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8C_756/2022 (d) du 14.12.2023 – Notion de salaire inférieur à la moyenne statistique – Parallélisme des revenus à comparer / Confirmation du TF d’un revenu sans invalidité fixé sur la base de la CCT et non de l’ESS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_756/2022 (d) du 14.12.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion de salaire inférieur à la moyenne statistique – Parallélisme des revenus à comparer / 16 LPGA

Confirmation du TF d’un revenu sans invalidité fixé sur la base de la CCT et non de l’ESS

 

Assuré, né en 1964, employé depuis le 08.07.2019 en tant qu’ouvrier du bâtiment, a été victime d’un accident professionnel le 10.07.2019.

Par décision du 28.05.2021, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 10% et nié le droit à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt UV 2021/75 – consultable ici)

Par jugement du 26.10.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré dès le 01.05.2021 à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 10%.

 

TF

Consid. 4.1
L’instance cantonale a constaté que le dernier salaire perçu par l’assuré était inférieur à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés. Rien dans le dossier n’indique qu’en tant qu’ouvrier non qualifié, il aurait été moins performant que la moyenne. Le fait que l’assuré ait obtenu en dernier lieu un salaire inférieur à la moyenne est dû à des facteurs du marché réel du travail qui ne sont pas pertinentes pour l’évaluation de l’invalidité. S’il avait eu la possibilité d’accepter un emploi dont le salaire se situait dans la moyenne, il en aurait probablement profité. Le revenu sans invalidité réalisable sur le marché équilibré du travail, déterminant en l’espèce, correspondrait par conséquent à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés.

Consid. 4.2
L’assurance-accidents objecte que l’assuré a obtenu dans son activité habituelle un salaire conforme à la Convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse (CN) déclarée de force obligatoire. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un tel revenu ne doit pas être considéré comme inférieur à la moyenne, même s’il est nettement inférieur au salaire moyen dans le secteur principal de la construction, tel qu’il ressort de l’ESS.

Consid. 5.1.1
Lorsqu’il apparaît que l’assuré touchait un salaire nettement inférieur à la moyenne des salaires de la branche pour des raisons étrangères à l’invalidité (par exemple une faible formation scolaire et l’absence de formation professionnelle, des connaissances insuffisantes d’une langue nationale, ainsi que des possibilités restreintes d’embauche à cause du statut [saisonnier, etc.] de l’intéressé), et que les circonstances ne permettent pas de supposer qu’il s’est contenté d’un salaire plus modeste que celui auquel il aurait pu prétendre, il y a lieu d’en tenir compte dans la comparaison des revenus au sens de l’art. 16 LPGA. C’est la seule manière de respecter le principe selon lequel les pertes de salaire dues à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doivent pas être prises en compte du tout ou doivent l’être de manière égale pour les deux revenus comparés (ATF 141 V 1 consid. 5.4 et les références). Dans la pratique, le parallélisme des revenus à comparer peut être effectué soit au regard du revenu sans invalidité en augmentant de manière appropriée le revenu effectivement réalisé ou en se référant aux données statistiques, soit au regard du revenu d’invalide en réduisant de manière appropriée la valeur statistique (ATF 148 V 174 consid. 6.4 avec renvois).

Consid. 5.1.2
Le revenu sans invalidité ne peut toutefois pas être considéré comme inférieur à la moyenne s’il correspond au salaire minimum prévu par une convention collective de travail (CCT) déclarée de force obligatoire par le Conseil fédéral dans la branche professionnelle concernée, car les salaires usuels de la branche y sont représentés de manière plus précise que dans l’ESS. Un parallélisme des revenus à comparer n’entre donc pas en ligne de compte dans un tel cas (arrêt 8C_502/2022 du 17 avril 2023 consid. 5.2.1 et les références).

Consid. 5.2
Selon l’assurance-accidents, en tant qu’ouvrier du bâtiment auprès d’une entreprise soumise à la CN du secteur principal de la construction, l’assuré a perçu en 2019 un salaire horaire de 25.90 francs (hors indemnités de vacances et de jours fériés et 13e salaire). Ce revenu correspondait à la classe de salaire C de la CN à partir du 01.07.2019. Dans sa feuille de calcul, qui lui a servi de base de décision, l’assurance-accidents a estimé que l’assuré aurait percevoir un revenu de CHF 60’289 en 2021 (CHF 26.35/h x 176h/mois x 13). Pour ce faire, elle s’est basée sur le salaire horaire fixé par la CN pour la classe de salaire C (dès le 01.01.2020), déterminant en l’occurrence pour l’examen du caractère inférieur à la moyenne. Ce revenu (hypothétique) correspond donc aux prescriptions minimales de la CN du secteur principal de la construction, raison pour laquelle, conformément à la jurisprudence, il ne peut en principe pas être considéré comme inférieur à la moyenne, même s’il est inférieur au revenu statistique de l’ESS (tableau TA1_tirage_skill_level, 2018, niveau de compétence 1, hommes) dans le secteur de la construction (ch. 41-43). En particulier, en raison de la très courte durée des rapports de travail et de l’absence d’expérience professionnelle dans le secteur de la construction dans notre pays, il n’y a pas lieu non plus d’approfondir ici la question soulevée dans l’arrêt 8C_759/2017 du 8 mai 2018 (consid. 3.2.2 in fine). Il faut donc renoncer à une parallélisation des revenus à comparer. De même, contrairement à l’instance cantonale, il n’y a pas lieu de s’écarter du principe selon lequel il faut se référer au dernier salaire réalisé pour calculer le revenu sans invalidité (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1).

En se basant sur la valeur centrale des salaires des ouvriers non qualifiés pour déterminer le revenu sans invalidité, le tribunal cantonal a, au vu de ce qui précède, violé le droit fédéral. En suivant l’assurance-accidents, il faut retenir un revenu de CHF 60’289.

Consid. 5.3
Il est établi que l’assuré pourrait exercer une activité adaptée à son état de santé sans perte de rendement. L’instance cantonale, en procédant à une « comparaison en pourcentage », n’a pas déterminé de revenu d’invalide concret, mais s’est contentée d’exposer que celui-ci correspondait à la valeur centrale statistique des salaires des ouvriers non qualifiés. Selon les bases de calcul de l’assurance-accidents, le revenu d’invalide se monte à CHF 62’527 (y compris l’abattement de 10% sur le salaire statistique), ce qui ne donne lieu à aucun autre commentaire. Par conséquent, la comparaison entre le revenu sans invalidité de CHF 60’289 et le revenu d’invalide de CHF 62’527 ne laisse subsister aucune incapacité de gain.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_756/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_756/2022 (d) du 14.12.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/02/8c_756-2022)

 

 

8C_605/2022 (f) du 29.06.2023 – Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / Niveau de compétences 2 vs 1 / Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_605/2022 (f) du 29.06.2023

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 vs 1 – Eventuelles compétences acquises sur le plan administratif ne remplacent pas une formation commerciale ou bureautique

Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

 

Assurée est titulaire d’un CFC d’assistante en soins et santé communautaire obtenu en 2007 après avoir suivi une formation d’aide-soignante en France. Engagée le 01.11.2010 en tant qu’assistante en soins et santé communautaire. Accident de la circulation le 30.06.2015, lequel lui a notamment causé des lésions au niveau de l’épaule gauche. Après une interruption de travail suivie d’une reprise, elle a été en incapacité totale de travailler depuis le 01.02.2016.

Par décision sur opposition du 15.02.2019, l’assurance-accidents a mis fin au versement des indemnités journalières avec effet au 31.01.2019. Cette décision n’a pas été contestée.

Par décision, confirmée sur opposition le 25.06.2021, l’assurance-accidents a clôturé le cas, considérant que l’état de santé de l’assurée était stabilisé au 30.11.2019, date à partir de laquelle elle ne prendrait plus en charge les frais médicaux; elle a reconnu le droit de l’intéressée à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 22% dès le 01.12.2019 et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/792/2022 – consultable ici)

Par jugement du 09.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 47% à compter du 01.11.2018.

 

TF

Consid. 3
En ce qui concerne le revenu sans invalidité (en soi non contesté par les parties), les juges cantonaux ont retenu qu’en 2015, l’assurée travaillait pour l’institution B.__ à raison de 32 heures par semaine, soit à un taux d’activité de 80%. Le revenu annuel tiré de cette activité s’élevait à 73’918 fr. 75, ce qui correspondait à 92’398 fr. 45 à temps plein. Adapté à la hausse générale des salaires dans la branche économique « santé, hébergement médico-social et action sociale » entre 2015 et 2018 selon un taux de 1.014%, cela aboutissait à un revenu sans invalidité final de 93’335 fr. 35.

Pour le revenu avec invalidité, les juges cantonaux se sont fondés sur le salaire médian global des femmes, niveau de compétence 1, de la table TA1_tirage_skill_level (ci-après: TA1) de l’ESS, ce qui correspondait à un salaire mensuel de 4’371 fr., respectivement à un salaire annuel de 52’452 fr. pour 40 heures de travail hebdomadaires. Adapté à la durée normale hebdomadaire de travail en 2018 en Suisse, à savoir 41,7 heures, cela aboutissait à un salaire de référence en 2018 de 54’681 fr. 20 ([52’452/40] x 41.7). Sur la question d’un abattement sur le salaire statistique, les juges cantonaux ont confirmé le taux de 10% retenu par l’assurance-accidents. Le revenu hypothétique d’invalide de l’assurée en 2018 s’élevait donc à 49’213 fr. 10.

En conséquence, la cour cantonale a retenu un taux d’invalidité de 47,273% ([93’335.35 – 49’213.10] / 93’335.35 x 100), arrondi à 47%.

Consid. 4.1
L’assurance-accidents reproche à l’instance cantonale de s’être fondée sur le salaire médian global pour les femmes dans les emplois de niveau de compétence 1 de la table TA_1 de l’ESS 2018 plutôt que sur le salaire médian dans les emplois de niveau de compétence 2 dans la branche économique « Assurances » (ligne 65) de la table « T1_skill_level » (secteur privé et secteur public ensemble) (ci-après: T1) de l’ESS 2018.

A propos du choix de la table, l’assurance-accidents fait valoir qu’on ne saurait faire abstraction de l’historique professionnel de l’assurée, dans la mesure où le fait d’avoir déjà exercé un emploi durant huit ans dans le secteur public augmenterait de manière substantielle les chances de retrouver un emploi dans ce secteur, y compris dans un nouveau domaine d’activité. Le fait que l’assurée ait déjà exercé un emploi dans le secteur public permettrait de démontrer que celui-ci lui est également ouvert. La jurisprudence admettrait d’ailleurs que l’on peut se référer à la table T1 lorsque la personne assurée a exercé sa dernière activité dans le secteur public. En l’occurrence, l’assurance-accidents fait valoir qu’une activité adaptée à son état de santé après l’événement invalidant dans ce secteur serait également envisageable et qu’il serait en effet notoire que les directions de la santé des administrations cantonales et les offices AI emploient des collaborateurs administratifs ayant une formation de base dans le domaine médical ou paramédical.

En ce qui concerne la branche d’activités applicable, l’assurance-accidents fait valoir que l’assurée disposerait de solides connaissances médicales et paramédicales et d’une longue expérience professionnelle dans le domaine de la santé. Avant d’être engagée en qualité d’assistante en soins et santé communautaire par l’institution B.__ dès le 01.11.2010, l’assurée avait travaillé pendant de nombreuses années à la clinique C.__, d’abord comme aide-soignante puis comme assistante en soins et santé communautaire dès l’obtention de son CFC en 2007. Les compétences et l’expérience professionnelles de l’assurée dans le domaine de la santé correspondraient aux critères de plusieurs offres d’emploi dans le secteur des assurances (en référence aux pièces produites à l’appui de son recours et devant l’instance cantonale). La majorité des offres d’emploi pour des postes dans les services administratifs des assurances actives dans le domaine de la santé et dans les offices AI mettraient en effet l’accent sur la nécessité d’avoir achevé une formation dans le domaine médical ou paramédical et de disposer de plusieurs années d’expérience dans ce domaine. Les connaissances administratives, assécurologiques voire juridiques ne constitueraient qu’un atout supplémentaire. Il existerait ainsi sur un marché du travail équilibré des emplois dans le domaine des assurances pour lesquels l’assurée disposerait d’un profil adéquat et qui seraient dès lors raisonnablement exigibles de sa part.

 

Consid. 4.2.1
Selon la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base des données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ATF 148 V 419 consid. 5.2 et les arrêts cités). Dans ce cas, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 (secteur privé), à la ligne « total » (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). Toutefois, lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Il y a en revanche lieu de se référer à la ligne « total » secteur privé lorsque l’assuré ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’il est tributaire d’un nouveau domaine d’activité pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible (arrêt 8C_405/2021 du 9 novembre 2021 consid. 5.2.1 et les références). En outre, lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 (secteur privé) pour se référer à une table portant sur les secteurs privé et public ensemble, si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et que le secteur en question est adapté et exigible (ATF 148 V 174 consid. 6.2; arrêts 8C_205/2021 du 4 août 2021 consid. 3.2.2; 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2).

Consid. 4.2.2
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêt 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 5.1.2 et les arrêts cités). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.3 et les arrêts cités). L’application du niveau 2 se justifie uniquement si la personne assurée dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêt 8C_801/2021 du 28 juin 2022 consid. 3.4 et les arrêts cités).

Consid. 4.2.3
En l’espèce,
après avoir relevé que la dernière activité exercée par l’assurée (en tant qu’assistante en soins et santé communautaire) relevait du secteur public, les juges cantonaux ont retenu que celle-ci était totalement incapable de travailler dans ce domaine d’activité au 01.11.2018, et que cette situation perdurerait à l’avenir (éléments qui ne sont pas contestés par l’assurance-accidents). Aussi, selon les juges cantonaux, dès lors que rien au dossier ne laissait spécifiquement penser que l’assurée pourrait retrouver plus facilement une place dans le secteur public dans un nouveau domaine d’activité, en comparaison avec un assuré moyen, il convenait d’avoir recours au tableau TA1. Pour déterminer le revenu d’invalide, c’était en effet la situation de l’assurée après la survenance de son invalidité qui était déterminante. Le fait que celle-ci ait autrefois exercé un emploi dans le secteur public ne signifiait donc pas automatiquement qu’il en serait de même à l’avenir.

Consid. 4.2.4
Ces considérations ne prêtent pas le flanc à la critique et il convient de s’y rallier. Certes, l’activité d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, peut s’exercer dans le secteur public. Il n’en reste pas moins qu’il est établi que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle. On ajoutera, au demeurant, que l’activité d’aide-soignante de l’assurée auprès de la clinique C.__ relevait du secteur privé. En ce qui concerne ensuite la branche d’activité « Assurances », comme l’ont relevé les juges cantonaux, elle recouvre la souscription de contrats d’assurance de rente et d’autres formes de contrats d’assurance ainsi que l’investissement des primes pour constituer un portefeuille d’actifs financiers en prévision des sinistres futurs ainsi que la fourniture de services d’assurance et de réassurance directe (cf. notes explicatives de la nomenclature NOGA 2008). En l’occurrence, la formation d’aide-soignante et d’assistante en soins et santé communautaire, ainsi que l’expérience accumulée dans ce domaine, ne justifient en rien de se fonder sur cette branche d’activité. La faculté reconnue par la jurisprudence de se référer aux salaires de secteurs particuliers plutôt qu’à la ligne « total » concerne les cas dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Or, en l’espèce, l’assurée n’a pas travaillé dans le domaine des assurances pendant de nombreuses années. Même si elle pouvait hypothétiquement trouver un emploi dans le secteur administratif d’une assurance, en référence aux offres d’emploi produites par l’assurance-accidents, on ne peut pas encore en déduire que cette branche d’activité soit exigible de sa part, alors qu’il n’apparaît pas – en tout cas l’assurance-accidents ne le soutient pas – qu’elle aurait bénéficié de mesures de réadaptation dans ce secteur. C’est donc à raison que les juges cantonaux se sont référés à la ligne « total » de la table TA1, dès lors que l’assurée ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’elle est tributaire d’un nouveau domaine d’activités pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible.

 

Consid. 5.1
Par une argumentation subsidiaire, l’assurance-accidents soutient que les juges cantonaux auraient violé l’art. 16 LPGA en n’adaptant pas le revenu hypothétique d’invalide au moyen d’une « parallélisation inversée » des revenus. Elle soutient en résumé qu’avant l’accident, l’assurée percevait un revenu nettement supérieur au revenu médian des personnes au profil similaire, de sorte qu’il conviendrait d’augmenter le revenu hypothétique d’invalide dans la même proportion, en l’occurrence 36,80% (41,80% – 5% de marge tolérée). A cet égard, elle compare le revenu sans invalidité perçu auprès de l’institution B.__ en 2018, soit 93’335 fr. 35, et le salaire statistique médian d’une employée ayant prétendument les mêmes caractéristiques, soit 65’819 fr. 50 selon l’ESS 2018, T1, lignes 86-88 « domaines de la santé humaine et de l’action sociale », avec un niveau de compétence 2 et un horaire hebdomadaire de 41.6 heures.

Consid. 5.2
L’argumentation est mal fondée. En effet, la possibilité d’opérer un parallélisme des revenus a été introduite afin de ne pas défavoriser et éventuellement exclure du cercle des bénéficiaires de rente les personnes dont les revenus avant l’invalidité étaient nettement inférieurs aux salaires habituels de la branche pour des raisons étrangères à l’invalidité et sans que les personnes en question s’en contentent délibérément (sur le parallélisme des revenus cf. notamment ATF 134 V 322). Tel n’est précisément pas le cas de l’assurée et il n’y a aucun motif de pénaliser cette dernière pour tenir compte du fait qu’elle était éventuellement bien mieux rémunérée que la moyenne des salariés actifs dans son domaine de compétence. En outre, si le salaire perçu auprès de l’institution B.__ était (hypothétiquement) justifié par l’expérience ou d’autres qualités ou compétences personnelles de l’assurée, cela ne signifie pas encore qu’elle pourra mettre à profit ces caractéristiques de la même manière dans un nouveau domaine d’activité auprès d’un nouvel employeur. Contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents de manière péremptoire, on ne voit pas que si une personne perçoit un salaire nettement supérieur à la moyenne dans l’activité exercée en bonne santé en raison de ses caractéristiques personnelles, tout indiquerait qu’elle serait également en mesure de réaliser un revenu largement supérieur à la moyenne ensuite de l’événement invalidant.

 

Consid. 6.1
Par une argumentation plus subsidiaire, l’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir également violé l’art. 16 LPGA en ne se fondant pas sur le niveau de compétence 2 pour fixer le revenu hypothétique d’invalide. Elle invoque à cet égard les compétences professionnelles de l’assurée et ses limitations fonctionnelles excluant un travail du membre supérieur gauche au-dessus de l’horizontale et le port de charges de plus de trois ou quatre kilos.

Consid. 6.2
Ce grief doit être rejeté. En effet, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, pour laquelle elle dispose d’une formation complète. Or rien au dossier n’indique qu’elle aurait, durant ses années d’activité, assuré des tâches administratives ou logistiques outrepassant largement l’administration de soins, qui, quoi qu’en dise l’assurance-accidents, constitue l’essentiel des tâches incombant aux professions susmentionnées (cf. a contrario arrêt 8C_202/2022 du 9 novembre 2022 consid. 4.4). En outre, les éventuelles compétences que l’assurée aurait acquises sur le plan administratif ne peuvent manifestement pas remplacer une formation commerciale ou bureautique. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser, à propos d’une infirmière qui ne pouvait plus exercer son activité habituelle et ne disposait pas de compétences professionnelles transposables dans un autre domaine, qu’il convenait de se référer au niveau de compétence 1 pour déterminer le revenu d’invalide (arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.2). Quant aux limitations fonctionnelles invoquées par l’assurance-accidents, elles ne présentent pas de contraintes majeures ou de spécificités telles qu’elles seraient incompatibles avec le large éventail d’activités légères du niveau de compétence 1 sur un marché équilibré du travail (sur cette notion, cf. arrêts 8C_240/2021 consid. 3; 9C_597/2018 du 18 janvier 2019 consid. 5.2 et les arrêts cités).

 

Le rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_605/2022 consultable ici

 

Abattement forfaitaire : une meilleure comparaison des revenus pour les bénéficiaires de l’AI (selon le Conseil fédéral) – Détails et commentaires

Abattement forfaitaire : une meilleure comparaison des revenus pour les bénéficiaires de l’AI (selon le Conseil fédéral)

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 18.10.2023 [disponible ici]

Pour les assurés dont il est impossible de comparer les revenus effectifs avant et après la survenance de l’invalidité, la méthode d’évaluation du taux d’invalidité doit être améliorée. Les revenus hypothétiques employés jusqu’ici, critiqués parce que trop élevés, seront réduits en appliquant une déduction forfaitaire de 10% afin de tenir compte des limitations des personnes handicapées sur le marché du travail. Cette adaptation devrait conduire à une augmentation des rentes ainsi qu’à un plus grand nombre de reclassements. En réponse à la motion 22.3377, le Conseil fédéral a adopté lors de sa séance du 18 octobre 2023 une modification du règlement sur l’assurance-invalidité (RAI), qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024.

Le taux d’invalidité est déterminant pour le montant d’une rente AI. Il est calculé en comparant le revenu qu’une personne réalisait avant la survenance de l’invalidité avec celui qu’elle peut encore réaliser une fois invalide. Exprimée en pourcentage, cette différence donne le taux d’invalidité. Si une personne assurée ne réalise pas de revenu, il faut déterminer quel revenu elle serait théoriquement en mesure d’obtenir compte tenu de sa situation. Pour ce faire, on se base sur les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), qui couvrent de nombreuses professions à différents niveaux de compétence. Ces données reflètent les revenus surtout des personnes sans invalidité, qui ont tendance à être plus élevés que ceux que peuvent obtenir les personnes handicapées.

Or, si la comparaison des revenus est basée sur un revenu hypothétique trop élevé, la différence avec le revenu réalisé avant l’invalidité est plus faible, et le taux d’invalidité, plus bas. La rente sera par conséquent elle aussi plus basse et, dans certains cas limites, l’assuré peut même perdre complètement le droit à une rente. La réforme de l’AI entrée en vigueur en 2022 a déjà permis de remédier en partie à ce problème. Afin de le corriger encore mieux, la modification du RAI adoptée par le Conseil fédéral prévoit que, lors de la comparaison des revenus, une déduction forfaitaire de 10% sera appliquée au revenu hypothétique tiré des données de l’OFS. Ce pourcentage se fonde sur une étude du bureau BASS en 2021. La déduction forfaitaire, qui fait office de facteur de correction, est facile à appliquer, peut être mise en œuvre dès début 2024 sans nécessiter d’adaptations importantes et sera instaurée de manière permanente.

 

Les rentes en cours également concernées

Cette méthode s’appliquera à toute nouvelle rente AI pour laquelle, faute de revenu effectif, un revenu hypothétique doit servir de base de calcul. Les rentes en cours, elles, devront être révisées par les offices AI dans un délai de trois ans. Ce changement concerne les quelque 30’000 bénéficiaires qui ne touchent pas actuellement de rente entière (c’est-à-dire ceux dont le taux d’invalidité est inférieur à 70%).

 

Conséquences financières pour l’AI et les autres assurances sociales

Selon une estimation sommaire, le coût supplémentaire attendu pour l’AI s’élève à 82 millions de francs par an. Étant donné que la même base de calcul est utilisée pour l’examen du droit à un reclassement et à une rente, davantage de personnes auront désormais droit à un reclassement. Le coût supplémentaire est difficile à estimer de manière fiable, mais le Conseil fédéral s’attend à une augmentation de 40 millions de francs.

Pour ce qui est des prestations complémentaires (PC), l’augmentation des rentes AI permettra d’une part de faire des économies. Néanmoins, étant donné qu’un plus grand nombre de personnes auront droit à une rente et donc potentiellement aussi à des PC, ce changement entraînera également des dépenses supplémentaires. Estimé à 14 millions de francs par an, ce coût sera assumé aux 5/8 par la Confédération et aux 3/8 par les cantons.

D’après une estimation approximative, le coût supplémentaire pour la prévoyance professionnelle pourrait s’élever à environ 30 millions de francs par an.

 

Modification du RAI [disponible ici]

Nouvelle teneur de l’art. 26bis al. 3 RAI (dès le 1er janvier 2024) :

Une déduction de 10% est opérée sur la valeur statistique visée à l’al. 2. Si, du fait de l’invalidité, l’assuré ne peut travailler qu’avec une capacité fonctionnelle au sens de l’art. 49, al. 1bis, de 50% ou moins, une déduction de 20% est opérée. Aucune déduction supplémentaire n’est possible.

 

Dispositions transitoires relatives à la modification du …

1 Pour les rentes en cours à l’entrée en vigueur de la modification du … qui correspondent à un taux d’invalidité inférieur à 70% et pour lesquelles le revenu avec invalidité a été déterminé sur la base de valeurs statistiques et n’a pas déjà fait l’objet d’une déduction de 20%, une révision est engagée dans les trois ans qui suivent l’entrée en vigueur de la présente modification. Si la révision devait conduire à une diminution ou à une suppression de la rente, il y sera renoncé. Si elle devait conduire à une augmentation de la rente, celle-ci prendra effet à l’entrée en vigueur de la présente modification.

2 Lorsque l’octroi d’une rente ou d’un reclassement a été refusé avant l’entrée en vigueur de la modification du … parce que le taux d’invalidité était insuffisant, une nouvelle demande n’est examinée que s’il est établi de façon plausible qu’un calcul du taux d’invalidité effectué en application de l’art. 26bis, al. 3, pourrait aboutir cette fois à la reconnaissance d’un droit à la rente ou au reclassement.

 

Rapport explicatif (après la consultation) du 18.10.2023 [disponible ici]

Une base de calcul sera introduite au 1er janvier 2024, sous la forme d’une déduction forfaitaire permettant, lors de la détermination du revenu avec invalidité au moyen de valeurs statistiques, de tenir compte des possibilités de revenu réelles des personnes atteintes dans leur santé. Cette déduction forfaitaire est une mesure permanente.

 

Instauration d’une déduction forfaitaire à long terme

Le projet d’élaboration de barèmes de salaires sur le modèle Riemer-Kafka/Schwegler ne sera pas poursuivi. L’introduction de barèmes ESS éventuellement adaptés aurait pour conséquence d’abolir la déduction forfaitaire ou de la remplacer par ces mêmes barèmes, ce qui entraînerait une nouvelle révision et une adaptation des rentes concernées. Une telle révision pourrait détériorer la situation de certains assurés, étant donné qu’un calcul basé sur des barèmes ESS adaptés peut résulter en un taux d’invalidité inférieur à celui obtenu par déduction forfaitaire. De fait, les offices AI se trouveraient en charge de procédures de révision complexes et parfois longues (y compris les procédures de recours) pendant plusieurs années. On estime qu’ils devraient procéder par deux fois à quelque 30’000 révisions en l’espace de quelques années. Il en résulterait de plus une surcharge de travail pour les experts médicaux et la pénurie de ressources dans ce domaine s’en trouverait augmentée. Pour les personnes concernées, cela entraînerait un allongement des délais d’attente, déjà parfois très longs aujourd’hui. Des adaptations répétées des bases de calcul dans un domaine aussi complexe que celui de l’évaluation du taux d’invalidité génèreraient une grande insécurité. Il faudrait s’attendre à un nombre important de questions et de problèmes imprévisibles dans la mise en œuvre des dispositions du droit fédéral. Pour toutes ces raisons, il conviendra de procéder à une évaluation complète de l’impact de la déduction forfaitaire mais également des conséquences des nouveautés introduites au 1er janvier 2022 par le développement continu l’AI sur le calcul du taux d’invalidité. Cette évaluation sera réalisée par l’OFAS dans le cadre du programme de recherche de l’AI (PR AI). S’appuyant sur les résultats de cette évaluation, le Conseil fédéral décidera s’il y a lieu de modifier une nouvelle fois le calcul du taux d’invalidité, et dans quelle mesure.

 

Pourcentage de la déduction forfaitaire

Les revendications en faveur d’une déduction supérieure à 10% ne seront pas prises en compte.

 

Dispositions transitoires

Les rentes en cours sont adaptées au nouveau droit dans la mesure suivante : toute rente en cours dont le bénéficiaire n’avait pas encore atteint l’âge de 55 ans au 1er janvier 2022 et présente un taux d’invalidité de 40 à 69% est soumise à une révision dans un délai de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la déduction forfaitaire. Lors de la révision, la situation de l’assuré fait donc en principe l’objet d’un examen complet (sur le plan médical et économique). L’on omettra toutefois de procéder à la révision si celle-ci déboucherait sur une situation moins favorable pour l’assuré du seul fait de cette modification du droit en vigueur.

La demande formulée lors de la consultation de ne pas procéder à des révisions qui nécessiteraient un examen complet de la situation médicale et économique des assurés bénéficiant d’une rente en cours, a été examinée en détail. Or ni la LPGA ni la LAI ne permettent de recalculer purement et simplement le taux d’invalidité d’un assuré. En effet, d’une part, l’introduction d’un tel recalcul au niveau du règlement limiterait la compétence des offices AI de procéder à des révisions des rentes. D’autre part, cette approche constituerait une dérogation au principe de l’instruction de la demande visée à l’art. 43 LPGA. L’introduction d’une telle réglementation n’est pas licite et doit dès lors être rejetée.

Une partie des participants souhaite en outre que les personnes qui se sont vu refuser un reclassement par le passé en raison d’un taux d’invalidité trop bas puissent déposer une nouvelle demande. Les dispositions transitoires ont été adaptées en conséquence. Il faut donc s’attendre à ce que le nombre de reclassements augmente encore à l’avenir, ce qui répond à la demande exprimée dans la motion.

 

Proposition de nouvelle réglementation pour l’évaluation du taux d’invalidité

Concernant la demande, formulée dans le cadre de la consultation, de procéder à des déductions individuelles en plus de la déduction forfaitaire sur le revenu statistique, il faut donc retenir que ces facteurs sont déjà pris en compte, mais à un stade plus précoce de l’évaluation du taux d’invalidité (capacité fonctionnelle individuelle, mise en parallèle) et non plus au moyen de telles déductions. Les éventuelles limitations dues à l’atteinte à la santé déjà incluses dans l’évaluation de la capacité de travail ou de la capacité fonctionnelle ne peuvent pas également entrer dans le calcul de la déduction liée à l’atteinte à la santé, car sinon, elles seraient au final prises en compte à double (ATF 148 V 174, consid. 6.3 ; ATF 146 V 16, consid. 4.1 avec remarques).

Les autres dispositions réglementaires relatives à l’évaluation du taux d’invalidité introduites le 1er janvier 2022 dans le cadre du DC AI demeurent inchangées.

La mise en œuvre de la déduction forfaitaire peut se faire au niveau réglementaire, étant donné qu’en vertu de l’art. 28a al. 1 LAI, le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables. L’introduction d’une déduction forfaitaire est en outre compatible avec l’art. 8 Cst. Le législateur n’est pas tenu de tenir compte de chaque inégalité de fait et de prévoir, à cet égard, des conséquences juridiques différentes. Certaines schématisations et simplifications peuvent se justifier pour des raisons pratiques (notamment de faisabilité en matière d’exécution) et de sécurité juridique, pour autant que ces schématisations ne conduisent pas à des résultats qui ne semblent plus adéquats et raisonnables. Etant donné qu’aucune personne ou groupe de personnes ne seraient d’emblée touchés de manière inacceptable par cette généralisation, la déduction forfaitaire est dans le cas présent justifiée. En particulier, des facteurs tels que le statut de séjour ou la nationalité sont déjà pris en compte lors de la mise en parallèle du revenu sans invalidité.

Cette déduction ne pose aucun problème d’interprétation ni d’application pour la pratique administrative ou la jurisprudence : elle est fondée sur le même principe que les déductions auparavant opérées en raison de l’atteinte à la santé, garantit une égalité de traitement, est compatible avec le système actuel et est aisément compréhensible. Les nouvelles bases de calcul permettront d’octroyer des prestations (reclassements, rentes) conformes à la loi, en augmentant les chances de réussite de la réadaptation et en octroyant des rentes calculées de manière adéquate. Ceci vaut en particulier pour les femmes et les personnes qui exercent des activités dans des secteurs où les salaires sont plutôt bas.

 

Mise en œuvre

Une modification des dispositions légales se répercute en principe aussi sur les prestations en cours, sous réserve de dispositions transitoires contraires (ATF 121 V 157 consid. 4a). Afin de garantir l’égalité de traitement entre tous les assurés, l’adaptation des rentes en cours doit être réglée par une disposition transitoire.

Les bénéficiaires de rentes qui auront atteint l’âge de 55 ans au 1er janvier 2022 ne sont toutefois pas concernés. En effet, dans ce cas, c’est la réglementation des droits acquis figurant à la let. c des dispositions transitoires de la modification de la LAI du 19 juin 2020 qui s’applique. Pour ces personnes, les dispositions légales en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 resteront applicables jusqu’à leur sortie de l’assurance-invalidité.

Les rentes en cours doivent être adaptées au nouveau droit (ATF 121 V 157 consid. 4a). La modification du droit se subroge, en l’occurrence, au motif de la révision. Conformément au principe de l’instruction visé à l’art. 43 al. 1 LPGA, les offices AI sont tenus de prendre d’office les mesures d’instruction nécessaires. Doivent à cet égard être examinés tous les éléments pertinents pour les prestations (tels que les facteurs médicaux et économiques). Les offices AI déterminent eux-mêmes la nature et l’étendue de l’instruction nécessaire (art. 43 al. 1bis LPGA). La disposition transitoire prévoit qu’une révision des rentes en cours concernées doit être entamée dans un délai de trois ans. Pour tous les assurés concernés, l’augmentation de la rente prendra effet à l’entrée en vigueur de la modification réglementaire (à savoir, au 1er janvier 2024), indépendamment de la date à laquelle la révision a été initiée. L’on omettra toutefois de procéder à la révision si celle-ci déboucherait sur une situation moins favorable pour l’assuré du seul fait de cette modification du droit en vigueur (réduction ou suppression de la rente). Par contre, les assurés percevant une rente complète ne feront pas l’objet d’un examen, puisque leur rente ne peut être augmentée.

Les nouveaux taux d’invalidité fixés par l’AI sont repris par la prévoyance professionnelle pour le calcul de ses prestations.

Les personnes dont la demande de rente a déjà été refusée ne feront pas l’objet d’un examen automatique selon les nouvelles dispositions. Les assurés concernés devront eux-mêmes déposer une nouvelle demande conformément aux règles générales.

 

Conséquences pour l’AI

Rentes : En moyenne, il faut s’attendre à des coûts supplémentaires de l’ordre de 40 millions de francs par an pour l’effectif actuel des rentes et de l’ordre de 42 millions de francs par an pour les nouveaux bénéficiaires. Les dépenses de l’AI devraient donc augmenter d’environ 82 millions de francs par année.

Mesures d’ordre professionnel : Le montant actuel versé par l’AI pour ces mesures est d’environ 98 millions de francs, dont 16 millions de frais de déplacement. Il faut y ajouter environ 260 millions de francs pour les indemnités journalières versées aux assurés. Le nombre de personnes présentant un taux d’invalidité inférieur à 20% n’est pas connu. Étant donné que ce taux ne représente qu’une condition parmi d’autres, il n’est possible d’estimer que très approximativement les frais supplémentaires engendrés par l’octroi de nouvelles mesures de reclassement (y c. indemnités journalières accessoires et frais de déplacement). On peut s’attendre à une augmentation des coûts d’environ 40 millions de francs par an.

Office AI : L’introduction de la déduction forfaitaire accroîtra la charge de travail des offices AI. D’une part, pour près de 30’000 assurés, la rente devra être révisée et le taux d’invalidité recalculé en tenant compte de la nouvelle déduction forfaitaire. D’autre part, il faut s’attendre à recevoir de nouvelles demandes de prestations, tant pour les rentes que pour les reclassements. Cette charge supplémentaire devrait perdurer trois à quatre ans après l’entrée en vigueur, raison pour laquelle la durée des nouveaux postes créés est limitée à quatre ans. Il faudra compter deux ans pour le recalcul des taux et trois pour le traitement des nouvelles demandes. Les besoins supplémentaires en personnel s’élèvent à 24 équivalents plein temps environ, ce qui correspond à près de 4,3 millions de francs par an.

 

Conséquences pour les prestations complémentaires

Pour les PC, la déduction forfaitaire proposée engendrera, d’une part, des économies dans les cas où la rente AI augmente et, d’autre part, des frais supplémentaires dans les cas où une nouvelle rente est octroyée.

Les dépenses supplémentaires nettes pour les PC sont donc d’environ 14 millions de francs par an, ce qui engendre pour la Confédération des frais supplémentaires nets de l’ordre de 9 millions de francs par an liés au financement partiel (5/8) des PC (art. 13 al. 1 LPC). Pour les cantons, qui assument aussi le financement partiel des PC (3/8), il en résulte également des dépenses supplémentaires de l’ordre de 5 millions de francs par an.

 

Conséquences pour la prévoyance professionnelle

Les prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle sont calculées sur la base du taux d’invalidité établi par l’AI. Si ces taux deviennent plus élevés, les rentes servies par la prévoyance professionnelle augmenteront en conséquence, ainsi que leur nombre. Il faut cependant rappeler ici que les prestations de la prévoyance professionnelle sont réduites en cas de surindemnisation. En outre, les institutions de prévoyance disposent d’une grande marge de manœuvre dans la partie surobligatoire et peuvent décider dans quelle mesure elles veulent répercuter dans ce domaine une augmentation du taux d’invalidité qui n’est contraignante que pour le régime obligatoire. Les estimations qui suivent ne donnent donc qu’un ordre de grandeur du supplément de coût.

Le montant annuel total des rentes d’invalidité versées par la prévoyance professionnelle (régime surobligatoire compris) s’élevait environ à 1,9 million de francs en 2020 [ndr : il s’agit probablement d’une coquille dans le rapport et qu’il doit s’agir de 1.9 milliard de francs]. Partant de l’hypothèse selon laquelle le taux d’invalidité est basé sur un salaire statistique dans deux tiers des cas, la somme des rentes versées par la prévoyance professionnelle augmenterait d’une valeur estimée à 1,6% avec une déduction forfaitaire du revenu avec invalidité de 10%, ce qui correspond à un montant d’environ 30 millions de francs par an.

 

Conséquences pour l’assurance-accidents et assurance militaire

Seule la législation sur l’AI prévoit une norme de délégation pour l’instauration de la nouvelle déduction forfaitaire. Une telle déduction ne peut donc pas être introduite au niveau réglementaire dans l’assurance-accidents et l’assurance militaire, ce qui signifie qu’elle n’est pas applicable.

Les dispositions censées s’appliquer en dehors de l’AI devraient en principe être inscrites dans la LPGA ou dans l’ordonnance correspondante. On peut aussi se demander si une déduction forfaitaire de 10% dans l’assurance-accidents et l’assurance militaire serait judicieuse. En effet, dans l’assurance-accidents, un taux d’invalidité de 10% donne déjà droit à une rente, alors que dans l’AI, celle-ci n’est accordée qu’à partir d’un taux d’invalidité de 40%. Ainsi, l’introduction d’une déduction forfaitaire dans l’assurance-accidents engendrerait une augmentation du nombre de rentes octroyées et donc une hausse des coûts.

Lorsque l’assuré touche déjà une rente AI, l’assurance-accidents ne verse qu’une rente complémentaire. Si l’AI verse de nouvelles rentes ou des rentes plus élevées, l’assurance-accidents réalisera des économies ; il n’est actuellement pas possible d’estimer leur montant.

 

Conséquences pour l’assurance-chômage

L’assurance-chômage (AC) couvre uniquement la capacité de gain résiduelle (capacité de travail). Si les taux d’invalidité augmentent, le gain assuré des personnes bénéficiant de prestations AI et AC sera revu à la baisse en raison de leur capacité de gain résiduelle plus faible ; les indemnités journalières de l’AC s’en trouveront réduites. Si l’augmentation des rentes AI ou des taux d’invalidité a lieu avec effet rétroactif à la date d’entrée en vigueur de la présente modification (1er janvier 2024), l’AC demandera rétroactivement le remboursement de l’indemnité versée en trop à partir de cette date ou la compensera avec les prestations de l’AI. Pour les bénéficiaires d’indemnités journalières de l’AC qui se sont auparavant vu refuser une rente AI en raison d’un taux d’invalidité trop faible, et qui l’obtiendront désormais après avoir déposé une nouvelle demande, l’AC pourrait exiger un remboursement de l’AI. Les économies supplémentaires réalisées par l’AC ainsi que les éventuels coûts supplémentaires ne peuvent pour l’instant pas être quantifiés.

 

Commentaires et remarques personnelles

Le conseiller fédéral Alain Berset avait déjà évoqué cette possibilité d’un abattement forfaitaire lors de la séance du 14.12.2022 au Conseil national (cf. notre article ici).

Initialement proposée comme une solution provisoire, l’abattement forfaitaire devient donc permanent. La justification pour ne pas procéder à une correcte détermination du revenu avec invalidité, par exemple par l’élaboration de tableaux ESS spécifiques, ne saurait convaincre.

Par ailleurs, le Conseil fédéral mentionne que les éléments qui faisaient auparavant l’objet d’un abattement, en particulier les limitations fonctionnelles (physiques ou psychiques), sont désormais pris en compte par les médecins dans le cadre de la capacité fonctionnelle restante de la personne assurée. Le Conseil fédéral précise que les limitations dues au handicap au sens strict (limitations quantitatives ou qualitatives dans l’exercice de la profession) sont déjà systématiquement prises en compte dans l’évaluation de la capacité fonctionnelle de l’assuré. Par rapport à la pratique actuelle, ce nouveau système améliore la situation des assurés, car la déduction liée à l’atteinte à la santé n’est plus limitée à un maximum de 25% du salaire statistique.

Dans le cadre de ma pratique quotidienne, je n’ai pas vu de franches différences entre l’évaluation de la capacité de travail telle qu’effectuée avant la 7e révision AI (DCAI) et l’évaluation de la capacité fonctionnelle selon le nouveau droit. Bien au contraire, l’impression qui domine est que la personne assurée est doublement pénalisée dans le cadre du nouveau droit : le médecin du SMR n’examine pas la capacité fonctionnelle (mais uniquement la capacité de travail exigible) et l’administration n’octroie plus d’abattement en raison des limitations fonctionnelles. Cette notion de « capacité fonctionnelle » demeure obscure, tant pour les praticiens que pour les médecins. Là où le Tribunal fédéral reconnaissait un abattement en sus d’une baisse de rendement (p. ex. 8C_849/2017 du 5 juin 2018 consid. 3.2 et la référence.), ces situations ne font plus l’objet d’une appréciation différente que celle de la capacité de travail exigible. La situation d’une majorité d’assurés ne se trouve ainsi pas améliorée par le nouveau droit en vigueur.

L’abattement forfaitaire de 10% ne permet pas de réparer les mésestimations de la capacité fonctionnelle des personnes assurées. Il aurait, au contraire, été plus juste de maintenir une appréciation par les médecins de la capacité de travail exigible puis de laisser à l’administration le soin de déterminer le revenu avec invalidité au moyen de données statistiques fiables, cas échéant corrigées par un abattement justifié dans le cas d’espèce. La solution hybride actuelle n’est de loin pas satisfaisante.

Enfin, on ne peut qu’être étonné par l’absence de volonté d’une harmonisation de l’évaluation de l’invalidité. Comme le relève pourtant le Conseil fédéral dans le rapport sur les résultats de la consultation, la Suva et l’ASA ont souligné qu’il faudrait coordonner la déduction forfaitaire avec l’assurance-accidents et l’assurance militaire. L’absence d’une norme de délégation créerait une insécurité juridique indésirable dans ces deux branches d’assurance, de sorte qu’il incomberait aux tribunaux de déterminer si la déduction forfaitaire y est également applicable. Des dossiers resteraient ainsi en suspens pendant de longues années, ce qui est très fâcheux tant pour les assureurs que pour les assurés concernés. En ancrant dans le RAI et non dans l’OPGA l’abattement forfaitaire de 10%, la situation des assurés victime d’un accident ne sera pas harmonisée. Pour le surplus, nous renvoyons la lectrice et le lecteur au ch. 302 ss et 314 ss de notre article « Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour » par in Jusletter 21 novembre 2022.

 

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 18.10.2023 consultable ici

Modification du RAI et rapport explicatif (après la consultation) du 18.10.2023 disponible ici

Fiche d’information « Calcul du taux d’invalidité », 18.10.2023, disponible ici

Rapport sur les résultats de la consultation, octobre 2023, disponible ici

Documents de la consultation et les avis exprimés disponibles ici

Motion CSSS-N 22.3377 « Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité » consultable ici

Cf. également le communiqué de presse du 18.10.2023 d’Inclusion Handicap [en français / en allemand]

 

La deduzione forfettaria migliora il confronto dei salari delle persone con invalidità, Comunicato stampa del Consiglio federale del 18.10.2023 disponibile qui

Pauschalabzug verbessert den Lohnvergleich für Menschen mit Invalidität, Medienmitteilung des Bundesrates vom 18.10.2023 hier abrufbar

 

9C_325/2022 (f) du 25.05.2023 – Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire – 44 LPGA / Revenu d’invalide selon ESS – Âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_325/2022 (f) du 25.05.2023

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire / 44 LPGA

Revenu d’invalide selon ESS – âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Revenu sans invalidité selon ESS – Niv. de compétences 1 in casu

 

Assurée, née en 1971, ayant travaillé en dernier lieu à temps partiel comme livreuse de repas à domicile (du 01.10.2005 au 30.04.2012), puis comme auxiliaire de santé polyvalente (du 01.05.2012 au 30.11.2014). Par décisions des 16.03.2011 et 03.05.2016, l’office AI a rejeté les deux premières demandes de prestations de l’assurance-invalidité déposée par la prénommée.

Le 10.04.2018, l’assurée a déposé une troisième demande de prestations. L’office AI a entre autres mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Dans un rapport établi le 09.02.2021, les médecins-experts (spécialiste en médecine interne générale, en psychiatrie et psychothérapie et en rhumatologie) ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – une douleur de l’épaule gauche sur arthropathie acromio-claviculaire, une cervicalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une lombalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une douleur en extension du poignet droit (post ablation d’un kyste, fracture et greffe osseuse) et une douleur des deux gros orteils (post chirurgie pour hallux valgus à l’âge de 18 ans); l’assurée ne pouvait plus exercer son activité habituelle depuis le 30.09.2017. Dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites, les médecins ont indiqué que l’assurée disposait d’une capacité de travail de 100%. Par décision du 09.03.2021, l’office AI a nié le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 149/21 – 160/2022 – consultable ici)

Par jugement du 23.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

2.1. Lorsque l’administration entre en matière sur une nouvelle demande (art. 87 al. 3 RAI), elle doit procéder de la même manière que dans les cas de révision au sens de l’art. 17 LPGA et comparer les circonstances prévalant lors de la nouvelle décision avec celles existant lors de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (ATF 130 V 71) pour déterminer si une modification notable du taux d’invalidité justifiant la révision du droit en question est intervenue.

 

Rapport de l’expertise pluridisciplinaire

Consid. 5.2
En l’espèce, mise à part la référence à la divergence d’opinions entre le médecin traitant, d’une part, et les médecins du centre d’expertise, d’autre part, l’assurée ne fait état d’aucun élément concret susceptible de remettre en cause les conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, ni de motifs susceptibles d’établir le caractère arbitraire de leur appréciation. En particulier, les médecins experts ont pris connaissance du résultat des IRM lombaires; ils ont indiqué que ces examens avaient montré des sacro-iliaques « parfaitement normales », avec des signes uniquement dégénératifs, sans aucun élément en faveur d’une spondylarthrite ankylosante. Quoi qu’en dise l’assurée, la tomographie par émission monophotonique (Spect) du corps entier réalisées en date du 12 juillet 2021 n’infirme par ailleurs nullement les conclusions des experts. Dans le rapport y relatif, le médecin responsable ne fait pas de lien entre les atteintes constatées (atteinte inflammatoire de l’articulation sacro-iliaque et, notamment, enthésite du tendon d’Achille) et la suspicion d’une spondyloarthrite. De plus, l’assurée ne conteste pas le fait qu’elle ne répond pas au traitement médical d’une spondylarthropathie et qu’elle est HLA B27 négative. Quant aux autres critères de classification d’une spondylarthropathie que l’assurée met en avant, ils reposent essentiellement sur son ressenti personnel. Le fait que l’assurée annonce des problèmes de fatigue, de douleurs, d’imprévisibilité, de stress et de concentration n’établissent par conséquent pas en quoi les juges cantonaux auraient suivi de manière arbitraire les conclusions des médecins experts. Pour le surplus, les experts se sont fondés non pas sur la manière dont l’assurée ressent et perçoit ses facultés de travail, mais ont établi la mesure de ce qui est raisonnablement exigible de sa part le plus objectivement possible. Dans ces circonstances, et compte tenu également du fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc et les références), il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.

 

Revenu d’invalide

Consid. 6.2
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 de l’ESS, à la ligne « total secteur privé »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_tirage_skill_ level (ATF 142 V 178).

La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral. En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.3
En l’espèce, l’assurée n’expose aucun élément qui justifierait de s’écarter du revenu avec invalidité fixé par la juridiction cantonale. En particulier, elle ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter du salaire de référence auquel peuvent prétendre les femmes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples de la table TA1_tirage_skill_level. Cette valeur statistique s’applique en effet à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu’elle est trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers (arrêts 9C_603/2015 du 25 avril 2016 consid. 8.1 et 9C_692/2015 du 23 février 2016 consid. 3.1 et la référence). Le marché équilibré du travail pris en considération dans le domaine de l’assurance-invalidité (à ce sujet, voir arrêt 9C_659/2014 du 13 mars 2015 consid. 5.3 et les références) offre par ailleurs un éventail suffisamment large d’activités légères, dont on doit admettre qu’un nombre significatif d’entre elles sont accessibles à l’assurée sans aucune formation préalable particulière et compatibles avec les limitations fonctionnelles décrites par les experts. En tant que facteur étranger à l’invalidité, il n’y a en outre pas lieu de tenir compte du fait que l’âge de la personne assurée peut avoir une influence négative sur la recherche d’emploi (arrêt 8C_808/2013 du 14 février 2014 consid. 7.3). Pour le surplus, par la simple énumération des circonstances personnelles et professionnelles susceptibles d’être prises en considération au titre de l’abattement, l’assurée n’établit pas que la juridiction cantonale aurait excédé ou abusé de son pouvoir d’appréciation en prenant en considération un abattement de 10%. Mal fondé, les griefs doivent être rejetés.

 

Consid. 7
C’est finalement en vain que l’assurée conteste son revenu sans invalidité en faisant valoir qu’il aurait dû être déterminé en fonction d’un niveau de compétence 2 de l’ESS. En tant qu’auxiliaire de santé polyvalente, chargée de la livraison de repas, l’assurée exerçait avant la survenance de son atteinte de la santé une tâche physique ou manuelle simple (niveau de compétence 1 de l’ESS), comme l’a constaté sans arbitraire la juridiction cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_325/2022 consultable ici

 

8C_438/2022 (f) du 26.05.2023 – Stabilisation de l’état de santé – 19 al. 1 LAA / Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_438/2022 (f) du 26.05.2023

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1965, employé depuis le 13.01.1986 en qualité d’ouvrier auprès de l’entreprise B.__. Le 18.05.1986, l’assuré a subi un grave accident de la circulation routière, sa voiture ayant embouti un arbre jouxtant la chaussée alors qu’il cherchait à éviter une collision frontale en raison d’un dépassement téméraire d’un véhicule circulant en sens inverse, ce qui a entraîné le décès de son ami passager; il a lui-même subi plusieurs atteintes, notamment des fractures du fémur droit, du pilon tibial et du tibia droits. Il a subi deux interventions chirurgicales. Après une incapacité totale de travail, l’assuré a repris son activité professionnelle le 24.11.1986. Il a annoncé plusieurs cas de rechutes, notamment en raison des ablations du matériel d’ostéosynthèse (AMO).

Rechute survenue le 2 octobre 2017 (gonalgies droites). L’assurance-accidents a pris en charge ce cas de rechute. L’assuré, qui travaillait entre-temps pour l’entreprise D.__ Sàrl, a été licencié pour la fin du mois d’août 2017.

Examen par le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, en février 2019 : du point de vue somatique, la situation semblait plutôt favorable. Compte tenu des seules suites de l’accident de 1986, une pleine capacité de travail pouvait être reconnue à l’assuré dans une activité parfaitement adaptée, à savoir idéalement réalisée à la guise de l’assuré en position assise ou debout, sans déplacement rapide ou prolongé (max. 15 minutes), ne nécessitant pas l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de charges lourdes ni les positions agenouillées ou accroupies. IPAI globale estimée à 25%.

Par décision du 28.05.2019, confirmée sur opposition le 27.09.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 13% ainsi qu’une IPAI fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 01.06.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Dans un premier grief, l’assuré fait valoir que son état de santé n’était pas stabilisé le 27.09.2019, au moment de la décision sur opposition litigieuse. Il se fonde sur des rapports médicaux évoquant un traitement chirurgical, voire une arthrodèse. Dès lors qu’un traitement – autre que seulement physiothérapeutique et antalgique – était encore envisageable pour améliorer l’état de sa cheville droite et qu’une prothèse avait été posée ultérieurement, l’assuré estime que son état de santé n’était pas stabilisé en date du 27.09.2019.

Dans le premier rapport, le médecin à la Clinique de la douleur a mentionné que l’arthrose de la cheville droite serait imputable à l’accident, son évolution progressive et son pronostic ne pouvant être appréciés qu’avec des contrôles réguliers; l’aggravation de l’arthrose post-traumatique du pied droit nécessitait un traitement intensif de physiothérapie et la poursuite du traitement antalgique. L’hypothèse de la pose d’une prothèse ou d’une arthrodèse a été évoquée mais pas de manière concrète à ce stade. Quant au deuxième rapport, il ne mentionne pas la nécessité d’une intervention chirurgicale mais souligne que si l’assuré devait souffrir de douleurs malgré le traitement conservateur, une intervention pourrait être envisagée, à savoir une arthrodèse (fixation de l’articulation), laquelle apporterait un soulagement comparable à celui escompté après une infiltration. En tout état de cause, il ne ressort pas des rapports médicaux qui précèdent qu’une arthrodèse au niveau de la cheville droite de l’assuré apporterait une sensible amélioration de son état de santé, l’assuré souffrant par ailleurs de problèmes dégénératifs au niveau de plusieurs de ses articulations. Vu ce qui précède, les rapports médicaux dont se prévaut l’assuré ne permettent pas de remettre en cause la date de stabilisation de son état de santé fixée au 27.09.2019.

 

Consid. 4.3.1
L’assuré demande qu’un abattement d’au moins 10% soit effectué sur son revenu d’invalide dès lors qu’il subirait un désavantage salarial dans la recherche d’un nouvel emploi en raison de ses limitations fonctionnelles, de son âge (54 ans) et du fait qu’avant de perdre son dernier emploi, il avait été six ans au service du même employeur et aurait donc perdu la progression salariale y afférente.

Consid. 4.3.2
La cour cantonale a constaté que l’assurance-accidents avait fixé à 74’150 fr. le revenu sans invalidité à prendre en considération pour le calcul de la rente d’invalidité, montant qui n’était pas contesté par l’assuré. Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux données de l’ESS 2016, en prenant pour base le salaire auquel peuvent prétendre les hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé, soit 5’340 fr. par mois pour 40 heures de travail par semaine (tableau TA1_tirage_skill_level). Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale dans les entreprises en 2019 (41,7 heures), il en résultait un montant annuel de 67’743 fr. En outre, la cour cantonale a confirmé l’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour prendre en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré, ce qui portait le revenu d’invalide à 64’355 fr. 85.

Consid. 4.3.3
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1; 132 V 393 consid. 3.3).

Consid. 4.3.4
L’assuré n’expose pas – et on ne voit pas – en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge. En outre, étant âgé de 53 ans au moment de la naissance du droit à la rente, respectivement de 54 ans au moment de la décision sur opposition, l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel le Tribunal fédéral reconnaît généralement que ce facteur peut être déterminant et nécessite une approche particulière (arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4.2). Comme les activités adaptées envisagées du niveau de compétence 1 ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. En outre, il faut rappeler que ces emplois non qualifiés sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.3.4.2; 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2).

Consid. 4.3.5
En ce qui concerne la prise en compte d’un abattement lié aux années de service, elle n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétence 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (voir 8C_103/2018 précité consid. 5.2). Il en irait différemment à partir du niveau de compétence 2, s’agissant d’emplois qualifiés dans lesquels l’expérience professionnelle accumulée auprès d’un même employeur est davantage valorisée.

Consid. 4.3.6
En conclusion, seules les limitations fonctionnelles de l’assuré – prohibant les déplacements rapides ou prolongés au-delà de 15 minutes, l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de lourdes charges ainsi que les positions agenouillées ou accroupies – ont une incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Dès lors que l’assurance-accidents avait tenu compte desdites limitations pour réduire le salaire statistique de 5%, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de s’en écarter.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_438/2022 consultable ici

 

9C_260/2022 (f) du 15.05.2023 – Revenu sans invalidité et d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 4 pour un assuré ayant obtenu un bachelor de design graphique – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2022 (f) du 15.05.2023

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité et d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 4 pour un assuré ayant obtenu un bachelor de design graphique / 16 LPGA

 

Assuré suivait des études en design. Il a subi un traumatisme crânien à la suite d’une chute survenue le 02.06.2017. Arguant souffrir des séquelles de ce traumatisme, il a requis des prestations de l’assurance-invalidité le 06.12.2017.

Entre autres mesures de réadaptation, l’office AI a pris à sa charge les coûts de formation supplémentaires occasionnés par les suites de l’atteinte à la santé. Il a alloué à l’assuré des indemnités journalières pour la période courant du 01.07.2018 au 11.09.2020. L’assuré a obtenu un Bachelor de Design graphique le 04.09.2020.

Au terme de la procédure administrative, se référant principalement au rapport d’expertise pluridisciplinaire du 11.11.2020, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité pour le mois de juin 2018 et à trois quarts de rente à partir du 01.09.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2021 153-154 – consultable ici)

Par jugement du 13.04.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont considéré que les revenus avec et sans invalidité de l’assuré devaient être évalués sur la base du tableau TA1_skill_level de l’ESS, groupe d’activités no 73-75, total homme, niveau de compétence 4 dans la mesure où celui-ci venait d’obtenir un Bachelor dans le domaine du design et où une activité exercée dans ce secteur était jugée adaptée par les médecins-experts. Ils en ont dès lors inféré que le taux d’invalidité équivalait au taux d’incapacité de travail retenu par les experts et l’ont arrêté à 60%. Vu les circonstances (assuré suisse, âgé de moins de 35 ans, dont les limitations fonctionnelles avaient déjà été prises en compte dans l’évaluation de la capacité résiduelle de travail), ils ont aussi exclu toute réduction supplémentaire du revenu d’invalide. Ils ont toutefois relevé que l’abattement de 15% requis par l’assuré n’influençait pas le droit à la rente, dans la mesure où un désavantage salarial de 15% correspondait en l’espèce à une perte de gain de 6% (15% de 40%) et, partant, entraînait un taux d’invalidité de 66% inférieur aux 70% exigés pour ouvrir le droit à une rente entière d’invalidité. Ils ont donc entériné les décisions litigieuses en tant qu’elles allouaient à l’assuré trois quarts de rente à partir du 1er septembre 2020.

 

Consid. 5.2.2
Grâce aux mesures mises en œuvre par l’office AI, l’assuré a obtenu un Bachelor dans le secteur du design. Dès lors que celui-ci n’avait jamais travaillé dans le secteur pour lequel il avait été formé, la juridiction cantonale a déterminé son revenu sans invalidité sur la base de l’ESS. Elle a constaté à cet égard que, d’après la Nomenclature générale des activités professionnelles (NOGA 2008), le diplôme de designer (cf. ch. 741007 NOGA 2008) plaçait l’assuré dans le groupe des professions n° 73-75 de l’ESS (autres activités spécialisées, scientifiques et techniques) et, selon la Classification internationale type des professions (CITP 08), dans le groupe 21 (spécialistes des sciences techniques inclus dans le groupe 2 des professions intellectuelles et scientifiques), auquel un niveau de compétence 4 était attribué. L’assuré ne critique pas ces différents éléments. Dans la mesure où le diplôme obtenu récemment atteste que celui-ci a les connaissances et les compétences nécessaires pour travailler dans le domaine d’activité dans lequel il a été formé, il n’y a en principe pas de motif, pour fixer le revenu d’invalide, de se fonder sur un autre groupe d’activités de l’ESS ni un autre niveau de compétence que ceux retenus pour déterminer le revenu sans invalidité.

Invoquer les limitations fonctionnelles causées par les affections dont il souffre depuis sa chute du 02.06.2017 n’est par ailleurs d’aucune utilité à l’assuré. Ces limitations ne l’ont effectivement nullement empêché d’obtenir un diplôme de designer ni d’acquérir les connaissances et les compétences indispensables afin d’exercer une activité professionnelle dans ce secteur. Des limitations fonctionnelles ne sont de surcroît pas de nature à modifier les connaissances et les compétences acquises, d’autant moins lorsqu’elles étaient déjà présentes tout au long de cette formation spécialisée comme en l’occurrence. Elles servent notamment à évaluer la proportion dans laquelle la personne concernée peut encore réaliser les tâches inhérentes à l’activité dans laquelle elle vient d’être formée, comme en l’espèce. Concrètement, la prise en considération d’une capacité résiduelle de travail de 40% attestée par les experts et retenue par les autorités administrative et judiciaire signifie qu’il est exigible de la part de l’assuré qu’il assume toutes les tâches inhérentes à la profession de designer, comme son diplôme l’atteste, mais à un taux d’activité réduit. On ajoutera que l’expression utilisée afin de décrire le niveau de compétence 4 (tâches nécessitant une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions basées sur de vastes connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé) est une formule générale censée caractériser le type de compétences nécessaires pour réaliser les activités nombreuses et diverses comprises dans les deux groupes de professions de la CITP qui constituent le niveau de compétence 4 (les directeurs/trices, cadres de direction, gérant (e) s; les professions intellectuelles et scientifiques). De plus, le fait qu’un emploi adapté aux limitations fonctionnelles de l’assuré ne doit notamment pas impliquer la capacité à prendre des décisions immédiates, à traiter des informations simultanées, à s’adapter rapidement ou à planifier ne signifie pas que celui-ci est incapable de prendre des décisions ou de s’adapter, mais uniquement qu’il a besoin de plus de temps ou de plus de soutien pour mettre à profit les vastes connaissances théoriques et factuelles acquises grâce à sa formation supérieure dans le domaine spécialisé qu’est le design.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_260/2022 consultable ici

 

Hausse du nombre d’heures travaillées en 2022 en Suisse – Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT]

Hausse du nombre d’heures travaillées en 2022 en Suisse – Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT]

 

Communiqué de presse de l’OFS du 22.05.2023 consultable ici

 

Pour rappel, ces statistiques sont nécessaires pour la détermination des revenus sans et avec invalidité en cas d’utilisation des salaires statistiques (ESS).

 

En 2022, 7,922 milliards d’heures ont été travaillées dans le cadre professionnel en Suisse, soit une augmentation de 1,3% par rapport à l’année précédente. Le niveau d’avant la pandémie a été retrouvé. Entre 2017 et 2022, la durée hebdomadaire effective de travail des salariés à plein temps s’est réduite en moyenne de 59 minutes pour s’établir à 39 heures et 59 minutes, selon les derniers résultats de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Selon la statistique du volume du travail de l’OFS (SVOLTA), le nombre total d’heures travaillées par l’ensemble des personnes actives occupées en Suisse a augmenté de 1,3% entre 2021 et 2022. Le volume d’heures de 2022 a retrouvé son niveau d’avant la pandémie de COVID-19 (+0,2% entre 2019 et 2022).

Entre 2021 et 2022, l’augmentation du volume du travail est due à la hausse du nombre d’emplois (+1,5%), compensée en partie par une baisse de la durée annuelle effective de travail par emploi (-0,2%). Si cette dernière a reculé malgré une forte baisse de la durée des absences due au chômage partiel (2021: 33 heures par emploi; 2022: 2 heures), c’est en raison de la réduction du nombre de jours travaillés (-1,3%; l’année 2022 a vu plus de jours fériés coïncider avec des jours ouvrables et davantage de vacances ont été prises).

 

Recul d’une heure du temps de travail sur cinq ans

Entre 2017 et 2022, la durée hebdomadaire effective de travail des salariés à plein temps (sans les salariés propriétaires de leur entreprise) s’est contractée de 59 minutes à 39 heures et 59 minutes. Ceci s’explique par une diminution de la durée hebdomadaire contractuelle de travail (-10 minutes à 41 heures et 43 minutes), une baisse de la durée hebdomadaire d’heures supplémentaires (-15 minutes à 40 minutes) et une augmentation de la durée hebdomadaire d’absences (+33 minutes à 2 heures et 25 minutes). Sur la même période, le nombre de semaines de vacances est passé de 5,1 à 5,2 semaines par année, soit un gain de 0,2 jour. Les salariés âgés de 20 à 49 ans disposent de 5,0 semaines de vacances, contre 5,4 semaines pour les 15-19 ans et 5,6 semaines pour les 50-64 ans.

 

Secteur primaire: près de 45 heures hebdomadaires

Ce sont les salariés à plein temps du secteur primaire qui ont accompli la charge de travail la plus élevée par semaine (durée effective de 44 heures et 58 minutes). Suivent, dans l’ordre, les branches «activités financières et d’assurances» (41 heures et 23 minutes), «activités spécialisées, scientifiques et techniques» (40 heures et 47 minutes) et «arts, loisirs, ménages privés, autres» (40 heures et 14 minutes). Les durées effectives les moins longues ont été enregistrées dans les branches «immobilier, activités administratives» (39 heures et 19 minutes) et «hébergement et restauration» (39 heures et 23 minutes).

 

Hausse des absences pour raison de santé

Entre 2021 et 2022, la durée moyenne annuelle des absences en raison de santé (maladie/accident) s’est accrue, passant de 53 à 64 heures par emploi. Par contre, la durée annuelle des absences en raison du chômage partiel des salariés a reculé de manière très marquée (de 33 à 2 heures). Les absences en raison d’obligations militaires ou civiles, de congé maternité et pour raisons personnelles ou familiales ont faiblement diminué. Enfin, les absences pour «autre raison» (p.ex. personnes en quarantaine ou restrictions d’activité des indépendants durant la pandémie de COVID-19) ont également baissé, passant de 24 à 17 heures par emploi.

 

Des comparaisons internationales très variées

À des fins de comparaisons internationales, la méthode de calcul de la durée de travail doit être adaptée (cf. annexe méthodologique). Principale adaptation, les personnes absentes toute la semaine sont exclues des calculs, ce qui conduit à une durée de travail bien plus élevée. Ainsi calculée, la durée hebdomadaire effective de travail des salariés à plein temps s’élève en Suisse à 42 heures et 44 minutes, ce qui la positionne en tête des pays de l’UE/AELE devant la Roumanie (40 heures et 3 minutes). La Belgique (36 heures et 27 minutes) et la Finlande (36 heures et 35 minutes) enregistrent la durée la moins élevée. La durée au sein de l’UE s’élevait en moyenne à 38 heures et 20 minutes.

En considérant l’ensemble des actifs occupés, la Suisse (35 heures et 45 minutes) se situe toutefois parmi les pays dont les durées hebdomadaires effectives de travail sont les moins élevées en 2022. Cela s’explique par la forte proportion de personnes occupées à temps partiel. La durée la plus haute et la plus basse ont été enregistrées respectivement en Grèce (39 heures et 41 minutes) et aux Pays-Bas (30 heures et 50 minutes), la moyenne de l’UE s’établissant à 35 heures et 56 minutes.

 

Enfin, en rapportant le volume total d’heures hebdomadaires travaillées à l’ensemble de la population de 15 ans et plus, la Suisse (22 heures et 48 minutes) se situe à nouveau parmi les pays dont les durées hebdomadaires effectives de travail sont les plus élevées. La position de la Suisse s’explique par la part élevée de personnes participant au marché du travail. La durée la plus haute et la plus basse ont été relevées respectivement en Islande (25 heures et 22 minutes) et en Italie (16 heures et 17 minutes). La moyenne de l’UE s’établit à 19 heures et 27 minutes.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 22.05.2023 consultable ici

Tableau « Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique (NOGA 2008), en heures par semaine » disponible ici

 

9C_523/2022 (f) du 30.03.2023 – Révision d’une rente d’invalidité / Obligation d’annonce de l’assuré – 31 LPGA – 77 RAI / Détermination du revenu sans invalidité selon la table ESS TA1 et non T1_b / Niv. de comp. 2 pour le revenu sans invalidité pour un carrossier indépendant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_523/2022 (f) du 30.03.2023

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité / 17 LPGA

Obligation d’annonce de l’assuré / 31 LPGA – 77 RAI

Détermination du revenu sans invalidité selon la table ESS TA1 et non T1_b / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 pour le revenu sans invalidité pour un carrossier indépendant

Frais d’expertise privée à charge de l’office AI / 45 LPGA

 

Assuré, né en 1973, a travaillé depuis 1998 comme carrossier à titre indépendant. Par décision du 19.03.2012, l’office AI lui a reconnu le droit à un quart de rente d’invalidité du 01.08.2006 au 31.08.2010, puis à une rente entière dès le 01.09.2010. Le droit à la rente a été confirmé par communication du 06.09.2013.

En 2015, après avoir eu connaissance de l’inscription au registre du commerce, en date du 18.06.2013, de la société B.__ SA, dont l’administrateur unique avec signature individuelle était l’assuré, l’office AI a initié une révision du droit à la rente. L’office AI a notamment soumis l’assuré à une expertise auprès d’un spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie. Il a ensuite supprimé la rente d’invalidité de l’assuré avec effet rétroactif au 01.06.2013 (décisions des 18.04.2017 et 12.05.2017).

Saisie d’un recours de l’assuré contre la décision du 18.04.2017, la juridiction cantonale l’a admis, après avoir notamment diligenté une expertise bidisciplinaire (médecine interne générale et en rhumatologie et psychiatrie et psychothérapie). Elle a annulé la décision litigieuse et renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il procède au calcul du taux d’invalidité de l’assuré en 2013, puis rende une nouvelle décision sur le droit à des prestations de l’assurance-invalidité dès le 01.06.2013. Par décisions des 03.07.2020 et 28.07.2020, l’administration a reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente à partir du 01.06.2013.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 224/20 & AI 272/20 – 300/2022 – consultable ici)

Par jugement du 03.10.2022, rejet par le tribunal cantonal du recours formé par l’assuré contre ces décisions.

 

TF

Consid. 4

Dans l’arrêt entrepris du 03.10.2022, les juges cantonaux ont examiné si le calcul du taux d’invalidité de l’assuré opéré par l’office AI était ou non critiquable. Ils ont d’abord confirmé le revenu d’invalide arrêté par l’office AI, dans sa décision du 03.07.2020, à 26’499 fr. 46 (en se référant aux salaires statistiques de l’Enquête suisse sur la structure des salaires [ESS] 2012, tableau TA1, niveau de compétence 1, après adaptation à la durée hebdomadaire moyenne usuelle dans les entreprises en 2013 [41,7 heures] et compte tenu d’une capacité de travail de 50% avec une baisse de rendement moyenne de 15% et d’un abattement de 5%). Ensuite, ils ont fixé le revenu de valide à 70’781 fr. 94 (et non à 73’508 fr., comme l’avait fait l’office AI en application de la méthode extraordinaire à la suite de sa décision du 19 mars 2012). Pour ce faire, la juridiction cantonale s’est fondée sur le tableau TA1 de l’ESS 2012, niveau de compétence 2 dans le secteur du commerce de gros et de la réparation d’automobiles (lignes 45-46 du TA1_skill_level, secteur privé), soit un salaire mensuel de 5’539 fr., qu’elle a adapté à la durée hebdomadaire moyenne usuelle de la branche considérée en 2013 [42,3 heures] et indexé à l’année 2013. Après comparaison des revenus avec et sans invalidité, il en résultait un taux d’invalidité de 63%, ouvrant le droit à trois quarts de rente depuis juin 2013.

 

Consid. 5.4
Le grief de l’assuré tiré de la « soi-disant » violation de son devoir d’informer l’office AI en lien avec l’inscription d’une société au registre du commerce en 2013 n’est pas davantage fondé. On rappellera qu’en vertu des art. 31 LPGA et 77 RAI, les assurés sont tenus de communiquer les activités exercées, en tout temps. Chaque assuré doit annoncer immédiatement toute modification de la situation susceptible d’entraîner la suppression, une diminution ou une augmentation de la prestation allouée, singulièrement une modification du revenu de l’activité lucrative, de la capacité de travail ou de l’état de santé lorsqu’il est au bénéfice d’une rente d’invalidité. Pareille obligation était d’ailleurs mentionnée dans la décision d’octroi de rente du 19.03.2012, ainsi que dans la communication du 06.09.2013 confirmant le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité.

En l’espèce, il n’appartenait pas à l’assuré de choisir les activités qu’il devait annoncer à l’office AI. Il ne pouvait en effet pas ignorer que l’exercice d’une activité, quelle qu’elle fût, était susceptible d’entraîner une nouvelle appréciation de ses capacités de travail et de gain, pouvant aboutir le cas échéant à une modification de la rente, ce qui s’est d’ailleurs produit à l’issue de l’instruction du cas. Le fait de créer une société anonyme, d’en être l’administrateur unique et de s’impliquer dans son fonctionnement, même à titre « occupationnel » et sans en retirer « un quelconque revenu » comme le soutient l’assuré, constituait des circonstances qui devaient être annoncées à l’office AI, dans la mesure où elles étaient susceptibles d’avoir une influence sur son droit aux prestations (cf. arrêts 9C_16/2019 du 25 avril 2019 consid. 7; 9C_107/2017 du 8 septembre 2017 consid. 5.1). Partant, en retenant que l’assuré avait contrevenu à son obligation de renseigner en n’informant pas l’office AI de la création de B.__ SA, avec pour conséquence qu’elle a confirmé, dans l’arrêt incident du 10.11.2016, qu’une éventuelle suppression ou diminution du droit à la rente pouvait prendre effet de manière rétroactive au 01.06.2013, en application de l’art. 88bis al. 2 let. b RAI, la juridiction cantonale n’a pas violé le droit.

Consid. 5.5
Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations de l’instance précédente, selon lesquelles l’assuré dispose d’une capacité de travail de 50% avec une diminution de rendement de 10 à 20% depuis 2013 et qu’une éventuelle suppression ou diminution du droit à la rente pourrait, selon le taux d’invalidité de l’assuré en 2013, prendre effet de manière rétroactive au 01.06.2013 (art. 88bis al. 2 let. b RAI), au vu de la violation de l’obligation de renseigner. Le recours est mal fondé sur ce point.

 

Consid. 6.2
Concernant d’abord le grief de l’assuré relatif au « Choix du tableau ESS« , on rappellera que selon la jurisprudence, les statistiques du tableau TA1, secteur privé, salaires bruts standardisés sont en principe déterminantes (ATF 126 V 75 consid. 7a; 124 V 321 consid. 3b/aa; arrêt 8C_128/2022 du 15 décembre 2022 consid. 6.2.1). En l’occurrence, les juges cantonaux ont considéré il n’y avait pas lieu d’appliquer la table T1_b, qui regroupe les données salariales des secteurs privés et publics confondus. En ce qu’il se limite à affirmer, en citant des extraits de jurisprudence, que « [t]out indique » qu’il faut appliquer le tableau T1_b, branche 45-47 « commerce, réparation d’automobiles », de l’ESS 2012, en tenant compte du niveau de compétence maximal, avec pour conséquence, selon lui, que le revenu de valide devait être fixé à 119’553 fr., l’assuré ne fait pas état de circonstances qui justifieraient de ne pas appliquer le TA1 de l’ESS 2012 en l’espèce. Il ne conteste en particulier pas les constatations cantonales selon lesquelles, avant ses problèmes de santé, il n’avait été actif que dans le secteur privé. Partant, le grief de l’assuré est mal fondé.

Consid. 6.3
L’assuré reproche également à la juridiction de première instance d’avoir pris comme référence le niveau de compétence 2 du TA1 de l’ESS 2012, dans le secteur du commerce de gros et de la réparation d’automobiles (lignes 45-46 du TA1_skill_level, secteur privé). Il soutient, en se référant à sa fonction de « chef d’entreprise avec deux employés », qu’un niveau de compétence plus élevé devait être retenu.

Consid. 6.3.1
Le choix du niveau de compétence est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4). A la suite des juges cantonaux, on rappellera que depuis la dixième édition de l’ESS 2012, les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêt 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.3 et les arrêts cités). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 6.3.2
Selon les constatations de la juridiction cantonale, non contestées par l’assuré, il est titulaire d’un CFC de tôlier en carrosserie, effectuait tous types de travaux de carrosserie dans son entreprise, s’occupait des contacts, ainsi que des devis et factures, et avait deux employés. Cette activité coïncide avec la définition du niveau de compétence 2 (comp. arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.4). En ce qui concerne l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir l’assuré – sans formation commerciale ni autres qualifications particulières acquises pendant l’exercice de la profession -, elle ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2 (cf. arrêts 8C_581/2021 du 19 janvier 2022 consid. 4.4; 9C_148/2016 du 2 novembre 2016 consid. 2.2), comme l’ont dûment rappelé les juges cantonaux. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter du revenu sans invalidité qu’ils ont arrêté à 70’781 fr. 94. Le recours est mal fondé sur ce point également.

 

Consid. 7.1
L’assuré se plaint finalement d’une violation de l’art. 45 LPGA, en ce que la juridiction cantonale n’a pas mis les frais d’établissement de l’expertise du docteur G.__ du 18.07.2016 (1’500 fr.) à la charge de l’office AI. Il fait valoir à cet égard que l’expertise privée « a joué un rôle déterminant dans la résolution du litige », puisque le docteur G.__ aurait démontré que les conclusions du docteur C.__ étaient en contradiction avec la doctrine médicale, et affirme que sans celle-ci, le Tribunal cantonal n’aurait pas mis en œuvre l’expertise judiciaire bidisciplinaire.

Consid. 7.2
Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures; à défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure. Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c; arrêt 9C_519/2020 du 6 mai 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités).

Consid. 7.3
En l’espèce, dans l’arrêt du 02.12.2019, la juridiction cantonale a rejeté la demande de l’assuré au motif que le rapport du docteur G.__ du 18.07.2016 n’avait pas permis d’établir de manière concluante l’état de fait médical en palliant un défaut d’instruction de la part de l’office AI. Or dans la mesure où elle a considéré qu’une expertise judiciaire « s’avérait nécessaire afin de départager l’avis du [docteur] G.__ de celui du [docteur] C.__ », il convient d’admettre que le rapport du docteur G.__ a joué un rôle déterminant dans la résolution du litige. Par conséquent, les frais relatifs à cette expertise doivent être imputés à l’office AI. Le recours est bien fondé sur ce point.

Etant donné l’issue de la procédure, qui repose sur une situation juridique claire et dans laquelle l’assuré obtient gain de cause sur un point très accessoire, il convient de renoncer à un échange d’écritures (art. 102 al. 1 LTF; cf. arrêt 9C_474/2021 du 20 avril 2022 consid. 6.4 et la référence).

 

Le TF admet très partiellement le recours de l’assuré, réformant le jugement cantonal réformé en ce sens que les frais de l’expertise du docteur G.__ du 18 juillet 2016 (1’500 fr.) sont mis à la charge de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_523/2022 consultable ici

 

8C_580/2022 (f) du 31.03.2023 – Abattement sur le revenu d’invalide ESS – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal / IPAI – Rôle du médecin vs tâches de l’administration et du juge – Appréciation médicale n’est pas du ressort des juges

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_580/2022 (f) du 31.03.2023

 

Consultable ici

 

Abattement sur le revenu d’invalide ESS – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal / 16 LPGA

IPAI – Rôle du médecin vs tâches de l’administration et du juge – Appréciation médicale n’est pas du ressort des juges / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

 

Assuré, né en 1969, a travaillé à plein temps comme maçon à compter du 06.08.2018. Le 04.10.2018, il a été victime d’une chute alors qu’il transportait des panneaux de coffrage, se blessant au membre inférieur gauche et à l’épaule gauche. Le 18.09.2019, l’assuré s’est blessé à l’épaule droite ensuite d’une chute dans les escaliers de son immeuble. Du 12.02.2020 au 11.03.2020, l’intéressé a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (CRR).

Dans son rapport d’examen final du 28.09.2020, le médecin-conseil a estimé que l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (à savoir sans port de charges supérieures à 20 kg, sans port répété de charges supérieures à 10 kg, sans travail avec le membre supérieur gauche au-dessus du plan du thorax avec de façon idéale le coude et l’avant-bras gauche reposant sur un support, sans mouvement de rotation répété du membre supérieur gauche, sans marche en terrain irrégulier, sans déplacement prolongé, sans utilisation d’échelles, sans travail sur les toits ou les échafaudages, sans travail en position accroupie ou à genoux). Ce médecin a évalué l’IPAI à 30% (10% pour l’épaule gauche et 20% pour la cheville gauche).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a alloué une IPAI de 30%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 02.09.2022, admission du recours et réformation de la décision sur opposition en ce sens qu’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 11% dès le 01.09.2020, ainsi qu’une IPAI de 35%, sont octroyées à l’assuré.

 

TF

Consid. 3.1.4
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 3.1.5
Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le tribunal des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 consid. 5.2 et l’arrêt cité).

Consid. 3.2.1
Dans sa décision sur opposition, l’assurance-accidents a fixé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes. Compte tenu d’un abattement de 5% appliqué en raison des limitations fonctionnelles de l’assuré, le revenu d’invalide s’élevait à 65’805 fr. En présence d’un revenu sans invalidité de 69’599 fr., le taux d’invalidité n’était que de 5%.

Consid. 3.2.2
Les juges cantonaux ont retenu que l’assuré présentait des limitations notables des fonctions du membre supérieur gauche, ce qui rendait plus difficile l’exploitation de sa capacité de travail dans des travaux manuels proprement dits, comme ceux prévus au niveau de compétence 1 de l’ESS. Références jurisprudentielles à l’appui, ils ont relevé qu’un abattement de 10 à 15% était en règle générale appliqué lorsque l’assuré était privé de l’usage d’une main, et qu’un abattement de 10% était généralement retenu lorsque celui-ci pouvait exercer certaines activités bimanuelles ponctuelles malgré un usage restreint de la main. Dès lors que les limitations fonctionnelles de l’assuré relatives à son membre supérieur gauche apparaissaient moins graves que celles précitées, un abattement de 10% semblait dans le cas d’espèce quelque peu élevé. Les limitations fonctionnelles touchaient toutefois également le membre inférieur gauche, de sorte qu’un abattement de 10% devait au final être appliqué, ce qui conduisait à un revenu d’invalide de 62’341 fr. 20. Mis en rapport avec le revenu sans invalidité de 69’599 fr., ce revenu d’invalide conduisait à un taux d’invalidité de 10,43%, arrondi par l’instance précédente à 11%.

Consid. 3.2.3
L’assurance-accidents soutient qu’un abattement de 5% prendrait suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré. Au demeurant, dans l’hypothèse d’un taux d’invalidité de 10,43%, la cour cantonale aurait dû, selon la jurisprudence (ATF 130 V 121), arrondir ce taux vers le bas et l’arrêter à 10%.

Consid. 3.2.4
Les limitations fonctionnelles de l’assuré ont été prises en considération pour déterminer sa capacité de travail dans une activité adaptée à son état de santé. Par ailleurs, au regard des nombreuses activités que recouvrent les secteurs de la production et des services (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, niveau de compétence 1), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux respectant lesdites limitations fonctionnelles, lesquelles n’entravent pas l’usage par l’assuré de ses mains et ne l’empêchent pas de se tenir debout, de se déplacer et d’être en position assise. Or, lorsqu’un nombre suffisant d’activités correspondent à des travaux respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré, une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie en principe pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap. En effet, un abattement n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêt 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1 et l’arrêt cité). Un abattement de 5% prend donc suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré.

Consid. 3.2.5
Il s’ensuit que les premiers juges ont opéré à tort un abattement de 10% sur le salaire issu de l’ESS, substituant sans motif pertinent leur propre appréciation à celle de l’assurance-accidents (cf. consid. 3.1.5 supra). S’agissant du revenu d’invalide, le salaire mensuel de référence – part au treizième salaire comprise – pris en compte (ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes) se monte à 5’417 fr. L’assurance-accidents a correctement adapté ce salaire à la durée normale hebdomadaire du travail en Suisse (41,7 heures) et à l’évolution des salaires nominaux pour les hommes (+ 0,9% en 2019, + 0,8% en 2020 et + 0,5% en 2021). Il en résulte un revenu annuel de 69’268 fr. 17, soit 65’804 fr. 77 avec 5% d’abattement. Comparé au revenu sans invalidité de 69’599 fr., ce revenu d’invalide aboutit à un taux d’invalidité de 5,45%, insuffisant au regard de l’art. 18 al. 1 LAA pour ouvrir le droit à une rente. C’est donc à bon droit que l’assurance-accidents a, par décision sur opposition du 10 août 2021, nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA).

Selon l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident.

Consid. 4.1.2
Dans le cadre de l’examen du droit à une IPAI, il appartient au médecin – qui dispose des connaissances spécifiques nécessaires – de procéder aux constatations médicales; telle n’est pas la tâche de l’assureur ou du juge, lesquels se limitent à faire une appréciation des indications données par le médecin. Le fait que l’administration et le juge doivent s’en tenir aux constatations médicales du médecin ne change rien au fait que l’évaluation de l’IPAI – en tant que fondement du droit aux prestations légales – est en fin de compte l’affaire de l’administration ou, en cas de litige, du juge, et non celle du médecin. En contrepartie, l’autorité d’application du droit doit à cet égard respecter certaines limites, dans la mesure où des connaissances médicales – dont elle ne dispose pas – revêtent une importance déterminante pour l’évaluation du droit aux prestations. Si, au terme d’une libre appréciation des preuves, elle arrive à la conclusion que les constatations médicales ne sont pas concluantes, il lui appartient en règle générale d’ordonner un complément d’instruction sur le plan médical. Il n’est en revanche pas admissible que le tribunal ne tienne pas compte des éléments pertinents et qu’il fasse prévaloir d’autres considérations sur les constats médicaux (arrêt 8C_68/2021 du 6 mai 2021 consid. 4.3 et les références).

Consid. 4.2.1
En l’espèce, les juges cantonaux ont relevé que le médecin-conseil avait indiqué que le taux de l’IPAI de 20% correspondant aux atteintes de l’épaule gauche devait être réduit de 50% en raison d’importants troubles dégénératifs préexistants. Il ressortait toutefois d’une arthro-IRM pratiquée le 14.01.2019 que l’articulation acromio-claviculaire apparaissait discrètement dégénérative, avec de petites géodes de la partie distale de la clavicule et un discret épanchement intra-articulaire peu significatif. Il en découlait que les troubles dégénératifs préexistants ne pouvaient pas être considérés comme importants, de sorte qu’une réduction du taux de 25% correspondait mieux aux légers troubles dégénératifs préexistants. Le taux de l’IPAI pour l’épaule gauche devait donc être fixé à 15% et non à 10%. En sus du taux de 20% retenu à juste titre par l’assurance-accidents pour la cheville gauche, l’assuré avait ainsi droit à une IPAI de 35%.

 

Consid. 4.2.2
L’assurance-accidents reproche à l’autorité cantonale d’avoir tiré des conclusions qui seraient du ressort des médecins. L’appréciation du médecin-conseil, qui se serait exprimé en connaissance de l’arthro-IRM du 14.01.2019, n’aurait été remise en cause par aucun autre médecin, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de s’écarter des conclusions de son rapport d’estimation de l’IPAI.

Consid. 4.2.3
Dans le rapport précité, le médecin-conseil a fait état d’une limitation des amplitudes articulaires des deux épaules, lesquelles présentaient des troubles dégénératifs préexistants aux accidents de 2018 et 2019. Les troubles de la mobilité de l’épaule droite étaient d’ordre exclusivement dégénératif, alors que l’accident du 04.10.2018 participait partiellement à la diminution des amplitudes articulaires de l’épaule gauche. Côté gauche, l’assuré n’arrivait pas à lever le bras jusqu’à l’horizontale – comme du côté droit -, mais les amplitudes articulaires étaient meilleures qu’avec une épaule rigide en adduction, ce qui correspondait à un taux d’IPAI de 20%. Ce taux devait être réduit de moitié en raison des troubles dégénératifs importants préexistants, compte tenu également du fait que l’assuré présentait des troubles dégénératifs semblables à l’épaule droite sans traumatisme connu, avec des limitations articulaires même plus importantes que celles constatées du côté gauche. Une IPAI de 10% devait ainsi être retenue pour l’épaule gauche.

Consid. 4.2.4
L’appréciation médicale du médecin-conseil, motivée et convaincante, est basée sur un examen complet du dossier. La cour cantonale s’en est (partiellement) écartée en se focalisant sur un extrait du rapport radiologique (arthro-IRM de l’épaule gauche) du 14.01.2019, où il est relevé que « l’articulation acromio-claviculaire apparaît discrètement dégénérative avec de petites géodes de la partie distale de la clavicule et un discret épanchement intra-articulaire, peu significatif ». En estimant eux-mêmes, sur la seule base de ce bref extrait, que le taux de 20% devait être réduit de seulement 25%, les premiers juges se sont livrés à une appréciation médicale qui n’était pas de leur ressort. En cas d’atteinte à la santé causée par un accident ainsi que par un état dégénératif préexistant, il n’appartient en effet pas au juge, mais au médecin, d’évaluer la mesure dans laquelle les troubles dégénératifs influent sur l’atteinte à la santé.

La juridiction cantonale ne pouvait donc pas, comme elle l’a fait, fixer de son propre chef la réduction du taux de l’IPAI à 25%, sans expliquer de surcroît pour quelle raison le constat effectué dans le rapport radiologique du 14.01.2019 devait prévaloir sur les autres éléments au dossier, en particulier les constatations du médecin-conseil. En tout état de cause, un autre avis médical ne se justifiait pas sur la seule base de l’extrait de ce rapport radiologique mis en exergue par la cour cantonale. Le seul fait que l’articulation acromio-claviculaire gauche ait été qualifiée de « discrètement dégénérative » dans ledit rapport – dont le médecin-conseil a tenu compte dans son évaluation du 06.11.2020 – ne suffit pas à faire douter de la pertinence de l’appréciation de ce médecin, dont il n’y a pas lieu de s’écarter. C’est donc en violation du droit que les juges cantonaux ont octroyé à l’assuré une IPAI de 35% en lieu et place d’une IPAI de 30%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_580/2022 consultable ici

 

8C_321/2022 (f) du 10.03.2023 – Revenu d’invalide d’un assuré de 63 ans –Assuré d’âge avancé – 16 LPGA – 28 al. 4 OLAA / Abattement – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_321/2022 (f) du 10.03.2023

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide d’un assuré de 63 ans – ESS niv. de compétences 2 – Assuré d’âge avancé / 16 LPGA – 28 al. 4 OLAA

Abattement – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal

Long éloignement du marché du travail pas facteur d’abattement

 

Assuré, né en 1957, au bénéfice d’une formation de plâtrier-peintre, a travaillé à son compte au sein de l’entreprise B.__ Sàrl en qualité d’entrepreneur du bâtiment. Le 29.02.2008, il est tombé dans les escaliers et s’est blessé au genou droit. Cet événement a nécessité une arthroscopie du genou droit avec méniscectomie partielle interne ainsi qu’une ablation de kyste arthrosynovial par voie externe. L’assuré a repris le travail dès janvier 2009 à 50%, principalement dans une activité de bureau. Le 12.10.2009, l’assurance-accidents a clos le cas et a octroyé à l’assuré une IPAI de 20%.

Le 25.11.2011, l’assuré a glissé sur un escabeau et a chuté sur son genou droit. L’IRM du 30.11.2011 a mis en évidence une gonarthrose et une contusion des tissus mous sans fracture, qui ont d’abord été traitées conservativement. L’évolution ayant été défavorable, l’assuré a notamment subi par la suite une intervention chirurgicale consistant en la pose d’une prothèse totale du genou droit le 25.05.2016 ainsi qu’un changement de cette prothèse le 25.09.2019.

L’assuré a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité. L’office AI (ci-après : l’OAI) lui a octroyé une mesure de réadaptation sous forme de formation certifiante de gestionnaire de stock, achevée en juin 2015. Par la suite, l’OAI a nié le droit à une rente de l’assurance-invalidité, se fondant sur un taux d’invalidité de 35%.

Le 27.01.2017, l’assuré a chuté dans la rue et est tombé sur son épaule gauche. Cet événement a entrainé une lésion du tendon du sous-scapulaire qui a nécessité une réinsertion chirurgicale le 07.05.2018. Dans son rapport du 27.04.2019, le médecin-conseil a considéré que ce cas était stabilisé et que l’assuré avait une capacité de travail entière, sans baisse de rendement, dans une activité réalisée indifféremment en position assise et debout, avec un port de charges ponctuel limité à 5 kg à gauche, en évitant les mouvements portant en hauteur le membre supérieur gauche ainsi que les mouvements de rotation répétée de l’épaule.

Le 02.06.2020, un second médecin-conseil a procédé à un examen final pour ce qui concerne le genou droit. Il a conclu que le cas serait stabilisé en septembre 2020 et que l’assuré disposait d’une pleine capacité dans une activité adaptée, soit dans un travail totalement sédentaire en position essentiellement assise avec simplement quelques pas de déplacement au sein d’un bureau, sans montée et descente d’escaliers, de piétinement et à fortiori d’échelles. L’atteinte à l’intégrité pour les atteintes au genou et à l’épaule gauche a été estimée à 46%.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 34% à compter du 01.10.2020 ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 46%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/331/2022 – consultable ici)

Par jugement du 12.04.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que l’assuré avait droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 45% dès le 01.10.2020.

 

TF

Consid. 4.2
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêts 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 3.3; 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.3.1, in: SVR 2019 UV n° 5 p. 18).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le tribunal des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 précité consid. 5.2 et l’arrêt cité).

 

Consid. 4.3
On ajoutera par ailleurs que si, en raison de son âge, l’assuré ne reprend pas d’activité lucrative après l’accident ou si la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus de l’activité lucrative déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité sont ceux qu’un assuré d’âge moyen dont la santé a subi une atteinte de même gravité pourrait réaliser, selon les termes de l’art. 28 al. 4 OLAA.

Consid. 4.3.1
Cette disposition vise deux situations: Premièrement, elle s’applique si l’assuré, en raison de son âge, ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident (variante I). Les conditions de cette variante sont remplis lorsque l’assuré dispose, au terme du traitement médical, d’une capacité de travail résiduelle au moins partielle, mais ne la met plus en valeur à cause de son âge. La deuxième situation est celle où l’atteinte à la capacité de gain a principalement pour origine l’âge avancé de l’assuré (variante II). Cette variante est également applicable lorsque l’âge avancé n’est pas un facteur qui a une incidence sur l’exigibilité, mais qu’il est malgré tout un obstacle à la mise en valeur de la capacité résiduelle de gain, notamment parce qu’aucun employeur n’est disposé à engager un employé présentant des atteintes à la santé pour un laps de temps très court avant l’ouverture de son droit à une rente de l’AVS (ATF 148 V 419 consid. 7.2 et les références).

Consid. 4.3.2
L’assuré qui remplit l’un ou l’autre cas de figure ne touchera alors une rente d’invalidité que dans la mesure où une telle rente serait octroyée dans les mêmes conditions à un assuré d’âge moyen présentant les mêmes capacités professionnelles et les mêmes aptitudes personnelles. Ce système repose sur la considération qu’une même atteinte à la santé peut entraîner chez une personne âgée des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain que chez une personne d’âge moyen pour diverses raisons (difficultés de reclassement ou de reconversion professionnels, diminution des capacités d’adaptation et d’apprentissage), alors que l’âge en tant que tel n’est pas une atteinte à la santé dont l’assureur-accidents doit répondre (ATF 122 V 418 consid. 3a; arrêt 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.1). Il s’agit d’empêcher l’octroi de rentes d’invalidité qui comporteraient, en fait, une composante de prestation de vieillesse, la rente de l’assurance-accidents ayant un caractère viager. L’âge moyen est de 42 ans ou, du moins, se situe entre 40 et 45 ans, tandis que l’âge avancé est d’environ 60 ans; il ne s’agit toutefois que d’un ordre de grandeur et non d’une limite absolue (ATF 122 V 418 consid. 1b; arrêt 8C_205/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.4). La comparaison des revenus d’un assuré d’âge moyen comprend aussi bien le revenu sans invalidité que le revenu d’invalide (sur le tout : ATF 148 V 419 consid. 7.2 et les références; arrêt 8C_196/2022 du 20 octobre 2022 consid. 6.2).

Consid. 5.1
Vu l’âge avancé de l’assuré de plus de 63 ans au moment de la naissance du droit à la rente, l’assurance-accidents a appliqué dans sa décision l’art. 28 al. 4 OLAA et a évalué le taux d’invalidité sur la base des revenus que pourrait réaliser un assuré d’âge moyen ayant subi une atteinte à la santé de même gravité. Elle a ainsi retenu un revenu de valide de 98’226 fr. Pour la fixation du revenu d’invalide, elle a pris comme base le niveau de compétence 2 pour un homme de l’ESS 2018 (indexé à 2020 et adapté à l’horaire hebdomadaire normal de travail de la branche économique de 41.7 h), a opéré un abattement de 10% pour tenir compte des limitations fonctionnelles de l’assuré et a ainsi obtenu un gain de 64’752 fr. De la comparaison des deux revenus résultait un taux d’invalidité de 34%. Dans la décision sur opposition, elle a considéré en substance que le taux d’abattement de 10% tenait suffisamment compte des limitations fonctionnelles et de la situation personnelle de l’assuré, un marché du travail équilibré offrant de nombreuses possibilités de mettre en valeur sa capacité de travail résiduelle à un travailleur comme l’assuré, qui disposait d’une expérience et d’une formation qualifiante.

Consid. 5.2.1 à 5.2.3
La cour cantonale a considéré que les limitations fonctionnelles et la situation personnelle de l’assuré auraient des effets pénalisants au niveau salarial aux yeux d’un potentiel employeur. Ce dernier devrait accepter d’engager un homme approchant la retraite, n’ayant plus pu travailler depuis de nombreuses années et n’ayant que peu de formation et d’expérience dans le domaine administratif, étant plâtrier-peintre de formation, ainsi que de nombreuses limitations d’ordre médical. Il se justifiait dès lors de retenir l’abattement maximal de 25%, ce qui menait à un taux d’invalidité de 45%.

 

Consid. 6.1
Par rapport à la question de l’abattement à cause de l’âge, le Tribunal fédéral a retenu dans un arrêt récent qu’un tel abattement ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA (ATF 148 V 149 consid. 8.5). Comme l’assuré était âgé de plus de 63 ans et se trouvait ainsi à moins de deux ans de l’âge de la retraite AVS au moment déterminant de la naissance du droit à la rente d’invalidité, l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA par l’assurance-accidents n’apparaît pas critiquable en l’espèce. Il en résulte, comme on vient de le dire, qu’un abattement à cause de l’âge ne saurait être retenu.

Consid. 6.2
Concernant les éléments d’expérience et de formation professionnelles, l’assurance-accidents reproche implicitement à la cour cantonale d’avoir établi les faits de manière incomplète voire incorrecte. En effet, les juges cantonaux ont retenu que la formation en tant que gestionnaire de stock octroyée par l’OAI n’aurait duré que du 01.05.2015 au 08.08.2015. Toutefois, l’assurance-accidents fait observer à juste titre que cette formation a commencé en 2014 déjà et a fini en juin 2015. Au vu de cette formation, qui se joint à la longue expérience professionnelle acquise par l’activité administrative au sein de sa propre entreprise, un abattement supplémentaire pour manque d’expérience voire de formation professionnelle s’avère injustifié.

Consid. 6.3
Quant au long éloignement du marché du travail qu’évoquent implicitement les juges cantonaux, il ne s’agit pas là d’un facteur d’abattement au sens de la jurisprudence (cf. arrêts 9C_55/2018 du 30 mai 2019 consid. 4.3; 9C_273/2019 du 18 juillet 2019 consid. 6.3; ATF 126 V 75 consid. 5b/aa et bb).

Consid. 6.4
En conclusion, seules les limitations fonctionnelles de l’assuré justifient un abattement. Or, si l’assuré est limité dans les travaux lourds et moyens, il dispose d’une pleine capacité de travail dans les travaux légers ne nécessitant pas beaucoup de déplacements et le port de charges de plus de 5 kg. De telles limitations sont tout à fait compatibles avec une activité dans le domaine administratif, activité dans laquelle l’assuré dispose d’une formation et d’une longue expérience professionnelle. L’abattement de 10% opéré par l’assurance-accidents ne prête ainsi pas le flanc à la critique et c’est à tort que les juges cantonaux, substituant leur propre appréciation à celle de l’assurance-accidents, ont augmenté ce taux à 25%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_321/2022 consultable ici