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8C_36/2024 (i) du 25.11.2024, destiné à la publication – Pension d’invalidité décidée par l’État italien contraignante pour les organes suisses compétents / Indemnité journalière AI – L’exigence d’une obligation de cotiser à l’AVS constitue une discrimination indirecte / Calcul de l’indemnité journalière AI en présence d’une pension d’invalidité italienne

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_36/2024 (i) du 25.11.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Principe d’assimilation et équivalence – Pension d’invalidité décidée par l’État italien contraignante pour les organes suisses compétents / 5 let. a Règl. n° 883/2004 – 46 al. 3 Règl. n° 883/2004

Indemnité journalière AI – L’exigence d’une obligation de cotiser à l’AVS constitue une discrimination indirecte / 23 LAI – 4 Règl. n° 883/2004

Calcul de l’indemnité journalière AI en présence d’une pension d’invalidité italienne / 68 LPGA – 24 al. 5 LAI – 21septies al. 5 RAI –10 Règl. n° 987/2009

 

Assuré, né en 1986, est un citoyen italien ayant résidé en Italie jusqu’en 2019. Après avoir obtenu un diplôme de comptable en 2000, il a exercé la profession de cuisinier dans diverses villes italiennes jusqu’en juin 2016, date à laquelle il a été licencié. Le 19 août 2015, l’assuré a été victime d’un grave accident de la circulation alors qu’il conduisait son cyclomoteur, subissant des blessures importantes (notamment hémothorax et/ou pneumothorax traumatique, contusion pulmonaire, hémorragie sous-arachnoïdienne, sous-durale, traumatique) nécessitant une hospitalisation et des soins intensifs. À la suite de cet accident, il a bénéficié d’une rente d’invalidité italienne à partir de novembre 2015.

En mars 2019, l’assuré est entré en Suisse pour vivre avec sa compagne qui assurait son soutien, obtenant un permis de séjour UE/AELE B (« but du séjour sans activité lucrative »). Le 02.07.2019, il a déposé une première demande auprès de l’assurance-invalidité suisse, dans laquelle il était indiqué que la réadaptation due à l’accident était toujours en cours. La demande a été rejetée le 25.11.2019 au motif qu’aucune période de cotisation n’avait été enregistrée depuis son arrivée en Suisse et que l’atteinte à la santé était présente depuis avant son arrivée sur le sol helvétique.

Le 30.01.2021, l’assuré a déposé une nouvelle demande. Après une expertise médicale, il a été établi que son métier de cuisinier n’était plus exigible du point de vue orthopédique, mais qu’il disposait d’une pleine capacité de travail avec une baisse de rendement dans une activité adaptée depuis le 31.07.2019. L’office AI a reconnu des mesures professionnelles à partir du 29.07.2022, mais a refusé l’octroi d’une rente par décision du 13.09.2022.

A la suite des observations de l’assuré quant au projet de décision du 05.05.2023, l’office AI a, par décision du 22.06.2023, rejeté la demande d’indemnités journalières formulée par l’assuré le 13.10.2022, dans la mesure où il était domicilié en Italie au début de l’atteinte à la santé et qu’il percevait un revenu étranger non soumis à l’AVS suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt 32.2023.82 – consultable ici)

Par jugement du 04.12.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré est ressortissant d’un Etat partie à l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne (aujourd’hui : Union européenne) et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ci-après : ALCP). Résidant en Suisse depuis 2019 et au bénéfice d’un permis B sans activité lucrative, il a sollicité des prestations d’invalidité, notamment des indemnités journalières pour des mesures de réadaptation. Le litige porte donc sur la coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale (annexe II de l’ALCP), ce qui n’est pas contesté par les parties.

Consid. 4.2
Jusqu’au 31 mars 2012, les parties à l’ALCP appliquaient mutuellement le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (RO 2004 121 ; ci-après : règlement n° 1408/71). La décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 (RO 2012 2345) a mis à jour le contenu de l’annexe II de l’ALCP avec effet au 1er avril 2012. En particulier, il a été stipulé que les parties à l’ALCP appliquent dorénavant le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (RS 0.831.109.268.1 ; ci-après : règlement no 883/2004).

Compte tenu des faits de la cause, la nouvelle version du Règlement n° 883/2004 est donc applicable ratione temporis, ratione personae (art. 2 ch. 1 Règlement n° 883/2004) et ratione materiae (art. 3 ch. 1 lett. c Règlement n° 883/2004), comme l’a également relevé la cour cantonale. Aucune critique n’ayant été formulée à cet égard, il n’y a pas lieu de s’attarder sur ces aspects.

Consid. 6.1
Le tribunal cantonal a nié le droit de l’assuré aux indemnités journalières tant en vertu du droit suisse que de l’ALCP.

Consid. 6.2
Se référant aux art. 23 al. 1 et 3 LAI et 20sexies al. 1 RAI, ainsi qu’au n° 0312 CIJ [Circulaire concernant les indemnités journalières de l’assurance-invalidité], les juges cantonaux ont considéré comme déterminant le fait que l’assuré, au moment du début de son incapacité de travail à la suite de l’accident d’août 2015, n’exerçait pas une activité avec revenu soumise à l’obligation de cotiser à l’AVS puisqu’il travaillait à X.__ et qu’il était domicilié en Italie jusqu’en mars 2019. Rien n’a changé dans l’arrêt I 365/00 du 28 novembre 2001 du Tribunal fédéral des assurances cité par l’assuré, défendant la thèse selon laquelle l’élément déterminant serait le revenu effectivement réalisé avant l’atteinte à la santé sans qu’il soit nécessaire que des cotisations soient prélevées sur celui-ci. Selon la cour cantonale, cette appréciation concernait en premier lieu les indépendants, pour lesquels il est indifférent que les cotisations pour l’année en question aient été fixées ou non par une décision définitive. Le libellé de l’art. 21 al. 3 RAI ne permettait pas non plus de tirer une conclusion différente, la question de l’évolution des salaires n’étant pas pertinente puisque le droit aux indemnités journalières devait être exclu a priori.

Consid. 6.3
A ce stade, après avoir rappelé le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement ancré respectivement à l’art. 2 ALCP et à l’art. 4 Règlement n° 883/2004, le tribunal cantonal a nié une discrimination directe fondée sur la nationalité, puisque le droit aux indemnités journalières de la LAI est garanti à toute personne ayant exercé en dernier lieu une activité soumise aux cotisations de l’AVS. La cour cantonale n’a pas non plus constaté de discrimination indirecte, dans la mesure où le recourant « n’est pas placé dans une situation plus défavorable, à situation égale, que les ressortissants suisses qui vivent depuis un certain temps à l’étranger – dans un pays de l’UE ou de l’AELE – et qui, après y avoir été victimes d’un accident, décident de retourner dans leur patrie ».

Selon les juges cantonaux, de tels citoyens suisses ne peuvent en effet pas prétendre à des indemnités journalières de l’AI en l’absence d’un revenu soumis aux cotisations de l’AVS immédiatement avant l’incapacité de travail. Même si l’on devait considérer qu’il s’agit d’une discrimination indirecte, l’exigence en question ne s’avère pas disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, à savoir que l’indemnité journalière soit en principe versée aux personnes qui exerçaient une activité lucrative immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail, et donc aux personnes qui ont été assujetties à l’AVS pendant une durée minimale. Les assurés considérés comme n’exerçant pas d’activité lucrative peuvent tout au plus, sous certaines conditions, avoir droit à une allocation pour frais de garde et d’assistance (n° 0311, 0312, 0315 CIJ).

Consid. 7.1.1
S’appuyant sur l’arrêt I 365/00 précité, l’assuré soutient que le revenu déterminant serait celui effectivement réalisé avant la survenance de l’incapacité de travail, sans toutefois que des cotisations aient nécessairement été prélevées. L’objectif de l’art. 23 LAI, en relation avec l’art. 20sexies RAI, serait d’octroyer des indemnités journalières qu’aux personnes exerçant une activité lucrative qui, en raison d’une atteinte à la santé, subissent une perte de gain, excluant ainsi les personnes se trouvant dans la situation opposée.

En l’espèce, l’art. 23 al. 3 LAI ne permettrait pas de déterminer le revenu provenant d’une activité lucrative car celui-ci a été réalisé en Italie et y a été soumis à cotisation, malgré la perte économique concrète subie par la personne professionnellement active. Étant donné qu’il a été dûment rémunéré pour l’activité lucrative exercée au moment de la survenance de l’incapacité de travail, le requérant aurait donc droit à des indemnités journalières.

De l’avis de l’assuré, si le droit aux indemnités journalières était soumis à une condition de rattachement au territoire suisse comme l’a indiqué l’autorité inférieure (en plus de l’assujettissement à l’assurance selon l’art. 9 al. 1bis LAI pour le droit aux mesures de réadaptation), le législateur l’aurait précisé à l’art. 22 LAI, comme il l’a fait par exemple pour le droit à la rente d’invalidité à l’art. 36 al. 1 LAI.

Consid. 7.1.2
Subsidiairement, l’assuré invoque une discrimination indirecte contraire à l’art. 2 ALCP. Si par personnes professionnellement actives on entendait uniquement celles ayant un revenu soumis à l’AVS, la condition de l’art. 23 LAI en lien avec l’art. 20sexies RAI serait plus facilement réalisée par un ressortissant suisse que par un ressortissant étranger, ce dernier se trouvant ainsi désavantagé. Le caractère discriminatoire indirect serait injustifié par rapport à l’objectif poursuivi, à savoir la couverture de la perte du revenu réalisé par la personne assurée durant la dernière période d’activité lucrative, exercée sans limitations dues à des raisons de santé. Contrairement à ce que suggère le tribunal cantonal, pour apprécier si la condition de «revenu soumis à l’AVS suisse» est indirectement discriminatoire, il faudrait comparer le rapport entre les ressortissants étrangers et les ressortissants suisses au sein du groupe des personnes désavantagées ou non bénéficiaires, d’une part, avec celui rapport entre les ressortissants étrangers et les ressortissants suisses au sein du groupe des personnes non désavantagées ou bénéficiaires, d’autre part.

Consid. 7.2.1
L’OFAS convient avec l’assuré que la règle de l’art. 23 al. 3 LAI serait indirectement discriminatoire et donc illicite selon le Règlement n° 883/2004. Les revenus soumis aux cotisations sociales d’un État membre de l’UE devraient ainsi être considérés comme revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI au même titre que ceux soumis aux cotisations prévues par la LAVS. De plus, l’art. 21 al. 3 RAI serait applicable même si la dernière activité lucrative en question avait été exercée dans un État membre de l’UE.

De l’avis de l’OFAS, pour se prononcer sur les prétentions de l’assuré, il faudrait encore examiner, d’une part, l’éventuelle équivalence, au sens de l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004, entre la rente italienne et une rente AI selon le droit suisse, et, d’autre part, établir le degré d’invalidité selon le droit suisse en vue d’une éventuelle rente selon le droit suisse, ce que l’assuré a omis de faire. Dans ce cas, en vertu de ce que dispose l’art. 22bis al. 5 LAI, les indemnités journalières lui seraient en effet refusées.

Consid. 7.2.2
L’assuré soutient que l’instruction médicale déjà effectuée aurait conduit le SMR à retenir une incapacité de travail totale dans l’activité précédente de cuisinier, exercée en Italie jusqu’à la survenance de l’atteinte à la santé, et une incapacité de travail de 80% dans des activités adaptées depuis le 31.07.2019. Le taux d’invalidité qui en résulterait serait donc certainement supérieur à 40%, si l’on procède à une comparaison des revenus sur la base des données statistiques, avec une capacité de travail de seulement 20% dans des activités adaptées comparée à une activité de cuisinier exercée à plein temps, sans qu’il soit nécessaire de procéder à des investigations complémentaires à cet égard comme le suggère l’OFAS. Sur le fond, on arriverait donc au même résultat, à savoir un refus du droit aux indemnités journalières, mais en application de l’art. 22bis al. 5 LAI au lieu de l’art. 23 al. 3 LAI.

Consid. 7.2.3
Répliquant spontanément à l’administration, l’assuré rappelle que, selon l’évaluation du Dr D.__ du 8 mai 2017, il aurait récupéré une capacité partielle de 10% en tant que cuisinier déjà 60 jours après l’accident. Il en résulte qu’il est probable qu’à la fin du délai d’attente d’une année, en août 2016, il aurait pu disposer d’un potentiel de réinsertion dans une activité adaptée, et donc bien avant le 31.07.2019 tel que retenu par le SMR. L’assuré fait ensuite valoir que la rente italienne « cat. IO » dont il bénéficie est déterminée sur la base d’une capacité de travail réduite qui ne tient pas compte d’une réadaptation potentielle, par des mesures appropriées, dans une autre activité lucrative afin d’établir une perte de gain comme le prévoit le droit suisse à l’art. 16 LPGA. L’évaluation du degré d’invalidité selon le droit suisse, qui pourrait lui conférer le droit à une rente d’invalidité – qui ne serait de toute façon pas versée faute de remplir la condition de cotisation –, ne devrait donc être évaluée qu’une fois les mesures achevées.

Consid. 8.1
L’art. 22bis al. 5 LAI prévoit que lorsqu’un assuré reçoit une rente de l’AI, celle-ci continue de lui être versée en lieu et place d’indemnités journalières durant la mise en œuvre des mesures de réinsertion au sens de l’art. 14a LAI et des mesures de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a LAI.

La question de l’assimilation des prestations selon l’art. 5 let. a du Règlement 883/2004, également soulevée par l’OFAS, a donc une influence sur la résolution du litige et nécessite d’être approfondie. En effet, si la « pensione cat. IO (INVALIDITA’ DEI LAVORATORI DIPENDENTI) » [rente cat. IO (invalidité des travailleurs dépendants)] versée par l’État italien, dont l’assuré est bénéficiaire, pouvait être assimilée à une rente d’invalidité selon le droit suisse, il ne pourrait– en vertu de l’art. 22bis al. 5 LAI précité – percevoir des indemnités journalières pour les mesures de nouvelle réadaptation.

Consid. 8.1.1
L’art. 5 du Règlement 883/2004, qui fait partie des dispositions générales et qui est intitulé «Assimilation de prestations, de revenus, de faits ou d’événements», est ainsi libellé : « A moins que le présent règlement n’en dispose autrement et compte tenu des dispositions particulières de mise en œuvre prévues, les dispositions suivantes s’appliquent:

  1. si, en vertu de la législation de l’Etat membre compétent, le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d’autres revenus produit certains effets juridiques, les dispositions en cause de cette législation sont également applicables en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d’un autre Etat membre ou de revenus acquis dans un autre Etat membre;
  2. si, en vertu de la législation de l’Etat membre compétent, des effets juridiques sont attribués à la survenance de certains faits ou événements, cet Etat membre tient compte des faits ou événements semblables survenus dans tout autre Etat membre comme si ceux-ci étaient survenus sur son propre territoire. »

Consid. 8.1.2
Conformément à l’art. 16 al. 2 ALCP, dans la mesure où l’application de l’ALCP implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes (maintenant : Cour de justice de l’Union européenne, ci-après également « CJUE ») antérieure à la date de sa signature (21 juin 1999). La jurisprudence postérieure à la date de la signature de l’ALCP sera communiquée à la Suisse. En vue d’assurer le bon fonctionnement de l’ALCP, à la demande d’une partie contractante, le Comité mixte déterminera les implications de cette jurisprudence.

Afin d’assurer une situation juridique analogue entre les États de la Communauté européenne (maintenant : l’Union européenne), d’une part, et la Suisse, d’autre part, selon une jurisprudence constante, le Tribunal fédéral ne s’écarte de l’interprétation des dispositions de droit communautaire pertinentes à l’accord, telle qu’établie par la CJUE – même postérieurement à la date de sa signature -, qu’en présence de motifs sérieux («triftige Gründe»; ATF 149 V 136 consid. 7.2 et les références; 145 V 39 consid. 2.3.2 et les références).

Consid. 8.1.3
Selon une jurisprudence constante de la CJUE développée sous l’égide du Règlement n° 1408/71, les prestations de sécurité sociale doivent être considérées comme étant de même nature lorsque leur objet, leur finalité, ainsi que leur base de calcul et leurs conditions d’attribution sont identiques. En revanche, des caractéristiques purement formelles ne doivent pas être considérées comme des éléments décisifs pour la qualification des prestations (cf. arrêt du 15 mars 2018 C-431/16 Blanco Marqués [publié au Recueil numérique], point 50, et les références ; en particulier arrêt du 18 juillet 2006 C-406/04 De Cuyper [Rec. 2006 I-06947], point 25). La notion de prestations de « même nature » est désormais réglée à l’art. 53 par. 1 du Règlement n° 883/2004 (cf. Rolf Schuler, in Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 9 ad art. 5 du Règlement n° 883/2004).

Cela étant, dans l’arrêt du 21 janvier 2016 C-453/14 Knauer (publié au Recueil numérique) concernant le prélèvement des cotisations d’assurance maladie en Autriche sur les pensions de vieillesse versées par une caisse de pension du Liechtenstein, la CJUE a également eu l’occasion de se pencher spécifiquement sur la notion de « prestations équivalentes » contenue dans l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004. Elle a d’abord relevé que cette notion n’a pas nécessairement la même signification que la notion de « prestations de même nature » contenue dans l’art. 53 de ce règlement (Knauer, n° 28), mais dispose d’une définition propre. L’équivalence n’est pas donnée du seul fait que le règlement n° 883/2004 s’applique aux deux prestations ; celles-ci doivent également être comparables, ce qui doit être apprécié sur la base de l’objectif qu’elles poursuivent et des réglementations qui les ont instituées (Knauer, n° 31-34 ; cf. aussi Basile Cardinaux, Das EuGH-Urteil «Knauer u. Mathis», RSAS 2019 p. 134, qui fait référence à une «funktionelle Äquivalenz»).

Consid. 8.1.4
Or, comme nous venons de le voir, la présence de dispositions contraires du Règlement n° 883/2004 empêche l’assimilation de prestations, de revenus, de faits ou d’événements comme prévu par son art. 5.

À cet égard, dans l’ATF 141 V 396 (au consid. 7), le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le droit aux prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité selon la LPC (RS 831.30) d’une ressortissante suisse, d’origine roumaine, bénéficiaire d’une rente d’invalidité roumaine. L’objet du litige était de savoir si la pension d’invalidité roumaine pouvait être assimilée à une pension d’invalidité de droit suisse, dont le bénéfice était l’une des conditions préalables aux prestations complémentaires demandées. Après avoir discuté la notion du principe d’assimilation des prestations prévu par l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004, le Tribunal fédéral a relevé que l’art. 46 par. 3 du Règlement n° 883/2004 (applicable aux personnes soumises exclusivement à des législations de type B ou de type A et B, comme la Suisse et la Roumanie ; cf. art. 44 du Règlement n° 883/2004), pour que la décision concernant le degré d’invalidité de l’institution d’un État membre soit contraignante pour l’institution de l’autre État membre, imposait la reconnaissance dans l’annexe VII de la concordance des conditions respectives entre les législations des deux États membres en question. Tel n’était pas le cas pour la Suisse et la Roumanie, de sorte que la décision prise par l’organisme roumain compétent concernant le degré d’invalidité de la recourante et la prestation de pension qui en résulte n’était pas contraignante pour l’institution suisse concernée. Le principe d’assimilation des prestations de l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004 n’était donc pas applicable en l’espèce et la recourante ne pouvait pas se prévaloir de sa propre rente d’invalidité roumaine pour prétendre à des prestations complémentaires suisses (ATF 141 V 396 consid. 7.2.2 et 7.2.3 ; cf. aussi arrêt 8C_611/2021 du 10 mars 2022 consid. 3.1).

Consid. 8.1.5
Le raisonnement adopté dans l’ATF 141 V 396 est pertinent pour trancher également le présent litige. L’application de l’art. 46 al. 3 du Règlement n° 883/2004 dans un cas comme celui en l’espèce est d’ailleurs conforme au considérant n° 26 du Règlement n° 883/2004, qui promeut, en matière de prestations d’invalidité, l’élaboration d’un « système de coordination qui respecte les spécificités des législations nationales, notamment en ce qui concerne la reconnaissance de l’invalidité et son aggravation ». En effet, seule une reconnaissance concrète de la concordance des législations respectives par les États membres concernés serait contraignante pour le degré d’invalidité et, donc, du moins selon le droit suisse, pour la présence ou non d’une invalidité (cf. en particulier art. 28 al. 1 let. c LAI).

Par conséquent, en l’absence d’une telle reconnaissance en l’espèce, la pension d’invalidité décidée par l’État italien n’est pas contraignante pour les organes suisses compétents, ce qui fait obstacle à l’application du principe d’assimilation selon l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004 entre les rentes d’invalidité en question (ATF 141 V 396 consid. 7.2.3).

Il convient d’ajouter que l’interdiction du cumul de la rente et des indemnités journalières accordées en application de la LAI (art. 22bis al. 5 et art. 29 al. 2 LAI) est une forme de coordination intrasystémique qui prend en considération le mode de calcul de la rente, d’une part, et des indemnités journalières, d’autre part. Il n’est pas possible, dans le contexte d’une telle interdiction de cumul, de considérer une rente italienne comme équivalente à une rente suisse compte tenu de la différence marquée de leurs méthodes de calcul respectives.

Consid. 8.1.6
Il est incontesté que l’assuré n’a droit ni à une rente d’invalidité ordinaire, ni à une rente extraordinaire (art. 36 et 39 LAI ; sur ce sujet, cf. ATF 131 V 390 consid. 6 et 7 ; cf. aussi arrêt 9C_259/2016 du 19 juillet 2017 consid. 5).

La proposition de l’OFAS, à savoir évaluer le degré d’invalidité de l’assuré selon le droit suisse, afin d’établir l’existence hypothétique d’un droit à une rente d’invalidité, n’est pas convaincante. En particulier, on ne voit pas sur quelle base légale et sur quels motifs une telle démarche pourrait être justifiée. Par ailleurs, contrairement à ce qui peut être le cas dans le domaine des prestations complémentaires (cf. art. 4 al. 1 let. d LPC), la législation en matière d’assurance-invalidité ne prévoit pas l’accès à des prestations d’assurance sur la base d’un droit seulement hypothétique à une rente d’invalidité (dans ce sens, cf. Michel Valterio, in Commentaire de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, n. 1 ad art. 36).

Déterminer le degré d’invalidité d’un assuré mis au bénéfice de mesures professionnelles pour lesquelles il a déjà demandé des indemnités journalières, sachant déjà qu’il ne pourra de toute façon pas bénéficier d’une rente, s’avère être un exercice difficile et peu opportun. Ce n’est en effet qu’à la fin de ces mesures, conformément à l’art. 16 LPGA, qu’il serait possible de déterminer le degré d’invalidité, comme l’a rappelé à juste titre l’assuré dans sa réplique spontanée.

D’autre part, l’art. 22bis al. 5 LAI ne devrait être examiné que dans le cas d’un assuré qui est déjà au bénéfice d’une rente d’invalidité et qui effectue des mesures de réadaptation visées à l’art. 8a LAI.

L’assuré recourant, comme on l’a vu, ne peut en revanche être considéré ni comme bénéficiaire d’une rente d’invalidité italienne équivalente à une rente d’invalidité suisse selon le Règlement n° 883/2004, ni comme ayant droit à une rente d’invalidité selon le droit suisse. Il bénéficie donc de mesures de réadaptation au sens de l’art. 8 LAI, de sorte que l’art. 22bis al. 5 LAI ne constitue pas un obstacle à son droit potentiel à des indemnités journalières.

Consid. 8.2
Il reste litigieux, à ce stade, l’application de l’art. 23 LAI. Afin de procéder à son évaluation, il convient de rappeler le cadre législatif pertinent.

Consid. 8.2.1
L’art. 23 LAI prévoit que l’indemnité de base s’élève à 80% du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé; toutefois, elle s’élève à 80 % au plus du montant maximum de l’indemnité journalière fixée à l’art. 24 al. 1 LAI (al. 1). Le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fonde sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant) (al. 3).

Selon l’art. 20sexies al. 1 RAI, sont considérés comme exerçant une activité lucrative les assurés qui exerçaient une activité lucrative immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail (art. 6 LPGA).

Enfin, l’art. 21 al. 3 RAI prescrit que lorsque la dernière activité lucrative exercée par l’assuré sans restriction due à des raisons de sa santé remonte à plus de deux ans, il y a lieu de se fonder sur le revenu que l’assuré aurait tiré de la même activité, immédiatement avant la réadaptation, s’il n’était pas devenu invalide

Consid. 8.2.2.1
Dans l’arrêt 9C_141/2023 du 5 juin 2024 (dont les consid. 2 et 4 sont prévus pour la publication [publié entre-temps aux ATF 150 V 316]), le Tribunal fédéral a examiné si, dans le contexte d’un indépendant, le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI était celui sur lequel les cotisations ont été effectivement perçues, ou celui soumis au prélèvement de cotisations et qui sert de base pour leur détermination. Dans la mesure où elle présente un intérêt en l’espèce, l’interprétation historique de la disposition a été confirmée par l’arrêt I 365/00 du 28 novembre 2001, dans lequel le TFA avait à son tour traité le sujet du revenu déterminant d’un indépendant au sens de l’art. 24 al. 2 aLAI. Après avoir constaté que les conditions légales étaient restées inchangées au fil des révisions de l’AI, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter du principe selon lequel le revenu déterminant pour le calcul des indemnités journalières est celui effectivement réalisé avant la survenance de l’atteinte à la santé, indépendamment du fait que des cotisations aient été prélevées sur ce montant (arrêt 9C_141/2023 précité consid. 4.3 [publié entre-temps aux ATF 150 V 316 consid. 4.3]).

Consid. 8.2.3
Il convient donc de se pencher sur le grief selon lequel l’art. 23 al. 3 LAI constituerait une discrimination indirecte.

Consid. 8.2.3.1.1
En vertu de l’art. 4 du Règlement n° 883/2004, à moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout Etat membre, que les ressortissants de celui-ci. Selon la jurisprudence, l’art. 4 du Règlement n° 883/2004 interdit non seulement les discriminations manifestes fondées sur la nationalité (discrimination directe), mais aussi toutes les formes dissimulées de discrimination qui, par l’application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discrimination indirecte).

Une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire – à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi – si elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les ressortissants d’autres États membres que ses propres ressortissants et si elle risque, par conséquent, de désavantager plus particulièrement les premiers. Tel est le cas d’une condition qui peut être plus facilement remplie par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants (ATF 145 V 266 consid. 6.1.3; 143 V 1 consid. 5.2.4; 142 V 538 consid. 6.1; 136 V 182 consid. 7.1; 133 V 367 consid. 9.3; 131 V 390 consid. 5.1).

Consid. 8.2.3.1.2
Pour déterminer si l’utilisation d’un critère de distinction particulier au sens précité conduit indirectement à une inégalité de traitement fondée sur la nationalité, il convient de comparer la proportion de ressortissants et de non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes désavantagées, respectivement non favorisées, d’une part, et la proportion de ressortissants et de non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes non désavantagées, respectivement favorisées, d’autre part.

Il convient en outre de préciser que non seulement les travailleurs migrants étrangers peuvent invoquer l’interdiction de discrimination consacrée par le droit conventionnel, respectivement communautaire, à l’égard de l’État d’accueil, mais également les travailleurs nationaux à l’égard de leur propre pays dans la mesure où le lien euro-international nécessaire est établi. Cela vaut également si la règle en question, sans pénaliser davantage les étrangers de l’UE que les nationaux, affecte néanmoins davantage les travailleurs migrants, quelle que soit leur nationalité, que les travailleurs non migrants (ATF 133 V 367 consid. 9.3 et les références).

Consid. 8.2.3.1.3
En présence d’une discrimination, le recourant aurait donc droit à la prestation comme s’il remplissait les conditions pour son octroi. En effet, lorsque le droit national prévoit un traitement différencié entre divers groupes de personnes en violation de l’interdiction de discrimination, les membres du groupe désavantagé doivent être traités de la même manière et se voir appliquer le même régime que les autres intéressés. Tant que la réglementation nationale n’est pas structurée de manière non discriminatoire, ce régime reste le seul système de référence valable (ATF 145 V 231 consid. 6.4; 134 V 236 consid. 6.1; 131 V 390 consid. 5.2).

Il est utile de rappeler à cet égard qu’au sens de l’art. 190 Cst., le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. Ni l’art. 190 Cst. ni l’art. 5 al. 4 Cst. n’établissent une hiérarchie entre les normes de droit international et celles de droit interne. Néanmoins, selon la jurisprudence, en cas de conflit, les normes de droit international qui lient la Suisse primes celles de droit interne qui leur sont contraires (cf. ATF 146 V 87 consid. 8.2.2; 144 II 293 consid. 6.3; 142 II 35 consid. 3.2; 139 I 16 consid. 5.1; 138 II 524 consid. 5.1; 125 II 417 consid. 4d; cf. art. 27 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]). Il faut en effet présumer que le législateur fédéral a entendu respecter les dispositions des traités internationaux régulièrement conclus, à moins qu’il n’ait décidé – en toute connaissance de cause – d’édicter une norme interne contraire au droit international. En cas de doute, le droit interne doit être interprété conformément au droit international (ATF 149 I 41 consid. 4.2; 146 V 87 consid. 8.2.2, qui renvoie à l’ATF 99 Ib 39 consid. 3, également dénommée jurisprudence « Schubert » [cf. à ce sujet le consid. 11.1.1 de l’ATF 133 V 367 déjà citée]).

Consid. 8.2.3.2
Au vu de ce qui précède, il convient de partager l’avis du recourant (et de l’OFAS) selon lequel l’exigence d’une obligation de cotiser à l’AVS, telle que jugée par l’instance cantonale, constitue en l’espèce une discrimination indirecte.

Consid. 8.2.3.2.1
En effet, une telle exigence est sans doute plus facilement remplie par les personnes exerçant une activité lucrative en Suisse plutôt qu’en Italie. L’art. 23 al. 3 LAI entrave manifestement l’accès aux indemnités journalières des personnes travaillant à l’étranger, ces dernières n’étant, en principe, pas soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS. En ce sens, le raisonnement de la cour cantonale pour comparer les personnes désavantagées par cette règle – concrètement, les citoyens italiens et suisses professionnellement actifs à l’étranger – est fondamentalement erroné et ne peut être partagé.

Comme expliqué précédemment, et il convient de le répéter, il faut au contraire comparer les ressortissants et non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes désavantagées ou non favorisées (en l’occurrence, les personnes non actives en Suisse et donc non soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS, comme le recourant), d’une part, et les ressortissants et non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes non désavantagées ou favorisées (c’est-à-dire les personnes actives en Suisse et soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS), d’autre part.

Consid. 8.2.3.2.2
Par ailleurs, le caractère indirectement discriminatoire de l’art. 23 al. 3 LAI ne semble pas objectivement justifié et proportionné par rapport à l’objectif poursuivi, comme l’ont au contraire proposé les juges cantonaux selon une logique qui ne peut convaincre. Dans l’arrêt I 365/00 précité, le TFA avait en effet établi que les indemnités journalières de la LAI ont pour but de garantir à l’assuré et à ses proches la base matérielle nécessaire à leur existence pendant la période de réadaptation. Les moyens nécessaires à cette fin ne pouvaient être définis de manière générale, mais dépendaient de divers facteurs, variables dans le temps (arrêt I 365/00 précité consid. 4a/cc; cf. aussi l’arrêt 9C_141/2023 précité consid. 4.3.1). Au vu de ces constatations, il est clair que l’exigence de l’obligation de cotiser à l’AVS même à des personnes qui en sont empêchées ne peut être tolérée.

 

Consid. 8.3
En résumé, l’art. 23 al. 3 LAI constitue une discrimination indirecte, contraire à l’art. 4 du Règlement n° 883/2004 et à la jurisprudence respective, à l’égard des personnes qui perçoivent une pension d’invalidité de l’État italien (non reconnue comme telle en Suisse) et qui, bénéficiant de mesures de réadaptation, demandent des indemnités journalières. Une telle discrimination n’est pas objectivement justifiée et proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, et on ne peut pas non plus conclure à la volonté expresse du législateur, en toute connaissance de cause, d’édicter une norme contraire au droit international contraignant pour la Suisse. L’art. 23 LAI doit donc être interprété conformément à ce dernier, dans le sens que, pour le calcul de l’indemnité de base d’une personne ayant obtenu un revenu à l’étranger et qui bénéficie de mesures de réadaptation selon l’art. 8 LAI, le revenu moyen doit être pris en compte même si aucune cotisation n’a été perçue selon la LAVS. Ce résultat est d’ailleurs compatible avec ce qui est prévu à l’art. 5 let. b du Règlement n° 883/2004, concernant l’assimilation de « faits ou événements » (cf. sur ce sujet ATF 140 V 98 consid. 9) à l’activité lucrative exercée à l’étranger et au revenu qui y est réalisé, lesquels peuvent servir de base au calcul du montant de l’indemnité journalière selon la LAI.

Ce faisant, il faudra naturellement respecter les autres prescriptions prévues par la législation en matière d’assurance-invalidité, notamment les art. 20sexies et 21 al. 3 RAI. En outre, bien que la rente versée en application de la législation italienne ne puisse être qualifiée d’équivalente à une rente fondée sur la LAI – dans le cadre des règles de coordination intrasystémique qui interdisent le cumul d’une rente de l’assurance invalidité et d’indemnités journalières de la même assurance (art. 22bis al. 5 et art. 29 al. 2 LAI) –, il n’en demeure pas moins que tant la rente en cause que les indemnités journalières allouées conformément à la LAI sont des prestations d’assurances sociales allouées à une même personne pour compenser une perte de revenu due à une atteinte à sa santé. Dans le cas de rentes et d’indemnités journalières provenant de différentes assurances sociales suisses (coordination intersystémique), le législateur fédéral a admis le cumul d’une rente octroyée par un assureur social et d’indemnités journalières octroyées par un autre assureur social, mais uniquement sous réserve de surindemnisation (art. 68 LPGA). Dans le même sens, l’art. 21septies al. 5 RAI, en relation avec l’art. 24 al. 5 LAI, prévoit une limitation du montant des indemnités journalières de l’assurance invalidité si leur cumul avec une rente de l’assurance accidents entraîne une surindemnisation. Les méthodes d’évaluation de l’invalidité et de calcul du droit à une rente d’invalidité selon les législations suisse et italienne sont trop différentes pour assimiler purement et simplement la rente italienne à une rente basée sur la LAI dans le cadre de l’interdiction du cumul des prestations. En revanche, la rente italienne doit être considérée comme équivalente à une prestation d’un autre assureur social suisse dans le cadre d’un calcul de surindemnisation tel que prévu par les règles de coordination intersystémique. En effet, le montant effectif de la pension et des indemnités journalières est pris en compte dans un tel calcul.

Il incombera donc à l’office AI d’effectuer un calcul de surindemnisation conformément à l’art. 21septies al. 5 RAI, la rente versée en application de la législation italienne pouvant être considérée comme équivalente, dans ce contexte, à une rente de l’assurance accidents. Il faudra toutefois tenir compte de l’art. 10 du Règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 qui établit les modalités d’application du Règlement n° 883/2004. Cette disposition a pour objet de coordonner les réductions de prestations pour cause de surindemnisation auxquelles pourraient procéder les différents États concernés en application de leurs législations respectives. Elle prévoit ainsi que lorsque des prestations dues au titre de la législation de deux Etats membres ou plus sont réduites, suspendues ou supprimées mutuellement, les montants qui ne seraient pas payés en cas d’application stricte des clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation des Etats membres concernés sont divisés par le nombre de prestations sujettes à réduction, suspension ou suppression.

Consid. 9
Il s’ensuit que le recours doit être admis. Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder au calcul des indemnités journalières demandées, ni de recueillir d’éventuelles preuves nécessaires à cet effet. Le jugement attaqué doit donc être annulé et l’affaire renvoyée à l’office AI pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

Arrêt 8C_36/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_36/2024 (d) du 25.11.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/01/8c_36-2024)

 

 

9C_540/2023 (f) du 03.06.2024 – Montant de la rente AVS succédant à une rente AI – 33bis LAVS / Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal – ALCP et Règlement (CE) n° 883/2004

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_540/2023 (f) du 03.06.2024

 

Consultable ici

 

Montant de la rente AVS succédant à une rente AI / 33bis LAVS

Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal – ALCP et Règlement (CE) n° 883/2004

 

Assuré, né en octobre 1956 au Portugal. Il y a travaillé et accompli des périodes de cotisations jusqu’à son entrée en Suisse le 02.04.1987, cotisant depuis lors au système suisse d’assurances sociales. Souffrant des séquelles d’un accident survenu le 09.10.1991, il a été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité à compter du 01.10.1992. Sa rente s’élevait à CHF 2’390 par mois depuis le 01.01.2021 et était calculée en fonction d’une durée de cotisations de quinze ans, de l’échelle de rente 44, de bonifications pour tâches éducatives (2.5), d’un revenu annuel moyen déterminant de 67’398 fr. et d’une durée de cotisations pour ce dernier de quatre ans et cinq mois. Elle tenait compte des périodes de cotisations au Portugal et d’un supplément pour veuvage (décision du 24.02.2021). Ayant atteint l’âge de la retraite, la caisse de compensation (ci-après: la caisse) lui a accordé une rente de vieillesse de CHF 1’310 par mois depuis le 01.11.2021. La rente était calculée en fonction d’une durée de cotisations de trente-quatre ans et cinq mois, de l’échelle de rente 34, de bonifications pour tâches éducatives (3.0), d’un revenu annuel moyen déterminant de 24’378 fr. et d’une durée de cotisations pour ce dernier de trente-trois ans et sept mois. Elle ne tenait plus compte des périodes de cotisations au Portugal mais toujours d’un supplément pour veuvage.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 32 – consultable ici)

Par jugement du 06.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
La rente d’invalidité accordée à l’assuré tenait compte des périodes de cotisations au Portugal, conformément à l’art. 12 par. 1 de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal (RS 0831.109.654.1; ci-après: la convention Suisse-Portugal). Le système de cette convention, dite de « type A », se caractérise par le principe du risque, selon lequel l’invalide qui en remplit les conditions reçoit une seule rente d’invalidité (au lieu de deux rentes partielles versées par les assurances des deux pays concernés [rentes partielles calculées au prorata des périodes d’assurance accomplies; convention dite de « type B »]). Cette rente unique est versée par l’assurance à laquelle l’assuré est affilié lors de la survenance de l’invalidité (en l’espèce la Suisse). L’assurance prend en considération la totalité des périodes de cotisations, y compris celles qui ont été accomplies dans l’autre pays (cf. ATF 130 V 247 consid. 4). La rente de vieillesse de l’assuré, qui a en l’occurrence succédé à sa rente d’invalidité, a en revanche été calculée sur la base des seules cotisations à l’assurance suisse. La caisse intimée a procédé au calcul comparatif prévu par l’art. 33bis al. 1 LAVS. Selon cette disposition, les rentes de vieillesse ou de survivants sont calculées sur la base des mêmes éléments que la rente d’invalidité à laquelle elles succèdent s’il en résulte un avantage pour l’ayant droit. L’administration n’a cependant pas appliqué cette disposition dans la mesure où elle n’avait relevé aucun avantage pour l’assuré.

Consid. 5.1
Les premiers juges sont partis du principe que, dans la mesure où l’assuré avait exercé son droit à la libre circulation en 1987 et où il avait bénéficié d’une rente d’invalidité depuis le mois d’octobre 1992, il fallait se référer à la convention Suisse-Portugal pour trancher le litige. Ils n’ont pas examiné si la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale mise en place à la suite de l’entrée en vigueur le 01.06.2002 de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) pouvait s’appliquer en l’espèce.

Consid. 5.2
On relèvera au préalable que, jusqu’au 31.03.2012, les parties à l’ALCP appliquaient entre elles le Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (RO 2004 121; ci-après: le règlement n° 1408/71). Une décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 (RO 2012 2345) a actualisé le contenu de l’Annexe II à l’ALCP avec effet au 01.04.2012. Il a été prévu, en particulier, que les Parties appliqueraient désormais entre elles le Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, modifié par le Règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (ci-après: le règlement n° 883/2004; RS 0.831.109.268.1). L’art. 153a al. 1 LAVS, dans sa teneur en vigueur depuis le 01.01.2017, renvoie à ces règlements de coordination.

Consid. 5.3
Il ressort des constatations cantonales que l’assuré a atteint l’âge de la retraite en Suisse en octobre 2021 (au Portugal en avril 2023), que son droit à la rente suisse de vieillesse est né le 01.11.2021 et que la décision administrative le constatant a été rendue le 05.10.2021. Ces événements, survenus postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ALCP, tombent dans le champ d’application temporel de cet accord et des règlements de coordination qui en découlent (cf. art. 1 par. 1 de l’annexe II à l’ALCP – intitulée « Coordination des systèmes de sécurité sociale », fondée sur l’art. 8 de l’accord et faisant partie intégrante de celui-ci [art. 15 ALCP] – en relation avec la section A de cette annexe), en particulier du règlement n° 883/2004. La rente de vieillesse, dont le calcul est en l’espèce litigieux, est en outre comprise dans le champ d’application matériel du règlement n° 883/2004 selon son art. 3 par. 1 let. d. Enfin, le champ d’application personnel du règlement n° 883/2004 est manifestement rempli dans la mesure où, selon l’art. 2 par. 1 dudit règlement, celui-ci s’applique notamment aux ressortissants de l’un des États membres qui – comme l’assuré qui a accompli des périodes de cotisations tant au Portugal qu’en Suisse – sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres.

Le litige relève ainsi de la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale mise en place à la suite de l’entrée en vigueur de l’ALCP, ce que les premiers juges auraient dû examiner d’office.

Consid. 5.4
Cela étant, dans l’ATF 149 V 97, confirmant l’ATF 142 V 112 auquel s’est référé le tribunal cantonal, le Tribunal fédéral a relevé que l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 reprenait le principe de l’application des conventions de sécurité sociale plus favorables de l’art. 7 par. 2 let. c du règlement n° 1408/71 lorsqu’en particulier l’assuré avait, comme en l’espèce, exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP. Il a en outre considéré que la jurisprudence relative à l’applicabilité de ce principe, développée sous le régime du règlement n° 1408/71, restait applicable sous le régime du règlement n° 883/2004 (consid. 5.3).

Consid. 5.5
Il convient dès lors de déterminer, d’une part, quelles sont les conditions auxquelles une rente de vieillesse succède à une rente d’invalidité ou, selon les termes conventionnels, les conditions d’une conversion des prestations d’invalidité en prestations de vieillesse sous le régime du règlement n° 883/2004 et sous le régime de la convention Suisse-Portugal puis, d’autre part, lequel de ces deux régimes est le plus favorable à l’assuré.

Consid. 6.1
L’art. 48 du règlement n° 883/2004 prévoit la conversion de prestations d’invalidité en prestations de vieillesse selon les conditions prévues par la législation au titre de laquelle elles sont servies. Par ailleurs, l’institution, qui sert des prestations d’invalidité à un bénéficiaire admis à faire valoir son droit à des prestations de vieillesse en vertu de la législation d’un autre État membre, continue à verser les prestations d’invalidité tant que le bénéficiaire y a droit en vertu de la législation qu’elle applique. Ensuite, lorsque les prestations d’invalidité sont converties en prestations de vieillesse et que l’intéressé ne satisfait pas encore aux conditions de l’autre État pour avoir droit à ces mêmes prestations, l’intéressé bénéficie de la part de l’autre État membre de prestations d’invalidité à partir du jour de la conversion. Cette nouvelle disposition a succédé à l’art. 43 du règlement n° 1408/71. Elle y a seulement apporté des modifications d’ordre rédactionnel (Constanze Janda, in: Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 1 ad art. 48 du règlement n° 883/2004, p. 428) et s’inscrit pleinement dans l’objectif de modernisation et de simplification du règlement n° 1408/71 essentiel à la mise en œuvre de la libre circulation des personnes (cf. ATF 149 V 97 consid. 5.3.3). Il n’y a dès lors pas de motif de remettre en cause la jurisprudence développée sous le régime du règlement n° 1408/71, exposée ci-après.

Consid. 6.2
Se référant notamment à l’art. 43 du règlement n° 1408/71, dans l’ATF 131 V 371, le Tribunal fédéral a été amené à examiner le cas de la conversion de la rente d’invalidité en rente de vieillesse d’une ressortissante néerlandaise, devenue suisse, qui avait accompli des périodes de cotisations aux Pays-Bas et en Suisse avant et après l’entrée en vigueur de l’ALCP. Il y a notamment retenu que les règlements de coordination n’obligeaient pas l’État, qui avait versé une rente d’invalidité intégrant les périodes d’assurance accomplies à l’étranger, à tenir compte desdites périodes pour le calcul de la rente de vieillesse qui la remplaçait. Aucune garantie de droits acquis n’était prévue pour le passage de la rente d’invalidité à la rente de vieillesse. La prise en compte des périodes de cotisations à l’étranger se faisait par le biais du versement par l’État, qui avait jusqu’alors été libéré du versement d’une prestation, d’une rente de vieillesse ou, si l’âge de la retraite prévu par cet État n’était pas atteint, d’une rente d’invalidité, sous réserve d’une solution bilatérale plus avantageuse (consid. 7-9).

Consid. 6.3
Il apparaît dès lors que, selon la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale applicable par l’entrée en vigueur de l’ALCP, l’assuré a droit à la conversion de sa rente suisse d’invalidité en une rente suisse de vieillesse calculée en fonction exclusivement des périodes suisses de cotisations dès qu’il a atteint l’âge de la retraite en Suisse de soixante-cinq ans (cf. art. 52 du règlement n° 883/2004 et la jurisprudence y relative, arrêt 9C_440/2019 du 2 mars 2020 consid. 3 avec la référence à l’ATF 130 V 51; cf. aussi ATF 131 V 371 consid. 6.4). Il ne peut en revanche pas prétendre une rente portugaise de vieillesse tant qu’il n’a pas atteint l’âge de la retraite au Portugal de soixante-six ans et six mois. Toutefois, dans l’intervalle de ces deux dates, il peut prétendre une rente portugaise transitoire d’invalidité, calculée en fonction des périodes portugaises de cotisations. Le cumul provisoire de la rente suisse de vieillesse et de la rente portugaise d’invalidité s’applique en l’occurrence, à moins que la convention Suisse-Portugal propose une solution plus favorable à l’assuré (voir consid. 7 infra). Il doit être procédé à un nouveau calcul de la rente suisse de vieillesse une fois atteint l’âge de la retraite au Portugal.

Consid. 6.4
Le Tribunal fédéral a en outre rappelé que la garantie des droits acquis prévue à l’art. 33bis al. 1 LAVS ne se rapportait pas au montant de la rente d’invalidité calculée en tenant compte des périodes d’assurance à l’étranger. La rente de vieillesse pouvait être inférieure à la rente d’invalidité perçue jusqu’alors sans que cela ne constitue une violation de l’art. 33bis al. 1 LAVS et le calcul comparatif se faisait en fonction des périodes suisses uniquement (ATF 133 V 329 consid. 4.3; 131 V 371 consid. 3).

 

Consid. 7.1
Comme l’assuré a exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, il peut se prévaloir de l’application d’une convention de sécurité sociale plus favorable (cf. consid. 5.4 supra). Il faut donc déterminer si le système mis en place par la convention Suisse-Portugal est plus favorable que celui mis en place par l’ALCP.

Consid. 7.2
Selon l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal, les rentes ordinaires de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse venant se substituer à un rente d’invalidité, fixée selon le paragraphe précédent, sont calculées sur la base des dispositions légales suisses compte tenu exclusivement des périodes de cotisations suisses. Si toutefois les périodes d’assurance portugaise, compte tenu de l’art. 20 de la Convention et des dispositions d’autres Conventions internationales, n’ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation portugaise analogue, elles sont également prises en compte pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base de calcul des rentes suisses susmentionnées. Selon l’art. 20 de la convention Suisse-Portugal, lorsqu’un ressortissant de l’une ou l’autre des Parties contractantes a été soumis successivement ou alternativement aux législations des deux Parties contractantes, les périodes de cotisations et les périodes assimilées accomplies selon chacune de ces législations sont totalisées, du côté portugais, dans la mesure où c’est nécessaire, pour l’ouverture du droit aux prestations qui font l’objet de la présente section, en tant que lesdites périodes ne se superposent pas. Cette disposition ne s’applique que si la durée de cotisations dans les assurances portugaises est au moins égale à douze mois.

Consid. 7.3
La juridiction cantonale a conclu que les périodes portugaises de cotisations ne devaient en l’occurrence pas être prises en compte dans le calcul de la rente de vieillesse de l’assuré. Elle a considéré que l’exception de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal n’était pas réalisée dans la mesure où l’assuré n’était pas définitivement privé de la possibilité d’obtenir une rente portugaise de vieillesse mais aurait droit à une telle rente, calculée sur la base des périodes portugaises de cotisations, lorsqu’il aurait atteint l’âge de soixante-six ans et six mois.

Consid. 7.4
Cette interprétation de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal ne peut pas être suivie. Dans l’ATF 112 V 145 consid. 2 ss – invoqué par l’assuré -, le Tribunal fédéral a recherché le sens qu’il fallait donner au membre de phrase « n’ouvre exceptionnellement pas droit à une prestation espagnole analogue » figurant à l’art. 9 par. 4 de la Convention de sécurité sociale du 13 octobre 1969 entre la Confédération suisse et l’Espagne (ci-après: la convention Suisse-Espagne), identique à l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal. Il est parvenu à la conclusion que, lorsqu’une rente de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse succède à une rente de l’assurance-invalidité calculée selon l’art. 9 par. 3 de la convention Suisse-Espagne, la totalisation des périodes espagnoles d’assurance et des périodes suisses de cotisations doit être appliquée, si elle est plus avantageuse pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation espagnole analogue au moment où s’ouvre le droit à une rente suisse. Si, par la suite, le droit de l’assuré à la prestation espagnole naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes suisses de cotisations, conformément à l’art. 9 par. 4 première phrase de la convention Suisse-Espagne.

Consid. 7.5
Dès lors que les textes des conventions Suisse-Portugal et Suisse-Espagne sont identiques, il n’y a pas lieu de faire une interprétation différente de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal que celle qui a été faite de l’art. 9 par. 4 de la convention Suisse-Espagne dans l’ATF 112 V 145. La totalisation des périodes portugaises d’assurance et des périodes suisses de cotisations doit être appliquée, si elle est plus avantageuse pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation portugaise analogue au moment où s’ouvre le droit à une rente suisse. Si, par la suite, le droit de l’assuré à la prestation portugaise naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes suisses de cotisations, conformément à l’art. 12 par. 2 première phrase de la convention Suisse-Portugal. Cela signifie concrètement que l’assuré peut prétendre la prise en compte des périodes de cotisations au Portugal dans le calcul de sa rente de vieillesse jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la retraite au Portugal, pour autant que cette solution soit plus favorable au système mis en place par le règlement n° 883/2004.

 

Consid. 8
Ni la caisse intimée ni la juridiction cantonale n’ont examiné si le système de la convention Suisse-Portugal (consid. 7) est plus favorable à l’assuré que le système du règlement n° 883/2004 (consid. 6), étant précisé que la totalisation des périodes de cotisations selon le premier système ou le cumul de la rente suisse de vieillesse et de la rente portugaise d’invalidité selon le second système ne saurait s’appliquer après que l’assuré aura atteint l’âge de soixante-six ans et six mois. Un nouveau calcul devrait alors être effectué. À cet égard, le Tribunal fédéral a déjà considéré que le point de savoir quel système était plus favorable à l’assuré nécessitait un calcul comparatif fondé sur des informations dont l’obtention ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale (art. 7 de l’Arrangement administratif du 24 septembre 1976 fixant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal [RS 0.831.109.654.12]; art. 84 du règlement n° 1408/71; art. 76 ss du règlement n° 883/2004; art. 2 ss du Règlement [CE] n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale [RS 0.831.109.268.11]; ATF 149 V 97 consid. 5.4 et la référence). Il n’appartient au demeurant pas au Tribunal fédéral d’examiner ce point pour la première fois. En conséquence, il convient de rejeter la conclusion principale, en tant qu’elle postule le versement de la rente la plus favorable pour une durée indéterminée, et d’admettre la conclusion subsidiaire de renvoi. Il convient ainsi d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer la cause à l’administration pour qu’elle complète l’instruction dans le sens de ce qui précède et rende une nouvelle décision. Il n’y a pas lieu d’annuler la décision de rente litigieuse dont il n’est pas encore établi qu’elle soit contraire au droit.

Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les autres griefs de l’assuré dans la mesure où la caisse intimée devra justifier ses nouveaux calculs.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_540/2023 consultable ici

 

8C_631/2022 (i) du 24.03.2023 – Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / 39 LPGA – 60 LPGA

Pas d’application de l’ALCP ni du Règl. (CE) no 883/2004

Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

 

Assuré, ressortissant italien né en 1983, a travaillé pendant plusieurs années en Suisse en tant qu’ouvrier du bâtiment. Accident le 09.08.2016.

Par décision du 30.12.2020, envoyée directement à l’avocat de l’assuré résidant en Italie, l’assurance-accidents a octroyé une rente d’invalidité de 12% dès le 01.01.2021. Par décision sur opposition du 09.02.2021, notifiée directement à l’avocat de l’assuré le 16.02.2021, l’assurance-accidents a confirmé la décision du 30.12.2020.

 

Procédure cantonale

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition auprès du tribunal cantonal. L’acte de recours daté du 16.03.2021 a été remis à la poste italienne le 18.03.2021 et est parvenu au tribunal le 24.03.2021. Dans un arrêt du même jour, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le fond du recours en raison de la tardiveté de celui-ci.

Dans son arrêt 8C_307/2021 du 25.08.2021, le Tribunal fédéral a admis le recours formé par l’assuré, annulant le jugement du 24.03.2021 et renvoyant la cause à l’instance cantonale. Le Tribunal fédéral a notamment relevé que le tribunal cantonal avait constaté le domicile de l’assuré – fait déterminant pour la détermination du droit applicable (interne ou international) en matière de computation du délai de recours et de mode de notification des actes – sans procéder aux actes d’instruction nécessaires et sans garantir à l’assuré le droit d’être entendu.

Dans un arrêt du 09.03.2022, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours du 16.03.2021, le considérant comme tardif.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir mal interprété l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ci-après : ALCP [RS 0.142.112.681]) et le Règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après : Règlement n° 883/2004 [RS 0.831.109.268.1]), dans la mesure où, pour déterminer l’applicabilité (ou non) du droit international précité, elle a procédé à l’établissement de l’existence d’un élément transfrontalier du litige, à savoir son lieu de résidence. Selon l’assuré, , se fondant sur l’art. 2 par. 1 du Règlement n° 883/2004, le simple fait qu’il soit ressortissant italien entraînerait automatiquement l’application de ce règlement, selon lequel, en vertu de l’art. 81 (demandes, déclarations ou recours), la remise d’une demande ou d’un recours à la poste d’un État membre – autre que celui qui détermine la loi applicable à l’affaire – sauvegarde le délai de recours à la poste, de sorte que le recours doit être considéré comme opportun.

Consid. 4.2
Dans les considérants de l’arrêt attaqué, la cour cantonale a exposé de manière complète et détaillée les règles de droit et les principes jurisprudentiels nécessaires à la résolution de la cause, en rappelant notamment les délais de recours et les règles de computation et de respect des délais en droit national (en particulier les art. 39 et 60 LPGA), ainsi qu’en droit européen (art. 81 Règlement n° 883/2004). Il est possible de s’y référer et de s’y conformer.

Appelé à se prononcer concrètement sur la législation applicable, le tribunal cantonal a ensuite relevé que, pour que l’assuré puisse invoquer l’ALCP et les règlements européens, il est indispensable que la cause présente un élément transfrontalier. Comme en l’espèce le litige relatif aux prestations sociales contestées était prima facie circonscrit à la Suisse, où il travaillait et vivait depuis de nombreuses années, la cour cantonale a donc procédé à la vérification de son lieu de résidence au moment où il a déposé son recours par l’intermédiaire de ses avocats, ainsi que le Tribunal fédéral l’a expressément indiqué dans son arrêt de renvoi (8C_307/2021 consid. 5.2-5.3).

Consid. 4.3
En ce qui concerne le champ d’application personnel (ratione personae) de l’ALCP et du Règlement n° 883/2004, le Tribunal fédéral a jugé que les éléments déterminants pour cette appréciation sont, d’une part, les conditions de nationalité ou de statut familial de la personne et, d’autre part, l’élément transfrontalier, à savoir l’exercice du droit à la libre circulation, c’est-à-dire le fait de résider ou de travailler dans un État membre de l’UE (ATF 143 V 81 consid. 8.1 et 8.3.2). Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à laquelle le Tribunal fédéral se réfère généralement pour l’application de l’ALCP (voir ATF 143 II 57 consid. 3.6 ; 139 II 393 consid. 4. 1), les dispositions européennes relatives à la coordination des systèmes de sécurité sociale ne sauraient en effet s’appliquer à des activités qui n’ont de lien avec aucune des situations couvertes par le droit communautaire et dont les éléments pertinents restent dans l’ensemble confinés à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt pro multis du 5 mai 2011 C-434/09 McCarthy, consid. 45). Il y a caractère transfrontalier lorsqu’une personne, une affaire ou une demande a une relation juridique avec plusieurs États de l’UE. Dans ce cas, le lieu de résidence ou de travail entre notamment en ligne de compte (ATF 143 V 81 consid. 8.3.1 ; voir BETTINA HUMMER, in Europäisches Sozialrecht, Maximilian Fuch/Constanze Janda [éd.], 8e éd. 2022, no. 16 ad art. 2 du Règlement [CE] no 883/2004). Le seul fait de posséder la nationalité d’un État de l’UE ne suffit donc pas pour appliquer les règlements européens de sécurité sociale si la personne concernée n’a pas exercé son droit à la libre circulation (lien transfrontalier). Par conséquent, l’interprétation faite par le tribunal cantonal est conforme au droit international. L’assuré ne saurait donc être suivie lorsque, ignorant la jurisprudence fédérale constante, elle procède à une réanalyse générale de l’art. 2 par. 1 du Règlement no 883/2004 pour aboutir au résultat que le seul fait de posséder la nationalité d’un État communautaire, indépendamment de l’exercice ou non du droit à la libre circulation, entraînerait l’application personnelle du règlement précité.

 

Consid. 5.1
Le tribunal cantonal a tout d’abord constaté la présence de deux attestations de domicile contradictoires : l’extrait du service de l’état civil du canton des Grisons du 25.03.2021 indiquait que l’assuré était domicilié dans la commune de V.__ depuis 2018, alors que les certificats des 14.04.2021 et 26.11.2021 délivrés par la commune de W.__ (Italie) attestaient qu’il était domicilié dans la commune depuis le 27.10.2020. Les juridictions grisonnes ont également constaté que le contrat de location de l’appartement à V.__ – loué depuis le 01.04.2018 – n’avait pas encore été résilié et que l’assuré avait payé le loyer sans interruption, au moins jusqu’en juin 2021. Le tribunal cantonal a ensuite relevé que l’assuré était un citoyen italien titulaire d’un permis L UE/AELE de séjour temporaire, qu’il avait travaillé en Suisse pendant au moins sept ans en percevant un salaire stable jusqu’à son accident et qu’il était assujetti à l’impôt à la source depuis 2010. L’enquête a ensuite permis d’établir que l’assuré percevait des indemnités de chômage à partir du 01.01.2021, indemnités qui requièrent légalement une résidence effective en Suisse, et que dans le cadre de l’inscription au chômage, tant l’assuré que les autorités communales ont confirmé résider dans la commune de V.__. Pendant la période en question, soit entre février et mars 2021, il avait en outre témoigné de ses efforts personnels pour trouver un emploi en Suisse. La cour cantonale a finalement constaté que l’assuré était titulaire d’un abonnement de téléphonie mobile suisse – en Italie, il ne disposait que d’une carte prépayée – et que ses principales dépenses, constatées sur la base de la documentation bancaire, étaient principalement concentrées en Suisse. Sur la base des éléments du dossier, le tribunal cantonal a donc conclu que le requérant, bien que citoyen italien, non inscrit à l’Anagrafe dei Residenti all’Estero (AIRE) et propriétaire d’un bien immobilier à W.__, n’avait pas établi un lien avec l’Italie de nature à y reconnaître une résidence habituelle, à savoir avec l’intention de la maintenir pendant un certain temps et d’en faire le centre de ses relations personnelles durant cette période.

Consid. 5.2
L’assuré reproche à l’instance cantonale d’avoir déterminé son domicile de manière arbitraire et d’avoir appliqué à cet effet une base légale et des critères erronés. Il reproche en particulier au tribunal cantonal d’avoir retenu à tort la notion de résidence habituelle au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA et de l’art. 8 al. 1 lit. c LACI, au lieu de celle de domicile au sens de l’art. 23 CC, pour en déduire les critères de résidence au sens de l’article 1er lit. j Règlement n° 883/2004. En raison de la détention d’un permis L UE/AELE, qui ne peut en aucun cas être assimilé à un séjour en Suisse, il ne devrait également être considéré que comme un résident temporaire. En ce qui concerne les constatations de fait manifestement inexactes, l’assuré soutient que le tribunal cantonal a totalement ignoré le fait qu’au moment du dépôt du recours, il avait la nationalité italienne, n’était pas inscrit auprès de l’AIRE, ne travaillait pas, voyageait fréquemment d’Italie en Suisse et vice versa, qu’il était propriétaire d’un bien immobilier en Italie et titulaire d’un permis L UE/AELE valable pour trois mois seulement. Il ressort de ces éléments qu’il entretenait des relations juridiques avec l’Italie et qu’il ne se rendait en Suisse que pour des raisons professionnelles et administratives, sans avoir l’intention de s’y installer durablement. En conclusion, le requérant reproche à l’instance cantonale d’avoir appliqué à tort le droit fédéral – art. 39 al. 1 et 60 LPGA – au lieu du droit international, déclarant ainsi le recours irrecevable pour tardiveté.

Consid. 5.3
Selon l’art. 1er lit. j du Règl. n° 883/2004 – qui correspond à l’ancien art. 1er lit. h du Règlement [CE] n° 1408/71, abrogé avec effet au 1er avril 2012 -, la résidence est le lieu où une personne réside habituellement. Le terme de résidence constitue, en principe, une notion autonome et propre du droit communautaire européen (arrêt [de la CJUE] du 11 septembre 2014 C-394/13 Ministerstvo práce a sociálních vecí, point 26 ; arrêt 8C_186/2017 du 1er septembre 2017 consid. 7.5). L’art. 11 du Règlement d’exécution [CE] n° 987/2009 (RS 0.831.109.268.11) assimile la résidence au centre des intérêts de la personne concernée, qui est déterminé par une appréciation globale des circonstances. Cet article codifie également les éléments développés par la jurisprudence de la CJUE qui peuvent être pris en compte pour déterminer le centre d’intérêts susmentionné, tels que, par exemple, la durée et la continuité de la présence sur le territoire des États membres concernés, l’exercice d’une activité ou la situation et les liens de la famille (arrêt C-394/13, point 34 ; cf. point 5). Enfin, la définition de la résidence diffère de celle du séjour à l’art. 1er lit. k du Règl. n° 883/2004, qui est défini comme un séjour purement temporaire. Dans le cadre des accords sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, notamment dans l’application des règlements européens sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, le Tribunal fédéral a déjà constaté, sur la base de la jurisprudence de la CJUE, que le droit communautaire laisse largement ouverte la question de la détermination de la résidence et confie généralement cette notion au droit national respectif (ATF 138 V 533 consid. 4.2, 186 consid. 3.3.1).

Du point de vue du Règl. n° 883/2004, la jurisprudence fédérale a ainsi établi que la résidence est le lieu où se trouve le centre de vie de la personne ; elle peut dépendre à la fois de circonstances subjectives, fondées principalement sur la volonté de la personne concernée, et de circonstances objectives, qui sont déterminées par les conditions de vie extérieures et qui peuvent également diverger de la volonté déclarée (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1). Toutefois, ce sont les aspects objectifs et non les aspects subjectifs qui sont déterminants pour le jugement (ATF 148 V 209 consid. 4.3 ; 138 V 533 consid. 4.2). En outre, la simple durée de résidence dans un État membre de l’UE n’est pas décisive pour déterminer le lieu de résidence (HUMMER, op. cit., n° 20 à l’art. 1 du Règl. n° 883/2004 avec les références à la jurisprudence de la CJUE). Ce qui est déterminant, en revanche, c’est de savoir si la personne concernée a localisé (ou non) le centre de ses intérêts dans l’État en question. Pour ce faire, il faut tenir compte de la nature de la profession exercée, du but de l’absence du pays d’origine, de la situation familiale et de l’intention de l’intéressé de retourner au lieu où il était précédemment employé, démontrée par l’ensemble des circonstances (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1 ; 133 V 137 consid. 7.2 ; 131 V 222 consid. 7.4). Sur la base de l’art. 11 par. 1 lit. b du Règl. n° 987/2009, la situation de vie de la personne concernée peut également être prise en compte.

Comme l’a relevé à juste titre le tribunal cantonal, la définition de la résidence en droit communautaire correspond, pour l’essentiel, à celle du droit interne (ATF 148 V 209 consid. 4.3). En effet, selon l’art. 13 al. 2 LPGA, une personne a sa résidence habituelle (« propria dimora abituale » ; « gewöhnlicher Aufenthalt ») au lieu où elle vit pendant une période prolongée, même si la durée du séjour est d’emblée limitée. Il s’agit d’une notion créée par la jurisprudence fédérale (cf. ATF 119 V 98 consid. 6c) et propre au droit des assurances sociales. Selon une jurisprudence constante, la résidence habituelle au sens de la disposition précitée suppose donc un séjour effectif en Suisse et l’intention de le maintenir pendant un certain temps, même si la durée du séjour est d’emblée limitée ; en outre, le centre des relations de la personne doit se trouver en Suisse (ATF 141 V 530 consid. 5.3 ; 119 V 98 consid. 6c ; 112 V 164 consid. 1a). Ainsi, du point de vue du droit interne également, le domicile au sens de la résidence habituelle se situe là où se trouve le centre de vie de la personne concernée.

Consid. 5.4
L’assuré, sauf de manière générale, ne démontre pas le caractère insoutenable des constatations de l’instance cantonale. Dans la mesure où il se concentre notamment sur l’appréciation de la cour cantonale au regard des faits de la cause et du but allégué de son séjour en Suisse, il ne démontre pas leur caractère manifestement infondé, mais se contente d’opposer abusivement son opinion à celle des juges cantonaux. En tout état de cause, le raisonnement du tribunal cantonal est convaincant. Les circonstances factuelles évoquées par l’assuré ne suffisent pas à remettre en cause le raisonnement de la cour cantonale.

En effet, les considérants détaillés de la décision attaquée montrent que la cour cantonale a apprécié tous les éléments pertinents pour l’établissement des faits et a examiné de manière approfondie les griefs de l’assuré. Plus précisément, la cour cantonale a relevé que l’absence d’enregistrement AIRE ne prouve pas en soi l’absence de résidence à l’étranger et que la possibilité pour l’assuré d’un renouvellement illimité des permis UE/AELE de type L ne saurait raisonnablement prouver, au vu de tous les autres éléments du dossier, qu’il n’avait pas l’intention de résider durablement en Suisse. D’ailleurs, il est resté en Suisse malgré les blessures qu’il a subies. Même le fait qu’il ait acheté un bien immobilier en Italie ne semble pas déterminant pour admettre le retour de l’assuré dans son pays d’origine, puisque le bail de l’appartement en Suisse est toujours en cours. L’instance cantonale a ensuite pris acte du refus de l’assuré de déclarer le moment du prétendu déménagement en Italie et de produire les documents fiscaux italiens pour les années 2019-2020 et l’éventuelle résiliation du bail de l’appartement en Suisse. Par conséquent, pour la cour cantonale, des éléments plus concrets étaient nécessaires pour conclure à un déménagement en Italie. On ne saurait donc admettre que la cour cantonale ait déterminé le domicile de l’assuré par une interprétation insoutenable et en contradiction flagrante avec les documents de la cause.

Consid. 5.5
A cet égard, l’assuré semble oublier qu’en matière d’assurances sociales, la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération (ATF 144 III 264 consid. 5.2). Le juge fonde sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références).

En l’espèce, il est plus vraisemblable que le centre des relations personnelles de l’assuré se trouvait dans le canton des Grisons, où il a travaillé et vécu pendant des années et bénéficié de prestations sociales qui, selon la loi, exigent une résidence effective en Suisse, et non en Italie, où il semble n’avoir fait qu’acquérir un bien immobilier. En outre, le refus de l’assuré de déclarer au tribunal cantonal la date de son prétendu déménagement en Italie est également révélateur. A cet égard, après avoir dûment analysé les éléments de preuve, en particulier le dossier relatif aux prestations de l’assurance-chômage en Suisse, les documents bancaires et les documents relatifs à la location en Suisse, la cour cantonale a estimé, conformément au droit fédéral, que les circonstances invoquées par l’assuré n’étaient pas suffisantes pour établir une résidence habituelle en Italie. Il s’ensuit que les critiques de l’assuré ne sont pas fondées à cet égard. La cour cantonale n’ayant pas constaté arbitrairement la résidence de l’assuré en Suisse, c’est donc à juste titre qu’elle a considéré que le recours déposé était tardif (art. 39 al. 1 et 60 LPGA ; cf. arrêt de renvoi 8C_307/2021 du 25 août 2021 consid. 4).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_631/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/8c_631/2022)

 

9C_198/2022 (f) du 30.05.2023, destiné à la publication – Montant de la rente d’invalidité AI – Coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale / ALCP – Règl. (CE) n° 883/2004 – Convention de sécurité sociale entre la Suisse et le Portugal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_198/2022 (f) du 30.05.2023, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Montant de la rente d’invalidité AI – Coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale / ALCP – Règl. (CE) n° 883/2004 – Convention de sécurité sociale entre la Suisse et le Portugal

Prise en compte des périodes de cotisations accomplies au Portugal / art. 12 de la Convention entre la Suisse et le Portugal.

 

Assuré, ressortissant portugais, a travaillé dans son pays d’origine de 1973 à 1983 et en Suisse depuis 1985, où il s’est installé en mars 1989. L’office AI lui a octroyé une rente entière d’invalidité dès le 01.01.2018. Sa rente s’élevait à 1’592 fr. par mois (à partir du 01.09.2021). Elle était calculée en fonction d’un revenu annuel moyen déterminant de 48’756 fr., d’une durée de cotisations de 30 années et 8 mois, ainsi que de l’échelle de rente 37.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2021 173 – consultable ici)

Par jugement du 27.08.2015, rejet du recours de l’assuré – reprochait à l’office AI de ne pas avoir pris en compte ses périodes de cotisations accomplies au Portugal – par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’assuré est un ressortissant d’un Etat partie à l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP). Il a exercé des activités salariées en Suisse et est au bénéfice d’une rente de l’assurance-invalidité suisse. Le litige relève ainsi de la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale.

Consid. 3.2
Jusqu’au 31 mars 2012, les Parties à l’ALCP appliquaient entre elles le Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (RO 2004 121; ci-après: le règlement n° 1408/71). Une décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 (RO 2012 2345) a actualisé le contenu de l’Annexe II à l’ALCP avec effet au 1er avril 2012. Il a été prévu, en particulier, que les Parties appliqueraient désormais entre elles le Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, modifié par le Règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (ci-après: le règlement n° 883/2004; RS 0.831.109.268.1).

Consid. 3.3
Le droit de l’assuré à une rente d’invalidité est en l’espèce né le 01.01.2018, après l’entrée en vigueur du règlement n° 883/2004. Ratione temporis, le présent cas doit ainsi être tranché à la lumière de ce règlement.

Consid. 4.1
Au préalable, il convient de rappeler qu’avec l’entrée en vigueur simultanée de l’ALCP et du règlement n° 1408/71 le 1er juin 2002, la coordination des régimes de sécurité sociale entre la Suisse et le Portugal était passée d’un système de convention dite de type A à un système de convention dite de type B. Le premier système était celui dans lequel l’invalide qui en remplit les conditions reçoit une seule rente d’invalidité versée par l’assurance à laquelle il était affilié lors de la survenance de l’invalidité en fonction de la totalité des périodes de cotisations, y compris celles accomplies dans l’autre pays. Tel était le cas de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal (ci-après: la Convention entre la Suisse et le Portugal; RS 0.831.109.654.1). Le second système était celui dans lequel l’invalide qui a cotisé successivement dans les deux Etats perçoit une rente partielle de chacun des pays concernés calculée au pro rata des périodes d’assurance accomplies.

Consid. 4.2
Sous le titre « Relation entre le présent règlement et d’autres instruments de coordination », l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 prévoit: « Dans son champ d’application, le présent règlement se substitue à toute convention de sécurité sociale applicable entre les Etats membres. Toutefois, certaines dispositions de conventions de sécurité sociale que les Etats membres ont conclues avant la date d’application du présent règlement restent applicables, pour autant qu’elles soient plus favorables pour les bénéficiaires ou si elles découlent de circonstances historiques spécifiques et ont un effet limité dans le temps. Pour être maintenues en vigueur, ces dispositions doivent figurer dans l’annexe II. Il sera précisé également si, pour des raisons objectives, il n’est pas possible d’étendre certaines de ces dispositions à toutes les personnes auxquelles s’applique le présent règlement. »

Consid. 4.3
Sous le régime du règlement n° 1408/71, le Tribunal fédéral a rappelé que l’art. 20 ALCP prévoyait la suspension des conventions bilatérales entre la Suisse et les Etats parties. Selon cet article, sauf disposition contraire découlant de l’annexe II, les accords de sécurité sociale bilatéraux entre la Suisse et les Etats membres de la Communauté européenne étaient suspendus dès l’entrée en vigueur du présent accord, dans la mesure où la même matière était réglée par le présent accord. Le Tribunal fédéral a par ailleurs retenu que sa jurisprudence rendue sous le régime du règlement n° 1408/71 (ATF 133 V 329) n’excluait pas qu’un assuré fût mis au bénéfice d’une disposition plus favorable d’une convention bilatérale de sécurité sociale, pour autant qu’il eût exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP (ATF 142 V 112).

Dans ce dernier cas, le Tribunal fédéral a examiné la situation d’un ressortissant portugais qui résidait en Suisse depuis 1989, avait bénéficié d’une rente entière de l’assurance-invalidité suisse pour la période du 01.10.1997 au 30.04.1999 et percevait une demi-rente de l’assurance-invalidité suisse depuis le 01.01.2009. Il a jugé que les périodes de cotisations accomplies par l’assuré au Portugal avant son arrivée en Suisse devaient être prises en compte dans le calcul de sa demi-rente pour autant que cette solution fût plus favorable à l’assuré. Il s’est fondé sur l’ATF 133 V 329 selon lequel il y avait lieu de reprendre le principe de l’application des dispositions plus favorables d’une convention bilatérale de sécurité sociale, tel que dégagé par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE; devenue entre-temps la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE]; arrêt du 7 février 1991, Rönfeldt, C-227/89, Rec. 1989, p. I-323, précisé par l’arrêt du 9 novembre 1995, Thévenon, C-475/93, Rec. 1995, p. I-3813). Selon la CJCE, l’application du règlement n° 1408/71 ne devait pas conduire à la perte des avantages de sécurité sociale résultant de conventions de sécurité sociale en vigueur entre deux ou plusieurs Etats membres et intégrées à leur droit national. Autrement dit, le travailleur qui avait exercé son droit à la libre circulation des personnes ne devait pas être pénalisé du fait des règlements communautaires par rapport à la situation qui aurait été la sienne si elle avait été régie par la seule législation nationale. La jurisprudence européenne reposait aussi sur l’idée que l’intéressé était en droit, au moment où il avait exercé son droit à la libre circulation, d’avoir une confiance légitime dans le fait qu’il pourrait bénéficier des dispositions de la convention bilatérale (arrêt du 5 février 2002, Kaske, C-277/99, Rec. 2002 p. I-1261, point 27). Le principe selon lequel l’application de la réglementation européenne de coordination ne devait pas entraîner la diminution (ou la perte) des avantages de sécurité sociale prévus par des conventions de sécurité sociale a été développé à partir de l’arrêt Petroni (arrêt de la CJCE du 24 octobre 1975, Petroni, 24/75 Rec. p. 1149; cf. arrêt Röntfeldt précité, point 26). Dans cet arrêt, la CJCE a reconnu que les dispositions du règlement n° 1408/71 ne pouvaient pas être appliquées de manière à priver un travailleur migrant du bénéfice d’une prestation résultant de la seule législation nationale ou à réduire son montant. La doctrine parle à cet égard du « principe Petroni » (ARNO BOKELOH, Das Petroni-Prinzip des Europäischen Gerichtshofes, ZESAR 03/12 p. 121 ss; cf. aussi SEAN VAN RAEPENBUSCH, Les rapports entre le Règlement [CEE] n° 1408/71 et les conventions internationales dans le domaine de la sécurité sociale des travailleurs circulant à l’intérieur de la communauté, Cahiers de droit européen 1991, p. 449 ss).

Consid. 5.1
Dans l’ATF 142 V 112, le Tribunal fédéral a relevé que l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 reprenait le principe de l’application des conventions de sécurité sociale plus favorables (cf. art. 7 par. 2 let. c du règlement n° 1408/71), que les dispositions plus favorables de ces conventions devaient figurer à l’annexe II du règlement pour être maintenues en vigueur et que l’annexe II ne contenait aucune disposition concernant les relations entre la Suisse et le Portugal. Il a laissé ouverte la question de savoir si la jurisprudence de l’ATF 133 V 329 (cf. consid. 4.3 supra) et la jurisprudence européenne sur laquelle elle se fondait demeuraient applicables sous le régime du règlement n° 883/2004 dans la mesure où l’assuré avait droit quoi qu’il en soit au maintien de sa situation acquise au 31 mars 2012.

Consid. 5.2
L’assuré se prévaut de l’application des dispositions de la Convention entre la Suisse et le Portugal en vertu de la jurisprudence publiée aux ATF 142 V 112. Comme il est en l’occurrence un ressortissant portugais qui a exercé son droit à la libre circulation en travaillant en Suisse dès 1985 (avant l’entrée en vigueur de l’ALCP) et dont le droit à une rente entière de l’assurance-invalidité suisse est né le 01.01.2018 (après l’entrée en vigueur du règlement n° 883/2004), il convient de répondre à la question laissée ouverte dans l’ATF 142 V 112.

Il s’agit donc de déterminer s’il y a lieu de tenir compte, ou non, des périodes de cotisations accomplies au Portugal conformément à l’art. 12 de la Convention entre la Suisse et le Portugal.

 

Consid. 5.3.1
Comme mentionné (cf. consid. 4.2 et 5.1 supra), l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 reprend le principe de l’applicabilité des dispositions plus favorables des conventions bilatérales de sécurité sociale sous réserve que ces dispositions figurent à l’annexe II. Cette annexe ne contient aucune disposition maintenue en vigueur dans les relations entre la Suisse et le Portugal. Le fait que le règlement n° 883/2004 est une convention de type B (cf. consid. 4.1 supra) et que l’annexe II ne maintient pas en vigueur des dispositions entre la Suisse et le Portugal a conduit les premiers juges à exclure l’application de la Convention entre la Suisse et le Portugal et la prise en considération des périodes de cotisations accomplies au Portugal dans le calcul de la rente de l’assurance-invalidité suisse.

Consid. 5.3.2
L’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 remplace l’art. 6 du règlement n° 1408/71 qui, en relation avec l’art. 7 par. 2 let. c dudit règlement, prévoyait que nonobstant la substitution du règlement n° 1408/71 à toute convention de sécurité liant exclusivement deux ou plusieurs Etats membres (let. a), les dispositions de conventions de sécurité sociale mentionnées à l’annexe III restaient applicables. L’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 prend en considération la jurisprudence de la CJCE rendue sous l’empire du règlement précédent, puisqu’il prévoit expressément la condition (alternative) selon laquelle, pour rester applicables, les dispositions de conventions de sécurité sociale doivent être « plus favorables pour les bénéficiaires » (Heinz-Dietrich Steinmeyer, in Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 5 ad art. 8 du règlement n° 883/2004, p. 188).

Les principes dégagés dans l’arrêt Rönfeldt ont été résumés par la CJUE de la manière suivante (arrêt du 22 janvier 2015, Balazs, C-401/13 et C-432/13, points 34 s. et 38) : nonobstant les termes des art. 6 et 7 par. 2 sous c) du règlement n° 1408/71 – dont l’exigence selon laquelle les dispositions conventionnelles restant en vigueur doivent figurer à l’annexe III de ce règlement -, les conventions bilatérales de sécurité sociale continuent à s’appliquer à certaines conditions, même en l’absence de mention à ladite annexe. Ainsi, les dispositions des conventions bilatérales continuent à s’appliquer dans le cas de travailleurs migrants après l’entrée en vigueur du règlement n° 1408/71, indépendamment du point de savoir si elles figurent ou non à l’annexe III de ce règlement, lorsque cette application est plus favorable au travailleur, pour autant que celui-ci ait fait usage de son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de ce règlement (arrêt du 9 novembre 1995, Thévenon, C-475/93, Rec. 1995, p. I-3813). A l’inverse, la CJUE a nié l’application de ces principes lorsque le ressortissant d’un Etat membre a quitté le territoire de celui-ci pour un autre Etat membre plusieurs années avant que l’accord bilatéral de sécurité sociale ait été conclu, la personne concernée ne pouvant avoir de confiance légitime dans le fait qu’elle pourrait bénéficier des dispositions de l’accord bilatéral, celui-ci n’ayant pas encore été conclu à la date de leur retour dans son pays d’origine (arrêt Balazs cité, point 42).

L’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 comprend la même exigence relative aux dispositions conventionnelles devant figurer à l’annexe II du règlement que l’art. 7 par. 2 let. c du règlement n° 1408/71, à laquelle la CJUE – et à sa suite le Tribunal fédéral – a jugé qu’il y avait lieu de déroger dans les circonstances particulières précisées dans l’arrêt Rönfeldt. L’entrée en vigueur de l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 n’a donc rien changé au principe de l’applicabilité des conventions de sécurité sociale plus favorables dans un cas concret, pour autant que les conditions précitées soient réalisées. Les principes dégagés dans l’arrêt Rönfeldt restent applicables sous l’empire du règlement n° 883/2004 (Bernhard Spiegel, in Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 4 ad art. 87 et 87a du règlement n° 883/2004, p. 657; dans ce sens, Heinz-Dietrich Steinmeyer, op. cit., n° 11 ad art. 8 du règlement n° 883/2004, p. 189; BOKELOH, op. cit., p. 127; TIMO ZEISKE, Das Statut sozialer Sicherheit bei grenzüberschreitender Arbeitnehmerentsendung, Münster 2016, éd. MV Wissenschaft, p. 117 s.).

Consid. 5.3.3
Cette solution s’appuie également, de manière plus générale, sur l’objectif de l’adoption du règlement n° 883/2004. Celui-ci a remplacé le règlement n° 1408/71 à partir du 1er avril 2012 (cf. consid. 3.2 supra). Les motifs qui ont conduit à son adoption montrent qu’il trouve également sa source dans l’art. 42 du Traité instituant la Communauté européenne et vise donc toujours à éliminer les obstacles à la libre circulation des personnes pouvant résulter de l’absence de coordination des régimes nationaux de sécurité sociale (cf. ATF 133 V 329 consid. 8.6). Cet objectif a en outre été confirmé, voire renforcé. Il ressort effectivement du considérant 3 du préambule du règlement n° 883/2004 que ce dernier a été édicté et adopté en vue de remplacer le règlement n° 1408/71 (dont les nombreuses modifications et mises à jour, qui visaient à tenir compte non seulement des développements intervenus au niveau communautaire, y compris des arrêts de la CJCE, mais également des modifications apportées aux législations nationales, avaient contribué à rendre les règles communautaires de coordination complexes et lourdes) en le modernisant et en le simplifiant. Cela était essentiel à la réalisation de l’objectif de la libre circulation des personnes.

Dans ces circonstances, la jurisprudence développée sous le régime du règlement n° 1408/71 concernant l’applicabilité des dispositions des conventions bilatérales plus favorables reste applicable sous le régime du règlement n° 883/2004. Le remplacement des art. 6 et 7 du premier règlement par l’art. 8 du second n’a en effet entraîné aucune modification substantielle. L’objectif poursuivi par la réglementation, à savoir l’élimination la plus complète possible des obstacles à la libre circulation des personnes pouvant résulter de l’absence de coordination des régimes nationaux de sécurité sociale, n’a pas été modifié avec l’entrée en vigueur du nouveau règlement. Par conséquent, un assuré, qui a exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP et dont le droit à une rente de l’assurance-invalidité suisse est né après l’entrée en vigueur du règlement n° 883/2004, peut bénéficier d’une disposition plus favorable d’une convention bilatérale de sécurité sociale aussi sous le régime du règlement n° 883/2004.

Consid. 5.4
Ni l’office AI ni la juridiction cantonale n’ont examiné le point de savoir si le système de la Convention entre la Suisse et le Portugal est plus favorable à l’assuré que le système du règlement n° 883/2004. A cet égard, le Tribunal fédéral a considéré que le point de savoir quel système était plus favorable à l’assuré nécessitait un calcul comparatif fondé sur des informations dont l’obtention ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale (art. 7 de l’Arrangement administratif du 24 septembre 1976 fixant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal [RS 0.831.109.654.12]; art. 84 du règlement n° 1408/71; art. 76 ss du règlement n° 883/2004; art. 2 ss du Règlement [CE] n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale [RS 0.831.109.268.11]; ATF 142 V 112 consid. 4.5). En conséquence, il convient d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l’administration pour qu’elle complète l’instruction sur ce point et rende une nouvelle décision.

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annule le jugement cantonal et la décision, renvoyant la cause à l’office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

 

Arrêt 9C_198/2022 consultable ici

 

8C_670/2022 (d) du 25.05.2023, destiné à la publication – Prestations transitoires pour chômeurs âgés (LPtra) : les périodes de cotisation accomplies dans un État membre de l’UE ne sont pas imputées sur la durée minimale d’assurance

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_670/2022 (d) du 25.05.2023, destiné à la publication

 

Consultable ici

Communiqué de presse du TF du 21.06.2023 disponible ici

 

Prestations transitoires pour chômeurs âgés (LPtra) : les périodes de cotisation accomplies dans un État membre de l’UE ne sont pas imputées sur la durée minimale d’assurance

 

Lors du calcul de la durée minimale d’assurance pour le versement de prestations transitoires, la période de cotisation accomplie dans un État membre de l’UE n’est pas prise en compte, puisqu’il ne s’agit pas de prestations en cas de chômage au sens du droit de coordination européen. Le Tribunal fédéral confirme la décision de la Cour suprême d’Appenzell Rhodes-Extérieures qui n’a pas pris en compte la période de cotisation accomplie à l’étranger et rejette le recours de la personne concernée contre cette décision.

Un ressortissant allemand, né en 1959 et résidant en Suisse depuis janvier 2008, s’est désinscrit du service de placement auprès de l’Office régional de placement d’Appenzell Rhodes-Extérieures à compter du 1er juillet 2021. Il a requis auprès de la Caisse de compensation d’Appenzell Rhodes-Extérieures le versement depuis lors de prestations transitoires pour chômeurs âgés. La Caisse de compensation lui a dénié tout droit à des prestations transitoires puisque la durée minimale d’assurance en Suisse de 20 ans n’était pas atteinte. Le recours intenté contre cette décision a été rejeté par la Cour suprême d’Appenzell Rhodes-Extérieures en octobre 2022, à la suite de quoi l’intéressé a déposé un recours auprès du Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral rejette le recours. La question litigieuse est de savoir si les périodes de cotisation accomplies à l’étranger doivent être prises en compte ou non lors du calcul de la durée minimale d’assurance. Les périodes de cotisation accomplies dans un État membre de l’UE ne doivent pas être imputées si les prestations transitoires peuvent être qualifiées de prestations de préretraite au sens du Règlement (CE) n° 883/2004. En revanche, si les prestations transitoires sont considérées comme des prestations de chômage, leur imputation s’impose. Le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que les prestations transitoires ne constituent pas des prestations de chômage.

Les prestations transitoires sont des prestations à caractère d’assistance qui reposent sur une base constitutionnelle, l’article 114 alinéa 5 de la Constitution fédérale (aide sociale en faveur des chômeurs). Elles couvrent la période allant jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite AVS et permettent de prévenir le risque d’appauvrissement avant l’âge de la retraite. Il s’agit donc des cas auxquels le soutien à l’emploi ne s’applique plus et l’assurance de rente pas encore en raison de l’âge. En adoptant la loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra), le législateur a en outre sciemment renoncé à régler cette problématique dans le système de l’assurance-chômage. Enfin, les prestations transitoires présentent des différences importantes par rapport à l’assurance-chômage quant à leurs conditions d’octroi, leurs bases de calcul ainsi qu’à leur financement.

Au vu d’une appréciation globale et au vu de la jurisprudence pertinente de la CJUE en la matière, il existe ainsi plusieurs différences significatives permettant de qualifier les prestations transitoires de prestations de préretraite au sens du Règlement CE n° 883/2004. Les périodes de cotisation accomplies à l’étranger ne doivent par conséquent pas être prises en compte pour le calcul de la durée minimale d’assurance. Dès lors, la décision attaquée ne viole pas le droit international et le recours doit être rejeté.

 

 

Arrêt 8C_670/2022 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 21.06.2023 disponible ici

 

Prestazioni transitorie: i periodi contributivi maturati in uno Stato membro dell’UE non sono computati nella durata minima del periodo di assicurazione, Comunicato stampa del Tribunale federale del 21.06.2023 disponibile qui

Überbrückungsleistungen: keine Anrechnung der in einem EU-Mitgliedstaat geleisteten Beitragszeiten für die Mindestversicherungsdauer, Medienmitteilung des Bundesgerichts vom 21.06.2023 hier verfügbar

 

Télétravail transfrontalier en relation avec l’UE/AELE : Nouvel accord multilatéral à partir du 01.07.2023 – Mise en œuvre de l’accord dans ALPS – Détachement en cas de télétravail temporaire

Télétravail transfrontalier en relation avec l’UE/AELE : Nouvel accord multilatéral à partir du 01.07.2023 – Mise en œuvre de l’accord dans ALPS – Détachement en cas de télétravail temporaire

 

Bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC No 470 du 20.06.2023 consultable ici

 

Accord multilatéral à partir du 1er juillet 2023

Depuis la pandémie du coronavirus, en ce qui concerne le télétravail transfrontalier, les règles européennes en matière d’assujettissement aux assurances sociales ont été appliquées de manière flexible dans le cadre de l’accord sur la libre circulation des personnes Suisse-UE et de la convention AELE. Ce régime exceptionnel est limité au 30 juin 2023 et ne sera pas prolongé.

La Suisse a récemment signé un accord multilatéral qui facilite le télétravail pour les personnes résidant dans certains États de l’UE ou de l’AELE. L’accord est applicable à partir du 1er juillet 2023.

Les règles européennes de coordination prévoient en principe que les personnes qui travaillent habituellement dans plusieurs États et qui exercent une partie substantielle de leur activité (25% ou plus) dans leur État de résidence sont soumises à la législation de sécurité sociale dudit État (art. 13, par. 1 du règlement [CE] n° 883/2004). Etant donné qu’en cas de télétravail, le lieu où l’activité est effectivement exercée – c’est-à-dire le lieu où la personne se trouve physiquement – est considéré comme lieu de travail, cette règle s’applique en principe également aux personnes qui, de manière régulière, travaillent pour un employeur en Suisse et effectuent du télétravail dans un État de l’UE ou de l’AELE.

L’accord multilatéral permet d’y déroger pour le télétravail transfrontalier effectué dans certains États de résidence.

L’accord prévoit que les personnes travaillant dans l’État où se trouve le siège de l’employeur peuvent effectuer jusqu’à 50% de télétravail transfrontalier (au maximum 49,9% du temps de travail) depuis leur État de résidence, en principe en utilisant des moyens informatiques, tout en maintenant la compétence de l’État du siège de l’employeur pour les assurances sociales. Pour le calcul des 50%, la situation prévue pour les 12 mois civils à venir est à prendre en compte. Le seuil peut ainsi être dépassé pendant un mois ou une semaine, si cela s’équilibre sur l’année. Une condition d’application de l’accord est que l’alternance entre le télétravail dans l’État de résidence et le travail sur place se fasse avec une certaine régularité. Lorsqu’une personne a plusieurs employeurs en Suisse, la limite de 50% s’applique à l’ensemble du temps de travail chez tous les employeurs.

Pour que l’accord soit applicable, l’État de l’employeur et celui où se trouve la résidence du travailleur doivent tous deux avoir signé l’accord. Une liste des États concernés et le texte de l’accord (en anglais) sont disponibles sur https://socialsecurity.belgium.be/en/internationally-active/cross-border-telework-eu-eea-and-switzerland.

Les versions allemande, française et italienne de l’accord seront prochainement disponibles sur la page internet de l’OFAS. La version originale anglaise fait cependant foi.

L’accord multilatéral ne s’applique qu’aux personnes auxquelles l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’UE resp. la convention AELE est applicable. Il ne se limite pas aux travailleurs frontaliers (permis G), mais englobe tous les groupes de personnes en situation de télétravail transfrontalier qui sont couverts par l’accord.

Il ne s’applique pas aux

  • personnes qui, outre le télétravail dans leur État de résidence, y exercent de manière habituelle une autre activité (par ex. visites régulières à des clients, activité indépendante accessoire) et ce même si cet État a signé l’accord multilatéral ;
  • personnes qui, outre le télétravail dans leur État de résidence, exercent de manière habituelle une activité dans un autre État de l’UE ou de l’AELE ;
  • personnes qui, en plus de travailler pour leur employeur suisse, travaillent pour un employeur situé dans un État de l’UE ou de l’AELE ;
  • travailleurs indépendants.

En revanche, l’accord peut toutefois en principe être appliqué en cas d’engagement irrégulier (pas habituel), ad hoc et de courte durée dans l’État de résidence ou dans un autre État de l’UE resp. de l’AELE ; mais le texte de l’accord exclut toute activité supplémentaire, qui est exercée avec une certaine régularité. La question de savoir si cela concerne également les activités marginales est encore en cours de discussion au niveau de l’UE. Une courte mission à l’étranger dans un État contractant (par exemple un détachement de quelques jours) n’exclut pas non plus l’application de l’accord.

L’accord s’applique au télétravail transfrontalier compris entre 25% et 50% du temps de travail total. Pour le télétravail transfrontalier inférieur à 25% – même effectué dans un État signataire de l’accord – les règles et procédures ordinaires s’appliquent à nouveau à partir du 1er juillet 2023 (détermination de la législation applicable par l’État de résidence). Il en va de même pour les situations de télétravail transfrontalier dans un État n’ayant pas signé l’accord multilatéral.

 

Mise en œuvre de l’accord dans ALPS

Pour que l’accord s’applique, une demande doit être faite dans l’État de l’employeur. L’employeur en Suisse peut déposer lui-même la demande, en la saisissant dans le système d’information ALPS. A cet effet, un nouveau type de cas («télétravail transfrontalier») sera disponible à partir du 1er juillet 2023.

Lorsqu’un cas est transmis, la demande est automatiquement envoyée à l’institution de sécurité sociale étrangère dans l’État de résidence du travailleur, un envoi par la caisse de compensation AVS n’est pas nécessaire. Si l’institution de sécurité sociale étrangère accepte la demande, une attestation A1 est automatiquement générée et le cas est clôturé. La caisse de compensation AVS reçoit des messages SEDEX lors de la transmission du cas puis lors de la clôture du cas. Une intervention de la caisse de compensation AVS n’a lieu que dans le cas exceptionnel où l’institution étrangère refuse entièrement resp. partiellement la demande ou pose des questions. Dans cette situation, la caisse reçoit un message SEDEX («Annonce de responsabilité») et traite ensuite le dossier manuellement, de façon analogue au type de cas «pluriactivité».

Si la résidence de la personne se trouve en Suisse, la demande doit être faite auprès de l’institution de sécurité sociale étrangère de l’État dans lequel se trouve le siège de l’employeur. La demande déposée à l’étranger est automatiquement traitée par ALPS. La caisse de compensation AVS du canton de résidence de la personne reçoit ensuite le cas clôturé, pour l’archiver, au moyen d’un message SEDEX.

L’attestation A1 est limitée à trois ans. Si l’état de fait n’a pas changé, l’employeur peut néanmoins déposer une nouvelle demande et solliciter l’émission d’une nouvelle attestation.

L’attestation A1 est en principe valable à partir du moment de la demande, mais elle peut être délivrée de manière rétroactive jusqu’à trois mois. Dans le cadre d’une disposition transitoire, une délivrance rétroactive au 1er juillet 2023 est en outre possible pour les demandes déposées jusqu’à fin juin 2024. Il n’est donc pas nécessaire de déposer la demande immédiatement le 1er juillet 2023.

Les travailleurs frontaliers qui résident dans les pays de l’UE limitrophes peuvent être exemptés de l’assurance maladie suisse («droit d’option»). Dans les cas d’application de l’accord multilatéral, une preuve de couverture par l’assurance maladie étrangère peut exceptionnellement être téléchargée dans ALPS en lieu et place d’une exemption de l’assurance maladie obligatoire délivrée par le service compétent du canton de travail.

Le mode d’emploi de ALPS, accessible depuis la page d’accueil de la plateforme, sera adapté.

 

Détachement en cas de télétravail transfrontalier temporaire

Dans le cadre de la Commission administrative de l’UE pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, les États appliquant les règles de coordination européennes ont convenu, en ce qui concerne le télétravail, d’interpréter de manière uniforme les dispositions relatives au détachement. Un détachement en vertu de l’art. 12 du règlement (CE) n° 883/2004 est également possible en cas de télétravail transfrontalier temporaire et ponctuel à plein temps (100% du temps de travail).

L’article 12 du règlement (CE) n° 883/2004 ne concerne que les situations où le télétravail dans un autre État ne fait pas partie du modèle de travail habituel. Le télétravail continu sans limite temporelle dans un autre État ne constitue pas un détachement, car il n’est pas ad hoc ou temporaire.

Il n’est pas nécessaire de distinguer dans chaque cas individuel dans l’intérêt de qui, ou à l’initiative de qui, le télétravail transfrontalier est effectué mais il doit avoir été convenu entre l’employeur et le salarié.

Par conséquent, un employeur en Suisse peut détacher des employés dans un État de l’UE resp. de l’AELE pour une durée maximale de 24 mois pour y effectuer du télétravail, pour autant que les conditions d’un détachement sont remplies (voir le ch. 2024 ss des Directives sur l’assujettissement aux assurances AVS et AI – DAA). Les règles et processus ordinaires sont applicables.

Un détachement est p. ex. possible dans les situations suivantes:

  • prise en charge de proches à l’étranger ;
  • raisons médicales ;
  • fermeture des bureaux pour rénovation ;
  • télétravail depuis une destination de vacances.

Les attestations A1 doivent être demandées par l’employeur auprès de la caisse de compensation AVS compétente. Pour cela, le type de cas «détachement» doit être utilisé dans ALPS.

Aucune prolongation du détachement au-delà de 24 mois n’est acceptée en cas de télétravail transfrontalier temporaire.

Cette interprétation s’applique également aux détachements vers le Royaume-Uni, mais ne concerne pas les détachements dans le cadre d’accords bilatéraux de sécurité sociale avec d’autres États en dehors de l’UE/AELE.

 

Bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC No 470 du 20.06.2023 consultable ici

Mitteilungen an die AHV-Ausgleichskassen und EL-Durchführungsstellen Nr. 470, 20.06.2023, «Grenzüberschreitende Telearbeit in der Beziehung zur EU/EFTA: Neue multilaterale Vereinbarung ab dem 01.07.2023 – Umsetzung der Vereinbarung in ALPS – Entsendung bei vorübergehender Telearbeit», hier verfügbar

 

9C_282/2021 (f) du 05.04.2022 – Assujettissement obligatoire à l’AVS d’un ressortissant français résidant en Suisse – 1a al. 1 let. a LAVS / Devoir d’instruction de la caisse de compensation – 43 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_282/2021 (f) du 05.04.2022

 

Consultable ici

 

Assujettissement obligatoire à l’AVS d’un ressortissant français résidant en Suisse / 1a al. 1 let. a LAVS

Devoir d’instruction de la caisse de compensation / 43 al. 1 LPGA

 

Assuré, né en 1957, ressortissant français, s’est établi à Genève en 2006, puis en Valais le 31.12.2016. A la demande de la caisse cantonale de compensation qui s’était enquise de sa situation vis-à-vis de l’AVS, il a retourné le questionnaire annexé, dans lequel il a indiqué qu’il bénéficierait de rentes étrangères à partir du 01.05.2019 et qu’il continuerait à exercer une activité lucrative indépendante à mi-temps au service de la société B.__ SA (dont le siège est à U.__) lui rapportant un revenu annuel estimé à 30’000 fr.

Par écriture du 04.09.2019, la caisse lui a fait savoir qu’elle l’avait affilié auprès d’elle en tant que personne sans activité lucrative dès le 01.01.2017. Le 05.09.2019, la caisse a rendu une décision définitive de cotisations personnelles pour l’année 2017, portant sur un montant de 493 fr. 60 (cotisation minimale AVS/AI/APG et frais administratifs). Par deux décisions de cotisations provisoires pour les années 2018 et 2019, la caisse a fixé les cotisations et frais administratifs à respectivement 529 fr. 30 et 740 fr. 90. Saisie d’une opposition, la caisse l’a écartée par décision du 19.12.2019.

 

Procédure cantonale

Le 03.02.2020, la caisse a rendu deux décisions rectificatives de cotisations personnelles pour les années 2018 et 2019, les fixant respectivement à 493 fr. 60 et 497 fr. 60. L’assuré s’est déterminé sur ces décisions.

Par jugement du 29.04.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
Dans un premier moyen, l’assuré se réfère au questionnaire qu’il avait rempli le 24.02.2019 à la demande de la caisse de compensation. Il indique qu’il avait précisé dans ce document qu’il continuait à exercer une activité lucrative indépendante à mi-temps au service de la société B.__ SA lui rapportant un revenu annuel estimé à 30’000 fr. L’assuré en déduit qu’il n’est pas sans activité lucrative, de sorte qu’il ne devrait pas être affilié à ce titre auprès de la caisse de compensation.

Consid. 5
A l’examen du questionnaire du 24.02.2019, il apparaît que les constatations de fait du jugement entrepris sont lacunaires dans la mesure où les déclarations de l’assuré relatives à l’exercice d’une activité lucrative indépendante à mi-temps pour la société B.__ SA, dont le siège est à U.__, lui rapportant un revenu annuel estimé à 30’000 fr., n’ont pas été mentionnées et que la juridiction cantonale n’en a pas été tenu compte dans son appréciation. Or ces déclarations ne pouvaient pas être totalement ignorées, car elles seraient susceptibles d’influer sur le sort de la cause (cf. art. 97 al. 1 LTF).

En l’état du dossier, il n’est pas établi si l’assuré a effectivement exercé une activité lucrative, comme il l’avait indiqué dans le questionnaire du 24.02.2019, puis en instance cantonale, où il avait précisé avoir travaillé comme indépendant du 01.01.2017 jusqu’au 31.05.2019. La caisse de compensation a fait fi de cette information et a affilié l’assuré comme personne sans activité lucrative dès le 01.01.2017. Or en vertu de son devoir d’instruction au sens de l’art. 43 LPGA, il appartenait à la caisse de compensation à tout le moins d’interpeller l’assuré sur le bien-fondé de ses déclarations et lui donner l’occasion de rendre vraisemblable l’exercice d’une activité indépendante en Suisse, voire à l’étranger. Suivant la réponse (une activité exercée en Suisse ou dans un pays de l’Union européenne, substantiellement ou non), la caisse intimée est ou non compétente pour prélever des cotisations (cf. art. 4 et 8 LAVS; art. 13 § 1 et § 3 du Règlement [CE] no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, RS 0.831.109.268.1). Il convient dès lors de renvoyer la cause à la caisse de compensation pour qu’elle complète l’instruction sur ce point.

Partant, le jugement attaqué, la décision sur opposition et les décisions sont annulés, la cause étant renvoyée à la caisse de compensation afin qu’elle fasse la lumière sur ce qui précède, puis le cas échéant fixe les cotisations qui seraient éventuellement dues. Dans ce contexte, on relèvera que la perception de cotisations liées à l’exercice d’une activité lucrative dans un pays de l’Union européenne ne serait en principe pas compatible avec le versement de cotisations pour personne sans activité lucrative en Suisse (cf. art. 11 § 3 du Règlement no 883/2004).

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_282/2021 consultable ici

 

Cf. également arrêt 9C_123/2021 du 05.04.2022 pour les cotisations dans le canton du Genève

 

 

 

Cour de justice de l’Union européenne – Arrêt du 19.05.2022 dans l’affaire C-33/21 INAIL et INPS – Soumission à la législation de sécurité sociale italienne du personnel naviguant d’une entreprise irlandaise / Certificat E101 / Règl. no 1408/71 – Règl. no 883/2004

Cour de justice de l’Union européenne – Arrêt du 19.05.2022 dans l’affaire C-33/21 INAIL et INPS

 

Arrêt de la CJUE consultable ici

Communiqué de presse du 19.05.2022 consultable ici

 

Soumission à la législation de sécurité sociale italienne du personnel naviguant d’une entreprise irlandaise / Règl. no 1408/71 – Règl. no 883/2004

Certificat E101 / Partie substantielle des activités est exercée dans un État membre

 

Le personnel navigant de Ryanair non couvert par des certificats E101 qui travaille 45 minutes par jour dans le local de cette compagnie aérienne destiné à accueillir l’équipage à l’aéroport de Bergame et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des aéronefs de ladite compagnie aérienne est soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

 

À la suite d’une inspection, l’Istituto nazionale della previdenza sociale (INPS) a considéré que les 219 employés de Ryanair, affectés à l’aéroport d’Orio al Serio à Bergame (Italie), exerçaient une activité salariée sur le territoire italien et devaient, en application du droit italien et du règlement no 1408/71, être assurés auprès de l’INPS pour la période comprise entre le mois de juin 2006 et le mois de février 2010.

L’Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL) a également considéré que, en vertu du droit italien, les mêmes employés devaient, pour la période allant du 25 janvier 2008 au 25 janvier 2013, être assurés auprès de l’INAIL pour les risques liés au travail non aérien dès lors qu’ils étaient, selon cet organisme, rattachés à la base d’affectation de Ryanair située dans l’aéroport d’Orio al Serio.

L’INPS et l’INAIL ont, dès lors, réclamé à Ryanair le paiement des cotisations de sécurité sociale et des primes d’assurance afférentes à ces périodes, ce que cette dernière a contesté devant les juridictions italiennes.

La juridiction italienne d’appel a examiné les certificats E101, délivrés par l’institution irlandaise compétente, attestant que la législation de sécurité sociale irlandaise était applicable aux employés qui y étaient visés. Ces certificats ne couvraient cependant pas l’ensemble des 219 employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio durant l’intégralité des périodes concernées. Elle en a conclu que, concernant les employés pour lesquels l’existence d’un certificat E101 n’était pas avérée, il convenait de déterminer la législation de sécurité sociale applicable. Cette juridiction ayant estimé que la législation de sécurité sociale italienne n’était pas applicable, l’INPS et l’INAIL se sont pourvus en cassation devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie).

Cette juridiction a posé à la Cour une question visant à savoir quelle est, conformément aux dispositions pertinentes du règlement n° 1408/71 et du règlement n° 883/2004, la législation de sécurité sociale applicable au personnel navigant d’une compagnie aérienne, établie dans un État membre, qui n’est pas couvert par des certificats E101 et qui travaille pendant 45 minutes par jour dans un local destiné à accueillir l’équipage, dénommé «crew room», dont ladite compagnie aérienne dispose sur le territoire d’un autre État membre dans lequel le personnel navigant réside, et qui, pour le temps de travail restant, se trouve à bord des aéronefs de cette compagnie aérienne.

Par son arrêt de ce jour, la Cour juge que la législation de sécurité sociale applicable, pendant les périodes concernées, aux employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio non couverts par les certificats E101 est, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, la législation italienne.

En ce qui concerne, d’abord, les périodes relevant du règlement n° 1408/71, la Cour rappelle le principe selon lequel une personne faisant partie du personnel navigant d’une compagnie aérienne effectuant des vols internationaux et occupée par une succursale ou une représentation permanente que cette compagnie possède sur le territoire d’un État membre autre que celui où elle a son siège est soumise à la législation de l’État membre sur le territoire duquel cette succursale ou cette représentation permanente se trouve [art. 14, paragraphe 2, sous a), i), du règlement n° 1408/71].

L’application de cette disposition exige que soient remplies deux conditions cumulatives, à savoir, d’une part, que la compagnie aérienne concernée dispose d’une succursale ou d’une représentation permanente dans un État membre autre que celui où elle a son siège et, d’autre part, que la personne en cause soit occupée par cette entité.

Pour ce qui est de la première condition, la Cour relève que les notions de « succursale » et de « représentation permanente » doivent s’entendre comme visant une forme d’établissement secondaire présentant un caractère de stabilité et de continuité en vue d’exercer une activité économique effective et disposant, à cette fin, de moyens matériels et humains organisés ainsi que d’une certaine autonomie par rapport à l’établissement principal. Quant à la seconde condition, la Cour a souligné que la relation de travail du personnel navigant d’une compagnie aérienne présente un rattachement significatif avec le lieu à partir duquel ce personnel s’acquitte principalement de ses obligations à l’égard de son employeur.

Ainsi, la Cour considère que le local destiné à accueillir l’équipage de Ryanair («crew room»), situé à l’aéroport d’Orio al Serio, constitue une succursale ou une représentation permanente dans laquelle les employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio non couverts par les certificats E101 étaient occupés durant les périodes concernées, de sorte que ces derniers sont, en vertu du règlement n° 1408/71, soumis à la législation de sécurité sociale italienne.

En ce qui concerne, ensuite, les périodes relevant du règlement n° 883/2004, la Cour rappelle le principe selon lequel la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs États membres est soumise à la législation de l’État membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet État membre [art. 13, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 883/2004].

La Cour précise que, pour déterminer si une partie substantielle des activités est exercée dans un État membre, il faut tenir compte, dans le cas d’une activité salariée, du temps de travail et/ou de la rémunération et que tel n’est pas le cas si moins de 25 % de ces critères sont réunis.

Partant, la Cour estime que si, pendant les périodes concernées, les employés de Ryanair affectés à l’aéroport d’Orio al Serio non couverts par les certificats E101 ont exercé une partie substantielle de leur activité en Italie, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, la législation de sécurité sociale italienne s’applique.

Enfin, la Cour rappelle que, depuis 2012 [art. 11, paragraphe 5, du règlement n° 883/2004], le règlement n° 883/2004 prévoit une nouvelle règle selon laquelle l’activité d’un membre de l’équipage de conduite ou de l’équipage de cabine assurant des services de transport de voyageurs est considérée comme étant une activité menée dans l’État membre dans lequel se trouve la base d’affectation, qui est le lieu désigné par l’exploitant pour le membre d’équipage, où celui-ci commence et termine normalement un temps de service ou une série de temps de service et où, dans des circonstances normales, l’exploitant n’est pas tenu de loger ce membre d’équipage.

Dès lors, la Cour considère que le local destiné à accueillir l’équipage de Ryanair situé à l’aéroport d’Orio al Serio constitue une base d’affectation de sorte que les employés de Ryanair non couverts par les certificats E101 y étant affectés sont soumis, en vertu du règlement n° 883/2004, à la législation de sécurité sociale italienne.

 

 

Arrêt de la CJUE consultable ici

Communiqué de presse du 19.05.2022 consultable ici

 

 

Affaire C-350/20 – Arrêt de la CJUE du 02.09.2021 – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Egalité de traitement – Réglementation d’un État membre excluant les ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique du bénéfice d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité

Affaire C-350/20 – Arrêt de la CJUE du 02.09.2021

 

Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne consultable ici

Communiqué de presse de la CJUE disponible ici

 

Coordination des systèmes de sécurité sociale – Egalité de traitement – Réglementation d’un État membre excluant les ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique du bénéfice d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité / Règlement (CE) no 883/2004

 

Les ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique de travail obtenu en vertu de la législation italienne transposant une directive de l’Union ont le droit de bénéficier d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité telles que prévues par la réglementation italienne.

Les autorités italiennes ont refusé l’octroi d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité à plusieurs ressortissants de pays tiers séjournant légalement en Italie et titulaires d’un permis unique de travail obtenu en vertu de la législation italienne transposant la directive 2011/98 [1]. Ce refus a été motivé par le fait que, contrairement aux exigences prévues par la loi no 190/2014 et le décret législatif no 151/2001, ces personnes ne sont pas titulaires du statut de résident de longue durée.

En effet, en vertu de la loi no 190/2014, qui institue une allocation de naissance pour chaque enfant né ou adopté, l’allocation est versée mensuellement aux ressortissants italiens, aux ressortissants d’autres États membres, ainsi qu’aux ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis de séjour pour résidents de longue durée, afin d’encourager la natalité et de contribuer aux frais pour la soutenir. Le décret législatif no 151/2001 accorde le bénéfice de l’allocation de maternité, pour tout enfant né depuis le 1er janvier 2001 ou pour tout mineur placé en vue de son adoption ou adopté sans placement, aux femmes résidant en Italie, qui sont ressortissantes de cet État membre ou d’un autre État membre de l’Union ou qui sont titulaires d’un permis de séjour pour résidents de longue durée.

Les ressortissants de pays tiers concernés ont contesté ce refus devant les juridictions italiennes. Dans le cadre de ces litiges, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), considérant que le régime de l’allocation de naissance viole notamment plusieurs dispositions de la Constitution italienne, a saisi la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) de questions de constitutionnalité visant la loi no 190/2014, en ce que cette loi subordonne l’octroi de l’allocation aux ressortissants de pays tiers à la condition qu’ils soient titulaires du statut de résident de longue durée. Pour les mêmes raisons, cette dernière juridiction a été également saisie d’une question de constitutionnalité portant sur le décret législatif no 151/2001, relatif à l’allocation de maternité.

Considérant que l’interdiction des discriminations arbitraires et la protection de la maternité et de l’enfance, assurées par la Constitution italienne, doivent être interprétées à la lumière des indications contraignantes données par le droit de l’Union, la Corte costituzionale a demandé à la Cour de préciser la portée du droit d’accès aux prestations sociales reconnu par l’article 34 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et du droit à l’égalité de traitement dans le domaine de la sécurité sociale accordé par l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98 aux travailleurs issus de pays tiers [2].

Dans son arrêt, rendu en grande chambre, la Cour confirme le droit des ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique de bénéficier, conformément à l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98, d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité telles que prévues par la réglementation italienne.

 

Appréciation de la Cour

Dans un premier temps, la Cour précise que, étant donné que l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98 concrétise le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale prévu à l’article 34, paragraphes 1 et 2, de la charte des droits fondamentaux, il y a lieu d’examiner la question relative à la conformité de la réglementation italienne avec le droit de l’Union au regard de cette seule directive.

Dans un deuxième temps, puisque le champ d’application de cette disposition de la directive, qui renvoie au règlement no 883/2004 [3], est déterminé par ce dernier, la Cour vérifie si l’allocation de naissance et l’allocation de maternité en cause constituent des prestations relevant des branches de la sécurité sociale énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement.

Concernant l’allocation de naissance, la Cour note que cette allocation est accordée automatiquement aux ménages répondant à certains critères objectifs légalement définis, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels du demandeur. Il s’agit d’une prestation en espèces destinée notamment, au moyen d’une contribution publique au budget familial, à alléger les charges découlant de l’entretien d’un enfant nouvellement né ou adopté. La Cour en conclut que cette allocation constitue une prestation familiale, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004.

En ce qui concerne l’allocation de maternité, la Cour relève qu’elle est accordée ou refusée en tenant compte, outre l’absence d’une indemnité de maternité liée à une relation de travail ou à l’exercice d’une profession libérale, des ressources du ménage dont la mère fait partie sur la base d’un critère objectif et légalement défini, à savoir l’indicateur de la situation économique, sans que l’autorité compétente puisse tenir compte d’autres circonstances personnelles. En outre, cette allocation se rapporte à la branche de la sécurité sociale visée à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004.

La Cour conclut que l’allocation de naissance et l’allocation de maternité relèvent des branches de la sécurité sociale pour lesquelles les ressortissants de pays tiers visés à l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2011/98 bénéficient du droit à l’égalité de traitement prévu par cette directive

Compte tenu du fait que l’Italie n’a pas fait usage de la faculté offerte par la directive aux États membres de limiter l’égalité de traitement [4], la Cour considère que la réglementation nationale qui exclut ces ressortissants de pays tiers du bénéfice desdites allocations n’est pas conforme à l’article 12, paragraphe 1, sous e), de cette directive.

 

 

 

[1] Directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre (JO 2011, L 343, p. 1).

[2] Ces travailleurs sont ceux visés à l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de ladite directive, à savoir, premièrement, les ressortissants de pays tiers admis dans un État membre à d’autres fins que le travail, qui sont autorisés à travailler et qui sont titulaires d’un titre de séjour conformément au règlement (CE) no 1030/2002 du Conseil, du 13 juin 2002, établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers (JO 2002, L 157, p. 1), et, deuxièmement, les ressortissants de pays tiers admis dans un État membre aux fins d’y travailler.

[3] Règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).

[4] Cette faculté est prévue par l’article 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2011/98.

 

 

Affaire C-350/20 – Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 02.09.2021 consultable ici (en français). Cf. également versions italienne et allemande.

Communiqué de presse de la CJUE disponible ici

 

 

9C_490/2020 (f) du 30.06.2021 – destiné à la publication – Droit d’option en matière d’assurance-maladie / Règl. (CE) n° 883/2004 et Annexe XI du Règl. (CE) n° 883/2004, « Suisse » – 2 al. 6 OAMal / Notion de changement de circonstances survenant pour l’un des parents de membres de la famille / Collision entre les deux droits dérivés des enfants

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_490/2020 (f) du 30.06.2021, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Fors alternatifs subsidiaires en cas de domicile à l’étranger / 58 LPGA

Droit d’option en matière d’assurance-maladie / art. 11 par. 3 let. a Règl. (CE) n° 883/2004 – Annexe XI du Règl. (CE) n° 883/2004, « Suisse » – 2 al. 6 OAMal – 3 al. 3 let. a LAMal – 1 al. 2 let. d OAMal

Assurance des membres de la famille / art. 32 Règl. (CE) n° 883/2004

Notion de changement de circonstances survenant pour l’un des parents de membres de la famille

Collision entre les deux droits dérivés des enfants

 

Domiciliés en France depuis le 01.08.2015, les époux D.__ et C.__ ont deux enfants, A.__ né en 2014 et B.__ né en 2017. Alors qu’il allait reprendre une activité lucrative en Suisse à partir du 01.09.2017, l’époux C.__ a indiqué à la Caisse Primaire d’Assurances Maladie de Haute-Savoie (CPAM Haute-Savoie) qu’il exerçait son droit d’option pour le régime français de l’assurance-maladie et demandait à être affilié à celui-ci, pour lui et ses enfants. L’époux C.__ et les deux enfants ont été affiliés à la CPAM Haute-Savoie dès le 01.09.2017.

L’épouse D.__, qui avait travaillé du 01.09.2015 au 31.01.2018 en Suisse, puis du 01.02.2018 au 31.08.2018 en France, a été engagée auprès du canton de Genève dès le 01.09.2018. A cette occasion, elle a demandé à une caisse-maladie suisse de l’assurer, elle et ses enfants, pour l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie. La caisse-maladie l’a informée qu’elle n’était pas en mesure d’affilier les enfants à l’assurance-maladie obligatoire suisse, en raison des dispositions du droit communautaire en matière de coordination des régimes de la sécurité sociale. Le 04.07.2019, la caisse-maladie a rendu une décision par laquelle elle a refusé d’affilier les deux enfants à l’assurance-maladie obligatoire. Sur opposition des époux D.__ et C.__, elle a maintenu son point de vue par décision sur opposition du 16.08.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt AM 31/19 – 16/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a considéré qu’il existait un conflit entre les règles ordinaires régissant l’affiliation à l’assurance-maladie et celles régissant le droit d’option. Alors que, selon les premières, les membres de la famille d’un travailleur exerçant une activité salariée en Suisse qui ne travaillent pas ni ne résident dans cet État sont également tenus de s’affilier en Suisse à titre individuel, les secondes prévoient que les membres de la famille d’un travailleur exerçant une activité salariée en Suisse qui a irrévocablement fait usage de son droit d’option sont liés par le choix du travailleur.

Selon les juges cantonaux, en fonction du choix de chacun des parents des enfants, deux possibilités d’assurance théoriques s’offraient à A.__ et B.__: la première par le biais de leur père qui avait exercé son droit d’option et avait demandé à être exempté de l’obligation de s’assurer en Suisse; la seconde par le biais de leur mère qui avait décidé de s’assurer en Suisse. Dans les deux éventualités, les enfants étaient titulaires d’un droit dérivé découlant de la soumission de l’un de leurs parents à un régime d’assurance-maladie.

De l’avis de l’autorité judiciaire cantonale, dès lors qu’une telle situation pouvait aboutir à une double affiliation qu’il y avait lieu d’éviter, il convenait de s’inspirer de l’art. 32 par. 1 du Règlement n° 883/2004 – qui n’était pas directement applicable à défaut d’aborder expressément le présent cas de figure – pour en déduire la solution suivante. Dans la mesure où le rattachement des enfants au régime français de l’assurance-maladie par le truchement de leur père existait uniquement en raison du lieu de résidence de celui-ci, il devait céder le pas au rattachement à l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie par le truchement de leur mère fondé sur l’exercice d’une activité lucrative en Suisse. Aussi, l’adhésion des enfants à l’assurance-maladie suisse à partir du 01.09.2018 devait-elle être admise.

Par jugement du 04.06.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que les enfants sont assurés pour l’assurance obligatoire des soins auprès de la caisse-maladie depuis le 01.09.2018.

 

TF

Fors alternatifs subsidiaires en cas de domicile à l’étranger – 58 LPGA

Le Tribunal fédéral examine d’office les conditions formelles de validité et de régularité de la procédure de première instance (ATF 135 V 124 consid. 3.1; 132 V 93 consid. 1.2 et les références; cf. aussi ULRICH MEYER/JOHANNA DORMANN, in Commentaire bâlois, Bundesgerichtsgesetz, 3e éd. 2018, n° 8 ad art. 106), parmi lesquelles figure la compétence à raison du lieu du tribunal qui a statué.

Cette compétence est mise en doute par l’OFSP, selon lequel la procédure en Suisse aurait dû être entamée dans le canton de Genève, lieu d’activité de D.__, qui avait directement demandé à la caisse-maladie de l’affilier elle et ses enfants, sans passer par l’institution compétente du lieu de sa résidence (la CPAM). Ce doute est mal fondé : en tant que destinataires de la décision administrative, les époux D.__ et C.__ étaient en droit de saisir le tribunal des assurances du canton du dernier domicile en Suisse de leurs parents (cf. art. 23 et 25 al. 1 CC), conformément à l’art. 58 al. 2 LPGA. Cette disposition prévoit deux fors alternatifs subsidiaires en cas de domicile à l’étranger, la partie recourante ayant le choix entre celui au lieu du dernier domicile en Suisse et celui au lieu de domicile du dernier employeur en Suisse (JEAN MÉTRAL, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 7 ad art. 58; IVO SCHWEGLER, in Commentaire bâlois, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, n° 18 ad art. 58; UELI KIESER, Kommentar zum Bundesgesetz über den Allgemeinen Teil des Sozialversicherungsrechts [ATSG], 4e éd. 2020, n° 33 ad art. 58).

 

Droit d’option en matière d’assurance-maladie

En relation avec le droit d’option en matière d’assurance-maladie, qui peut être exercé notamment par les personnes soumises aux dispositions légales suisses qui résident en France, on rappellera à la suite des juges cantonaux que le ch. 3 let. a de l’annexe XI, « Suisse », du Règlement n° 883/2004 (complété par l’annexe II de l’ALCP, section A ch. 1 let. i « Suisse », ch. 3 let. a) définit les catégories de personnes qui, bien que ne résidant pas en Suisse, sont soumises au droit de l’assurance-maladie suisse. Parmi celles-ci, figurent les personnes qui exercent une activité salariée ou non salariée en Suisse (ch. 3 let. a, sous i, de l’annexe XI du Règlement n° 883/2004, « Suisse » en relation avec l’art. 11 par. 3 let. a du Règlement n° 883/2004), ainsi que les membres de leur famille, sous réserve d’exceptions non pertinentes en l’espèce (annexe XI du Règlement n° 883/2004, « Suisse », ch. 3 let. a, sous iv). Les membres de la famille des travailleurs salariés ou non salariés concernés sont en principe tenus de s’assurer également en Suisse, dans l’optique d’une couverture d’assurance familiale. Le droit (ou l’obligation) des membres de la famille correspond à un droit dérivé, lié à celui du travailleur. Ce droit n’existe cependant que si le membre de la famille ne dispose pas lui-même d’un droit (ou d’une obligation) propre fondé sur l’exercice d’une activité lucrative ou sur la perception d’une rente propre ou de prestations en espèces de l’assurance-chômage (ATF 143 V 52 consid. 6.2.2.2; JEAN MÉTRAL/ANDREA ROCHAT, Assurances sociales et aide sociale: jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l’Accord sur la libre circulation des personnes, Annuaire suisse de droit européen 2017/2018, p. 537).

Ensuite, le ch. 3 let. b de l’annexe XI du Règlement n° 883/2004, « Suisse », prévoit notamment que les personnes soumises aux dispositions juridiques suisses en vertu du titre II du règlement (let. a, sous i) peuvent, à leur demande, être exemptées de l’assurance (-maladie) obligatoire tant qu’elles résident en France (parmi d’autres États énumérés) et qu’elles prouvent qu’elles y bénéficient d’une couverture en cas de maladie. Cette possibilité est appelée « droit d’option ». La demande y relative doit être déposée dans les trois mois qui suivent la survenance de l’obligation de s’assurer en Suisse (ch. 3 let. b, sous aa, première phrase). Elle vaut pour l’ensemble des membres de la famille résidant dans le même État (ch. 3 let. b, sous bb).

S’agissant des modalités d’exercice du droit d’option entre la Suisse et la France, les deux États parties ont convenu de l’Accord du 7 juillet 2016 entre les autorités compétentes de la Confédération suisse et de la République française concernant la possibilité d’exemption de l’assurance-maladie suisse (entré en vigueur le 1er octobre 2016; ci-après: accord du 7 juillet 2016), dont l’objet est de préciser dans les relations suisso-françaises les conditions d’exemption de l’assurance-maladie obligatoire suisse en application du ch. 3 let. b, « Suisse », de l’annexe XI du Règlement n° 883/2004 et la procédure y relative (art. 1 par. 1).

L’art. 2 par. 2 de l’accord du 7 juillet 2016 prévoit que « l’exemption de l’assurance-maladie obligatoire suisse prévue à la lettre b du chiffre 3 sous ‘Suisse’ de l’annexe Xl du règlement (CE) no 883/2004 est définitive et irrévocable, sous réserve de la survenance d’un nouveau fait générateur de son exercice. Les faits générateurs de l’exercice de cette exemption se limitent à la prise d’activité en Suisse, à la reprise d’activité en Suisse après une période de chômage, à la prise de domicile en France ou au passage du statut de travailleur à celui de pensionné. Les modifications de l’état civil ou les changements de composition de la cellule familiale (par exemple naissance ou décès d’un membre de la famille) ne sont pas considérés comme de nouveaux faits générateurs ».

Le caractère relativement irrévocable du droit d’option – en ce sens qu’il peut être exercé une nouvelle fois lorsqu’un nouveau fait générateur se produit (arrêt 9C_561/2016 du 27 mars 2017 consid. 7 et 8) – avait déjà été arrêté par les autorités compétentes en Suisse et en France dès 2002 et figuraient dès 2008 dans une « Note conjointe relative à l’exercice du droit d’option en matière d’assurance maladie dans le cadre de l’Accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne ». Cette Note a été plusieurs fois modifiée par la suite afin d’unifier la procédure d’exercice dudit droit, l’exercice unique du droit d’option ayant été maintenu (cf. Introduction de la Note conjointe du 23 mai 2014 [« Le droit d’option ne peut être exercé qu’une seule fois, à moins qu’un nouveau fait générateur de son exercice ne survienne. »], document consultable sous https://www.bsv.admin.ch/dam/bsv/de/dokumente/int/andere/note_conjointe_relativealexercicedudroitdoptionenmatieredassuran.pdf.download.pdf/note_conjointe_relativealexercicedudroitdoptionenmatieredassuran.pdf; voir également, GHISLAINE RIONDEL, La prise en charge des soins de santé dans un contexte transfrontalier européen, 2016, no 675 p. 344; GEBHARD EUGSTER, in Commentaire bâlois, Krankenversicherungsgesetz/Krankenversicherungsaufsichtsgesetz, 2020, n° 113 ad art. 3 LAMal).

Le droit suisse a été adapté pour tenir compte du droit d’option instauré par la réglementation européenne. Selon l’art. 2 al. 6 OAMal – disposition qui doit être lue en corrélation avec les art. 3 al. 3 let. a LAMal et 1 al. 2 let. d OAMal -, sont, sur requête, exceptées de l’obligation de s’assurer les personnes qui résident dans un État membre de l’UE, pour autant qu’elles puissent être exceptées de l’obligation de s’assurer en vertu de l’ALCP et de son annexe II et qu’elles prouvent qu’elles bénéficient dans l’État de résidence et lors d’un séjour dans un autre État membre de l’Union européenne et en Suisse d’une couverture en cas de maladie.

 

Assurance des membres de la famille

Pour éviter une double assurance des membres de la famille, qui pourrait résulter d’une situation où leur droit (ou obligation) dérivé dans un État partie entre en collision avec leur droit (ou obligation) propre ou autonome à s’assurer dans un autre État partie, ainsi que pour assurer une répartition des charges à l’intérieur de l’Union européenne, dans la mesure où des systèmes fondés sur une couverture d’assurance universelle, financée par les impôts et ouverte à toutes les personnes domiciliées sur le territoire de l’État membre, sont concernés, l’art. 32 du Règlement n° 883/2004 prévoit une règle de conflit (ATF 143 V 52 consid. 6.3.2; MÉTRAL/ROCHAT, op. cit., p. 537). Les termes en sont les suivants:

  1. « Un droit à prestations en nature autonome découlant de la législation d’un État membre ou du présent chapitre prévaut sur un droit à prestations dérivé bénéficiant aux membres de la famille. Par contre, un droit à prestations en nature dérivé prévaut sur les droits autonomes lorsque le droit autonome dans l’État membre de résidence découle directement et exclusivement du fait que la personne concernée réside dans cet État membre.
  2. Lorsque les membres de la famille d’une personne assurée résident dans un État membre selon la législation duquel le droit aux prestations en nature n’est pas subordonné à des conditions d’assurance ou d’activité salariée ou non salariée, les prestations en nature sont servies pour le compte de l’institution compétente de l’État membre où ils résident, pour autant que le conjoint ou la personne qui a la garde des enfants de la personne assurée exerce une activité salariée ou non salariée dans ledit État membre ou perçoive une pension de cet État membre sur la base d’une activité salariée ou non salariée. »

Il s’agit d’une disposition qui ne règle pas seulement la priorité entre les droits propres et les droits dérivés des membres de la famille, mais d’une norme de conflit qui détermine de façon complète et étendue le droit applicable également en ce qui concerne le statut en tant que personne assurée, y compris une éventuelle obligation de cotisations (ATF 143 V 52 consid. 6.3.2; FRANK SCHREIBER, in Schreiber/Wunder/Dern, VO [EG] Nr. 883/2004, Verordnung zur Koordinierung der Systeme der sozialen Sicherheit, Kommentar, 2012, n° 1 ad art. 32 Règlement n° 883/2004; KARL-JÜRGEN BIEBACK, in Maximilian Fuchs [éd.], Europäisches Sozialrecht, 7e éd. 2013, Baden-Baden, n° 3 ss ad art. 32 Règlement n° 883/2004).

L’art. 32 du Règlement n° 883/2004 pose le principe qu’un droit autonome a la priorité sur un droit dérivé, à moins que le droit autonome ne repose directement et exclusivement sur la résidence. Le droit autonome fondé sur la seule résidence cède alors exceptionnellement le pas au droit dérivé fondé sur l’assurance. En revanche – selon le second par. de la disposition -, lorsque le conjoint ou la personne qui a la garde des enfants exerce une activité salariée ou non salariée dans l’État de résidence de la famille ou perçoit une rente d’une institution de cet État, les droits de l’État de résidence ont la priorité (ATF 143 V 52 consid. 6.3.2.1, ainsi que sur l’examen du droit propre ou du droit dérivé à une prestation en nature, consid. 6.3.2.2; BIEBACK, op. cit., n° 3 ss ad art. 32 Règlement n° 883/2004).

 

La présente constellation soulève la question de savoir si un changement de circonstances survenant pour l’un des parents de membres de la famille, et qui lui ouvre le droit d’exercer le choix du système d’assurance-maladie (droit d’option), est susceptible d’entraîner également une modification pour ces membres de la famille, dont l’affiliation à l’assurance-maladie – qui relève d’un droit dérivé – découlait jusque-là du statut de l’autre parent. Concrètement, pour la mère des enfants, la reprise d’une activité salariée en Suisse, alors qu’elle est domiciliée en France, lui permettait d’exercer le droit d’option en faveur de l’assurance-maladie française. Il s’agit, en tant que tel, d’un fait correspondant à l’une des éventualités mentionnées à titre de faits générateurs par les deux États parties concernés. L’épouse D.__ n’a cependant pas fait usage du droit d’option. Elle a dès lors été assurée à l’assurance-maladie obligatoire suisse, conformément au ch. 3 let. a, sous i, de l’annexe XI du Règlement n° 883/2004, « Suisse », en relation avec l’art. 11 par. 3 let. a du Règlement n° 883/2004, ce dont se prévalent les enfants intimés en invoquant ledit ch. 3 let. a, sous iv, pour fonder leur droit à être assurés en Suisse.

Le ch. 3 let. a et b de l’annexe XI, « Suisse » du Règlement n° 883/2004 ne répond pas directement à la question soulevée, pas plus qu’une autre disposition de ce règlement.

Conformément au ch. 3 let. b de l’annexe XI, « Suisse », du Règlement n° 883/2004, la demande présentée (notamment) par la personne soumise aux dispositions juridiques suisses en vertu du titre II du règlement vaut pour l’ensemble des membres de la famille résidant dans le même État (ch. 3 let. b, sous bb). Elle ne concerne que les membres de la famille de la personne concernée qui ne disposent pas d’un statut propre du droit des assurances sociales (« Sozialrechtsstatut ») du fait, par exemple, qu’ils exerceraient eux-mêmes une activité lucrative. Il s’agit d’un mécanisme d’affiliation familiale, dans lequel la qualité du chef de la famille s’étend à l’ensemble de ses membres. En raison de la dépendance de l’obligation d’assurance des membres de la famille de celle de la personne exerçant l’activité lucrative en Suisse, le droit d’option ne peut pas être exercé par chaque membre de la famille individuellement (EUGSTER, op. cit., n° 110).

La disposition, qui ne comprend pas de règle détaillée sur les modalités de l’exercice du droit d’option, a été précisée en ce sens que la mise en œuvre de ce droit pour les relations entre la Suisse et la France a fait l’objet d’une pratique commune et d’un accord entre les deux États, comme indiqué ci-avant.

En l’occurrence, deux éléments déterminants résultent de l’accord du 7 juillet 2016 et de la procédure qui y a été prévue (art. 3 par. 1 relatif au formulaire conjoint). En premier lieu, le choix du système d’assurance-maladie applicable est irrévocable et ne peut pas être modifié ultérieurement, sous réserve d’un nouveau fait générateur de son exercice (cf. « Choix du système d’assurance-maladie », formulaire de choix du système d’assurance-maladie à l’intention de ressortissants suisses ou communautaires résidant en France et exerçant une activité en Suisse ou bénéficiant exclusivement d’une rente du régime suisse de sécurité sociale [accessible sur le site Internet de l’OFSP, www.bag.admin.ch, sous Thèmes, Assurance-maladie, Affaires internationales UE/AELE, Obligation de s’assurer]). En second lieu, les membres inactifs de la famille d’un travailleur frontalier résidant dans le même État suivent le sort de celui-ci, dès lors que son choix vaut aussi pour ceux-là. On peut en déduire que le droit d’option est considéré comme immuable en principe, les conditions d’un nouvel exercice étant énumérées de façon restrictive; il s’agit ainsi d’éviter un changement réitéré entre les deux systèmes d’assurance-maladie. Par ailleurs, le rattachement des membres de la famille au travailleur frontalier est maintenu aussi longtemps qu’ils n’exercent pas eux-mêmes une activité salariée ou non salariée et qu’ils peuvent alors, selon les circonstances, exercer leur propre droit d’option autonome.

En conséquence, compte tenu de la dépendance entre l’affiliation des membres de la famille à l’assurance-maladie du lieu de résidence et celle du travailleur frontalier en vertu du choix exercé par celui-ci en faveur de ce système d’assurance, le nouveau fait générateur permettant de modifier l’exemption de l’assurance-maladie obligatoire suisse doit survenir en la personne même des membres de la famille concernés ou du travailleur frontalier. L’affiliation des membres de la famille en cause (qui relève d’un droit dérivé) constitue en effet la conséquence de l’exercice du droit d’option par leur parent travailleur frontalier à la suite de la prise d’activité lucrative en Suisse. Tant que la situation de celui-ci ou des membres de sa famille ne se modifie pas sous l’angle des faits générateurs reconnus comme tels, l’exemption de l’assurance-maladie obligatoire suisse doit être considérée comme définitive et irrévocable.

En l’espèce, l’époux C.__ a fait usage du droit d’option au sens du ch. 3 let. b de l’annexe XI, « Suisse », du Règlement n° 883/2004, à partir du 01.09.2017, en raison de l’exercice d’une activité salariée en Suisse dès cette date. Il est incontesté que la demande qu’il a alors déposée valait pour l’ensemble des membres de la famille résidant en France (let. b, sous bb, de la disposition) et incluait les enfants, l’exercice du droit d’option par leur père entraînant pour eux un droit dérivé d’être affiliés au même régime d’assurance-maladie que lui. Les enfants le relèvent du reste en indiquant que les membres inactifs de la famille d’un travailleur frontalier suivent le sort de la personne active dans la famille selon le ch. 3 de l’Annexe XI, « Suisse ». Or conformément aux modalités d’exercice du droit d’option convenues entre la Suisse et la France prévues par l’accord du 7 juillet 2016, l’exemption de l’assurance-maladie suisse pour laquelle a opté l’époux C.__, et qui s’applique également aux enfants, ne peut pas être révoquée à moins que ne survienne un nouveau fait générateur de son exercice en la personne du prénommé ou de ses enfants.

En constatant que deux possibilités d’assurance théoriques s’offraient aux enfants du fait des choix respectifs de leurs parents, la juridiction cantonale n’a pas suffisamment pris en considération que le choix de l’époux C.__ a été exercé antérieurement à l’affiliation de la mère des enfants à l’assurance-maladie suisse. Ce choix a entraîné la soumission des enfants au régime d’assurance-maladie français, sans qu’une modification ne soit survenue par la suite à titre de fait générateur.

L’obligation d’affiliation de leur mère à l’assurance-maladie suisse – et sa décision de ne pas faire usage du droit d’option – ne constitue pas un tel événement pour les enfants, dans la mesure où il n’est pas survenu en la personne de leur père, dont dépend leur affiliation au régime d’assurance-maladie français. Il n’en est pas non plus résulté un risque de double affiliation puisque les enfants ont été exemptés de l’affiliation à l’assurance-maladie obligatoire suisse antérieurement au changement d’assurance survenu pour leur mère. Dans cette mesure, ils ne sont pas visés par les dispositions de l’accord du 7 juillet 2016 concernant « les modalités d’exemption de l’assurance-maladie suisse et de radiation de l’assurance-maladie française des personnes en situation d’affiliation simultanée aux régimes suisse et français d’assurance-maladie, qui n’ont pas demandé formellement une exemption de l’assurance-maladie obligatoire suisse selon la lettre b du chiffre 3 sous ‘Suisse’ de l’annexe XI du règlement (CE) n° 883/2004 » (cf. art. 1 par. 2 dudit accord), dont l’art. 6 règle les situations d’affiliation simultanée). En conséquence, comme les règles particulières prévues par le ch. 3 let. b de l’Annexe XI, « Suisse », du Règlement n° 883/2004 ont valablement trouvé application, on ne saurait considérer que l’exercice de la nouvelle activité salariée de la mère à Genève, et son affiliation à l’assurance-maladie suisse, a ouvert une nouvelle possibilité d’assurance pour les enfants, ou une nouvelle obligation d’assurance, dès lors qu’ils ont été exemptés valablement de l’assurance-maladie obligatoire suisse conformément aux modalités d’exercice du droit d’option dont avait fait usage leur père.

 

Collision entre les deux droits dérivés des enfants

La solution du litige n’est pas différente sous l’angle d’une collision entre les deux droits dérivés des intimés, le premier lié au droit autonome de leur père à s’affilier au régime d’assurance français en vertu du ch. 3 let. b de l’annexe XI, « Suisse », du Règlement n° 883/2004, le second au droit autonome (respectivement à l’obligation) de leur mère de s’affilier à l’assurance-maladie obligatoire suisse conformément à la let. a sous i de cette norme.

L’art. 32 par. 1 du Règlement n° 883/2004 ne traite pas de la présente situation, où sont en cause des droits dérivés de chacun des parents des enfants, mais de l’ordre de priorité entre un droit autonome et un droit dérivé dont bénéficie un membre de la famille. En outre, le rattachement des enfants au régime français de l’assurance-maladie par le biais de l’exercice du droit d’option par leur père ne peut pas être considéré comme étant fondé directement et uniquement sur le lieu de résidence de celui-ci. Le droit découlant « directement et exclusivement du fait que la personne concernée réside dans cet Etat membre » est défini par le par. 2 de la disposition, en ce sens qu’il « n’est pas subordonné à des conditions d’assurance ou d’activité salariée ou non salariée » (BIEBACK, op. cit., n° 5 ad art. 32 du Règlement n° 883/2004). Tel n’est pas le cas du droit autonome du père ni du droit dérivé des enfants à l’affiliation au régime français d’assurance, déjà parce que c’est l’exercice d’une activité salariée en Suisse qui avait ouvert la possibilité de choisir ce régime; ces droits ne découlent dès lors pas « directement et exclusivement du fait que la personne concernée réside » en France, au sens de l’art. 32 par. 1, 2e phrase, du Règlement n° 883/2004.

La réglementation des situations de collision prévue par l’art. 32 du Règlement n° 883/2004 n’est pas complète. Elle ne règle pas la collision entre deux droit dérivés, qualifiée de plutôt invraisemblable par la doctrine (SCHREIBER, op. cit., n° 9 ad art. 32 du Règlement n° 883/2004). Pour un tel cas, lorsque les enfants peuvent faire valoir des droits dérivés à la fois à l’égard de l’État compétent du père et de celui de la mère, la doctrine donne la priorité à la prétention à l’encontre de l’institution du lieu de résidence (SCHREIBER, loc. cit.; cf. aussi BIEBACK, op. cit., n° 9 ad art. 32 du Règlement n° 883/2004). Il y a lieu, en effet, en l’absence d’un autre point de rattachement, de se référer au principe juridique de l’art. 11 par. 3 let. e du Règlement n° 883/2004 (soumission à la législation de l’État de résidence) et d’admettre la priorité de la prétention à l’encontre de l’institution du lieu de résidence (STÉPHANIE KLEIN, in Hauck/Noftz, Sozialgesetzbuch, EU-Sozialrecht, 2010, n° 11 ad art. 32 du Règlement n° 883/2004). Il s’agit aussi d’éviter que le droit des membres de la famille de choisir entre deux institutions compétentes puisse être exercé à de multiples occasions, où l’État compétent peut être changé « à volonté » (voir à ce sujet, ainsi que de manière générale sur la lacune relative à l’art. 32 du Règlement n° 883/2004 et les propositions d’amendement en cours, FILIP VAN OVERMEIREN [éd.], Impact assessment of the revision of selected provisions of Regulations 883/2004 and 987/2009, Analytical Study 2013, trESS Training and reporting on European Social Security, p. 21 in fine et p. 19 ss).

Il résulte de ce qui précède que les enfants n’ont pas à être assurés à l’assurance obligatoire des soins suisse à partir du 01.09.2018, le refus prononcé par la caisse-maladie le 16.08.2019 étant conforme au droit.

 

Le TF admet le recours de la caisse-maladie, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 9C_490/2020 consultable ici