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8C_57/2023 (f) du 17.04.2023 – Aptitude au placement d’un assuré suivant une formation universitaire – 8 LACI – 15 LACI / Obligation de diminuer le dommage

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_57/2023 (f) du 17.04.2023

 

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Aptitude au placement d’un assuré suivant une formation universitaire / 8 LACI – 15 LACI

Obligation de diminuer le dommage

 

Assuré, né en 1986, a obtenu en juin 2021 un diplôme en enseignement pour le degré secondaire II dans la discipline Philosophie. Le 30.07.2021, il s’est annoncé comme demandeur d’emploi à 100% auprès de l’ORP et a revendiqué les prestations de l’assurance-chômage dès le 01.08.2021. Lors d’un entretien de contrôle du 28.04.2022, il a informé sa conseillère ORP avoir commencé une formation universitaire au mois de mars 2022 dans le but de participer à un programme de rattrapage spécifique à la psychologie afin de pouvoir l’enseigner ensuite dans la cadre de sa profession d’enseignant en philosophie.

Dans le cadre de l’examen de l’aptitude au placement initié par le Service de l’emploi (ci-après: SDE; depuis le 01.07.2022: Direction générale de l’emploi et du marché du travail [ci-après: DGEM]), l’assuré a entre autres expliqué suivre les cours les lundis de 12h 15 à 16h 00, les mardis de 8h 30 à 10h 00, les mercredis de 14h 15 à 16h 00 et les vendredis de 14h 15 à 18h 00. Il a également indiqué qu’il était disponible pour exercer une activité salariée à un taux de 100%, qu’il recherchait des emplois dans le domaine de l’enseignement en philosophie et qu’il renoncerait dans tous les cas à sa formation si un poste d’enseignant de philosophie se présentait ou si une mesure de l’ORP débouchait sur un poste d’enseignant de philosophie ou augmentait son employabilité davantage que la formation effectuée actuellement pour accéder à un poste d’enseignant de philosophie.

Par décision, confirmée sur opposition, le SDE a déclaré l’assuré apte au placement pour une disponibilité de 60% à compter du 21.02.2022, au motif que la formation suivie rendait hypothétique la reprise d’une activité salariée à un taux de 100%.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 135/22 – 188/2022 – consultable ici)

Par jugement du 19.12.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré a droit à l’indemnité de chômage si, entre autres conditions, il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire (art. 15 al. 1 LACI). L’aptitude au placement comprend ainsi un élément objectif et un élément subjectif: la capacité de travail d’une part, c’est-à-dire la faculté d’exercer une activité lucrative salariée sans que la personne assurée en soit empêchée pour des causes inhérentes à sa personne, et d’autre part la disposition à accepter un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, ce qui implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que la personne assurée peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 146 V 210 consid. 3.1; 125 V 51 consid. 6a).

L’aptitude au placement est évaluée de manière prospective d’après l’état de fait existant au moment où la décision sur opposition a été rendue (ATF 143 V 168 consid. 2 et les références) et n’est pas sujette à fractionnement. Soit l’aptitude au placement est donnée (en particulier la disposition à accepter un travail au taux d’au moins 20% d’une activité à plein temps, cf. art. 5 OACI), soit elle ne l’est pas (ATF 143 V 168 consid. 2; 136 V 95 consid. 5.1). Lorsqu’un assuré est disposé à n’accepter qu’un travail à temps partiel (d’un taux d’au moins 20%) il convient non pas d’admettre une aptitude au placement partielle pour une perte de travail de 100%, mais, à l’inverse, d’admettre purement et simplement l’aptitude au placement de l’intéressé dans le cadre d’une perte de travail partielle (ATF 145 V 399 consid. 2.2; 136 V 95 consid. 5.1). C’est sous l’angle de la perte de travail à prendre en considération (cf. art. 11 al. 1 LACI) qu’il faut, le cas échéant, tenir compte du fait qu’un assuré au chômage ne peut ou ne veut pas travailler à plein temps (ATF 126 V 124 consid. 2; cf. BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 9 ad art. 11 LACI et n° 5 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.2
Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage (sans que les conditions des art. 59 ss LACI soient réalisées), il doit, pour être reconnu apte au placement, clairement être disposé – et être en mesure de le faire – à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. Cette question doit être examinée selon des critères objectifs. Une simple allégation de l’assuré ne suffit pas à cet effet (ATF 122 V 265 consid. 4; arrêts 8C_742/2019 du 8 mai 2020 consid. 3.4; 8C_56/2019 du 16 mai 2019 consid. 2.2, publié in SVR 2020 ALV n° 5 p. 15). Il faut que la volonté de l’assuré se traduise par des actes, et ce pendant toute la durée du chômage (RUBIN, op. cit., n° 19 ad art. 15 LACI; arrêt 8C_82/2022 du 24 août 2022 consid. 4.1, in SVR 2022 ALV n° 37 p. 127). Pour juger si l’assuré remplit cette condition, il faut examiner toutes les circonstances, notamment le coût de la formation, l’ampleur de celle-ci et le moment de la journée où elle a lieu, la possibilité de remboursement partiel en cas d’interruption de celle-ci, les clauses contractuelles relatives au délai de résiliation (s’il existe un contrat écrit) et le comportement de l’assuré (RUBIN, op. cit., n° 50 ad art. 15 LACI et les références; arrêt 8C_474/2017 du 22 août 2018 consid. 5.2), en particulier s’il poursuit ses recherches d’emploi de manière qualitativement et quantitativement satisfaisante (arrêts 8C_933/2008 du 27 avril 2009 consid. 4.3.2; C 149/00 du 7 février 2001 consid. 2a, in DTA 2001 p. 230).

Consid. 4.3
L’application des dispositions légales et de leur concrétisation jurisprudentielle sur l’aptitude au placement est une question de droit (ATF 146 V 210 consid. 3.3; arrêt 8C_337/2019 du 13 septembre 2019 consid. 3.4). Cette question est examinée sur la base des faits établis par l’autorité précédente, à moins que ces faits aient été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF et que la correction du vice soit susceptible d’influer sur le sort de la cause, ce qu’il appartient à l’assuré de démontrer de manière claire et circonstanciée (cf. consid. 2.1 supra).

Consid. 5.3
Il est notoire qu’en règle générale les taxes d’inscription et taxes semestrielles des universités suisses sont modiques (surtout en comparaison avec celles de certaines universités étrangères), qu’une exmatriculation est en principe possible pour chaque semestre et qu’il n’existe pas d’obligation générale de présence pour tous les cours universitaires. En l’occurrence, la cour cantonale n’a certes pas examiné plus avant s’il en allait ainsi dans le cas d’espèce. Or cette omission n’apparaît pas critiquable au vu des réserves émises par ce dernier concernant les conditions dans lesquelles il serait disposé à renoncer à cette formation, soit qu’un poste d’enseignant de philosophie se présenterait à lui, soit qu’une mesure de l’ORP déboucherait sur un poste d’enseignant de philosophie ou augmenterait son employabilité davantage que la formation actuelle pour accéder à un poste d’enseignant de philosophie. Par ailleurs, l’assuré renforce ces réserves dans son recours: Ainsi, il les qualifie de « parfaitement raisonnables » et indique qu’elles « manifestaient simplement sa volonté de quitter le chômage le plus rapidement possible, de participer aux mesures lui permettant d’augmenter son employabilité de manière au moins aussi bonne que la formation en cours et de respecter son obligation légale de réduire le plus rapidement possible son chômage ».

On rappellera à ce propos que le devoir de diminuer le dommage à l’assurance oblige l’assuré qui fait valoir des prestations d’assurance – entre autres – à chercher du travail, au besoin en dehors de la profession qu’il exerçait précédemment (art. 17 al. 1, 2e phrase LACI), et à accepter en règle générale immédiatement tout travail convenable (art. 16 al. 1 et 2 LACI). Ces obligations ne doivent certes pas être appliquées trop strictement au début de la recherche d’emploi compte tenu de l’art. 16 al. 2 let. b et d LACI (ATF 139 V 524 consid. 2.1.3). Assez rapidement, les recherches d’emploi doivent cependant aussi porter sur d’autres activités que celle exercée précédemment. Cette obligation d’élargir le champ de recherches de travail vaut également pour les personnes actives dans des domaines où le marché du travail est étroit (spécialistes, intermittents du spectacle, sportifs de haut niveau etc.), et ce même si les personnes en question ont investi beaucoup de temps et d’argent dans leur formation (RUBIN, op. cit., n° 27 ad art. 17 LACI).

Consid. 5.4
Vu que l’aptitude au placement doit être évaluée de manière prospective et compte tenu des exigences sévères du devoir de limiter le dommage, on ne voit pas que la cour cantonale soit tombée dans l’arbitraire en déduisant des affirmations de l’assuré, selon lesquelles il était prêt à renoncer à sa formation d’une durée de quatre semestres s’il se présentait un emploi ou une mesure de l’ORP répondant à ses critères spécifiques, qu’il n’aurait pas été prêt à interrompre sa longue formation à bref délai, à l’exception des réserves émises, et qu’il n’était donc disponible qu’à un taux de 60%.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_57/2023 consultable ici

 

8C_409/2022 (f) du 03.05.2023 – Statut de travailleur dépendant vs d’indépendant pour une personne assurée exerçant plusieurs activités lucratives en même temps / 1a al. 1 LAA – 1 OLAA – 5 al. 2 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_409/2022 (f) du 03.05.2023

 

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Statut de travailleur dépendant vs d’indépendant pour une personne assurée exerçant plusieurs activités lucratives en même temps / 1a al. 1 LAA – 1 OLAA – 5 al. 2 LAVS

Risque économique d’entrepreneur

 

B.A.__ (ci-après : le père), architecte au bénéfice d’un statut d’indépendant dès octobre 2016, est le père de A.A.__ (ci-après : le fils), né en 1988, qui exerce la profession de dessinateur en bâtiments. Père et fils collaborent dans le cadre de mandats confiés par le premier nommé.

Le fils a demandé une affiliation à l’assurance-accidents en tant qu’indépendant dès le 01.01.2017. Par courrier du 13.06.2018, puis par décision de constatation du 17.06.2019 confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a retenu un double statut du fils dès le 01.01.2017: celui d’indépendant à titre principal dans le cadre de ses mandats privés, et de salarié s’agissant de l’activité déployée dans le cadre des mandats confiés par son père.

Par décision du 21.08.2019, confirmée sur opposition le 06.01.2020 également, le père s’est vu imputer le statut d’employeur de son fils, respectivement le statut de salarié de ce dernier.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 14&15/20 – 53/2022 – consultable ici)

Par jugement du 09.05.2022, admission des recours du père et du fils par le tribunal cantonal, réformant en ce sens que le fils remplissait, au sens de la LAA, les critères pour se voir reconnaître l’exercice d’une activité indépendante dans le cadre des mandats qui lui étaient confiés par son père.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire conformément à la présente loi les travailleurs occupés en Suisse. Aux termes de l’art. 1 OLAA, est réputé travailleur quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants. Conformément à l’art. 5 al. 2 LAVS, on considère comme salaire déterminant toute rétribution pour un travail dépendant effectué dans un temps déterminé ou indéterminé. Quant au revenu provenant d’une activité indépendante, il comprend tout revenu du travail autre que la rémunération pour un travail accompli dans une situation dépendante (art. 9 al. 1 LAVS).

Consid. 3.2
Le point de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée ne doit pas être tranché d’après la nature juridique du rapport contractuel entre les partenaires. Ce qui est déterminant, bien plutôt, ce sont les circonstances économiques (ATF 144 V 111 consid. 4.2; 140 V 241 consid. 4.2). D’une manière générale, est réputé salarié celui qui dépend d’un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, et ne supporte pas le risque encouru par l’entrepreneur (ATF 123 V 161 consid. 1; arrêt 9C_70/2022 du 16 février 2023 consid. 6.2, destiné à la publication; arrêts 9C_423/2021 du 1er avril 2022 consid. 6.1; 8C_38/2019 du 12 août 2020 consid. 3.2). Ces principes ne conduisent cependant pas, à eux seuls, à des solutions uniformes applicables schématiquement. Les manifestations de la vie économique revêtent en effet des formes si diverses qu’il faut décider dans chaque cas particulier si l’on est en présence d’une activité dépendante ou d’une activité indépendante en considérant toutes les circonstances de ce cas. Souvent, on trouvera des caractéristiques appartenant à ces deux genres d’activité; pour trancher la question, on se demandera quels éléments sont prédominants dans le cas considéré (ATF 140 V 108 consid. 6; 123 V 161 consid. 1; arrêt 8C_398/2022 du 2 novembre 2022 consid. 3.2 et les références).

Consid. 3.3
Les principaux éléments qui permettent de déterminer le lien de dépendance quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise sont le droit de l’employeur de donner des instructions, le rapport de subordination du travailleur à l’égard de celui-ci, ainsi que l’obligation de l’employé d’exécuter personnellement la tâche qui lui est confiée. Un autre élément est le fait qu’il s’agit d’une collaboration régulière, autrement dit que l’employé est régulièrement tenu de fournir ses prestations au même employeur. En outre, la possibilité pour le travailleur d’organiser son horaire de travail ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’une activité indépendante (ATF 122 V 169 consid. 6a/cc; arrêts 8C_398/2022 précité consid. 3.3; 8C_38/2019 précité consid. 3.2; 9C_213/2016 du 17 octobre 2016 consid. 3.3 et les références).

Consid. 3.4
Le risque économique d’entrepreneur peut être défini comme étant celui que court la personne qui doit compter, en raison d’évaluations ou de comportements professionnels inadéquats, avec des pertes de la substance économique de l’entreprise. Constituent notamment des indices révélant l’existence d’un tel risque le fait que la personne concernée opère des investissements importants, subit les pertes, supporte le risque d’encaissement et de ducroire, assume les frais généraux, agit en son propre nom et pour son propre compte, se procure elle-même les mandats, occupe du personnel et utilise ses propres locaux commerciaux. Le risque économique de l’entrepreneur n’est cependant pas à lui seul déterminant pour juger du caractère dépendant ou indépendant d’une activité. La nature et l’étendue de la dépendance économique et organisationnelle à l’égard du mandant ou de l’employeur peuvent singulièrement parler en faveur d’une activité dépendante dans les situations dans lesquelles l’activité en question n’exige pas, de par sa nature, des investissements importants ou de faire appel à du personnel. En pareilles circonstances, il convient d’accorder moins d’importance au critère du risque économique de l’entrepreneur et davantage à celui de l’indépendance économique et organisationnelle (arrêts 8C_398/2022 précité consid. 3.4; 9C_213/2016 précité consid. 3.4 et les références).

Consid. 3.5
Si une personne assurée exerce plusieurs activités lucratives en même temps, la qualification du statut ne doit pas être opérée dans une appréciation globale. Il sied alors d’examiner pour chaque revenu séparément s’il provient d’une activité dépendante ou indépendante (ATF 144 V 111 consid. 6.1; 123 V 161 consid. 4a; 122 V 169 consid. 3b; arrêt 8C_804/2019 du 27 juillet 2020 consid. 3.2).

 

Consid. 5.2.1
Ainsi, concernant le matériel et les locaux nécessaires à travailler en indépendance énumérés par la cour cantonale, l’assurance-accidents mentionne que le fils ne disposait pas de cette infrastructure dès le début de son activité au 01.01.2017 et qu’il n’a effectué la majorité de ces investissements que vers la fin de la période litigieuse. En effet, en janvier 2017, le fils ne disposait que d’un ordinateur et d’un abonnement à un logiciel de conception, selon ses propres déclarations, et il n’a effectué les autres investissements que vers la fin de la période litigieuse. Ainsi, selon l’avenant au contrat de bail à loyer figurant au dossier, il ne louait un local que depuis le 01.09.2019. De même, ce n’est qu’à compter du 01.11.2019 qu’il a conclu un contrat en vue de bénéficier d’un site internet (nom de domaine) et d’une adresse e-mail professionnelle. En plus, il n’a acquis l’imprimante que le 02.12.2019, soit quelques semaines avant la fin de la période litigieuse. En outre, la somme totale des investissements opérés par le fils, surtout au début de son activité, était manifestement très modeste, consistant en un ordinateur d’une valeur d’environ 1’000 fr. et un logiciel de 400 fr. Par ailleurs, dans le cadre du questionnaire d’affiliation à la caisse cantonale vaudoise de compensation AVS pour les personnes de condition indépendante du 2 janvier 2018, le fils a indiqué qu’il exerçait son activité dans les locaux de ses mandants, lesquels étaient mis à sa disposition gratuitement. En somme, il ne disposait ni du matériel nécessaire, ni d’un site internet ou de locaux propres durant la majeure partie de la période considérée. Même si l’on admettait, à l’instar de la cour cantonale, une certaine marge de temps pour la mise en œuvre de l’activité indépendante (ce que l’assurance-accidents conteste), une telle marge ne saurait atteindre près de trois ans. La cour cantonale n’ayant pas pris en considération ces éléments, son appréciation de l’infrastructure à disposition du fils ne convainc pas.

Consid. 5.2.2
L’assurance-accidents soutient en plus que les professions auxquelles la cour cantonale apparente l’activité du fils (comme avocats, médecins, etc.) ne sauraient être considérées en soi comme indépendantes. En effet, la qualification d’une telle activité doit également être examinée au vu de toutes les circonstances économiques du cas d’espèce (ce qui vaut par ailleurs également pour les tâcherons que mentionne l’assurance-accidents: cf. ATF 101 V 87 consid. 2; arrêt 8C_597/2011 du 10 mai 2012 consid. 2.3).

Consid. 5.2.3
En ce qui concerne la constatation de la cour cantonale que le fils exerçait sous sa propre responsabilité, il sied de retenir, avec l’assurance-accidents, que cela était certes exact pour les travaux effectués pour quelques clients finaux auxquels il facturait directement ses prestations. Toutefois, s’agissant de l’activité déployée en faveur du père, seule déterminante en l’espèce, la situation était différente: Dans cette constellation, le fils travaillait uniquement pour le père – et non pour les clients finaux à l’égard desquels il n’avait aucune obligation juridique. Il ressort des factures présentes au dossier que, dans le cadre de ces mandats, il facturait toujours ses prestations au père et jamais aux clients finaux et qu’il n’a jamais facturé de frais pour l’impression de plans auprès d’imprimeurs, mais se limitait à rapporter ses heures de travail, exactement comme le font les travailleurs rémunérés à l’heure. Pour son travail confié par le père, le seul risque qu’il encourait était donc celui d’un salarié dont l’employeur ne s’acquitte pas du salaire pour un travail accompli. Dans le questionnaire du 30.04.2018, le fils a en outre indiqué que les « plans fournis doivent être en règle, bien que la responsabilité finale repose sur les architectes avec qui je travaille ». Force est de constater que la cour cantonale n’a pas non plus discuté ces éléments dans son appréciation de la responsabilité du fils. En ce qui concerne la conclusion d’un contrat d’assurance RC, l’assurance-accidents souligne à juste titre que c’est cohérent dès lors que le fils avait un statut mixte et qu’il exerçait en qualité d’indépendant pour certains clients envers lesquels il était responsable, tandis qu’il n’avait aucun lien avec les clients du père. Les conclusions de la cour cantonale concernant sa responsabilité à l’égard des clients du père ne sauraient ainsi être confirmées.

Consid. 5.2.4
Ni l’assurance-accidents ni la cour cantonale n’ont considéré comme déterminant le lien de filiation entre père et fils. Est en revanche pertinent le lien de dépendance économique de celui-ci à l’égard de celui-là. En effet, il ressort de l’analyse des factures que le fils a tiré 64% de ses revenus du travail confié par le père en 2017, 90% en 2018 et 34% en 2019. La cour cantonale ne s’est pas non plus prononcée sur ce fait, qui est pourtant décisif dès lors qu’il établit la régularité et l’importance des relations de travail entre les intimés, respectivement la dépendance économique du fils à l’égard du père.

Consid. 5.2.5
Enfin, la cour cantonale n’a pas non plus tenu compte du fait que, selon les renseignements donnés par le fils lui-même, il était tenu à une exécution personnelle du travail qui lui était confié – ce qui est caractéristique d’un contrat de travail – et qu’il ne sollicitait pas régulièrement de travaux au moyen d’annonces, de prospectus, d’un site web propre ou par tout autre biais. Or ces éléments plaident également en faveur du caractère dépendant de l’activité déployée par le fils pour le compte du père.

Consid. 5.3
En résumé, dans son appréciation, la cour cantonale n’a ni discuté ni pris en considération les nombreux éléments (ressortant des décisions sur opposition, du dossier et des mémoires de l’assurance-accidents dans la procédure cantonale) en faveur d’une activité dépendante: l’absence de matériel et de locaux propres durant l’essentiel de la période, l’absence d’investissements importants, surtout au début de la période litigieuse, l’absence de responsabilité personnelle du fils envers les clients finaux dans le cadre des mandats confiés par le père, la régularité de la relation de travail entre les parties intimées, la dépendance économique importante du fils, l’obligation d’exécution personnelle du travail et l’absence de recherche active de nouveaux mandats. Or, dans leur ensemble, ces éléments l’emportent sur les éléments qui iraient dans le sens de l’indépendance du fils envers le père. Ainsi, force est de constater que dans le cadre des mandats que lui avait confiés le père, le fils devait être qualifié de dépendant. Il en résulte que l’appréciation juridique effectuée par la cour cantonale se révèle insoutenable et contraire au droit fédéral, ce qui mène à l’admission du recours.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme les décisions sur opposition.

 

Arrêt 8C_409/2022 consultable ici

 

8C_687/2022 (f) du 17.04.2023 – Suspension du droit à l’indemnité de chômage – Travail convenable – Calcul de la durée de déplacement – +/- 2h par trajet / 16 LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_687/2022 (f) du 17.04.2023

 

Consultable ici

 

Suspension du droit à l’indemnité de chômage – Travail convenable – Calcul de la durée de déplacement – +/- 2h par trajet / 16 LACI

 

 

Assurée, née en 1966, divorcée et mère de deux filles nées en 2000 et 2003, licenciée en droit, a requis des indemnités journalières de l’assurance-chômage dès le 01.04.2021, en indiquant être disposée à travailler à un taux d’activité de 100%. En parallèle, depuis le 14.04.2021, elle occupait un poste de conseillère juridique à un taux d’activité de 60%.

Première suspension du droit à l’indemnité de chômage, durant 1 jour, en raison de recherches insuffisantes (décision du 10.05.2021, confirmée sur opposition le 02.09.2021).

Du 14.07.2021 au 14.09.2021, l’office des poursuites a saisi les indemnités de chômage de l’intéressée dépassant le minimum vital de celle-ci fixé à 4’206 francs.

Par assignation du 19.10.2021, l’ORP de l’Office du marché de travail a enjoint à l’assurée de déposer sa candidature jusqu’au 27.10.2021 pour un poste de juriste à 100% auprès de l’Office cantonal. Le 29.10.2021, le conseiller ORP de l’assurée a appris qu’elle avait déposé sa candidature le même jour, raison pour laquelle celle-ci n’avait pas pu être prise en compte pour le poste.

L’Office des relations et des conditions de travail (ci-après: l’ORCT) a donné à l’assurée l’occasion de se prononcer. Dans ses observations du 15.11.2021, celle-ci a indiqué qu’elle avait demandé à son conseiller ORP de lui laisser un délai jusqu’à fin octobre pour déposer sa candidature compte tenu de ses obligations professionnelles et familiales; par ailleurs, elle estimait qu’il s’agissait d’un travail non convenable, vu que le lieu de travail se trouvait à plus de deux heures de trajets en transports publics depuis son domicile.

Par décision, confirmée sur opposition, l’ORCT a retenu qu’il ne ressortait pas du dossier qu’un délai jusqu’à fin octobre aurait été accordé à l’assurée, que l’envoi du dossier de candidature le 29.10.2021 était dès lors tardif et que le travail était convenable. Il a en outre retenu que l’assurée avait adopté un comportement fautif, qu’elle devait être tenue pour responsable de l’échec de l’engagement et être suspendue durant 34 jours indemnisables, en précisant que la faute était grave et que le fait que son droit ait été suspendu une fois au cours des deux dernières années constituait une circonstance aggravante.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 19.10.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 17 al. 1, première phrase LACI, l’assuré qui fait valoir des prestations d’assurance doit, avec l’assistance de l’office du travail compétent, entreprendre tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de lui pour éviter le chômage ou l’abréger.

Consid. 3.2
L’art. 16 al. 1 LACI dispose qu’en règle générale, l’assuré doit accepter immédiatement tout travail en vue de diminuer le dommage. L’alinéa 2 de cette disposition précise que n’est pas réputé convenable et, par conséquent, est exclu de l’obligation d’être accepté, tout travail qui, notamment, nécessite un déplacement de plus de deux heures pour l’aller et de plus de deux heures pour le retour et qui n’offre pas la possibilité de logement appropriés au lieu de travail, ou qui, si l’assuré bénéficie d’une telle possibilité, ne lui permet de remplir ses devoirs envers ses proches qu’avec de notables difficultés (let. f).

À cet égard, le Tribunal fédéral a admis que dans certaines circonstances, on peut exiger d’un assuré qu’il utilise sa voiture privée, pour autant que sa situation financière lui permette d’assumer les charges liées à son utilisation sans porter atteinte à son minimum vital, qui inclut son devoir d’entretien à l’égard des membres de sa famille (arrêt C 386/00 du TFA du 16 mai 2001 consid. 3a).

 

Consid. 4.3
En l’occurrence, ni la cour cantonale ni les parties remettent en cause le fait qu’en transports publics, le trajet depuis le domicile de l’assurée jusqu’au lieu de travail pour le poste assigné prend – en fonction des correspondances proposées sur le site internet des CFF – plus de deux heures, ce qui se situe à la limite de ce qui est exigible d’une personne assurée. Avec l’ORCT, les juges cantonaux ont toutefois retenu qu’on pouvait exiger de l’assurée qu’elle utilise son véhicule privé pour effectuer les trajets qui prendraient 1 heure et 23 minutes. Ils ont ainsi écarté les arguments avancés par l’assurée. Les juges cantonaux ont aussi écarté le grief invoqué par l’assurée concernant son devoir d’entretien à l’égard de sa fille et de sa mère: en effet, la première était majeure en octobre 2021; quant à la seconde, le fait que celle-ci doive subir une intervention chirurgicale en février 2021 et que l’État de Neuchâtel soutenait l’investissement des proches aidants ne prouvait pas que l’assurée assumait ce rôle et au demeurant ne constituait pas une circonstance permettant de qualifier l’emploi de non convenable, preuve en était d’ailleurs qu’elle avait postulé audit emploi.

 

Consid. 4.4
En l’état du dossier, on ne saurait confirmer le raisonnement de la cour cantonale.

On rappellera que le juge appelé à connaître de la légalité d’une décision rendue par les organes de l’assurance sociale doit apprécier l’état de fait déterminant existant au moment de la décision sur opposition, soit en l’occurrence les faits, tels qu’ils se présentait au 14.02.2022 (ATF 129 V 167 consid. 1; 121 V 366 consid. 1b). Devant la cour cantonale, l’assurée a produit une attestation du 26.11.2021 qui lui a été délivrée par le service cantonal des automobiles, confirmant que les plaques minéralogiques avaient été déposées le 16.07.2021 et que la situation était inchangée depuis. Elle a également produit une facture datée du 04.06.2021, établie en faveur du D.___ d’un montant de 338 fr. 85, qui était adressée aux « EMPLOYES MERCEDES ».

Avec les juges cantonaux, il sied de constater que l’assurée a prouvé, au degré requis de la vraisemblance prépondérante (ATF 129 V 177 consid. 3.1 et les arrêts cités), qu’au moment de son assignation, le 19.10.2021, elle ne disposait plus de son véhicule privé, qui lui aurait le cas échéant permis d’effectuer les trajets entre son domicile et son potentiel lieu de travail. Toutefois, en ce qui concerne les motifs qui l’ont conduite à déposer les plaques minéralogiques de son véhicule, les juges cantonaux ne pouvaient pas se limiter à constater qu’avec la facture du D.________ SA du 04.06.2021, l’assurée n’avait « nullement démontré que l’utilisation d’un véhicule privé porterait atteinte à son minimum vital ». En effet, celle-ci a régulièrement invoqué ses problèmes financiers devant son conseiller ORP, puis elle a dûment allégué devant la cour cantonale ne pas disposer de moyens financiers suffisants afin de faire expertiser le véhicule pour en trouver la panne. Cette allégation paraît pour le moins plausible, compte tenu des pièces versées au dossier de l’ORCT, dont il ressort notamment que l’indemnité de chômage versée à l’assurée a fait l’objet d’une saisie par l’office des poursuites entre le 14.07.2021 et le 14.09.2021.

Dans ces conditions, conformément à la maxime inquisitoire, il appartenait aux juges cantonaux d’établir avec la collaboration des parties les faits déterminants pour la solution du litige (art. 61 let. c LPGA), en particulier la capacité financière de l’assurée à récupérer l’usage de son véhicule et à en supporter les charges sans porter atteinte à son minimum vital, compte tenu de son devoir d’entretien à l’égard des membres de sa famille. Quant à ce dernier point, on relèvera par surabondance qu’on ne saurait uniquement se fonder sur l’âge de la fille de l’assurée, qui a atteint la majorité en octobre 2021, pour en conclure que sa mère est déliée de toute obligation d’entretien, en particulier si la fille n’a pas encore terminé sa formation (cf. art. 277 al. 2 CC), comme cela ressort de l’attestation du lycée pour l’année scolaire 2021/2022. Il conviendra également d’instruire les faits liés à un éventuel devoir d’assistance de l’assurée à l’égard de sa mère.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_687/2022 consultable ici

 

8C_70/2022 (f) du 05.04.2023 – Troubles psychiques – Indemnité en capital – 23 LAA / Conditions de l’octroi de l’indemnité en capital – Pronostic favorable quant à une reprise du travail par le biais de l’art. 23 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_70/2022 (f) du 05.04.2023

 

Consultable ici

 

Troubles psychiques – Indemnité en capital / 23 LAA

Conditions de l’octroi de l’indemnité en capital – Pronostic favorable quant à une reprise du travail par le biais de l’art. 23 LAA

 

Le 16.09.2015, l’assuré, né en 1977, machiniste intérimaire, a été victime, le 21.10.2015, d’un accident de chantier dans les circonstances suivantes. Il s’agissait de travaux d’excavation dans le cadre de la construction d’un immeuble. Sur instruction du contremaître du chantier, l’assuré a fait descendre un dumper (véhicule équipé d’une benne basculante) en marche avant sur la rampe d’accès à l’excavation de manière à rapprocher la benne de la pelle mécanique qui était positionnée sur le replat de la rampe au niveau du premier sous-sol. A la suite du déversement de deux godets de terre dans la benne du dumper, l’arrière de celui-ci s’est soulevé et l’assuré a été éjecté du véhicule, chutant au fond de la fouille. Le dumper s’est couché sur le côté droit avant de basculer et de tomber à son tour, coinçant le prénommé au niveau du bassin.

L’assuré a subi un polytraumatisme (choc hémorragique sur fracture du bassin avec atteinte sacro-iliaque droite; insuffisance respiratoire aiguë sur contusions pulmonaires et syndrome du compartiment abdominal; déchirure traumatique du mésentère avec ischémie grêle; fracture des arcs costaux antérieurs 7, 8 et 9 à gauche; fractures des apophyses transverses gauches L1 et L2; rupture traumatique de la paroi postérieure de la vessie). L’assuré a été intubé jusqu’au 12.11.2015 et a subi dix interventions chirurgicales ; diverses complications sont apparues au cours de cette période. Avec l’accord de l’assurance-accidents, l’assuré a été transféré le 18.12.2015 dans un hôpital en France où il est resté hospitalisé jusqu’en février 2016 pour la suite de son traitement médical et sa rééducation. Globalement, une bonne récupération motrice a été constatée, avec toutefois un déficit moteur des releveurs des pieds et une neuropathie des deux nerfs sciatiques poplités externes (SPE). L’assuré a ensuite séjourné à la Clinique romande de réadaptation (CRR) du 18.10.2016 au 25.11.2016. Sur le plan somatique, les médecins de la CRR ont retenu des limitations fonctionnelles provisoires et ont émis un pronostic de réinsertion défavorable dans l’ancienne activité, mais favorable dans une activité adaptée; une stabilisation était attendue dans un délai de 6 mois et un nouveau séjour de l’assuré à la CRR était préconisé après cette stabilisation. Dans un consilium psychiatrique, le médecin a relevé peu d’éléments du registre post-traumatique et une humeur globalement préservée; elle n’a posé aucun diagnostic psychiatrique.

Examen le 04.12.2017 par le médecin-conseil de l’assurance-accidents : état stabilisé avec persistance d’une atteinte du SPE à gauche et des douleurs sacro-iliaques surtout à gauche. Capacité de travail 100% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (activité sédentaire ou semi-sédentaire avec possibilité d’alterner les positions debout/assise; éviter les travaux penché en avant, la marche en terrain irrégulier et le port de charges supérieures à 20 kg). IPAI évaluée à 19%.

Examen par le médecin-conseil psychiatre de l’assurance-accident le 23.05.2018 : présence de quelques symptômes psychiques regroupés sous le diagnostic d’épisode dépressif léger. Causalité naturelle avec l’accident admise. Test Mini-ICF-APP : seules deux capacités sur treize étaient affectées de façon plus ou moins modérée. Capacité de travail exigible : 80%. Le médecin-conseil a complété sa conclusion par la précision suivante: « cette réduction de la capacité de travail n’est pas définitive et pourrait disparaître si la situation administrative, juridique et financière de l’assuré s’améliore ou au moins permettrait des perspectives encourageantes ».

Le 02.10.2018, l’assuré s’est fait opérer pour une cure d’éventration abdominale dont les suites ont été simples.

Par décision du 09.04.2019, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une indemnité en capital de 38’626 fr. 20, calculée sur un gain assuré de 19’313 fr., pour ses troubles psychiques ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité d’un taux de 19%; elle lui a dénié le droit à une rente d’invalidité en l’absence d’une diminution de la capacité de gain atteignant au moins 10%. Par décision sur opposition du 03.03.2020, l’assurance-accidents a admis l’opposition en ce sens qu’elle a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité de 10% dès le 01.04.2019 ainsi qu’à une indemnité en capital (calculée de façon dégressive et limitée à une durée de trois ans) pour un montant total de 88’457 fr. 55; elle l’a rejetée pour le surplus.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 38/20 – 136/2021 – consultable ici)

Par jugement du 13.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 6.1.1
Selon l’art. 23 LAA, lorsqu’on peut déduire de la nature de l’accident et du comportement de l’assuré que ce dernier recouvrera sa capacité de gain s’il reçoit une indemnité unique, les prestations cessent d’être allouées et l’assuré reçoit une indemnité en capital d’un montant maximum de trois fois le gain annuel assuré (al. 1); exceptionnellement, une indemnité en capital peut être allouée alors qu’une rente réduite continue à être versée (al. 2).

Consid. 6.1.2
L’art. 23 LAA correspond dans une large mesure à l’ancien art. 82 LAMA qui, selon la jurisprudence y relative (ATF 107 V 239; 104 V 27 consid. 3; 103 V 83), était spécialement – mais pas seulement – applicable aux assurés atteints de névrose consécutivement à un accident et qui ne reprenaient pas le travail sans raisons objectives. Cette disposition se fondait sur la règle d’expérience selon laquelle, en cas de névrose, le mode de règlement par le versement d’une indemnité en capital constituait le moyen thérapeutique approprié permettant à la personne assurée – dont l’état ne pouvait plus être sensiblement amélioré par la continuation du traitement médical – de recouvrer sa capacité de travail et de gain. Etaient reconnues comme assurées deux sortes de névroses dont la pratique, en considération de l’état de la science à l’époque, admettait qu’elles pussent se trouver dans un rapport de causalité adéquate avec l’accident même sans lésion objectivable correspondante, à savoir: les névroses accidentelles, qui supposaient un choc physique grave mal supporté mentalement (Unfallneurose) ou un choc psychique violent dû à un événement extraordinaire et inattendu (Schreckneurose), et les névroses de traitement provenant d’actes médicaux inadéquats ou inutilement nombreux dont répondait l’assurance (Behandlungsneurose). N’étaient en revanche pas assurées les névroses de revendication (Begehrungsneurose) ou sinistroses, qui procédaient d’une carence de la volonté ou d’une anomalie mentale de l’intéressé. Pour que l’art. 82 LAMA fût applicable, il suffisait qu’au moment de la prise de décision de l’assureur, il parût probable – au regard de la personnalité de l’assuré et de l’expérience – que la mesure serait efficace. L’assureur était alors libéré de ses obligations par le versement de l’indemnité en capital et, sauf dans des situations exceptionnelles, ne répondait pas du fait que le pronostic ne se vérifiait pas ultérieurement. Il n’y avait lieu de faire exception à la liquidation selon l’art. 82 LAMA que lorsqu’il ressortait des déclarations claires et catégoriques d’un psychiatre que la mesure resterait sans effets dans le cas particulier.

Il ressort du message du 18 août 1976 à l’appui du projet de loi fédérale sur l’assurance-accidents que la prescription de l’art. 82 LAMA avait donné de bons résultats (FF 1976 III p. 143 ss, spécialement p. 195). L’indemnité en capital a donc été maintenue dans la LAA avec l’innovation qu’une rente d’invalidité peut être allouée en sus pour compenser l’incapacité de gain due à des séquelles somatiques coexistantes. S’agissant d’appliquer l’art. 23 LAA, le Tribunal fédéral des assurances a repris par analogie la jurisprudence relative à l’art. 82 LAMA (voir RAMA 1995 n° U 221 p. 114; arrêt U 185/98 du 25 novembre 1999). Outre les conditions tenant à l’existence d’un lien de causalité – naturelle et adéquate – entre l’atteinte à la santé entraînant l’incapacité de travail et l’accident, le versement d’une indemnité en capital en vertu de l’art. 23 LAA suppose de poser un pronostic, fondé sur la nature de l’accident et le comportement de l’assuré, quant à l’efficacité de cette mesure sur le recouvrement de la capacité de travail dudit assuré (voir JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd., Bâle 2016, n° 304 et 305 p. 996 sv; ALEXANDRA RUMO-JUNGO, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 3e éd. 2003, ad. art. 23 LAA, p. 157; GHÉLEW/RAMELET/ RITTER, Commentaire de la loi sur l’assurance-accidents [LAA], 1992, p. 177 ss; ALFRED MAURER, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, Berne 1985, p. 399 ss). Pour fonder ce pronostic, la doctrine de l’époque préconisait de prendre en considération plus largement l’ensemble des circonstances liées à la personnalité de l’assuré et de mettre en oeuvre une expertise psychiatrique (en particulier: ALFRED MAURER, op. cit., p. 404 et 406; PIERRE BRUTTIN, Névroses et assurances sociales, thèse de licence Lausanne 1985, p. 124 ss). On peut ajouter qu’à l’instar de l’ancien art. 82 LAMA, l’art. 23 LAA peut s’appliquer à d’autres affections psychiques que la névrose, pour autant que l’atteinte en cause soit susceptible d’être influencée favorablement par le versement de l’indemnité en capital, le recouvrement de la capacité de travail de l’assuré étant une condition spécifique à cette prestation (arrêt U 66/90 du 21 octobre 1991 consid. 5a; cf. également RUMO-JUNGO, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, op. cit.).

Alors que le mode de liquidation du cas d’assurance par le biais de l’indemnité en capital a joué un rôle important sous l’empire de la LAMA, il s’est considérablement amoindri après l’entrée vigueur de la LAA (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., n° 306 p. 997). Cela s’explique principalement par l’évolution de la doctrine psychiatrique qui, au cours des années 80, s’est distancée du concept de névrose tel qu’admis par la pratique de l’ancien Tribunal fédéral des assurances (cf. ULRICH MEYER, Kausalitätsfragen aus dem Gebiet des Sozialversicherungsrechts, Zurich 2013, p. 180). Y a également contribué le développement, quelques années plus tard, par ce même tribunal, d’une jurisprudence particulière en matière de causalité adéquate lorsqu’un assuré présente une atteinte psychique consécutivement à un accident (ATF 115 V 133; 117 V 359). En effet, cette jurisprudence, qui a toujours cours actuellement, conduit dans de nombreux cas à nier l’ouverture d’un droit aux prestations en raison d’un défaut d’un lien de causalité adéquate entre l’affection psychique et l’accident. Aussi la disposition de l’art. 23 LAA est-elle tombée en désuétude, bien qu’elle soit toujours en vigueur et que certains auteurs proposent d’en raviver l’application en présence de tableaux cliniques non objectivables (voir THOMAS FLÜCKIGER, in Commentaire bâlois, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 5 ad art. 23 LAA avec les références).

Consid. 6.4
En l’espèce, le médecin-conseil psychiatre et un des médecins de l’assuré n’ont pas repris à leur compte le diagnostic de névrose post-traumatique attesté par le médecin traitant de l’assuré. Ils sont d’accord pour dire que l’assuré présente une diminution de la capacité de travail de 20% dans toute activité autre que celle de conducteur d’engin à raison de troubles psychiques, même si les deux psychiatres ne posent pas le même diagnostic (épisode dépressif léger pour le premier, stress post-traumatique pour le second). Ils retiennent également l’existence d’un lien de causalité naturelle entre ces troubles et l’accident assuré. Quant au lien de causalité adéquate, il a été implicitement admis par l’assurance-accidents, qui a octroyé l’indemnité en capital. Toutefois, ce mode de liquidation du cas d’assurance suppose d’examiner si la mesure est susceptible de favoriser le recouvrement de la capacité de travail de l’assuré compte tenu de l’ensemble des circonstances liées à sa personnalité et de la nature de l’accident. Au regard de l’évolution qu’a connue la pratique psychiatrique, il y a lieu de se montrer strict à cet égard. Or, à la lecture du rapport du médecin-conseil psychiatre, force est de constater qu’il a porté son examen sur la question de la causalité naturelle et de la capacité de travail de l’assuré, mais qu’il n’a pas dirigé son analyse du cas sur la question de l’efficacité du versement d’une indemnité en capital. A elle seule, la constatation du médecin-conseil psychiatre, selon laquelle la situation juridique compliquée de l’assuré et l’inquiétude de celui-ci au sujet de ses perspectives financières et de réinsertion professionnelle sont des facteurs de frein pour la résolution de ses symptômes dépressifs, est insuffisante pour en déduire un pronostic favorable quant à une reprise du travail par le biais de l’art. 23 LAA (pour un exemple contraire voir l’arrêt U 88/91 du 10 décembre 1991).

En l’absence d’un pronostic dûment fondé permettant de considérer que le versement d’une indemnité en capital constituerait en l’espèce une mesure efficace pour favoriser la résolution des troubles psychiques en cause, c’est à tort que la cour cantonale a admis que les conditions d’application de l’art. 23 LAA étaient réunies. Cela étant, au regard des éléments déjà admis par l’assurance-accidents, celle-ci n’est pas libérée de son obligation de prester pour ces troubles et il lui appartient d’examiner le droit à une rente d’invalidité qui en découle (art. 18 LAA) ainsi que le droit éventuel de l’assuré à une indemnité pour atteinte à l’intégrité sur le plan psychique (art. 24 LAA; art. 36 al. 1 et 3 OLAA; ATF 124 V 29).

 

Le TF admet le recours de l’assuré sur ce point.

 

 

Arrêt 8C_70/2022 consultable ici

 

9C_248/2022 (f) du 25.04.2023 – Détermination du statut mixte – Première version des propos de l’assurée / Obligation de réduire le dommage – Aide apportée par les proches de la personne assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_248/2022 (f) du 25.04.2023

 

Consultable ici

 

Détermination du statut mixte – Première version des propos de l’assurée – « expérience générale de la vie » vs appréciation des preuves concrètes / 28a al. 3 LAI – 27bis RAI

Obligation de réduire le dommage dans la partie « ménagère » – Aide apportée par les proches de la personne assurée – Examen en détail par le TF – Pas de changement de jurisprudence

Pas de discrimination directe ou indirecte des femmes s’occupant de leur ménage

 

Souffrant d’une sclérose en plaques, l’assurée, née en 1971, a travaillé à 80% comme responsable des services courriers et économat. En arrêt de travail à 100% depuis le 26.11.2018, puis à 40% (de son taux d’activité de 80%) depuis le 22.12.2018, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 13.05.2019. Depuis le 01.11.2019, elle travaille à 50% (de son taux d’activité de 80%).

L’office AI a recueilli l’avis des médecins-traitants puis soumis le dossier à son Service médical régional (SMR). Il a ensuite réalisé le 05.08.2020 une évaluation économique sur le ménage (rapport du 12.08.2020, complété le 20.05.2021). Par décisions des 16.06.2021 et 06.07.2021, l’office AI a, en application de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, alloué à l’assurée une demi-rente de l’assurance-invalidité à compter du 01.11.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 275/21 – 94/2022 – consultable ici)

Par jugement du 22.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assurée reproche tout d’abord à la juridiction cantonale d’avoir retenu qu’elle aurait exercé – sans atteinte à la santé – une activité lucrative à 80% et consacré le 20% de temps restant à ses tâches ménagères. Elle soutient que la juridiction cantonale a arbitrairement omis de prendre en considération le fait qu’elle avait été contrainte de réduire son taux d’activité à 80% lors de la naissance de son fils. Or, selon l’expérience générale de la vie, elle aurait exercé une activité à plein temps dès le seizième anniversaire de celui-ci.

Consid. 4.3
En l’espèce, l’assurée ne conteste nullement avoir indiqué les 18.06.2019 et 05.08.2020 qu’elle aurait travaillé – sans atteinte à la santé – à temps partiel (80%) pour des raisons financières et par intérêt personnel. En se limitant à indiquer que la juridiction cantonale a omis de constater qu’elle avait réduit son taux d’activité à la naissance de son fils, elle n’établit en outre pas en quoi il serait arbitraire de se fonder sur ses déclarations initiales pour retenir qu’elle aurait maintenu son taux d’activité de 80% au-delà du seizième anniversaire de celui-ci, afin de conserver un équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée. En présence de deux versions différentes et contradictoires d’un fait, la juridiction cantonale ne tombe en particulier pas dans l’arbitraire en accordant la préférence à celle que la personne assurée a donnée alors qu’elle en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être consciemment ou non le fruit de réflexions ultérieures (ATF 121 V 45 consid. 2a; arrêt 9C_926/2015 du 17 octobre 2016 consid. 4.2.4). En d’autres termes, en se bornant à opposer « l’expérience générale de la vie » à l’appréciation des preuves concrètes opérée par la juridiction cantonale, l’assurée n’établit pas l’arbitraire de l’appréciation des premiers juges. Mal fondé, le grief doit être rejeté.

 

Consid. 5.1
Invoquant une violation des art. 8 et 9 Cst., l’assurée demande ensuite la modification de la jurisprudence consacrée à l’obligation de diminuer le dommage en ce sens qu’il soit fait abstraction de l’aide apportée par les proches de la personne assurée dans le calcul du degré d’invalidité pour la part consacrée aux activités ménagères. De par son statut d’étudiant au gymnase, elle fait valoir tout d’abord que son fils se trouve dans une situation chronophage, où les cours et la préparation des évaluations et examens exigent un investissement temporel conséquent. Elle soutient ensuite que l’art. 7 LAI, qui prévoit que l’assuré doit entreprendre tout ce qui peut être raisonnablement exigé de lui pour réduire la durée et l’étendue de l’incapacité de travail (art. 6 LPGA) et pour empêcher la survenance d’une invalidité (art. 8 LPGA), n’impose aucune obligation à d’autres personnes que la personne assurée, fussent-elles des proches vivant sous le même toit. Faute de base légale dans la LAI ou dans la LPGA, et compte tenu des critiques de la doctrine, il serait ainsi insoutenable d’imputer au degré d’invalidité de la personne assurée la potentielle aide des proches de celle-ci, de même que d’imposer une quelconque obligation de réduire un dommage à des proches qui n’en sont pas responsables. L’assurée affirme enfin que les femmes qui feraient le « choix de vivre en famille » seraient indirectement discriminées par l’obligation de diminuer le dommage à l’égard des tiers, car elles seraient majoritairement actives dans le domaine des tâches ménagères et subiraient des degrés d’invalidité plus faibles en raison de la prise en compte des prestations accrues de leurs proches.

Consid. 5.2
Un changement de jurisprudence ne se justifie, en principe, que lorsque la nouvelle solution procède d’une meilleure compréhension de la ratio legis, repose sur des circonstances de fait modifiées ou répond à l’évolution des conceptions juridiques; sinon, la pratique en cours doit être maintenue. Un changement doit par conséquent reposer sur des motifs sérieux et objectifs qui, dans l’intérêt de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne (ATF 148 V 174 consid. 7 et les références).

Consid. 5.3
En l’espèce, quoi qu’en dise l’assurée, il n’y a pas de motif de revenir sur le principe de l’obligation de diminuer le dommage tel que dégagé par la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Consid. 5.3.1
Dans l’assurance-invalidité, ainsi que dans les autres assurances sociales, on applique de manière générale le principe selon lequel un assuré doit, avant de requérir des prestations, entreprendre de son propre chef tout ce qu’on peut raisonnablement attendre d’une personne raisonnable dans la même situation, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son invalidité (ATF 141 V 642 consid. 4.3.2; 140 V 267 consid. 5.2.1; 133 V 504 consid. 4.2). Dans le cas d’une personne rencontrant des difficultés à accomplir ses travaux ménagers à cause de son handicap, le principe évoqué se concrétise notamment par l’obligation d’organiser son travail et de solliciter l’aide des membres de la famille dans une mesure convenable. Un empêchement dû à l’invalidité ne peut être admis chez les personnes qui consacrent leur temps aux activités ménagères que dans la mesure où les tâches qui ne peuvent plus être accomplies sont exécutées par des tiers contre rémunération ou par des proches qui encourent de ce fait une perte de gain démontrée ou subissent une charge excessive. L’aide apportée par les membres de la famille à prendre en considération dans l’évaluation de l’invalidité de l’assuré au foyer va plus loin que celle à laquelle on peut s’attendre sans atteinte à la santé. Il s’agit en particulier de se demander comment se comporterait une cellule familiale raisonnable si elle ne pouvait pas s’attendre à recevoir des prestations d’assurance (ATF 133 V 504 consid. 4.2 et les références). La jurisprudence ne pose pas de grandeur limite au-delà de laquelle l’aide des membres de la famille ne serait plus possible (arrêts 8C_748/2019 du 7 janvier 2020 consid. 6.6; 9C_716/2012 du 11 avril 2013 consid. 4.4). L’aide exigible de tiers ne doit cependant pas devenir excessive ou disproportionnée (ATF 141 V 642 consid. 4.3.2; cf. arrêt 9C_410/2009 du 1 er avril 2010 consid. 5.5, in SVR 2011 IV n° 11 p. 29).

Consid. 5.3.2
A l’inverse de ce que semble tout d’abord croire l’assurée, la jurisprudence ne répercute pas sur un membre de sa famille l’accomplissement de certaines activités ménagères, avec la conséquence qu’il faudrait se demander pour chaque empêchement si cette personne entre effectivement en ligne de compte pour l’exécuter en remplacement (ATF 141 V 642 consid. 4.3.2; 133 V 504 consid. 4.2; arrêts 8C_748/2019 du 7 janvier 2020 consid. 6.6; 8C_225/2014 du 21 novembre 2014 consid. 8.3.1; I 681/02 du 11 août 2003 consid. 4.4). Au contraire, la possibilité pour la personne assurée d’obtenir concrètement de l’aide de la part d’un tiers n’est pas décisive dans le cadre de l’évaluation de son obligation de réduire le dommage (arrêt 8C_879/2012 du 17 janvier 2013 consid. 4.2; cf. ATF 133 V 504 consid. 4.2; cf. aussi Circulaire de l’OFAS sur l’invalidité et les rentes dans l’assurance-invalidité [CIRAI] du 1er janvier 2022, ch. 3612 et 3614).

Ce qui est déterminant, c’est le point de savoir comment se comporterait une cellule familiale raisonnable, soumise à la même réalité sociale, si elle ne pouvait pas s’attendre à recevoir des prestations d’assurance (THOMAS ACKERMANN, Gedanken zu Mitwirkungspflicht, Schadenminderungspflicht und Untersuchungsgrundsatz, JaSo 2022 101 ss, p. 112 s.). Dans le cadre de son obligation de réduire le dommage (art. 7 al. 1 LAI), la personne qui requiert des prestations de l’assurance-invalidité doit par conséquent se laisser opposer le fait que des tiers – par exemple son conjoint (art. 159 al. 2 et 3 CC) ou ses enfants (art. 272 CC) – sont censés remplir les devoirs qui leur incombent en vertu du droit de la famille (MARCO REICHMUTH, Wie weit geht die Schadenminderungspflicht? Mit Blick auf die Rechtsprechung zur 1. Säule, Sozialversicherungsrechtstagung 2019, 2020, p. 112).

Consid. 5.3.3
Le Tribunal fédéral a en outre confirmé sa jurisprudence de manière constante (ATF 141 V 642 consid. 4.3.2; 140 V 267 consid. 5.2.1; 133 V 504 consid. 4.2). Il a donc examiné si une modification de la jurisprudence s’imposait pour conclure, à l’issue de son analyse, que tel n’était pas le cas (ATF 133 V 504 consid. 4.2 et les références). La jurisprudence continue certes de susciter des critiques d’une partie de la doctrine (parmi d’autres, voir HARDY LANDOLT, Sozialversicherungsrechtliche Schadenminderungspflicht von Angehörigen, JaSo 2021, ch. 2.1.2 p. 122; JEAN-LOUIS DUC, De l’obligation des assurés non-actifs de diminuer le dommage dans l’assurance-invalidité, PJA 2014, p. 1035). Les auteurs cités par l’assurée n’apportent cependant aucun élément nouveau qui n’aurait pas déjà été discuté et écarté par le Tribunal fédéral. De même, mise à part son désaccord avec la jurisprudence, l’assurée ne met pas en évidence de motifs sérieux et objectifs qui, dans l’intérêt de la sécurité du droit, imposeraient de procéder à un changement de jurisprudence. Singulièrement, elle n’établit nullement que l’obligation de réduire le dommage, en tant que principe général ancré à l’art. 7 al. 1 LAI, entraînerait une discrimination directe ou indirecte des femmes s’occupant de leur ménage. Elle omet en particulier le fait que la jurisprudence exige des organes de l’assurance-invalidité que ce principe ne soit pas appliqué de manière trop stricte, voire excessive ou disproportionnée (ATF 141 V 642 consid. 4.3.2; BRUNNER/VOLLENWEIDER, in Commentaire bâlois, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, n° 65 ad art. 21 LPGA; BÉATRICE DESPLAND, L’obligation de diminuer le dommage en cas d’atteinte à la santé, 2012, p. 102 ch. 3.2.2.2).

Consid. 5.4
Dans le cas présent, quoi qu’en dise l’assurée, la juridiction cantonale n’a pas attribué les tâches effectuées par sa mère à la charge de son fils, mais considéré que ce dernier – âgé de plus de seize ans et qui vit sous le même toit – pouvait apporter une contribution raisonnable aux tâches ménagères. Par ailleurs, sans minimiser la charge de travail d’un enfant en formation, on rappellera que selon l’Enquête suisse sur la population active (ESPA), effectuée périodiquement par l’Office fédéral de la statistique, un adolescent en formation de l’âge du fils de l’assurée consacre en moyenne 12.4 heures par semaine au travail domestique et familial (table T 03.06.02.01, Population résidante permanente âgée de 15 ans et plus, pour l’année 2020). On ne saisit dès lors pas, à la lecture du recours, en quoi il serait insoutenable de considérer que, dans le cadre d’une cellule familiale raisonnable, le fils d’une personne atteinte dans sa santé ferait son propre lit et aiderait notamment à acheminer les déchets au point de collecte une fois par semaine et à nettoyer les vitres, ainsi qu’à étendre, à ramasser « si nécessaire » les « grosses pièces » de linge et à plier une partie du linge. Les considérations des premiers juges ne prêtent pas le flanc à la critique. Le grief doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_248/2022 consultable ici

 

9C_533/2022 (f) du 10.02.2023 – Demande par le tribunal cantonal d’une procuration actualisée en faveur de l’avocat – Pas de formalisme excessif / 29 al. 1 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_533/2022 (f) du 10.02.2023

 

Consultable ici

 

Demande par le tribunal cantonal d’une procuration actualisée en faveur de l’avocat – Pas de formalisme excessif / 29 al. 1 Cst.

 

Le 25.08.2022, l’office AI n’est pas entré en matière sur la nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité déposée par l’assurée le 26.09.2019.

 

Procédure cantonale

Le 26.09.2022, l’avocat, déclarant agir pour l’assuré, a formé un recours contre cette décision devant le Tribunal administratif.

Par ordonnance du 27.09.2022, le juge instructeur du Tribunal administratif a constaté que le recours était accompagné d’une procuration datée du 22.11.2010 et a invité l’assuré à lui faire parvenir une nouvelle procuration actualisée et se référant au litige jusqu’au 11.10.2022. Il a attiré l’attention de l’intéressée que le recours serait déclaré irrecevable, sans réponse dans le délai imparti ou en cas de réponse ne satisfaisant pas aux exigences de l’art. 15 al. 1 et 3 de la loi bernoise du 23 mai 1989 sur la procédure et la juridiction administratives (LPJA/BE; RSB 155.21).

Statuant le 14.10.2022, le juge unique du Tribunal administratif a déclaré le recours irrecevable, au motif que la procuration requise n’avait pas été produite jusqu’alors.

 

TF

Le litige porte sur le point de savoir si le Tribunal administratif pouvait déclarer le recours irrecevable au motif que l’avocat qui déclarait agir au nom de l’assurée n’avait pas produit de procuration écrite actualisée dans le délai imparti à cet effet par la cour cantonale.

Consid. 4
Invoquant une violation du principe de l’interdiction du formalisme excessif (art. 29 al. 1 Cst.), l’assurée fait valoir que son avocat la défendait « depuis des années » et que l’office AI avait adressé et notifié la décision de première instance à son avocat directement. Comme le Tribunal administratif n’avait pas exigé une nouvelle procuration ou une procuration « actuelle », mais seulement une « procuration actualisée », elle soutient que l’autorité précédente ne doutait pas que son avocat agissait pour son compte. L’absence de procuration « actualisée » ne pouvait dès lors pas entraîner l’irrecevabilité du recours. Qui plus est, l’avance des frais de procédure avait été versée en temps utile.

Consid. 5.1
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 145 I 201 consid. 4.2.1 et les références). Selon la jurisprudence, commet un déni de justice formel et viole l’art. 29 al. 1 Cst. l’autorité qui n’entre pas en matière dans une cause qui lui est soumise dans les formes et délai prescrits, alors qu’elle devrait s’en saisir (ATF 142 II 154 consid. 4.2 et les références). Il peut en résulter une violation de la garantie de l’accès au juge ancrée à l’art. 29a Cst. Cette disposition donne en effet le droit d’accès à une autorité judiciaire exerçant un pouvoir d’examen complet sur les faits et le droit (arrêt 1C_515/2020 du 10 février 2021 consid. 2.1 et les références). Cette garantie ne s’oppose cependant pas aux conditions de recevabilité habituelles d’un recours ou d’une action (ATF 143 I 344 consid. 8.2 et les références). De manière générale, la seule application stricte des règles de forme n’est pas constitutive de formalisme excessif (arrêt 9C_354/2022 du 26 septembre 2022 consid. 3.1 et les références).

Consid. 5.2
De l’interdiction du formalisme excessif, la jurisprudence a déduit l’obligation pour l’autorité, en présence d’un mémoire signé d’un mandataire ne justifiant pas de ses pouvoirs, d’accorder un délai convenable pour réparer le vice; l’autorité ne saurait refuser d’emblée d’entrer en matière (ATF 104 Ia 403 consid. 4e; 94 I 523; 92 I 13 consid. 2; arrêts 2C_545/2021 du 10 août 2021 consid. 2.1; 1B_65/2021 du 12 mars 2021 consid. 3 et les références).

Le Tribunal fédéral considère en revanche qu’une autorité judiciaire ne tombe pas dans le formalisme excessif lorsqu’après avoir invité la partie recourante, par l’intermédiaire de son mandataire, à transmettre une procuration et l’avoir informée des conséquences du défaut de production sur l’issue de son recours, elle prononce une décision d’irrecevabilité (arrêts 2C_55/2014 du 6 juin 2014 consid. 5.3.1; 5A_812/2011 du 21 janvier 2013 consid. 3.2).

Consid. 5.3
En l’espèce, le juge instructeur du Tribunal administratif a avisé par écrit l’assurée le 27.09. 2022, par l’entremise de l’avocat qui avait formé recours à son nom, qu’il lui fallait déposer une procuration écrite actualisée d’ici au 11.10.2022, à défaut de quoi le recours serait déclaré irrecevable. Comme il le relève devant le Tribunal fédéral et à l’inverse de ce que soutient l’assurée, il pouvait requérir, s’il l’estimait nécessaire compte tenu de l’ancienneté de la procuration annexée au recours cantonal (datée du 22.11.2010), une telle procuration actualisée, sans pour autant que sa demande relève dans le cas présent du formalisme excessif (cf. arrêt 9C_793/2013 du 27 mars 2014 consid. 1.2 et les références). Le simple fait que l’avocat avait déjà produit un tel document devant cette autorité ne dispensait par ailleurs pas l’assurée de répondre à cette invitation expresse – conforme aux règles de la procédure cantonale (cf. art. 15 et 32 s. LPJA/BE) – dans le délai imparti (arrêt 1C_237/2019 du 17 mai 2019 consid. 2.2 et les références). Il n’appartient pas à la partie requise de ne pas obtempérer au motif que, de son point de vue, la requête serait trop formaliste parce que le pouvoir de représentation ne ferait pas de doute. Dans la mesure où l’assurée n’a pas donné suite à cette invitation, ni demandé une prolongation dudit délai, il y a lieu de considérer, sur le vu de la jurisprudence (consid. 5.2), que l’instance précédente n’a pas fait preuve de formalisme excessif en déclarant le recours irrecevable.

Quoi qu’en pense l’assurée, le fait qu’elle a payé à temps l’avance de frais ne permet enfin pas une autre appréciation. L’autorité précédente a en effet expressément exigé, par ordonnance du 27.09.2022, une procuration actualisée. Elle a ainsi clairement indiqué qu’elle n’accepterait pas d’autorisation de représentation implicite (à ce sujet, voir arrêt 5A_561/2016 du 22 septembre 2016 consid. 2). L’appréciation de l’autorité précédente ne prête par conséquent pas le flanc à la critique.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_533/2022 consultable ici

 

9C_24/2023 (f) du 17.04.2023 – Restitution de prestations indûment perçues – Refus d’une remise de l’obligation de restituer en l’absence de bonne foi – 35a LPP / Omission d’annoncer la reprise d’une activité – Demande de restitution alors que l’assuré est désormais retraité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_24/2023 (f) du 17.04.2023

 

Consultable ici

 

Restitution de prestations indûment perçues – Refus d’une remise de l’obligation de restituer en l’absence de bonne foi / 35a LPP

Omission d’annoncer la reprise d’une activité – Demande de restitution alors que l’assuré est désormais retraité

 

Par décision du 08.12.2015, l’office AI a supprimé la rente d’invalidité dont bénéficiait l’assuré avec effet rétroactif au 01.06.2006. Le principe de la suppression a été confirmé par les instances cantonale et fédérale de recours (cf. arrêt 9C_107/2017 du 8 septembre 2017).

Par décision du 22.12.2015, l’office AI a réclamé à l’assuré le remboursement de la somme de 179’524 fr. représentant les prestations versées à tort du 01.12.2010 au 31.10.2015. L’assuré a déféré cette décision au tribunal cantonal, en concluant à son annulation. Parallèlement, il a conclu à la remise de l’obligation de restituer la somme de 179’524 fr., subsidiairement à hauteur de 167’315 fr. Par arrêt du 06.11.2018, confirmé par le Tribunal fédéral (cf. arrêt 9C_16/2019 du 25 avril 2019), la juridiction cantonale a rejeté le recours dirigé contre la restitution et contre la remise de l’obligation de restituer.

Dans le cadre de la prévoyance professionnelle obligatoire des chômeurs, la Fondation institution supplétive a accordé à l’assuré des rentes d’invalidité dès le 01.02.2002. Par lettre du 17.12.2015, l’institution supplétive a supprimé avec effet immédiat le droit à la rente d’invalidité, ajoutant qu’elle lui demanderait le remboursement des rentes perçues à tort depuis le 01.06.2006. Le 13.01.2016, elle a requis de l’assuré le remboursement de 82’940 fr. et 12’163 fr. 07, correspondant à des prestations indument versées à partir du 01.01.2011.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1009/2022 – consultable ici)

Le 26.04.2021, l’institution supplétive a saisi la Cour cantonale d’une action en justice, en concluant à ce que l’assuré fût condamné à lui verser le montant de 93’107 fr. 07 avec intérêts à 5% l’an dès le 13.02.2016, et à ce que l’opposition qu’il avait formée au commander de payer du 18.12.2020 fût écartée.

Par jugement du 21.11.2022, admission partielle de la demande par le tribunal cantonal, condamnant l’assuré à payer à l’institution supplétive le montant de 93’103 fr. 07 et prononçant la mainlevée définitive de l’opposition au commandement de payer à concurrence de ce montant.

 

TF

Consid. 2.2
Se référant au litige qui avait opposé l’assuré à l’office AI, l’autorité cantonale a rappelé que ledit office avait supprimé la rente d’invalidité avec effet rétroactif au 01.06.2006, car l’assuré disposait d’une capacité de travail entière dès cette date dans toute activité et avait exercé une activité professionnelle depuis décembre 2000 sans l’avoir annoncée, violant ainsi son obligation de renseigner. Comme une rente de la prévoyance professionnelle obligatoire dépend et suit l’allocation d’une rente AI, l’institution supplétive était fondée à supprimer la rente de la prévoyance professionnelle, dès lors que l’évaluation de l’office AI, confirmée par les instances de recours cantonale et fédérale, n’était à l’évidence pas insoutenable. L’assuré était par conséquent tenu de restituer les sommes perçues sans cause juridique valable.

En ce qui concerne la remise de l’obligation de restituer, l’instance cantonale a retenu, en renvoyant à l’arrêt du Tribunal fédéral du 25 avril 2019 (9C_16/2019), que l’assuré avait non seulement omis d’annoncer qu’il avait repris une activité, mais qu’il avait de plus nié exercer une activité accessoire dans les questionnaires de révision de 2006, 2011 et 2014. L’intéressé ne devait pas ignorer que l’exercice d’une activité, quelle qu’elle fût, était susceptible d’entraîner une nouvelle appréciation de ses capacités de travail et de gain, pouvant le cas échéant aboutir à une modification de la rente. L’obligation d’annoncer valait tout particulièrement en raison de ses attributions légales d’associé gérant présidant d’une société. En taisant l’exercice de telles activités, sa négligence avait revêtu un caractère de gravité suffisante pour exclure la bonne foi. Pareille conclusion s’imposait aussi dans la présente procédure concernant les rentes d’invalidité de la prévoyance professionnelle.

Consid. 3.1
L’assuré se prévaut d’une violation du principe de non-rétroactivité de lois. Il fait observer qu’il avait atteint l’âge légal de la retraite le 10.02.2021 et son épouse le 09.02.2022, si bien que leurs revenus de retraités ont diminué sensiblement. Il en déduit qu’en le condamnant à restituer des rentes d’invalidité versées durant plusieurs années avant son départ à la retraite, il serait confronté à une rétroactivité d’autant plus excessive qu’il se trouverait dans l’impossibilité de mettre à disposition les sommes réclamées, compte tenu de ses faibles revenus et de son absence de fortune. A son avis, il aurait fallu qu’il sache, au moment où les rentes d’invalidité lui avaient été versées, que leur remboursement pourrait lui être réclamé bien des années après; ceci l’aurait conduit à chercher une autre source de revenu, ce qu’il n’a pas eu l’opportunité de faire.

Consid. 3.2
Contrairement à ce que soutient l’assuré, on ne se trouve pas dans un litige concernant l’application d’une règle de droit à des faits survenus avant son entrée en vigueur. La présente affaire porte uniquement sur la restitution de prestations indûment perçues, ainsi que sur le refus d’une remise de l’obligation de restituer en l’absence de bonne foi, soit sur un cas d’application de l’art. 35a LPP dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2020, à l’époque des faits.

S’agissant de l’obligation de restituer et quoi qu’en dise l’assuré, il devait savoir, à l’époque où il avait violé son obligation d’annoncer, qu’il pourrait être appelé à restituer les rentes en cause, puisqu’elles avaient été obtenues de façon indue. Dès lors qu’il rétablit l’ordre légal en condamnant l’assuré à rembourser le montant de 93’103 fr. 07, l’arrêt attaqué est conforme au droit.

Quant à la remise de cette obligation de restituer, les juges cantonaux ont également refusé à juste titre de l’accorder, puisque la condition de la bonne foi de l’assuré faisait à l’évidence défaut.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_24/2023 consultable ici

 

8C_419/2022 (f) du 06.04.2023 – Violation lors de la conclusion du contrat d’assurance LAA du devoir de conseil de l’assurance-accidents et de son conseiller – 27 LPGA / Principe de la protection de la bonne foi – 9 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_419/2022 (f) du 06.04.2023

 

Consultable ici

 

Couverture d’assurance d’une métairie / 1a LAA – 1 OLAA

Obligation d’assurance / 59 al. 2 LAA – 68 LAA

Portée du devoir de conseils de l’assureur social lors de la conclusion du contrat d’assurance LAA – Principe de la protection de la bonne foi / 27 al. 2 LPGA – 9 Cst.

Violation du devoir de conseil de l’assurance-accidents et de son conseiller / 27 LPGA

 

Madame A.__, titulaire d’une autorisation de tenir un établissement public, a exploité depuis le 01.05.2017, avec son époux Monsieur B.A.__, la Métairie. Le 28.06.2017, Madame A.__ a rempli et signé, avec l’aide de E.__, collaborateur de l’assurance-accidents divers documents (proposition pour la conclusion d’une assurance-accidents LAA, demande d’adhésion de raison individuelle/d’indépendant auprès de GastroSocial pour l’exploitation de la Métairie). Le 19.10.2017, l’assurance-accidents a adressé à Madame A.__ la police relative à l’assurance-accidents obligatoire LAA et complémentaire LAA, correspondant à la proposition d’assurance signée le 28.06.2017.

Le 23.08.2018, vers 14h30, Monsieur B.A.__ a été victime d’un accident mortel alors qu’il avait quitté la Métairie au volant d’un tracteur agricole prêté par un entrepreneur forestier de la région afin de couper un arbre. Il ressort des témoignages du chef cuisinier de la Métairie, et de G.__, berger, que feu Monsieur B.A.__ avait aidé pour le service d’un banquet le jour même jusqu’à 14h30 au restaurant de la Métairie, avant d’aller couper du bois pour une manifestation qu’il organisait le week-end suivant au restaurant. Par déclaration d’accident Madame A.__ a annoncé l’accident et le décès de son époux à l’assurance-accidents. Sous les rubriques « profession exercée » et « place de travail habituelle », il était indiqué « berger », respectivement « pâturage – forêt ». Le formulaire mentionnait en outre que la victime était engagée par contrat de durée déterminée depuis le 01.05.2017 par Madame A.__, Métairie de C.__, au taux de 100% à raison de 43,5 heures par semaine.

Par décision du 08.02.2021, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge l’événement du 23.08.2018. Madame A.__ a formé opposition contre cette décision, tout comme la Caisse supplétive. Par décision sur oppositions du 11.06.2021, l’assurance-accidents a rejeté les oppositions, considérant en substance que Monsieur B.A.__ exerçait la profession de berger à titre indépendant et que le fait qu’il ait aidé au restaurant le jour de l’accident ne constituait qu’un simple coup de main insuffisant pour créer une relation de travail. Si l’on devait considérer que le défunt exerçait une activité dépendante, il n’était pas couvert par la police d’assurance conclue avec l’assurance-accidents qui, selon la proposition d’assurance signée le 28.06.2017, assurait uniquement le personnel d’un hôtel-restaurant à la campagne et non l’activité de berger ou de bûcheron. L’assurance-accidents a également contesté le défaut de renseignement de son conseiller E.__.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 87/21 – 55/2022 – consultable ici)

Par jugement du 19.05.2022, admission des recours de Madame A.__ et de la Caisse supplétive par le tribunal cantonal, les conséquences de l’accident du 23.08.2018 devant être pris en charge par l’assurance-accidents.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire contre les accidents les travailleurs occupés en Suisse. Aux termes de l’art. 1 OLAA, est réputé travailleur selon l’art. 1a al. 1 LAA quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants. De manière générale, la jurisprudence considère comme tel la personne qui, dans un but lucratif ou de formation et sans devoir supporter de risque économique propre, exécute durablement ou provisoirement un travail pour un employeur, auquel il est plus ou moins subordonné (ATF 144 V 411 consid. 4.2; 115 V 55). Ce sont donc avant tout les personnes au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO ou qui sont soumises à des rapports de service de droit public qui sont ici visées. Dans le doute, la qualité de travailleur doit être déterminée, de cas en cas, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment au regard de l’existence d’une prestation de travail, d’un lien de subordination et d’un droit au salaire sous quelque forme que ce soit (arrêts 8C_611/2019 du 11 mai 2020 consid. 3.1 et les références; 8C_538/2019 du 24 janvier 2020 consid. 2.3 et les références, in SVR 2020 UV n° 22 p. 85).

En cas d’accident professionnel, il incombe à l’assureur auprès duquel le travailleur était assuré au moment où est survenu l’accident d’allouer les prestations (art. 77 al. 1, première phrase, LAA).

Consid. 3.2.1
L’assurance-accidents est gérée, selon les catégories d’assurés, par la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA) ou par d’autres assureurs autorisés et par une caisse supplétive gérée par ceux-ci (art. 58 LAA). Selon l’art. 68 al. 1 LAA, les personnes que la CNA n’a pas la compétence d’assurer doivent être assurées contre les accidents par une entreprise d’assurance privée soumise à la loi fédérale sur la surveillance des assurances (LSA), par une caisse publique d’assurance-accidents ou par une caisse-maladie au sens de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal). L’employeur doit veiller à ce que les travailleurs qu’il emploie soient assurés auprès d’un des assureurs désignés à l’art. 68 LAA (art. 69 al. 1, première phrase, LAA). Si un travailleur soumis à l’assurance obligatoire n’est pas assuré au moment où survient un accident, la caisse supplétive lui alloue les prestations légales d’assurance (art. 59 al. 3 LAA; cf. art. 73 al. 1 LAA).

Consid. 3.2.2
Alors que, dans l’assurance obligatoire, le rapport d’assurance avec la CNA est fondé sur la loi (art. 59 al. 1 LAA), le rapport d’assurance avec les autres assureurs est fondé sur un contrat passé entre l’employeur et l’assureur ou sur l’appartenance à une caisse résultant des rapports de travail (art. 59 al. 2 LAA). Aussi bien les entreprises d’assurance que les caisses maladies autorisées à pratiquer l’assurance-accidents au sens de l’art. 68 LAA agissent comme détentrices de la puissance publique, puisque la loi leur donne la compétence de rendre des décisions. Un tel pouvoir leur confère la possibilité de conclure des contrats d’assurance avec des employeurs et de réglementer des questions qui relèvent du droit public. Ces contrats peuvent être librement qualifiés de contrats spéciaux de droit public selon la LAA, qui ne sont liés ni aux règles de la LCA ni à celles de la LAMal. Dans la mesure où la LAA et son ordonnance d’exécution règlent l’assurance-accidents obligatoire de manière très détaillée, il ne reste que peu de place à l’autonomie contractuelle des parties. Les assureurs désignés à l’art. 68 LAA sont ainsi tenus d’établir conjointement un contrat-type – soumis à l’approbation du Conseil fédéral – contenant les clauses qui doivent obligatoirement figurer dans tout contrat d’assurance (art. 59a al. 1 et 3 LAA; sur le tout: arrêt 8C_44/2019 du 19 mai 2020 consid. 3.3).

Consid. 3.2.3
Selon l’art. 92 LAA, les assureurs fixent les primes en pour-mille du gain assuré (al. 1, première phrase). En vue de la fixation des primes pour l’assurance des accidents professionnels, les entreprises sont classées dans l’une des classes du tarif des primes et, à l’intérieur de ces classes, dans l’un des degrés prévus; le classement tient compte de la nature des entreprises et de leurs conditions propres, notamment du risque d’accidents et de l’état des mesures de prévention; les travailleurs d’une entreprise peuvent être classés par groupe, dans des classes et degrés différents (al. 2). Il n’y a pas de nécessité légale d’établir des polices distinctes pour des établissements exploités par le même employeur, puisque l’art. 92 LAA permet de classer les travailleurs d’une entreprise par groupe, dans des classes et degrés différents, de manière à appliquer des taux de primes nets différents en fonction des différentes classes de risque (arrêt 8C_44/2019 précité, consid. 3.4 et 4.2.2).

 

Consid. 4.1
L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase).

Consid. 4.2
Le devoir de conseils de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations (ATF 139 V 524 consid. 2.2; 135 V 339; 131 V 472 consid. 4.3). Les conseils ou renseignements portent sur les faits que la personne qui a besoin de conseils doit connaître pour pouvoir correctement user de ses droits et obligations dans une situation concrète face à l’assureur. Le devoir de conseils s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique. Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (arrêt 9C_145/2019 du 29 mai 2019 consid. 4.3.1 et les références).

Consid. 4.3
Selon la jurisprudence, le défaut de renseignement dans une situation où une obligation de renseigner est prévue par la loi, ou lorsque les circonstances concrètes du cas particulier auraient commandé une information de l’assureur, est assimilé à une déclaration erronée de sa part qui peut, à certaines conditions, obliger l’autorité à consentir à un administré un avantage auquel il n’aurait pas pu prétendre, en vertu du principe de la protection de la bonne foi découlant de l’art. 9 Cst. Un renseignement ou une décision erronés de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (a) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (b) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (c) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement (« ohne weiteres ») de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour (d) prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (e) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée. Ces principes s’appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (c) devant toutefois être formulée de la façon suivante: que l’administré n’ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu’il n’avait pas à s’attendre à une autre information (ATF 143 V 341 consid. 5.2.1; 131 V 472 consid. 5).

 

Consid. 6.2.1
L’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir violé l’art. 1a al. 1 LAA en retenant que feu Monsieur B.A.__, qui exerçait une activité indépendante, était assuré à titre obligatoire auprès d’elle.

Consid. 6.2.2
Il est vrai que la cour cantonale a considéré qu’il était vraisemblable que les époux A.__ fussent tous les deux indépendants mais elle a laissé la question du statut de feu Monsieur B.A.__ ouverte, dès lors qu’il eût incombé à l’assurance-accidents d’instruire cette question avant de conclure le contrat d’assurance-accidents avec son employeur et de percevoir des primes. Cela étant, il appert que soit Monsieur B.A.__ avait un statut de salarié et la question de savoir si l’art. 1a al. 1 LAA a été violé ne se pose pas, soit il avait une activité indépendante et dans ce cas, il eût incombé à l’assurance-accidents de déterminer le statut de ce dernier et de renseigner correctement Madame A.__ à ce propos avant de signer la proposition d’assurance. Or l’assurance-accidents n’a non seulement pas renseigné Madame A.__, admettant implicitement que feu Monsieur B.A.__ avait un statut de salarié, mais elle n’a pas non plus réagi lorsque Madame A.__ lui avait indiqué qu’elle-même, en tant qu’indépendante, était la seule à ne pas être couverte par l’assurance, confortant ainsi cette dernière dans le fait que son mari était assuré en tant que salarié. Dès lors que c’est en vertu du principe de la bonne foi que la cour cantonale a considéré que feu Monsieur B.A.__ était assuré à titre obligatoire auprès de l’assurance-accidents au moment de son accident, elle n’a pas violé l’art. 1a LAA en parvenant à cette conclusion.

 

Consid. 6.3.3
L’assurance-accidents ne démontre pas en quoi l’appréciation juridique des faits par la cour cantonale serait erronée. En particulier, elle ne discute pas le fait que l’information selon laquelle la couverture d’assurance ne concernait que le personnel de la restauration n’avait pas été donnée à Madame A.__, se contentant d’exposer sa propre appréciation de la situation en affirmant que son conseiller informait toujours (de manière générale) les employeurs qu’une activité agricole devait être assurée de manière séparée. Outre le fait que le témoignage de son conseiller sur ce point n’est corroboré par aucune pièce au dossier, on notera qu’il est en contradiction avec le fait que l’assurance-accidents prétend – à tort comme on le verra ci-après – ne pas avoir eu connaissance du fait que feu Monsieur B.A.__ exerçait aussi une activité agricole. En outre, l’assurance-accidents ne discute pas le fait que son conseiller aurait dû renseigner correctement Madame A.__, non pas de manière générale, mais dans le cas concret, au sujet de la couverture d’assurance. Elle ne peut pas se dédouaner de ses responsabilités en se référant simplement aux termes de la proposition pour la conclusion d’une assurance signée par les parties le 28.06.2017, laquelle est très sommaire. Dès lors qu’il est venu sur les lieux et qu’il n’y avait que trois employés, le conseiller de l’assurance-accidents aurait pu s’enquérir du cahier des charges de ces trois employés s’il entendait d’emblée exclure certaines activités de la couverture d’assurance. L’assurance-accidents a cependant encaissé des primes pour trois employés dont deux au moins exerçaient des activités de type « agricole ». Même si elle n’entendait assurer que la partie « restauration », l’assurance-accidents savait que l’employeur était une métairie – ce qui figure même sur la police d’affiliation -, soit, dans le Jura suisse, une ferme de montagne offrant un service de restauration à côté de l’exploitation agricole. Elle ne pouvait ainsi pas ignorer que Madame A.__ souhaitait assurer son personnel pour toutes les activités de la Métairie et devait dès lors attirer son attention sur la limitation de la couverture d’assurance en mentionnant expressément que les activités de type « agricole » étaient exclues et/ou en lui proposant une assurance complémentaire ou dans une autre classe de risque.

Consid. 6.3.4
Quant à la comparaison avec l’arrêt 8C_44/2019, elle est tout à fait pertinente dans le cas d’espèce, quoi qu’en dise l’assurance-accidents. En effet, le Tribunal fédéral y constate qu’il n’y a pas de nécessité légale d’établir des polices distinctes pour des établissements exploités par le même employeur, puisque l’art. 92 LAA permet de classer les travailleurs d’une entreprise par groupe, dans des classes et degrés différents, de manière à appliquer des taux de primes nets différents en fonction des différentes classes de risque. A plus forte raison n’y avait-il aucune nécessité d’établir des polices distinctes pour chaque groupe de risque en l’espèce, dès lors qu’il n’était question que d’un seul établissement et que celui-ci ne comptait que trois employés au total. Par ailleurs, il appartenait à l’assurance-accidents et non à Madame A.__ d’identifier les différents types de risques propres à une entreprise telle qu’une métairie. Certes, c’est le terme « auberge » qui figurait sur la proposition pour la conclusion d’une assurance-accidents LAA et/ou assurance-accidents complémentaire à la LAA de GastroSocial, mais la demande d’adhésion de raison individuelle/d’indépendant auprès de GastroSocial indiquait « gestion d’une métairie » sous la description de l’activité et les polices d’assurance-accidents obligatoire LAA correspondant aux propositions d’assurance signées entre Madame A.__ et l’assurance-accidents le 28.06.2017 mentionnaient que l’employeur était une métairie. Il ne pouvait dès lors pas échapper à l’assurance-accidents, respectivement à son conseiller, que le contrat d’assurance-accidents obligatoire couvrait la Métairie et que si l’assurance-accidents entendait limiter sa couverture aux seules activités de restauration et d’hôtellerie, il lui appartenait d’attirer expressément l’attention de Madame A.__ à ce sujet, comme le commandait son obligation de renseigner découlant de l’art. 27 LPGA. Comme on l’a vu ci-dessus, le contenu de l’obligation de renseigner dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration. Or au moment de la proposition d’assurance, le conseiller de l’assurance-accidents disposait de suffisamment d’éléments (visite des lieux, pièces au dossier) qui auraient dû le conduire à reconnaître que Madame A.__ se trouvait dans une situation dans laquelle ses employés risquaient de perdre un droit aux prestations.

 

Consid. 6.4.2
Selon les constatations de fait de l’arrêt attaqué, Madame A.__ avait indiqué lors d’un entretien téléphonique du 12.11.2018 avec l’assurance-accidents que feu son époux avait une activité de berger mais également de cuisinier. Par courrier du 19.02.2019 adressé à l’assurance-accidents, Madame A.__ avait indiqué que son époux était assuré en qualité de restaurateur, activité qu’il exerçait en premier lieu à 90%, l’activité de berger ne représentant que 10% de son temps de travail, précisant que la (seule) mention de berger dans la déclaration d’accident était une erreur, due au choc émotionnel après sa disparition et que G.__ avait été engagé dans le but d’accomplir les tâches relatives à l’activité de berger; elle a en outre mentionné que le fait d’aller chercher du bois entrait dans le cahier des charges usuel d’un tenancier de métairie afin de pourvoir au chauffage et à l’eau chaude du bâtiment dans lequel étaient reçus les clients.

Consid. 6.4.3
Contrairement à ce qu’affirme l’assurance-accidents, les déclarations de Madame A.__ ne sont pas contradictoires entre elles puisque l’exploitation d’une métairie impliquait précisément de s’occuper à la fois des animaux, de l’entretien du bâtiment, du nettoyage du terrain autour de la bâtisse ainsi que de la restauration et de l’hébergement et que Madame A.__ s’était entourée de trois employés pour la seconder dans ces diverses activités, soit d’un cuisinier, d’un berger et de feu son mari, lequel était à la fois berger et tenancier de restaurant. C’est donc à juste titre que la cour cantonale a retenu que feu Monsieur B.A.__ exerçait – pas seulement mais aussi – l’activité de restaurateur.

 

Consid. 6.5.2
La question de savoir si une personne doit être considérée comme étant de condition salariée ou indépendante et, partant, si elle est couverte par l’assurance-accidents contractée par son employeur ne se pose pas seulement au moment de la survenance d’un cas d’assurance, mais déjà lorsqu’il s’agit de déterminer quel organisme d’assurance est compétent pour percevoir des primes. Comme le montre précisément le présent cas, les assureurs-accidents ne peuvent pas compter sur le fait que la couverture des travailleurs au service d’un employeur peut toujours être vérifiée dans le cadre d’un accident concret. Une clarification précoce de la couverture d’assurance n’est pas seulement dans l’intérêt du bon fonctionnement de la sécurité sociale, elle est également nécessaire pour garantir aux employeurs et aux travailleurs concernés une sécurité juridique aussi optimale que possible (cf. arrêt 8C_475/2009 du 22 février 2010 consid. 5.2).

Consid. 6.5.3
En l’espèce, il ressort des constatations de fait de la juridiction cantonale que dans une demande d’adhésion de raison individuelle/d’indépendant au 2e pilier auprès de GastroSocial signée par Madame A.__ le 28.06.2017 et dont copie a été reçue par l’assurance-accidents le 04.07.2017, il était mentionné sous « Décrivez brièvement votre activité »: « gestion d’une métairie »; il y était également indiqué que feu Monsieur B.A.__ était le partenaire de l’employeuse et qu’il travaillait dans l’exploitation de sa conjointe. L’assurance-accidents ne saurait dès lors prétendre qu’elle ne savait pas que l’époux de Madame A.__ travaillait dans l’entreprise et qu’il faisait ainsi partie des trois employés de la Métairie. Si l’assureur avait eu le moindre doute quant au statut d’employé de ce dernier, il aurait dû en informer l’employeuse qui aurait pu prendre d’autres dispositions pour assurer son mari contre le risque d’accident, comme elle avait dû le faire pour elle-même.

Étant donné que l’assurance-accidents avait connaissance, sur la base des documents en sa possession et de la visite des lieux par l’un de ses conseillers, du champ d’activités de l’entreprise qui lui était assujettie, on pouvait exiger d’elle qu’elle renseigne l’employeuse sur le fait que la couverture d’assurance-accidents était limitée à la seule activité de restauration, à l’exclusion de toute activité agricole. Cela était d’autant plus exigible de sa part que dans le cas d’espèce, l’entreprise n’employait que trois personnes et qu’il était aisé de s’enquérir précisément de leurs activités respectives. Ne l’ayant pas fait, elle a violé son devoir de conseil. En raison du comportement de l’assurance-accidents, Madame A.__ a pu croire qu’il existait une couverture d’assurance auprès de l’assurance-accidents en ce qui concernait feu son époux, et elle n’avait aucune raison de supposer que ce dernier était en réalité exclu de cette assurance pour la partie « agricole » de son activité. La disposition préjudiciable de Madame A.__ consiste dans le fait qu’elle a employé feu Monsieur B.A.__ dans la Métairie sans avoir la garantie d’une couverture d’assurance. Aucun élément fiable du dossier ne permet de conclure qu’elle aurait fait preuve de négligence en matière d’assurance et n’aurait pas cherché une solution d’assurance auprès d’un autre assureur ou demandé une assurance facultative, comme elle l’avait fait pour elle-même, si elle ne s’était pas fiée à la compétence du conseiller de l’assurance-accidents. En résumé, il apparaît donc que les conditions d’une invocation de la protection de la bonne foi sont remplies.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_419/2022 consultable ici

 

9C_457/2022 (f) du 03.04.2023 – Conditions pour révision procédurale de décision entrée en force – 53 al. 1 LPGA / Délais applicables en matière de révision – Délai de péremption absolu de 10 ans – 55 al. 1 PA – 67 al. 1 PA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_457/2022 (f) du 03.04.2023

 

Consultable ici

 

Conditions pour révision procédurale de décision entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Délais applicables en matière de révision – Délai de péremption absolu de 10 ans / 55 al. 1 PA – 67 al. 1 PA

 

Assuré a déposé une première demande de prestations de l’assurance-invalidité le 12.10.2004. Dans le cadre de l’instruction de cette demande, l’office AI a notamment mis en œuvre une expertise psychiatrique. Le 15.11.2007, l’office AI a, en se fondant sur les conclusions de l’expertise psychiatrique, nié le droit de l’assuré à des prestations de l’assurance-invalidité.

Par décision du 29.08.2013, l’office AI a rejeté la deuxième demande de prestations déposée par l’assuré en date du 10.05.2012. Il a constaté qu’il n’existait aucun fait médical nouveau depuis la décision du 15.11.2007.

Le 05.01.2021, l’assuré a déposé une troisième demande de prestations. Par décision du 02.09.2021, l’office AI a rejeté cette nouvelle demande.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 363/21 – 273/2022 – consultable ici)

Par jugement du 29.08.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision du 02.09.2021 et renvoyant la cause à l’office AI pour qu’il complète l’instruction dans le sens des considérants puis rende une nouvelle décision.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant.

Aussi, par analogie avec la révision des décisions rendues par les autorités judiciaires, l’administration est tenue de procéder à la révision (dite procédurale) d’une décision formellement passée en force lorsque sont découverts des faits nouveaux importants ou de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits avant et qui sont susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 148 V 277 consid. 4.3 et la référence). La notion de faits ou moyens de preuve nouveaux s’apprécie de la même manière en cas de révision (dite procédurale) d’une décision administrative (art. 53 al. 1 LPGA), de révision d’un jugement cantonal (art. 61 let. i LPGA) ou de révision d’un arrêt du Tribunal fédéral fondée sur l’art. 123 al. 2 let. a LTF (qui correspond à l’ancien art. 137 let. b OJ et auquel s’applique la jurisprudence rendue à propos de cette norme, cf. ATF 144 V 245 consid. 5.1). La révision suppose la réalisation de cinq conditions:

  1. le requérant invoque un ou des faits;
  2. ce ou ces faits sont « pertinents », dans le sens d’importants (« erhebliche »), c’est-à-dire qu’ils sont de nature à modifier l’état de fait qui est à la base du jugement et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte;
  3. ces faits existaient déjà lorsque le jugement a été rendu: il s’agit de pseudo-nova (« unechte Noven »), c’est-à-dire de faits antérieurs au jugement ou, plus précisément, de faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables;
  4. ces faits ont été découverts après coup (« nachträglich »), soit postérieurement au jugement, ou, plus précisément, après l’ultime moment auquel ils pouvaient encore être utilement invoqués dans la procédure principale;
  5. le requérant n’a pas pu, malgré toute sa diligence, invoquer ces faits dans la procédure précédente (ATF 143 III 272 consid. 2.2; arrêt 8C_562/2020 du 14 avril 2021 consid. 3.2).

Consid. 3.2
S’agissant des délais applicables en matière de révision, l’art. 53 al. 1 LPGA n’en prévoit pas. En vertu du renvoi prévu par l’art. 55 al. 1 PA, sont déterminants les délais applicables à la révision de décisions rendues sur recours par une autorité soumise à la PA (ATF 143 V 105 consid. 2.1). A cet égard, l’art. 67 al. 1 PA prévoit un délai (de péremption) absolu de dix ans dès la notification de la décision sur recours (soit la décision soumise à révision; ATF 148 V 277 consid. 4.3). La jurisprudence a précisé que ce délai absolu de dix ans était aussi applicable lorsque la révision procédurale porte sur une décision de l’administration (ATF 140 V 514 consid. 3.3; arrêt 8C_377/2017 du 28 février 2018 consid. 7.2 et la référence).

Après dix ans, la révision ne peut être demandée qu’en vertu de l’art. 66 al. 1 PA (art. 67 al. 2 PA; ATF 140 V 514 consid. 3.3). Aux termes de cette disposition, l’autorité de recours procède, d’office ou à la demande d’une partie, à la révision de sa décision lorsqu’un crime ou un délit l’a influencée.

Consid. 3.3
Sur le vu des éléments qui précèdent, la demande de révision procédurale de la décision du 15.11.2007 devait être adressée par écrit à l’autorité qui a rendu la décision dans les 90 jours qui suivaient la découverte du motif de révision, mais au plus tard dix ans après la notification de la décision (art. 67 al. 1 PA en corrélation avec l’art. 55 al. 1 LPGA; arrêt 8C_434/2011 du 8 août 2011 consid. 3, in SVR 2012 UV n° 17 p. 63). En agissant le 05.01.2021, soit plus de 13 ans après la notification de la décision du 15.11.2007, l’assuré a agi tardivement. Il ne prétend par ailleurs pas qu’un crime ou un délit a influencé cette décision (révision « propter falsa », au sens de l’art. 66 al. 1 PA).

Dans ces conditions, le droit de demander la révision procédurale de la décision du 15.11.2007, fondée sur les irrégularités alléguées de l’expertise psychiatrique du 25.11.2005, était périmé au moment où l’assuré s’en est prévalu le 05.01.2021. Les conditions d’une révision procédurale au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA ne sont dès lors pas réalisées, sans qu’il y ait lieu de trancher les autres questions soulevées dans le recours.

Consid. 4
L’introduction du délai absolu de 10 ans de l’art. 67 al. 2 PA a pour double finalité de garantir la sécurité juridique et de faciliter le bon fonctionnement de l’administration, en stabilisant définitivement des rapports de droit après l’écoulement d’un certain temps, sans que cette durée ne puisse être prolongée. Aussi, après un délai de 10 ans, l’assuré ne saurait demander la révision procédurale de la décision du 15.11.2007 qui est entrée en force, ni la révision procédurale de la décision ultérieure du 29.08.2013 en raison d’éléments – l’expertise psychiatrique du 25.11.2005 – qui ont déjà fondé la décision du 15.11.2007.

A moins qu’il existe un motif de révision matérielle (art. 17 LPGA), l’autorité de la chose décidée interdit de recommencer la procédure qui a conduit à la décision du 15.11.2007 sur le même objet. Pour demander la révision procédurale de la décision du 29.08.2013, l’assuré devait invoquer, conformément aux exigences découlant de la sécurité du droit, des faits nouveaux importants ou des nouveaux moyens de preuve qui ne fondent pas déjà la décision du 15.11.2007. La répétition des moyens invoqués tardivement pour demander la révision de la décision du 15.11.2007 ne saurait par conséquent ouvrir la voie de la révision « propter nova » de la décision du 29.08.2013.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_457/2022 consultable ici

 

8C_254/2022 (f) du 03.02.2023 – Propulsion électrique pour fauteuil manuel – Moyens auxiliaires / Critères de simplicité et d’adéquation – Principe de la proportionnalité dans le cadre de l’assurance-accidents sociale – 11 al. 2 LAA – 1 al. 2 OMAA / Causalité naturelle et adéquate

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_254/2022 (f) du 03.02.2023

 

Consultable ici

 

Propulsion électrique pour fauteuil manuel – Moyens auxiliaires destinés à compenser un dommage corporel ou la perte d’une fonction / 11 LAA – OMAA

Critères de simplicité et d’adéquation – Principe de la proportionnalité dans le cadre de l’assurance-accidents sociale / 11 al. 2 LAA – 1 al. 2 OMAA

Octroi d’un moyen auxiliaire – Existence d’un lien de causalité (naturelle et adéquate) entre l’atteinte à la santé et l’accident / 6 LAA – 1 al. 1 OMAA

 

Assuré né en 1978 qui, le 26.09.2006, a été victime d’un accident de moto, provoquant une paraplégie complète au-dessous de la vertèbre D4, nécessitant la remise d’un fauteuil roulant manuel. Dès le 01.10.2007, l’assuré a progressivement repris le travail et a depuis lors occupé différents postes de juriste dans les secteurs privé et public. A l’heure actuelle, il exerce comme avocat indépendant et comme juge assesseur. Il est marié et père de deux enfants.

L’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 30% avec effet au 01.04.2012, mais lui a refusé une allocation pour impotent.

Par courrier du 25.03.2019, l’assuré a sollicité une allocation pour impotent en raison de problèmes rencontrés aux deux épaules. Par décision, l’assurance-accidents a, d’une part, refusé le droit à des prestations d’assurance LAA en lien avec les troubles aux deux épaules, et, d’autre part, a accordé une allocation pour impotent de degré faible à compter du 01.03.2019.

Le 24.02.2021, l’assuré a sollicité la prise en charge d’un système de traction électrique de type « Triride » d’une valeur de 8’961 fr. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé la prise en charge d’un propulseur électrique à titre de moyen auxiliaire.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/297/2022 – consultable ici)

Par jugement du 30.03.2022, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 11 LAA, l’assuré a droit aux moyens auxiliaires destinés à compenser un dommage corporel ou la perte d’une fonction; le Conseil fédéral établit la liste de ces moyens auxiliaires (al. 1). Les moyens auxiliaires sont d’un modèle simple et adéquat; l’assureur les remet en toute propriété ou en prêt (al. 2). A l’art. 19 OLAA, le Conseil fédéral a délégué au Département fédéral de l’intérieur (DFI) la compétence de dresser la liste des moyens auxiliaires et d’édicter des dispositions sur la remise de ceux-ci. Ce département a édicté l’ordonnance du 18 octobre 1984 sur la remise de moyens auxiliaires par l’assurance-accidents (OMAA [RS 832.205.12]) avec, en annexe, la liste des moyens auxiliaires. Selon l’art. 1 OMAA, l’assuré a droit aux moyens auxiliaires figurant sur la liste en annexe, dans la mesure où ceux-ci compensent un dommage corporel ou la perte d’une fonction qui résulte d’un accident ou d’une maladie professionnelle (al. 1). Le droit s’étend aux moyens auxiliaires nécessaires et adaptés à l’atteinte à la santé, d’un modèle simple et adéquat, ainsi qu’aux accessoires indispensables et aux adaptations qu’exige l’atteinte à la santé; le nombre et les caractéristiques des moyens auxiliaires doivent répondre tant aux exigences de la vie privée qu’à celles de la vie professionnelle (al. 2). L’annexe à l’OMAA comprend notamment les fauteuils roulants sans moteur (ch. 9.01) ainsi que les fauteuils roulants à moteur électrique; ces derniers sont fournis si des assurés incapables de marcher ne peuvent pas utiliser un fauteuil roulant usuel par suite de paralysies ou d’autres infirmités des membres supérieurs et ne peuvent se déplacer de façon indépendante qu’en fauteuil roulant mû électriquement (ch. 9.02). Les dispositifs de propulsion électrique pour fauteuil manuel – comme celui litigieux en l’espèce – sont assimilés aux fauteuils roulants à moteur électrique (ATF 135 I 161 consid. 4; arrêt 8C_699/2013 du 3 juillet 2014 consid. 2.1). Le droit à ce moyen auxiliaire suppose donc que l’assuré ait besoin d’un fauteuil roulant, qu’il ne soit pas en mesure d’utiliser un fauteuil roulant usuel et qu’il ne puisse se déplacer de manière autonome qu’avec un fauteuil roulant électrique (arrêt 9C_543/2014 du 17 novembre 2014 consid. 5).

Consid. 3.2.1
Comme tout moyen auxiliaire, un fauteuil roulant à moteur électrique ou un dispositif assimilé doit répondre aux critères de simplicité et d’adéquation (art. 11 al. 2 LAA; art. 1 al. 2 OMAA). Ces critères, qui sont l’expression du principe de la proportionnalité, supposent d’une part que la prestation en cause soit propre à atteindre le but fixé par la loi et apparaisse nécessaire et suffisante à cette fin, et d’autre part qu’il existe un rapport raisonnable entre le coût et l’utilité du moyen auxiliaire, compte tenu de l’ensemble des circonstances de fait et de droit du cas particulier (ATF 141 V 30 consid. 3.2.1; 135 I 151 consid. 5.1; arrêt 8C_52/2016 du 8 avril 2016 consid. 3.1, in SVR 2016 UV n° 43 p. 142). Il découle de ces exigences que le droit à un fauteuil électrique est exclu pour les assurés qui peuvent se déplacer seuls en fauteuil roulant manuel, même dans les cas où un système électrique leur serait utile (ATF 140 V 538 consid. 5.2; cf. ATF 132 V 215 consid. 4.31 et les références). La remise de ce moyen est également exclue si la personne invalide ne peut pas utiliser seule le système de démarrage et de freinage électrique d’un fauteuil roulant (ATF 140 V 538).

Consid. 3.2.2
Selon la jurisprudence, l’existence d’une forte déclivité ou d’un emplacement inaccessible à un fauteuil roulant n’est pas en soi un motif suffisant pour admettre le droit à un dispositif de propulsion électrique car, le cas échéant, toute personne dépendante d’un fauteuil roulant pourrait prétendre à un tel dispositif. Une telle extension du droit n’est pas compatible avec le but consistant à accorder un fauteuil roulant électrique aux assurés qui ne peuvent pas utiliser un fauteuil roulant usuel par suite de paralysies ou d’autres infirmités des membres supérieurs et ne peuvent se déplacer de façon indépendante qu’en fauteuil mû électriquement (ch. 9.02 de l’annexe à l’OMAA). Bien que le chiffre 9.02 de l’annexe à l’OMAA indique qu’un assuré a droit à un fauteuil roulant électrique pour se « déplacer de façon indépendante », cela ne signifie pas que l’intéressé doit pouvoir circuler sur tous les terrains et dans tous les lieux possibles. Il ressort en effet du principe de la proportionnalité qu’un rapport raisonnable doit exister, dans le cadre de l’assurance-accidents sociale, entre le but visé, le bénéfice supposé apporté par le moyen auxiliaire en question et le coût de celui-ci. Dans ce contexte, les exigences de la vie privée et de la vie professionnelle (art. 1 al. 2 OMAA) font référence aux lieux les plus proches situés hors du domicile dans lesquels s’établissent les contacts sociaux habituels de la population (ATF 135 I 161 consid. 6; arrêts 9C_543/2014 du 17 novembre 2014 consid. 5; 8C_699/2013 du 3 juillet 2014 consid. 6.2; 9C_265/2012 du 12 octobre 2012 consid. 4.1; 8C_34/2011 du 13 septembre 2011 consid. 4.3, in SVR 2012 IV n° 20 p. 89). A cet égard, il est un fait notoire que, pour des raisons architecturales, de nombreux lieux publics ou privés ne sont pas ou que très difficilement accessibles aux personnes handicapées se déplaçant en fauteuil roulant (manuel ou électrique). Si cet état de fait est la source d’inconvénients certains, puisqu’il tend, en comparaison avec la situation des personnes valides, à restreindre l’autonomie et la qualité du contact social des personnes à mobilité réduite, la jurisprudence a également souligné que l’assurance sociale n’a pas pour mission d’assurer les mesures qui sont les meilleures dans le cas particulier, mais seulement celles qui sont nécessaires et propres à atteindre le but visé (ATF 131 V 167 consid. 4.2 et la référence citée; arrêts 8C_279/2014 du 10 juillet 2015 consid. 7.2, in SVR 2016 UV n° 3 p. 5; 9C_265/2012 du 12 octobre 2012 consid. 4.2; 8C_699/2013 du 3 juillet 2014 consid. 6.2; à propos de la discrimination à l’égard des personnes handicapées, voir ATF 134 I 105 consid. 5).

 

Consid. 4.3
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral exposée ci-dessus, un fauteuil roulant à moteur électrique ou un dispositif assimilé n’est octroyé qu’à titre exceptionnel (cf. consid. 3.2 supra). En l’espèce, il ressort des constatations de l’arrêt attaqué et des déclarations de l’assuré que celui-ci est toujours en mesure de se déplacer en fauteuil roulant manuel de manière indépendante, c’est-à-dire sans l’aide d’un tiers ou d’un appareil de traction électrique. En effet, il a déclaré lors de l’audition de comparution personnelle du 25.02.2022 qu’il pouvait se déplacer sur une distance d’environ un kilomètre sans avoir trop de problèmes aux épaules. Son étude se trouvait à environ un kilomètre de son domicile, de sorte qu’il pouvait s’y rendre en fauteuil roulant manuel, et l’école de ses enfants était à la même distance, sans montée. Il peut ainsi rejoindre sans l’aide d’autrui ses principaux lieux de contacts sociaux et professionnels, notamment son étude, les commerces et l’école de ses enfants, qui sont tous situés dans ce périmètre d’un kilomètre. Pour aller aux endroits de contacts sociaux réguliers plus éloignés, il dispose d’une voiture adaptée à son handicap. Certes, la remise de l’appareil de traction électrique lui éviterait dix transferts douloureux par semaine du fauteuil roulant à la voiture et vice-versa (mais pas les autres transferts inévitables dans la vie quotidienne mentionnés par la cour cantonale). L’assuré soutient (dans son mémoire de réponse) que ce dispositif lui éviterait dix transferts par jour, mais il ne démontre pas en quoi les constatations de fait de la cour cantonale seraient incorrectes. Il allègue en outre pas pouvoir se déplacer seul sur une distance de plus d’un kilomètre, ce qui aurait pour conséquence qu’il ne pourrait notamment pas se rendre sur son lieu de travail, « qui se situe à une distance de deux kilomètres aller-retour ». Ce faisant, il se met toutefois en contradiction avec ses propres dépositions devant les premiers juges, selon lesquelles il peut se rendre à son étude en fauteuil roulant manuel. Au vu des conditions strictes que pose la jurisprudence à l’octroi d’un dispositif de propulsion électrique (voire d’un fauteuil roulant à moteur électrique), la possibilité d’éviter certains transferts ne saurait justifier d’assimiler la nécessité de ménager les épaules à une impossibilité de se déplacer de manière autonome en fauteuil roulant manuel.

Concernant l’argument selon lequel le dispositif à traction électrique serait la seule mesure adéquate pour permettre à l’assuré de surveiller ses enfants lors de leurs sorties à l’extérieur, et qu’il serait ainsi à même d’assumer ses responsabilités de père dans les lieux de contacts sociaux habituels que sont notamment les parcs, l’assurance-accidents soutient, à juste titre, que cet élément sécuritaire justifierait alors l’octroi d’un dispositif de traction électrique à tout parent dépendant d’un fauteuil roulant et ce indépendamment de toute paralysie ou autre infirmité des membres supérieurs; ce dispositif ne servirait ainsi pas pour compenser une perte de fonction des membres supérieurs.

Il ressort des considérations de la cour cantonale que la remise du dispositif à traction litigieux est certes une solution idéale pour la situation de l’assuré, car elle facilite son quotidien et lui offre un confort maximal. Toutefois, dans son cas particulier, le but légal poursuivi, c’est-à-dire compenser la perte de fonction des jambes et lui offrir une mobilité autonome, peut déjà être atteint de manière adéquate et suffisante avec un fauteuil manuel et un véhicule automobile adapté. Dès lors, l’octroi du dispositif à propulsion électrique est en contradiction avec le principe selon lequel l’assurance sociale n’a pas pour mission d’assurer les mesures qui sont les meilleures, mais seulement celles qui sont nécessaires et propres à atteindre le but visé (ATF 135 I 161 consid. 5.1), et est ainsi contraire au droit fédéral.

 

Consid. 5.1
L’assurance-accidents avait également refusé le moyen auxiliaire sollicité au motif qu’il n’existait pas de lien de causalité entre les troubles aux épaules et l’accident du 26.09.2006. Elle s’était fondée sur sa décision du 28.10.2019, dans laquelle elle avait refusé le droit aux prestations de l’assurance-accidents pour les troubles aux épaules faute de lien de causalité avec l’évènement accidentel. Cependant, la cour cantonale a laissé ouverte la question de la causalité, considérant qu’elle n’était pas décisive pour juger du droit à un dispositif de propulsion électrique, mais qu’était déterminante la seule question de savoir si le moyen auxiliaire servait à compenser un dommage corporel ou une perte de fonction due à l’accident, soit en l’espèce l’usage des jambes.

Consid. 5.2
Il sied de rappeler que, comme toute autre prestation de l’assurance-accidents, l’octroi d’un moyen auxiliaire présuppose (entre autres) l’existence d’un lien de causalité (naturelle et adéquate) entre l’atteinte à la santé et l’évènement accidentel (cf. ATF 129 V 177 consid. 3). Cela ne ressort pas seulement de l’art. 6 al. 1 LAA, mais également de l’art. 1 al. 1 OMAA, qui exige que les moyens auxiliaires doivent servir à compenser un dommage corporel ou la perte d’une fonction résultant d’un accident ou d’une maladie professionnelle (cf. ATF 146 V 129 consid. 5.6). Comme le recours doit être admis déjà pour les raisons exposées ci-dessus, il n’est toutefois pas nécessaire d’examiner plus avant la question du lien de causalité.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_254/2022 consultable ici