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9C_392/2023 (f) du 26.02.2024 – Révision d’une rente d’invalidité – 17 LPGA / Valeur probante du rapport médical (attestant une amélioration de la capacité de travail) niée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_392/2023 (f) du 26.02.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité / 17 LPGA

Valeur probante du rapport médical (attestant une amélioration de la capacité de travail) du médecin traitant niée

La modification de la capacité de travail doit être corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique

 

Par décisions des 03.01.2020 et 10.02.2020, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité et à une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.02.2019. L’administration a ensuite réduit la rente entière d’invalidité à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020 (décision du 09.10.2020), au terme d’une procédure de révision initiée en mars 2020. Elle a également nié le droit de l’assuré à des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle et à des mesures d’ordre professionnel autres qu’une aide au placement (décision du 12.10.2020).

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a examiné l’évolution de l’état de santé de l’assuré entre la décision du 03.01.2020, par laquelle l’office AI lui avait reconnu le droit à une rente entière d’invalidité dès le 01.02.2019, et la décision du 09.10.2020 de réduction de la rente entière à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020. Elle est parvenue à la conclusion que les différents avis médicaux versés au dossier démontraient un changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité à compter du 10.12.2019, date à partir de laquelle l’assuré était en mesure d’exercer à mi-temps une activité adaptée respectant ses limitations fonctionnelles. En conséquence, elle a nié la nécessité d’une expertise indépendante, comme le requérait l’assuré.

Par jugement du 23.05.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Le Tribunal fédéral annule une décision au titre de l’arbitraire dans l’appréciation des preuves ou la constatation des faits uniquement si la décision litigieuse est manifestement insoutenable, si elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle viole gravement une disposition légale ou un principe juridique indiscuté ou si elle heurte de façon choquante le sentiment de la justice et de l’équité. Pour parvenir à une telle solution, non seulement la motivation, mais aussi le résultat de la décision doivent être arbitraires. L’existence d’une autre solution, même préférable à celle retenue, ne saurait suffire (cf. ATF 140 III 264 consid. 2.3; 139 III 334 consid. 3.2.5 et les références).

Consid. 3.2
A l’appui de son recours, l’assuré se prévaut d’une violation du droit (art. 28 ss LAI et art. 17 LPGA), ainsi que d’un établissement des faits et d’une appréciation des preuves arbitraires. Il reproche en substance à la juridiction cantonale de s’être fondée « entièrement » sur le rapport de la doctoresse B.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation, du 08.04.2020, dont il remet en cause la valeur probante, pour admettre que sa capacité de travail s’était améliorée à compter du 10.12.2019. L’assuré conteste également l’évaluation de son taux d’invalidité, ainsi que le refus de lui octroyer un reclassement ou des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle.

Consid. 4.1
En l’espèce, l’assuré a présenté une incapacité totale de travail depuis le 11.02.2018 en relation avec une paraplégie AIS B de niveau D9 sur ischémie médullaire après dissection aortique de type Stanford B, à la suite de laquelle l’office AI lui a reconnu le droit à une rente entière d’invalidité à compter du 01.02.2019 (décision du 03.01.2020). Par décision du 09.10.2020, l’administration a ensuite diminué la rente entière à trois quarts de rente avec effet au 01.12.2020. Selon les docteurs D.__ et E.__, médecins au SMR de l’AI, les pièces médicales en leur possession démontraient une stabilité de l’état de santé et un degré d’autonomie compatible de l’assuré avec une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à compter du 10.12.2019. La juridiction cantonale a confirmé la décision du 09.10.2020, en se référant notamment à la jurisprudence selon laquelle une amélioration de la capacité de travail peut être atteinte même lorsque l’état de santé ne s’est pas modifié, parce que l’assuré a appris à gérer son handicap et à acquérir une certaine autonomie au quotidien (sur ce point, cf. ATF 147 V 167 consid. 4.1; 144 I 103 consid. 2.1; 130 V 343 consid. 3.5 et les références).

Consid. 4.2
S’agissant d’abord de l’évaluation de sa capacité de travail, l’assuré reproche à la juridiction de première instance d’avoir procédé à une « sélection médicale » afin de « brosser un tableau positif » de son état de santé et d’avoir passé sous silence ses très nombreuses limitations fonctionnelles. Il s’en prend également à la valeur probante du rapport de la doctoresse B.__ du 08.04.2020, qui, selon lui, aurait été rédigé à la « va-vite » et contiendrait des « erreurs multiples ». A cet égard, l’assuré affirme que sa médecin traitante se serait « manifestement trompée » quant à son état de santé sur plusieurs points et que l’instance précédente aurait dès lors dû accéder à sa demande de mettre en œuvre une expertise.

Consid. 4.3
L’argumentation de l’assuré est fondée en tant qu’elle démontre une constatation manifestement inexacte des faits et une appréciation arbitraire des preuves par la juridiction cantonale. Certes, après avoir d’abord attesté une incapacité totale de travail dans toute activité dès le 19.07.2018 (rapport de la doctoresse B.__ et des docteurs F.__, spécialiste en médecine interne générale, et G.__, médecin assistant, du 06.09.2018), la doctoresse B.__ a conclu à une capacité de travail de quatre heures par jour dans une activité adaptée (rapport du 08.04.2020). Cela étant, dans son rapport du 08.04.2020, la médecin traitante n’a pas motivé son point de vue, ni ne s’est référée à des observations qu’elle aurait faites lors de la consultation du 10.12.2019. Ainsi, à la question « Combien d’heures de travail par jour peut-on raisonnablement attendre de votre patient/patiente dans une activité qui tienne compte de l’atteinte à la santé? », la doctoresse B.__ a seulement répondu « 4 Hs ». Par ailleurs, dans ce même rapport du 08.04.2020, appelée à donner son pronostic quant à la capacité de travail de son patient, la doctoresse B.__ a fait état d’une évolution stable. Le simple fait que la médecin traitante ait attesté une capacité de travail différente à la suite d’un examen ultérieur ne saurait justifier, à lui seul, la révision du droit à la rente, dans la mesure où un tel constat ne permet pas d’exclure l’existence d’une appréciation différente d’un état de fait qui, pour l’essentiel, est demeuré inchangé. Un motif de révision ne saurait être admis que si la modification de la capacité de travail est corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence (sur les exigences en matière de preuve pour une évaluation médicale dans le cadre d’une révision, voir arrêts 9C_418/2010 du 29 août 2011 consid. 4.2, in SVR 2012 IV n° 18 p. 81, et 8C_441/2012 du 25 juillet 2013 consid. 6, in SVR 2013 IV n° 44 p. 134).

On ajoutera que dans son rapport du 01.09.2020, le docteur F.__ a exprimé son doute quant à une potentielle activité adaptée pour l’assuré. Il a en effet expliqué qu’aucune activité ne lui paraissait envisageable, en précisant que l’absence d’activité adaptée aux capacités actuelles de l’assuré primait à ses yeux une éventuelle évaluation d’un pourcentage de capacité résiduelle de travail dans ladite activité, rendant caduque toute tentative de chiffrer une quelconque capacité résiduelle. Aussi, la juridiction cantonale ne pouvait-elle pas retenir que le docteur F.__ avait « entériné » la capacité de travail de quatre heures par jour de l’assuré dans une activité adaptée attestée par la doctoresse B.__ dans son rapport du 08.04.2020. Au demeurant, dans un rapport du 12.03.2021, produit dans le cadre de la procédure cantonale, la doctoresse B.__ est par la suite revenue partiellement sur son appréciation du 08.04.2020 et a attesté une incapacité totale de travail.

Dans ces circonstances, il était manifestement insoutenable de la part des juges cantonaux de retenir que le recouvrement, par l’assuré, d’une capacité de travail à mi-temps dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dès le 10.12.2019, malgré la stabilité de son état de santé, constituait un changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité, justifiant la réduction de la rente entière à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020. En particulier, on ne saurait inférer du rapport de la médecin traitante du 08.04.2020 que la capacité de travail de l’assuré s’était améliorée parce qu’il avait appris à gérer son handicap et à acquérir une certaine autonomie au quotidien, dès lors déjà que ledit rapport ne contient aucune constatation à ce propos. Le recours est bien fondé sur ce point.

Consid. 4.4
Le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité devant être maintenu au-delà du 30.11.2020, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les griefs qu’il soulève en relation avec l’évaluation de son taux d’invalidité et le refus de lui octroyer un reclassement ou des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_392/2023 consultable ici

 

9C_660/2021 (f) du 30.11.2022 – Valeur probante du rapport d’expertise – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_660/2021 (f) du 30.11.2022

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise / 44 LPGA

Obligation d’organiser des débats publics / 6 par. 1 CEDH

 

Dépôt de la demande AI en septembre 2016. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a mandaté un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie pour une expertise. Il a ensuite rejeté la demande, par décision du 11.11.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 408/20 – 352/2021 – consultable ici)

Par jugement du 15.11.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2
L’obligation d’organiser des débats publics au sens de l’art. 6 par. 1 CEDH suppose une demande formulée de manière claire et indiscutable de l’une des parties au procès. Une requête de preuve (demande tendant à la comparution personnelle, à l’interrogatoire des parties, à l’audition de témoins ou à une inspection locale) ne suffit pas à fonder une telle obligation (ATF 136 I 279 consid. 1 et les arrêts cités). Saisi d’une demande tendant à la mise en œuvre de débats publics, le juge doit en principe y donner suite. Il peut cependant s’en abstenir dans les cas prévus par l’art. 6 par. 1, deuxième phrase, CEDH, lorsque la demande est abusive, chicanière, ou dilatoire, lorsqu’il apparaît clairement que le recours est infondé, irrecevable ou, au contraire, manifestement bien fondé ou encore lorsque l’objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 136 I 279 consid. 1; 134 I 331 consid. 2.3; 122 V 47 consid. 3b). Le Tribunal fédéral a par ailleurs précisé qu’il ne pouvait être renoncé à des débats publics au motif que la procédure écrite convenait mieux pour discuter de questions d’ordre médical, même si l’objet du litige porte essentiellement sur la confrontation d’avis spécialisés au sujet de l’état de santé et de l’incapacité de travail d’un assuré en matière d’assurance-invalidité (ATF 136 I 279 précité consid. 3).

Consid. 4.3
En l’espèce, dans la procédure cantonale, l’assuré n’a pas formulé de demande claire et indiscutable pour la tenue de débats publics. Dans son recours à l’autorité cantonale et ses écritures, il a seulement demandé à être entendu « afin de présenter au mieux sa situation » et a requis l’audition de sa compagne et du psychiatre traitant en tant que témoins, ainsi que la mise en œuvre d’une nouvelle expertise. Cette requête correspond à une offre de preuve. Pour ce motif déjà, l’argumentation de l’assuré selon laquelle les juges cantonaux ne pouvaient pas invoquer la « spécialisation technique du débat » pour renoncer aux auditions qu’il avait sollicitées est mal fondée. A défaut de demande claire et indiscutable pour la tenue de débats publics, la juridiction cantonale n’a commis aucune violation de l’art. 6 par. 1 CEDH.

 

Consid. 5.2
Il appartient aux médecins d’évaluer l’état de santé d’un assuré (c’est-à-dire, de procéder aux constatations nécessaires en effectuant des examens médicaux appropriés, de tenir compte des plaintes de l’intéressé et de poser les diagnostics). En particulier, poser un diagnostic relève de la tâche exclusive des médecins. Il leur appartient aussi de décrire l’incidence de ou des atteintes à la santé constatées sur la capacité de travail. Leur compétence ne va cependant pas jusqu’à trancher définitivement cette question mais consiste à motiver aussi substantiellement que possible leur point de vue, qui constitue un élément important de l’appréciation juridique visant à évaluer quels travaux sont encore exigibles de l’assuré. Il revient en effet aux organes chargés de l’application du droit (soit à l’administration ou au tribunal en cas de litige) de procéder à l’appréciation définitive de la capacité de travail de l’intéressé (ATF 140 V 193 consid. 3.2; arrêt 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 7.1).

On ajoutera que l’évaluation de la capacité de travail par un médecin psychiatre est soumise à un contrôle (libre) des organes chargés de l’application du droit à la lumière de l’ATF 141 V 281 (ATF 145 V 361 consid. 4.3), dont les principes ont ultérieurement été étendus à l’ensemble des troubles psychiques ou psychosomatiques (cf. ATF 143 V 409 et 418; ATF 145 V 215).

 

Consid. 5.3.1
Contrairement à ce qu’affirme en premier lieu l’assuré, l’expert psychiatre n’a pas fait « aucune référence à [s]a vie professionnelle » dans son anamnèse (hormis la période d’activité indépendante). Sous le titre « Anamnèse professionnelle et sociale », le médecin a notamment indiqué, en se référant aussi aux extraits du compte AVS de l’assuré, qu’il avait travaillé pendant dix-sept ans dans différentes entreprises de charpente, sans période de chômage. Il a précisé que l’assuré avait ensuite travaillé dans une entreprise fabriquant des maisons clefs en main entre 2006 et 2009, puis qu’il s’était mis à son compte en 2009, avant d’accepter plusieurs engagements de courte durée dans des entreprises de charpente, entre 2011 et 2015.

Consid. 5.3.2
Quoi qu’en dise ensuite l’assuré, le rapport d’expertise ne contient pas de contradictions. En particulier, la constatation de l’expert psychiatre, selon laquelle l’assuré présente une intelligence dans la norme, n’est pas contradictoire, ni incomplète du seul fait invoqué que l’expert ne lui a pas fait passer de test d’intelligence. Elle résulte des observations faites par le médecin durant l’examen et a ensuite été confirmée par un test d’intelligence effectué par les psychologues (« efficience intellectuelle » et « indice d’aptitude générale » dans la zone dite « moyenne »), comme l’admet du reste l’intéressé. L’expert psychiatre ne s’est pas non plus contredit lorsqu’il a indiqué que la dépendance aux sédatifs n’avait pas de conséquence sur la capacité de travail et que la problématique anxieuse était objectivement modeste. S’agissant de la dépendance aux sédatifs, l’expert a posé le diagnostic de troubles mentaux et troubles du comportement liés à l’utilisation de sédatifs, utilisation continue sous prescription médicale (F 13.25). Il a expliqué les raisons pour lesquelles ce diagnostic n’était pas incapacitant. D’une part, l’expert psychiatre a exposé qu’il n’y avait jamais eu d’excès dans l’utilisation des sédatifs; d’autre part, le médecin a expliqué qu’un sevrage était exigible et techniquement possible et qu’il existait des alternatives médicamenteuses et non médicamenteuses. Concernant la problématique de l’anxiété, le médecin expert a posé le diagnostic d’autre trouble anxieux mixte, d’incidence clinique faible (F 41.3), après avoir confronté les plaintes de l’assuré aux résultats des tests psychologiques et complémentaires qu’il avait effectués et à ses propres constatations. Il a considéré que les « quelques traits anxieux constatés étaient très peu spécifiques, diffus et accentués de la part de l’assuré » et qu’ils n’atteignaient pas le niveau d’une « pathologie anxieuse sévère/significative/invalidante ». A cet égard, comme l’ont dûment expliqué les juges cantonaux, l’expert psychiatre a en particulier relevé un décalage entre l’importance des symptômes anxieux décrits par l’assuré et ses observations cliniques (« décalage entre subjectif et objectif »), ainsi que les effets positifs que pourrait avoir une médication anxiolytique ponctuelle.

Consid. 5.3.3
L’assuré reproche à l’expert psychiatre d’avoir accordé trop d’importances à ses publications sur les réseaux sociaux et affirme, en se référant aussi au rapport du psychiatre traitant, qu’il en aurait fait « une lecture au premier degré », sans tenir compte que celles-ci seraient « l’expression d’une personne mal assurée, qui a besoin de se mettre en valeur, d’une façon exagérée, afin de masquer ses troubles ». Cette argumentation ne suffit pas à mettre en doute les conclusions du médecin expert. A l’inverse de ce que suggère le psychiatre traitant, l’expert n’a pas fait état d’une « supposée simulation de la part de l’assuré »; il a relevé en revanche des éléments d’exagération. De plus, à la suite des juges cantonaux, on constate que le médecin expert a expliqué de manière objective et étayée les raisons pour lesquelles il convenait selon lui d’écarter les diagnostics posés par le psychiatre traitant (notamment, un trouble de la personnalité, F 60). A cet égard, le médecin expert n’a en particulier pas constaté de dysfonctionnement cognitif majeur dans l’examen clinique. S’agissant des axes « personnalité » et « contexte social », le médecin a retenu uniquement des traits de personnalité narcissique et indiqué que l’assuré disposait d’un bon réseau social, entretenait des relations positives avec sa famille et un cercle d’amis et organisait très régulièrement des loisirs. Sous l’angle également de la cohérence, l’expert psychiatre a qualifié les plaintes de l’assuré de particulièrement vagues et indiqué qu’elles ne se manifestaient pas en toutes circonstances, en particulier pas durant les activités de loisirs et très rarement dans les activités quotidiennes. Dans le complément du 26.10.2020, il a encore précisé les observations qui l’avaient amené à exclure le diagnostic posé précédemment par le psychiatre traitant.

Consid. 5.3.4
Quant au fait que le médecin expert a rencontré l’assuré à une seule reprise, durant trois heures et vingt minutes, il n’est pas non plus déterminant. Selon la jurisprudence, la durée de l’examen – qui n’est pas en soi un critère de la valeur probante d’un rapport médical -, ne saurait remettre en question la valeur du travail de l’expert, dont le rôle consiste notamment à se prononcer sur l’état de santé psychique de l’assuré dans un délai relativement bref (cf. arrêts 9C_457/2021 du 13 avril 2022 consid. 6.2; 9C_542/2020 du 16 décembre 2020 consid. 7.4 et les références).

Le fait que la position de l’expert psychiatre est « isolée » et partagée uniquement par le médecin au SMR de l’AI, ne suffit pas non plus pour nier la valeur probante de son expertise, sous l’angle du caractère convaincant des conclusions de celle-ci, quoi qu’en dise l’assuré à cet égard.

Consid. 5.4
L’assuré reproche ensuite aux juges cantonaux de ne pas avoir procédé à d’autres mesures d’instruction. Il allègue à cet égard, en se référant essentiellement aux avis de ses psychiatres traitants, qu’il présente une incapacité totale de travail à la suite d’une évolution défavorable de son état de santé et qu’il « est invalide ». Ce faisant, l’assuré ne critique pas l’appréciation de sa capacité de travail effectuée par la juridiction cantonale sous l’angle des indicateurs établis par l’ATF 141 V 281. Il ne met pas non plus en évidence des éléments concrets et objectifs susceptibles de remettre en cause les conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, ni de motifs susceptibles d’établir le caractère arbitraire de leur appréciation. Il ne suffit pas à cet égard d’affirmer sans plus de précisions que « les indications qu’il [le rapport d’évaluation neuropsychologique du 22 février 2021] donne permettent de confirmer les problèmes psychiques de l’assuré ». En ce qu’elle tend à affirmer que la mise en œuvre de mesures d’instruction complémentaires pourrait apporter des renseignements supplémentaires, l’argumentation de l’assuré n’est par ailleurs pas suffisante pour mettre en évidence en quoi la juridiction cantonale aurait procédé de manière arbitraire à une appréciation anticipée des preuves (à ce sujet, voir ATF 140 I 285 consid. 6.3.1) ou aurait établi les faits de manière incomplète.

Quant à la considération de la juridiction cantonale selon laquelle la dépendance de l’assuré à l’égard de sa compagne ne constitue pas une atteinte à la santé, elle n’est pas manifestement erronée. A la lecture du rapport relatif à l’hospitalisation de l’assuré du 22.06.2018 au 27.06.2018, auquel l’intéressé se réfère, on constate qu’aucun diagnostic en lien avec une dépendance affective n’a été retenu. Les médecins ont en effet seulement fait état de « traits dépendants », en précisant qu’un diagnostic de trouble de la personnalité n’avait jamais été posé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_660/2021 consultable ici

 

9C_651/2023 (f) du 22.01.2024 – Valeur probante de l’expertise médicale administrative – 44 LPGA / Expertise médicale judiciaire à charge de l’office AI – 45 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_651/2023 (f) du 22.01.2024

 

Consultable ici

 

Valeur probante de l’expertise médicale administrative / 44 LPGA

Expertise médicale judiciaire à charge de l’office AI – Lien entre défauts de l’instruction administrative et nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire / 45 LPGA

 

A la suite d’un premier refus de prestations AI, l’assuré, né en 1962, a déposé une nouvelle demande de prestations en juillet 2019. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a soumis l’assuré à une expertise (rapport du Dr B.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du 29.07.2021) et à un examen neuropsychologique (rapport du neuropsychologue C.__ du 10.03.2021). Par décision du 03.11.2021, il a nié le droit de l’assuré à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 95/14 – 85/2015 – consultable ici)

Expertise psychiatrique judiciaire mise en œuvre. Dans son rapport du 05.07.2023, la Dre D.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a retenu les diagnostics d’épisode dépressif sévère sans symptômes psychotiques (F32.2), d’état de stress post-traumatique (F43.1) et de traits de personnalité dépendante; elle a conclu à une incapacité totale de travail dans toute activité depuis 2019.

Invitée à se prononcer sur l’expertise, l’administration a admis que les conclusions de la Dre D.__ sur la capacité de travail pouvaient être suivies et qu’il se justifiait de reconnaître le droit de A.__ à une rente entière d’invalidité depuis le 01.07.2020. L’assuré a conclu à l’octroi d’une rente entière d’invalidité à compter de juillet 2019.

Par jugement du 20.09.2023, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision du 03.11.2021. La cour cantonale a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité depuis le 01.05.2020 et mis les frais de l’expertise judiciaire, à hauteur de 7’105 fr. 69, à la charge de l’office AI.

 

TF

Consid. 3.2
Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d’assurance-invalidité (cf. ATF 139 V 496 consid. 4.3; 139 V 349 consid. 5.4), les frais qui découlent de la mise en œuvre d’une expertise judiciaire peuvent le cas échéant être mis à la charge de l’assurance-invalidité. En effet, lorsque l’autorité judiciaire de première instance ordonne la réalisation d’une expertise judiciaire parce qu’elle estime que l’instruction menée par l’autorité administrative est insuffisante (au sens du consid. 4.4.1.4 de l’ATF 137 V 210), elle intervient dans les faits en lieu et place de l’autorité administrative qui aurait dû, en principe, mettre en œuvre cette mesure d’instruction dans le cadre de la procédure administrative. Dans ces conditions, les frais de l’expertise ne constituent pas des frais de justice au sens de l’art. 69 al. 1bis LAI, mais des frais relatifs à la procédure administrative au sens de l’art. 45 LPGA qui doivent être pris en charge par l’assurance-invalidité. Cette règle ne saurait entraîner la mise systématique des frais d’une expertise judiciaire à la charge de l’autorité administrative. Encore faut-il que l’autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l’expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d’instruction administrative. En d’autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2; arrêt 9C_758/2019 du 4 février 2020 consid. 3.2; sur l’ensemble de la question, cf. aussi ERIK FURRER, Rechtliche und praktische Aspekte auf dem Weg zum Gerichtsgutachten in der Invalidenversicherung, RSAS 2019, p. 14).

Consid. 3.3
En l’espèce, le motif retenu par les juges cantonaux pour mettre les frais d’expertise en question à la charge de l’office AI met en évidence un lien entre des défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mandater la Dre D.__. Ils ont considéré qu’il s’était avéré indispensable d’ordonner une expertise judiciaire en raison du fait que celle du Dr B.__ n’était pas probante. A cet égard, on constate, à la suite de la Cour de justice, que le Dr B.__ a rédigé son rapport sans tenir compte du rapport du Dr E.__, spécialiste en neurologie, du 27 mai 2021 (cf. la synthèse du dossier figurant sous le ch. 2 de l’expertise, où le dernier rapport mentionné est celui de la Dre F.__, médecin, du 16.02.2021). Si l’absence de prise en compte du rapport du Dr E.__ peut s’expliquer par le fait que le Dr B.__ a reçu le dossier de l’administration le 09.12.2020 et qu’il a vu l’expertisé le 22.01.2021, en revanche l’expert avait connaissance du rapport du neuropsychologue C.__ du 10.03.2021 au moment où il a rédigé son rapport, le 29.07.2021. A la lecture de l’expertise, on constate en effet que le Dr B.__ a mentionné le rapport du neuropsychologue C.__ dans les sources qu’il a utilisées (cf. ch. 1.3 de l’expertise). Or comme l’a expliqué de manière circonstanciée la juridiction cantonale dans son ordonnance d’expertise du 02.11.2022, le neuropsychologue C.__ avait suggéré, dans son rapport du 10.03.2021, de réaliser un examen neurologique avec une imagerie cérébrale si un doute subsistait quant à une possible étiologie démentielle. En l’occurrence, un tel doute subsistait puisque le Dr E.__ avait indiqué, dans son rapport du 27.05.2021, que le fonctionnement cognitif de l’assuré était très altéré et qu’un début de détérioration dû à une maladie neurodégénérative n’était pas exclu. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle cet élément remettait sérieusement en doute le diagnostic de majoration des symptômes psychiques et neuropsychologiques pour des raisons psychologiques et/ou simulation de symptômes psychiques et neuropsychologiques posé par le Dr B.__.

On ajoutera que l’instance cantonale a mis en évidence d’autres incohérences contenues dans le rapport du Dr B.__. Elle a notamment exposé de manière convaincante, concernant l’état dépressif de l’assuré, que le Dr B.__ avait exclu la présence d’un trouble dépressif récurrent pour le motif qu’il n’y avait pas eu d’épisode antérieur, alors même qu’il y en avait pourtant eu au moins deux (à savoir une période critique du 16.10.2017 au mois de janvier 2018 et une hospitalisation pour un soutien psychologique du 27.06.2019 au 11.07.2019 en raison d’un trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen à sévère). Partant, quoi qu’en dise l’office AI, ce ne sont pas des motifs d’opportunité qui ont conduit la juridiction cantonale à mettre en œuvre une expertise judiciaire, mais bien le fait que les conclusions du Dr B.__ n’étaient pas assez probantes. Dans ces conditions, l’instruction était lacunaire, de sorte que les frais de l’expertise judiciaire pouvaient être mis à la charge de l’office AI. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_651/2023 consultable ici

 

9C_395/2023 (f) du 11.12.2023 – Nouvelle demande AI – Aggravation de l’état de santé (symptômes psychotiques) – 17 al. 1 LPGA – 87 al. 2 RAI – 87 al. 3 RAI / Rapport médical demandé par l’assuré à charge de l’office AI – 45 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_395/2023 (f) du 11.12.2023

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande AI – Aggravation de l’état de santé (symptômes psychotiques) / 17 al. 1 LPGA – 87 al. 2 RAI – 87 al. 3 RAI

Rapport médical demandé par l’assuré à charge de l’office AI / 45 al. 1 LPGA

 

Entre septembre 2002 et novembre 2018, l’assuré, né en 1962, a déposé successivement six demandes de prestations de l’assurance-invalidité, qui ont été rejetées par l’office AI ou sur lesquelles celui-ci a refusé d’entrer en matière (cf., en dernier lieu, décision de non-entrée en matière du 10.07.2019, confirmée par le tribunal cantonal le 28.05.2020).

Le 23.06.2020, l’assuré a annoncé à l’administration une aggravation de son état de santé, en indiquant qu’il lui transmettrait des rapports médicaux. Le 25.11.2020, le docteur B.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a adressé un rapport à l’office AI, dans lequel il faisait état d’une aggravation de l’état de santé de son patient, en ce sens qu’il présentait, depuis sa prise en charge en juin 2020, un état dépressif sévère avec symptômes psychotiques et un trouble de la personnalité de type borderline. Le 14.07.2021, l’administration a adressé à l’assuré un formulaire officiel de demande de prestations, en lui impartissant un délai au 16.08.2021 pour le compléter et le retourner et en l’informant que, le cas échéant, la date du dépôt de la nouvelle demande serait fixée au 30.11.2020 (date de la réception du rapport du docteur B.__). L’assuré a transmis ledit formulaire à l’office AI le 12.08.2021. Après avoir notamment sollicité des renseignements auprès des médecins traitants de l’assuré (rapport du docteur B.__ du 30.11.2021, notamment), puis soumis ceux-ci à son SMR, l’office AI a rejeté la nouvelle demande (décision du 23.05.2022).

 

Procédure cantonale (arrêt AI 164/22 – 128/2023 – consultable ici)

Par jugement du 10.05.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
Examinant l’évolution de l’état de santé de l’assuré depuis la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (décision du 10.10.2013), la juridiction cantonale a d’abord exclu une aggravation sensible de son état de santé sur le plan somatique. Elle a ensuite constaté que les diagnostics retenus par les différents psychiatres traitants avaient été « écartés » à l’issue de deux expertises réalisées (rapport du 18.06.2013). Elle en a inféré que l’appréciation du docteur B.__ (rapports des 25.11.2020 et 30.11.2021) ne constituait qu’une appréciation divergente d’une situation demeurée pour l’essentiel sans changement significatif sur le plan psychiatrique. Partant, les juges cantonaux ont confirmé la décision administrative du 23 mai 2022 et nié que les frais afférents au rapport du docteur B.__ du 25.11.2020 dussent être pris en charge par l’office AI (art. 45 al. 1 LPGA).

 

Consid. 5.3
L’argumentation de l’assuré, selon laquelle le docteur B.__ a retenu des éléments psychotiques (hallucinations visuelles et auditives et vision paranoïde du monde) qui « n’ont jamais été relevés auparavant » est en revanche bien fondée. On constate que dans leur rapport du 18.06.2013, les experts ont examiné si l’assuré présentait des symptômes de la lignée psychotique, ce qu’ils ont exclu, en relevant l’absence d’obsession, d’idée délirante et de signe indirect d’hallucinations. Or l’état dépressif sévère avec symptômes psychotiques (F 32.3) diagnostiqué par le docteur B.__ dans son rapport du 25.11.2020, soit postérieurement à l’expertise de 2013, est un élément nouveau. Le médecin traitant a en effet indiqué que si les diagnostics d’autre modification durable de la personnalité et de syndrome douloureux somatoforme persistant, qu’il avait également posés, devaient être retenus depuis 2003, respectivement 2004, en revanche l’état dépressif sévère avec symptômes psychotiques avait été objectivé à sa consultation depuis le 29.06.2020 (rapport du 25.11.2020). Il ne s’agissait dès lors pas d’un élément connu des médecins experts et étudié par ceux-ci dans le cadre de leur expertise en 2013. Le docteur B.__ a par ailleurs motivé ce nouveau diagnostic en indiquant que son patient présente constamment des critères pour une hospitalisation en milieu psychiatrique spécialisé et des symptômes psychotiques sous formes d’hallucinations (« des personnes défuntes de génération le précédant sont à ses côtés par exemple ou la persécution »). La considération des juges cantonaux selon laquelle l’appréciation du docteur B.__ ne constitue qu’une appréciation divergente d’une situation demeurée pour l’essentiel sans changement significatif ne peut dès lors pas être suivie.

Consid. 5.4
Dans ces circonstances, en considérant que, sur le plan psychiatrique, l’assuré présentait un état de santé globalement inchangé depuis la décision du 10.10.2013, la juridiction cantonale a apprécié arbitrairement les faits et les preuves. Les constatations des juges cantonaux quant à l’absence d’aggravation des troubles somatiques de l’assuré lient en revanche le Tribunal fédéral, faute de tout grief formulé à cet égard. Cela étant, il n’est pas possible, en l’état du dossier, de déterminer l’influence de l’aggravation de l’état de santé psychique de l’assuré sur sa capacité de travail, les conclusions du docteur B.__ devant être confirmées ou infirmées par une expertise complémentaire. Aussi la cause est-elle renvoyée à l’office AI pour ce faire. Le recours est bien fondé sur ce point.

 

Consid. 6.1
L’assuré se plaint également d’une violation de l’art. 45 LPGA, en ce que la juridiction cantonale n’a pas mis les frais d’établissement du rapport du docteur B.__ du 25.11.2020 (1’960 fr.) à la charge de l’office AI. Il fait valoir à cet égard que ledit rapport « a constitué la principale base de travail » de l’office AI et de son SMR, pour apprécier son cas, si bien qu’il s’est révélé « déterminant ».

Consid. 6.2
Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures. A défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure. Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c; arrêt 9C_519/2020 du 6 mai 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités).

Consid. 6.3
En l’espèce, après que l’assuré lui a transmis le rapport du docteur B.__ du 25.11.2020, l’office AI est entré en matière sur sa nouvelle demande et a ensuite procédé à des mesures d’instruction. On rappellera que dans le cadre d’une nouvelle demande, il appartient à l’assuré de rendre plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits (cf. ATF 133 V 108 consid. 5.2 et 5.3). En l’occurrence, l’assuré y est parvenu puisque l’administration a instruit son cas. Par ailleurs, c’est en raison du rapport en question que des investigations supplémentaires sont nécessaires (consid. 5.3 supra), de sorte qu’il était déterminant pour l’appréciation du cas. A cet égard, l’admissibilité de l’imputation des frais d’un rapport médical à l’administration ne dépend pas de la question de savoir si ledit rapport a effectivement permis de fournir les éclaircissements attendus par l’instance précédente. Il peut suffire qu’il donne lieu à des investigations supplémentaires qui n’auraient pas été ordonnées en son absence (arrêts 9C_255/2022 du 3 mai 2023 consid. 3 et les arrêts cités; 8C_301/2016 du 7 juillet 2016 consid. 3.2), comme cela a été le cas en l’occurrence. Par conséquent, les frais relatifs au rapport du docteur B.__ du 25.11.2020 doivent être imputés à l’office AI. Le recours est bien fondé sur ce point également.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_395/2023 consultable ici

 

8C_112/2023 (f) du 11.12.2023 – Causalité naturelle – Vraisemblance d’une entorse de genou – 6 LAA / Valeur probante du rapport du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_112/2023 (f) du 11.12.2023

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Vraisemblance d’une entorse de genou / 6 LAA

Valeur probante du rapport du médecin-conseil

 

Assuré, né en 1971, gestionnaire documentaire, a fait déclarer le 23.09.2020 l’événement du 22.08.2020 lors duquel il avait raté une marche d’escalier et s’était fait mal au genou. Le spécialiste en chirurgie orthopédique traitant a rapporté qu’après sa chute dans les escaliers, l’assuré avait ressenti des douleurs au niveau de son genou gauche, exacerbées à la montée des escaliers. Une IRM réalisée le 27.11.2020 avait révélé une déchirure du ménisque interne associée à une arthrose fémoro-tibiale interne débutante. L’orthopédiste traitant a constaté que le genou gauche était calme, peu tuméfié. Il a posé le diagnostic de déchirure de la corne postérieure du ménisque interne du genou gauche symptomatique. Le médecin généraliste traitant de l’assuré a indiqué que l’assuré avait « loupé » une marche le 22.08.2020 et avait chuté par la suite, avec une charge importante sur la jambe gauche. Les douleurs s’étaient développées progressivement sur une semaine. La descente des escaliers augmentait les douleurs. Il a constaté l’absence de blocage, de tuméfaction et d’épanchement. Les douleurs se situaient au compartiment interne et à la corne postérieure du ménisque interne. L’assurance-accidents a pris en charge le cas.

Le 06.01.2021, le spécialiste en chirurgie orthopédique a pratiqué une arthroscopie sur le genou gauche de l’assuré (résection-égalisation de la corne postérieure du ménisque interne).

Par décision du 05.03.2021, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a informé l’assuré que selon l’appréciation de son médecin d’arrondissement, la Dre E.__, l’événement du 22.08.2020 avait cessé de déployer ses effets depuis de nombreuses semaines mais au plus tard à la fin du mois de novembre 2020 ; l’assurance-accidents ne prenait pas en charge les frais de l’opération du 06.01.2021 et mettait fin aux prestations d’assurance (indemnité journalière et frais de traitement) le 15.12.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 110/21-5/2023 – consultable ici)

Par jugement du 16.01.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Pour la cour cantonale, l’avis du spécialiste en chirurgie orthopédique traitant n’était pas de nature à mettre en doute l’appréciation convaincante du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents. En tant qu’il était d’avis que la déchirure méniscale était d’origine accidentelle, son argumentation reposait essentiellement sur l’absence de douleurs avant l’accident et sur la persistance des douleurs plus de trois mois après l’accident, ainsi que sur le fait que l’assuré aurait subi, d’après lui, une torsion du genou. Or, pour les juges cantonaux, une telle torsion n’était pas avérée. Il n’en était question ni dans la déclaration d’accident (qui mentionnait expressément une contusion), ni dans le rapport intermédiaire établi par le premier médecin consulté par l’assuré en septembre 2020, ni dans la description de l’accident par l’assuré lui-même lors d’un entretien du 03.02.2021 avec un collaborateur de l’assurance-accidents. Lors de cet entretien, l’assuré avait précisé s’être « tordu le genou droit à ski en 2014 » ; en revanche, il ne mentionnait pas de torsion du genou gauche dans sa description de l’accident du 22.08.2020. Il exposait avoir raté les deux dernières marches de l’escalier, avoir chuté en avant et s’être retrouvé « avec la jambe gauche pliée sous les fesses ». Selon la cour cantonale, cette description concordait avec la notion de « charge importante sur la jambe gauche » figurant dans le rapport du médecin généraliste traitant. Elle ne permettait cependant pas de constater un mécanisme de torsion lors de l’accident et il était peu vraisemblable que l’assuré n’eût pas mentionné explicitement un mouvement de torsion lors de l’entretien du 03.02.2021, ni lors de sa première consultation auprès du médecin traitant si celui-ci se fût effectivement produit. Quant au rapport de l’orthopédiste traitant, il était insuffisant pour établir à lui seul, au degré de la vraisemblance prépondérante, une torsion du genou, compte tenu des autres pièces au dossier, d’autant que ce médecin paraissait partir du principe que toute chute dans un escalier impliquait une torsion du genou. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutenait l’orthopédiste traitant, la survenance et la persistance des douleurs plus de trois mois après l’accident ne permettait pas, sous réserve d’autres indices concordants, de tirer des conclusions sur l’origine accidentelle d’une lésion méniscale, dès lors qu’il s’agissait d’un raisonnement « post hoc ergo propter hoc ».

Consid. 4
Dans un premier grief, l’assuré conteste l’absence de torsion retenue par la cour cantonale dans le mécanisme de sa chute. Il estime que l’absence spécifique de mention de torsion au genou ne saurait exclure l’existence d’une telle torsion.

En l’occurrence, comme l’a déjà constaté la juridiction cantonale, l’assuré n’a jamais fait état d’une entorse au genou tout au long de ses différentes déclarations. Par ailleurs, la Dre E.__ avait indiqué que si l’assuré avait subi une entorse du genou, il est probable qu’il aurait enflé immédiatement et qu’il aurait ressenti des douleurs à la marche, et non seulement en position assise avec le genou à 90°; il aurait également présenté une impotence fonctionnelle immédiatement, ce qui n’avait pas été le cas. Vu ce qui précède, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations des juges cantonaux, selon lesquelles l’assuré n’a pas subi de torsion de son genou gauche le 22.08.2020.

 

Consid. 5
La juridiction cantonale a retenu que l’assuré n’apportait aucun élément permettant de faire naître un doute quant à l’impartialité ou l’indépendance de la Dre E.__. Elle a au demeurant retenu que les médecins d’arrondissement ainsi que les spécialistes du centre de compétence de la médecine des assurances de la CNA étaient considérés, par leur fonction et leur position professionnelle, comme étant des spécialistes en matière de traumatologie, indépendamment de leur spécialisation médicale, de sorte que le grief de l’assuré relevant de l’absence de compétence et de légitimité de la Dre E.__ devait être écarté. Par ailleurs, la cour cantonale a également retenu que s’il eût été préférable que la Dre E.__ cite d’emblée ses sources médicales et qu’elle le fasse de manière plus précise, par exemple en mentionnant à quel passage ou à quelle page de quel ouvrage elle se référait pour chacune de ses affirmations, ce grief ne suffisait toutefois de loin pas à mettre en doute ses constatations dans la présente procédure. En tant que l’assuré conteste derechef l’appréciation de la Dre E.__, au motif que cette dernière n’est pas spécialiste en chirurgie orthopédique et qu’elle ne cite pas de manière suffisamment précise ses sources médicales, il y a lieu de renvoyer aux considérants convaincants de l’arrêt attaqué.

 

Consid. 6
Dans un ultime grief, l’assuré soutient encore que c’est manifestement à tort que les juges cantonaux ont considéré qu’il y avait lieu d’accorder une pleine valeur probante aux différents rapports établis par la Dre E.__ puisque dans la cause 8C_401/2019 du 9 juin 2020 tranchée par le Tribunal fédéral, une valeur probante avait été accordée au médecin spécialiste de l’assuré et non au médecin-conseil de l’assurance-accidents.

Ce n’est pas parce que dans un cas différent de celui en l’espèce, les juges ont accordé plus de poids à l’avis d’un spécialiste qu’aux médecins-conseils de l’assurance-accidents que cela doit toujours en être ainsi. En effet, selon une jurisprudence constante, l’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a). Dans le cas précité, les juges cantonaux avaient dénié toute valeur probante aux appréciations des médecins-conseil, expliquant qu’on était en droit d’attendre de ces derniers soutenant l’origine non accidentelle des lésions au niveau de l’épaule de la personne assurée, qu’ils étayent leur point de vue et qu’ils fournissent des explications circonstanciées sur le processus non traumatique qu’ils estimaient être à l’origine des atteintes constatées, ainsi que les raisons pour lesquelles le mécanisme accidentel n’aurait objectivement pas pu causer l’ensemble de ces atteintes, ce qu’ils n’avaient apparemment pas fait.

En l’espèce, la cour cantonale s’est dite cependant convaincue par l’avis du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents, lequel n’était pas mis en doute par celui du spécialiste en chirurgie orthopédique traitant, ce dernier fondant ses constatations sur une hypothèse différente quant au déroulement de l’accident, à savoir l’existence d’une torsion du genou, ainsi que sur l’absence de douleurs avant l’accident et sur leur persistance plus de trois mois après l’accident, ce qui relevait d’une argumentation « post hoc ergo propter hoc », insuffisante pour justifier à elle seule l’origine accidentelle d’une lésion méniscale. Dans ces circonstances, la cour cantonale pouvait, sans violer le droit fédéral, se fonder sur l’avis du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents. En outre, dès lors qu’elle était parvenue à juste titre à la conclusion que l’avis du spécialiste en chirurgie orthopédique traitant n’était pas de nature à mettre en doute la fiabilité et la pertinence de l’appréciation de la Dre E.__, la cour cantonale n’avait pas le devoir de mettre en œuvre une expertise (cf. ATF 135 V 465 consid. 4).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_112/2023 consultable ici

 

8C_122/2023 (d) du 26.02.2024 – Exigences strictes en matière de valeur probante des expertises AI du centre d’expertises PMEDA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_122/2023 (d) du 26.02.2024

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges non prévu à publication)

Communiqué de presse du TF du 06.03.2024 disponible ici

 

Exigences strictes en matière de valeur probante des expertises AI du centre d’expertises PMEDA

 

L’assurance-invalidité ayant mis fin en 2023 à l’attribution d’expertises au centre d’expertises PMEDA, il convient de poser des exigences strictes en matière d’appréciation de la valeur probante des expertises PMEDA déjà ordonnées dans les procédures encore pendantes. Des doutes relativement faibles quant à la fiabilité et à la pertinence d’une expertise PMEDA suffisent déjà pour ordonner une nouvelle expertise de la personne assurée ou pour demander une expertise judiciaire.

En 2022, l’office AI du canton de Zurich avait nié le droit d’un assuré à une rente d’invalidité sur la base d’une expertise confiée au centre d’expertises PMEDA (Polydisziplinäre Medizinische Abklärungen, Zurich). Le Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich a rejeté le recours de l’assuré, en reconnaissant une pleine valeur probante à l’expertise PMEDA.

Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours de l’assuré. Par communiqué de presse du 4 octobre 2023, l’Office fédéral des assurances sociales a informé que l’assurance-invalidité n’attribuait plus d’expertises bi- et pluridisciplinaires au centre d’expertises PMEDA, suivant ainsi la recommandation de la Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM) publiée le même jour. Selon la jurisprudence, les tribunaux peuvent accorder une pleine valeur probante aux expertises de médecins spécialistes externes ordonnées par les assureurs et mises en œuvre dans le respect des exigences légales, aussi longtemps qu’aucun indice concret ne permette de douter de leur bien-fondé. Après l’arrêt des mandats d’expertise au centre d’expertises PMEDA, il se justifie de poser des exigences plus strictes en matière d’appréciation de la valeur probante des expertises PMEDA déjà ordonnées dans les procédures encore en cours. Des doutes relativement faibles quant à la fiabilité et à la pertinence d’une expertise PMEDA suffisent déjà pour ordonner une nouvelle expertise de la personne assurée ou pour demander une expertise judiciaire. Dans le cas d’espèce, l’expertise PMEDA se révèle contradictoire et non concluante sur des points essentiels concernant l’atteinte à la santé et ses effets sur la capacité de travail de l’assuré. L’instance précédente devra ordonner une expertise judiciaire, portant notamment sur la capacité de travail de l’assuré, et rendre une nouvelle décision.

 

Arrêt 8C_122/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 06.03.2024 disponible ici

 

Esigenze severe per il valore probatorio delle perizie AI del centro peritale PMEDA, Comunicato stampa del Tribunale federale, 06.03.2024, disponibile qui

Strenge Anforderungen an Beweiswert von IV-Gutachten der PMEDA, Medienmitteilung des Bundesgerichts, 06.03.2024, hier abrufbar

 

8C_59/2023 (f) du 12.09.2023 – Morsure de tique et neuroborréliose – Valeur probante d’une expertise judiciaire / Vraisemblance d’une perte de rendement en lien avec l’accident

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_59/2023 (f) du 12.09.2023

 

Consultable ici

 

Morsure de tique et neuroborréliose – Valeur probante d’une expertise judiciaire

Capacité de travail exigible – Vraisemblance d’une perte de rendement en lien avec l’accident (morsure de tique) / 16 LPGA

 

Assuré, maçon, a annoncé le 18.02.2009, s’être fait piquer par une tique en automne 2008 et qu’il était en incapacité de travail en raison de douleurs et enflures des deux genoux.

Par décision du 12.11.2014, l’assurance-accidents a retenu que l’assuré n’avait plus besoin de traitement médical pour les suites de son accident et qu’une pleine capacité de travail devait lui être reconnue, respectivement que sa capacité de gain n’était pas diminuée de manière importante et a mis un terme aux prestations d’assurance avec effet au 01.12.2014. Après avoir mis en œuvre d’autres mesures d’instruction et notamment après avoir pris connaissance de l’expertise pluridisciplinaire mise en œuvre par l’assurance-invalidité, l’assurance-accidents a confirmé cette décision le 04.05.2018.

 

Procédure cantonale

Mise en œuvre de l’expertise judiciaire pluridisciplinaire le 06.04.2021. Rapport rendu le 06.12.2021. Dans sa prise de position du 14.01.2022, l’assurance-accidents a contesté les conclusions du rapport d’expertise, en produisant une appréciation de son médecin-conseil, spécialiste FMH en neurologie. L’assuré, quant à lui, a pris note des résultats de l’expertise, qui à ses yeux apparaissait totalement probante et conforme aux exigences jurisprudentielles en la matière.

Par arrêt du 13.12.2022, la cour cantonale a admis le recours de l’assuré et a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle procède à l’examen du droit à une éventuelle rente d’invalidité de l’assuré, en tenant compte s’agissant de la capacité de travail résiduelle, d’une diminution de rendement de 20% dans une activité adaptée aux limitations d’ordre neurologique et neuropsychologique et rende une nouvelle décision.

 

TF

Consid. 3.2
S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et la référence citée).

 

Consid. 4.1
Les médecins-experts ont retenu à titre de diagnostics avec effet sur la capacité de travail, une fatigue d’origine neurologique dans un contexte séquellaire de status post-neuroborréliose avec méningo-encéphalite et vasculite concomitante avec infarctus multiples des deux côtés dès mi-août ainsi qu’un syndrome de fatigue chronique. Sur le plan neurologique et neuropsychologique, en tenant compte des limitations fonctionnelles, il existait une légère baisse de rendement consécutive aux séquelles de la neuroborréliose et probablement aux conséquences de l’éthylisme chronique. Sous le chapitre de la motivation interdisciplinaire de l’incapacité de travail, ils ont indiqué qu’une activité adaptée aux limitations fonctionnelles ostéo-articulaires était possible sur le plan neurologique, rhumatologique et de la médecine interne « avec une baisse de rendement de 20% motivée par l’atteinte neurologique à 100% horaire depuis novembre 2014 ». L’experte neurologue a précisé que l’atteinte neurologique et neuropsychologique due à la neuroborréliose était stabilisée depuis 2014 et correspondait à une discrète séquelle neurologique (légère hyperréflexie tricipitale et achilléenne relative droite) non handicapante; de possibles séquelles neuropsychologiques ne pouvaient être objectivées en raison de la collaboration insuffisante de l’expertisé. En particulier, une aggravation du tableau cognitif avait été constatée par l’experte neuropsychologue qui ne s’expliquait pas par les éléments médicaux. En raison des inconsistances entre les différentes évaluations et au sein des domaines cognitifs évalués, des résultats aux différents éléments de validation des performances, un défaut d’effort avec majoration des symptômes avait été relevé. L’experte a conclu que les éventuels troubles et leur intensité en lien avec l’AVC ou la neuroborréliose ne pouvaient pas être évoqués, de surcroît chez un patient qui présentait une thymie abaissée, qui avait une consommation excessive d’alcool et qui était cognitivement déconditionné.

Consid. 4.2
Avec la recourante, force est d’admettre que la baisse de rendement retenue par les experts apparaît en contradiction avec les résultats des examens cliniques, la validation des symptômes et la cohérence du tableau. En effet, s’agissant de la (seule) séquelle neurologique (légère hyperréflexie tricipitale et achilléenne relative droite), elle n’a pas d’influence sur la capacité de travail. Quant à la fatigue, elle est d’étiologie multifactorielle, n’a pas pu être validée par les examens neuropsychologiques et, de surcroît, ne s’explique pas par les antécédents médicaux. Comme l’a à juste titre évoqué le médecin-conseil dans son appréciation du 12.01.2022, la baisse de rendement attestée par les experts se fonde ainsi sur une hypothèse médico-théorique, qui prend en compte que l’assuré a présenté une neuroborréliose et des AVC dans le passé, sachant que de telles pathologies peuvent engendrer des pertes cognitives. Cela ne suffit toutefois pas pour établir, au degré de la vraisemblance prépondérante applicable en droit des assurances sociales (ATF 126 V 353 consid. 5b; 125 V 195 consid. 2), l’existence d’une incapacité de travail au-delà du 30.11.2014 en lien avec la morsure de tique en 2008, qui a ensuite déclenché une neuroborréliose.

Consid. 5
Au vu de ce qui précède, l’assurance-accidents était fondée à retenir qu’il n’existait plus, au-delà du 30.11.2014, une incapacité de travail de l’assuré en lien avec la morsure de tique en 2008. Le recours doit donc être admis, l’arrêt cantonal annulé et la décision litigieuse confirmée en tant qu’elle ne reconnaît pas le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_59/2023 consultable ici

 

9C_580/2022 (f) du 03.10.2023 – Rapport d’expertise et rapport du médecin-traitant – Valeur probante / Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Critères de Budapest

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_580/2022 (f) du 03.10.2023

 

Consultable ici

 

Rapport d’expertise et rapport du médecin-traitant – Valeur probante

Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Critères de Budapest

Capacité de travail exigible

 

Assurée exerçant la profession de logisticienne à temps partiel (80%) argue souffrir de séquelles incapacitantes d’un syndrome douloureux chronique (apparu en 2014). Dépôt de la demande ai le 19.04.2016.

Au cours de la procédure d’instruction, l’office AI a sollicité l’avis du médecin traitant. Outre un syndrome douloureux chronique, affectant les bras et les jambes, la spécialiste en médecine interne générale a mentionné un probable syndrome de Sudeck résultant d’un traumatisme de la main gauche survenu au mois de février 2017 et fait état d’une incapacité totale de travail dans l’activité habituelle depuis le 24.05.2017. L’office AI s’est également procuré une copie du dossier de l’assureur-accidents et a mis en œuvre une expertise médicale. Le spécialiste en rhumatologie et le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie ont retenu une incapacité totale de travail dans l’activité habituelle et une capacité résiduelle de travail dans une activité adaptée de 70% depuis le mois de juillet 2016. Ils ont justifié leur conclusion par la fatigue engendrée par le syndrome douloureux chronique diagnostiqué (d’origine indéterminée en tant qu’il affecte les quatre membres et le bassin et apparu après un événement traumatique mineur en tant qu’il affecte la main gauche). Ils ont encore conclu que les autres pathologies constatées (status post-cure d’un syndrome du tunnel carpien gauche, troubles statiques et dégénératifs du rachis, trouble somatoforme indifférencié) n’avaient pas d’incidence sur la capacité de travail. En plus d’une enquête économique sur le ménage, l’administration a aussi recueilli des informations auprès du spécialiste en anesthésiologie, qui a estimé que sa patiente n’était pas apte à exercer une activité lucrative ni à suivre des mesures de réadaptation en raison du syndrome douloureux chronique généralisé, du CRPS au bras gauche (complex regional pain syndrom; SDRC syndrome douloureux régional complexe) et des polyarthralgies observés.

L’office AI a rejeté la demande au motif que le taux d’invalidité de 4,14% en 2016/2017 et de 19,80% dès 2018 ne donnait aucun droit à des prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 34 – consultable ici)

Par jugement du 24.01.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
En réponse à l’argumentation de l’assurée, ne portant que sur l’appréciation de son état de santé sur le plan somatique, la cour cantonale a toutefois plus particulièrement relevé que l’avis de l’expert en rhumatologie à propos de l’existence d’un SDRC affectant le bras ou la main gauche et des effets de ce trouble sur la capacité de travail divergeait totalement de celui du spécialiste en anesthésiologie traitant. Elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de l’avis de l’expert dans la mesure où il avait établi dans son rapport que les critères diagnostiques d’un SDRC n’étaient pas remplis au moment de l’expertise. Elle a également retenu que l’avis du spécialiste en anesthésiologie traitant ne remettait pas valablement en question le rapport d’expertise dès lors que ce dernier ne mentionnait aucun élément objectif nouveau qui aurait été ignoré par l’expert, fondait certaines de ses conclusions sur les allégations de sa patiente et attestait sans autre motivation une incapacité totale de travail. Elle a dès lors suivi les conclusions des médecins experts et confirmé le taux d’invalidité fixé par l’office AI.

Consid. 6
En l’occurrence, la cour cantonale a considéré que le SDRC n’était pas présent ou plus d’actualité lors de l’expertise au plus tard dès lors que le médecin-expert rhumatologue avait démontré que les critères diagnostiques nécessaires pour retenir une telle pathologie n’étaient pas remplis. Elle a abouti à cette conclusion en se basant sur les « critères de Budapest », fixés par la doctrine médicale. Elle a relevé que l’expert avait attesté l’existence d’une douleur continue, disproportionnée par rapport à l’événement initial (critère 1), ainsi que de symptômes dans les quatre catégories somatosensorielle, vasomotrice, sudomotrice/oedème et motrice/trophique (critère 2), mais qu’il n’avait en revanche observé qu’un signe clinique dans ces mêmes catégories alors qu’il en fallait au moins deux pour retenir le critère 3 et – partant – le SDRC. Elle a par ailleurs considéré que le spécialiste en anesthésiologie traitant n’attestait aucun élément médical nouveau et que, même s’il faisait état d’un œdème à l’index de la main gauche (soit un signe supplémentaire dans les catégories du 3e critère diagnostique du syndrome litigieux) dans son rapport ultérieur, son évaluation des limitations fonctionnelles et de la capacité de travail était dénuée de toute valeur probante. On peut douter que, comme le fait valoir l’assurée, la juridiction cantonale pouvait légitimement nier d’emblée l’existence d’un SDRC. En effet, l’œdème à l’index de la main gauche signalé par le spécialiste en anesthésiologie traitant est de toute évidence un élément objectif nouveau par rapport aux constatations de l’expert rhumatologue, qu’il s’agit d’une atteinte objectivée et présente lors du prononcé de la décision litigieuse (sur l’état de fait déterminant pour apprécier la légalité de décisions administratives, cf. notamment ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références) et que, si on intégrait l’œdème à l’analyse des critères diagnostiques d’un SDRC par les juges cantonaux, il semblerait que le diagnostic en question puisse être retenu (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1).

Quoi qu’il en soit, le résultat auquel a abouti le tribunal cantonal n’est pas arbitraire (sur cette notion, cf. p. ex. ATF 139 III 334 consid. 3.2.5 et les références). En effet, l’expert n’a pas retenu un SDRC sur la base des constatations qu’il avait faites lors de son examen clinique. Il n’a toutefois ignoré ni les douleurs à la main gauche ni l’incidence de ces douleurs sur la capacité de travail au contraire de ce que l’assurée laisse entendre. Il a diagnostiqué un syndrome de douleurs chroniques de la main gauche après un événement traumatique mineur survenu le 5 février 2017 et retenu le port de charges de plus de 5 kg et les activités manuelles complexes parmi les limitations permettant la pratique d’une activité adaptée à 70%. Cette appréciation – reprise par la cour cantonale – ne peut pas valablement être mise en doute par l’allégation générale d’une douleur disproportionnée par rapport à l’événement déclenchant ou d’une impossibilité objective d’utiliser le bras gauche et d’exercer une activité autre que monomanuelle, qui ne ressort au demeurant pas des rapports établis par le spécialiste en anesthésiologie traitant.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_580/2022 consultable ici

 

8C_125/2023 (d) du 08.08.2023, destiné à la publication – Mordre sur un caillou se trouvant dans un sachet de salade – 4 LPGA / Lien de causalité en cas d’état antérieur chez une assurée présentant de fortes parafonctions – 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_125/2023 (d) du 08.08.2023, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : Traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Dommage dentaire – Mordre sur un caillou se trouvant dans un sachet de salade / 4 LPGA

Lien de causalité naturelle et adéquate en cas d’état antérieur (dent traitée) chez une assurée présentant de fortes parafonctions / 6 LAA

 

Assurée, née en 1963. Déclaration d’accident du 09.12.2021 : elle a mordu, le 22.11.2021, un caillou qui se trouvait dans un sachet de salade.

Le 29.11.2021, elle s’est rendue chez le Dr C.__, médecin-dentiste. Celui-ci a d’abord remplacé le composite. Cette opération n’ayant pas donné les résultats escomptés, l’extraction de la dent 47 a été réalisée le 23.12.2021 en raison d’une suspicion de fracture longitudinale. Après avoir demandé l’avis de son dentiste-conseil, le Dr D.__, l’assurance-accidents a nié le droit aux prestations par décision du 07.03.2022, en raison de l’absence de lien de causalité naturelle entre l’événement du 22.11.2021 et le dommage dentaire. Elle a maintenu cette position par décision sur opposition du 07.06.2022, après avoir demandé une nouvelle prise de position à son médecin-conseil.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.261 – consultable ici)

Le tribunal cantonal a considéré que le dentiste-conseil a justifié de manière compréhensible qu’un lien de causalité naturelle entre l’événement du 22.11.2021 et la lésion de la dent 47 était certes possible, mais pas prouvé au degré de la vraisemblance prépondérante. La question de savoir si l’événement du 22.11.2021 remplit la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA est laissée ouverte.

Par jugement du 30.12.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2 [notion d’accident]
L’arrêt attaqué ne contient pas de constatations contraignantes concernant l’événement du 22.11.2021, mais comme le dossier est clair sur ce point, le Tribunal fédéral peut compléter lui-même l’état de fait à cet égard (ATF 143 V 177 consid. 4.3 ; 140 V 22 consid. 5.4.5).

Selon la déclaration d’accident du 09.12.2021, l’assurée a mordu le 22.11.2021 sur un caillou qui se trouvait dans un sachet de salade qu’elle avait acheté auparavant au supermarché. Dans le questionnaire relatif à la lésion dentaire, elle a de nouveau déclaré, à propos des circonstances de l’accident, qu’elle avait acheté une salade au supermarché et qu’elle l’avait mangée chez elle. Dans la salade se trouvait un gros caillou sur lequel elle a mordu. Elle a déclaré que le caillou était disponible. Elle a également décrit l’incident de la même manière à son dentiste. Dans son recours au Tribunal fédéral, l’assurée a indiqué que le caillou en question se trouvait en possession de l’assurance-accidents, ce que cette dernière ne conteste pas. Il n’y a aucune raison de supposer que l’assurée n’a pas décrit correctement les faits. Il faut donc partir du principe que le 22.11.2021, elle a effectivement mordu sur un caillou contenu dans un sachet de salade. L’assurance-accidents n’a d’ailleurs jamais prétendu, à juste titre, que l’événement du 22.11.2021 ne remplissait pas les conditions de la notion d’accident selon l’art. 4 LPGA.

En effet, selon la jurisprudence relative aux lésions dentaires lors de l’alimentation, l’élément déterminant est de savoir si le facteur extérieur en question, qui a entraîné la lésion dentaire, est un composant habituel du matériau transformé (SVR 2016 UV n° 17 p. 52, 8C_750/2015 consid. 5 ; RKUV 1992 n° U 144 p. 82 consid. 2b). Tel n’est pas le cas en l’espèce. Un caillou dans une salade préemballée prête à consommer, achetée dans un supermarché, dépasse le cadre de l’ordinaire ou de l’habituel (cf. à ce sujet ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 ; 129 V 402 consid. 2.1 ; arrêt K 1/88 du 15 août 1988 consid. 2b, non publié dans : ATF 114 V 169, mais in : RKUV 1988 K 787 419 ; arrêt 8C_191/2018 du 21 décembre 2018 consid. 3.1).

Il n’y a par ailleurs aucune raison de penser que les autres conditions de la notion d’accident ne seraient pas remplies. Il s’ensuit que l’événement du 22.11.2021 remplit la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA.

 

Consid. 5.1 [causalité naturelle]
Pour que l’assurance-accidents soit tenue de verser des prestations, il faut notamment qu’il existe un lien de causalité naturelle entre l’événement dommageable et l’affection dentaire traitée, établi au degré de la vraisemblance prépondérante tel que requis en droit des assurances sociales. Selon la jurisprudence, les causes déterminantes au sens de l’art. 6 al. 1 LAA comprennent également des circonstances sans l’existence desquelles l’atteinte à la santé ne serait pas survenue au même moment. Une cause accidentelle à l’origine d’un dommage est donc déterminante pour l’octroi de prestations même si le dommage en question serait probablement survenu plus tôt ou plus tard même sans l’événement assuré, l’accident n’étant donc une condition sine qua non qu’en ce qui concerne le moment de la survenance du dommage. Il en va autrement lorsque l’accident n’est qu’une cause occasionnelle ou fortuite, qui rend manifeste un risque actuel dont la réalisation aurait pu être attendue à tout moment, sans prendre une importance distincte dans le cadre du rapport de cause à effet. Un événement revêt donc le caractère d’une cause partielle fondant le droit aux prestations lorsque le risque résultant de la cause pathogène potentielle n’était pas présent auparavant au point que le facteur déclenchant apparaisse comme aléatoire et interchangeable. En revanche, l’action accidentelle correspond à une cause occasionnelle ou fortuite (faisant obstacle à l’octroi des prestations) lorsqu’elle rencontre un état antérieur si instable et précaire que l’on aurait pu s’attendre à tout moment à la survenance de la lésion (organique), que ce soit en raison de la dynamique propre de la pathologie ou parce qu’elle répond à une autre cause fortuite quelconque. Si un autre facteur de sollicitation quotidienne aurait pu provoquer la même atteinte à la santé à peu près au même moment, l’accident n’apparaît pas comme un événement causal significatif, mais comme une cause interchangeable [austauschbarer] ; il n’y a donc pas d’obligation de prestation de l’assureur-accidents (SVR 2012 UV Nr. 8 S. 27, 8C_380/2011 consid.. 4.2.1; SVR 2007 UV Nr. 28 S. 94, U 413/05 E. 4; arrêts 8C_692/2022 du 2 mai 2023 consid. 4.2.2; 8C_287/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.1; ANDREAS TRAUB, Natürlicher Kausalzusammenhang zwischen Unfall und Gesundheitsschädigung bei konkurrierender pathogener Einwirkung: Abgrenzung der wesentlichen Teilursache von einer anspruchshindernden Gelegenheits- oder Zufallsursache, in: SZS 2009 S. 479).

Consid. 5.2 [causalité adéquate]
En cas d’atteintes objectives à la santé physique, dont les lésions dentaires, la causalité naturelle se recoupe largement avec la causalité adéquate – qui reste une condition préalable à l’obligation de verser des prestations. Dans ce cas, la question décisive du point de vue du lien de causalité adéquate, à savoir si l’événement accidentel est en soi susceptible, selon l’expérience générale de la vie, de provoquer un résultat du type de celui qui s’est produit, c’est-à-dire si la survenance de ce résultat apparaît généralement comme favorisée par l’événement (ATF 129 V 177 consid. 3.2 et la référence), ne joue pratiquement aucun rôle dans l’obligation de verser des prestations (sur l’ensemble : ATF 134 V 109 consid. 2.1 et la référence).

Dans le cas de lésions dentaires dont l’état antérieur était pathologique au moment de l’accident, la causalité adéquate ne pourrait être niée – par analogie avec la causalité naturelle (consid. 5.1 supra) – que si l’on pouvait supposer que la dent affaiblie par un état antérieur pathologique n’aurait pas résisté, à peu près à la même période, même à une sollicitation normale. (arrêt 9C_242/2010 du 29 novembre 2010 consid. 3.3 ; cf. aussi ATF 114 V 169 consid. 3b).

Consid. 5.3
En ce qui concerne les lésions dentaires, il convient d’ajouter ce qui suit : Une dent parfaitement saine résiste à des contraintes plus fortes qu’une dent réparée, mais une dent traitée reste en règle générale tout à fait fonctionnelle pour l’acte normal de mastication. Si une telle dent ne résiste pas à une sollicitation soudaine, non intentionnelle et extraordinaire, l’hypothèse d’un accident ne peut être exclue au motif qu’une dent parfaitement intacte aurait résisté à cette sollicitation. Sont réservés les cas où la dent est tellement affaiblie qu’elle n’aurait pas non plus résisté à une sollicitation normale (sur l’ensemble : ATF 114 V 169 consid. 3b ; cf. aussi SVR 2016 UV no 17 p. 52, 8C_750/2015 consid. 5 ; arrêt 9C_639/2014 du 24 février 2015 consid. 4.1).

 

Consid. 5.4
Se pose la question de savoir si l’accident du 22.11.2021 a provoqué la fracture partielle de l’obturation dentaire et, dans l’affirmative, si la dent 47 concernée n’aurait pas résisté à une sollicitation normale au moment de l’accident. Le dossier médical se présente comme suit:

Consid. 5.4.1
Dans sa prise de position du 04.03.2022, le médecin-dentiste traitant a constaté que l’assurée avait mordu sur un caillou dans une salade. Une partie de son obturation occlusale sur la dent 47 s’est alors fracturée. Lors de la consultation du 29.11.2021, l’assurée s’est plainte de douleurs à la pression. De plus, la dent 47 était très hypersensible lors du test de vitalité. L’amalgame en composite a alors été remplacée, mais cela n’a pas donné les résultats escomptés. Malgré plusieurs applications de vernis fluoré et corrections (meulage et polissage), la douleur à la pression et la sensibilité au froid sont restées. Le 23.12.2021, la dent 47 a été extraite en raison d’une suspicion de fracture longitudinale. Le médecin-dentiste traitant a conclu à l’existence d’un lien direct entre l’accident et la lésion dentaire. Par lettre du 27.07.2022, il a en outre indiqué que l’assurée n’avait pas eu de douleurs jusqu’à l’événement du 22.11.2021, raison pour laquelle, selon lui, le lien de causalité entre l’accident et la lésion dentaire était établi.

Consid. 5.4.2
Le dentiste-conseil a quant à lui constaté dans son appréciation du 19.02.2022 que l’assurée avait des dents considérablement usées. De plus, des hypersensibilités peuvent survenir à tout moment. Les racines de la dent 47 présentaient des modifications radiologiques au niveau apical, de façon nettement délimitée, signe d’un processus chronique s’étendant sur plusieurs mois. Selon le dentiste-conseil, le lien de causalité naturelle n’est que possible. Le 01.06.2022, le dentiste-conseil a ajouté que l’assurée présentait de fortes parafonctions (grincements) [ndt : parafonctions : habitudes nuisibles à l’équilibre oro-facial et dentaire, comme par exemple le bruxisme ou l’onychophagie]. Cela est visible sur la radiographie du 06.12.2021, où les cuspides sont presque entièrement effacées par l’usure. En raison de la perte de l’émail protecteur, la dentine sensible est exposée, ce qui entraîne des sensations douloureuses lors de la mastication (irritation mécanique et chimique). En raison de la perte de substance, les obturations perdent leur rétention mécanique et s’amincissent en même temps. Il est courant qu’avec le temps, sous une charge masticatoire normale, il y ait des pertes d’obturation, des fractures d’obturation ou des pertes partielles d’obturation. En outre, l’énorme charge exercée pendant le grincement peut, avec le temps, provoquer des fissures longitudinales dans la dent. L’orthopantomographie du 23.12.2021 montre un signe clair d’un processus inflammatoire chronique qui dure depuis des années. Le processus inflammatoire dans l’os est une réaction à une stimulation du nerf. Celui-ci peut être dû à l’obturation occlusale profonde proche de la pulpe, à la dentine exposée ou à une fissure longitudinale. Les troubles qui en découlent apparaissent insidieusement. En résumé, le médecin-conseil a nié une causalité partielle de l’accident.

 

Consid. 5.5
L’assurée conteste la valeur probante des rapports du dentiste-conseil. Ainsi, il ressort certes de ses observations que la dent 47 était déjà endommagée avant l’événement du 22.11.2021. Mais même une dent assainie peut tout à fait être encore fonctionnelle pour l’acte de mastication normal (cf. consid. 5.3 supra). On ne peut pas déduire de l’évaluation du dentiste-conseil que la dent en question aurait été tellement affaiblie qu’elle n’aurait pas résisté à une sollicitation normale (mastication, grincement). Le dentiste-conseil a certes laissé entendre que la dent en question se serait abîmée tôt ou tard, même sans accident («avec le temps»), et il a supposé que le grincement pût entraîner des fissures longitudinales. Mais cela n’établit pas qu’en raison de l’état antérieur, une autre sollicitation quotidienne aurait pu provoquer la même atteinte à la santé à peu près au même moment. En outre, le dentiste-conseil ne s’est absolument pas penché sur l’accident et les forces en présence, bien qu’il faille considérer comme établi que l’assurée a mordu une pierre le 22.11.2021. L’évaluation du médecin-conseil n’est donc pas complète pour les questions litigieuses. Sa conclusion selon laquelle il n’y a pas de lien de causalité entre l’événement du 22.11.2021 et la lésion dentaire constatée n’est pas convaincante à cet égard.

Consid. 5.6
Par ailleurs, le dentiste traitant fonde son appréciation essentiellement sur le fait que l’assurée ne souffrait d’aucun trouble avant l’événement du 22.11.2021. Ce raisonnement «post hoc ergo propter hoc» n’est pas admissible dans le contexte donné (ATF 142 V 325 consid. 2.3.2.2 ; 119 V 335 consid. 2b/bb). Ces éléments ne suffisent pas en soi à prouver l’existence d’un lien de causalité.

Consid. 5.7
En résumé, le dossier médical disponible ne permet pas de déterminer de manière fiable si l’accident du 22.11.2021 a été au moins partiellement à l’origine de la lésion dentaire litigieuse et si la dent 47 était déjà tellement affaiblie avant l’accident du 22.11.2021 qu’elle n’aurait pas supporté une sollicitation normale. Les faits n’ont donc pas été établis de manière suffisante, ce qui viole la maxime inquisitoire (art. 43 al. 1, art. 61 let. c LPGA) et en même temps les règles concernant la valeur probante des rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1).

Il incombe en premier lieu à l’assureur-accidents de procéder d’office aux investigations nécessaires pour établir de manière complète les faits pertinents (art. 43 al. 1 LPGA ; ATF 132 V 368 consid. 5 ; arrêt 8C_523/2022 du 23 février 2023 consid. 5.4 et la référence). L’affaire doit donc être renvoyée à l’assurance-accidents afin qu’elle demande – après avoir obtenu le dossier médical auprès du dentiste traitant – une expertise médicale dans le cadre de la procédure selon l’art. 44 LPGA et qu’elle statue ensuite à nouveau sur le droit aux prestations de l’assurée (ATF 132 V 368 consid. 5 ; arrêt 8C_523/2022 du 23 février 2023 consid. 5.4 et la référence).

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_125/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_125/2023 (d) du 08.08.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/02/8c_125-2023)

 

Expertises médicales : des indicateurs pour mesurer la qualité

Expertises médicales : des indicateurs pour mesurer la qualité

 

Article de Roman Schleifer, Markus Braun et Michael Liebrenz paru in Sécurité sociale CHSS, consultable ici

 

En un coup d’œil

  • La Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM) a recours à six nouveaux indicateurs pour mesurer la qualité des expertises.
  • Un indicateur de qualité est une mesure qui sert à surveiller et à identifier des aspects potentiellement problématiques ; il ne permet toutefois pas de tirer des conclusions définitives.
  • Après avoir défini ces indicateurs, la COQEM établira au début de l’année 2024 des critères pour les opérationnaliser.

 

Les expertises médicales jouent un rôle central dans les assurances sociales. Rien que pour l’assurance-invalidité, plus de 11’000 expertises externes ont été réalisées en 2022 (OFAS 2023). Ces dernières années, la qualité de ces expertises a fait l’objet d’une attention croissante.

Les critiques portent en particulier sur les divergences dans l’évaluation des cas individuels, sur le manque de cohérence entre les experts et sur les lacunes dans le contrôle du respect des normes de qualité (Müller et al. 2020). Cependant, on observe aussi des évolutions positives : l’introduction de directives d’expertise par la Swiss Insurance Medicine (SIM) et par de nombreuses sociétés de discipline médicale, l’élaboration par l’OFAS de prescriptions contraignantes concernant la structure des expertises, la formulation d’exigences de qualification claires pour les experts (art. 7m OPGA) et la possibilité d’effectuer des enregistrements sonores (art. 44 al. 6 LPGA) sont autant d’éléments qui contribuent à la qualité.

Mise en place par le Conseil fédéral, la COQEM a commencé ses activités en 2022. L’une de ses tâches principales est de formuler des critères transparents pour évaluer la qualité des expertises médicales. Le fait de disposer de critères qui soient compréhensibles et intelligibles tant pour le grand public que pour les praticiens du droit ne peut que renforcer la confiance dans la qualité des expertises.

 

Comment mesurer la qualité ?

Peu après sa création, la COQEM a lancé une réflexion sur la mesure de la qualité. Elle a mis en place un groupe de travail chargé d’élaborer des indicateurs de qualité pour les expertises médicales. Ces indicateurs sont des «instruments de mesure» qui permettent de suivre et d’évaluer la qualité des expertises médicales. Ils servent à attirer l’attention sur les aspects potentiellement problématiques qui appellent un examen approfondi. L’objectif est d’améliorer la qualité des expertises, de les rendre plus transparentes pour le public et de favoriser le dialogue sur la qualité entre les mandants, les centres d’expertises et les experts.

Comme la qualité n’est pas directement mesurable, elle doit être examinée à l’aide d’exigences mesurables préalablement définies (Blumenstock 2011). Une base importante est le modèle d’Avedis Donabedian, qui mesure la qualité à l’aide des trois dimensions que sont la «structure», le «processus» et le «résultat» (Donabedian 2005). La qualité de la structure fait référence aux conditions générales de l’expertise, y compris la qualification des experts. La qualité du processus porte sur le processus d’expertise proprement dit, les aspects pertinents étant notamment l’approche méthodologique, le respect des normes et la collaboration interdisciplinaire. Enfin, la qualité des résultats fait référence au résultat final de l’expertise, par exemple le fait qu’elle soit correcte sur le plan technique et utilisable sur le plan juridique.

 

Six indicateurs de qualité

Sur la base de ce modèle, la COQEM a développé six indicateurs de qualité. Comme critères de sélection, elle a retenu l’importance de l’indicateur, la possibilité pour les experts de les influencer, la mesurabilité, les preuves scientifiques et l’intelligibilité pour le grand public (MacLean et al. 2018).

Trois indicateurs de qualité portent sur les modalités de l’examen médical et la façon d’établir l’expertise. Les trois autres se concentrent sur les résultats de l’expertise : ils examinent la précision et la fiabilité de l’appréciation de l’état de santé ou de la capacité de travail d’une personne. Ces six indicateurs de qualité sont présentés ci-dessous.

 

#1 Les délais de traitement sont courts

Il est important qu’un rapport d’expertise soit rédigé dans les meilleurs délais après l’examen médical. Des délais d’attente plus longs peuvent être une source d’incertitudes. La mémoire des détails de l’entretien peut, par exemple, se brouiller avec le temps, ce qui risque d’affecter la qualité du rapport. La situation de la personne examinée peut également changer, ce qui nuirait au caractère exhaustif du rapport. C’est pourquoi le premier indicateur de qualité mesure si les expertises ont été établies dans les 100 jours qui suivent la date de l’examen. Dans le cas des expertises bidisciplinaires ou pluridisciplinaires, on calcule la moyenne du délai pour établir les expertises partielles.

 

#2 La durée de l’entrevue de bilan est appropriée

Le deuxième indicateur détermine si la durée du bilan est proportionnelle à la complexité du cas. La durée de l’entrevue doit correspondre à la difficulté et à l’étendue des questions à aborder. Pour les cas particulièrement complexes, il est nécessaire de prolonger l’entretien, voire d’en mener plusieurs. Un entretien trop bref peut signifier que toutes les informations importantes n’ont pas été recueillies, ce qui est susceptible de conduire à une évaluation incomplète ou imprécise.

 

#3 L’équité du processus est garantie

Le troisième indicateur de qualité vérifie que les principes éthiques fondamentaux de l’entretien ont été respectés. Cela suppose que les experts expliquent clairement et de façon compréhensible le déroulement de l’examen. Ils doivent traiter la personne examinée de manière aimable et respectueuse, mais aussi lui poser toutes les questions qui doivent l’être, même si elles sont gênantes pour elle. La personne examinée doit néanmoins avoir suffisamment de temps pour parler de ses problèmes et de ses expériences.

 

#4 Les divergences avec les rapports antérieurs sont justifiées

L’expertise discute-t-elle les rapports antérieurs concernant l’état de santé, la situation professionnelle et la réadaptation de manière compréhensible ? C’est ce que mesure le quatrième indicateur. Si l’expertise actuelle diverge des diagnostics et des évaluations antérieures de la capacité de travail, l’expert doit justifier ces divergences de manière claire et compréhensible. L’absence de clarification des divergences peut conduire à une évaluation erronée de la capacité de travail. Une justification claire et compréhensible garantit l’équité et la transparence du processus d’expertise et prévient d’éventuels malentendus ou décisions erronées. Cela favorise l’acceptation du résultat.

 

#5 Les ressources, contraintes et limitations fonctionnelles sont prises en compte

Le cinquième indicateur détermine si l’expertise prend en compte et évalue de manière compréhensible les ressources, les contraintes et les limitations fonctionnelles de la personne examinée. L’évaluation de la capacité de travail doit ainsi prêter attention à l’ensemble des caractéristiques physiques et psychiques, à la personnalité et aux facteurs environnementaux pertinents d’une personne. Cela comprend aussi bien ses forces et ses capacités (ressources) que les limitations fonctionnelles liées à sa personnalité et les défis et contraintes auxquels elle peut être confrontée dans le contexte professionnel.

 

#6 La cohérence et la plausibilité sont justifiées

Enfin, le sixième indicateur vérifie que des contrôles de cohérence et de plausibilité ont bien été effectués et qu’ils sont justifiés de manière compréhensible dans le rapport d’expertise. L’évaluation des experts doit tenir compte des informations contenues dans les dossiers antérieurs, des indications fournies par la personne examinée, des plaintes et des constatations. Les contrôles de cohérence et de plausibilité consistent à examiner si les informations médicales sont concordantes et si les symptômes rapportés correspondent aux résultats des examens et aux thérapies suivies. Lorsque certaines informations sont contradictoires ou ne semblent pas logiques, il importe d’en déterminer la raison. Il est possible que ces contradictions soient dues à la maladie ou à d’autres causes. Les éventuelles contradictions doivent être documentées et discutées dans l’expertise à l’aide d’exemples concrets.

 

Projet de mesure avec évaluation par les pairs

Si les indicateurs sont clairement définis, la façon de les mesurer n’est pas encore définitivement établie. La COQEM entend procéder à cette opérationnalisation des indicateurs dans le courant de l’année 2024.

Pour cinq des six indicateurs, cette opérationnalisation prendra la forme de questions dans le cadre d’une procédure d’évaluation par les pairs. Autrement dit, des experts indépendants devront évaluer les expertises sur la base d’échantillons. En 2023, la COQEM a mené une étude pilote sur l’application de la procédure d’évaluation par les pairs. Elle publiera les questions servant à l’évaluation dans les prochains mois. Dès que les bases de la procédure d’évaluation par les pairs seront publiées, la COQEM pourra commencer à mesurer les cinq indicateurs en question. Cela devrait être le cas au plus tôt au second semestre 2024.

Le troisième indicateur, qui se concentre sur l’équité du processus, fait figure d’exception. La commission prévoit de valider une enquête auprès des assurés à l’aide d’un questionnaire portant sur la façon dont ils ont vécu la situation d’expertise (voir l’expertise de Muschalla et al. 2023). Une fois cette première enquête réalisée et évaluée, la COQEM précisera le contenu de cet indicateur. Elle décidera des étapes ultérieures dans le courant de l’année 2024.

Il est possible que la COQEM développe d’autres indicateurs de qualité après avoir réalisé des évaluations ou identifié des erreurs fréquentes. Inversement, certains indicateurs pourraient perdre de leur importance si la qualité des expertises devait s’améliorer durablement.

 

Une étape importante dans l’assurance qualité

Les indicateurs de qualité présentés par la COQEM constituent une étape importante sur la voie vers un système d’expertises médicales plus fiable et plus efficace pour les assurances sociales. Leur mise en œuvre favorise le respect des normes minimales et des directives éthiques dans le processus d’expertise, ce qui améliore également la transparence.

Si les indicateurs de qualité offrent une base pour l’assurance qualité au sein des centres d’expertises, ils permettront également de procéder à des comparaisons externes, c’est-à-dire de comparer des experts ou des centres d’expertises sous l’angle de la qualité. S’il apparaît que certains des indicateurs définis ne sont pas respectés, il sera possible de mettre en place une confrontation constructive dans un souci d’amélioration.

Dans le même temps, il est important de souligner que les indicateurs de qualité servent de point de départ pour améliorer en permanence la qualité des expertises et établir des normes de qualité. Ils ne constituent que des repères pour le respect des objectifs de qualité. Il va de soi que les lignes directrices des sociétés de discipline médicale et les prescriptions de l’OFAS pour l’établissement des expertises relevant du droit des assurances sociales priment pour la COQEM.

Si les indicateurs de qualité peuvent contribuer à la qualité des expertises, ils ne sauraient la garantir. De plus, une focalisation excessive sur ces indicateurs risque de faire perdre de vue les particularités d’une situation et d’autres aspects importants pour la qualité.

 

Bibliographie

Blumenstock, Gunnar (2011). Zur Qualität von Qualitätsindikatoren. Bundesgesundheitsblatt-Gesundheitsforschung-Gesundheitsschutz, 54(2), 154-159.

Donabedian, Avedis (2005). Evaluating the Quality of Medical Care. The Milbank Quarterly, 83(4), 691-729.

MacLean, Catherine H. ; Kerr, Eve A. ; Qaseem, Amir (2018). Time out — Charting a Path for Improving Performance Measurement. New England Journal of Medicine, 378(19), 1757-1761.

Müller Franziska ; Liebrenz, Michael ; Schleifer Roman ; Schwenkel Christof ; Balthasar Andreas (2020). Evaluation der medizinischen Begutachtung in der Invalidenversicherung. Bericht zuhanden des Generalsekretariats des Eidgenössischen Departements des Innern EDI. 10 août.

Muschalla, Beate ; Fischer, Felix ; Meier-Credner, Anne ; Linden, Michael (2023). Utilité des enquêtes auprès des personnes concernées pour l’assurance qualité des expertises médico-assurantielles, particulièrement, en termes d’équité et de satisfaction à l’égard du déroulement des expertises.

OFAS (2023). Liste publique des experts et centres d’expertises mandatés dans l’assurance-invalidité – 2022. 3 juillet.

 

Expertises médicales : des indicateurs pour mesurer la qualité, article de Roman Schleifer, Markus Braun et Michael Liebrenz paru in Sécurité sociale CHSS, consultable ici

 

Medizinische Begutachtung: Qualität anhand von Indikatoren messen, Artikel von Roman Schleifer, Markus Braun und Michael Liebrenz erschienen in Soziale Sicherheit CHSS, hier abrufbar