Arrêt du Tribunal fédéral 8C_782/2023 (f) du 06.06.2024
Fin du droit aux indemnités journalières – Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA
Vraisemblance du revenu sans invalidité / 16 LPGA
Revenu d’invalide – Pas d’abattement pour permis B / 16 LPGA
Assuré, né en 1987, gérant de l’entreprise B.__ Sàrl (ci-après: la société), qu’il avait fondée et qui avait été inscrite au registre du commerce le 07.02.2017. Le 17.10.2018, il a été victime d’un accident sur l’autoroute, en Italie, alors qu’il était passager d’un véhicule.
Par décision du 10.02.2022, confirmée sur opposition le 24.05.2022, l’assurance-accidents lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 20% mais lui a dénié le droit à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité de 9% n’ouvrait pas le droit à une telle prestation.
Procédure cantonale (arrêt AA 73/22 – 110/2023 – consultable ici)
Par jugement du 12.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 3.2.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Il ne suffit pas qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_682/2023 du 24 avril 2024 consid. 3.1.1 et les références).
Consid. 3.2.2 [résumé]
L’assuré soutient principalement que l’opération chirurgicale recommandée n’était pas exigible. Cependant, il ne démontre pas qu’un autre traitement médical aurait pu améliorer sensiblement son état de santé. Il ne conteste pas non plus la stabilisation de son état au 01.11.2022, conformément à l’art. 19 al. 1 LAA. Au contraire, il cite un rapport de la médecin-conseil, du 12.07.2021, selon lequel aucun traitement chirurgical ni médical ne pourrait améliorer de manière notable son état de santé. Par ailleurs, si l’on considérait que l’intervention chirurgicale était exigible et susceptible d’améliorer sensiblement l’état de santé de l’assuré, celui-ci ne pourrait s’en prévaloir – tout en refusant de s’y soumettre – dans le but de maintenir son droit aux indemnités journalières.
L’assuré évoque des contradictions entre les rapports médicaux pour justifier une expertise, mais son argument n’est pas fondé. Bien que la médecin-conseil ait noté le refus de l’assuré des propositions chirurgicales et l’absence de changement de l’angle de cyphotisation, cela n’est pas contradictoire avec l’avis du chirurgien traitant qui avait évoqué une possible intervention tout en reconnaissant qu’elle n’était pas exigible d’un point de vue assécurologique.
En conclusion, le grief de l’assuré est rejeté et la date de stabilisation de son état de santé est maintenue.
Consid. 4.2.1
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 139 V 176 consid. 5.3).
Consid. 4.2.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont constaté que deux mois après l’accident, la société avait informé l’assurance-accidents d’une augmentation rétroactive du salaire de l’assuré (son gérant) à CHF 6’900 par mois à partir du 01.08.2018, soit environ deux mois avant l’accident. Un avenant au contrat de travail non daté, signé par l’assuré en tant qu’employeur et employé, a été produit. Cependant, la déclaration de sinistre du 19.10.2018 mentionnait un salaire mensuel de CHF 5’000, jugé plus conforme au revenu effectif de l’assuré avant l’accident, considérant le certificat de salaire de CHF 50’187net pour 2017. Les juges ont rappelé l’art. 15 al. 2 LAA, prévoyant que le salaire déterminant pour le calcul des rentes est celui gagné durant l’année précédant l’accident. Ils ont validé la décision de la l’assurance-accidents de prendre en compte un salaire annuel de CHF 68’536 (CHF 5’272 x 13) comme revenu de valide, correspondant au salaire de la Convention nationale du gros œuvre pour 2021 mentionné dans le contrat de travail de l’assuré.
Consid. 4.3
Les considérations des juges cantonaux sont convaincantes et il convient de s’y rallier; un salaire mensuel de CHF 6’900 n’apparaît pas comme le montant le plus vraisemblable au regard des éléments mis en évidence par eux. Les explications de l’assuré sont soit incomplètes, soit confuses. En effet, s’il avait perçu en 2017 un salaire uniquement à partir de juillet, cela reviendrait à retenir un revenu moyen mensuel de plus de CHF 8’000 au vu du certificat de salaire 2017 mentionnant un revenu annuel net de CHF 50’187, ce qui se heurte au contenu du contrat de travail et à la prétendue augmentation de salaire (à CHF 6’900) dès le mois d’août 2018. Quant aux fiches de salaire, elles mentionnent un versement en espèces, sans que le dossier fasse état de quittance de paiement. Ces éléments sont autant de motifs qui ne plaident pas en faveur de l’assuré. Partant, les juges cantonaux étaient fondés à confirmer le choix de l’assurance-accidents de se référer aux salaires conventionnels, vu les allégations contestables de l’assuré et la faible force probante que l’on peut accorder aux pièces produites par lui.
Consid. 5.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3 et les arrêts cités).
Consid. 5.3
En l’occurrence, la cour cantonale a confirmé le taux d’abattement appliqué par l’assurance-accidents sur le revenu statistique « compte tenu de la situation de l’assuré ». Toutefois, à la lecture de l’arrêt attaqué, il n’est pas possible de saisir quel (s) facteur (s) de réduction entrent en considération pour eux. Quoi qu’il en soit, l’argumentation de l’assuré, en tant qu’il requiert une déduction de 25% liée au handicap, doit être rejetée.
Celui-ci ne conteste pas sa capacité totale de travail, sans diminution de rendement, dans une activité adaptée, ni les limitations fonctionnelles retenues, excluant les activités avec port de charges très légères (inférieures à 5 kg), les activités nécessitant une position statique (assis ou debout; alternance des positions nécessaire), la marche répétée ou prolongée et la position en porte-à-faux du rachis. Cela étant, compte tenu du large éventail d’activités légères offert dans le marché du travail, un certain nombre d’entre elles sont adaptées à de telles limitations et accessibles sans aucune formation particulière. L’on peut penser à des activités simples et répétitives dans le domaine industriel léger (par exemple montage, contrôle ou surveillance d’un processus de production; ouvrier à l’établi dans des activités simples et légères, etc.). Par conséquent et vu qu’une diminution de rendement n’a pas été retenue, un taux de 10% en raison du handicap peut être confirmé. Quant aux autres facteurs de réduction, ils n’entrent pas en considération (le permis B n’étant pas susceptible de réduire les perspectives salariales de l’assuré au regard de la nature des activités encore exigibles).
Le TF rejette le recours de l’assuré.
Arrêt 8C_782/2023 consultable ici