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4A_249/2023 (f) du 22.04.2024, destiné à la publication – Défectuosité d’un vélo conçu en Suisse avec une fabrication, assemblage et distribution à l’étranger / For de l’action – Action en constatation de droit négative / 5 par. 3 CL – LRFP

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_249/2023 (f) du 22.04.2024, destiné à la publication

 

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Défectuosité d’un vélo conçu en Suisse avec une fabrication matérielle en Chine, un assemblage en Hollande et une distribution depuis la Belgique / LRFP

For de l’action en responsabilité du fait des produits – Action en constatation de droit négative / 5 par. 3 CL

Interprétation du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire

 

La société A.__ SA, basée en Suisse et spécialisée dans les articles de sport, produit des vélos, notamment le modèle de course xxx. Le cycliste B.__, résidant en Italie, a acheté ce vélo et a eu un accident en Sardaigne le 5 juin 2017, entraînant une hospitalisation.

La société demanderesse allègue dans sa demande qu’elle est en droit d’agir au lieu de son domicile en vertu de l’art. 2 de la Convention de Lugano (CL), comme aussi au lieu où le fait dommageable s’est produit au sens de l’art. 5 par. 3 CL. En relation avec ce dernier for, elle allègue que le cycliste lui réclame un montant de 270’000 euros en invoquant la responsabilité du fait des produits, le vélo en carbone qu’elle a produit étant prétendument défectueux. Selon l’expertise judiciaire ordonnée en procédure de preuve à futur par un tribunal de Grossetto, en Italie, la chute du cycliste serait due à la rupture de la fourche du vélo, elle-même causée par un défaut du matériel composite, à savoir la fibre de carbone (épaisseur de la fibre carbone ayant une influence sur la résistance de la fourche).

Dans sa réponse, le cycliste défendeur expose qu’il a eu un accident à Budoni, en Sardaigne, avec son vélo de course et qu’il s’est blessé grièvement lors de cette chute. Il invoque une défectuosité du vélo. Il reproche à la demanderesse de l’attraire à un for étranger alors que l’expertise judiciaire effectuée en Italie lui donne entièrement raison (complètement des faits conformément à l’art. 105 al. 2 LTF).

La société a conçu le vélo en Suisse, mais la fabrication « matérielle » se fait en Chine voire en Hollande pour l’assemblage, avec une distribution depuis la Belgique. Le litige porte sur l’existence et la nature du défaut, ainsi que sur le for de l’action en responsabilité du fait des produits. La société, admettant être le fabricant, nie tout défaut et soutient que le vélo a été modifié par le cycliste, tandis que ce dernier maintient que la fourche présente un défaut de résistance.

 

Procédure cantonale (arrêt 101 2022 309 – consultable ici)

La société A.__ SA a déposé une demande en constatation de droit négative contre le cycliste B.__ devant un tribunal suisse, invoquant le for de la commission de l’acte illicite selon l’art. 5 par. 3 CL. Le cycliste a contesté la compétence internationale de ce for. Le Tribunal de première instance a déclaré l’action irrecevable, estimant que le lieu de fabrication matérielle du vélo (Chine ou Hollande) était déterminant, et non le lieu de conception (Suisse).

La Cour d’appel a confirmé cette décision, rejetant les griefs de la société. Elle a notamment considéré que la nature exacte du défaut n’était pas déterminante à ce stade, qu’il n’y avait pas violation de la théorie des faits de double pertinence et qu’il n’y avait pas de for de la commission de l’acte dommageable en Suisse, se basant sur une conception stricte de la fabrication selon la jurisprudence de la CJUE et écartant le lieu de conception comme point de rattachement particulièrement étroit. La Cour a ainsi confirmé l’irrecevabilité de l’action en Suisse

 

TF

La société A.__ SA a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral.

Consid. 3
Les parties sont en litige au sujet de la compétence internationale du tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit (ou lieu de commission de l’acte; « Handlungsort ») au sens de l’art. 5 par. 3 de la Convention de Lugano (CL). La demanderesse recourante estime avoir le droit d’agir devant le tribunal du lieu où elle a conçu et produit le vélo. De son côté, le défendeur intimé conteste l’existence d’un tel for en Suisse; selon lui, le vélo n’est pas fabriqué en Suisse, mais en Chine; il résulte de ses motifs qu’il souhaite agir devant le tribunal du lieu du résultat de l’acte (ou lieu où le dommage s’est produit; « Erfolgsort ») au sens de l’art. 5 par. 3 CL, qui, selon lui, se trouve au lieu de l’accident à Budoni, en Sardaigne, en Italie. Ce for du lieu du résultat n’est toutefois pas l’objet de la présente procédure.

Consid. 3.1
La cause est de nature internationale, puisque le cycliste défendeur est domicilié en Italie et qu’une cause est toujours de nature internationale lorsque l’une des parties possède son domicile à l’étranger (art. 1 al. 1 LDIP; ATF 149 III 371 consid. 4.1; 141 III 294 consid. 4; 135 III 185 consid. 3.1; 131 III 76 consid. 2.3). Il n’est pas contesté que la Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dans sa version révisée du 30 octobre 2007 (art. 63 par. 1 CL; ATF 140 III 115 consid. 3), est applicable (art. 1 al. 2 LDIP) pour déterminer si les tribunaux suisses sont compétents dès lors que le défendeur est domicilié dans un État membre de l’Union Européenne et que la demanderesse a son siège en Suisse, à… (dans le canton de Fribourg).

Consid. 3.2
Selon la Convention de Lugano, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État contractant sont attraites devant les juridictions de cet État (art. 2 par. 1 CL), sous réserve des règles énoncées aux sections 2 à 7 (art. 5 à 24 CL). Aux termes de l’art. 5 par. 3 CL, une personne domiciliée sur le territoire d’un État lié par la présente Convention peut être attraite, dans un autre État lié par la présente convention, en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Puisque l’art. 5 par. 3 CL correspond en substance à l’art. 5 point 3 du Règlement (CE) N° 44/2001 du 22 décembre 2000, dit Bruxelles I, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, entré en vigueur le 1er mars 2002 (qui a remplacé la Convention dite de Bruxelles de 1968 portant sur le même objet), la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, anciennement dénommée Cour de justice des Communautés européennes, relative à la disposition réglementaire de l’Union européenne doit être prise en considération comme moyen d’interprétation authentique jusqu’au 30 octobre 2007 (cf. ATF 131 III 227 consid. 3.1). Quant à la jurisprudence relative à l’art. 7 point 2 du Règlement (UE) N° 1215/2012 du 12 décembre 2012, dit Bruxelles Ibis, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, entré en vigueur le 10 janvier 2015, elle peut être prise en compte pour l’interprétation de l’art. 5 par. 3 CL puisque le contenu de cet article est identique à celui de l’art. 7 point 2 (ALEXANDER R. MARKUS, Internationales Zivilprozessrecht, 2e éd., Berne 2020, n. 677 ss).

Consid. 3.3
Selon une jurisprudence constante, l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » au sens de l’act. 5 par. 3 CL vise à la fois le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage, autrement dit le lieu de commission de l’acte (ci-après: le lieu de commission de l’acte) (Handlungsort), et le lieu de la matérialisation du dommage, c’est-à-dire le lieu du résultat de l’acte (Erfolgsort) (ATF 145 III 303 consid. 4; 133 III 282 consid. 4.1; 132 III 778 consid. 3 et les références; arrêts CJUE Bier/Mines de Potasse 21-76 du 30 novembre 1976 n. 19; Pinckney C-170/12 du 3 octobre 2013 n. 26).

L’action en responsabilité pour le fait des produits est une action délictuelle au sens de l’art. 5 par. 3 CL et elle peut donc être intentée au for du lieu de commission de l’acte (Handlungsort) (CJUE arrêt Zuid-Chemie BV C-189/08 du 16 juillet 2009 n. 27 et 29) ou au for du lieu du résultat de celui-ci (Erfolgsort) (CJUE arrêt Andreas Kainz C-45/13 du 16 janvier 2014 n. 18 et 26).

Lorsque le lieu de commission de l’acte illicite (« lieu où se situe le fait susceptible d’engager une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ») et le lieu du résultat (« lieu où ce fait a entraîné un dommage ») ne sont pas identiques, la CJUE considère que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un ou de l’autre de ces deux lieux (CJUE arrêt Zuid-Chemie précité n. 23; arrêt Kainz précité n. 23). Et la CJUE de préciser que l’identification de l’un de ces deux points de rattachement doit permettre d’établir la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée pour apprécier si les éléments constitutifs de la responsabilité de la personne attraite sont réunis (arrêts Kainz précité n. 24 et Pinckney précité n. 28). Si un lieu de commission ou un lieu de résultat a pu être identifié, le tribunal ne procède pas au cas par cas à l’examen de la compétence de la juridiction objectivement la mieux placée (ATF 145 III 303 consid. 4.1).

Consid. 3.4
L’interprétation des notions de lieu de commission de l’acte et de lieu du résultat doit se faire en fonction du système de compétences prévu par la Convention de Lugano et par le Règlement européen susmentionné (consid. 3.2), qui sont fondés sur la règle générale selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État et que ce n’est que par dérogation à cette règle générale que les art. 5 à 7, dont notamment l’art. 5 par. 3, prévoient des règles de compétences spéciales (cf. aussi arrêt Kainz précité n. 21). Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifient un autre critère (cf. arrêt Kainz précité n. 3). Les règles de compétence spéciales sont donc d’interprétation stricte et ne permettent pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite. Ainsi, selon la CJUE, en aucun cas, la recherche d’une cohérence avec le Règlement (CE) N° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (dit Rome II) ne saurait conduire à donner aux dispositions du Règlement sur la compétence une interprétation étrangère au système et aux objectifs de celui-ci (arrêt Kainz précité n. 19-22); l’interprétation ne saurait prendre en compte l’intérêt de la personne lésée en lui permettant d’introduire son action au lieu de son domicile (forum actoris), l’art. 5 par. 3 ne tendant pas précisément à offrir à la partie la plus faible une protection renforcée (arrêt Kainz précité n. 30-31 avec référence à l’arrêt CJUE Folien Fischer et Fofitec C-133/11 du 25 octobre 2012, n. 46). Enfin, la CJUE a relevé que le lieu de commission ne saurait être celui où le produit en cause a été transféré au consommateur final ou au revendeur (arrêt Kainz précité n. 31). L’exclusion d’un point de rattachement au domicile du demandeur lésé est d’ailleurs conforme à l’art. 2 par. 1 CL qui prévoit que la compétence de la juridiction du domicile du défendeur doit prévaloir (arrêt Kainz précité n. 32 qui renvoie au n. 21).

Consid. 3.5
Le demandeur à l’action en constatation de droit négative peut opter entre les fors déduits de l’art. 5 par. 3 CL de la même manière que le demandeur à l’action condamnatoire. L’art. 5 par. 3 CL vise aussi bien l’action de la prétendue victime d’un acte délictuel que l’action en constatation de droit négative du débiteur potentiel d’une créance fondée sur cet acte délictuel. Le demandeur, qu’il s’agisse de la victime ou du débiteur, peut donc choisir entre le for du lieu de commission de l’acte et le for du lieu du résultat. Si le Tribunal fédéral s’est prononcé dans ce sens dans le cadre d’une action en constatation de droit négative fondée sur le droit des cartels (ATF 145 III 303 consid. 4.2), la CJUE l’a admis dans le cadre d’une demande en constatation de droit négative portant sur une absence de responsabilité délictuelle en matière de concurrence (CJUE arrêt Folien précité n. 2 n. 55).

Certes, selon la jurisprudence, le rôle des parties à l’action en constatation de droit négative est inversé, mais le demandeur cherche seulement à établir l’absence des conditions de la responsabilité dont résulterait le droit à réparation du défendeur. L’inversion des rôles n’est donc pas de nature à exclure une action en constatation de droit négative du champ d’application de la règle de compétence en matière délictuelle. Les objectifs de prévisibilité du for et de la sécurité juridique poursuivis par cette règle de compétence n’ont trait ni à l’attribution des rôles des parties, ni à la protection de l’un d’eux. Il ne s’agit pas d’une règle tendant à offrir une protection renforcée à la partie faible; elle ne suppose pas que la prétendue victime doive ouvrir l’action. L’action positive et l’action en constatation de droit négative portent essentiellement sur les mêmes éléments de fait et de droit; elles ont le même objet et la même cause. La juridiction de l’un des deux lieux visés par cette règle est compétente, indépendamment du fait que l’action a été introduite par le débiteur potentiel et non par la prétendue victime de l’acte délictuel (ATF 145 III 303 consid. 4.2.3; CJUE arrêt Folien précité n. 41-52).

L’arrêt Kainz (précité n. 31) rendu sur l’action positive, d’un cycliste contre le fabricant d’une bicyclette, fait le lien avec l’arrêt Folien (précité n. 46) rendu sur une action en constatation de droit négative, en précisant que, dans les deux cas, la règle de compétence ne tend pas à offrir à la partie la plus faible une protection renforcée, ni ne vise à permettre au consommateur final de pouvoir saisir en toute hypothèse les juridictions de son propre domicile (arrêt Kainz précité n. 31). L’art. 5 par. 3 CL vaut donc tant pour l’action positive en responsabilité du fait des produits que pour l’action en constatation de droit négative portant sur l’absence de responsabilité du fait des produits.

Consid. 3.6
En l’espèce, à ce stade de l’examen de la compétence, on peut retenir que tant le cycliste, par l’action délictuelle positive, que la société, par l’action en constatation de droit négative, peuvent ouvrir action au lieu de commission de l’acte illicite.

Consid. 4
Il reste à déterminer où se trouve le lieu de commission de l’acte illicite selon l’art. 5 par. 3 CL en matière de responsabilité pour le fait des produits. La demanderesse soutient qu’il s’agit du lieu où elle a conçu ce vélo de course et où elle en a vérifié la conformité aux normes ISO avant sa mise sur le marché, et non le lieu où elle fait fabriquer ces vélos (en Chine) ou assembler leurs éléments (en Hollande) ou les distribue (depuis la Belgique). Le défendeur soutient que le lieu de commission se trouve au lieu de fabrication matérielle, comme l’a retenu la cour cantonale.

Consid. 4.1
Les dispositions de la Convention de Lugano doivent être interprétées de manière autonome en se référant au système et aux objectifs visés par les règles de compétence de cette convention (ATF 134 III 214 consid. 2.3; CJUE arrêts Zuid-Chemie précité n. 17; Kainz précité n. 19 et Pinckney précité n. 23). Comme tout traité, la Convention de Lugano doit être interprétée de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (art. 31 al. 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [CV; RS 0.111]) (ATF 135 III 324 consid. 3.1; 131 III 227 consid. 3.1 et les arrêts cités).

Comme on vient de le voir (cf. consid. 3.4 et 3.5 supra), l’art. 5 par. 3 CL ne tend pas à protéger la partie faible en lui permettant d’ouvrir action à son propre domicile (forum actoris). Les règles de compétence doivent s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur, ce qui doit également valoir pour l’action en constatation de droit négative dont l’objet est en réalité la créance en indemnisation du lésé; dans un tel cas, il ne faut pas perdre de vue que les règles de compétence doivent aussi s’articuler autour de la compétence du tribunal du domicile du débiteur potentiel, les fors de l’art. 5 par. 3 CL n’étant justifiés qu’aux conditions strictes de cette disposition. La cohérence avec la réglementation sur la loi applicable ne doit pas aboutir à interpréter les règles de compétence contrairement aux objectifs poursuivis par la Convention de Lugano, respectivement le Règlement européen sur la compétence.

 

Consid. 4.2
En matière de responsabilité du fait des produits, la détermination du lieu de commission de l’acte n’est pas aisée car le défaut du produit peut dépendre d’actes ou d’omissions se produisant au stade de la conception, de la fabrication ou de la commercialisation du produit. La localisation du lieu de commission peut donc être ardue (cf. ANDREA BONOMI, Commentaire romand LDIP/CL, n. 7 ad art. 135 LDIP).

Dans l’affaire Kainz précitée, la CJUE a statué qu' »en cas de mise en cause de la responsabilité d’un fabricant du fait d’un produit défectueux, le lieu de l’événement causal à l’origine du dommage est le lieu de fabrication du produit en cause ». Cette notion de lieu de fabrication n’était, dans cet arrêt, ni délicate, ni équivoque, ni controversée en tant que telle: en effet, la bicyclette avait été entièrement fabriquée en Allemagne et seulement achetée par le cycliste auprès d’un détaillant en Autriche, et l’accident était aussi survenu en Allemagne. La seule question était de savoir si le lieu de commission de l’acte illicite (« la détermination du lieu de l’événement causal ») se situait au lieu de la fabrication de la bicyclette défectueuse, en Allemagne, ou au lieu de l’acquisition de celle-ci auprès d’un détaillant, en Autriche. Or, comme le relève la recourante, force est de constater que la CJUE a commencé par affirmer que ce n’est qu' »en principe » que l’événement causal survient au lieu où le produit en cause est fabriqué. Il faut donc retenir qu’elle n’a généralisé cette notion dans sa subsomption en cette affaire que parce qu’il n’y avait qu’un seul lieu de fabrication, en Allemagne.

Il s’impose donc d’interpréter, selon la bonne foi et en tenant compte des objectifs poursuivis par les règles de compétence, les termes de concepteur/producteur/fabricant et de lieu de conception/production/ fabrication lorsque le produit prétendument défectueux est réalisé dans plusieurs lieux. On ne saurait déduire de l’art. 5 par. 3 CL, ni que le lésé doive ouvrir action, ni que le producteur puisse être attrait dans tous les États de fabrication matérielle de toutes les pièces détachées qui composent le produit. Dans la chaîne des causes du défaut, il y a lieu de considérer que le lieu de commission de l’acte dépend à la fois du concepteur/producteur dont le lésé met en cause la responsabilité et du lieu où celui-ci a agi, et non de tous les lieux où celui-ci a fait réaliser ses produits par des tiers.

Consid. 4.3 [résumé]
En l’espèce, il résulte des constatations de fait de l’arrêt attaqué que la société demanderesse « produit » des vélos, en particulier le modèle de course xxx, que la conception du produit est effectuée à…, en Suisse, que la société le fait fabriquer en Chine, voire en Hollande où il est assemblé.

Le cycliste défendeur vise spécifiquement la responsabilité de cette société suisse, et non celle des fabricants ou assembleurs étrangers, qui sont considérés comme des auxiliaires de la société demanderesse. La qualité d’obligée de la société demanderesse est liée à son rôle de concepteur/producteur du vélo.

Puisqu’il est constaté dans l’arrêt attaqué que le responsable auquel le cycliste impute le défaut du vélo a conçu et produit ce vélo en Suisse, il y a lieu d’admettre que le lieu de commission de l’acte illicite au sens de l’art. 5 par. 3 CL se trouve à ce lieu, en Suisse. C’est donc à tort que la cour cantonale a retenu que le lieu de commission se trouvait au lieu de fabrication matérielle de la fourche du vélo en Chine, voire en Hollande au lieu de son assemblage, autrement dit hors de Suisse.

 

Consid. 4.4
Comme l’a retenu la cour cantonale, il n’est pas nécessaire au stade de la détermination de la compétence de se préoccuper de la nature du défaut: il suffit de constater que le cycliste réclame une indemnité à la société demanderesse parce qu’il allègue que cette société qui produit le vélo en question est responsable du défaut de ce vélo, directement ou du fait de ses auxiliaires.

Il n’y a pas lieu d’entrer en matière sur la violation de la théorie des faits doublement pertinents. En effet, c’est parce qu’elle avait une fausse conception de la notion de « fabrication » que la cour cantonale a considéré que la demanderesse n’avait pas prouvé la localisation en Suisse.

Dès lors que le lieu de l’acte illicite en Suisse est établi, il n’y a pas lieu d’examiner l’exigence d’un rattachement particulier avec la Suisse, celui-ci n’étant pas une condition supplémentaire à examiner (cf. consid. 3.3 in fine).

Le fait que le défendeur souhaiterait agir au lieu du résultat, autrement dit au lieu de l’accident, n’est pas décisif puisque l’art. 5 part. 3 CL offre le choix au demandeur, peu importe qu’il s’agisse d’une action positive ou de l’action miroir en constatation de droit négative.

 

Le TF admet le recours, annule l’arrêt attaqué le réformant en ce sens que la demande déposée par la société demanderesse devant le Tribunal d’arrondissement de la Sarine, en Suisse, est recevable en ce qui concerne la compétence internationale de ce tribunal au regard de l’art. 5 par. 3 CL.

 

Arrêt 4A_249/2023 consultable ici

 

8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication – DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici

 

DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants / 26bis RAI

 

La réglementation, introduite début 2022 et en vigueur jusqu’à fin 2023, concernant l’évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS est en partie contraire au droit fédéral. Les instruments pour corriger le salaire statistique de l’ESS déterminant dans un cas concret, afin de tenir compte de la situation de la personne assurée, sont insuffisants. Si nécessaire, il convient donc de recourir en complément à la pratique du Tribunal fédéral en la matière appliquée jusqu’à présent.

En 2023, le Tribunal des assurances sociales du canton de Bâle-Ville a octroyé à un assuré une rente fondée sur un taux d’invalidité de 59% à partir de juin 2022. Une révision de la loi fédérale et du règlement sur l’assurance-invalidité (LAI, RAI) était alors entrée en vigueur au 1er janvier 2022. Pour évaluer le taux d’invalidité, le tribunal a procédé à une comparaison des revenus, comme la loi le prévoit: le salaire que l’assuré pourrait obtenir après la survenance de l’invalidité en exerçant une activité que l’on peut raisonnablement exiger de sa part (revenu d’invalide) est comparé au salaire qu’il aurait pu réaliser s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité). Le tribunal a déterminé le revenu d’invalide de l’assuré sur la base des salaires statistiques de l’ESS (enquête bisannuelle sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique). Compte tenu de la situation particulière de l’assuré, il a appliqué une déduction de 15% sur le salaire de référence de l’ESS.

L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a recouru contre le jugement cantonal auprès du Tribunal fédéral. Il a conclu à l’allocation d’une rente fondée sur un taux d’invalidité de 57% seulement, au motif que l’art. 26bis RAI, dans sa version modifiée entrée en vigueur début 2022 (cette disposition a de nouveau été modifiée au 1er janvier 2024), autorisait une déduction de maximum 10% sur le salaire statistique de l’ESS (dans le cas où la personne invalide ne pouvait travailler qu’à un taux de 50% ou moins).

Le Tribunal fédéral rejette le recours de l’OFAS. Pour les cas antérieurs à la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2022, il a développé une jurisprudence relative à la détermination du revenu d’invalide sur la base des salaires statistiques de l’ESS. Afin de tenir compte de la situation particulière des personnes invalides, les salaires de référence de l’ESS pouvaient être corrigés. Une déduction maximale de 25% pouvait être opérée; une correction additionnelle était envisageable uniquement si la personne assurée percevait déjà avant la survenance de l’invalidité, sans le vouloir, un revenu nettement inférieur à la moyenne en raison de facteurs étrangers à l’invalidité (« parallélisme »).

En adoptant l’art. 26bis RAI, le Conseil fédéral a exclu dans une large mesure les possibilités de déduction fondées sur cette jurisprudence. Après une analyse globale, le Tribunal fédéral estime que le régime de déduction sur le salaire statistique de l’ESS, tel que prévu de manière exhaustive dans le RAI, n’est pas compatible avec le droit fédéral. Il ressort notamment des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LAI que la jurisprudence du Tribunal fédéral appliquée jusqu’à présent devait être pour l’essentiel reprise au niveau réglementaire et que la méthode d’évaluation du taux d’invalidité devait en principe rester inchangée. En tant qu’auteur du règlement, le Conseil fédéral a toutefois choisi une autre voie. Il y a des raisons de penser que le législateur avait et était en droit d’avoir d’autres attentes concernant la mise en œuvre de la LAI dans le RAI. Dans la mesure où, en raison des circonstances du cas d’espèce, il y a un besoin d’adapter le salaire statistique de l’ESS au-delà de ce qu’offrent les instruments de correction du RAI, il convient de faire appel, en complément, à la jurisprudence appliquée jusqu’à présent par le Tribunal fédéral. L’arrêt attaqué n’est donc pas critiquable dans son résultat.

 

NB : l’arrêt sera traduit par mes soins prochainement, avec probablement quelques commentaires personnels.

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici

 

4A_401/2023 (f) du 15.05.2024 – Responsabilité civile d’un hôpital / Lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage / Degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_401/2023 (f) du 15.05.2024

 

Consultable ici

 

Responsabilité civile d’un hôpital / 61 al. 1 CO – LREC (RS/GE A 2 40)

Analyse du lien de causalité naturelle en cas d’omission – Lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage

Degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante

 

Le 14.05.2011, B.__ (ci-après: la patiente), âgée de 47 ans au moment des faits, a été admise à 13h37 au service des urgences des Établissements A.__, en raison notamment d’un malaise et de vomissements. Elle a été installée en salle d’attente, faute de place ailleurs. Par la suite, elle a été vue à quatre reprises par le personnel soignant, puis à 19h30 par un premier médecin, après que sa famille a alerté le personnel d’une dégradation de son état. Le Dr C.__, chef de clinique des urgences, a suspecté une crise d’hyperventilation liée à des troubles anxieux. Une infirmière a relevé les paramètres vitaux (tension, pouls et température) de la patiente à 22h40, lesquels ne présentaient rien d’anormal.

La patiente a été installée en zone de soins à 1h35. Lors de son transfert, les infirmières ont notamment relevé qu’elle ne parlait plus. Le médecin interne de nuit l’a immédiatement examinée, rejoint par son supérieur. Il a demandé un CT-scan cérébral et a sollicité une consultation auprès de la neurologue de garde, laquelle a examiné la patiente à 4h et notamment préconisé un CT-scan cérébral. Ce dernier, réalisé à 5h, a mis en évidence un possible infarctus récent cérébelleux droit par occlusion du tronc basilaire. Une IRM cérébrale effectuée à 8h a confirmé un accident vasculaire cérébral (AVC) sous la forme d’une occlusion du tronc basilaire. Le même jour, la patiente a subi une thrombectomie du tronc basilaire.

Après plusieurs séjours en soins intensifs, en neurologie, puis en rééducation, la patiente a pu regagner son domicile le 28 novembre 2011 et garde d’importantes séquelles.

 

Procédure cantonale (arrêts ACJC/433/2020 et ACJC/817/2023)

La patiente a intenté une action en justice contre les Établissements A.__ le 13.06.2014, réclamant initialement CHF 2’041’249, montant ultérieurement réduit à CHF 1’026’027, pour des soins prétendument inadéquats reçus en mai 2011. Une expertise judiciaire menée par le Dr D.__, chef du service des Urgences de l’Hôpital X.__, n’a révélé aucune faute médicale, citant la complexité du diagnostic et la surcharge des urgences. Le Tribunal de première instance a rejeté la demande de la patiente le 24.04.2019, tandis que la cour cantonale, le 28.02.2020, a reconnu la responsabilité des Établissements A.__ et renvoyé l’affaire pour évaluation du préjudice.

A la suite de l’arrêt de renvoi, une nouvelle expertise a été ordonnée pour évaluer l’état de la patiente et son incapacité de travail. Réalisée en septembre 2021 par le Prof. F.__ et le Dr G.__, médecin-chef et assistant au H.__, elle a été complétée en janvier 2022.

Le 18 août 2022, le Tribunal a condamné les Établissements A.__ à verser CHF 156’505 à la patiente, estimant leur responsabilité à 15% du préjudice subi.

Les deux parties ont fait appel. Le 08.06.2023, la cour cantonale a largement révisé le jugement, condamnant les Établissements A.__ à verser divers montants à la patiente (CHF 12’655.30 pour frais médicaux ; CHF 264’667 pour dommage ménager ; CHF 69’153 pour perte de gain ; CHF 30’000 pour tort moral).

TF

Les Établissements A.__ (ci-après: les recourants) ont exercé un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre les arrêts des 28.02.2020 et 08.06.2023.

Consid. 2.1
Selon la jurisprudence, les soins dispensés aux malades dans les hôpitaux publics ne se rattachent pas à l’exercice d’une industrie (cf. art. 61 al. 2 CO), mais relèvent de l’exécution d’une tâche publique; en vertu de la réserve facultative prévue à l’art. 61 al. 1 CO, les cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la responsabilité des médecins engagés dans un hôpital public pour le dommage ou le tort moral qu’ils causent dans l’exercice de leur charge (ATF 139 III 252 consid. 1.3; 133 III 462 consid. 2.1; 122 III 101 consid. 2a/aa et bb).

Consid. 2.2
Le canton de Genève a fait usage de cette réserve. La loi genevoise sur la responsabilité de l’État et des communes (LREC; RS/GE A 2 40), applicable aux recourants en tant qu’établissement public médical, prévoit que les institutions, corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité juridique répondent du dommage résultant pour les tiers d’actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l’accomplissement de leur travail (art. 2 al. 1 et 9 LREC). La LREC institue une responsabilité pour faute, ce qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes: un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci (dans le domaine médical, la réalisation de cette condition devra être admise, en règle générale, lorsqu’une violation du devoir de diligence aura été constatée), un dommage subi par un tiers et un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’acte illicite et le dommage (arrêts 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1; 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 2.1 et 3.3).

Ces conditions correspondent à celles qui figurent à l’art. 41 CO. Le droit civil fédéral est appliqué à titre de droit cantonal supplétif (art. 6 LREC).

Consid. 2.3
L’art. 7 al. 2 LREC prévoit que le code de procédure civile suisse est applicable. Les règles du CPC constituent aussi du droit cantonal supplétif (cf. arrêt 2C_96/2023 du 16 février 2023 consid. 6).

 

Consid. 6.1.1
La causalité naturelle entre deux événements est réalisée lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit (ATF 143 III 242 consid. 3.7; 133 III 462 consid. 4.4.2).

En l’occurrence, le manquement reproché aux recourants s’analyse comme une omission. En pareil cas, l’examen du lien de causalité revient à se demander si le dommage serait également survenu si l’acte omis avait été accompli (causalité hypothétique). Une preuve stricte ne peut être exigée en la matière. Il suffit que le cours hypothétique des événements soit établi avec une vraisemblance prépondérante (ATF 132 III 715 consid. 3.2; 124 III 155 consid. 3d). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2; 132 III 715 consid. 3.1). En ce qui concerne le degré de la preuve, le Tribunal fédéral peut contrôler si l’autorité précédente est partie d’une juste conception du degré de la preuve applicable. En revanche, le point de savoir si le degré requis – dont le juge a une juste conception – est atteint dans un cas concret relève de l’appréciation des preuves, que le Tribunal fédéral revoit uniquement sous l’angle de l’arbitraire (ATF 130 III 321 consid. 5).

En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité (ATF 115 II 440 consid. 5a). Ainsi, lorsqu’il s’agit de rechercher l’existence d’un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s’interroger sur le cours hypothétique des événements. Dans ce cas de figure, le Tribunal fédéral, saisi d’un recours en matière civile, est lié, selon l’art. 105 al. 1 LTF, par les constatations cantonales concernant la causalité naturelle, dès lors qu’elles ne reposent pas exclusivement sur l’expérience de la vie, mais sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves (ATF 132 III 305 consid. 3.5 et les références; arrêt 4A_133/2021 du 26 octobre 2021 consid. 9.1.3).

Consid. 6.1.2
Il convient de rappeler que le droit civil fédéral est appliqué ici à titre de droit cantonal supplétif. Il en va également de l’art. 8 CC, lequel ne concerne que les prétentions fondées sur le droit fédéral (ATF 129 III 18 consid. 2.6; 127 III 519 consid. 2a; arrêt 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1). Par conséquent, le Tribunal fédéral ne peut en contrôler l’application que sous l’angle restreint de l’arbitraire ou pour violation d’autres droits constitutionnels.

 

Consid. 6.2 [résumé]
La cour cantonale s’est écartée de l’avis de l’expert D.__ concernant le lien de causalité naturelle. Elle a estimé que si les Établissements A.__ avaient agi avec diligence, notamment en assurant une surveillance adéquate et en réalisant rapidement les examens diagnostiques dès les premiers symptômes, l’atteinte subie par la patiente aurait probablement pu être diagnostiquée et traitée dans le délai adéquat de huit heures. La cour s’est appuyée sur les explications du Dr E.__, indiquant qu’une intervention dans ce délai pouvait réduire les risques de séquelles d’au moins 50%, voire les éliminer complètement dans certains cas.

Selon la cour cantonale, ces propos n’étaient pas contredits par l’expert, lequel avait pour sa part indiqué qu’avec les méthodes de diagnostics et de traitement, 41% des patients avaient des pronostics favorables, ce par quoi il fallait entendre une survie et une bonne évolution neurologique. La cour cantonale a considéré que les statistiques avancées par les deux spécialistes laissaient apparaître qu’une prise en charge rapide était fortement susceptible de diminuer les risques de morbidité (plus de 50%) et procurait des chances non négligeables (plus de 40%) d’obtenir un pronostic favorable avec une bonne évolution.

Bien que la corrélation entre la rapidité d’intervention et le pronostic ne soit pas scientifiquement prouvée, la cour cantonale a considéré qu’il existait une probabilité suffisante pour admettre qu’une prise en charge sans délai aurait eu un impact positif sur l’évolution de l’état de la patiente. Cette conclusion s’appuie sur les statistiques présentées par les spécialistes, l’état clinique initial plutôt favorable de la patiente, et le succès de la procédure de recanalisation. La cour a donc retenu que le lien de causalité entre les retards de diagnostic et de traitement et le préjudice subi par la patiente, ou du moins son aggravation, était suffisamment vraisemblable.

 

Consid. 6.4 [résumé]
La cour cantonale était consciente que le degré de la vraisemblance prépondérante était applicable (cf. consid. 3.1.2 de l’arrêt du 28 février 2020). Or, sa conception du degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante est manifestement erronée.

Pour rappel, la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, que d’autres possibilités existent, mais qu’elles ne semblent pas avoir joué de rôle déterminant ou n’entrent pas raisonnablement en considération (cf. consid. 6.1.1 supra; ATF 130 III 321 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral a précisé que la jurisprudence n’avait pas établi de pourcentages, mais que selon la doctrine, une vraisemblance de 51% ne suffisait pas, un degré de vraisemblance nettement plus élevé devant être appliqué: un degré de 75% était cité (arrêt 4A_424/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.1 non publié in ATF 147 III 73 et les références).

En l’occurrence, il ressort des faits constatés par la cour cantonale que selon l’expert D.__, avec les méthodes de traitement modernes, 41% des patients avaient des pronostics favorables; il ajoutait qu’entre 20% et 44% des patients traités par une recanalisation évoluaient bien. De telles probabilités ne suffisent manifestement pas s’agissant du degré de la vraisemblance prépondérante.

Il est vrai que le Dr E.__ a pour sa part relevé qu’en cas de traitement dans un délai adéquat, le taux de morbidité se réduisait d’en tout cas de moitié, ce qui pourrait être interprété dans le sens que chaque patient voyait ses séquelles diminuer d’en tout cas de moitié. Le Dr E.__ a néanmoins précisé que pour un tiers des patients, l’autonomie n’était pas complète mais permettait à certains de retourner à domicile. Ceci ne permet pas de s’éloigner sans autre des statistiques présentées par l’expert et, s’agissant de la proportion d’un tiers, elle ne suffit quoi qu’il en soit pas au regard du degré de la vraisemblance prépondérante.

La cour cantonale a considéré les statistiques et les facteurs spécifiques à la patiente, comme son état clinique initial favorable et le succès de l’opération tardive. Cependant, l’expert D.__ avait déjà pris en compte ces éléments. Il a maintenu que pour une lésion du tronc basilaire, contrairement à un AVC classique, le lien entre la rapidité d’intervention et le pronostic n’est pas clairement établi. Malgré les facteurs favorables, l’expert a affirmé qu’il était impossible de conclure à une perte de chance liée au délai d’intervention dans ce cas spécifique.

Dans sa réponse, la patiente soutient – à raison – que l’existence du lien de causalité ne doit pas être analysée selon un calcul arithmétique découlant de statistiques, mais au regard de l’ensemble des circonstances du cas particulier. Elle se réfère à l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.3 qui appuie cette approche. Cependant, le problème ici concerne le degré de preuve exigé. La cour cantonale a appliqué des exigences insuffisantes au degré de la vraisemblance prépondérante. Au demeurant, outre les statistiques présentées par les spécialistes, les circonstances entourant le cas ne lui sont d’aucun secours. La cour cantonale a d’ailleurs relevé elle-même à plusieurs reprises de grandes incertitudes s’agissant du pronostic de la patiente, ce qui ne correspond clairement pas aux exigences relatives au degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante.

Ainsi, en partant d’une conception manifestement fausse du degré de la preuve applicable, la cour cantonale a versé dans l’arbitraire dans l’application du droit fédéral à titre de droit cantonal supplétif.

Le degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante n’est à l’évidence pas atteint.

Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs concernant le lien de causalité formulés par les recourants.

 

Le TF admet le recours et réforme les arrêts attaqués en ce sens que l’intimée est déboutée de toutes ses conclusions.

 

Arrêt 4A_401/2023 consultable ici

 

4A_93/2022 (f) du 03.01.2024 – Notion de contrat de travail pour une maman de jour – 319 CO / Activité dépendante vs indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_93/2022 (f) du 03.01.2024

 

Consultable ici

 

Notion de contrat de travail pour une maman de jour / 319 CO

Activité dépendante vs indépendante

 

B.__ (l’association ou la défenderesse) est une association d’utilité publique ayant pour but de coordonner l’accueil de jour d’enfants entre parents placeurs et parents d’accueil.

A.__ (ci-après: la demanderesse) est devenue membre de B.__ et a exercé une activité de parent d’accueil («maman de jour») depuis le 01.06.2011.

Le 15.01.2018, A.__ a demandé à B.__ de revoir son salaire à la suite de l’entrée en vigueur de dispositions cantonales sur le salaire minimum. B.__ a refusé, arguant que son rôle se limitait à la coordination et que les conventions de placement n’étaient pas des contrats de travail. A.__ a réitéré sa demande le 10.10.2018, sans succès.

À la suite d’une demande en paiement déposée par A.__, B.__ a suspendu le 17.07.2019 toute nouvelle demande d’accueil la concernant.

A.__ a mis en demeure B.__ de continuer à lui fournir du travail, mais B.__ n’a pas donné suite.

Le 28.10.2019, A.__ a démissionné de B.__ avec effet au 30.11.2019.

 

Procédures cantonales

Le 17.09.2021, le Tribunal régional a jugé qu’un contrat de travail liait les parties du 01.06.2011 au 30.11.2019. Le tribunal a considéré que l’association exerçait un contrôle important sur les parents d’accueil, les plaçant dans une situation de dépendance et de subordination. Le tribunal a souligné que la liberté des parents d’accueil était fortement restreinte par les nombreuses instructions et obligations imposées par l’association, allant au-delà du cadre légal. Le fait que l’accès au cadre tarifaire cantonal était conditionné à l’affiliation à l’association a renforcé cette appréciation.

Le 24.01.2022, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal de Neuchâtel a annulé ce jugement en appel. La Cour d’appel a estimé que les parties n’étaient pas liées par un contrat de travail et que la demanderesse était indépendante.

 

TF

Le litige porte sur la question de savoir si le rapport contractuel noué entre les parties s’apparente à un contrat de travail (art. 319 ss CO).

Consid. 3.1
La qualification juridique d’un contrat se base sur le contenu de celui-ci (ATF 144 III 43 consid. 3.3). Dans une première étape, il s’agit de déterminer le contenu du contrat en recherchant la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective) (art. 18 al. 1 CO). Si une telle intention ne peut être constatée, le contenu du contrat doit être interprété selon le principe de la confiance (interprétation normative ou objective) (ATF 144 III 43 consid. 3.3; 140 III 134 consid. 3.2; arrêt 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.1.1).

Une fois le contenu du contrat déterminé, il s’agit, dans une seconde étape et sur cette base, de catégoriser juridiquement la convention (arrêts 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.1.1, 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.1). La qualification juridique d’un contrat est une question de droit. Le juge applique le droit d’office (art. 57 CPC) et détermine d’office les règles légales applicables à la convention des parties. Il n’est lié ni par la qualification effectuée par les parties ni par les expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (« falsa demonstratio non nocet ») (art. 18 al. 1 CO; ATF 131 III 217 consid. 3; 129 III 664 consid. 3.1; arrêt 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.1.1, 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.1), d’autant qu’il peut être particulièrement tentant de déguiser la nature véritable de la convention pour éluder certaines dispositions légales impératives (ATF 129 III 664 consid. 3.2; 99 II 313 s.). Tout au plus peut-on, selon les circonstances, considérer comme un indice la désignation de la convention des parties comme contrat de travail ou la qualification des parties comme employeur ou employé (arrêt 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.4).

Consid. 3.2
Par contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO). Les éléments caractéristiques de ce contrat sont une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3, 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.1, 4A_10/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.1, 4A_200/2015 du 3 septembre 2015 consid. 4.2.1 et 4P.337/2005 du 21 mars 2006 consid. 3.3.2).

Consid. 3.3
Le critère décisif, qui permet de distinguer le contrat de travail en particulier des autres contrats de service, notamment du contrat de mandat (arrêt 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2), est de savoir si la personne concernée se trouvait dans une relation de subordination (ATF 130 III 213 consid. 2.1; 125 III 78 consid. 4; 121 I 259 consid. 3a) qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle temporel, spatial et hiérarchique (cf. arrêts 4P.36/2005 du 24 mai 2005 consid. 2.3, 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2), même si tous ces aspects ne sont pas toujours tous réunis au même degré. Pour mesurer leur rôle, on se fonde sur l’image globale que présente l’intégration de l’intéressé dans l’entreprise (arrêt 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2; GABRIEL AUBERT, Commentaire romand, 3e éd., n. 8 à 10 ad art. 319 CO; PIERRE ENGEL, Contrats de droit suisse, 2e éd., p. 292 et 479; RÉMY WYLER/BORIS HEINZER, Droit du travail, 4e éd., p. 26 ss; ADRIAN STAEHELIN/FRANK VISCHER, Commentaire zurichois, n. 38 s ad art. 319 CO; MANFRED REHBINDER/JEAN-FRITZ STÖCKLI, Commentaire bernois, n. 6 à 12 ad art. 319 CO; BRUNNER/BÜHLER/WAEBER, Kommentar zum Arbeitsvertragsrecht, 3e éd., p. 13; VISCHER, Le contrat de travail, TDPS VII, 1, 2, p. 34 et 35, p. 37 ss; JÜRG BRÜHWILER, Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 3e éd, n. 5 ad art. 319 CO).

Ce lien de subordination est concrétisé par le droit de l’employeur d’établir des directives générales sur l’exécution du travail et la conduite des travailleurs dans son exploitation; il peut également donner des instructions particulières (art. 321d al. 1 CO) qui influent sur l’objet et l’organisation du travail et instaurent un droit de contrôle de l’employeur (arrêts 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid. 2.1, 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.3.1).

A l’opposé, le mandataire, qui doit suivre les instructions de son mandant, peut s’organiser librement et décider lui-même de son horaire et de son lieu de travail, et il agit sous sa seule responsabilité (FRANZ WERRO, Commentaire romand, 3e éd., n. 26 et 27 ad art. 394 CO). Le critère de distinction essentiel réside dans l’indépendance du mandataire par rapport à son mandant. Tant que ce dernier, par le biais de ses directives, informe le mandataire de la manière générale dont il doit exécuter sa tâche, les règles du mandat sont applicables. Dès que ces directives vont plus loin, qu’elles influent sur l’objet et l’organisation du travail et qu’elles instaurent un droit de contrôle de celui qui donne les instructions, il s’agit d’un contrat de travail (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.1, 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.1 et les arrêts cités).

Consid. 3.4
Le rapport de subordination caractéristique du contrat de travail place également, dans une certaine mesure, le travailleur dans une dépendance économique (ATF 121 I 259 consid. 3a; arrêts 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid.4.1.2.1; 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.1 et les arrêts cités). Est déterminant le fait que, dans le contexte de la prestation que le travailleur doit exécuter, d’autres sources de revenu sont exclues et qu’il ne puisse pas, par ses décisions entrepreneuriales, influer sur son revenu (arrêts 2C_575/2020 et 2C_34/2021 du 30 mai 2022, 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 et 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2). En définitive, il s’agit de savoir si, en se liant par contrat, l’employé a abdiqué son pouvoir de disposition sur sa force de travail, car il ne peut plus participer au résultat économique de sa force de travail ainsi investie, au delà de la rémunération qu’il reçoit à titre de contre-prestation. Un indice important d’une semblable dépendance existe lorsqu’une personne est active seulement pour un employeur. Cet indice est renforcé par un devoir contractuel d’éviter toute activité économique semblable (arrêts 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.6, 4A_553/2008 du 9 février 2009 consid. 4.2 et 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.6.1).

Cela étant, la portée de ce critère doit être relativisée sur deux plans. D’un côté, cette dépendance économique peut également exister dans d’autres contrats. De l’autre, dans le contrat de travail, une dépendance économique réelle n’est pas toujours présente (arrêts 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.6, 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid. 2.1 et 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.6.1). Ainsi, il peut aussi y avoir contrat de travail lorsque l’employé n’est pas dépendant financièrement de son salaire, en raison de sa fortune ou de sa situation familiale. S’agissant de personnes employées à temps partiel, il n’y a pas non plus de dépendance économique lorsque la force de travail restante investie ailleurs suffit à financer le quotidien (arrêts 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.6 et 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.6.1).

Consid. 3.5
Des difficultés singulières peuvent apparaître lorsque le contrat porte sur des prestations caractéristiques des professions dites libérales, où une certaine autonomie est admise dans les deux situations de contrat de travail et de contrat de mandat, la séparation entre service indépendant et service dépendant étant très mince (STAEHELIN/VISCHER, Commentaire zurichois, n. 39 ad art. 319 CO; REHBINDER, Commentaire bernois, n. 52 ad art. 319 CO; BRÜHWILER, op. cit., p. 30; WERRO, op. cit., n. 27 ad art. 394).

La difficulté s’est encore accrue plus récemment en raison de l’apparition des collaborateurs libres (Freie Mitarbeiter/Freelancer), à cause d’un besoin accru de flexibilité des employeurs et de modifications sociologiques dans la conception du travail, de la part des employés (WOLFGANG HARDER, Freie Mitarbeiter / Freelancer / Scheinselbständige – Arbeitnehmer, Selbständige oder beides ? in: ArbR 2003, p. 72 et 73). Les travailleurs libres sont définis comme des personnes indépendantes agissant seules et mettant à disposition d’un autre entrepreneur leur activité personnelle et sans l’aide d’un tiers, pendant un temps plus ou moins long, de manière exclusive ou presque, étant précisé qu’ils demeurent autonomes dans l’organisation de leur travail, tant d’un point de vue temporel que matériel (HARDER, op. cit., p. 71 n. 1.3). Comme cette nouvelle catégorie d’intervenants ne répond clairement ni à la définition de travailleur ni à celle d’indépendant, et que les caractéristiques de ces deux types d’activité lucrative se retrouvent dans la relation juridique les liant à l’employeur, respectivement au mandant ou à l’entrepreneur, il convient d’examiner de cas en cas si les art. 319 et ss CO s’appliquent, étant précisé que la qualification de contrat de travail sui generis devrait être retenue, pour mettre ces personnes au bénéfice d’une partie des normes protectrices du droit du travail, sans les assimiler toutefois entièrement au travailleur (arrêts 4P.36/2005 du 24 mai 2005 consid. 2.3, 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2; HARDER, op. cit., p. 78, 79 et 84). Elles devraient en particulier être justiciables des tribunaux spéciaux du travail (HARDER, op. cit., p. 81).

Dans une affaire qui concernait le statut d’une cardio-technicienne diplômée travaillant dans un hôpital, le Tribunal fédéral a considéré que la conclusion à laquelle avait abouti la cour cantonale, selon laquelle la personne en cause était indépendante, n’avaient rien d’arbiraire : cette cardio-technicienne n’était soumise qu’aux instructions du chirurgien conduisant l’opération, celui-ci étant lui-même fréquemment indépendant et, bien que son travail impliquât une coordination avec les autres intervenants et la nécessité de respecter l’organisation de l’hôpital, la direction de celui-ci ne lui adressait pas d’injonctions. D’autres indices confortaient cette appréciation : les contrats mentionnaient la qualité d’indépendante de la personne visée, il n’y avait pas de contrôle horaire la concernant, elle n’avait jamais demandé le remboursement des frais découlant de l’usage du bip et du portable personnel, sa rémunération était irrégulière et qualifiée d' »honoraires », elle pouvait travailler dans d’autres établissements hospitaliers, les cotisations sociales n’avaient pas été payées et elle était assujettie à la TVA (arrêt 4P.36/2005 du 24 mai 2005 consid. 2.3 et 2.4).

Plus récemment, le Tribunal fédéral s’est penché sur le statut d’une personne qui avait conclu un contrat avec un psychiatre pour exercer comme psychothérapeute déléguée aux frais de l’assurance de base. Là encore, il a confirmé le jugement cantonal lequel n’avait pas retenu la qualification de contrat de travail. Les motifs suivants ont déterminé son jugement : le fait que cette praticienne exerçait la psychothérapie de manière largement indépendante, l’absence pratique de directives du psychiatre à son endroit, l’aménagement complètement libre de son temps de travail et de ses vacances, l’absence d’une obligation de travailler et la faculté de décider de manière autonome quelle serait l’ampleur de son activité, l’acquisition en propre de ses patients, l’absence de prétention tendant à une attribution de patients par l’autre partie, la prise en charge intégrale des frais par cette psychothérapeute, le fait d’assumer elle-même le risque de l’entreprise – et corrélativement le risque très limité assumé par le psychiatre -, finalement le caractère fluctuant de sa rémunération. Certes, une place de travail et une certaine infrastructure lui était mise à disposition; s’y ajoutaient une certaine dépendance économique vis-à-vis du psychiatre, l’intitulé « contrat de travail » dont les parties s’étaient servies pour désigner leur accord et le fait que les cotisations sociales aient été déduites de la rémunération versée. Cela étant, ces éléments ne revêtaient pas un caractère prépondérant, d’autant que les relations s’inscrivaient dans un contexte assez spécifique : la recourante voulait exercer son activité de psychothérapeute de manière largement indépendante, mais à charge de l’assurance de base (arrêt 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 8 et 9).

Dans deux affaires remontant au 30 mai 2022, la IIe Cour de droit public a été amenée à trancher le caractère dépendant ou non de l’activité des livreurs d’Uber Eats, respectivement des chauffeurs d’Uber Switzerland GmbH. Appelée à déterminer si les activités d’Uber Eats relevaient de la location de services soumise à autorisation, ladite Cour s’est prononcée sur la question préalable de savoir si la relation contractuelle entre la société et les livreurs concernés s’apparentait à un contrat de travail. Elle a relevé à cet égard, en s’inspirant des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de céans, que le système de notation de ces livreurs, tout comme leur géolocalisation, constituait un moyen de contrôle qui les plaçait dans une relation de subordination à l’égard de la plateforme. S’y ajoutait une grande quantité de consignes couplée à des sanctions en cas de manquement, allant jusqu’à des restrictions d’accès et la désactivation du compte sans préavis. La plateforme exerçait donc un pouvoir de contrôle et de surveillance sur leur activité, propre au contrat de travail. C’est donc cette qualification qui l’a emporté (ATF 148 II 426 consid. 6.6). Dans la seconde de ces affaires, il lui appartenait de déterminer si Uber s’apparentait à une entreprise de transport assujettie à la loi genevoise sur les taxis et voitures de transport avec chauffeur. Pour ce faire, elle se devait d’examiner – à travers le prisme de l’arbitraire, puisqu’il s’agissait de droit cantonal – si l’entreprise était liée à un ou plusieurs chauffeurs par un contrat de travail. Plusieurs éléments lui ont à cet égard paru décisifs : Uber contrôlait entièrement les prix des courses, dictait intégralement les conditions tarifaires, sans possibilité pour le chauffeur d’en négocier le montant avec le client, et facturait les prestations aux clients; elle régissait de manière précise la façon dont la prestation de transport devait être effectuée, en donnant notamment des consignes quant au véhicule et au comportement à suivre par les chauffeurs, ainsi qu’en fixant l’itinéraire à suivre. Les chauffeurs n’étaient pas libres d’organiser leur travail une fois connectés à la plateforme, les refus de courses répétés étant sanctionnés par des désactivations du compte pour une durée déterminée. La géolocalisation permettait également de contrôler leur activité; un itinéraire jugé inefficace pouvait ainsi être sanctionné par une diminution du prix de la course. Pour parachever cette surveillance, les livreurs étaient soumis à un système de notation et de plaintes, sans possibilité d’en connaître l’auteur, et Uber pouvant à son entière discrétion désactiver un compte pendant le traitement d’une plainte. Ceci dénotait une relation de subordination caractéristique d’un contrat de travail (arrêt 2C_34/2021 du 30 mai 2022 consid. 10.2).

Consid. 3.6
Des critères formels tels que les déductions aux assurances sociales ainsi que le traitement fiscal de l’activité en cause revêtent une importance secondaire (arrêts 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.4; 4A_713/2016 du 21 avril 2017, 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid. 2.1).

Le droit des assurances sociales (art. 10 LPGA et 5 LAVS) ne repose d’ailleurs pas totalement sur les mêmes critères. Le domaine est jalonné par les directives de l’OFAS (ATF 128 III 129 consid. 1a/aa; arrêt 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.4). Le point de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée n’est pas tranché, dans ce contexte, d’après la nature juridique du rapport contractuel entre les partenaires. Ce qui est déterminant, ce sont bien plutôt les circonstances économiques (ATF 140 V 241 consid. 4.2), même si les rapports de droit civil peuvent fournir quelques indices (arrêts 9C_70/2022 et 9C_76/2022 du 16 février 2023 in: ATF 149 V 57 consid. 6.2, 8C_202/2019 du 9 mars 2020 consid. 3.2).

Consid. 3.7
L’existence de prescriptions de droit public dans des domaines d’activité réglementés par une collectivité publique pour des motifs d’intérêt public et de police n’a, en revanche, pas de portée décisive pour déterminer si une personne exerçant une activité commerciale est indépendante ou a un statut de salarié (arrêt 8C_38/2019 du 12 août 2020 consid. 6.2.2)

Consid. 3.8
En somme, il faut prioritairement tenir compte de critères matériels relatifs à la manière dont la prestation de travail est effectivement exécutée, tels le degré de liberté dans l’organisation du travail et du temps, l’existence ou non d’une obligation de rendre compte de l’activité et/ou de suivre les instructions, ou encore l’identification de la partie qui supporte le risque économique (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2; 2C_714/2020 du 14 décembre 2010 consid. 3.4.2). Constituent des éléments typiques du contrat de travail le remboursement des frais encourus par le travailleur, le fait que l’employeur supporte le risque économique et que le travailleur abandonne à un tiers l’exploitation de sa prestation, en contrepartie d’un revenu assuré (arrêts 4A_53/2021 au 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2, 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.5 et les arrêts cités). Ces critères ne sont toutefois pas exhaustifs. Et en tout état de cause, les circonstances concrètes doivent être appréciées dans leur tableau d’ensemble.

 

Consid. 5.1
Plusieurs éléments ne cadrent pas avec le rôle de simple interface entre parents placeurs et parents d’accueil auquel se cantonnerait prétendument l’intimée.

Il y a tout d’abord les formations que l’intimée impose aux parents d’accueil. D’après les conventions d’accueil tripartites, ceux-ci s’engagent à suivre une formation obligatoire ainsi que, selon la dernière version de ces conventions, des formations continues organisées par l’intimée. Ces formations ne s’inscrivent pas dans une obligation légale quelconque. Le législateur a en effet estimé que les parents d’accueil de jour n’avaient pas à justifier de qualifications professionnelles particulières. C’est là une obligation que la recourante leur impose pour satisfaire à ses propres critères de qualité et qui plaide clairement pour une relation de dépendance (arrêts 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.2.2 et 8C_571/2017 du 9 novembre 2017 consid. 3.1). La délimitation avec les directives de l’employeur sur la manière dont le travail doit être exécuté n’est d’ailleurs pas si évidente lorsque c’est lui qui en définit le contenu et qui les dispense, comme dans le cas présent. La cour cantonale est demeurée imperméable à cette logique. Pour elle, la recourante n’a pas allégué formellement avoir suivi l’une ou l’autre formation continue. On ne saurait lui emboîter le pas. C’est un fait acquis que la recourante a suivi la formation de base imposée par l’intimée et qu’elle a signé des conventions par lesquelles elle s’est engagée à suivre des formations continues. Ceci suffit à la logique du raisonnement, sans que l’on ait à trancher la question de savoir si, dans un procès tel que celui-ci, régi par la maxime inquisitoire (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC), un allégué relatif à la fréquentation desdites formations continues était véritablement indispensable. Quant au dernier argument par lequel l’arrêt cantonal entend sceller le sujet, il ploie devant le simple bon sens : si lesdites formations étaient à ce point utiles et la contrainte qu’elles représentent si négligeable, l’intimée ne l’aurait pas traduit par une obligation contractuelle.

S’y ajoute le contrôle que l’intimée exerce sur les parents d’accueil, comme les conventions d’accueil tripartites le prévoient. A nouveau, il faut observer que cette surveillance n’est pas imposée par la législation topique. Le canton de Neuchâtel n’a pas non plus délégué cette tâche, mais il l’exerce lui-même par l’intermédiaire du SPAJ. C’est dire que l’intimée exerce un contrôle indépendant et parallèle à celui du SPAJ sur les parents d’accueil. Cette surveillance est également typique d’une relation de subordination. Dans une relation contractuelle liant deux indépendants, l’on concevrait mal que le premier s’arroge le droit de contrôler la manière dont le second exécute son travail au quotidien. Cette prérogative est plutôt celle qu’un employeur exerce vis-à-vis d’un travailleur. La cour cantonale relativise l’importance de cet élément au motif que le contrôle de l’Etat s’exercerait souvent en même temps que celui du SPAJ, mais l’argument de la commodité d’un seul contrôle ne signifie pas que cette surveillance ne soit pas affûtée.

Consid. 5.2
Un élément supplémentaire détone fondamentalement dans le tableau que dépeint la cour cantonale, à savoir la dépendance économique dans laquelle la recourante se trouve vis-à-vis de l’intimée. En contractant avec elle, la recourante abdique toute faculté de garder d’autres enfants qui ne lui seraient pas confiés par l’intimée. En d’autres termes, d’autres sources de revenus indépendantes de l’intimée sont exclues dans ce domaine d’activité.

L’intimée justifie cette exclusivité par le fait qu’il serait impossible, à défaut, de contrôler si la recourante garde cinq enfants au maximum, dont au maximum trois enfants scolarisés, comme l’art. 12 REGAE le prescrit. Cette explication ne convainc toutefois pas. On ne voit pas en quoi cette exigence contractuelle représenterait un levier plus puissant que l’art. 12 REGAE. Car si un parent d’accueil enfreint le cadre légal, ce que le SPAJ peut contrôler par des visites inopinées, son autorisation lui sera fatalement retirée; une clause d’exclusivité ne va pas davantage l’arrêter. L’exclusivité imposée à la recourante ne se justifie donc pas par la possibilité théorique que celle-ci puisse ne pas respecter les conditions légales. Elle est bien plutôt évocatrice de l’obligation de fidélité du travailleur.

Comme la jurisprudence l’a mis en exergue, consacrer toute sa force de travail à un mandataire à l’exclusion de toute autre activité lucrative plaide pour une dépendance économique et donc une activité dépendante (arrêt 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.2.2 et 4.3.2). Et dans le cas d’espèce, force est de constater que la recourante a abdiqué son pouvoir de disposition sur sa force de travail au profit de l’intimée, au point de se retrouver totalement dépendante économiquement de celle-ci. S’il avait été isolé, cet élément n’eût pas été suffisant, comme le révèle un arrêt récent relatif à un taxi affilié à une centrale (arrêt 8C_38/2019 du 12 août 2020 consid. 6). Rien de semblable toutefois dans le cas présent, puisque plusieurs éléments convergent vers la même solution.

Consid. 5.3
A en croire l’intimée, la recourante disposerait d’une notable autonomie, caractéristique d’une activité indépendante. Plus d’un pas sépare toutefois ce postulat de la réalité.

L’intimée soutient que la recourante définit ses propres horaires de travail. En réalité, l’État détermine les horaires dans le cadre desquels une garde d’enfant subventionnée peut s’inscrire et l’intimée définit des blocs dans le cadre de ces horaires. Certes, la recourante peut opérer un choix parmi les blocs horaires en question, mais toute l’autonomie que l’intimée lui prête s’épuise dans cette seule et unique faculté. Comme la jurisprudence l’a déjà évoqué (ATF 122 V 169 consid. 6a/cc), il n’y a rien là qui dénote nécessairement une activité indépendante.

D’après l’intimée, la recourante décide de garder ou non un enfant donné. Rien de très étonnant, pourrait-on lui objecter, compte tenu du lien de confiance nécessaire et de la responsabilité qu’elle peut encourir. On est encore loin de l’autonomie décisionnelle caractéristique d’une activité indépendante.

Toujours selon l’intimée, la recourante peut organiser « comme elle l’entend » l’accueil des enfants. On ne saurait toutefois lui emboîter le pas. La recourante doit nécessairement exercer son activité à son domicile; elle doit annoncer ses vacances, indisponibilités et éventuelle grossesse bien à l’avance; l’intimée exige d’elle qu’elle pose sur le papier les valeurs éducatives qu’elle prône, qu’elle dévoile son parcours de vie et démontre par un certificat médial qu’elle est bien portante. Elle lui impose le suivi d’une formation initiale ainsi que celui de formations continues qu’elle dispense elle-même; à quoi s’ajoute que l’intimée exerce une surveillance sur la manière dont la recourante travaille au quotidien et se réserve le droit de cesser de lui donner du travail, ce qu’elle a d’ailleurs décidé de faire lorsque la recourante a évoqué son statut de salariée, en décidant unilatéralement de ne plus lui confier de nouveaux enfants; c’est peu dire que la recourante n’est pas libre d’exercer son activité comme elle l’entend.

L’intimée souligne encore que la recourante décide seule du nombre d’enfants qu’elle entend accueillir. Il est vrai que la recourante dispose là d’une certaine marge de manœuvre, l’art. 12 REGAE fixant de toute manière un plafond à ses éventuelles ambitions. Cela étant, il en faudrait davantage pour y voir l’autonomie décisionnelle d’un indépendant. D’autant que l’intimée pouvait parfaitement contrecarrer les aspirations de la recourante, puisque celle-ci ne pouvait contracter avec nul autre qu’elle et qu’aucune garantie ne lui était donnée quant à l’obtention d’un nombre de gardes données.

Consid. 5.4
La question se pose dès lors avec acuité. La recourante pouvait-elle, par ses décisions entrepreneuriales, influer sur son revenu? Rien n’accrédite véritablement cette hypothèse. La recourante ne pouvait déléguer tout ou partie de ses tâches pour gagner davantage; elle ne disposait d’aucun levier pour augmenter le prix de l’heure de garde qui était déterminé par l’intimée en fonction des heures facturées aux parents placeurs – dont le montant est fixé par la loi – des subventions reçues et de ses propres charges. Tout au plus pourrait-elle garder davantage d’enfants, pour autant qu’ils lui soient confiés par l’intimée elle-même ce qui reste à la libre discrétion de cette dernière. Ceci n’en fait pas une indépendante.

Consid. 5.5
D’autres éléments confortent cette conclusion.

Tout d’abord, la recourante ne supporte pas de risque entrepreneurial. Son activité ne nécessite aucun investissement. Certes, en présence d’une activité n’exigeant pas – de par sa nature – des investissements importants, ce critère revêt un poids moindre dans l’appréciation d’ensemble. Il n’en mérite pas moins la mention.

C’est l’intimée qui se charge de facturer et de recouvrer les montants idoines auprès des parents placeurs, comme de récolter les subventions corrélatives. Le risque de non-recouvrement des heures de garde auprès d’un parent placeur est également assumé par l’intimée. Quel que soit le montant engrangé par l’intimée, la recourante reçoit le montant correspondant aux heures de garde qu’elle a effectuées.

La recourante reçoit ses outils de travail de l’intimée. Ainsi, des éléments tels que lits de voyage, chaises hautes, poussettes doubles, barrières de sécurité, baby relax et sièges auto lui sont fournis par celle-ci. Savoir comment l’intimée se les est procurés n’est guère déterminant. Les frais professionnels de la recourante lui sont également remboursés; ainsi, s’agissant des articles d’hygiène (couches et lingettes pour les enfants en âge préscolaire) et des repas pour les enfants. Ces remboursements sont typiques d’un contrat de travail. Savoir s’il s’agit d’éléments incitant à contracter avec l’intimée, comme l’évoque la cour cantonale, est sans importance.

Consid. 5.6
Pour couronner le tout, la recourante reçoit mensuellement de l’intimée des documents intitulés « décomptes de salaire », dans lesquels les charges sociales sont déduites de son revenu. L’intimée a beau jeu de prétendre que les logiciels qu’elle utilise lui seraient imposés par l’Etat. Les sommes qu’elle débite du salaire de la recourante sont bien réelles. Il ne s’agit pas d’une simple problématique formelle. La recourante reçoit également chaque mois de l’intimée un montant correspondant au « paiement d’indemnités de vacances », calculées en fonction de quatre semaines de vacances par année. On saurait difficilement faire plus explicite.

Consid. 5.7
En définitive, la cour cantonale s’est fourvoyée. Le contrat liant l’intimée à la recourante s’apparente à un contrat de travail. Elle ne pouvait donc pas rejeter la demande au motif que la recourante revêtait un statut d’indépendant. Il s’impose par conséquent de lui renvoyer l’affaire afin qu’elle examine et tranche les prétentions salariales formulées par la recourante.

 

Le TF admet le recours de la maman de jour.

 

 

Arrêt 4A_93/2022 consultable ici

 

Arrêt du Tribunal administratif fédéral B-5886/2023 (d) du 05.07.2024 – Comparis est considéré comme un intermédiaire d’assurance

Arrêt du Tribunal administratif fédéral B-5886/2023 (d) du 05.07.2024

 

Communiqué de presse du TAF du 12.07.2024 consultable ici

Arrêt du Tribunal administratif fédéral B-5886/2023 consultable ici

 

Comparis est considéré comme un intermédiaire d’assurance

 

Le Tribunal administratif fédéral est parvenu à la conclusion que Comparis est un intermédiaire d’assurance en raison des prestations proposées.

En septembre 2023, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) a constaté que comparis.ch SA devait être considérée comme un intermédiaire d’assurance et a ordonné à l’entreprise de déposer une demande d’inscription au registre des intermédiaires d’assurance non liés. En octobre 2023, Comparis a fait recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF).

 

Les conditions sont remplies

Le TAF constate que la recourante exploite le site comparis.ch depuis plus de 25 ans. Sur celui-ci, les utilisateurs peuvent notamment comparer des solutions d’assurance. En continuant à cliquer, ils peuvent ensuite commander une offre d’assurance directement auprès de la compagnie d’assurance concernée. Depuis le 1er juillet 2023, la commande d’offres se fait certes de manière formelle via la société sœur optimatis.ch. Le bouton pour la commande se trouve désormais sur une «zone visuellement séparée» d’Optimatis, mais toujours sur le site de Comparis. Les activités de ces deux sociétés sœurs sont économiquement dépendantes l’une de l’autre, car Optimatis n’est en mesure de proposer aux internautes de demander des offres d’assurance que si leur intérêt a été éveillé au préalable par le portail comparatif de Comparis. Ce n’est que si les internautes commandent les offres aux assurances via le lien d’Optimatis que les commissions des compagnies d’assurance sont dues. Or, du point de vue du groupe Comparis, ces commissions représentent une part importante du bénéfice de son activité commerciale. Le TAF en conclut que la FINMA a donc qualifié à raison Comparis comme intermédiaire d’assurance. Comme Comparis ne reconnaît pas ouvertement ses liens avec certaines compagnies d’assurance, mais donne l’impression de fournir ses prestations de manière neutre, elle est considérée comme un intermédiaire d’assurance non lié. En conséquence, le TAF rejette le recours de Comparis.

 

Cet arrêt est susceptible de recours au Tribunal fédéral.

 

Communiqué de presse du TAF du 12.07.2024 consultable ici

Arrêt du Tribunal administratif fédéral B-5886/2023 consultable ici

 

8C_225/2023 (f) du 06.03.2024 – Postulation avec 3 jours de retard par inadvertance – 25 jours de suspension du droit à l’indemnité de chômage / 30 al. 1 LACI – 45 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_225/2023 (f) du 06.03.2024

 

Consultable ici

 

Suspension du droit à l’indemnité de chômage / 30 al. 1 LACI – 45 OACI

Postulation pour deux emplois avec 3 jours de retard par inadvertance – 25 jours de suspension

 

Assuré, né en 1985, inscrit au chômage dès le 01.07.2021 et au bénéfice d’un délai-cadre d’indemnisation jusqu’au 30.06.2023.

Par courriel du 16.11.2021, sa conseillère auprès de l’ORP l’a prié de poser sa candidature pour deux postes, soit un de logisticien et un de gestionnaire de stock, et lui a transmis les deux assignations correspondantes. Chacune d’elles mentionnait, en gras, un délai de postulation au 20.11.2021 au plus tard. Par courriel du 23.11.2021, l’intéressé a transmis à sa conseillère les preuves de postulation datées du 23.11.2021. Il a indiqué qu’il n’avait vu que ce jour le délai de postulation et s’est excusé de son oubli.

Par décision du 10.12.2021, confirmée sur opposition, l’Office des relations et des conditions de travail (ORCT) du Service cantonal de l’emploi a suspendu le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage pour une durée de 34 jours, retenant une faute grave de celui-ci.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a constaté que l’assuré avait été assigné à postuler le 16.11.2021 pour deux emplois, dans un délai fixé au 20.11.2021, mais qu’il n’y avait donné suite que le 23.11.2021. Il s’agissait d’une violation de l’art. 30 al. 1 let. d LACI, qui constituait une faute et justifiait une suspension du droit aux indemnités journalières. Du point de vue des juges cantonaux, toutefois, le retard de postulation résultait d’une inadvertance ponctuelle de la part de l’assuré et ne traduisait pas un comportement désinvolte. Le retard n’était que de trois jours et l’assuré s’en était immédiatement, spontanément excusé auprès de sa conseillère à l’ORP. Il n’avait pas délibérément omis de postuler dans les délais au motif que les emplois assignés ne lui auraient pas convenus, et le dossier montrait que ses recherches d’emploi avaient été faites en suffisance, son comportement en lien avec ses obligations de chômeur étant pour le surplus irréprochable. L’erreur commise ne résultait pas d’un comportement négligent caractérisé, de la part d’un assuré qui ne prendrait pas au sérieux ses obligations. Dans ces circonstances, la faute de l’assuré devait être qualifié de moyenne et non de grave. Les juges cantonaux ont ainsi réduit de 34 à 16 jours la durée de la suspension dans l’exercice du droit aux indemnités journalières, considérant par ailleurs que le fait que le retard de l’assuré avait concerné deux emplois et non un seul ne justifiait pas de s’écarter du bas de la fourchette prévue par l’art. 45 al. 3 OACI pour une faute de gravité moyenne.

Par jugement du 06.03.2023, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que le droit à l’indemnité de chômage était suspendu durant 16 jours

 

TF

Consid. 3.1
L’art. 30 al. 1 let. d LACI prévoit que le droit de l’assuré à l’indemnité est suspendu lorsqu’il est établi que celui-ci n’observe pas les prescriptions de contrôle du chômage ou les instructions de l’autorité compétente, notamment refuse un travail convenable. D’après la jurisprudence, l’art. 30 al. 1 let. d LACI trouve application non seulement lorsque l’assuré refuse expressément un travail convenable qui lui est assigné, mais également déjà lorsqu’il s’accommode du risque que l’emploi soit occupé par quelqu’un d’autre ou fait échouer la perspective de conclure un contrat de travail (ATF 122 V 34 consid. 3b; arrêts 8C_24/2021 du 10 juin 2021 consid. 3.1; 8C_865/2014 du 17 mars 2015 consid. 3 et les références). Selon les circonstances, la réaction tardive de l’assuré à l’injonction de l’ORP de prendre contact avec un employeur potentiel peut être assimilé à un refus d’emploi et, partant, considéré comme une faute grave au sens de l’art. 45 al. 4 let. b OACI (parmi d’autres: arrêts 8C_379/2009 du 13 octobre 2009 consid. 4; C 245/06 du 2 novembre 2007 consid. 3.4; C 30/06 du 8 janvier 2007; voir également 8C_285/2011 du 22 août 2011).

Consid. 3.2
Le but de la suspension du droit à l’indemnité, dans l’assurance-chômage, vise à faire participer l’assuré de façon équitable au dommage qu’il cause à cette assurance sociale, en raison d’une attitude contraire aux obligations qui lui incombent (ATF 124 V 199 consid. 6a). Pour autant, la suspension du droit à l’indemnité de chômage n’est pas subordonnée à la survenance d’un dommage effectif. Une telle condition ne ressort nullement du texte légal et ne se laisse pas non plus déduire d’une interprétation de celui-ci. En effet, l’art. 30 al. 1 let. d LACI sanctionne des comportements dont les conséquences préjudiciables pour l’assurance-chômage sont, pour certains, difficiles à quantifier (arrêt C 152/01 du 21 février 2002 consid. 4). Selon l’art. 30 al. 3 LACI, la durée de la suspension du droit à l’indemnité de chômage est proportionnelle à la gravité de la faute (cf. ATF 113 V 154 consid. 3). En vertu de l’art. 45 al. 3 OACI, elle est de 1 à 15 jours en cas de faute légère (let. a), de 16 à 30 jours en cas de faute de gravité moyenne (let. b) et de 31 à 60 jours en cas de faute grave (let. c). Selon l’art. 45 al. 4 let. b OACI, il y a faute grave lorsque, sans motif valable, l’assuré refuse un emploi réputé convenable. Par motif valable, il faut entendre un motif qui fait apparaître la faute comme étant de gravité moyenne ou légère. Il peut s’agir, dans le cas concret, d’un motif lié à la situation subjective de la personne concernée (d’éventuels problèmes de santé, la situation familiale ou l’appartenance religieuse) ou à des circonstances objectives (par exemple la durée déterminée du poste; ATF 141 V 365 consid. 4.1; 130 V 125 consid. 3.5). Si des circonstances particulières le justifient, il est donc possible, exceptionnellement, de fixer un nombre de jours de suspension inférieur à 31 jours.

Consid. 3.3
En tant qu’autorité de surveillance, le SECO a adopté un barème (indicatif) à l’intention des organes d’exécution. Quand bien même de telles directives ne sauraient lier les tribunaux, elles constituent un instrument précieux pour ces organes d’exécution lors de la fixation de la sanction et contribuent à une application plus égalitaire dans les différents cantons (ATF 141 V 365 consid. 2.4; arrêt 8C_283/2021 du 25 août 2021 consid. 3.3). Cela ne dispense cependant pas les autorités décisionnelles d’apprécier le comportement de l’assuré compte tenu de toutes les circonstances – tant objectives que subjectives – du cas concret, notamment des circonstances personnelles, en particulier de celles qui ont trait au comportement de l’intéressé au regard de ses devoirs généraux d’assuré qui fait valoir son droit à des prestations. Elles pourront le cas échéant aller en dessous du minimum prévu par le barème indicatif (arrêt 8C_756/2020 du 3 août 2021 consid. 3.2.3 et les références). Le barème du SECO prévoit une suspension d’une durée de 31 à 45 jours en cas de premier refus d’un emploi convenable d’une durée indéterminée (Bulletin LACI IC, ch. D79/2.B/1).

 

Consid. 4.2
L’ORCT conteste l’appréciation de gravité de la faute de l’assuré par les juges cantonaux. Il soutient que le retard de l’assuré doit être assimilé à un refus d’emploi convenable, constitutif d’une faute grave au sens de l’art. 45 al. 4 let. b OACI, sans que des justes motifs permettent, en l’espèce, de s’écarter de la sanction prévue par l’art. 45 al. 3 let. c OACI pour une telle faute. L’ORCT se réfère sur ce point à un arrêt du Tribunal fédéral du 21 juillet 2021 dans la cause 8C_712/2020 et estime que les conditions posées dans cet arrêt pour admettre une réduction de la sanction ne sont pas remplies. La situation de l’assuré se rapprocherait ainsi plutôt de celle tranchée dans l’arrêt 8C_313/2021 du 3 août 2021, dans lequel le Tribunal fédéral n’avait pas admis de considérer comme moyenne, plutôt que grave, la faute commise par la personne assurée. En outre, les juges cantonaux auraient refusé à tort de considérer comme une circonstance aggravante le fait que le retard de l’assuré concernait deux emplois et non un seul.

Consid. 4.3.1
Les deux arrêts cités par l’ORCT n’ont pas la portée de principe que leur prête le recourant. Dans l’arrêt 8C_712/2020 du 21 juillet 2021, le Tribunal fédéral a confirmé l’appréciation des juges cantonaux relative à la gravité moyenne de la faute commise par la personne assurée, qui n’avait pas donné suite à une assignation, au regard des circonstances objectives et subjectives, en particulier des efforts de l’assuré en vue de retrouver un emploi même avant la fin de son contrat de travail en cours. Ce cas ne présente que peu de liens avec la situation présente de l’assuré, qui n’a pas omis de postuler, mais l’a fait avec un retard de trois jours. Tout au plus peut-on en déduire que même en cas d’absence de postulation pour un emploi assigné, et sur la base d’une appréciation de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives, de justes motifs peuvent conduire à qualifier la faute de la personne assurée de moyenne plutôt que de grave. L’arrêt 8C_313/2021 du 3 août 2021 concerne également une personne assurée qui n’avait pas postulé pour l’emploi qui lui avait été assigné. Le Tribunal fédéral a considéré qu’elle ne pouvait pas se prévaloir du fait que le lien internet qui lui avait été communiqué par les autorités de chômage ne fonctionnait pas (elle l’avait en réalité mal recopié). On pouvait s’attendre d’elle, après avoir constaté le problème, qu’elle prenne rapidement contact avec son conseiller à l’ORP pour le régler, ce qu’elle n’avait pas fait. L’absence de postulation devait être assimilée à un refus d’emploi convenable, sans que des motifs justificatifs permettent de qualifier la faute de moyenne plutôt que de grave. Là encore, cette situation ne présente que peu de liens avec celle de l’assuré.

Consid. 4.3.2
En l’espèce,
l’assuré n’a pas postulé dans le délai fixé par l’ORP et, partant, n’a pas respecté une injonction de cet office, en violation de ses obligations. Cette faute tombe dans le champ d’application de l’art. 30 al. 1 let. d LACI, de sorte qu’une suspension dans l’exercice du droit aux indemnités journalières doit être prononcée. L’assuré a néanmoins postulé, mais avec trois jours de retard. Les juges cantonaux ont constaté que l’incident ne traduisait aucune volonté de l’assuré de mettre en échec ses postulations. L’ORCT ne démontre pas le caractère manifestement erroné de cette constatation. Il ne démontre pas d’avantage en quoi les juges cantonaux auraient excédé ou abusé de leur pouvoir d’appréciation en considérant que la faute commise était de gravité moyenne, après avoir pesé l’ensemble des circonstances objectives et subjectives. Le délai imparti par l’ORP pour postuler était en effet très bref, ce qui était certes justifié pour limiter le risque que l’emploi soit pourvu rapidement après la mise au concours du poste et pour favoriser au mieux les chances de succès d’une postulation de l’assuré. Pour autant, rien n’indique que les deux employeurs potentiels auraient eux-mêmes fixé un tel délai, ce que l’ORCT ne soutient pas. Par ailleurs, l’assuré a tout de même postulé en signalant spontanément à l’ORP qu’il n’avait pas prêté attention au délai qui avait été imparti et en lui demandant de bien vouloir l’en excuser. Il a confirmé par la suite, de manière crédible, son intérêt réel pour les emplois en question. Contrairement à ce que soutient l’ORCT, au vu de l’ensemble des circonstances, l’attitude de l’assuré n’était pas à ce point désinvolte que l’on devrait en conclure qu’il s’était délibérément accommodé du risque que l’emploi soit occupé par quelqu’un d’autre, de sorte que sa négligence devrait être assimilée à un refus d’emploi. Sur ce point, les constatations des juges cantonaux, qui ont également pris en considération l’attitude générale de l’assuré et ses efforts en vue de rechercher un emploi, sont exempts d’arbitraire.

Vu ce qui précède, les juges cantonaux n’ont pas violé le droit fédéral, et en particulier n’ont pas excédé leur pouvoir d’appréciation, ni n’en ont abusé, en qualifiant de moyenne la faute commise par l’assuré. Le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 5.1
La juridiction cantonale a réduit la durée de la sanction prononcée contre l’assuré à 16 jours, soit le minimum prévu par l’art. 45 al. 3 OACI pour une faute de gravité moyenne. Ils ont notamment refusé de tenir compte, pour fixer la quotité de la sanction, du fait que le retard de postulation concernait deux emplois assignés et non un seul. De manière ambiguë, ils ont admis qu’il n’était pas « en soi injustifiable » d’en tenir compte pour fixer la quotité de la sanction, mais se sont ensuite référés à l’art. 45 al. 5 OACI, d’après lequel une prolongation de la suspension pour tenir compte de manquements répétés n’entre en considération que si l’assuré a déjà été suspendu dans les deux dernières années, avant de souligner qu’en l’espèce, la faute commise résultait d’un seul et même comportement.

Consid. 5.2
Sur ce point, le raisonnement des juges cantonaux ne peut être suivi. En effet, le fait que la faute commise résulte d’un seul et même comportement justifie de ne prononcer qu’une seule mesure de suspension, et non deux. On ne se trouve ainsi pas dans le champ d’application de l’art. 45 al. 5 OACI, qui implique que plusieurs sanctions sont prononcées pour plusieurs violations distinctes de ses obligations par la personne assurée. En l’espèce, une seule sanction doit être prononcée, mais il est nécessaire de prendre en considération l’ensemble des circonstances pour fixer la quotité de la sanction. Ainsi, le retard de l’assuré portait sur l’injonction à postuler pour deux emplois distincts et l’on ne peut pas en faire abstraction. Sur ce point, les juges cantonaux ont fondé leur appréciation sur une mauvaise interprétation de l’art. 45 al. 5 OACI et, en fixant la durée de la suspension au minimum prévu par l’art. 45 al. 3 let. b OACI, ils n’ont pas tenu compte d’une circonstance objectivement pertinente. Eu égard à cette circonstance, il convient de réformer le jugement entrepris, de s’écarter du minimum prévu par l’art. 45 al. 3 let. b OACI et de fixer à 25 jours la durée de la suspension dans l’exercice du droit aux prestations.

 

Le TF admet partielle le recours de l’ORCT.

 

Arrêt 8C_225/2023 consultable ici

 

8C_521/2023 (f) du 22.02.2024 – Assurance sociale cantonale – Réduction des primes d’assurance-maladie / 65 al. 1 LAMal – Ordonnance concernant la réduction des primes d’assurance-maladie (RS/FR 842.1.13)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_521/2023 (f) du 22.02.2024

 

Consultable ici

 

Assurance sociale cantonale – Réduction des primes d’assurance-maladie / 65 al. 1 LAMal – Ordonnance concernant la réduction des primes d’assurance-maladie (RS/FR 842.1.13)

Frais de justice à la charge du recourant pour cause de témérité / 131 CPJA (RS/FR 150.1)

 

A.__ bénéficie depuis plusieurs années d’une réduction de ses primes d’assurance-maladie. Par décision du 25.01.2023, confirmée le 27.03.2023, la caisse cantonale de compensation a fixé le montant de la réduction des primes pour l’année 2023 à 315 fr. 90 par mois, ce qui correspond à 65% de la prime moyenne régionale.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 51 – consultable ici)

La juridiction cantonale a renvoyé à sa motivation développée dans un précédent arrêt du 6 décembre 2022 – entré en force – impliquant A.__, dans lequel elle avait retenu en substance que le plafonnement de la réduction de primes à 65% du montant de la prime moyenne régionale pouvait valablement figurer dans l’ordonnance concernant la réduction des primes d’assurance-maladie du 8 novembre 2011 (ORP; RS/FR 842.1.13), sans violer la Constitution cantonale. Elle a en outre rejeté le grief du recourant tiré d’une violation de la loi sur les subventions du 17 novembre 1999 (LSub; RS/FR 616.1), en considérant notamment que l’on ne saurait déduire de l’art. 13 LSub l’obligation, pour le législateur cantonal, de faire figurer dans une loi tous les paramètres du calcul des réductions de primes. Exposant que le recourant leur avait soumis encore une fois la même question et qu’il avait maintenu son recours malgré l’entrée en force de l’arrêt du 6 décembre 2022, les juges cantonaux l’ont condamné au paiement des frais de justice, par 400 fr., pour témérité en application de l’art. 61 LPGA, sa requête d’assistance judiciaire ayant été par ailleurs rejetée, dans la mesure où elle n’était pas sans objet.

Par jugement du 11.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Le Tribunal fédéral applique le droit d’office (art. 106 al. 1 LTF). Toutefois, il n’examine la violation de droits fondamentaux ainsi que celle de dispositions de droit cantonal et intercantonal que si ce grief a été invoqué et motivé par le recourant (art. 106 al. 2 LTF), c’est-à-dire s’il a été expressément soulevé et exposé de manière claire et détaillée. Sauf exceptions, notamment en matière de droits constitutionnels cantonaux (cf. art. 95 let. c, d et e LTF), on ne peut pas invoquer la violation du droit cantonal ou communal en tant que tel devant le Tribunal fédéral (art. 95 LTF a contrario). En revanche, il est possible de faire valoir que sa mauvaise application consacre une violation du droit fédéral, comme la protection contre l’arbitraire (art. 9 Cst.) ou la garantie d’autres droits constitutionnels (ATF 145 I 108 consid. 4.4.1; 143 I 321 consid. 6.1; 142 III 153 consid. 2.5).

Appelé à revoir l’application ou l’interprétation d’une norme cantonale ou communale sous l’angle de l’arbitraire, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en violation d’un droit certain. En revanche, si l’application de la loi défendue par l’autorité cantonale ne s’avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable (ATF 148 I 145 consid. 6.1; 147 I 241 consid. 6.2.1; 145 II 32 consid. 5.1). Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 143 I 321 consid. 6.1; 141 I 49 consid. 3.4).

 

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 12 Cst., quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d’être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Conformément à l’art. 36 al. 1 Cst./FR, toute personne dans le besoin a le droit d’être logée de manière appropriée, d’obtenir les soins médicaux essentiels et les autres moyens indispensables au maintien de sa dignité.

A teneur de l’art. 93 Cst./FR, les compétences législatives peuvent être déléguées, à moins que le droit supérieur ne l’interdise (al. 1, première phrase); la norme de délégation doit être suffisamment précise (al. 1, seconde phrase); les règles de droit d’importance doivent toutefois être édictées sous forme de loi (al. 2); le Grand Conseil peut opposer son veto aux actes de l’autorité délégataire (al. 3).

Consid. 4.1.2
Selon l’art. 65 al. 1, première phrase, LAMal, les cantons accordent une réduction de primes aux assurés de condition économique modeste. L’art. 65 al. 1bis LAMal précise que pour les bas et moyens revenus, les cantons réduisent de 80% au moins les primes des enfants et de 50% au moins celles des jeunes adultes en formation. Aux termes de l’art. 12 LALAMal, sont considérées comme assurés de condition économiquement modeste les personnes dont le revenu déterminant n’atteint pas les limites fixées par le Conseil d’Etat. L’art. 15 LALAMal dispose que la réduction [des primes d’assurance-maladie] est calculée en pour-cent d’une moyenne des primes retenues par les assureurs (al. 1, première phrase); elle ne peut dépasser 100% de la prime nette due par l’assuré pour l’assurance de base (al. 1, seconde phrase); le Conseil d’Etat définit la moyenne des primes utile pour le calcul des réductions et fixe l’échelonnement de ces dernières (al. 2).

L’art. 5 ORP porte sur le calcul du revenu déterminant. L’art. 6 ORP, qui concerne l’étendue de la réduction, prévoit notamment que les taux de la réduction des primes figurent dans le tableau 1 annexé à l’ORP (al. 1). Ce tableau instaure un plafonnement de la réduction des primes à 65% du montant de la prime moyenne régionale.

Consid. 4.2
Le recourant expose que le refus de lui octroyer une réduction entière de ses primes d’assurance-maladie le priverait de conditions minimales d’existence. Les limites de revenu déterminant, le calcul des réductions et leur échelonnement devraient figurer dans une loi formelle, en application de l’art. 93 al. 2 Cst./FR. Tel ne serait pas le cas en l’occurrence, les art. 12 et 15 LALAMal donnant un blanc-seing au Conseil d’Etat pour édicter – à travers l’ORP – des dispositions d’importance empiétant le droit de mener une existence conforme à la dignité humaine.

Consid. 4.3
Cette critique tombe à faux. Contrairement à ce que sous-entend le recourant, la réduction des primes d’assurance-maladie pour les assurés de condition économique modeste n’a pas pour vocation – contrairement à l’aide sociale – d’assurer à son bénéficiaire des conditions minimales d’existence. A ce titre, l’art. 65 LAMal et le droit cantonal prévoient uniquement une réduction des primes et non pas une prise en charge intégrale de celles-ci, même pour les assurés se trouvant dans les situations économiques les plus précaires. Le fait qu’un seuil minimal de réduction est prévu pour les enfants et les jeunes adultes (cf. art. 65 al. 1 bis LAMal et 6 al. 2 ORP) n’y change rien.

 

Consid. 5.1
Selon l’art. 9 al. 1 LSub, les subventions doivent être instituées par une loi. En vertu de l’art. 13 al. 1 LSub, les dispositions légales régissant les subventions doivent notamment définir: les objectifs visés (let. a); les tâches et les prestations pour lesquelles les subventions sont prévues (let. b); les catégories de bénéficiaires (let. c); l’existence éventuelle d’un droit à l’obtention d’aides financières (let. d); les formes de subventions, conformément à l’article 15 (let. e); les conditions spécifiques d’octroi (let. f); les bases et les modalités de calcul des subventions, selon les principes fixés aux articles 16 et 17 (let. g); quand cela est possible, le montant minimal de la subvention ou des dépenses subventionnables (let. h); l’autorité compétente pour l’octroi et pour le suivi des subventions (let. i). L’art. 13 al. 2 LSub précise que sous réserve de l’article 9 al. 2, les points visés par les lettres a à e sont fixés dans des lois. Aux termes de l’art. 16 LSub, en règle générale, les subventions doivent être fixées notamment en fonction de la capacité financière du requérant (al. 1, première phrase); les aides financières doivent en outre être déterminées en fonction de leur caractère incitatif et de l’intérêt de l’Etat à assurer ou promouvoir l’accomplissement de la tâche (al. 2).

Consid. 5.2
Le recourant soutient qu’en application de l’art. 13 al. 1 let. b et d LSub, le calcul et l’échelonnement de la réduction des primes d’assurance-maladie devraient figurer dans une loi, et non dans une ordonnance. Par ailleurs, le plafonnement à 65% du montant de la prime moyenne régionale ne tiendrait pas compte de sa capacité financière, qui ne permettrait pas de lui assurer le minimum vital, et donc des conditions minimales d’existence, en violation de l’art. 16 LSub.

Consid. 5.3
Il ne ressort pas des dispositions de la LSub dont se prévaut le recourant que le calcul de la réduction des primes devrait figurer en détail dans une loi formelle, en l’occurrence la LALAMal. En conformité avec les art. 13 al. 1, let. b et d, et al. 2 LSub, cette loi d’application définit le domaine subventionné, à savoir les primes d’assurance-maladie, et consacre l’existence d’un droit à une aide financière, sous la forme d’une réduction de la prime pour certaines catégories de personnes. Les bases et les modalités de calcul de la réduction (cf. art. 13 al. 1 let. g LSub), déjà visées par l’art. 15 LALAMal, sont réglées en détail dans l’ORP, conformément à l’art. 13 al. 2 LSub a contrario. S’agissant de l’art. 16 al. 1, première phrase, LSub, la LALAMal et l’ORP tiennent précisément compte de la capacité financière des assurés, étant entendu que la réduction des primes ne vise pas à garantir des conditions minimales d’existence. Les juges cantonaux n’ont donc pas versé dans l’arbitraire en appliquant le droit cantonal et en considérant que la LALAMal, en particulier son art. 15, fixait de manière suffisante les principes généraux pour le calcul des subventions (cf. arrêt cantonal du 6 décembre 2022 en la cause 608 2022 57, auquel renvoie l’arrêt entrepris). Les griefs du recourant s’avèrent mal fondés.

 

Consid. 10.1
Dans un dernier grief, le recourant reproche à l’instance précédente d’avoir mis les frais de justice à sa charge pour cause de témérité en application de l’art. 61 LPGA.

Consid. 10.2
Contrairement à ce qu’a retenu la cour cantonale, la LPGA – en particulier son art. 61 – n’est toutefois pas applicable au cas d’espèce. En effet, selon l’art. 1 al. 2 let. c LAMal, les dispositions de la LPGA ne s’appliquent notamment pas à l’octroi de réductions de primes en vertu des art. 65, 65a et 66a LAMal. En matière de frais de procédure, le droit cantonal est donc exclusivement applicable. L’art. 61 LPGA, auquel se sont référés les juges cantonaux, sans toutefois indiquer quelle norme cantonale y renverrait, entre tout au plus en considération à titre de droit cantonal supplétif.

Consid. 10.3
Selon l’art. 131 du Code de procédure et de juridiction administrative du 23 mai 1991 (CPJA; RS/FR 150.1), en cas de recours ou d’action, la partie qui succombe supporte les frais de procédure (al. 1, première phrase); si elle n’est que partiellement déboutée, les frais sont réduits en proportion (al. 2, seconde phrase); des frais peuvent être mis à la charge de la partie qui obtient gain de cause si elle les a occasionnés sans nécessité, par sa faute ou en violation des règles de procédure (al. 2). Selon l’art. 136 CPJA, les dispositions légales qui prévoient l’exemption totale ou partielle des frais de procédure sont réservées, notamment celles en matière d’assurances sociales. Le recourant n’expose pas quelle autre disposition de droit cantonal imposerait la gratuité de la procédure. Il n’indique pas, en particulier, quelle norme cantonale renverrait à l’art. 61 LPGA. Quoiqu’il en soit, à supposer que cette disposition soit applicable à titre de droit cantonal supplétif, on ne saurait considérer que les juges cantonaux en auraient fait une application arbitraire en qualifiant le recours de téméraire et en mettant des frais à charge du recourant. Il s’ensuit que le recours, entièrement mal fondé, doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 8C_521/2023 consultable ici

 

9C_141/2023 (f) du 05.06.2024, destiné à la publication – Montant de l’indemnité journalière AI d’un assuré indépendant – Interprétation par le TF de l’art. 23 al. 3 LAI – Revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_141/2023 (f) du 05.06.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Montant de l’indemnité journalière AI d’un assuré indépendant / 23 LAI – 21 RAI

Interprétation par le TF de l’art. 23 al. 3 LAI

Revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI – Revenu soumis au prélèvement de cotisations servant de base pour la fixation des cotisations et non celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées

 

Assuré ayant exploité à titre indépendant un commerce d’importation de produits exotiques. Il a déposé une demande AI le 18.08.2017. Après plusieurs mesures d’instruction, notamment sur le plan médical, l’office AI a octroyé à l’assuré une mesure d’orientation professionnelle du 30.05.2022 au 31.07.2022. En se fondant sur un revenu annuel (brut) déterminant de CHF 5’862.79, il a fixé le montant des indemnités journalières de l’assurance-invalidité à CHF 13.60 par jour (décision du 7 juillet 2022).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1167/2022 – consultable ici)

Dans le cadre de la procédure de recours, l’office AI s’est rallié à une prise de position du service juridique de la caisse de compensation, selon laquelle le montant des indemnités journalières devait se fonder sur le revenu annuel déterminant de l’année 2013 (année précédant la survenance de l’atteinte à la santé), soit sur un montant annuel (brut) de CHF 9’333. Par arrêt du 22.12.2022, admission partielle et réformation de la décision en ce sens que l’indemnité journalière s’élève à CHF 21.60 à compter du 30.05.2022.

 

TF

Consid. 2.1
Selon l’art. 23 LAI, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2012, l’indemnité de base s’élève à 80% du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé; toutefois, elle s’élève à 80% au plus du montant maximum de l’indemnité journalière fixée à l’art. 24 al. 1 LAI (al. 1). L’indemnité de base s’élève, pour l’assuré qui suit des mesures de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a LAI, à 80% du revenu qu’il percevait immédiatement avant le début des mesures; toutefois, elle s’élève à 80% au plus du montant maximal de l’indemnité journalière (al. 1bis). Le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fonde sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant) (al. 3).

Le Conseil fédéral a précisé dans le RAI la base de calcul des indemnités journalières pour différentes catégories d’assurés (art. 21 ss RAI), notamment ceux exerçant une activité indépendante. Selon l’art. 21quater al. 1 RAI, l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS. L’indemnité journalière pour les assurés qui rendent vraisemblable que, durant la période de réadaptation, ils auraient entrepris une activité lucrative indépendante d’une assez longue durée est calculée d’après le revenu qu’ils auraient pu en obtenir (art. 21quater al. 2 RAI).

Selon l’art. 21 al. 3 RAI, lorsque la dernière activité lucrative exercée par l’assuré sans restriction due à des raisons de sa santé remonte à plus de deux ans, il y a lieu de se fonder sur le revenu que l’assuré aurait tiré de la même activité, immédiatement avant la réadaptation, s’il n’était pas devenu invalide.

Consid. 2.2
Selon le chiffre 0835 de la circulaire de l’OFAS concernant les indemnités journalières de l’assurance-invalidité (CIJ), en vigueur depuis le 1er janvier 2022, pour les personnes de condition indépendante, le revenu déterminant pour le calcul de l’indemnité journalière des personnes de condition indépendante se fonde sur le dernier revenu d’activité lucrative, converti en revenu journalier, précédant la survenance de l’atteinte à la santé, et sur lequel des cotisations AVS ont été prélevées (VSI 2002 p. 187). Peu importe que les cotisations de l’année considérée aient fait l’objet d’une décision entrée en force. D’éventuelles décisions de réduction ou de remise ne sont pas davantage à prendre en compte (anciennement ch. 3039 CIJ, dans sa teneur du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2021).

 

Consid. 3.1
La juridiction cantonale
a retenu que l’assuré avait droit à une indemnité journalière de CHF 21.60 par jour pour la période du 30.05.2022 au 31.07.2022 (CHF 9’333  x 1,0349 / 360 x 0,80). Selon l’extrait du compte individuel AVS, le revenu annuel (brut) de l’assuré s’élevait à 66’400 fr. pour l’année 2013. Les cotisations sociales correspondantes n’avaient cependant pas été acquittées par l’assuré dans leur totalité. Pour l’année 2013, l’assuré avait uniquement versé les cotisations correspondant à un revenu annuel (brut) de 9’333 fr., le solde des créances de cotisations étant présumé irrécouvrable. Aussi, la caisse de compensation avait inscrit dans le compte individuel AVS le revenu annuel (brut) ayant servi à fixer les cotisations pour l’année 2013 (66’400 fr.), puis corrigé ce revenu par une inscription « en moins » (à hauteur de 57’067 fr.; conformément au ch. 2346 de la directive de l’OFAS concernant le certificat d’assurance et le compte individuel [D CA/CI]). Le montant de 9’333 fr. (66’400 fr. – 57’067 fr.) avait ensuite été actualisé à un taux de 3,49%, selon les données de l’Office fédéral de la statistique.

Consid. 3.2
Invoquant une violation des art. 23 LAI et 21 quater RAI, l’assuré reproche à l’autorité précédente de n’avoir pas tenu compte du gain « réellement réalisé ». En particulier, il reproche à la juridiction cantonale d’avoir fixé le montant de ses indemnités journalières sur la base du revenu sur lequel des cotisations AVS avaient été effectivement versées (9’333 fr., avant indexation). Il demande à ce que ses indemnités journalières soient fixées sur la base du revenu ayant servi à fixer les cotisations AVS de l’année 2013 (66’400 fr., avant indexation).

 

Consid. 4
L’argumentation de l’assuré soulève la question de savoir quel est le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI: celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées, comme l’a retenu la juridiction cantonale, ou celui qui est soumis au prélèvement de cotisations et sert de base pour la fixation des cotisations, comme le prétend l’assuré.

Consid. 4.1
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 149 IV 9 consid. 6.3.2.1; 147 V 242 consid. 7.2; 146 V 87 consid. 7.1 et les références).

Consid. 4.2
L’interprétation littérale part du texte de la loi. Selon l’art. 23 al. 3 LAI, le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fonde sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (« […] bildet das durchschnittliche Einkommen, von dem Beiträge nach dem AHVG erhoben werden »; « […] è determinante il reddito medio sul quale sono riscossi i contributi secondo la LAVS »). Selon les termes de la disposition, celle-ci constitue une règle de calcul du « revenu déterminant » (« massgebendes Einkommen », « reddito determinante »), dont le législateur décrit les modalités. Or la lecture littérale de l’art. 23 al. 3 LAI n’indique pas, à elle seule, ce qu’il faut entendre par le revenu « sur lequel les cotisations sont prélevées », soit s’il s’agit du revenu sur lequel des cotisations ont été versées, d’une part, ou celui sur lequel celles-ci sont fixées ou celui qui est soumis au prélèvement des cotisations, d’autre part. Une interprétation purement littérale est en outre rendue plus difficile par les variations linguistiques de la disposition, le législateur usant des termes « prélever » en français (prendre avant un partage), « erheben » en allemand (percevoir) et « riscuotere » en italien (encaisser). De plus, au chiffre 0835 CIJ, censé expliciter le cadre législatif, l’OFAS a repris en allemand le texte de l’art. 23 al. 3 LAI (« nach dem AHVG erhoben werden »). Dans les versions française et italienne, il a modifié le temps du verbe (« ont été prélevées »; « sono stati prelevati »), exprimant que des cotisations ont été versées sur le revenu déterminant. À elle seule, l’interprétation littérale de l’art. 23 al. 3 LAI, même lue en corrélation avec la CIJ, ne permet pas d’infirmer, quoi qu’en dise l’assuré, les conclusions de la juridiction cantonale.

Consid. 4.3
Sur le plan historique, il convient de procéder à un bref rappel de l’origine de la disposition en cause, en lien avec l’évolution législative des normes pertinentes.

Consid. 4.3.1
Selon l’ancien art. 24 al. 1 LAI, dans sa version en vigueur du 1er juillet 1999 (6 e révision du régime des allocations pour perte de gain [APG]) au 31 décembre 2003 (4 e révision de la LAI), les dispositions de la LAPG qui régiss[aient] le mode de calcul et les taux maximaux des allocations s’appliqu[aient] aux indemnités journalières. Aux termes de l’ancien art. 24 al. 2 LAI, dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 1960 au 31 décembre 2003 (RO 1959 863), pour le calcul de l’indemnité journalière revenant à l’assuré ayant exercé une activité lucrative, le revenu du travail acquis dans sa dernière activité exercée en plein [était] déterminant.

Interprétant cette disposition, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé qu’était déterminant le revenu que la personne assurée avait effectivement réalisé avant la survenance de l’atteinte à sa santé, sans qu’il soit nécessaire que des cotisations aient été prélevées sur ce revenu selon l’art. 2 LAI (arrêt I 365/00 du 28 novembre 2001 consid. 4a/aa et 4a/ee, publié in VSI 5/2002 p. 187). Rien ne permettait en particulier d’affirmer que, par le revenu du travail acquis dans sa dernière activité exercée en plein, il était fait référence au dernier revenu soumis à l’obligation de cotiser (arrêt I 365/00 précité consid. 4a/bb). Le Tribunal fédéral des assurances a de plus rappelé que les indemnités journalières de la LAI avaient pour but de garantir à l’assuré et à ses proches l’assise matérielle nécessaire à leur existence pendant la période de la réadaptation. Les moyens nécessaires à cette fin ne pouvaient pas être définis de manière générale, mais dépendaient de divers facteurs, variables au fil du temps. Le Tribunal fédéral des assurances en a conclu que cela plaidait plutôt en faveur d’une prise en compte, pour le calcul des indemnités journalières, de facteurs déterminants actuels, soit de facteurs les plus proches possibles de la date de la survenance de l’atteinte à la santé, sans qu’il ne soit exigé que des cotisations aient été prélevées sur les revenus en question au sens de l’art. 2 LAI (arrêt I 365/00 précité consid. 4a/cc).

Consid. 4.3.2
Dans le cadre de la 4e révision de la LAI, entrée en vigueur le 1er janvier 2004, le législateur n’a pas maintenu le lien entre le régime des APG et celui des indemnités journalières. Il a créé un régime propre à la LAI (art. 22 ss LAI), qui s’inspire du système d’indemnités journalières de la LAA (Message du CF concernant la 4 e révision de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité, FF 2001 3095 ch. 2.3.2; ERWIN MURER, Invalidenversicherungsgesetz [Art. 1-27 bis IVG], 2014, n° 10 et 19 ad art. 23-25). Le législateur a tout d’abord introduit à l’art. 23 al. 1 LAI une disposition qui reprend en substance la teneur de l’ancien art. 24 al. 2 LAI (arrêts 9C_126/2010 du 28 septembre 2010 consid. 2.1; I 1081/06 du 23 octobre 2007 consid. 3.1; MEYER/REICHMUTH, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Bundesgesetz über die Invalidenversicherung IVG, 4 e éd. 2023, n° 1 ad art. 23 LAI). Partant, les conditions donnant droit à une indemnité journalière sont demeurées identiques à celles prévues dans la réglementation en vigueur jusqu’au 31 décembre 2003 (Message précité, FF 2001 3128 ch. 4.2). Puis, le législateur a inséré à l’art. 23 al. 3 LAI – sans débat aux Chambres fédérales (BO 2003 CN 1937; BO 2003 CE 756) – un nouvel alinéa, selon lequel est déterminant pour le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens de l’al. 1 le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant).

Consid. 4.3.3
Dans le cadre de la 6e révision AI, premier volet, le législateur a enfin complété l’art. 23 al. 3 LAI par la mention « de l’art. 1bis « , pour tenir compte de l’introduction de l’art. 23 al. 1bis LAI, et l’a reformulé.

Consid. 4.3.4
Il résulte de cet aperçu que le législateur a souhaité que les conditions de l’art. 23 LAI donnant droit à une indemnité journalière de la LAI demeurent identiques à celles prévues dans la réglementation en vigueur jusqu’au 31 décembre 2003 (Message précité, FF 2001 3128 ch. 4.2). Dans ces conditions, d’un point de vue historique, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations de l’arrêt I 365/00 précité, selon lesquelles le revenu déterminant pour le calcul des indemnités journalières est celui effectivement réalisé avant la survenance de l’atteinte à la santé, sans égard au fait que des cotisations aient été prélevées sur ce montant

(consid. 4.3.1 supra). L’OFAS renvoie d’ailleurs à cet arrêt au chiffre 0835 CIJ.

Consid. 4.4
Sous l’angle systématique, l’art. 23 al. 1 LAI règle le montant de l’indemnité de base et prévoit en même temps une garantie minimale et un montant maximum (Message précité, FF 2001 3128 ch. 4.2). Selon cet alinéa, le calcul de l’indemnité journalière s’opère sur la base du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé. Dès lors que le législateur s’est inspiré du système d’indemnités journalières de la LAA (consid. 4.3.2 supra), l’art. 23 al. 3 LAI décrit ensuite les modalités du calcul. En ce sens, à la différence du « gain assuré » de la LAA (cf. art. 17 al. 1 LAA), le législateur a introduit la notion du « revenu déterminant », soit le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées.

Dans le cadre des dispositions d’exécution de l’art. 23 LAI, parmi les précisions sur la base de calcul des indemnités journalières pour différentes catégories d’assurés (art. 21 ss RAI), le Conseil fédéral a prévu une règle concernant les assurés exerçant une activité indépendante. Selon l’art. 21 quater al. 1 RAI, le calcul de l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante se fonde sur le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS. L’exigence que le revenu en cause soit « soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS » (« von dem Beiträge nach dem AHVG erhoben werden »; « soggetto al prelievo dei contributi conformemente alla LAVS ») est formulée de telle manière qu’on ne peut en déduire la condition d’un prélèvement effectif des cotisations.

Consid. 4.5
Ensuite des éléments qui précèdent, la volonté du législateur est claire. Les interprétations historique et systématique conduisent à retenir que l’art. 23 al. 1 LAI, lu en corrélation avec les art. 17 ss RAI, ne prévoit nullement que les cotisations sont réputées formatrices des indemnités journalières de la LAI dans la mesure seulement où elles sont versées. Au contraire, il y a lieu de comprendre que l’art. 23 al. 1 LAI, en lien avec l’art. 21quater al. 1 RAI, prévoit que l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS (et non pas celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées).

C’est le lieu d’ajouter qu’en ce qui concerne le revenu soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS, les conditions pour une modification du revenu déterminant (art. 21sexies RAI) ou une réduction de l’indemnité journalière (art. 21septies RAI) ne dépendent pas du versement ultérieur des cotisations sociales. Au contraire, le ch. 0835 CIJ précise expressément que d’éventuelles décisions de réduction ou de remise des cotisations (au sens de l’art. 11 LAVS) ne doivent pas être prises en compte. Il n’en va pas différemment si les cotisations sociales sont ultérieurement amorties car irrécouvrables.

Consid. 4.6
En conséquence de ce qui précède, la juridiction cantonale a fait une application erronée du droit fédéral en fixant le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI en fonction du « revenu pour lequel l’assuré avait matériellement versé les cotisations » (de CHF 9’333.) et en corrigeant en conséquence le revenu de l’année 2013 soumis aux cotisations (de CHF 66’400).

Consid. 5
Bien fondé, le recours doit être admis, ce qui conduit au renvoi de la cause à l’office AI pour qu’il fixe le montant des indemnités journalières dues à l’assuré en fonction du revenu déterminant de CHF 66’400 (avant indexation).

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_141/2023 consultable ici

 

8C_622/2023 (f) du 27.05.2024 – Révision d’une décision entrée en force – Droit aux indemnités chômage / Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_622/2023 (f) du 27.05.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Existence d’un domicile en Suisse – Droit aux indemnités chômage

Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

 

L’assurée a notamment bénéficié d’un délai-cadre d’indemnisation de chômage du 01.07.2020 au 30.11.2022. A la suite d’une dénonciation, l’Office cantonal genevois de l’emploi (ci-après: OCE) a demandé une enquête sur le domicile de la prénommée au bureau des enquêtes de l’Office cantonal genevois de la population et des migrations (ci-après: OCPM). Il ressort d’un rapport d’aide administrative interdépartementale établi le 01.06.2022 que l’assurée ne résidait pas à la rue B.__ à Genève, mais à U.__ en France.

Par décision du 03.06.2022, adressée par pli recommandé, l’OCE a nié à l’assurée son droit à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’avait pas de domicile dans le canton de Genève, à tout le moins depuis cette date. Cette décision n’ayant pas été retirée dans le délai de garde postal, l’OCE l’a renvoyée à l’assurée le 20.06.2022, par courrier simple, en précisant que le « délai de recours » avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde.

Le 20.07.2022, l’assurée, assistée d’un avocat, a informé l’OCE n’avoir eu connaissance de la décision du 03.06.2022 que par le biais du pli simple du 20.06.2022. Elle a expliqué ne plus habiter à la rue B.__ depuis le 05.06.2022 et ne pas avoir été en mesure de prendre connaissance de la décision dans le délai de garde postal. Niant être domiciliée en France, elle a réclamé l’annulation de la décision par reconsidération ou révision. Par décision du 22.08.2022, l’OCE a refusé d’entrer en matière sur la demande de l’assurée. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une contestation.

Le 27.09.2022, l’assurée a formulé une nouvelle demande de reconsidération, s’appuyant sur une décision de l’OCE du 22.09.2022 reconnaissant son domicile à Genève du 03.04.2017 au 02.04.2019, ainsi que sur des attestations de tiers concernant son domicile après le 05.06.2022. Cette demande a été rejetée le 01.12.2022.

Parallèlement, l’OCPM a d’abord conclu à l’absence de domicile en Suisse de l’assurée depuis le 06.02.2020, avant d’annuler cette décision le 02.03.2023, reconnaissant finalement son domicile en Suisse sur la base des éléments fournis dans le cadre de la procédure avec l’OCE.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/632/2023 – consultable ici)

Par jugement du 23.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Il convient de définir l’objet du litige, plusieurs décisions ayant été rendues par l’OCE concernant la situation de l’assurée. L’arrêt attaqué porte sur la contestation par l’assurée de la décision du 01.12.2022 rejetant la demande de reconsidération et révision formée le 27.09.2022. Cette demande visait à obtenir la révision, respectivement la reconsidération de la décision de l’OCE du 03.06.2022 niant le droit de l’assurée à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’était pas domiciliée dans le canton de Genève. Le présent litige porte dès lors sur la réalisation des conditions d’une révision de cette dernière décision au moment du dépôt de la demande du 27.09.2022. Le recours est dès lors irrecevable en tant qu’il conclut au constat d’un domicile à Genève dès le 01.07.2020 et à la reconnaissance du droit à l’indemnité de chômage à partir de cette date.

Consid. 4.1
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant. Aussi, par analogie avec la révision des décisions rendues par les autorités judiciaires, l’administration est tenue de procéder à la révision (dite procédurale) d’une décision formellement passée en force lorsque sont découverts des faits nouveaux importants ou de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits avant et qui sont susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 148 V 277 consid. 4.3 et la référence).

Sont « nouveaux », au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence. En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de la décision dont la révision est demandée et conduire à une solution différente en fonction d’une appréciation juridique correcte. Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants, qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers (arrêt 8C_778/2021 du 1 er juillet 2022 consid. 3.2 et 3.3 et les arrêts cités).

 

Consid. 4.2
La cour cantonale a considéré que la décision sur opposition rendue par l’OCE le 22.09.2022 et la décision rendue par l’OPCM le 02.03.2023 ne constituaient pas des nouveaux moyens de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Ces décisions se fondaient sur des témoignages qui auraient pu être présentés en temps utile par l’assurée dans le cadre d’un recours contre la décision de l’OCE du 03.06.2022. Celui-ci avait considéré à tort que cette décision avait été valablement notifiée à l’échéance du délai de garde de son pli recommandé, car la fiction de la notification ne s’appliquait pas lorsque comme en l’espèce, la destinataire ne faisait l’objet d’aucune procédure. La décision du 03.06.2022 avait donc été notifiée par pli simple du 20.06.2022. L’assurée ne pouvait toutefois pas se prévaloir du principe de la bonne foi, car son conseil aurait pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement contenu dans ce courrier. Dès lors, l’assurée aurait dû former une opposition à la décision du 03.06.2022, et non une demande de révision ou reconsidération. Dans la mesure où cette demande avait été formée dans le délai d’opposition, l’assurée aurait encore pu contester dans le délai de 30 jours la décision de l’OCE du 22.08.2022, quand bien même cette décision ne mentionnait pas la possibilité de la contester.

Consid. 4.3 [résumé]
L’assurée soutient que la décision sur opposition de l’OCE du 22.09.2022 constitue un nouveau moyen de preuve avec des faits nouveaux, car elle est postérieure aux décisions précédentes et démontre son domicile à Genève depuis 2016, sauf pour une courte période en 2022. Elle invoque également la décision de l’OCPM du 02.03.2023 qui annule une précédente décision niant son domicile en Suisse, en se basant sur la décision de l’OCE du 22.09.2022 et les documents fournis. L’assurée argue que ces éléments remettent en question le rapport d’enquête administrative de l’OCPM du 01.06.2022 sur lequel l’OCE s’était appuyé.

Consid. 4.4
Il convient de déterminer si les faits dont l’assurée se prévaut, soit l’existence d’un domicile genevois, peuvent constituer des faits nouveaux ouvrant la voie à une révision de la décision du 03.06.2022. L’assurée ne conteste pas que les décisions des 22.09.2022 et 02.03.2023 reposent sur des témoignages qui auraient pu être présentés lors de la procédure contre la décision du 03.06.2022. Les preuves qu’elle tente d’introduire sont des attestations de témoins de juillet et août 2022, relatives à son domicile, utilisées dans la procédure ayant conduit à la décision du 22.09.2022. Les juges cantonaux ont correctement conclu que l’assurée aurait pu présenter ces preuves lors de la procédure d’opposition ou de recours contre la décision du 03.06.2022. Par conséquent, les conditions pour une révision selon l’art. 53 al. 1 LPGA ne sont pas remplies, et le grief de violation de cette disposition doit être rejeté.

Consid. 5 [résumé]
L’assurée allègue une violation de l’interdiction de l’arbitraire et du principe de la bonne foi, arguant que l’arrêt est arbitraire dans sa motivation et son résultat, la décision de l’OCE du 03.06.2022 étant selon elle erronée. Cet argument se confond avec celui précédemment examiné (cf. consid. 4 supra) concernant les conditions de révision, et n’a donc pas plus de portée. Il en va de même du grief tiré d’une prétendue nullité de la décision du 03.06.2022, l’assurée n’exposant pas sur quelle base légales fonde une quelconque cause de nullité.

L’assurée soutient également que la cour cantonale aurait dû analyser les pièces produites sous l’angle de la reconsidération, arguant que le refus de l’OCE de reconsidérer sa décision constituerait un abus de droit et une violation de l’interdiction de l’arbitraire. Le fondement de l’argumentation de l’assurée est nébuleux. Comme l’assurée le reconnaît elle-même, aucune voie de recours n’existe contre un refus de reconsidération (cf. ATF 133 V 50 consid. 4). Les juges cantonaux n’étaient donc pas tenus d’examiner ce refus, et ce grief est rejeté.

 

Consid. 8.1
A titre subsidiaire, l’assurée soutient que les juges cantonaux auraient dû admettre que son courrier du 20.07.2022 adressé à l’OCE était une opposition et qu’à défaut, ils auraient violé l’art. 52 al. 1 et 2 LPGA. On déduit de son argumentation qu’en réalité, l’assurée se plaint que l’OCE n’ait pas interprété le courrier litigieux, qui requérait la reconsidération et la révision de la décision précitée, comme une opposition. Elle se plaint en conséquence d’un formalisme excessif de la part de l’OCE.

Consid. 8.2
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 145 I 201 consid. 4.2.1; 142 IV 299 consid. 1.3.2).

Les formes procédurales sont nécessaires à la mise en œuvre des voies de droit pour assurer le déroulement de la procédure conformément au principe de l’égalité de traitement, ainsi que pour garantir l’application du droit matériel; toutes les exigences formelles ne se trouvent donc pas en contradiction avec la prohibition du formalisme excessif découlant de l’art. 29 al. 1 Cst. (ATF 142 V 152 consid. 4.2; arrêts 4A_254/2023 du 12 juin 2023 consid. 5.4; 5A_18/2018 du 16 mars 2018 consid. 3.3.1). En outre, selon la jurisprudence, l’avocat est non seulement représentant mais encore collaborateur de la justice, de sorte que le juge est en droit d’admettre qu’il agit en pleine connaissance de cause: l’avocat est présumé capable, en raison de sa formation particulière, de représenter utilement la partie; il se justifie dès lors de se montrer plus rigoureux en présence de ses procédés qu’en présence d’un plaideur ignorant du droit (ATF 113 Ia 84 consid. 3d; arrêt 2C_511/2012 du 15 janvier 2013 consid. 7.2).

Consid. 8.3
Il convient de rappeler que l’assurée n’a pas retiré durant le délai de garde postal la décision rendue le 03.06.2022. L’OCE l’a lui a renvoyée par pli simple du 20.06.2022, en indiquant que le délai d’opposition avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde postal. Dans son acte du 20.07.2022, rédigé par son conseil, l’assurée a requis l’annulation de la décision de l’OCE du 03.06.2022 par reconsidération ou révision, et n’a pas formulé d’opposition. Il n’est pas contesté que la décision précitée n’était alors pas entrée en force, le délai d’opposition n’ayant débuté qu’après réception du second envoi.

Consid. 8.4
L’assurée expose s’être fondée sur les indications erronées fournies par l’OCE dans son envoi du 20.06.2022, ce dont on ne devrait pas lui tenir rigueur dans la mesure où son conseil aurait été constitué en urgence, soit le 18.07.2022 et donc deux jours à peine avant l’échéance pour agir contre la décision du 03.06.2022. Elle évoque pour le reste que son acte du 20.07.2022 pouvait être considéré comme une opposition, répondant aux conditions de forme et de fond nécessaires.

Consid. 8.5
Il est manifeste en l’espèce que le conseil de l’assurée pouvait, et devait, se rendre compte que la décision du 03.06.2022 n’avait pas été notifiée à l’échéance du délai de garde postal. La jurisprudence y relative (cf. ATF 146 IV 30 consid. 1.1.2 in fine; 139 IV 228 consid. 1.1) est en effet constante et doit être connue de tout conseil professionnel. En outre, le délai d’opposition n’étant pas échu au moment de sa constitution, le conseil devait procéder par cette voie et non requérir la révision ou la reconsidération de la décision litigieuse. Pour le reste, les conclusions de l’acte du 20.07.2022 sont claires et se limitent à requérir la reconsidération ou la révision de la décision du 03.06.2022. L’OCE – et la cour cantonale – n’a donc commis aucun arbitraire en s’en tenant à ce que l’assurée demandait. L’assurée omet au surplus de prendre en compte que sa requête de reconsidération et de révision du 20.07.2022 a fait l’objet d’une décision rendue le 22.08.2022 par l’OCE, contre laquelle elle n’a pas recouru. Si elle entendait faire valoir que sa requête constituait une opposition, c’est dans le cadre d’un tel recours qu’elle aurait dû agir en ce sens. Son grief s’avère mal fondé.

 

Consid. 9
Au vu de ce qui précède, le recours, manifestement mal fondé, doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. L’assurée, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d’emblée dénué de chances de succès et la requête d’assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. L’assurée doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_622/2023 consultable ici

 

8C_188/2023 (f) du 31.05.2024 – Révision d’une décision sur opposition entrée en force – 53 al. 1 LPGA / Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_188/2023 (f) du 31.05.2024

 

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Révision d’une décision sur opposition entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

 

Le 01.05.2018, l’assuré a conclu un contrat à durée déterminée avec B.__ SA pour un poste de maçon. Le 28.05.2018, il a été victime d’un accident professionnel en chutant d’un échafaudage.

Un désaccord est survenu concernant sa fonction exacte :

  • Le 19.11.2018, un certificat de travail le désignait comme chef d’équipe.
  • Le 15.10.2020, l’employeur a déclaré à l’assurance-accidents que l’assuré était maçon avec quelques responsabilités supplémentaires. Il a précisé que durant l’engagement, il avait été convenu que l’assuré aurait un peu plus de responsabilités afin d’acquérir de l’expérience en tant que chef d’équipe ; toutefois, au vu de sa courte période de travail et compte tenu du peu d’expérience accumulée, il n’était pas possible de qualifier l’assuré en tant que chef d’équipe.
  • L’assuré a maintenu avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe.

Par décision du 23.11.2020, elle lui a nié le droit à une rente, au motif que le taux d’invalidité était inférieur au degré d’invalidité minimum de 10%.

Le 06.01.2021, l’assuré a formé opposition contre la décision, affirmant avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, ce qui influait sur son salaire, les indemnités journalières et le calcul de la rente d’invalidité.

Le 22.02.2021, l’assuré a affirmé à l’assurance-accidents avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, contredisant la déclaration de B.__ SA du 15.10.2020. Il a fourni des documents appuyant sa position, dont des rapports de travail le désignant comme chef de chantier. Le 10.03.2021, via un syndicat, il a demandé à son ancien employeur de rectifier sa déclaration et de lui verser la différence de salaire, invoquant également un certificat et une attestation de travail confirmant sa fonction de chef d’équipe. Le même jour, il a sollicité une réanalyse de sa situation auprès de l’assurance-accidents.

Par décision sur opposition du 12.03.2021, l’assurance-accidents a confirmé sa décision du 23.11.2020.

Le 25.03.2021, le conseil de la société a répondu au courrier de l’assuré du 10.03.2021 en maintenant sa position quant à sa fonction de maçon. Il a ajouté que le certificat de travail du 19.11.2018 et l’attestation de travail du 02.12.2020 avaient été rédigés à la requête de l’assuré, sans que la société n’ait été informée de leur but.

Non contestée, la décision sur opposition du 12.03.2021 est entrée en force.

Le 11.11.2021, l’assuré a déposé une demande de révision de la décision du 23.11.2020 et de la décision sur opposition du 12.03.2021. Il a expliqué qu’à l’occasion d’une audience de conciliation, tenue le 26.10.2021 dans la procédure civile initiée à l’encontre de son ancien employeur, celui-ci avait reconnu que l’assuré travaillait en qualité de chef d’équipe, acceptant de ce fait de lui payer la différence de salaire correspondante et de corriger son certificat de travail. Ces éléments avaient été consignés dans une convention qui valait jugement définitif et constituait donc un fait ou un moyen de preuve nouveau. Par décision du 16.12.2021 confirmée le 25.05.2022, l’assurance-accidents a refusé d’entrer en matière sur la demande de révision.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/22 – 19/2023 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont estimé que le statut de chef d’équipe de l’assuré n’était pas un fait nouveau au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Cependant, ils ont considéré que la convention conclue entre l’assuré et son ancien employeur, ayant valeur de jugement définitif, constituait un nouveau moyen de preuve important. Cette convention, établie après la décision sur opposition du 12.03.2021, attestait de la fonction de chef d’équipe de l’assuré et du salaire correspondant, éléments que l’assuré n’avait pas pu prouver auparavant.

Le tribunal cantonal a jugé que ce nouveau moyen de preuve était susceptible d’influencer significativement la décision de l’assurance-accidents concernant le montant des indemnités journalières et le droit à la rente d’invalidité. La convention ne servait pas à réévaluer un fait connu, mais à établir un fait objectif définitif. Par conséquent, le tribunal a conclu qu’il s’agissait bien d’un nouveau moyen de preuve selon l’art. 53 al. 1 LPGA.

Par jugement du 15.02.2023, admission du recours interjeté par l’assuré, toujours représenté par le syndicat, et renvoi de la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient pas être produits auparavant.

Consid. 3.1
Sont « nouveaux » au sens de cette disposition les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus de la personne requérant la révision, malgré toute sa diligence (ATF 134 III 669 consid. 2.2 et les références). En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 144 V 245 consid. 5.2; 143 III 272 consid. 2.2; 134 IV 48 consid. 1.2).

Consid. 3.2
Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment de la personne qui requiert la révision de la décision. Si les nouveaux moyens de preuve sont destinés à prouver des faits allégués antérieurement, le requérant doit aussi démontrer qu’il ne pouvait pas les invoquer dans la procédure précédente. Une preuve est considérée comme concluante lorsqu’il faut admettre qu’elle aurait conduit le juge à statuer autrement s’il en avait eu connaissance dans la procédure principale. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers. Il n’y a ainsi pas motif à révision du seul fait que l’administration ou le tribunal paraît avoir mal interprété des faits connus déjà lors de la décision principale. L’appréciation inexacte doit être, bien plutôt, la conséquence de l’ignorance ou de l’absence de preuve de faits essentiels pour la décision (ATF 144 V 245 consid. 5.3; 127 V 353 consid. 5b).

Consid. 3.3
Comme condition supplémentaire à la révision au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, il faut que les faits ou moyens de preuve n’aient pas été connus de la personne requérant la révision ou de l’assureur social qui entend réviser sa décision, malgré toute sa diligence. Il appartient au requérant qui se fonde sur un nouveau moyen de preuve destiné à prouver des faits allégués antérieurement dans la procédure précédente de démontrer qu’il ne pouvait pas invoquer ce moyen précédemment. Il doit pouvoir se prévaloir d’une excuse valable pour justifier le fait que le moyen en cause n’a pas été invoqué en temps utile. En effet, la révision ne doit pas servir à réparer une omission qui aurait pu être évitée par un requérant diligent. En cela, elle est un moyen subsidiaire par rapport aux voies de droit ordinaires. On appréciera la diligence requise avec moins de sévérité en ce qui concerne l’ignorance des faits, dont la découverte est souvent due au hasard, que l’insuffisance des preuves au sujet de faits connus, la partie ayant le devoir de tout mettre en œuvre pour prouver ceux-ci dans la procédure principale (MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 54 ad art. 53 LPGA; THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar ATSG, 2020, n° 26 ad art. 53 LPGA; arrêts 8C_334/2013 du 15 novembre 2013 consid. 3.3; U 561/06 du 28 mai 2007 consid. 6.2).

 

Consid. 5.1
En l’espèce, la juridiction cantonale a retenu que la convention constituait un nouveau moyen de preuve dès lors qu’elle permettait d’établir, et non seulement d’apprécier, des faits connus au moment de la décision de l’assurance-accidents du 23.11.2020 confirmée sur opposition le 12.03.2021. La question de savoir si c’est à tort ou à raison que les juges cantonaux ont admis que cette convention constituait réellement un « nouveau » moyen de preuve concluant pour établir le statut de chef d’équipe de l’assuré peut demeurer ouverte. En effet, même en présence d’un nouveau moyen de preuve, si la personne requérant la révision ou son représentant omet, de manière négligente, de faire valoir celui-ci dans la procédure ordinaire, la révision n’est pas possible. Le seul facteur décisif est donc celui de savoir si l’assuré aurait déjà pu présenter son nouveau moyen de preuve dans la procédure ordinaire. Le but de la procédure extraordinaire de révision n’est en effet pas de réparer les omissions évitables du requérant commises au cours de la procédure ordinaire (cf. consid. 3.3 supra).

Consid. 5.2
Il ressort des faits constatés par la juridiction cantonale que l’assuré avait correspondu avec son employeur avant et après la décision sur opposition du 12.03.2021 au sujet de sa position au sein de la société. En effet, le 10.03.2021, il avait écrit à son ancien employeur pour lui demander de rectifier son courrier du 15.10.2020 confirmant sa position de maçon auprès de l’assurance-accidents. En date du 08.04.2021, il avait réitéré auprès de son ancien employeur sa demande du 10.03.2021. Bien qu’il estimait que sa position de chef d’équipe avait des conséquences sur son droit à une rente d’invalidité de l’assurance-accident et qu’il ait allégué ces faits devant l’assurance-accidents en tentant de les étayer par divers moyens de preuve, l’assuré n’a cependant pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 devant la juridiction cantonale. Or rien n’indique qu’il aurait été empêché de le faire. Devant l’instance cantonale de recours, dans la mesure où la question du poste qu’il occupait au sein de la société était au cœur du litige, l’assuré aurait pu et dû défendre sa position de chef d’équipe en invoquant ses échanges de courriers avec son ancien employeur et en fournissant les moyens de preuve se trouvant déjà au dossier qu’il a produit ultérieurement devant le Tribunal de prud’hommes. Au besoin, après avoir recouru en temps utile contre la décision sur opposition du 12.03.2021, il aurait pu demander au tribunal des assurances de suspendre la procédure jusqu’à ce que le Tribunal de prud’hommes ait rendu un jugement ou que les parties aient trouvé un accord. Pour des raisons inexplicables, il n’a non seulement pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 mais il a en outre attendu près de six mois après cette décision pour ouvrir action contre son ancien employeur devant le Tribunal de prud’hommes. L’assuré ne saurait cependant faire reposer sa demande de révision sur un élément qu’il aurait, à tout le moins, pu tenter d’invoquer dans le cadre de la procédure initiale. Il faut dès lors conclure à un manque de diligence de sa part puisque la découverte des éléments prétendument nouveaux sur lesquels il fonde sa demande de révision résulte de démarches qui auraient pu et dû être effectuées durant la procédure précédente. La voie de la révision ne constitue pas uniquement la continuation de la procédure précédente, mais bel et bien un moyen de droit extraordinaire et il appartient ainsi aux parties de contribuer en temps utile à l’établissement des faits litigieux conformément aux règles de procédure applicables (arrêt 8C_334/2013 déjà cité consid. 3.3 et les références).

Consid. 6
Compte tenu de ce qui précède, c’est de manière contraire au droit fédéral que la juridiction cantonale a admis que l’on était en présence d’un nouveau moyen de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Il s’ensuit que le recours est bien fondé.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_188/2023 consultable ici