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8C_622/2023 (f) du 27.05.2024 – Révision d’une décision entrée en force – Droit aux indemnités chômage / Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_622/2023 (f) du 27.05.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Existence d’un domicile en Suisse – Droit aux indemnités chômage

Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

 

L’assurée a notamment bénéficié d’un délai-cadre d’indemnisation de chômage du 01.07.2020 au 30.11.2022. A la suite d’une dénonciation, l’Office cantonal genevois de l’emploi (ci-après: OCE) a demandé une enquête sur le domicile de la prénommée au bureau des enquêtes de l’Office cantonal genevois de la population et des migrations (ci-après: OCPM). Il ressort d’un rapport d’aide administrative interdépartementale établi le 01.06.2022 que l’assurée ne résidait pas à la rue B.__ à Genève, mais à U.__ en France.

Par décision du 03.06.2022, adressée par pli recommandé, l’OCE a nié à l’assurée son droit à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’avait pas de domicile dans le canton de Genève, à tout le moins depuis cette date. Cette décision n’ayant pas été retirée dans le délai de garde postal, l’OCE l’a renvoyée à l’assurée le 20.06.2022, par courrier simple, en précisant que le « délai de recours » avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde.

Le 20.07.2022, l’assurée, assistée d’un avocat, a informé l’OCE n’avoir eu connaissance de la décision du 03.06.2022 que par le biais du pli simple du 20.06.2022. Elle a expliqué ne plus habiter à la rue B.__ depuis le 05.06.2022 et ne pas avoir été en mesure de prendre connaissance de la décision dans le délai de garde postal. Niant être domiciliée en France, elle a réclamé l’annulation de la décision par reconsidération ou révision. Par décision du 22.08.2022, l’OCE a refusé d’entrer en matière sur la demande de l’assurée. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une contestation.

Le 27.09.2022, l’assurée a formulé une nouvelle demande de reconsidération, s’appuyant sur une décision de l’OCE du 22.09.2022 reconnaissant son domicile à Genève du 03.04.2017 au 02.04.2019, ainsi que sur des attestations de tiers concernant son domicile après le 05.06.2022. Cette demande a été rejetée le 01.12.2022.

Parallèlement, l’OCPM a d’abord conclu à l’absence de domicile en Suisse de l’assurée depuis le 06.02.2020, avant d’annuler cette décision le 02.03.2023, reconnaissant finalement son domicile en Suisse sur la base des éléments fournis dans le cadre de la procédure avec l’OCE.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/632/2023 – consultable ici)

Par jugement du 23.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Il convient de définir l’objet du litige, plusieurs décisions ayant été rendues par l’OCE concernant la situation de l’assurée. L’arrêt attaqué porte sur la contestation par l’assurée de la décision du 01.12.2022 rejetant la demande de reconsidération et révision formée le 27.09.2022. Cette demande visait à obtenir la révision, respectivement la reconsidération de la décision de l’OCE du 03.06.2022 niant le droit de l’assurée à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’était pas domiciliée dans le canton de Genève. Le présent litige porte dès lors sur la réalisation des conditions d’une révision de cette dernière décision au moment du dépôt de la demande du 27.09.2022. Le recours est dès lors irrecevable en tant qu’il conclut au constat d’un domicile à Genève dès le 01.07.2020 et à la reconnaissance du droit à l’indemnité de chômage à partir de cette date.

Consid. 4.1
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant. Aussi, par analogie avec la révision des décisions rendues par les autorités judiciaires, l’administration est tenue de procéder à la révision (dite procédurale) d’une décision formellement passée en force lorsque sont découverts des faits nouveaux importants ou de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits avant et qui sont susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 148 V 277 consid. 4.3 et la référence).

Sont « nouveaux », au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence. En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de la décision dont la révision est demandée et conduire à une solution différente en fonction d’une appréciation juridique correcte. Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants, qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers (arrêt 8C_778/2021 du 1 er juillet 2022 consid. 3.2 et 3.3 et les arrêts cités).

 

Consid. 4.2
La cour cantonale a considéré que la décision sur opposition rendue par l’OCE le 22.09.2022 et la décision rendue par l’OPCM le 02.03.2023 ne constituaient pas des nouveaux moyens de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Ces décisions se fondaient sur des témoignages qui auraient pu être présentés en temps utile par l’assurée dans le cadre d’un recours contre la décision de l’OCE du 03.06.2022. Celui-ci avait considéré à tort que cette décision avait été valablement notifiée à l’échéance du délai de garde de son pli recommandé, car la fiction de la notification ne s’appliquait pas lorsque comme en l’espèce, la destinataire ne faisait l’objet d’aucune procédure. La décision du 03.06.2022 avait donc été notifiée par pli simple du 20.06.2022. L’assurée ne pouvait toutefois pas se prévaloir du principe de la bonne foi, car son conseil aurait pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement contenu dans ce courrier. Dès lors, l’assurée aurait dû former une opposition à la décision du 03.06.2022, et non une demande de révision ou reconsidération. Dans la mesure où cette demande avait été formée dans le délai d’opposition, l’assurée aurait encore pu contester dans le délai de 30 jours la décision de l’OCE du 22.08.2022, quand bien même cette décision ne mentionnait pas la possibilité de la contester.

Consid. 4.3 [résumé]
L’assurée soutient que la décision sur opposition de l’OCE du 22.09.2022 constitue un nouveau moyen de preuve avec des faits nouveaux, car elle est postérieure aux décisions précédentes et démontre son domicile à Genève depuis 2016, sauf pour une courte période en 2022. Elle invoque également la décision de l’OCPM du 02.03.2023 qui annule une précédente décision niant son domicile en Suisse, en se basant sur la décision de l’OCE du 22.09.2022 et les documents fournis. L’assurée argue que ces éléments remettent en question le rapport d’enquête administrative de l’OCPM du 01.06.2022 sur lequel l’OCE s’était appuyé.

Consid. 4.4
Il convient de déterminer si les faits dont l’assurée se prévaut, soit l’existence d’un domicile genevois, peuvent constituer des faits nouveaux ouvrant la voie à une révision de la décision du 03.06.2022. L’assurée ne conteste pas que les décisions des 22.09.2022 et 02.03.2023 reposent sur des témoignages qui auraient pu être présentés lors de la procédure contre la décision du 03.06.2022. Les preuves qu’elle tente d’introduire sont des attestations de témoins de juillet et août 2022, relatives à son domicile, utilisées dans la procédure ayant conduit à la décision du 22.09.2022. Les juges cantonaux ont correctement conclu que l’assurée aurait pu présenter ces preuves lors de la procédure d’opposition ou de recours contre la décision du 03.06.2022. Par conséquent, les conditions pour une révision selon l’art. 53 al. 1 LPGA ne sont pas remplies, et le grief de violation de cette disposition doit être rejeté.

Consid. 5 [résumé]
L’assurée allègue une violation de l’interdiction de l’arbitraire et du principe de la bonne foi, arguant que l’arrêt est arbitraire dans sa motivation et son résultat, la décision de l’OCE du 03.06.2022 étant selon elle erronée. Cet argument se confond avec celui précédemment examiné (cf. consid. 4 supra) concernant les conditions de révision, et n’a donc pas plus de portée. Il en va de même du grief tiré d’une prétendue nullité de la décision du 03.06.2022, l’assurée n’exposant pas sur quelle base légales fonde une quelconque cause de nullité.

L’assurée soutient également que la cour cantonale aurait dû analyser les pièces produites sous l’angle de la reconsidération, arguant que le refus de l’OCE de reconsidérer sa décision constituerait un abus de droit et une violation de l’interdiction de l’arbitraire. Le fondement de l’argumentation de l’assurée est nébuleux. Comme l’assurée le reconnaît elle-même, aucune voie de recours n’existe contre un refus de reconsidération (cf. ATF 133 V 50 consid. 4). Les juges cantonaux n’étaient donc pas tenus d’examiner ce refus, et ce grief est rejeté.

 

Consid. 8.1
A titre subsidiaire, l’assurée soutient que les juges cantonaux auraient dû admettre que son courrier du 20.07.2022 adressé à l’OCE était une opposition et qu’à défaut, ils auraient violé l’art. 52 al. 1 et 2 LPGA. On déduit de son argumentation qu’en réalité, l’assurée se plaint que l’OCE n’ait pas interprété le courrier litigieux, qui requérait la reconsidération et la révision de la décision précitée, comme une opposition. Elle se plaint en conséquence d’un formalisme excessif de la part de l’OCE.

Consid. 8.2
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 145 I 201 consid. 4.2.1; 142 IV 299 consid. 1.3.2).

Les formes procédurales sont nécessaires à la mise en œuvre des voies de droit pour assurer le déroulement de la procédure conformément au principe de l’égalité de traitement, ainsi que pour garantir l’application du droit matériel; toutes les exigences formelles ne se trouvent donc pas en contradiction avec la prohibition du formalisme excessif découlant de l’art. 29 al. 1 Cst. (ATF 142 V 152 consid. 4.2; arrêts 4A_254/2023 du 12 juin 2023 consid. 5.4; 5A_18/2018 du 16 mars 2018 consid. 3.3.1). En outre, selon la jurisprudence, l’avocat est non seulement représentant mais encore collaborateur de la justice, de sorte que le juge est en droit d’admettre qu’il agit en pleine connaissance de cause: l’avocat est présumé capable, en raison de sa formation particulière, de représenter utilement la partie; il se justifie dès lors de se montrer plus rigoureux en présence de ses procédés qu’en présence d’un plaideur ignorant du droit (ATF 113 Ia 84 consid. 3d; arrêt 2C_511/2012 du 15 janvier 2013 consid. 7.2).

Consid. 8.3
Il convient de rappeler que l’assurée n’a pas retiré durant le délai de garde postal la décision rendue le 03.06.2022. L’OCE l’a lui a renvoyée par pli simple du 20.06.2022, en indiquant que le délai d’opposition avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde postal. Dans son acte du 20.07.2022, rédigé par son conseil, l’assurée a requis l’annulation de la décision de l’OCE du 03.06.2022 par reconsidération ou révision, et n’a pas formulé d’opposition. Il n’est pas contesté que la décision précitée n’était alors pas entrée en force, le délai d’opposition n’ayant débuté qu’après réception du second envoi.

Consid. 8.4
L’assurée expose s’être fondée sur les indications erronées fournies par l’OCE dans son envoi du 20.06.2022, ce dont on ne devrait pas lui tenir rigueur dans la mesure où son conseil aurait été constitué en urgence, soit le 18.07.2022 et donc deux jours à peine avant l’échéance pour agir contre la décision du 03.06.2022. Elle évoque pour le reste que son acte du 20.07.2022 pouvait être considéré comme une opposition, répondant aux conditions de forme et de fond nécessaires.

Consid. 8.5
Il est manifeste en l’espèce que le conseil de l’assurée pouvait, et devait, se rendre compte que la décision du 03.06.2022 n’avait pas été notifiée à l’échéance du délai de garde postal. La jurisprudence y relative (cf. ATF 146 IV 30 consid. 1.1.2 in fine; 139 IV 228 consid. 1.1) est en effet constante et doit être connue de tout conseil professionnel. En outre, le délai d’opposition n’étant pas échu au moment de sa constitution, le conseil devait procéder par cette voie et non requérir la révision ou la reconsidération de la décision litigieuse. Pour le reste, les conclusions de l’acte du 20.07.2022 sont claires et se limitent à requérir la reconsidération ou la révision de la décision du 03.06.2022. L’OCE – et la cour cantonale – n’a donc commis aucun arbitraire en s’en tenant à ce que l’assurée demandait. L’assurée omet au surplus de prendre en compte que sa requête de reconsidération et de révision du 20.07.2022 a fait l’objet d’une décision rendue le 22.08.2022 par l’OCE, contre laquelle elle n’a pas recouru. Si elle entendait faire valoir que sa requête constituait une opposition, c’est dans le cadre d’un tel recours qu’elle aurait dû agir en ce sens. Son grief s’avère mal fondé.

 

Consid. 9
Au vu de ce qui précède, le recours, manifestement mal fondé, doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. L’assurée, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d’emblée dénué de chances de succès et la requête d’assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. L’assurée doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_622/2023 consultable ici

 

8C_662/2023 (f) du 22.03.2024 – Droit aux prestations complémentaires cantonales – Condition du domicile et de la résidence habituelle / Séjour à l’étranger de plus de 90 jours – Restitution des prestations complémentaires indûment perçues

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2023 (f) du 22.03.2024

 

Consultable ici

 

Droit aux prestations complémentaires cantonales – Condition du domicile et de la résidence habituelle / 2 al. 1 LPCC [GE] – 13 LPGA – 23 à 26 CC

Séjour à l’étranger de plus de 90 jours – Restitution des prestations complémentaires indûment perçues

Objet du litige

 

L’assuré touche des prestations complémentaires cantonales à sa rente d’invalidité depuis le 01.03.2007. Il perçoit en outre des subsides de l’assurance-maladie, lesquels ont également été octroyés à son épouse et à ses quatre enfants. Le 20.03.2018, le Service des prestations complémentaires (SPC) a sollicité de l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) une enquête sur la domiciliation de l’assuré. Dans son rapport d’entraide administrative interdépartementale du 21.03.2019, l’enquêteur mandaté par l’OCPM a notamment constaté que selon le passeport de l’intéressé, celui-ci était parti à l’étranger pour une durée largement supérieure à 90 jours par année lors des trois années précédentes, soit 172 jours en 2016, 200 jours en 2017 et 131 jours en 2018.

Par décision du 20.06.2019, le SPC a réclamé à l’assuré la restitution d’un montant de CHF 59’985, correspondant aux prestations complémentaires versées pour la période du 01.01.2017 au 30.06.2019.

Statuant par décisions séparées du 24.06.2019, le SPC a requis la restitution de CHF 5’788, correspondant à des rentes complémentaires pour enfant de l’AVS/AI, pour la période du 01.07.2012 au 31.12.2016. Il a recalculé le droit aux prestations complémentaires pour la période du 01.01.2018 au 30.06.2019, ce qui générait un solde rétroactif de CHF 36’336 en faveur de l’assuré et a réclamé le remboursement de CHF 20’301, correspondant à des subsides de l’assurance-maladie pour l’année 2017. Enfin, il a requis la restitution de CHF 2’502, correspondant à des subsides de l’assurance-maladie pour l’année 2017.

Par décisions séparées du 09.07.2019, le SPC a demandé à l’assuré le remboursement de frais médicaux à hauteur de CHF 1’990.45 pour lui-même, CHF 1’985.80 pour son épouse et CHF 596.30, respectivement CHF 506.95, pour deux de ses enfants.

Par décision sur opposition du 26.07.2021, le SPC a rejeté les oppositions formées par l’assuré contre les décisions des 20.06.2019 et 24.06.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/673/2023 – consultable ici)

Par jugement du 31.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Il convient tout d’abord de préciser l’objet du litige.

Consid. 3.1
L’assuré conteste la restitution d’un premier montant de CHF 59’985, correspondant aux prestations complémentaires versées du 1 er janvier 2017 au 30 juin 2019, ainsi que d’un second montant de CHF 20’301, correspondant à des subsides de l’assurance-maladie pour l’année 2017. Il demande également que son droit à des prestations complémentaires pour les années 2017, 2018 et 2019, ainsi qu’à des subsides de l’assurance-maladie pour l’année 2017, soit reconnu.

Consid. 3.2
Amenés à circonscrire l’objet du litige en procédure cantonale, les juges cantonaux ont constaté que l’assuré s’était opposé à la décision du 20.06.2019, réclamant la restitution de CHF 59’985, et à celle du 24.06.2019 qui exigeait la restitution de CHF 20’301, en faisant valoir que son absence de Genève durant 200 jours en 2017 était justifiée par des raisons médicales. Il n’avait, en revanche, pas contesté les autres décisions des 24.06.2019 et du 09.07.2019 demandant la restitution de diverses prestations. L’examen de l’opposition avait été ainsi limité à la question de la résidence habituelle dans le canton de Genève, à laquelle était subordonné le droit aux prestations complémentaires. Dans son recours cantonal, l’assuré contestait devoir rembourser les montants de CHF 59’985 et CHF 20’301 pour les mêmes motifs que ceux exposés dans son opposition.

La cour cantonale a ajouté qu’en cours de procédure, le SPC avait expliqué que la suppression du droit aux prestations complémentaires pour l’année 2017 avait nécessité l’annulation, dans le système informatique, des prestations complémentaires allouées du 01.01.2017 au 30.06.2019 ; comme l’assuré avait été mis au bénéfice de prestations complémentaires pour la période rétroactive du 01.01.2018 au 30.06.2019, le SPC lui devait encore CHF 312 pour cette période. Toujours selon le SPC, en définitive, il était exigé de l’assuré la restitution d’un montant de CHF 23’649, correspondant aux prestations complémentaires octroyées pour l’année 2017. La juridiction cantonale en a conclu que le litige portait uniquement sur le point de savoir si le SPC avait, à juste titre, retenu que l’assuré n’avait pas sa résidence habituelle dans le canton de Genève en 2017, et requis la restitution des prestations complémentaires cantonales et des subsides de l’assurance-maladie versés du 01.01.2017 au 31.12.2017.

Consid. 3.3
L’assuré ne formule aucun grief à l’encontre de l’appréciation du tribunal cantonal, qui ne prête au demeurant pas le flanc à la critique. Aussi, l’objet du présent litige soumis au Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà de la question de la restitution des prestations complémentaires cantonales et des subsides de l’assurance-maladie perçus par l’assuré pour l’année 2017. Dès lors, sa conclusion tendant à reconnaître son droit aux prestations complémentaires pour les années 2018 et 2019, qui excède l’objet du litige et échappe au pouvoir de cognition du Tribunal fédéral, est irrecevable.

 

Consid. 5
En l’espèce, les juges cantonaux ont observé que selon le rapport de l’enquêteur de l’OCPM, l’assuré avait séjourné 200 jours à l’étranger en 2017, soit plus de six mois. Ce dernier avait du reste admis avoir séjourné plus de six mois au Kosovo cette année-là, en effectuant des voyages à répétition. Rappelant qu’une absence à l’étranger au-delà de trois mois n’interrompait pas le droit aux prestations complémentaires jusqu’à une année si elle avait été dictée par des raisons valables, voire au-delà d’une année si elle s’était prolongée pour des motifs contraignants ou imprévisibles, la juridiction cantonale s’est attelée à examiner si des raisons valables avaient justifié l’absence de l’assuré du canton de Genève durant 200 jours en 2017. A cet égard, l’intéressé invoquait des motifs médicaux et le climat au Kosovo, plus supportable. Selon les pièces médicales versées au dossier, il souffrait de douleurs chroniques au niveau de la nuque et du dos, de maux de tête, de vertiges et d’un syndrome neuropsychiatrique. Ses médecins indiquaient que les douleurs chroniques étaient aggravées par les changements climatiques et que sa présence au Kosovo, où il parlait sa langue maternelle et se trouvait auprès de sa famille et de ses proches, dans un milieu naturel, améliorait son état de santé. Les médecins ne faisaient toutefois que rapporter les dires de leur patient. Par ailleurs, selon les tableaux « historique de la météo en 2017 » pour ces deux lieux, le climat au Kosovo était quasi-identique à celui de Genève en 2017. L’explication selon laquelle l’assuré serait resté davantage au Kosovo l’année en question, pour éviter une aggravation de ses douleurs chroniques due au changement de temps, n’emportait ainsi pas la conviction. En outre, il n’avait produit aucun rapport médical attestant l’existence, au Kosovo, d’un traitement inexistant à Genève, ou d’une décompensation psychique durant les périodes où il résidait à Genève. Selon la jurisprudence, les raisons d’ordre social, familial et personnel n’étaient pas pertinentes. Au demeurant, il existait à Genève, voire à Lausanne, des associations où l’assuré pouvait échanger en albanais avec d’autres membres de sa communauté. Enfin, la campagne genevoise lui permettait de passer des moments agréables, seul ou en famille.

L’instance cantonale a conclu qu’à défaut de raisons valables ayant justifié le séjour de l’assuré à l’étranger durant 200 jours en 2017, le SPC avait considéré à juste titre qu’il n’avait pas droit aux prestations complémentaires cantonales – conditionné notamment à l’exigence d’une résidence habituelle dans le canton de Genève – du 01.01.2017 au 31.12.2017. Dès lors que les subsides de l’assurance-maladie étaient notamment destinés aux bénéficiaires de prestations complémentaires à l’AVS/AI, c’était également à tort que l’assuré avait perçu de tels subsides pour lui et sa famille en 2017.

La cour cantonale a finalement constaté que le SPC avait été informé en mars 2019 de l’absence du maintien de la résidence effective de l’assuré dans le canton de Genève durant l’année 2017. En réclamant, par décisions des 20.06.2019 et 24.06.2019, la restitution des prestations complémentaires et des subsides de l’assurance-maladie versés à tort pour l’année 2017, le SPC avait respecté tant le délai relatif d’une année, à compter du moment où il avait eu connaissance des faits, que le délai absolu de cinq ans après le versement des prestations.

 

Consid. 6.2
Il n’est pas contesté que l’assuré, installé dans le canton de Genève avec sa famille, a passé 200 jours au Kosovo en 2017. Les parties s’opposent en revanche sur le point de savoir si l’assuré avait, au sens de la loi, sa résidence habituelle dans le canton de Genève cette année-là. On notera que l’assuré a perçu pour l’année 2017 des prestations complémentaires exclusivement cantonales, et non fédérales. L’octroi de ces prestations, ainsi que leur restitution, relève donc du droit cantonal, tout comme les subsides de l’assurance-maladie. Dès lors, en la présente procédure, le Tribunal ne peut revoir les questions de droit que sous l’angle restreint de l’arbitraire, comme tel est le cas s’agissant de l’établissement des faits.

Quoi qu’en dise l’assuré, la cour cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire en considérant qu’il n’avait pas de raisons valables pour avoir séjourné 200 jours au Kosovo en 2017. Elle a exposé, de manière convaincante, que le climat dans ce pays était semblable à celui de Genève, que l’assuré avait la possibilité de côtoyer des personnes issues de sa communauté dans la région genevoise – où vivent également son épouse et ses enfants – et qu’il pouvait, si besoin, y trouver un environnement calme et apaisant. L’assuré, qui ne prend pas position sur ces éléments pertinents, ne les dément pas. Il se contente, de manière purement appellatoire, de répéter que ses séjours au Kosovo amélioreraient son état de santé, sans expliquer concrètement pour quelles raisons il ne pourrait pas trouver à Genève des conditions de vie similaires à celles prévalant dans son pays d’origine, étant rappelé que la Suisse abrite une importe communauté kosovare. En outre, comme sous-entendu par les juges cantonaux, les médecins de l’assuré n’ont pas fait état d’une diminution de ses souffrances qui puisse être objectivable. Pour le reste, l’assuré ne conteste pas qu’à défaut d’une résidence habituelle dans le canton de Genève en 2017, il n’a pas droit aux prestations complémentaires cantonales et, en corollaire, pas droit non plus aux subsides de l’assurance-maladie. Il ne prétend pas davantage que les conditions à la restitution des prestations indûment touchées ne seraient pas réunies.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_662/2023 consultable ici

 

8C_631/2022 (i) du 24.03.2023 – Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / 39 LPGA – 60 LPGA

Pas d’application de l’ALCP ni du Règl. (CE) no 883/2004

Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

 

Assuré, ressortissant italien né en 1983, a travaillé pendant plusieurs années en Suisse en tant qu’ouvrier du bâtiment. Accident le 09.08.2016.

Par décision du 30.12.2020, envoyée directement à l’avocat de l’assuré résidant en Italie, l’assurance-accidents a octroyé une rente d’invalidité de 12% dès le 01.01.2021. Par décision sur opposition du 09.02.2021, notifiée directement à l’avocat de l’assuré le 16.02.2021, l’assurance-accidents a confirmé la décision du 30.12.2020.

 

Procédure cantonale

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition auprès du tribunal cantonal. L’acte de recours daté du 16.03.2021 a été remis à la poste italienne le 18.03.2021 et est parvenu au tribunal le 24.03.2021. Dans un arrêt du même jour, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le fond du recours en raison de la tardiveté de celui-ci.

Dans son arrêt 8C_307/2021 du 25.08.2021, le Tribunal fédéral a admis le recours formé par l’assuré, annulant le jugement du 24.03.2021 et renvoyant la cause à l’instance cantonale. Le Tribunal fédéral a notamment relevé que le tribunal cantonal avait constaté le domicile de l’assuré – fait déterminant pour la détermination du droit applicable (interne ou international) en matière de computation du délai de recours et de mode de notification des actes – sans procéder aux actes d’instruction nécessaires et sans garantir à l’assuré le droit d’être entendu.

Dans un arrêt du 09.03.2022, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours du 16.03.2021, le considérant comme tardif.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir mal interprété l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ci-après : ALCP [RS 0.142.112.681]) et le Règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après : Règlement n° 883/2004 [RS 0.831.109.268.1]), dans la mesure où, pour déterminer l’applicabilité (ou non) du droit international précité, elle a procédé à l’établissement de l’existence d’un élément transfrontalier du litige, à savoir son lieu de résidence. Selon l’assuré, , se fondant sur l’art. 2 par. 1 du Règlement n° 883/2004, le simple fait qu’il soit ressortissant italien entraînerait automatiquement l’application de ce règlement, selon lequel, en vertu de l’art. 81 (demandes, déclarations ou recours), la remise d’une demande ou d’un recours à la poste d’un État membre – autre que celui qui détermine la loi applicable à l’affaire – sauvegarde le délai de recours à la poste, de sorte que le recours doit être considéré comme opportun.

Consid. 4.2
Dans les considérants de l’arrêt attaqué, la cour cantonale a exposé de manière complète et détaillée les règles de droit et les principes jurisprudentiels nécessaires à la résolution de la cause, en rappelant notamment les délais de recours et les règles de computation et de respect des délais en droit national (en particulier les art. 39 et 60 LPGA), ainsi qu’en droit européen (art. 81 Règlement n° 883/2004). Il est possible de s’y référer et de s’y conformer.

Appelé à se prononcer concrètement sur la législation applicable, le tribunal cantonal a ensuite relevé que, pour que l’assuré puisse invoquer l’ALCP et les règlements européens, il est indispensable que la cause présente un élément transfrontalier. Comme en l’espèce le litige relatif aux prestations sociales contestées était prima facie circonscrit à la Suisse, où il travaillait et vivait depuis de nombreuses années, la cour cantonale a donc procédé à la vérification de son lieu de résidence au moment où il a déposé son recours par l’intermédiaire de ses avocats, ainsi que le Tribunal fédéral l’a expressément indiqué dans son arrêt de renvoi (8C_307/2021 consid. 5.2-5.3).

Consid. 4.3
En ce qui concerne le champ d’application personnel (ratione personae) de l’ALCP et du Règlement n° 883/2004, le Tribunal fédéral a jugé que les éléments déterminants pour cette appréciation sont, d’une part, les conditions de nationalité ou de statut familial de la personne et, d’autre part, l’élément transfrontalier, à savoir l’exercice du droit à la libre circulation, c’est-à-dire le fait de résider ou de travailler dans un État membre de l’UE (ATF 143 V 81 consid. 8.1 et 8.3.2). Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à laquelle le Tribunal fédéral se réfère généralement pour l’application de l’ALCP (voir ATF 143 II 57 consid. 3.6 ; 139 II 393 consid. 4. 1), les dispositions européennes relatives à la coordination des systèmes de sécurité sociale ne sauraient en effet s’appliquer à des activités qui n’ont de lien avec aucune des situations couvertes par le droit communautaire et dont les éléments pertinents restent dans l’ensemble confinés à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt pro multis du 5 mai 2011 C-434/09 McCarthy, consid. 45). Il y a caractère transfrontalier lorsqu’une personne, une affaire ou une demande a une relation juridique avec plusieurs États de l’UE. Dans ce cas, le lieu de résidence ou de travail entre notamment en ligne de compte (ATF 143 V 81 consid. 8.3.1 ; voir BETTINA HUMMER, in Europäisches Sozialrecht, Maximilian Fuch/Constanze Janda [éd.], 8e éd. 2022, no. 16 ad art. 2 du Règlement [CE] no 883/2004). Le seul fait de posséder la nationalité d’un État de l’UE ne suffit donc pas pour appliquer les règlements européens de sécurité sociale si la personne concernée n’a pas exercé son droit à la libre circulation (lien transfrontalier). Par conséquent, l’interprétation faite par le tribunal cantonal est conforme au droit international. L’assuré ne saurait donc être suivie lorsque, ignorant la jurisprudence fédérale constante, elle procède à une réanalyse générale de l’art. 2 par. 1 du Règlement no 883/2004 pour aboutir au résultat que le seul fait de posséder la nationalité d’un État communautaire, indépendamment de l’exercice ou non du droit à la libre circulation, entraînerait l’application personnelle du règlement précité.

 

Consid. 5.1
Le tribunal cantonal a tout d’abord constaté la présence de deux attestations de domicile contradictoires : l’extrait du service de l’état civil du canton des Grisons du 25.03.2021 indiquait que l’assuré était domicilié dans la commune de V.__ depuis 2018, alors que les certificats des 14.04.2021 et 26.11.2021 délivrés par la commune de W.__ (Italie) attestaient qu’il était domicilié dans la commune depuis le 27.10.2020. Les juridictions grisonnes ont également constaté que le contrat de location de l’appartement à V.__ – loué depuis le 01.04.2018 – n’avait pas encore été résilié et que l’assuré avait payé le loyer sans interruption, au moins jusqu’en juin 2021. Le tribunal cantonal a ensuite relevé que l’assuré était un citoyen italien titulaire d’un permis L UE/AELE de séjour temporaire, qu’il avait travaillé en Suisse pendant au moins sept ans en percevant un salaire stable jusqu’à son accident et qu’il était assujetti à l’impôt à la source depuis 2010. L’enquête a ensuite permis d’établir que l’assuré percevait des indemnités de chômage à partir du 01.01.2021, indemnités qui requièrent légalement une résidence effective en Suisse, et que dans le cadre de l’inscription au chômage, tant l’assuré que les autorités communales ont confirmé résider dans la commune de V.__. Pendant la période en question, soit entre février et mars 2021, il avait en outre témoigné de ses efforts personnels pour trouver un emploi en Suisse. La cour cantonale a finalement constaté que l’assuré était titulaire d’un abonnement de téléphonie mobile suisse – en Italie, il ne disposait que d’une carte prépayée – et que ses principales dépenses, constatées sur la base de la documentation bancaire, étaient principalement concentrées en Suisse. Sur la base des éléments du dossier, le tribunal cantonal a donc conclu que le requérant, bien que citoyen italien, non inscrit à l’Anagrafe dei Residenti all’Estero (AIRE) et propriétaire d’un bien immobilier à W.__, n’avait pas établi un lien avec l’Italie de nature à y reconnaître une résidence habituelle, à savoir avec l’intention de la maintenir pendant un certain temps et d’en faire le centre de ses relations personnelles durant cette période.

Consid. 5.2
L’assuré reproche à l’instance cantonale d’avoir déterminé son domicile de manière arbitraire et d’avoir appliqué à cet effet une base légale et des critères erronés. Il reproche en particulier au tribunal cantonal d’avoir retenu à tort la notion de résidence habituelle au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA et de l’art. 8 al. 1 lit. c LACI, au lieu de celle de domicile au sens de l’art. 23 CC, pour en déduire les critères de résidence au sens de l’article 1er lit. j Règlement n° 883/2004. En raison de la détention d’un permis L UE/AELE, qui ne peut en aucun cas être assimilé à un séjour en Suisse, il ne devrait également être considéré que comme un résident temporaire. En ce qui concerne les constatations de fait manifestement inexactes, l’assuré soutient que le tribunal cantonal a totalement ignoré le fait qu’au moment du dépôt du recours, il avait la nationalité italienne, n’était pas inscrit auprès de l’AIRE, ne travaillait pas, voyageait fréquemment d’Italie en Suisse et vice versa, qu’il était propriétaire d’un bien immobilier en Italie et titulaire d’un permis L UE/AELE valable pour trois mois seulement. Il ressort de ces éléments qu’il entretenait des relations juridiques avec l’Italie et qu’il ne se rendait en Suisse que pour des raisons professionnelles et administratives, sans avoir l’intention de s’y installer durablement. En conclusion, le requérant reproche à l’instance cantonale d’avoir appliqué à tort le droit fédéral – art. 39 al. 1 et 60 LPGA – au lieu du droit international, déclarant ainsi le recours irrecevable pour tardiveté.

Consid. 5.3
Selon l’art. 1er lit. j du Règl. n° 883/2004 – qui correspond à l’ancien art. 1er lit. h du Règlement [CE] n° 1408/71, abrogé avec effet au 1er avril 2012 -, la résidence est le lieu où une personne réside habituellement. Le terme de résidence constitue, en principe, une notion autonome et propre du droit communautaire européen (arrêt [de la CJUE] du 11 septembre 2014 C-394/13 Ministerstvo práce a sociálních vecí, point 26 ; arrêt 8C_186/2017 du 1er septembre 2017 consid. 7.5). L’art. 11 du Règlement d’exécution [CE] n° 987/2009 (RS 0.831.109.268.11) assimile la résidence au centre des intérêts de la personne concernée, qui est déterminé par une appréciation globale des circonstances. Cet article codifie également les éléments développés par la jurisprudence de la CJUE qui peuvent être pris en compte pour déterminer le centre d’intérêts susmentionné, tels que, par exemple, la durée et la continuité de la présence sur le territoire des États membres concernés, l’exercice d’une activité ou la situation et les liens de la famille (arrêt C-394/13, point 34 ; cf. point 5). Enfin, la définition de la résidence diffère de celle du séjour à l’art. 1er lit. k du Règl. n° 883/2004, qui est défini comme un séjour purement temporaire. Dans le cadre des accords sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, notamment dans l’application des règlements européens sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, le Tribunal fédéral a déjà constaté, sur la base de la jurisprudence de la CJUE, que le droit communautaire laisse largement ouverte la question de la détermination de la résidence et confie généralement cette notion au droit national respectif (ATF 138 V 533 consid. 4.2, 186 consid. 3.3.1).

Du point de vue du Règl. n° 883/2004, la jurisprudence fédérale a ainsi établi que la résidence est le lieu où se trouve le centre de vie de la personne ; elle peut dépendre à la fois de circonstances subjectives, fondées principalement sur la volonté de la personne concernée, et de circonstances objectives, qui sont déterminées par les conditions de vie extérieures et qui peuvent également diverger de la volonté déclarée (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1). Toutefois, ce sont les aspects objectifs et non les aspects subjectifs qui sont déterminants pour le jugement (ATF 148 V 209 consid. 4.3 ; 138 V 533 consid. 4.2). En outre, la simple durée de résidence dans un État membre de l’UE n’est pas décisive pour déterminer le lieu de résidence (HUMMER, op. cit., n° 20 à l’art. 1 du Règl. n° 883/2004 avec les références à la jurisprudence de la CJUE). Ce qui est déterminant, en revanche, c’est de savoir si la personne concernée a localisé (ou non) le centre de ses intérêts dans l’État en question. Pour ce faire, il faut tenir compte de la nature de la profession exercée, du but de l’absence du pays d’origine, de la situation familiale et de l’intention de l’intéressé de retourner au lieu où il était précédemment employé, démontrée par l’ensemble des circonstances (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1 ; 133 V 137 consid. 7.2 ; 131 V 222 consid. 7.4). Sur la base de l’art. 11 par. 1 lit. b du Règl. n° 987/2009, la situation de vie de la personne concernée peut également être prise en compte.

Comme l’a relevé à juste titre le tribunal cantonal, la définition de la résidence en droit communautaire correspond, pour l’essentiel, à celle du droit interne (ATF 148 V 209 consid. 4.3). En effet, selon l’art. 13 al. 2 LPGA, une personne a sa résidence habituelle (« propria dimora abituale » ; « gewöhnlicher Aufenthalt ») au lieu où elle vit pendant une période prolongée, même si la durée du séjour est d’emblée limitée. Il s’agit d’une notion créée par la jurisprudence fédérale (cf. ATF 119 V 98 consid. 6c) et propre au droit des assurances sociales. Selon une jurisprudence constante, la résidence habituelle au sens de la disposition précitée suppose donc un séjour effectif en Suisse et l’intention de le maintenir pendant un certain temps, même si la durée du séjour est d’emblée limitée ; en outre, le centre des relations de la personne doit se trouver en Suisse (ATF 141 V 530 consid. 5.3 ; 119 V 98 consid. 6c ; 112 V 164 consid. 1a). Ainsi, du point de vue du droit interne également, le domicile au sens de la résidence habituelle se situe là où se trouve le centre de vie de la personne concernée.

Consid. 5.4
L’assuré, sauf de manière générale, ne démontre pas le caractère insoutenable des constatations de l’instance cantonale. Dans la mesure où il se concentre notamment sur l’appréciation de la cour cantonale au regard des faits de la cause et du but allégué de son séjour en Suisse, il ne démontre pas leur caractère manifestement infondé, mais se contente d’opposer abusivement son opinion à celle des juges cantonaux. En tout état de cause, le raisonnement du tribunal cantonal est convaincant. Les circonstances factuelles évoquées par l’assuré ne suffisent pas à remettre en cause le raisonnement de la cour cantonale.

En effet, les considérants détaillés de la décision attaquée montrent que la cour cantonale a apprécié tous les éléments pertinents pour l’établissement des faits et a examiné de manière approfondie les griefs de l’assuré. Plus précisément, la cour cantonale a relevé que l’absence d’enregistrement AIRE ne prouve pas en soi l’absence de résidence à l’étranger et que la possibilité pour l’assuré d’un renouvellement illimité des permis UE/AELE de type L ne saurait raisonnablement prouver, au vu de tous les autres éléments du dossier, qu’il n’avait pas l’intention de résider durablement en Suisse. D’ailleurs, il est resté en Suisse malgré les blessures qu’il a subies. Même le fait qu’il ait acheté un bien immobilier en Italie ne semble pas déterminant pour admettre le retour de l’assuré dans son pays d’origine, puisque le bail de l’appartement en Suisse est toujours en cours. L’instance cantonale a ensuite pris acte du refus de l’assuré de déclarer le moment du prétendu déménagement en Italie et de produire les documents fiscaux italiens pour les années 2019-2020 et l’éventuelle résiliation du bail de l’appartement en Suisse. Par conséquent, pour la cour cantonale, des éléments plus concrets étaient nécessaires pour conclure à un déménagement en Italie. On ne saurait donc admettre que la cour cantonale ait déterminé le domicile de l’assuré par une interprétation insoutenable et en contradiction flagrante avec les documents de la cause.

Consid. 5.5
A cet égard, l’assuré semble oublier qu’en matière d’assurances sociales, la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération (ATF 144 III 264 consid. 5.2). Le juge fonde sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références).

En l’espèce, il est plus vraisemblable que le centre des relations personnelles de l’assuré se trouvait dans le canton des Grisons, où il a travaillé et vécu pendant des années et bénéficié de prestations sociales qui, selon la loi, exigent une résidence effective en Suisse, et non en Italie, où il semble n’avoir fait qu’acquérir un bien immobilier. En outre, le refus de l’assuré de déclarer au tribunal cantonal la date de son prétendu déménagement en Italie est également révélateur. A cet égard, après avoir dûment analysé les éléments de preuve, en particulier le dossier relatif aux prestations de l’assurance-chômage en Suisse, les documents bancaires et les documents relatifs à la location en Suisse, la cour cantonale a estimé, conformément au droit fédéral, que les circonstances invoquées par l’assuré n’étaient pas suffisantes pour établir une résidence habituelle en Italie. Il s’ensuit que les critiques de l’assuré ne sont pas fondées à cet égard. La cour cantonale n’ayant pas constaté arbitrairement la résidence de l’assuré en Suisse, c’est donc à juste titre qu’elle a considéré que le recours déposé était tardif (art. 39 al. 1 et 60 LPGA ; cf. arrêt de renvoi 8C_307/2021 du 25 août 2021 consid. 4).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_631/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/8c_631/2022)

 

8C_271/2022 (f) du 11.11.2022 – Droit à l’indemnité chômage – 8 LACI / Assuré expatrié – Retour en Suisse retardé par Covid-19 / Devoir de conseils de l’assureur social – Protection de la bonne foi niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_271/2022 (f) du 11.11.2022

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Assuré expatrié – Retour en Suisse retardé par Covid-19/ 8 LACI

Devoir de conseils de l’assureur social – Protection de la bonne foi niée / 27 LPGA – 19a al. 1 aOACI – 22 al. 1 OACI

 

Assuré, né en 1962, de nationalité suisse, a conclu plusieurs contrats de travail avec l’Association B.__ et a travaillé à l’étranger en tant qu’expatrié depuis 2016. Le 10.04.2019, il a conclu avec l’Association B.__ un contrat de travail qui prévoyait une mission en Jordanie allant du 06.04.2019 au 05.04.2020. Par courriel du 02.04.2020, alors qu’il se trouvait toujours en poste en Jordanie, il a fait parvenir à l’ORP du canton de Genève une demande d’inscription à l’assurance-chômage. Le 03.04.2020, ensuite d’une conversation téléphonique, un collaborateur de l’ORP a adressé à l’assuré un courriel dans lequel il lui demandait d’envoyer sa demande d’inscription aux autorités vaudoises, dès lors que son dernier domicile en Suisse se trouvait à U.__.

Par courriel du 05.04.2020, l’assuré a répondu qu’en raison de la situation exceptionnelle due à la pandémie de Covid-19, il était bloqué en Jordanie ensuite de la fermeture de l’aéroport d’Amman; il avait envoyé son formulaire d’inscription à l’ORP de Genève car il comptait quitter la Jordanie dès que possible en vue de s’installer et d’élire domicile dans le canton de Genève; il demandait en outre un traitement particulier compte tenu de la situation sanitaire.

Par courriel du 06.04.2020, l’ORP de Genève a informé l’assuré qu’au vu de la situation exceptionnelle, il allait procéder à son inscription; l’attention de l’assuré était attirée sur l’importance qu’il établisse officiellement son domicile dans le canton dès son arrivée en Suisse. Un délai-cadre d’indemnisation lui a été ouvert à compter du 06.04.2020 et l’indemnité de chômage lui a été versée jusqu’en septembre 2020.

Par vol du 24.09.2020 en provenance d’Amman, l’assuré est rentré en Suisse, ensuite de quoi il a effectué un voyage de prospection en France. Il est revenu en Suisse le 17.10.2020 puis a observé une quarantaine d’une durée de dix jours. Son certificat de domicile pour confédérés, établi le 12.11.2020, indique le 09.11.2020 comme date de son arrivée dans le canton de Genève.

Par décision du 21.01.2021, confirmée sur opposition, l’Office cantonal de l’emploi (OCE) a déclaré l’assuré inapte au placement pour la période allant du 06.04.2020 au 25.10.2020, au motif que durant son séjour à l’étranger, tant en Jordanie qu’en France, ainsi que pendant sa quarantaine de dix jours, il n’avait pas pu suivre une mesure de marché du travail en présentiel, se rendre à un entretien d’embauche, effectuer un essai chez un employeur ou prendre un emploi.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/266/2022 – consultable ici)

Par jugement du 24.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’art. 8 al. 1 LACI énumère aux lettres a à g sept conditions du droit à l’indemnité de chômage. Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 218 consid. 2). Le droit à l’indemnité de chômage suppose en particulier que l’assuré soit domicilié en Suisse (let. c) et qu’il soit apte au placement (let. f).

Consid. 3.2.1
L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase). Selon l’ancien art. 19a al. 1 OACI, abrogé avec effet au 01.07.2021 et remplacé dès cette date par l’art. 22 al. 1 OACI de même teneur, les organes d’exécution mentionnés à l’art. 76 al. 1 let. a à d LACI – parmi lesquels les ORP – renseignent les assurés sur leurs droits et obligations, notamment sur la procédure d’inscription et leur obligation de prévenir et d’abréger le chômage.

Consid. 3.2.2
Le devoir de conseils de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations (ATF 139 V 524 consid. 2.2; 131 V 472 consid. 4.3). Les conseils ou renseignements portent sur les faits que la personne qui a besoin de conseils doit connaître pour pouvoir correctement user de ses droits et obligations dans une situation concrète face à l’assureur. Le devoir de conseils s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique. Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (arrêt 9C_145/2019 du 29 mai 2019 consid. 4.3.1 et les références).

Consid. 3.2.3
Selon la jurisprudence, le défaut de renseignement dans une situation où une obligation de renseigner est prévue par la loi, ou lorsque les circonstances concrètes du cas particulier auraient commandé une information de l’assureur, est assimilé à une déclaration erronée de sa part qui peut, à certaines conditions, obliger l’autorité à consentir à un administré un avantage auquel il n’aurait pas pu prétendre, en vertu du principe de la protection de la bonne foi découlant de l’art. 9 Cst. Un renseignement ou une décision erronés de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (a) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (b) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (c) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement (« ohne weiteres ») de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour (d) prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (e) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée. Ces principes s’appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (c) devant toutefois être formulée de la façon suivante: que l’administré n’ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu’il n’avait pas à s’attendre à une autre information (ATF 143 V 341 consid. 5.2.1; 131 V 472 consid. 5).

Consid. 6.1
L’assuré, se plaignant d’une violation de l’art. 27 LPGA, soutient que toutes les conditions définies par la jurisprudence pour être mis au bénéfice du principe de la protection de la bonne foi seraient satisfaites. Il explique que l’ORP ne lui aurait jamais fait savoir que l’absence d’un domicile en Suisse l’empêcherait de toucher l’indemnité de chômage. Bien qu’il ait été conscient de l’importance de revenir en Suisse au plus vite, il n’aurait pas été au fait qu’un domicile dans ce pays était une condition impérative pour pouvoir percevoir ladite indemnité. L’ORP aurait omis de le renseigner à ce sujet. Par ailleurs, on lui aurait versé l’indemnité de chômage pendant six mois, alors même que son absence de domicile en Suisse était connue des autorités compétentes. […]

Consid. 6.2
Alors qu’il avait initialement redirigé l’assuré vers les autorités vaudoises, l’ORP de Genève a, dans son courriel du 06.04.2020, accepté de tenir compte de la situation exceptionnelle de l’intéressé et de procéder à son inscription à l’assurance-chômage dans le canton de Genève. Ce faisant, il a attiré l’attention de l’assuré – dont la dernière adresse connue en Suisse se trouvait dans le canton de Vaud – sur la nécessité d’élire officiellement domicile dans le canton de Genève dès son retour en Suisse. Dès lors que l’ORP n’a toutefois jamais indiqué ni même laissé entendre à l’assuré que celui-ci ne pouvait prétendre à l’allocation de l’indemnité de chômage qu’à la condition d’être domicilié en Suisse, il est douteux qu’il se soit conformé à son devoir de conseils. Il a, en sus, exposé tenir compte de la situation exceptionnelle de l’assuré, liée à la pandémie de Covid-19, et a procédé à son inscription, ce qui a entraîné le versement de l’indemnité de chômage jusqu’en septembre 2020, sans que l’absence de domicile en Suisse – pourtant connue des autorités genevoises – n’y ait fait obstacle. Ce n’est qu’en avril 2021, au stade de la décision sur opposition de l’intimé, que le défaut de domicile de l’assuré en Suisse lui a été opposé. Ainsi, quand bien même l’assuré a, dans son courriel du 05.04.2020, assuré avoir l’intention de quitter la Jordanie pour gagner la Suisse dès que possible, il n’est pas improbable qu’il ait cru être éligible à l’indemnité de chômage dès son inscription en avril 2020, même s’il était contraint de différer son retour en Suisse en raison de la situation sanitaire extraordinaire. Il n’est du reste pas contesté qu’il a parfaitement respecté ses obligations d’assuré malgré son éloignement géographique et les difficultés liées à la pandémie, effectuant notamment de nombreuses recherches d’emploi dès février 2020 ainsi que des entretiens d’embauche en juin et août 2020, ce qui suggère qu’il ignorait ne pas remplir l’une des conditions du droit à l’indemnité de chômage. Cela étant, le point de savoir si la condition (c) est satisfaite peut rester indécis au vu de ce qui suit.

Consid. 6.3
S’agissant de la condition (d), l’assuré n’expose pas – et on ne voit pas – à quelle autre source potentielle de revenu il aurait renoncé ensuite du versement de l’indemnité de chômage dès avril 2020. Indépendamment de la perception de cette indemnité, il était en outre de toute manière censé tout mettre en œuvre pour trouver au plus vite un nouvel emploi, conformément à ses obligations d’assuré. Le seul fait qu’il ait dépensé l’indemnité perçue entre avril et septembre 2020 ne saurait conduire à admettre qu’il a pris des dispositions auxquelles il ne peut pas renoncer sans subir de préjudice. Quant à l’argument tiré des « mesures plus radicales » qu’il aurait pu entreprendre – à défaut de versement de l’indemnité de chômage – pour revenir en Suisse plus tôt, il se heurte à ses propres déclarations selon lesquelles il aurait tout fait pour rejoindre la Suisse le plus tôt possible. La condition (d) n’est donc pas remplie.

Consid. 6.4
Il s’ensuit que la cour cantonale a considéré à bon droit que l’assuré ne pouvait pas être mis au bénéfice de la protection de sa bonne foi s’agissant de la condition du domicile en Suisse de l’art. 8 al. 1 let. c LACI.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_271/2022 consultable ici

 

9C_689/2020 (f) du 01.03.2022 – Conditions d’affiliation à l’assurance obligatoire des soins – Domicile en Suisse / Convention de sécurité sociale entre la Suisse et les Etats-Unis / Qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_689/2020 (f) du 01.03.2022

 

Consultable ici

 

Conditions d’affiliation à l’assurance obligatoire des soins – Domicile en Suisse / 3 LAMal – 1 al. 1 OAMal – 13 LPGA – 23 ss CC

Statut de travailleur détaché et attestation de détachement – Qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché

Convention de sécurité sociale entre la Suisse et les Etats-Unis

 

Madame A.A.__ et Monsieur C.A.__, ressortissants suisses, sont les parents de B.A.__ (née aux USA en janvier 2013). Madame A.A.__ et sa fille sont assurées auprès de la caisse-maladie pour l’assurance obligatoire des soins depuis respectivement janvier 2010 et janvier 2013.

Le 17.06.2016, C.A.__ a annoncé à la caisse-maladie que son épouse et leur fille avaient eu un accident de voiture le 14.05.2016 à l’étranger. Il a ensuite remis à l’assureur-maladie différentes factures d’un montant total de 406’873,17 dollars pour les soins médicaux reçus par son épouse et sa fille dans un hôpital aux USA. Après avoir pris des renseignements sur le domicile des assurées, la caisse-maladie a, par décision du 10.11.2016, annulé la couverture d’assurance de Madame A.A.__ au 31.12.2012, considérant que l’intéressée avait élu domicile aux Etats-Unis depuis plusieurs années, vraisemblablement depuis décembre 2012. Elle a également annulé la couverture d’assurance de leur fille au 30.01.2013, considérant que l’enfant n’avait jamais été soumis à l’assurance-maladie obligatoire suisse. Par ailleurs, elle a refusé la prise en charge des frais conformément aux factures remises pour des soins prodigués aux Etats-Unis à Madame A.A.__ et B.A.__ ensuite de l’accident du 14.05.2016; elle a encore décidé que les primes payées seront remboursées et s’est réservée le droit de demander le remboursement des prestations déjà versées.

Par décision sur opposition du 14.07.2017, la caisse-maladie a modifié la décision du 10.11.2016 en ce sens que Madame A.A.__ n’est plus soumise à l’assurance-maladie obligatoire suisse au-delà du 30.11.2013 et que la couverture d’assurance est annulée au 30.11.2013. Elle a confirmé pour le reste la décision précitée.

 

Procédure cantonale (arrêt AM 51/17 – 28/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu que l’enfant B.A.__ ne s’était jamais constituée de domicile en Suisse, faute d’avoir été annoncée par ses parents dans une commune suisse de sa naissance (en janvier 2013) au 21.06.2016. En ce qui concerne Madame A.A.__, elle a constaté que le dossier contenait de nombreux indices plaidant en faveur d’un déplacement du centre des intérêts personnels de l’intéressée de la Suisse aux Etats-Unis de décembre 2013 à septembre 2016.

En ce qui concerne la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché, les juges cantonaux ont retenu que si les conditions d’un tel détachement sont remplies, la caisse de compensation concernée établit une attestation de détachement et la remet à l’employeur (qui la transmet ensuite à la personne détachée). La caisse de compensation concernée confirme par cette attestation que la législation suisse continue d’être appliquée au travailleur détaché pendant qu’il travaille dans l’autre Etat. En l’absence d’attestation de détachement, les recourantes ne pouvaient par conséquent pas se prévaloir du fait que les membres de la famille qui accompagnent un salarié détaché depuis la Suisse vers les Etats-Unis restent soumis à la législation suisse de sécurité sociale.

En ce qui concerne la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché, les juges cantonaux ont retenu que si les conditions d’un tel détachement sont remplies, la caisse de compensation concernée établit une attestation de détachement et la remet à l’employeur (qui la transmet ensuite à la personne détachée). La caisse de compensation concernée confirme par cette attestation que la législation suisse continue d’être appliquée au travailleur détaché pendant qu’il travaille dans l’autre Etat. En l’absence d’attestation de détachement, Madame A.A.__ et sa fille ne pouvaient par conséquent pas se prévaloir du fait que les membres de la famille qui accompagnent un salarié détaché depuis la Suisse vers les Etats-Unis restent soumis à la législation suisse de sécurité sociale.

Par jugement du 22.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.2
Selon l’art. 1 al. 1 OAMal, les personnes domiciliées en Suisse au sens des art. 23 à 26 CC sont tenues de s’assurer, conformément à l’art. 3 LAMal. A l’inverse de ce que la juridiction cantonale a retenu, Madame A.A.__ a établi en instance cantonale avoir annoncé la naissance de sa fille à la Direction de l’Etat civil du canton de Vaud et s’être vu remettre un certificat de famille en avril 2013. Indépendamment des circonstances de l’inscription postérieure dans les registres de l’état civil de la commune de C.__, Madame A.A.__ a pris soin de son enfant à sa naissance et le domicile de celui-ci est donc intrinsèquement lié à celui de sa mère. Dans la mesure où la juridiction cantonale a constaté, de manière à lier le Tribunal fédéral, que le domicile de A.A.__ était à C.__ jusqu’au 30.11.2013, il convient de modifier le jugement attaqué. En ce qui concerne le droit des assurances sociales, il est constaté que la fille B.A.__ partageait le domicile de sa mère et était donc domiciliée à C.__ jusqu’au 30.11.2013 et assurée auprès de la caisse-maladie jusqu’à cette date.

 

Consid. 6
Les recourantes demandent à pouvoir se prévaloir d’un assujettissement à l’AOS fondé sur les art. 3 al. 3 LAMal et 4 al. 1 OAMal, relatifs aux travailleurs détachés et aux membres de leur famille. Elles font valoir que les attestations de détachement mentionnées par la juridiction cantonale et délivrées par la caisse de compensation concernée ne possèdent qu’un caractère constatatoire, dès lors qu’elles ont essentiellement pour but de permettre au travailleur détaché de prouver, en cas de besoin, dans le pays étranger qu’il existe un assujettissement aux assurances sociales en Suisse. L’assujettissement à l’AOS devrait dès lors s’effectuer à l’aune de l’art. 4 OAMal.

 

Consid. 7.1
Selon l’art. 3 al. 1 LAMal, toute personne domiciliée en Suisse doit s’assurer pour les soins en cas de maladie, ou être assurée par son représentant légal, dans les trois mois qui suivent sa prise de domicile ou sa naissance en Suisse. En vertu de l’art. 3 al. 3 let. b LAMal, le Conseil fédéral peut étendre l’obligation de s’assurer à des personnes qui n’ont pas de domicile en Suisse, en particulier celles qui sont occupées à l’étranger par une entreprise ayant un siège en Suisse.

Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a édicté l’art. 4 OAMal (« Travailleurs détachés »). Aux termes de cette disposition, demeurent soumis à l’assurance obligatoire suisse les travailleurs détachés à l’étranger, ainsi que les membres de leur famille au sens de l’art. 3 al. 2 OAMal qui les accompagnent, lorsque: le travailleur était assuré obligatoirement en Suisse immédiatement avant le détachement (al. 1 let. a) et qu’il travaille pour le compte d’un employeur dont le domicile ou le siège est en Suisse (al. 1 let. b). Les membres de la famille ne sont pas soumis à l’assurance obligatoire suisse s’ils exercent à l’étranger une activité lucrative impliquant l’assujettissement à une assurance-maladie obligatoire (al. 2). L’assurance obligatoire est prolongée de deux ans. Sur requête, l’assureur la prolonge jusqu’à six ans en tout (al. 3). Pour les personnes considérées comme détachées au sens d’une convention internationale de sécurité sociale, la prolongation de l’assurance correspond à la durée de détachement autorisée par cette convention. La même règle s’applique aux autres personnes qui, en raison d’une telle convention, sont soumises à la législation suisse pendant un séjour temporaire à l’étranger (al. 4).

Consid. 7.2
Le Conseil fédéral ne définit pas à l’art. 4 OAMal la notion de personnes « occupées à l’étranger par une entreprise ayant un siège en Suisse » (art. 3 al. 3 let. b LAMal), mais renvoie aux conventions internationales de sécurité sociale. Pour les personnes considérées comme détachées au sens d’une telle convention, il précise à l’art. 4 al. 4 OAMal que la prolongation de l’assurance correspond à la durée de détachement autorisée par cette convention.

Consid. 8.1
La Suisse et les Etats-Unis d’Amérique ont souhaité, par le biais d’une convention internationale de sécurité sociale, permettre aux entreprises établies dans l’un des deux Etats de détacher leurs employés sur le territoire de l’autre Etat tout en les maintenant assurés dans leur pays d’origine (Message concernant l’approbation de la convention de sécurité sociale révisée entre la Confédération suisse et les Etats-Unis d’Amérique du 15 mai 2013, FF 2013 2961, 2963). A cet effet, ils ont conclu une première convention de sécurité sociale le 18 juillet 1979 (ci-après: la Convention 1979), en vigueur du 1er novembre 1980 (RO 1980 1671) au 31 juillet 2014 (RO 2014 2269), puis une nouvelle convention le 3 décembre 2012 (ci-après: la Convention), en vigueur depuis le 1er août 2014 (RS 0.831.109.336.1). Le champ d’application ratione materiae de ces deux conventions englobe l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité, mais pas l’assurance-maladie.

Consid. 8.2
Aux termes de l’art. 6 par. 2 de la Convention 1979, modifié par l’avenant du 1er juin 1988 (RO 1989 2251), une personne exerçant une activité lucrative salariée, détachée, pour une durée prévisible de cinq ans au maximum, sur le territoire de l’un des Etats contractants, par une entreprise ayant un établissement sur le territoire de l’autre Etat, demeure soumise, quelle que soit sa nationalité, uniquement aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de ce dernier Etat comme si elle exerçait son activité sur le territoire de cet Etat. Si, avant l’échéance des cinq ans, l’entreprise qui a requis le statut de détaché pour la personne désire obtenir une prolongation de ce statut en sa faveur, cette prolongation peut exceptionnellement être accordée si l’autorité compétente de l’Etat du territoire duquel la personne est détachée, ayant considéré cette demande de prolongation comme étant justifiée, l’a présentée à l’autorité compétente de l’autre Etat contractant et a obtenu l’accord de celle-ci. Le conjoint et les enfants accompagnant une personne détachée au sens des deux phrases précédentes du présent paragraphe demeurent soumis uniquement aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de l’Etat d’où est détaché le travailleur à condition qu’ils n’exercent pas d’activité lucrative salariée ou indépendante sur le territoire de l’autre Etat.

Selon l’art. 3 par. 1 de l’arrangement administratif du 20 décembre 1979 concernant les modalités d’application de la Convention 1979, dans les cas visés à l’art. 6 par. 2 de la Convention 1979, l’organisme de l’Etat contractant dont la législation est applicable établit sur requête de l’employeur un certificat attestant que le travailleur intéressé demeure soumis à cette législation. Le certificat établit la preuve que le travailleur n’est pas assuré obligatoirement selon la législation de l’autre Etat contractant.

Consid. 8.3
Aux termes de l’art. 7 par. 2, 1ère phrase, de la Convention, une personne exerçant une activité lucrative salariée pour un employeur ayant un établissement sur le territoire d’un Etat contractant, et qui est détachée par cet employeur, pour une durée prévisible de cinq ans au maximum, sur le territoire de l’autre Etat contractant, demeure soumise, quelle que soit sa nationalité, uniquement à la législation concernant l’assurance obligatoire du premier Etat comme si elle exerçait son activité sur le territoire de cet Etat.

Lorsque, en application du titre III, une personne, quelle que soit sa nationalité, reste soumise à la législation d’un des Etats contractants alors qu’elle travaille sur le territoire de l’autre Etat contractant, cela vaut également pour son conjoint et ses enfants, quelle que soit leur nationalité, qui résident avec la personne sur le territoire du second Etat contractant, à condition qu’ils n’exercent pas eux-mêmes d’activité lucrative sur le territoire de cet Etat (art. 11 par. 1 de la Convention). Lorsque, en application du par. 1, la législation suisse est applicable au conjoint et aux enfants, ils sont assurés dans l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (art. 11 par. 2 de la Convention).

Selon l’art. 3 par. 1 et 3 de l’arrangement administratif du 3 décembre 2012 concernant les modalités d’application de la Convention, lorsque la législation d’un Etat contractant est applicable conformément à l’une des dispositions du titre III de la Convention, l’organisme de cet Etat contractant établit sur requête de l’employeur ou du travailleur indépendant un certificat attestant que l’employé ou le travailleur indépendant est soumis à sa législation et indiquant la durée de validité du certificat. Ce certificat sert de preuve pour exempter le travailleur de l’assujettissement obligatoire selon la législation de l’autre Etat contractant (par. 1). Les requêtes en vue d’une prolongation de la période de détachement ou d’une exception à l’art. 12 de la Convention doivent être présentées à l’autorité compétente de l’Etat contractant auquel on demande le maintien de l’assujettissement (par. 3).

Consid. 9
En ce qui concerne les formalités en cas de détachement d’un travailleur salarié, l’art. 3 respectivement de l’arrangement administratif du 20 décembre 1979 et de l’arrangement administratif du 3 décembre 2012 prévoit une réglementation traditionnelle calquée sur le modèle d’autres conventions bilatérales conclues par la Suisse. Les formalités en cas de détachement correspondent donc aux standards de coordination prévus par le droit européen et international des assurances sociales.

A cet égard, en relation avec le droit de l’Union européenne, le Tribunal fédéral a déjà rappelé que l’attestation concernant la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs détachés a un effet déclaratif et non pas constitutif (ATF 134 V 428 consid. 4, en relation avec l’art. 11 du règlement [CEE] n° 574/72 [RO 2005 3909]; arrêt 8C_475/2009 du 22 février 2010 consid. 5.1). En délivrant une telle attestation, la caisse de compensation compétente se borne à déclarer que le travailleur demeure soumis à la législation de sécurité sociale suisse tout au long d’une période donnée au cours de laquelle il effectue un travail sur le territoire de l’Etat d’accueil.

Ces principes doivent également être appliqués en l’occurrence, étant donné que les formalités en cas de détachement dans les relations entre la Suisse et les Etats-Unis sont similaires à celles prévalant dans les rapports entre la Suisse et l’Union européenne. En conséquence, l’absence d’attestation de détachement ne suffit pas à nier le statut de travailleur détaché. Aussi, en retenant que Madame A.A.__ et sa fille ne pouvaient se voir reconnaître le bénéfice de la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché du simple fait qu’elles n’avaient pas produit une telle attestation, les juges cantonaux ont violé le droit fédéral. Si le document n’a pas été requis, le maintien de la législation de sécurité sociale suisse durant l’exercice temporaire d’une activité professionnelle à l’étranger doit être examiné librement par l’autorité saisie d’un litige en matière de sécurité sociale. Les juges cantonaux devaient donc examiner librement si Monsieur C.A.__ remplissait les conditions pour se voir reconnaître la qualité de travailleur détaché pendant la période litigieuse. En cas de réponse positive, ils devaient ensuite examiner si l’épouse et la fille pouvaient prétendre le statut de membres de la famille d’un travailleur détaché et si elles demeuraient pour ce motif soumises aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de l’Etat d’où est détaché le travailleur, en l’occurrence la Suisse selon l’argumentation des recourantes.

Consid. 10
Faute pour la juridiction cantonale d’avoir procédé à un examen matériel de la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché invoquée par les recourantes, le Tribunal fédéral n’est pas en mesure de se prononcer sur ce point en l’état. Il convient dès lors de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle examine les conditions des art. 3 LAMal et 4 OAMal, à la lumière du renvoi aux conventions de sécurité sociale entre la Suisse et les Etats-Unis, et, le cas échéant, procède à des mesures d’instruction complémentaires.

 

Le TF admet le recours de Madame A.A.__ et sa fille, annule le jugement cantonal, renvoyant la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_689/2020 consultable ici

 

 

8C_632/2020 (f) du 08.06.2021 – Droit à l’indemnité chômage – Résidence effective en Suisse niée – 8 al. 1 lit. c LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_632/2020 (f) du 08.06.2021

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage

Résidence effective en Suisse niée / 8 al. 1 lit. c LACI

 

Assuré, né en 1984, s’est inscrit à l’Office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE) et a requis l’octroi d’indemnités de chômage dès le 01.01.2019, en indiquant être domicilié à W.__ (GE). Un délai-cadre d’indemnisation lui a été ouvert à compter de cette date. Sur indication de la conseillère en personnel en charge de l’intéressé, l’OCE a ouvert une enquête destinée à déterminer le domicile de celui-ci. Dans son rapport d’enquête du 29.04.2019, l’inspecteur de l’OCE a conclu que l’assuré était domicilié à X.__ (à l’étranger) depuis le 30.01.2019.

Par décision du 07.06.2019, confirmée sur opposition, la Caisse cantonale genevoise de chômage a nié le droit de l’assuré aux indemnités de chômage avec effet au 01.02.2019 et, de ce fait, lui a réclamé la restitution d’un montant de 5671 fr. 20, correspondant aux indemnités versées pour les mois de février et mars 2019.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/749/2020 – consultable ici)

En l’espèce, les juges cantonaux ont constaté que lors d’un entretien téléphonique du 28.03.2019 avec sa conseillère, l’assuré avait déclaré vivre à l’étranger depuis fin janvier 2019. Lors de son audition par l’inspecteur de l’OCE en avril 2019, ainsi que dans son opposition du 21.06.2019, il avait expliqué avoir emménagé dès le 01.02.2019 à Y.__ (GE), chez les parents de sa compagne. Dans son recours du 07.11.2019 et ses observations du 16.01.2020, il avait reconnu avoir résidé à l’étranger, mais tout au plus une vingtaine de jours. Enfin, lors de l’audience de comparution personnelle, il avait affirmé n’avoir jamais transféré sa résidence habituelle à l’étranger.

Selon la cour cantonale, il convenait d’accorder la préférence aux premières déclarations de l’assuré, faites alors qu’il ignorait les conséquences juridiques de son changement de domicile, et retenir qu’il vivait à l’étranger depuis février 2019.

Une résidence à l’étranger paraissait d’autant plus vraisemblable que l’assuré y avait acquis un appartement avec sa compagne et que cette dernière y avait effectivement emménagé. Bien que certains membres de sa famille résidassent en Suisse, force était de constater que sa compagne, dont il convenait de considérer qu’elle constituait le centre de ses intérêts personnels, avait quitté le territoire. Le fait que son fils habitait en Suisse était peu pertinent dans la mesure où il n’en avait la garde qu’un week-end sur deux et que le droit de visite s’exerçait régulièrement à l’étranger.

Par jugement du 03.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le droit à l’indemnité de chômage suppose, selon l’art. 8 al. 1 let. c LACI, la résidence effective en Suisse, ainsi que l’intention de conserver cette résidence pendant un certain temps et d’en faire, durant cette période, le centre de ses relations personnelles (ATF 125 V 465 consid. 2a; 115 V 448). Cette condition implique la présence physique de l’assuré en Suisse (dans le sens d’un séjour habituel), ainsi que l’intention de s’y établir et d’y créer son centre de vie (cf. BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 8 ad art. 8 al. 1 let. c LACI). Selon la jurisprudence, le fait d’avoir une adresse officielle en Suisse et d’y payer ses impôts n’est pas déterminant si d’autres indices permettent de conclure à l’existence d’une résidence habituelle à l’étranger (cf. arrêt C 149/01 du 13 mars 2002 consid. 3).

L’argumentation de l’assuré ne permet pas de retenir une violation de l’art. 8 al. 1 (let. c) LACI par la juridiction cantonale. Les motifs exposés par celle-ci sont convaincants. En effet, il n’est pas contesté que l’assuré a acquis avec sa compagne un bien immobilier à X.__ (à l’étranger) avec l’intention de s’y établir exclusivement. A cet égard, on peine à saisir en quoi l’assuré aurait été contraint par son licenciement et par le fait de n’avoir pas immédiatement retrouvé un emploi de renoncer à son projet de déménagement, d’autant plus qu’il avait officiellement quitté le territoire suisse à la fin du mois de janvier 2019. Il faut admettre avec les juges cantonaux qu’il est bien plus vraisemblable que l’assuré a entrepris des démarches de réinscription en qualité de résident en Suisse afin d’y percevoir les indemnités de chômage. Il est vrai que l’assuré y a vécu et travaillé pendant de nombreuses années et qu’il y entretient des liens privilégiés dans la mesure où plusieurs membres de sa famille, en particulier son fils, y vivent. Ces circonstances ne suffisent toutefois pas à maintenir ou à fonder une résidence habituelle en Suisse alors qu’il n’y dispose que d’une chambre chez les parents de sa compagne. Le fait qu’il ne s’est écoulé que trois mois entre l’annonce de son départ de Suisse et sa réinscription n’y change rien. Par ses affirmations, l’assuré ne conteste d’ailleurs pas concrètement les motifs de l’arrêt entrepris, ni n’indique précisément en quoi l’autorité précédente aurait établi les faits déterminants de façon manifestement inexacte au sens de l’art. 97 al. 1 LTF.

Il s’ensuit que les juges cantonaux étaient fondés à conclure à l’absence de résidence habituelle en Suisse à compter du 01.02.2019.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_632/2020 consultable ici

 

 

9C_685/2017 (f) du 21.03.2018 – Droit de l’assuré à une allocation pour impotent – Besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie – 42 LAI – 37 RAI – 38 RAI / Lieu de vie de l’assuré dans une institution vs une communauté d’habitation sans caractère de home – analyse globale de la situation

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_685/2017 (f) du 21.03.2018

 

Consultable ici

 

Droit de l’assuré à une allocation pour impotent – Besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie / 42 LAI – 37 RAI – 38 RAI

Lieu de vie de l’assuré dans une institution vs une communauté d’habitation sans caractère de home – analyse globale de la situation

 

Assuré, né en 1987, au bénéfice d’une rente entière d’invalidité depuis le 01.08.2008en raison d’une schizophrénie paranoïde et de troubles mentaux et comportementaux. Le 05.04.2012, l’assuré a présenté une demande d’allocation pour impotent, en faisant valoir qu’il avait besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie. La Fondation C.__ l’a pris en charge à partir du 01.11.2010, il habite dans un appartement protégé de la Fondation depuis le 01.02.2012. L’office AI a refusé l’allocation pour impotent à cause de l’assimilation de ce lieu de vie à un home, tout en reconnaissant le besoin d’accompagnement.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 111/14 – 246/2017 – consultable ici)

Pour examiner si l’appartement protégé géré par la Fondation C.__ dans lequel l’assuré réside depuis le 01.02.2012 est un home ou non, la cour cantonale s’est fondée sur un tableau établi par l’office AI. Pour ce faire, il a été tenu compte de 18 critères, dont on mentionnera le fait que l’appartement est séparé d’une structure collective, le libre choix de la personne avec laquelle l’assuré cohabite, le fait que le bail à loyer a été conclu avec un bailleur privé, le libre choix des personnes qui fournissent les soins, le fait que le bail à loyer est lié à une convention de soins ou le reversement de l’allocation pour impotent à une institution. Un certain nombre de points ont été attribués à chaque critère : l’office AI est arrivé à la conclusion que la pondération de ces critères indiquait l’existence d’un home par 32 points contre 31. Les juges cantonaux ont ensuite mentionné que, pour ce qui concerne deux postes, le tableau n’était pas correct, parce qu’il indiquait à tort que l’assuré n’avait pas le libre choix des personnes qui lui fournissent les soins et qu’il ne pouvait pas choisir librement le colocataire. La correction de ces deux facteurs suffisait à modifier le résultat et à retenir l’existence d’un domicile propre.

La cour cantonale a estimé que l’appartement protégé géré par la Fondation C.__ dans lequel vit l’assuré ne peut pas être assimilé à un home, du fait de l’autonomie dans l’organisation de son quotidien.

Par jugement du 04.09.2017, admission du recours par le tribunal cantonal, renvoi de la cause à l’office AI pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

Aux termes de l’art. 38 al. 1 RAI le besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie au sens de l’art. 42 al. 3 LAI, existe lorsque l’assuré majeur ne vit pas dans une institution mais ne peut pas en raison d’une atteinte à la santé vivre de manière indépendante sans l’accompagnement d’une tierce personne (let. a), faire face aux nécessités de la vie et établir des contacts sociaux sans l’accompagnement d’une tierce personne (let. b) ou éviter un risque important de s’isoler durablement du monde extérieur (let. c).

Savoir si l’assuré réside dans une institution au sens de l’art. 38 al. 1 RAI est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement, alors que les constatations sur lesquelles se fonde cette conclusion constituent une question de fait que le Tribunal fédéral ne peut revoir que dans les limites de l’art. 105 al. 2 LTF.

 

Le TF rappelle que la juridiction cantonale a retenu que le bail à loyer est lié à une convention de prestations et que l’allocation pour impotent est reversée à la fondation. Il a aussi été tenu compte du fait que le lieu de vie résulte d’un projet éducatif et/ou thérapeutique (critère 6). En procédant à une analyse globale de la situation, sur la base des critères admis par l’office AI même, à l’exception de deux d’entre eux comme indiqué ci-dessus, le tribunal cantonal a néanmoins retenu que l’assuré dispose de suffisamment d’autonomie et d’indépendance dans l’organisation de sa vie pour admettre l’existence d’un domicile propre.

En résumé, on retiendra qu’il existe en l’espèce plusieurs facteurs à prendre en considération pour déterminer si le lieu de vie de l’assuré peut en l’espèce être assimilé à une institution ou non, que de nombreux facteurs penchent en faveur de l’existence d’un home et que d’autres l’écartent. La conclusion du tribunal cantonal, selon lequel ce lieu de vie ne peut pas être assimilé à un home, est conforme à l’art. 38 al. 1 RAI, dans la mesure où elle se fonde sur une appréciation des faits qui ne saurait être taxée d’arbitraire ou de manifestement erronée.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_685/2017 consultable ici

 

 

CrEDH – Affaire Belli et Arquier-Martinez c. Suisse – Bénéficiaires de prestations sociales non contributives obligés de résider en Suisse

Arrêt de la CrEDH no 65550/13 – Affaire Belli et Arquier-Martinez c. Suisse du 11.12.2018

 

Communiqué de presse de la CrEDH du 11.12.2018 consultable ici

 

Rente extraordinaire d’invalidité – Allocations pour impotent – Domicile et résidence habituelle en Suisse / 8 CEDH – 14 CEDH – 13 LPGA – 23 CC – 26 CC – 39 LAI – 42 LAI – 42 LAVS

 

Dans son arrêt de chambre, rendu le 11.12.2018 dans l’affaire Belli et Arquier-Martinez c. Suisse (requête no 65550/13), la Cour européenne des droits de l’homme dit, à la majorité (six voix contre une), qu’il y a eu :

Non-violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention européenne des droits de l’homme

L’affaire concerne la suppression du droit de Mme Belli, atteinte de surdité et incapable de discernement du fait d’un handicap lourd de naissance, à percevoir une rente extraordinaire d’invalidité et des allocations pour impotent au motif qu’elle ne résidait plus en Suisse. La législation interne impose que les bénéficiaires de prestations non contributives, comme Mme Belli, aient leur résidence habituelle en Suisse, alors que les personnes bénéficiant d’une rente d’assurance-invalidité ordinaire et qui ont contribué au système, peuvent se domicilier à l’étranger.

La Cour ne juge pas contraire à la Convention de lier l’octroi de prestations non contributives au critère de domicile et de résidence habituelle en Suisse. Elle juge que l’intérêt de Mme Belli de percevoir les prestations litigieuses dans les mêmes conditions que des personnes ayant contribué au système doit céder le pas derrière l’intérêt public de l’État, qui consiste à garantir le principe de solidarité de l’assurance sociale, d’autant plus important s’agissant d’une prestation non contributive, même si la raison pour laquelle Mme Belli n’a pas contribué au système est entièrement indépendante de sa propre volonté ou sphère d’influence.

 

Principaux faits

Les requérantes, Annick Marcelle Belli et Christiane Arquier-Martinez, sont des ressortissantes suisses nées respectivement en 1962 et 1939 et résidant à Armaçao Dos Buzios (Brésil). Mme Arquier–Martinez est la mère de Mme Belli et sa tutrice depuis 2009.

Étant sourde de naissance et incapable de discernement du fait d’un handicap lourd, Mme Belli bénéficia d’une rente extraordinaire d’invalidité à partir de 1980, ainsi que d’une allocation pour impotent de degré moyen à partir de 1997. En 1982, Mme Arquier–Martinez décida de s’établir au Brésil avec son nouvel époux pour y gérer un hôtel. Mme Belli fut placée sous l’autorité parentale de sa mère dès l’été 2009. En 2010, l’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE) supprima le droit de Mme Belli à percevoir la rente extraordinaire d’invalidité et l’allocation pour impotent, relevant que l’intéressée vivait au Brésil depuis quelques années. Tous les trois mois, Mme Belli rendait visite à son père, en Suisse, pour environ trois semaines.

Mmes Arquier–Martinez et Belli contestèrent, sans succès, cette décision devant les juridictions suisses. Elles invoquaient, entre autres, une atteinte injustifiée au respect de leur vie privée et familiale, estimant que ces prestations étaient nécessaires pour la qualité de vie de Mme Belli et que le retour de cette dernière en Suisse impliquerait une séparation, soit de la mère et de sa fille, soit de Mme Arquier–Martinez et de son époux qui vit au Brésil pour des raisons professionnelles.

 

Griefs et procédure

Invoquant en particulier l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), les requérantes se plaignaient d’avoir subi une discrimination car Mme Belli s’était vue révoquer le droit à des prestations sociales non-contributives car elle ne résidait plus en Suisse, alors que les personnes ayant pu contribuer au système pouvaient percevoir des prestations même si elles résidaient à l’étranger.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 14 octobre 2013.

L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges.

 

Décision de la Cour

Article 14 (interdiction de la discrimination) combine avec l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale)

La Cour rappelle que l’article 14 n’a pas d’existence indépendante. Il complète les autres clauses de la Convention et des Protocoles. En outre, la Convention ne crée pas de droit à une pension ou autre prestation sociale d’un montant particulier, et ne garantit aucun droit à jouir d’un certain niveau de vie. Les requérantes invoquent le respect de la vie privée, l’unité familiale et l’autonomie. Elles soutiennent que Mme Belli a besoin d’une prise en charge complète qui est assurée par sa mère. La Cour estime qu’il s’agit d’une situation impliquant l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que les liens affectifs normaux, qui font exceptionnellement entrer en jeu les garanties découlant de l’aspect « vie familiale » de l’article 8 entre des personnes adultes. Elle constate aussi que le refus de verser les rentes à l’étranger était susceptible d’influencer l’organisation de la vie familiale des requérantes, qui se trouvent face à une situation nécessitant la prise de décisions difficiles susceptibles d’avoir un impact sur leur vie familiale. Le grief des requérantes tombe donc sous l’empire de l’article 8. Par conséquent, l’article 14 est applicable.

La Cour estime que la situation de Mme Belli, handicapée de naissance et titulaire d’une rente d’assurance-invalidité extraordinaire et d’une allocation pour impotent (non exportables) n’est certes pas identique, mais suffisamment comparable à celle d’une personne bénéficiaire d’une rente d’assurance-invalidité ordinaire qui se laisse exporter à l’étranger. Mme Belli a donc subi un traitement inégal. Cependant, aux yeux de la Cour, la contribution, ou l’absence de contribution, au régime constitue une justification objective pour le traitement inégal, même si la distinction en l’espèce repose sur le handicap de Mme Belli. Pour la Cour, les désagréments invoqués par les requérantes (liens familiaux au Brésil, impossibilité d’avoir une aide extérieure pour la prise en charge des soins faute de moyens financiers suffisants, séparation éventuelle de la mère et de sa fille ou de son époux) ont pour origine la décision librement prise par Mme Arquier–Martinez de quitter la Suisse, en dépit de la législation claire prévoyant la non-exportabilité de la rente extraordinaire d’assurance-invalidité et de l’allocation pour impotent. Les requérantes devaient dès lors s’attendre à ce que ces prestations soient supprimées. En outre, les requérantes, de nationalité suisse, ont parfaitement le droit de se réinstaller en Suisse où Mme Belli rend régulièrement visite à son père. Leur réintégration en Suisse ne les placerait donc pas devant des difficultés insurmontables.

La Cour ne considère donc pas contraire à la Convention de lier l’octroi de la rente extraordinaire d’assurance-invalidité et de l’allocation pour impotent au critère de domicile, en particulier dans la mesure où l’article 8 ne garantit pas un droit à une pension ou un bénéfice social d’un certain montant. La Cour juge en outre que l’intérêt de Mme Belli de percevoir les prestations litigieuses dans les mêmes conditions que des personnes ayant contribué au système doit céder le pas derrière l’intérêt public de l’État défendeur, qui consiste à garantir le principe de solidarité de l’assurance sociale, d’autant plus important s’agissant d’une prestation non contributive, même si la raison pour laquelle Mme Belli n’a pas contribué au système est entièrement indépendant de sa propre volonté ou sphère d’influence. À cet égard, la Cour considère particulièrement pertinent l’argument du Gouvernement selon lequel une prestation non contributive est censée garantir aux personnes handicapées ne remplissant pas les conditions pour obtenir une rente ordinaire de pouvoir bénéficier de la solidarité d’autrui et disposer de moyens d’existence permettant de vivre en Suisse. Il n’est cependant pas contraire à la Convention de faire dépendre cette solidarité de la volonté et de la confiance d’autrui, ce qui exige que l’octroi des prestations soit soumis à certaines conditions, comme celle du lieu de résidence en Suisse des bénéficiaires. Il est raisonnable que, si l’État octroie des prestations non-contributives, il ne veuille pas les verser à l’étranger, en particulier si le coût de la vie dans le pays concerné est considérablement moins élevé. Par conséquent, eu égard à la marge d’appréciation considérable en matière économique ou sociale et au principe selon lequel la Cour respecte a priori la manière dont l’État conçoit les impératifs de l’utilité publique, la Cour conclut que la justification du traitement inégal invoquée par le Gouvernement n’est pas déraisonnable.

Il n’y a donc pas eu violation de l’article 14, combiné avec l’article 8 de la Convention.

 

Opinions séparées

Les juges Keller et Dedov ont exprimé une opinion concordante. Le juge Serghides a exprimé une opinion dissidente. Le texte de ces opinions se trouve joint à l’arrêt.

 

 

Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet. Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution.

 

 

Arrêt de la CrEDH no 65550/13 – Affaire Belli et Arquier-Martinez c. Suisse du 11.12.2018 consultable ici

Communiqué de presse de la CrEDH du 11.12.2018 consultable ici

 

 

8C_703/2017 (f) du 29.03.2018 – Droit à l’indemnité chômage – Notion de domicile en Suisse au degré de la vraisemblance prépondérante / 8 al. 1 let. c LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_703/2017 (f) du 29.03.2018

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Notion de domicile en Suisse au degré de la vraisemblance prépondérante / 8 al. 1 let. c LACI

 

Assuré, né en 1978, a travaillé en qualité d’ingénieur en télécommunications pour le compte d’une société à Zurich, du 18.11.2015 au 17.09.2016. Le 03.10.2016, il s’est inscrit au chômage et un délai-cadre d’indemnisation lui a été ouvert à compter de cette date. Dans sa demande, il a indiqué être domicilié à Genève. Le 29.10.2016, il a épousé C.__, domiciliée en France, avec laquelle il a eu deux enfants (nés en avril 2013 et novembre 2014).

Par décision, confirmée sur opposition, l’Office cantonal de l’emploi de Genève (ci-après: l’OCE) a nié le droit de l’assuré aux indemnités de chômage à compter du 03.10.2016. Il a retenu, en se fondant sur l’enquête menée par ses inspecteurs, que l’intéressé n’avait jamais eu de domicile effectif à Genève – du moins pas depuis qu’il émargeait de l’assurance-chômage – et qu’il avait toujours été domicilié en France auprès de sa famille.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/755/2017 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré qu’il n’était pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré séjournait à Genève lors de son inscription au chômage le 03.10.2016 et au moment du prononcé de la décision sur opposition (le 16.03.2017). Elle a retenu que le lieu de résidence de l’intéressé et son centre d’intérêt étaient en réalité en France auprès de son épouse et de ses deux enfants, où il avait implicitement admis avoir habité tous les week-ends lorsqu’il travaillait à Zurich et possédait un pied-à-terre à Bâle, avant d’être au chômage. Par ailleurs, le fait d’avoir donné plusieurs adresses à Genève comme lieu prétendu de résidence démontrait que l’assuré n’y avait en réalité aucun domicile précis. Il était en outre douteux qu’il ait réellement habité à l’une des adresses mentionnées; les inspecteurs en charge de l’enquête menée par l’OCE n’y avaient trouvé personne lors de leurs cinq visites et une enquête de voisinage avait révélé qu’une autre personne occupait l’appartement.

Par jugement du 31.08.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le jugement entrepris expose de manière complète les dispositions légales et la jurisprudence applicables en l’espèce. Il suffit d’y renvoyer. On rappellera en particulier que le droit à l’indemnité de chômage suppose, selon l’art. 8 al. 1 let. c LACI, la résidence effective en Suisse, ainsi que l’intention de conserver cette résidence pendant un certain temps et d’en faire, durant cette période, le centre de ses relations personnelles (ATF 125 V 465 consid. 2a p. 466 s.; 115 V 448 consid. 1 p. 448 s.). Cette condition implique la présence physique de l’assuré en Suisse (dans le sens d’un séjour habituel), ainsi que l’intention de s’y établir et d’y créer son centre de vie (cf. B ORIS R UBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 8 ad art. 8 al. 1 let. c LACI). Selon la jurisprudence, le fait d’avoir une adresse officielle en Suisse et d’y payer ses impôts n’est pas déterminant si d’autres indices permettent de conclure à l’existence d’une résidence habituelle à l’étranger (cf. arrêt C 149/01 du 13 mars 2002 consid. 3).

La juridiction cantonale a dûment pris en considération des attestations émanant de deux personnes. Toutefois, ces attestations ne suffisent pas à établir la résidence habituelle de l’assuré en Suisse entre le 03.10.2016 et le 16.03.2017. Pour le surplus, l’assuré ne fait valoir aucun élément propre à démontrer le caractère arbitraire du résultat de l’administration des preuves selon lequel il résidait en réalité en France avec son épouse et ses deux enfants. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de l’appréciation des preuves opérée par les premiers juges.

C’est finalement en vain que l’assuré reproche à la juridiction cantonale d’avoir examiné la question du droit aux prestations de l’assurance-chômage suisse sous l’angle de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) et des règles de coordination auquel renvoie cet accord (Règlement [CE] n° 883/2004 ; RS 0.831.109.268.1). En effet, le caractère transfrontalier est réalisé dès lors que les premiers juges sont – à juste titre – arrivés à la conclusion que l’assuré avait sa résidence habituelle en France au moment du dépôt de sa demande.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_703/2017 consultable ici

 

 

9C_605/2016, 9C_606/2016 (f) du 11.05.2017 – Droit à l’allocation pour impotent – Conditions d’assurance – 9 al. 3 LAI / Domicile civil en Suisse – Admission provisoire (permis F) – 13 al. 1 LPGA – 23 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_605/2016, 9C_606/2016 (f) du 11.05.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2wAAhpf

 

Droit à l’allocation pour impotent – Conditions d’assurance – 9 al. 3 LAI

Domicile civil en Suisse – Admission provisoire (permis F) – 13 al. 1 LPGA – 23 CC

 

Les époux A.___, de nationalité éthiopienne, respectivement érythréenne, sont arrivés en Suisse le 11.06.2012 avec leur fils. En date du 25.08.2012, Dame A.___ a donné naissance à des jumeaux, d’origine érythréenne. Après avoir présenté une demande d’asile qui a été rejetée, les cinq membres de la famille ont été mis au bénéfice d’une admission provisoire (permis F) par le Secrétariat d’Etat aux migrations.

Une demande d’allocation pour impotent a été déposée le 21.04.2015 auprès de l’office AI en faveur de chacun des jumeaux, indiquant une malformation congénitale.

L’office AI a rejeté les demandes, au motif que ni les enfants ne remplissaient, au moment de la survenance de l’invalidité des enfants, les conditions légales de durée de cotisations à l’AVS/AI ou de résidence en Suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/597/2016 – consultable ici : http://bit.ly/2wCPBQH)

Par jugement du 26.07.2016, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

En application de l’art. 9 al. 3 LAI, les ressortissants étrangers âgés de moins de 20 ans qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse ont droit aux mesures de réadaptation si lors de la survenance de l’invalidité, leur père ou mère compte, s’il s’agit d’une personne étrangère, au moins une année entière de cotisations ou dix ans de résidence ininterrompue en Suisse, et si eux-mêmes sont nés invalides en Suisse ou, lors de la survenance de l’invalidité, résidaient en Suisse sans interruption depuis une année au moins ou depuis leur naissance.

L’invalidité est réputée survenue, d’après l’art. 4 al. 2 LAI, dès qu’elle est, par sa nature et sa gravité, propre à ouvrir droit aux prestations entrant en considération. Pour les assurés âgés de moins d’un an, l’art. 42 bis al. 3 LAI prévoit que le droit à l’allocation pour impotent prend naissance dès qu’il existe une impotence d’une durée probable de plus de douze mois. Aux termes de l’art. 9 LPGA, est réputée impotente toute personne qui, en raison d’une atteinte à sa santé, a besoin de façon permanente de l’aide d’autrui ou d’une surveillance personnelle pour accomplir des actes élémentaires de la vie quotidienne.

Selon l’art. 37 al. 4 RAI, dans le cas des mineurs, seul est pris en considération le surcroît d’aide et de surveillance que le mineur handicapé nécessite par rapport à un mineur du même âge et en bonne santé. L’office intimé ne pouvait ainsi retenir dans ses décisions du 24 novembre 2015 que l’invalidité des assurés était survenue au plus tôt à l’âge d’une année, soit le 25 août 2013. Il convenait plutôt de se référer au moment à partir duquel ces derniers nécessitaient un besoin accru d’aide et de surveillance.

 

Domicile civil en Suisse

Il convient en premier lieu de déterminer si les intéressés disposent d’un domicile en Suisse dans la mesure où, selon le jugement entrepris, ils sont admis en Suisse à titre provisoire (livret F).

Nonobstant le fait que ces personnes ne bénéficient en principe pas du statut de réfugié – sauf en cas de circonstances particulières (cf. art. 83 al. 8 LEtr, art. 53 et 54 LAsi), non réalisées en l’espèce – elles doivent être considérées comme ayant un domicile civil en Suisse au sens de l’art. 23 al. 1 CC (en corrélation avec l’art. 13 al. 1 LPGA). En effet, la majorité d’entre elles résident en Suisse non pas temporairement mais durablement, du fait qu’un renvoi dans leur pays d’origine serait illicite ou que leur retour ne peut pas raisonnablement être exigé, par exemple pour des raisons médicales (art. 83 al. 4 LEtr).

L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) explique par ailleurs dans ses directives concernant les rentes (DR) de l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité fédérale que les étrangers admis provisoirement (livret F) se créent un domicile en Suisse même s’ils ont l’intention de retourner dans leur pays dès que les circonstances le permettront. On admet dès lors qu’un domicile civil existe dès la date d’immigration (ch. 4110). En l’occurrence, le renvoi des recourants n’ayant apparemment pas pu être raisonnablement exigé, ces derniers vivent en Suisse depuis cinq ans, soit depuis leur naissance le 25.08.2012. Il convient ainsi d’admettre qu’ils ont effectivement un domicile en Suisse.

 

Durée minimale de cotisation des parents

En second lieu, les père et mère des jeunes assurés n’avaient pas cotisé durant une année entière au moment de la survenance de l’invalidité. Les intéressés sont nés le 25.08.2012 avec une malformation congénitale. C’est à cette date que l’invalidité est survenue et qu’un droit à l’allocation pour impotent aurait pu s’ouvrir. En effet, vu la gravité de l’infirmité congénitale dont souffraient les jeunes assurés, il est constant que ces derniers nécessitaient d’emblée un besoin accru de soins et de surveillance. Nés siamois, ils souffraient de pathologies malformatives digestives et urinaires très lourdes exigeant des soins quotidiens et étaient particulièrement fragiles. Il ressort également des demandes du 21.04.2015 que le besoin de soins, allant au-delà de celui d’un enfant mineur du même âge, existait depuis la naissance. Les père et mère des recourants étaient alors domiciliés en Suisse seulement depuis le 11.06.2012, soit depuis un peu plus de deux mois.

Dans ce contexte, le recours à l’art. 14 al. 2bis let. c LAVS qui permet de fixer les cotisations AVS/AI des personnes admises provisoirement seulement lors de la survenance de l’invalidité n’est d’aucun secours. La condition de la durée d’une année de cotisations ou de bonifications pour tâches éducatives, telles qu’invoquées par les intéressés (art. 29ter al. 2 let. c LAVS), n’était de toute façon pas remplie, ni celle de la résidence en Suisse depuis dix ans.

 

Le TF rejette le recours des assurés.

 

 

Arrêt 9C_605/2016, 9C_606/2016 consultable ici : http://bit.ly/2wAAhpf