’un handicap visuel congénital) en octobre 2016, la rente AI a été augmentée à une rente entière dès le 01.01.2017 (décision du 27.03.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt VSBES.2020.14 – consultable ici)

Ayant considéré les expertises du Dr E.__ comme non probante, le tribunal cantonal a ordonné une expertise orthopédique auprès du bureau d’expertise F.__ (rapport du 05.02.2021). La cour cantonale n’ayant pas reconnu une pleine valeur probante à cette expertise, elle a demandé au Dr G.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, de procéder à une surexpertise (rapport du 20.11. 2021).

En raison des séquelles des accidents, l’activité de masseuse exercée n’était plus possible au moment de la stabilisation de l’état de santé au 01.11.2014. Pour l’activité de professeur de musique, il existait en revanche une capacité de travail de 70% (par rapport à un taux d’occupation de 100%) avec un rendement de 50% et, dans une activité adaptée (activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée seulement, par exemple dans un musée), une capacité de travail de 80% avec un rendement de 60%, soit une capacité de travail de 48%. Partant des revenus réalisés avant l’accident, calculés sur la base d’un taux d’occupation de 100%, le tribunal cantonal a calculé un revenu sans invalidité 87’432 francs. Comparé au revenu d’invalide de 25’821 fr. (ESS, niv. 1, ligne Total, capacité de travail de 48%), le taux d’invalidité a été fixé à 70%.

Par jugement du 10.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité de 70% dès le 01.11.2014, à une IPAI de 25% et a mis à charge de l’assurance-accidents Allianz les frais de l’expertise judiciaire du Dr G.__ à hauteur de 8’617 fr. 30.

 

TF

Consid. 5.2
Dans son expertise du 20.11.2021, le Dr G.__ a qualifié l’activité de professeur de musique de niveau élémentaire comme adaptée, dans une mesure d’une capacité de 70% avec un rendement de 50%.

L’expert judiciaire a mentionné trois autres activités professionnelles théoriquement possibles, qu’il a qualifiées d’adaptées aux limitations fonctionnelles. Premièrement : des conseils purs aux clients, sans sollicitation des deux épaules de toutes sortes, ou seulement pendant une courte durée, en position debout, assise ou en marchant, avec des instructions de courte durée avec les bras à hauteur du ventre ou au maximum à hauteur de la poitrine. Une telle activité serait possible en temps à hauteur de 80% avec un rendement de 50%. Deuxièmement : activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée (p. ex. surveillance dans un musée). De tels travaux sont possibles à 80% avec un rendement de 60%. Troisièmement : les activités administratives sur ordinateur, possibles à 50% avec un rendement de 50% en raison des pauses plus fréquentes dues aux douleurs. En général, une activité adaptée doit remplir les conditions suivantes : Pas de port de charges de plus de 2 kg, pas de soulèvement de charges de plus de 2 kg au-dessus de la hauteur du ventre et uniquement à proximité du corps, pas de travaux au-dessus de la hauteur maximale de la poitrine, pas d’activités nécessitant une rotation externe des deux épaules, pas d’activités répétitives et pas de maintien limité dans la même position, par exemple devant un PC.

Ainsi, selon l’expertise judiciaire, les activités de surveillance offrent la meilleure capacité de travail et de rendement. Mais l’activité de professeur de musique à 70% avec une baisse de rendement de 50% est également considérée comme une activité adaptée, ce qui est important pour le calcul de l’invalidité, comme il ressort de ce qui suit. On peut donc laissée ouverte la question de savoir si l’évaluation par l’expert de la capacité de travail pour des activités de surveillance simples est pleinement convaincante.

Consid. 6.3
Conformément à la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2).

Consid. 6.4
Il n’est pas contesté que l’assurée a continué à travailler comme professeur de musique au moment de la stabilisation de l’état de santé et de l’examen du droit à la rente (01.11.2014). Selon les indications de l’employeur (Commune d’U.__), l’assurée avait un taux d’occupation de 10 à 11 leçons entre 2014 et 2016, correspondant à un taux de 33-37% sur la base d’un temps de travail habituel de 30 leçons par semaine. Il est en outre établi que cette activité pouvait être raisonnablement exigée d’elle à partir du 25.04.2013 à raison de 70% avec une baisse de rendement de 50%. En conséquence, l’instance cantonale a constaté qu’il existait une capacité de travail de 35% (70% x 50%) pour l’activité de professeur de musique. Il ne fait aucun doute que l’emploi de professeur de musique était un rapport de travail stable. En même temps, il n’y a pas d’indices qu’une partie du salaire ait été un salaire social. Par «capacité de travail résiduelle pleinement exploitée», la jurisprudence entend ensuite que la personne assurée exploite au mieux sa capacité de travail du point de vue lucratif (arrêts 8C_590/2019 du 22 novembre 2019 consid. 5.3 et la référence ; 8C_367/2018 du 25 septembre 2018 consid. 5.3.3 ; 8C_839/2010 du 22 décembre 2010 consid. 3.6).

Tel est le cas en l’espèce, puisque l’assurée a réalisé en 2014 [ndt : année de l’examen du droit à la rente] un revenu effectif de 39’980 fr. 10 en tant que professeur de musique. En revanche, l’instance précédente entend prendre en compte un revenu hypothétique d’invalide nettement inférieur de 25’821 fr. pour une activité non qualifiée, ce qui est contraire à l’obligation de réduire le dommage applicable dans le domaine des assurances sociales (ATF 138 V 457 consid. 3.2 et les références).

 

Consid. 6.5
L’objection des intimés [ndt : héritiers de l’assurée, décédée en décembre 2022] selon laquelle l’assurance-accidents n’a à aucun moment fait valoir dans la procédure de première instance que le revenu d’invalide devait être déterminé sur la base du revenu effectivement réalisé et qu’elle ne saurait être prise en considération en raison de l’interdiction des nova n’est pas pertinente. La question de savoir si les salaires statistiques sont applicables est une question de droit librement vérifiable (arrêt 9C_566/2019 du 19 mai 2020 consid. 5.3 et la référence). Un nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, est admissible devant le Tribunal fédéral (ATF 136 V 362 consid. 4.1). L’assurance-accidents a déjà calculé le revenu d’invalidité dans sa décision du 13 .11.2018 en partant du salaire de l’assurée en tant que professeur de musique. Le calcul du revenu d’invalidité a d’ailleurs fait l’objet d’un procès devant le tribunal cantonal. Un comportement contraire à la bonne foi de l’assurance-accidents n’est ainsi pas reconnaissable, pas plus que l’existence de faits nouveaux (irrecevables).

Consid. 6.6
Si l’on se base sur le revenu d’invalidité effectivement réalisé par l’assurée en 2014 en tant que professeur de musique, soit 39’980 fr. 10, il résulte, après comparaison avec le revenu sans invalidité – non contesté – de 87’432 fr., un degré d’invalidité de 54%.

Consid. 6.7
Selon les constatations de l’instance cantonale, l’assurée a été en incapacité de travail totale à partir du 15.10.2016 pour cause de maladie (récidive du carcinome mammaire et aggravation importante du handicap visuel). Après une incapacité de travail prolongée, l’employeur a résilié le contrat de travail au 30.10. 2017.

La suppression du revenu effectivement réalisé à partir de novembre 2017 a modifié la situation professionnelle et donc l’évaluation de l’invalidité, ce qui constitue en règle générale un motif de révision (arrêt 8C_728/2020 du 23 juin 2021 consid. 3.2 et les références). En l’espèce, une incapacité de gain totale due à la maladie est toutefois survenue après le début de la rente de l’assurance-accidents, de sorte qu’il n’y avait pas de place pour une augmentation de la rente d’invalidité de l’assurance-accidents en raison d’une révision (ATF 147 V 161 consid. 5.2.5 et consid. 5.3). Par conséquent, l’incapacité de gain totale due à la maladie à partir du 15.10.2016 avec résiliation des rapports de travail au 30.10.2017 n’entraîne aucune adaptation de la rente de l’assurance-accidents, même dans le cadre de la première fixation de la rente concernée en l’espèce.

Consid. 7.2.1
Selon l’art. 36 al. 2 LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident. Toutefois, en réduisant les rentes, on ne tiendra pas compte des états antérieurs qui ne portaient pas atteinte à la capacité de gain.

L’art. 36 LAA part du principe que non seulement un accident, mais aussi d’autres causes (étrangères à l’accident) peuvent provoquer une certaine atteinte à la santé. Conformément au principe selon lequel l’assurance-accidents ne doit prendre en charge que les conséquences des accidents, l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA prévoit, entre autres, pour les rentes d’invalidité et les indemnités pour atteinte à l’intégrité, une réduction des prestations en cas d’influence de facteurs étrangers à l’accident. Le principe de causalité est cependant limité par l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA avec, pour but, de faciliter le règlement des sinistres en cas de circonstances étrangères à l’accident assuré et d’éviter que la personne assurée ne doive s’adresser à plusieurs assureurs pour le même événement. L’application de cette disposition présuppose que l’accident et l’événement non assuré ont causé ensemble une certaine atteinte à la santé (arrêt 8C_172/2018 du 4 juin 2018 consid. 4.4.2). L’ampleur de la réduction est déterminée en fonction du rôle des causes étrangères à l’accident dans l’atteinte à la santé (cf. art. 47 OLAA).

Consid. 7.2.2
L’assurance-accidents ne prétend pas, et il n’apparaît pas non plus, qu’avant les accidents de 2011 et 2012, l’assurée aurait été limitée dans sa capacité de gain en raison de douleurs à l’épaule dues à une maladie. Une réduction de la rente d’invalidité n’entre donc pas d’emblée en ligne de compte, au sens de l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA.

Consid. 7.3.1
Conformément à la jurisprudence, la deuxième phrase de l’art. 36 al. 2 LAA ne s’applique pas à l’évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, ce qui signifie que cette prestation peut être réduite en raison d’un état antérieur, même si celui-ci n’avait pas entraîné de diminution de la capacité de gain avant l’accident (SVR 2008 UV n° 6 p. 19, U 374/06 consid. 2 ; arrêts 8C_472/2022 du 18 octobre 2022 consid. 5.2 ; 8C_691/2021 du 24 février 2022 consid. 3.2 ; 8C_808/2019 du 17 juin 2020 consid. 3.1 ; 8C_192/2015 du 1er mars 2016 consid. 5.2). Dans un premier temps, l’atteinte à l’intégrité doit être évaluée globalement selon l’annexe 3 de l’OLAA ou, si nécessaire, selon les directives figurant dans les tableaux de la division médicale de la Suva. Dans un second temps, l’indemnité doit être réduite conformément à l’art. 36 al. 2 LAA, en fonction de la part causale des événements non assurés dans l’atteinte globale à l’intégrité (ATF 116 V 156 consid. 3c ; arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6).

Consid. 7.3.2
L’instance cantonale a considéré comme convaincante l’atteinte à l’intégrité fixée par l’expert judiciaire. Il en résulte une perte d’intégrité de 10% pour l’épaule droite (mobile jusqu’à 30° au-dessus de l’horizontale selon la table 1 de la Suva) et de 15% pour l’épaule gauche (mobile jusqu’à l’horizontale). Le tribunal cantonal ne s’est pas prononcé sur une éventuelle réduction en raison de causes étrangères à l’accident.

Consid. 7.3.3
Il ressort de l’expertise judiciaire que l’assurée souffrait déjà de douleurs à l’épaule avant les deux accidents de 2011 et 2012. L’expert a conclu qu’il y avait eu une rupture partielle du tendon sus-épineux tant à gauche qu’à droite. En ce qui concerne l’épaule gauche, il a parlé d’un tendon gravement endommagé. Le traitement de la fracture de l’humérus a transformé une rupture partielle de haut niveau en une rupture complète, en raison de la technique chirurgicale. A droite, l’accident du 15.09.2011 a entraîné la progression d’une rupture partielle du tendon sus-épineux, bien compensée sur le plan fonctionnel et provoquant des douleurs supportables, vers une rupture complète de ce tendon.

Consid. 7.3.4
Il est donc établi que les deux accidents ont touché des épaules présentant des atteintes préexistantes. L’expertise judiciaire ne permet toutefois pas de déterminer l’importance des causes étrangères à l’accident pour les atteintes à la santé donnant droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité. Certes, l’expert a expliqué de manière générale que les maladies étrangères à l’accident étaient systématiquement exclues de l’évaluation de la situation pertinente pour l’accident, car elles ne faisaient pas l’objet de l’expertise. Mais il n’a répondu à la question concrète concernant une atteinte à l’intégrité qu’en indiquant des pourcentages (bras droit : 10% ; bras gauche : 15%), de sorte qu’il n’est pas clair s’il a réellement exclu les lésions préexistantes ou s’il n’a pas même pas chiffré l’ensemble de l’atteinte. Etant donné qu’il incombe au médecin de constater et d’évaluer les lésions préexistantes ou autres troubles non liés à l’accident, respectivement les parts de l’indemnité globale (arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6), il n’est pas possible de juger en l’espèce si et dans quelle mesure l’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être réduite. En renonçant à des investigations supplémentaires dans ce contexte, l’instance inférieure a violé la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA). L’affaire doit être renvoyée au tribunal cantonal afin qu’il clarifie la question, le cas échéant en interrogeant l’expert judiciaire.

Dans la mesure où les intimés font valoir que l’interdiction d’invoquer des nova devant le Tribunal fédéral s’oppose à une réduction [selon l’art. 36 al. 2 LAA], on peut se référer à ce qui a été dit au consid. 6.5 supra. L’assurance-accidents est en principe libre de faire valoir pour la première fois devant le Tribunal fédéral une réduction de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité (ainsi que de la rente d’invalidité) selon l’art. 36 al. 2 LAA (ATF 136 V 362 consid. 3.4.4 et consid. 4.1 et les références). Mais comme l’assurance-accidents ne peut pas demander au Tribunal fédéral moins que ce qu’elle a elle-même accordé – dans la procédure de recours cantonale, elle a demandé la confirmation de la décision sur opposition -, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité ne peut finalement pas être inférieure à celle fixée par la décision sur opposition (15% ; ATF 136 V 362 consid. 4.2 et les références).

 

Consid. 8
Enfin, le grief de l’assurance-accidents selon lequel l’instance cantonale aurait violé l’art. 20 al. 2ter let. a LAA en accordant à l’assurée une rente non réduite même après l’âge ordinaire de la retraite est infondé. En effet, la deuxième phrase de l’al. 2 des dispositions transitoires de la modification du 25 septembre 2015 stipule explicitement que la rente n’est pas réduite si la bénéficiaire de la rente atteint l’âge ordinaire de la retraite moins de huit ans après l’entrée en vigueur. L’art. 20 al. 2ter LAA est entré en vigueur le 01.01.2017 et l’assurée a atteint l’âge ordinaire de la retraite en 2021, soit moins de huit ans avant l’entrée en vigueur du nouveau droit. L’instance inférieure n’a donc pas violé le droit fédéral en renonçant à une réduction de la rente.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_663/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/01/8c_663-2022)

 

8C_43/2023 (d) du 29.11.2023 – Atteinte à la santé invalidante – 4 LAI – 7 LPGA – 16 LPGA / Concept biopsychosocial de la maladie pas applicable en droit des assurances sociales – Exclusion des facteurs psychosociaux et socioculturels

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_43/2023 (d) du 29.11.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Atteinte à la santé invalidante / 4 LAI – 7 LPGA – 16 LPGA

Concept biopsychosocial de la maladie pas applicable en droit des assurances sociales – Exclusion des facteurs psychosociaux et socioculturels

Procédure probatoire structurée selon l’ATF 141 V 281

 

Assuré, né en 1986, a déposé en septembre 2019, invoquant des troubles psychiques («trouble bipolaire, actuellement dépressif, accentuation de la personnalité [paranoïaque, obsessionnelle], diagnostic différentiel de trouble de la personnalité»]). Après instruction et expertise médicale psychiatrique, l’office AI a nié tout droit à des prestations en l’absence d’atteinte à la santé psychique invalidante.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.218 – consultable ici)

Selon l’expertise médicale psychiatrique, mise en œuvre selon l’art. 44 LPGA et ayant valeur probante, aucun trouble psychique n’était diagnostiqué chez l’assuré. Les troubles trouvaient une explication suffisante dans des facteurs psychosociaux, ne pouvant être pris en compte dans l’assurance-invalidité. Selon la cour cantonale, l’assuré disposait d’une capacité de travail totale dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée. Il a été renoncé à un examen séparé des indicateurs selon l’ATF 141 V 281.

Par jugement du 07.12.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
L’assuré ne peut être suivi lorsqu’il estime la situation juridique concernant la notion de maladie applicable et qu’il faudrait (également) partir, dans le droit des assurances sociales, du concept biopsychosocial de la maladie utilisée en médecine. Au contraire, pour l’évaluation de l’incapacité de travail en droit des assurances sociales, il est essentiel que, d’une part, l’incapacité de gain en raison d’une atteinte à la santé (art. 4 al. 1 LAI) et, d’autre part, le chômage non assuré ou d’autres situations de vie pénibles ne se confondent pas (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 avec référence à l’ATF 127 V 294 consid. 5a ; cf. aussi ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; arrêt 9C_311/2021 du 23 septembre 2021 consid. 4.2). L’invalidité présuppose donc toujours un substrat médical, qui doit être constaté de manière probante par un médecin (spécialisé) et dont il est prouvé qu’il affecte de manière importante la capacité de travail et de gain. Ce principe ancré dans l’art. 7 al. 2 LPGA a été concrétisé par le Tribunal fédéral dans le contexte des affections psychiques et psychosomatiques dans et depuis l’ATF 141 V 281 sur la base de la procédure probatoire structurée. L’application du concept global de maladie biopsychosociale demandée par l’assuré doit être rejeté, celui-ci n’étant pas juridiquement déterminante dans le cadre de l’incapacité de travail au sens de l’art. 6 LPGA (ATF 143 V 418 consid. 6 ; cf. aussi : ATF 141 V 574 consid. 5.2 ; arrêts 8C_407/2020 du 3 mars 2021 consid. 4.2 ; 8C_207/2020 du 5 août 2020 consid. 5.2.2). Ainsi, l’affirmation de l’assuré selon laquelle, avec l’ATF 141 V 281, un changement de jurisprudence a eu lieu en ce qui concerne l’application (ou la non-application) de la notion biopsychosociale de maladie, qui n’a simplement pas été mise en œuvre de manière cohérente depuis lors, est vaine.

Consid. 5.2
Par conséquent, le recours portant principalement sur des facteurs psychosociaux et socioculturels, ceux-ci doivent être exclus dans la mesure où il s’agit de décrire les aspects assurés déterminants pour l’évaluation de la capacité de travail. En d’autres termes, les facteurs sociaux ne sont pas pris en compte dès lors qu’ils entraînent des conséquences fonctionnelles négatives directes (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 et 3.4.2.1). Un trouble ayant valeur de maladie, respectivement une problématique de dépendance, doit par conséquent – et également selon la nouvelle jurisprudence – être d’autant plus prononcé que des facteurs psychosociaux et socioculturels influencent fortement le tableau clinique (cf. parmi d’autres : ATF 145 V 215 consid. 6.3 avec référence à l’ATF 127 V 294 consid. 5a ; arrêt 9C_140/2014 du 7 janvier 2015 consid. 3.3). Certes, les troubles psychiques ayant valeur de maladie et les aspects psychosociaux et socioculturels se recoupent fréquemment. Mais il convient d’examiner, dans le cadre de la procédure probatoire structurée introduite par l’ATF 141 V 281, si l’on est en présence d’une atteinte à la santé devenue indépendante, en évaluant les circonstances concernées et leur évolution en tant que ressources ou difficultés dans les ensembles « personnalité » et « contexte social » (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2 s.) (cf. parmi d’autres : ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; arrêts 9C_10/2021 du 15 juin 2021 consid. 3.3.1 ; 8C_559/2019 du 20 janvier 2020 consid. 3.2 ; 8C_407/2020 du 3 mars 2021 consid. 4.1). Contrairement à l’avis de l’assuré, il n’est pas possible de tirer une conclusion directe du diagnostic médical sur la capacité de travail, même si et dans la mesure où des facteurs psychosociaux et socioculturels ont été constatés par le médecin. Par conséquent, il n’y a pas non plus de place pour l’application de la notion biopsychosociale de maladie dans cette constellation spécifique. En outre, il ne faut pas oublier qu’il est possible de renoncer totalement à une procédure probatoire structurée lorsqu’elle n’est pas nécessaire ou appropriée. Tel est par exemple le cas lorsque, sur la base du dossier, il n’existe aucun indice d’une incapacité de travail de longue durée (art. 28 al. 1 let. b LAI) ou qu’une telle incapacité est niée de manière motivée dans les rapports médicaux spécialisés probants et que d’éventuelles évaluations contraires n’ont pas de valeur probante en raison d’un manque de qualification des médecins spécialistes ou pour d’autres raisons (ATF 143 V 409 consid. 4.5.3 et 418 consid. 7.1). Des raisons objectives sérieuses pour une modification de cette jurisprudence (concernant les conditions : ATF 145 V 304 consid. 4.4 ; 141 II 297 consid. 5.5.1 ; 137 V 417 consid. 2.2.2), comme le demande l’assuré, ne sont pas manifestes.

 

Consid. 6.1
Sur la base des principes qui viennent d’être évoqués, la cour cantonale a motivé de manière exempte d’erreur en droit pourquoi l’expertise psychiatrique était convaincante en tous points. L’instance cantonale s’est penchée sur le reproche selon lequel l’expert psychiatrique n’aurait à tort pas déterminé une atteinte à la santé psychique invalidante en raison des facteurs psychosociaux existants et de l’abus de substances antérieur de l’assuré. L’assuré oppose uniquement et à nouveau son propre point de vue concernant le concept de maladie biopsychosociale qu’il considère comme applicable, se limitant à tirer des conclusions contraires à la pratique établie (cf. consid. 5 supra). […]

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_43/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_43/2023 (d) du 29.11.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/01/8c_43-2023)

 

8C_152/2023 (f) du 14.11.2023 – Mise en œuvre d’une expertise bidisciplinaire et bilan psychologique et neuropsychologique – 44 LPGA / Invocation du motif de récusation tardif / Traduction réalisée par la sœur de l’expertisée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_152/2023 (f) du 14.11.2023

 

Consultable ici

 

Mise en œuvre d’une expertise bidisciplinaire et bilan psychologique et neuropsychologique / 44 LPGA

Invocation du motif de récusation tardif

Bilan psychologique – Traduction réalisée par la sœur de l’expertisée

 

Assurée, née en 1981, exerçait l’activité de garde d’enfants à domicile et d’aide soignante de personnes âgées et handicapées. Elle a déposé une demande de prestations auprès l’office AI sur la base d’une incapacité totale de travail depuis le 01.11.2019.

Mise en œuvre par l’office AI d’une expertise bidisciplinaire neurologique et psychiatrique avec bilan neuropsychologique, confiée à un centre d’expertise, plus particulièrement la Dre  B.__, spécialiste FMH en neurologie, et Dre C.__, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. L’expertise a été réalisée le 25.08.2021. Sur demande des expertes, une psychologue FSP a effectué un bilan psychologique. Puis une spécialiste en neuropsychologie FSP a évalué l’assurée dans son cabinet et a établi un rapport neuropsychologique à l’attention du centre d’expertise. Tous deux rapports ont été intégrés dans le rapport d’expertise en tant que documents annexes. Le 04.11.2021, les expertes ont transmis leur rapport à l’office AI, concluant à une pleine capacité de travail de l’expertisée dans l’activité professionnelle habituelle et dans une activité adaptée. Le 08.11.2021, le SMR a proposé à l’office AI de suivre les conclusions des expertes, selon lui claires, motivées et cohérentes. L’office AI a rejeté la demande AI.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/47/2023 – consultable ici)

Dans le cadre de son recours, l’assurée a déposé des rapports de sa psychiatre traitante. Dans sa réponse, l’office AI a reconsidéré sa décision en ce sens que l’intéressée ne pouvait plus exercer son activité habituelle de garde d’enfants et d’auxiliaire de santé, mais avait une capacité de travail de 60% dès août 2020 puis de 100% à partir d’août 2021 dans une activité adaptée, ouvrant ainsi le droit à un quart de rente limité dans le temps de février à novembre 2021.

Par arrêt du 31 janvier 2023, la cour cantonale a partiellement admis le recours et a réformé la décision en ce sens que l’assurée avait droit à un quart de rente d’invalidité du 01.02.2021 au 30.11.2021. Elle a confirmé la décision pour le surplus.

 

TF

Consid. 3.2
Selon l’art. 44 LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Du point de vue de l’assuré, la communication du nom de l’expert doit lui permettre de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il pourrait disposer d’un motif de récusation (ATF 146 V 9 consid. 4.2.1). Ce droit à la communication, en tant que droit de participation de l’assuré à la procédure d’expertise, constitue un aspect du droit d’être entendu (cf. arrêt 8C_741/2009 du 11 mai 2010 consid. 3.3, Revue de l’avocat 9/2010 p. 376). Comme la connaissance du nom des experts doit permettre à l’intéressé de faire valoir un motif de récusation, le défaut de communication constitue un vice de procédure, dont la personne concernée doit faire état le plus tôt possible, conformément au principe de la bonne foi en procédure (arrêt 8C_805/2018 du 21 février 2019 consid. 7.3.5). L’invocation d’un vice de forme trouve en effet ses limites dans le principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), qui oblige celui qui s’estime victime d’une violation de son droit d’être entendu ou d’un autre vice de procédure de le signaler immédiatement, à la première occasion possible (ATF 143 V 66 consid. 4.3; arrêt 9C_557/2021 du 20 octobre 2022 consid. 5.3.2 et les arrêts cités). En particulier, la partie qui a connaissance d’un motif de récusation doit l’invoquer aussitôt, sous peine d’être déchue du droit de s’en prévaloir ultérieurement (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 et les arrêts cités). Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré d’une suspicion de prévention pour ne l’invoquer qu’en cas d’issue défavorable (ATF 148 V 225 consid. 3.2; arrêt 8C_358/2022 du 12 avril 2023 consid. 4.2.6).

Consid. 3.3
Le point de savoir si une expertise réalise les exigences de l’art. 44 LPGA constitue une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 146 V 9 consid. 4.1).

 

Consid. 4.1
Invoquant une violation de l’art. 44 LPGA, l’assurée reproche aux juges cantonaux de ne pas avoir eu la possibilité de formuler des objections quant aux domaines concernés (neuropsychologie et psychologie) et aux choix des psychologues avant les examens effectués aux cabinets de celles-ci ni d’avoir pu faire valoir d’éventuels motifs de récusation contre elles.

Consid. 4.2
Dans le cadre de l’expertise, l’assurée a été convoquée dans les cabinets respectifs de la psychologue et de la neuropsychologue les 04.10.2021 et 12.10.2021, où elle a été évaluée. Elle a donc nécessairement eu connaissance de l’identité des (neuro) psychologues, ainsi que de leur domaine de spécialisation avant la réalisation de ces examens et aurait déjà pu, à ce moment-là, récuser les expertes pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. Ce n’est finalement que le 17.03.2022, dans son complément de recours, que l’assurée s’est plainte de ne pas avoir pu exercer son droit d’être entendue, tant à propos des domaines concernés (neuropsychologie et psychologie) que sur le choix des expertes. Aussi, en vertu du principe de la bonne foi, si elle estimait avoir des objections quant aux domaines de spécialisation ou des motifs de récusation contre la neuropsychologue ou la psychologue, elle aurait dû s’en prévaloir immédiatement, sous peine d’en être déchue. Au demeurant, comme l’ont dûment constaté les juges cantonaux, l’assurée n’a toujours pas exposé quels motifs de récusation elle aurait souhaité soulever, ni pour quels motifs des examens psychologiques et neuropsychologiques n’auraient pas dû être ordonnés.

Consid. 4.3
En ce qui concerne le grief de l’absence de traducteur pour les examens auxiliaires, on rappellera que la question de savoir si, dans un cas concret, un examen médical doit se dérouler dans la langue maternelle de l’assuré ou avec l’assistance d’un interprète, est en principe laissée à la libre appréciation de l’expert, responsable de la bonne exécution du mandat (arrêts 9C_295/2021 du 23 novembre 2021 consid. 4.1.1; 9C_509/2010 du 4 février 2011 consid. 4.1.1). En l’occurrence, l’examen neuropsychologique a été effectué en italien, soit dans la langue maternelle de l’assurée. Quant à l’examen psychologique, il est établi et non contesté que lors de l’examen, l’assurée était assistée de sa sœur qui était chargée d’assumer la traduction. Sur ce point, l’experte a précisé dans son rapport que l’assurée s’exprimait dans un français approximatif et qu’il a été possible de se comprendre sans traducteur externe. Même s’il n’est dans ce contexte pas idéal que la sœur de l’assurée ait été chargée de cette tâche, cela ne suffit pas pour nier d’emblée la valeur probante du rapport établi par la psychologue. On relèvera au demeurant que l’assurée ne soutient pas que, dans le cadre de l’expertise, ses propos auraient été mal retranscrits ou de manière lacunaire, ni qu’elle n’aurait pas compris certaines questions.

 

Consid. 5.2.1
Dans leur rapport d’expertise, les doctoresses B.__ et C.__ ont diagnostiqué, sur le plan somatique, des céphalées tensionnelles chroniques et, sur le plan psychique, une anxiété généralisée (CIM-10 F41.1) ainsi qu’un trouble mixte de la personnalité évitante et schizoïde (CIM-10 F61.0). Elles ont indiqué que la capacité de travail de l’expertisée – tant sur le plan somatique que psychique – était entière depuis toujours dans l’activité professionnelle habituelle et dans une activité adaptée, en précisant que les seules limitations fonctionnelles mises en évidence étaient le fait qu’elle ne pouvait pas effectuer les travaux de nuit à des horaires irréguliers.

Consid. 5.2.2
Le SMR a d’abord proposé à l’office AI de suivre les conclusions claires, motivées et cohérentes des expertes. En procédure de recours toutefois, après notamment avoir pris connaissance des derniers rapports de la psychiatre traitante de l’assurée, faisant état d’une évolution positive depuis août/septembre 2022 avec une capacité de travail de 80% à 100% dans une activité adaptée, le SMR a modifié son appréciation. Dans son avis du 08.04.2022, il a retenu que la capacité de travail de l’assurée était nulle dans l’activité habituelle dès le 01.11.2019. Dans une activité adaptée, elle était de 60% dès août 2020, puis entière dès août 2021, en respectant les limitations fonctionnelles suivantes : les activités habituelles de garde d’enfants et d’auxiliaire de santé, qui impliquent une responsabilité, la capacité de prendre des décisions et peuvent impliquer un certain niveau de stress ne sont plus exigibles, l’assurée ne pouvant exercer qu’une activité en tant qu’exécutante.

Consid. 5.3
A juste titre, les juges cantonaux ne se sont pas limités à constater que les réquisits jurisprudentiels pour accorder pleine valeur probante à l’expertise des doctoresses B.__ et C.__ étaient remplis. En effet, le fait d’accorder pleine valeur probante à un rapport médical ne délie pas le juge de son obligation d’apprécier librement les preuves (art. 61 let. c LPGA), notamment en confrontant les conclusions des divers rapports médicaux versés au dossier (cf. arrêt 8C_711/2020 consid. 4.3 du 2 juillet 2021; publié in SVR 2022 UV n° 18 p. 75). C’est bien ce à quoi la cour cantonale a procédé. Après avoir passé en revue les rapports des différents médecins traitants de l’assurée et comparé les conclusions des expertes avec celles du SMR du 08.04.2022, les juges cantonaux ont retenu que ces dernières ne remettaient pas en cause la pleine valeur de l’expertise, mais qu’elles s’en écartaient sur deux seuls points: premièrement, l’évolution de l’état de santé et la capacité de travail de l’assurée avant les examens cliniques du 25.08.2021 (effectués par lesdites expertes), soit sur des circonstances dont celles-ci ne pouvaient pas avoir une connaissance directe, et, deuxièmement, la prise en compte des limitations fonctionnelles, celles retenues par le SMR tenant notamment compte des difficultés et limites de l’assurée au plan cognitif. Se fondant sur les conclusions du SMR ainsi que du psychiatre traitant, les juges cantonaux ont retenu l’existence d’une amélioration sensible de l’état de santé et de la capacité de travail de l’assurée à partir d’août 2021.

En affirmant qu’elle peinait à comprendre comment les juges cantonaux pouvaient accorder pleine valeur probante au rapport d’expertise des doctoresse C.__ et B.__, alors que les conclusions du SMR s’en écartaient sur des points essentiels, l’assurée passe sous silence l’appréciation des preuves minutieuse à laquelle ont procédé les juges cantonaux et ne parvient pas à démontrer que celle-ci serait contraire au droit fédéral. On précisera dans ce contexte que les juges cantonaux ont dûment exposé pour quels motifs ils ne tenaient pas pour probantes les dernières attestations de la psychiatre traitante (jugement entrepris consid. 10.4.5), sans que l’assurée soulève de grief précis sur ce point.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_152/2023 consultable ici

 

9C_327/2022 (d) du 10.10.2023 – Notion d’invalidité – Caractère invalidant d’un trouble de la santé – 4 LAI / Possibilité de traiter une affection ne s’oppose pas à la survenance d’une invalidité donnant droit à une rente

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_327/2022 (d) du 10.10.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion d’invalidité – Caractère invalidant d’un trouble de la santé / 4 LAI

Possibilité de traiter une affection ne s’oppose pas à la survenance d’une invalidité donnant droit à une rente

 

Assuré, né en 1989. 1e demande AI le 03.01.2016 en raison de migraines chroniques. Refus par décision du 15.09.2016. Nouvelle demande déposée le 17.01.2018 : décision de non-entrée en matière (16.05.2018).

3e demande AI déposée le 03.07.2018. Mise en œuvre d’investigations médicales et professionnelles. Expertise bidisciplinaire (psychiatrique et neurologique). Décision de refus de prestations AI en date du 08.12.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.8 – consultable ici)

Par jugement du 01.06.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
En procédant à une appréciation globale du dossier médical, mais en se fondant en particulier sur l’expertise bidisciplinaire, le tribunal cantonal a constaté que l’assuré était toujours en mesure d’exercer son activité habituelle à 75%. Ce faisant, le tribunal a suivi les explications de l’expert neurologue selon lesquelles seuls les maux de tête liés à la migraine et survenant jusqu’à cinq jours par mois devaient être reconnus comme invalidants. En revanche, les céphalées de premier plan induites par une surconsommation de médicaments ne doivent pas être prises en compte, car elles peuvent être traitées par un sevrage raisonnablement exigible.

Consid. 4.2
Comme l’assuré le fait valoir à juste titre, l’expert neurologue, et à sa suite la cour cantonale, partent d’une notion trop étroite de l’invalidité. Le Tribunal fédéral a affirmé à plusieurs reprises, en se référant à l’ATF 127 V 294 consid. 4c, que dans l’assurance-invalidité, la possibilité de traiter une affection ne s’oppose pas – de manière absolue – à la survenance d’une invalidité donnant droit à une rente (cf. par exemple les arrêts 8C_222/2017 du 6 juillet 2017 consid. 5.2 ; 9C_682/2016 du 16 février 2017 consid. 3.2 ; 8C_349/2015 du 2 novembre 2015 consid. 3.1). En effet, la possibilité de traitement en tant que telle ne dit rien sur le caractère invalidant d’un trouble de la santé. Une limitation de la capacité de gain doit être prouvée et son étendue déterminée dans chaque cas particulier, indépendamment de la classification diagnostique d’une affection et en principe sans égard à l’étiologie. La question déterminante est de connaître la capacité de travail exigible de la personne assurée, ce qui s’évalue selon des critères essentiellement objectifs (ATF 143 V 409 consid. 4.2.1). Dans la mesure où la jurisprudence s’écartait de ces principes pour certains types de troubles psychiques, le Tribunal fédéral a abandonné cette pratique dans l’ATF 143 V 409. La naissance du droit à une rente d’invalidité présuppose donc toujours et uniquement qu’une incapacité de travail d’au moins 40% ait existé pendant une année (sans interruption notable) et qu’une incapacité de gain fondant le droit subsiste. Un refus ou une réduction des prestations au motif que l’assuré n’épuise pas les ressources thérapeutiques nécessite une procédure conforme à l’art. 21 al. 4 LPGA.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_327/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_327/2022 (d) du 10.10.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/12/9c_327-2022)

 

8C_211/2023 (f) du 13.09.2023 – Pas de révision de la rente d’invalidité après rechute et nouvelle opération qui ne modifient ni les limitations fonctionnelles ni la capacité de travail exigible – 17 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_211/2023 (f) du 13.09.2023

 

Consultable ici

 

Pas de révision de la rente d’invalidité après rechute et nouvelle opération qui ne modifient ni les limitations fonctionnelles ni la capacité de travail exigible / 17 LPGA

 

Assuré, « gérant-tuyauteur », qui a été victime le 10.10.2012 de la chute d’un tuyau de climatisation d’environ 150 kilos sur la tête, l’épaule droite et les jambes, entraînant un TCC léger et diverses fractures et lésions de l’omoplate droite, de la clavicule droite, du péroné droit, de la cheville gauche, du genou droit et des côtes 3-4-5 à droite. Ostéosynthèse de la clavicule droite le 11.10.2012, les autres fractures ayant fait l’objet de traitements conservateurs. L’AMO a été pratiquée le 09.02.2016. Appréciation médicale du médecin-conseil du 24.08.2016 : la situation était subjectivement et objectivement stabilisée. Il a décrit les limitations fonctionnelles de l’assuré et a indiqué que celui-ci disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ces restrictions. Estimation de l’IPAI : 30% (15% pour l’épaule droite, 10% pour le genou droit et 5% pour la cheville gauche).

Par décision sur opposition du 24.03.2017, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 16% dès le 01.05.2016 et l’IPAI.

Alors qu’il travaillait comme soudeur depuis le 10.10.2018, l’assuré a, le 19.02.2019, annoncé une rechute de l’accident du 10.10.2012. L’orthopédiste traitant proposait une arthroscopie de l’épaule droite dans le contexte de la reprise d’un travail relativement lourd, avec des surcharges mécaniques, dans la métallurgie, opération réalisée le 12.03.2021.

Appréciation médicale du médecin-conseil du 13.10.2021 : la situation était stabilisée à plus de six mois de l’intervention chirurgicale du 12.03.2021. Les limitations fonctionnelles sont les mêmes que celles définies en août 2016 et le taux de l’atteinte à l’intégrité demeure inchangé. L’assuré bénéficiait d’une capacité de travail entière dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles depuis le 01.11.2021. La profession de soudeur n’était toutefois pas adaptée à ces restrictions.

L’assurance-accidents a écrit à l’assuré le 14.10.2021 qu’elle mettrait un terme à la prise en charge du traitement médical au 31.12.2021 ainsi qu’au versement de l’indemnité journalière au 31.10.2021 ; en présence de limitations fonctionnelles inchangées par rapport à celles fixées le 24.08.2016, le droit à une rente d’invalidité de 16% était maintenu. Par décision du 01.12.2021 confirmée sur opposition, renvoyé à son courrier du 14.10.2021, en précisant que l’octroi d’une IPAI supplémentaire déjà allouée ne se justifiait pas.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 61/22 – 31/2023 – consultable ici)

Par jugement du 07.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont relevé que le médecin-conseil avait estimé que la situation de l’assuré n’avait pas empiré. Selon ce médecin, les limitations fonctionnelles retenues en 2016 restaient valables. Le médecin-conseil avait, au terme d’une appréciation minutieuse, dûment motivé ses conclusions et distingué les éléments subjectifs, basés sur les plaintes de l’assuré, et ses propres constatations pour évaluer l’évolution de l’état de santé de l’intéressé et sa capacité de travail résiduelle dans une activité adaptée. Le chirurgien traitant avait indiqué qu’il n’y avait pas eu d’éléments nouveaux très objectifs prouvant une péjoration des troubles de l’épaule droite, l’imagerie étant très peu évolutive et l’examen clinique relativement superposable; il s’agissait principalement d’une décompensation d’un status séquellaire post-traumatique. Ce médecin traitant avait en outre décrit des limitations fonctionnelles similaires à celles retenues par l’assurance-accidents. Il avait certes évoqué une capacité résiduelle de travail de 60-70%, même dans une activité adaptée, mais sans se baser sur des éléments médicaux objectifs. Contrairement à ce que soutenait l’assuré, le médecin-conseil avait par ailleurs pris en compte l’ensemble des atteintes liées à l’accident (épaule droite, genou droit et cheville gauche). Dans ces conditions, rien ne permettait de remettre en cause le constat d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles – identiques à celles posées en 2016 – depuis le 01.11.2021. Dans la mesure où aucun changement n’était intervenu sur le plan de la capacité de travail résiduelle dans une telle activité depuis 2016, il n’y avait pas lieu de réexaminer le calcul de la perte de gain et de revenir sur les bases du calcul du taux d’invalidité de 16% opéré en 2017.

Consid. 5.3
L’appréciation du médecin-conseil du 13.10.2021 est détaillée et convaincante et l’avis du chirurgien traitant ne fait pas douter de son bien-fondé. Au terme de son examen, le premier nommé a considéré que les limitations fonctionnelles de l’épaule droite et des membres inférieurs étaient inchangées depuis l’évaluation de 2016. Or les limitations fonctionnelles dont fait état le chirurgien traitant sont très similaires à celles retenues à cette époque. La seule différence concerne la limite du port de charges (5-10 kilos contre 15 kilos). Le chirurgien traitant n’explique pas pour quel motif il s’écarte sur ce point de l’appréciation du médecin-conseil, ni en quoi cette différence justifierait une diminution de la capacité de travail par rapport à la situation prévalant en 2016. En vérité, il ne motive nullement la capacité de travail partielle de 60-70% qu’il atteste. Il n’expose pas pour quelle raison l’assuré ne pourrait exercer qu’à temps partiel une activité adaptée à ses restrictions fonctionnelles. L’activité exigible de l’assuré étant identique à celle dont il a été tenu compte dans le cadre de la décision sur opposition du 24.03.2017, la rente d’invalidité ne saurait être révisée en application de l’art. 17 al. 1 LPGA. Il est également exclu de retenir que par opposition à la situation prévalant au moment de cette décision, l’assuré ne disposerait pas ou plus de certaines connaissances ou compétences, de telle manière à impacter sa capacité de gain. On rappellera qu’une simple appréciation différente d’un état de fait qui, pour l’essentiel, est demeuré inchangé ne justifie pas une révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA (ATF 147 V 167 consid. 4.1; 144 I 103 consid. 2.1; 141 V 9 consid. 2.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_211/2023 consultable ici

 

Casso VD AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 – Valeur probante d’une expertise psychiatrique – 43 LPGA / Enregistrement sonore exploitable à la suite d’un problème d’ordre technique – 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA / Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une expertise psychiatrique / 43 LPGA

Enregistrement sonore inexploitable à la suite d’un problème d’ordre technique / 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA

Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

 

Remarques liminaires

Une fois n’est pas coutume, un arrêt cantonal est résumé sur notre site. Il s’agit l’un des premiers arrêts (en tout cas le premier à notre connaissance) concernant l’enregistrement sonore défaillant lors d’une expertise médicale mise en œuvre par un assureur social. Au moment de la publication de notre résumé, l’arrêt n’est pas entré en force. On soulignera que la juridiction cantonale a renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il complète l’instruction et rende une nouvelle décision sur le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

En fait

Assurée, de nationalité irakienne, mariée et mère de trois enfants, au bénéfice d’une formation d’auxiliaire de santé. Depuis le 01.10.2009, l’assurée a travaillé comme femme de chambre auprès d’une hôtel. Incapacité de travail attestée à 100% dès le 24.08.2017, puis à 50% dès le 09.10.2017.

L’assureur perte de gain maladie de l’employeur a versé des indemnités journalières jusqu’au 31.07.2018, conformément aux rapports d’expertise d’un spécialiste en rhumatologie et d’un spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie (Dr C.__ ; rapport du 24.03.2018).

Le 25.07.2018, l’assurée a déposé une demande AI. Se basant sur un rapport d’examen du SMR daté du 25.07.2019, l’office AI a informé l’assurée de son intention de rejeter sa demande de prestations. Selon ce rapport, à l’expiration de la période d’attente d’un an, si elle présentait une capacité de travail de 50% dans son activité habituelle, l’intéressée était en mesure de travailler à plein temps dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles.

L’assurée, assistée de son assurance protection juridique, a contesté ce préavis négatif, en fournissant divers rapports médicaux.

L’office AI a mis en œuvre une expertise bidisciplinaire (rhumatologie et psychiatrie). Sur le plan psychiatrique, le Dr G.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie, a retenu les diagnostics incapacitants de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptôme psychotique (F33.2), et de modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe (F62.0). Au plan somatique, la capacité de travail de l’assurée était entière dans une activité adaptée alors que sur le plan psychiatrique sa capacité de travail était nulle dans toute activité depuis l’été 2020 « selon le rapport de la Dre I.__ [psychiatre traitant] ».

Le SMR a proposé de réinterroger les médecins-experts au motif que leurs conclusions restaient floues et/ou insuffisamment discutées. Au vu de l’ampleur des informations complémentaires à apporter, on ne pouvait exclure la nécessité d’une nouvelle évaluation bidisciplinaire. Les experts ont répondu aux questions complémentaires le 08.09.2021.

Le médecin du SMR a estimé que si l’expert rhumatologue apportait un complément suffisant à son expertise, il était toutefois nécessaire de procéder à une nouvelle expertise psychiatrique de l’assurée, laquelle a été confiée par l’office AI au Dr W.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie.

Dans son rapport d’expertise psychiatrique, le Dr W.__ a posé le diagnostic incapacitant de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger (F33.0) et a estimé la capacité de travail de l’assurée à 50% dans toutes activités dès novembre 2019. Il a précisé que, d’un point de vue psychiatrique, toute activité adaptée aux compétences et à la motivation de l’intéressée était envisageable alors que les limitations fonctionnelles ressortaient du registre strictement rhumatologique, sur la base d’un emploi exercé à mi-temps.

Le médecin du SMR a relevé le caractère probant du rapport d’expertise psychiatrique précité, mais a cependant requis un complément d’information auprès du Dr W.__. En réponse aux questions complémentaires de l’office AI, le Dr W.__ a fait savoir que le traitement médicamenteux était largement insuffisant par rapport au diagnostic allégué et à la reconnaissance d’une incapacité de travail complète par le médecin de famille. Le Dr W.__ a indiqué qu’il lui semblait judicieux de réévaluer la situation « par un œil extérieur » six mois après la réadaptation du traitement.

L’office AI a, par décision du 04.08.2022, confirmé la teneur de son préavis négatif du 21.10.2019. L’office AI a précisé que son projet de décision reposait sur une instruction complète et était conforme en tous points aux dispositions légales.

 

L’assurée, par la plume de son nouveau conseil, a déféré cette décision devant la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal.

Dans sa réplique du 26.10.2022, l’assurée a produit un courrier de l’office AI du 18.10.2022 à son conseil indiquant que l’enregistrement sonore de l’entretien d’expertise n’était malheureusement pas exploitable suite à un problème d’ordre technique. Or, elle considère que l’enregistrement précité est indispensable, élément qui fait défaut et dont elle soutient qu’il est à l’origine d’une violation de son droit d’être entendue ainsi que des garanties liées à la transparence des expertises voulue par le législateur ; selon elle, l’expert psychiatre n’a pas tenu compte de ses plaintes subjectives ou les a, à tout le moins, fortement minimisées dans l’anamnèse. L’assurée a requis de la cour cantonale de retrancher du dossier le rapport d’expertise du Dr. W.__ ainsi que son complément. Elle propose dès lors de retenir sa capacité de travail nulle dans une activité adaptée depuis l’été 2020 reconnue par l’expertise bidisciplinaire et corroborée par la psychiatre traitant.

Dans sa duplique, l’office a constaté après réexamen que l’assurée avait droit à un quart de rente, sur la base d’un degré d’invalidité de 41,47%. Pour le surplus, s’il était certes regrettable que l’enregistrement ne soit pas exploitable, celui-ci ne semblait pas déterminant « à supposer qu’on puisse l’apprécier ».

 

En droit

Consid. 4d/aa
Depuis le 1er janvier 2022, sauf avis contraire de l’assuré, les entretiens entre l’assuré et l’expert font l’objet d’enregistrements sonores, lesquels sont conservés dans le dossier de l’assureur (art. 44 al. 6 LPGA). L’entretien comprend l’ensemble de l’entrevue de bilan. Celle-ci inclut l’anamnèse et la description, par l’assuré, de l’atteinte à sa santé (art. 7k al. 1 OPGA. Au moyen d’une déclaration écrite adressée à l’organe d’exécution, l’assuré peut annoncer avant l’expertise qu’il renonce à l’enregistrement sonore (art. 7k al. 3 let. a OPGA) ou demander la destruction de l’enregistrement jusqu’à dix jours après l’entretien (art. 7k al. 3 let. b OPGA). Avant l’entretien, il peut révoquer sa renonciation au sens de l’al. 7k al. 3 let. a OPGA auprès de l’organe d’exécution (art. 7k al. 4 OPGA). L’enregistrement sonore doit être réalisé par l’expert conformément à des prescriptions techniques simples. Les assureurs garantissent l’uniformité de ces prescriptions dans les mandats d’expertise. L’expert veille à ce que l’enregistrement sonore de l’entretien se déroule correctement sur le plan technique (art. 7k al. 5 OPGA). Les experts et les centres d’expertises transmettent l’enregistrement sonore à l’assureur sous forme électronique sécurisée en même temps que l’expertise (art. 7k al. 7 OPGA). Si l’assuré, après avoir écouté l’enregistrement sonore et constaté des manquements techniques, conteste le caractère vérifiable de l’expertise, l’assuré et l’organe d’exécution tentent de s’accorder sur la suite de la procédure (art. 7k al. 8 OPGA). Si la personne assurée et l’office AI ne parviennent pas à se mettre d’accord à ce sujet, l’OAI rendra une décision incidente (Circulaire sur la procédure dans l’assurance-invalidité [CPAI], état au 1er janvier 2022, n°3127).

Consid. 4d/bb
Compte tenu de la finalité de l’enregistrement sonore et de sa forme particulière de conservation, les directives prévoient que lorsque l’assuré demande l’accès à son dossier, l’enregistrement n’est pas transmis d’office avec les actes, dès lors que l’enregistrement a pour but de vérifier, en cas de litige, ce qui a été effectivement dit lors de l’entretien (Michela Messi, AI : les enregistrements favorisent la transparence, in Sécurité sociale [CHSS] 2022).

La personne assurée peut toutefois demander expressément de l’écouter. Par exemple lorsque, en lisant l’expertise, qui en soi sert de base à la décision de l’office AI, elle estime que le rapport d’expertise ne reproduit pas correctement les déclarations faites pendant l’entretien. Dans ce cas, l’office lui transmettra les instructions ainsi que les données nécessaires pour accéder électroniquement à l’enregistrement sonore et pouvoir ainsi l’écouter.

Pour que les experts puissent enregistrer facilement les entretiens et les transmettre aux offices AI, une solution informatique dédiée à l’assurance-invalidité a été créée. Une application pour smartphones permet aux experts d’enregistrer un entretien, de le réécouter et de le transmettre à l’office AI. L’enregistrement sonore n’est pas conservé sur le smartphone, mais téléchargé et stocké sur une plateforme sécurisée. Les experts peuvent également réaliser l’enregistrement avec un dictaphone et le télécharger ensuite sur la plateforme. Vu qu’il s’agit de données particulièrement sensibles, une grande attention a été accordée à la sécurité et à la protection des données lors de la mise en œuvre de l’application.

Pour des raisons de protection des données, l’accès à l’enregistrement sonore a été limité à un groupe très restreint de personnes et institutions : l’assuré même et son représentant, l’organe d’exécution compétent (l’office AI dans les cas AI) ainsi que les tribunaux appelés à statuer sur un éventuel recours.

Consid. 4d/cc
En l’espèce, l’assurée a invoqué des contradictions et des incohérences dans l’anamnèse relatée par le Dr W.__, ainsi que dans les explications de l’expert s’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak en pleine guerre, provoquant un traumatisme majeur selon l’assurée. Dans le cadre de son recours, elle a contesté différentes affirmations de l’expert, qui ne correspondent pas, selon elle, à la réalité. Elle observe que les indications d’une « mère gentille » et de « souvenir d’une enfance tout à fait normale ou tout à fait heureuse » par l’expert sont en contradiction avec le fait qu’elle a été élevée par sa grand-mère car sa mère ne voulait pas d’elle, comme l’a relevé l’experte G.__, et que, selon ses propres dires, elle était « une enfant qui avait peur ». S’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak, pour des raisons économiques selon l’expert, elle indique qu’elle avait voulu fuir la guerre en Irak avec ses trois enfants, mais qu’elle avait été forcée de laisser un de ses fils dans son pays d’origine, en pleine guerre. Elle ajoute qu’il ressort clairement des appréciations des Dres G.__ et I.__ que cet épisode a été particulièrement traumatique. Selon l’assurée, le rapport du Dr W.__ comporte également un certain nombre d’incohérences : par exemple, l’expert indique qu’elle n’est pas dramatique tout en signalant peu après que ses douleurs prennent « volontiers une teinte assez dramatique ». L’expert explique également que l’assurée peut reconstituer de manière très claire et précise son histoire personnelle, avec des repères temporels et dates bien maintenues, tout en reprochant dans le même temps à la recourante « une certaine imprécision ». Elle ne comprend pas l’expert lorsqu’il déclare que l’on ne pourrait pas parler de « suicidalité » alors même qu’une tentative et des pensées suicidaires sont attestées par les Dres G.__ et I.__. De plus, l’appréciation de l’expert pour exclure le diagnostic de modification durable de la personnalité après expérience de catastrophe ne correspondrait pas à la réalité avec une tentative de suicide rapportée en 2005 par les médecins, la venue de son fils fortement traumatisé par la guerre (ayant notamment assisté à la mort des membres de sa famille) et celle de son mari avec la reprise des violences conjugales (psychiques et sexuelles ayant perduré de nombreuses années), pour lesquelles on ne saurait parler de simple « conflit de couple » comme l’a fait l’expert. Le tableau clinique décrit par l’expert, symptomatique d’une dépression moyenne à légère, ne correspondrait pas aux descriptions des Dres G.__ et I.__, cette dernière faisant état, dans son rapport du 02.03.2022, de la persistance de la symptomatologie dépressive, anxieuse, algique et du registre traumatique, avec des flash-backs, des symptômes dissociatifs et des voyages pathologiques, éléments toutefois passés sous silence par l’expert. L’assurée conteste que sa prise en charge psychiatrique depuis 2017 serait due à une « certaine insatisfaction professionnelle probable » « voire des soucis quant à l’un de ses fils », analyse qui sous-évalue ses troubles psychiques et qui est également en contradiction avec les avis de ses médecins. Elle reproche en outre à l’expert, en lien avec l’aggravation de la symptomatologie en 2019, de se borner à déclarer qu’elle serait en contradiction avec les éléments objectifs, soit le voyage en Irak durant cette année-là, sans toutefois se prononcer sur les explications fournies par la Dre I.__. De l’avis de l’assurée, les diagnostics de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger et de « conflit de couple ; insatisfaction professionnelle, divers » posés par l’expert résultent ainsi d’une analyse tronquée, « minimisant grandement » les troubles présentés. Enfin s’agissant de la capacité de travail, l’assurée observe que l’expert évalue sa capacité de travail médico-théorique à 50% dans une activité adaptée à ses compétences et ses limitations somatiques objectives. Puis à la question « A quel pourcentage évaluez-vous globalement la capacité de travail de l’assuré(e) dans cette activité, par rapport à un 100% ? », l’expert répond : « 50% dès novembre 2019 sur la base d’un plein temps soit 08h00 par jour, cinq jours sur sept ». Interpellé par la suite par le médecin du SMR, il n’a pas été en mesure de préciser l’évolution probable de la capacité de travail dans son complément. L’expert n’aurait en outre pas tenu compte de ses plaintes. En d’autres termes, l’assurée affirme dans ses écritures que le rapport d’expertise reproduirait incorrectement les déclarations qu’elle a faites pendant l’entretien avec l’expert.

Consid. 4d/cc
En définitive, dès lors que l’office AI a confirmé dans un courrier du 18.10.2022 au conseil de l’assurée que l’enregistrement sonore de l’expertise du Dr W.__ n’était pas exploitable, la cour cantonale n’est pas en mesure de déterminer si les déclarations de l’assurée ont été saisies correctement et reprises avec exactitude dans le rapport de l’expert. Un tel enregistrement sonore s’avère pourtant indispensable pour savoir si l’expert psychiatre a correctement tenu compte des plaintes de l’assurée, sans les minimiser, ce d’autant plus que le tableau clinique dressé par le Dr W.__ diffère des observations des Drs G.__ et I.__.

Quoi qu’en dise l’office AI dans sa duplique du 28.11.2022, l’enregistrement sonore de l’expertise menée par le Dr W.__ est un élément indispensable pour permettre au tribunal cantonal de statuer sur les critiques soulevées par l’assurée en lien avec la vérification de l’expertise. Par conséquent, faute d’enregistrement sonore, l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 devront être retirés du dossier.

Consid. 4g
En l’absence d’une appréciation psychiatrique suffisamment motivée pour établir de manière objective si l’assurée présente une atteinte psychique d’une gravité telle que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne peut plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part, il s’avère nécessaire de faire compléter l’instruction médicale. Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’office AI, autorité à qui il incombe en premier lieu d’instruire, conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 43 al. 1 LPGA). Compte tenu de l’absence d’atteinte objective d’origine somatique et de la prévalence d’une symptomatologie douloureuse sans substrat organique, l’office AI mettra en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique auprès d’un spécialiste en psychiatrie, autre que le Dr W.__. Même si le praticien précité s’efforçait d’occulter complètement son évaluation basée sur le premier entretien, on ne peut pas garantir qu’il ne continuerait pas à être influencé par cet entretien, si sa deuxième expertise psychiatrique contenait les mêmes conclusions. Cela fait, il appartiendra à l’office AI de rendre une nouvelle décision statuant sur la demande de l’assurée.

Consid. 5a
Le recours doit être admis, ce qui entraîne l’annulation de la décision rendue par l’office AI, la cause lui étant renvoyée pour mise en œuvre d’une expertise psychiatrique dans le sens des considérants, puis nouvelle décision, étant précisé que l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 doivent être retirés du dossier.

 

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 consultable ici

 

 

9C_465/2022 (f) du 01.03.2023 – Trouble de l’adaptation en réaction à une pathologie organique – Pas considéré comme une maladie de longue durée / Pas d’influence d’une reconnaissance par les autorités espagnoles d’une « incapacité permanente absolue » – Degré d’invalidité déterminé exclusivement d’après le droit suisse

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_465/2022 (f) du 01.03.2023

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande de prestations AI après précédents refus / 17 LPGA – 87 RAI

Trouble de l’adaptation en réaction à une pathologie organique (CIM-10 F43.2) – Pas considéré comme une maladie de longue durée et potentiellement invalidante

Pas d’influence d’une reconnaissance par les autorités espagnoles d’une « incapacité permanente absolue » – Degré d’invalidité déterminé exclusivement d’après le droit suisse

 

Assurée, ressortissante espagnole née en 1957, a travaillé (à temps partiel) comme couturière à Bâle jusqu’à la fin du mois de mai 1995. A la suite d’un premier refus de prestations de l’assurance-invalidité en 2002, l’assurée, entre-temps retournée dans son pays d’origine, a déposé une nouvelle demande en mars 2004. Celle-ci a été rejetée par l’office AI (décision du 01.07.2005, confirmée sur opposition le 03.03.2006 et par arrêt du TAF en 2008 et du TF en 2009 [arrêt 9C_486/2008]). En bref, il a considéré que l’assurée avait un statut mixte de personne active (à 91%) et de ménagère (à 9%), qu’il n’y avait pas d’incapacité de travail pour la part relative à l’exercice d’une activité professionnelle et que l’intéressée présentait un empêchement de 22% dans l’accomplissement des travaux ménagers; il en résultait un taux d’invalidité de 2%, insuffisant pour ouvrir le droit à une rente.

En novembre 2017, l’assurée a présenté une troisième demande de prestations. Après avoir notamment soumis les rapports des médecins traitants de l’assurée à son Service médical, l’office AI a rejeté la demande, par décision du 14.01.2019. Il a considéré que l’exercice d’une activité lucrative à temps partiel et l’accomplissement des travaux habituels étaient toujours exigibles dans une mesure suffisante pour exclure le droit à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt C-950/2019 – consultable ici)

Par jugement du 12.08.2022, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 5.2
Contrairement à ce qu’allègue en premier lieu l’assurée, il n’est pas contesté qu’elle est atteinte de fibromyalgie et d’importantes autres pathologies. La juridiction de première instance a en effet rappelé qu’elle avait déjà constaté que l’intéressée souffrait notamment de polyarthrose modérée, d’une scoliose dorso-lombaire et d’une fibromyalgie dans l’arrêt qu’elle avait rendu le 22 avril 2008 et que ses constatations avaient été confirmées par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_486/2008 du 8 janvier 2009 consid. 3). Par ailleurs, en ce qu’elle croit pouvoir déduire du seul fait qu’elle serait atteinte d’une maladie psychique le droit à des prestations de l’assurance-invalidité, l’assurée méconnaît la notion d’invalidité. L’élément déterminant réside bien plutôt dans le point de savoir si sa capacité de travail est, d’une façon ou d’une autre, entravée par des troubles psychiques ou par d’autres troubles somatiques. Or toute son argumentation s’épuise dans la démonstration – vaine, en l’absence d’incapacité de travail attestée – qu’elle est atteinte d’une maladie psychique.

Consid. 5.3
C’est également à tort que l’assurée se prévaut d’une nouvelle atteinte à la santé sous la forme d’un trouble de l’adaptation en réaction à une pathologie organique (CIM-10 F43.2). Cette atteinte à la santé ne peut en effet pas être considérée comme une maladie de longue durée et donc potentiellement invalidante (cf. arrêts 9C_210/2017 du 2 mai 2017 consid. 3.2; 9C_87/2017 du 16 mars 2017 et la référence), comme l’ont dûment exposé les premiers juges.

Consid. 5.5
C’est finalement en vain que l’assurée se prévaut d’une « problématique d’engrenage des conceptions de la typologie de la fibromyalgie et [du] syndrome de fatigue chronique entre l’Espagne et la Suisse » et qu’elle se réfère à une décision rendue le 22.12.2006 par un magistrat « del Jutjat Social nùméro 25 de Barcelona » (par laquelle elle a été reconnue « en situation d’incapacité permanente absolue » et mise au bénéfice de la prestation correspondante), ainsi qu’à une décision du 07.07.2008 du « Tribunal superior de justìcia Catalunya sala social » (par laquelle il a admis le recours formé contre la décision du 22.12.2006 par l’Institut national de la Sécurité sociale espagnole). Indépendamment de la question de leur recevabilité selon l’art. 99 al. 1 LTF, ces pièces ne sont en effet pas pertinentes pour l’issue du présent litige, parce que la reconnaissance par les autorités espagnoles compétentes d’une « incapacité permanente absolue » n’aurait pas d’influence sur l’examen du droit à une rente de l’assurance-invalidité suisse. Au consid. 1.2 de l’arrêt 9C_486/2008, le Tribunal fédéral a en effet déjà rappelé à l’assurée que le degré d’invalidité d’un assuré qui prétend une telle prestation est déterminé exclusivement d’après le droit suisse, même lorsque, comme en l’espèce, les dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) sont applicables à la contestation devant les autorités suisses (ATF 130 V 253 consid. 2.4).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_465/2022 consultable ici