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8C_271/2024 (f) du 11.10.2024 – Capacité de travail exigible de 100% mais exercice de l’ancienne activité (non adaptée) à 60% – Détermination du revenu d’invalide

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_271/2024 (f) du 11.10.2024

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide pour un assuré ayant subi une amputation transtibiale / 16 LPGA

Obligation de réduire le dommage / 21 al. 4 LPGA

Capacité de travail exigible de 100% mais exercice de l’ancienne activité (non adaptée) à 60% – Détermination du revenu d’invalide

 

Assuré, né en 1962, disposant d’un CFC de ramoneur, travaillait depuis 1989 comme agent d’exploitation spécialisé auprès de l’entreprise B.__ SA. Le 03.07.2019, il a subi une chute en montagne pendant son travail, entraînant une fracture ouverte du pilon tibial de la jambe droite. Malgré plusieurs interventions chirurgicales, son état s’est détérioré, menant à une amputation transtibiale droite le 30.04.2020 en raison d’un retard de consolidation, avec pseudarthrose septique et insuffisance vasculaire.

L’assuré a été hospitalisé pour réadaptation à deux reprises, d’abord du 04.03.2020 au 30.04.2020, puis du 05.05.2020 au 07.08.2020. Une évaluation médicale effectuée le 01.10.2020 a objectivé une bonne évolution à presque cinq mois de l’amputation. Il a été relevé les limitations fonctionnelles suivantes : pas de position prolongée debout, pas de marche en terrain irrégulier ou en pente, pas de montée ou descente d’escaliers de manière fréquente, pas de port de charges de plus de 10 kg de manière fréquente et montée ou descente d’échelle très occasionnellement seulement. La marche sur les échafaudages devait être évitée et l’assuré devait pouvoir utiliser des bâtons de marche pour la marche prolongée.

Le 17.02.2021, l’employeur a proposé un poste à 65%, mais l’assurance-accidents a exprimé des doutes quant à la prise en charge des 35% restants. Le médecin-conseil a confirmé, le 01.03.2021, qu’une activité adaptée à plein temps était exigible, sous réserve de pauses régulières (minimum quatre par jour) afin de soigner le moignon.

L’assuré a commencé un travail à temps partiel le 24.05.2021 pour trois semaines, prolongé ensuite pour évaluation. À la suite de cette période, son rendement a été fixé à 40% puis à 50%.

L’état de santé de l’assuré étant stabilisé, l’assurance-accidents a mis fin au paiement des soins médicaux et des indemnités journalières avec effet au 30.09.2021 (sous réserve de contrôles médicaux et des traitements symptomatiques). Par décision du 17.09.2021, confirmée sur opposition, elle a reconnu à l’assuré le droit à une rente d’invalidité d’un taux de 25% dès le 01.10.2021. Elle a notamment déterminé le revenu d’invalide sur la base des données statistiques issues de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS). En outre, elle lui a accordé une IPAI de 35%.

L’assuré a été engagé à un taux d’activité de 60% auprès de l’entreprise B.__ SA dès le 01.10.2021.

L’office AI a accordé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.07.2020 au 31.12.2020, au motif que, dès le 16.09.2020, toute activité légère et adaptée à son état de santé était exigible de sa part, à 100%, avec un rendement normal; dès lors, elle a fixé le taux d’invalidité à 32%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 419 consid. 5.2; 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 6.2
L’assuré soutient que, durant toute la procédure administrative, l’assurance-accidents n’aurait proposé aucune autre démarche de réinsertion que celle chez son ancien employeur. Il serait donc contraire à la bonne foi de lui reprocher indirectement cette réinsertion, en lui imposant un autre emploi. À ce propos, il sied de rappeler que la réadaptation professionnelle incombe en principe aux organes de l’assurance-invalidité (cf. art. 19 al. 1 LAA et art. 15 ss LAI). En l’espèce, l’office AI a constaté qu’un droit théorique à un reclassement (art. 17 LAI) existait, dès lors que l’activité exercée auparavant n’était plus réalisable à 100%; toutefois, les conditions subjectives du droit à cette mesure n’étaient pas réalisées, parce que l’assuré souhaitait conserver son activité habituelle adaptée à 60%. Le grief soulevé par l’assuré est ainsi infondé. La cour cantonale a en outre exposé à juste titre que le principe général de l’obligation de diminuer le dommage valable en droit des assurances sociales, ancré notamment à l’art. 21 al. 4 LPGA, exige de l’assuré de mettre en œuvre tout ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui pour atténuer les conséquences de son accident (ATF 134 V 109 consid. 10.2.7; 129 V 460 consid. 4.2).

Consid. 6.3.1
Il ressort des constatations de l’arrêt attaqué et des protocoles d’entretien que l’assuré ne peut pas reprendre l’activité qu’il avait exercé auprès de B.__ SA avant l’accident à cause des limitations fonctionnelles qu’il présente. L’employeur a fait un effort pour lui attribuer des travaux qui sont adaptées à ces limitations et qu’il est encore en mesure d’accomplir. Cependant, l’employeur a souligné qu’il n’a pas la possibilité de regrouper certaines activités pour en faire une occupation à 100% en raison de l’organisation du travail et qu’il ne pourra pas toujours assurer une occupation durable de 65 à 70%. Finalement, il a engagé l’assuré dès le 01.10.2021 à un taux de 60%. Ce taux d’occupation est ainsi dû principalement à l’impossibilité pour l’employeur d’offrir à l’assuré un taux d’activité supérieur.

Consid. 6.3.2
Si une augmentation du taux d’occupation n’est pas possible selon les indications de l’employeur, le revenu correspondant à la capacité de travail résiduelle (dépassant le taux d’activité effectivement mis en œuvre), peut être déterminé, selon la jurisprudence, en fonction des donnés statistiques, pour autant qu’une telle possibilité de gain puisse être réalistement envisagée au regard du marché du travail équilibré (arrêts 9C_140/2017 du 18 août 2017 consid. 5.4; 8C_7/2014 du 10 juillet 2014 consid. 7 et 8, in SVR 2014 IV n° 37 p. 130; MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 30 ad art. 16 LPGA).

Consid. 6.3.3
En l’espèce l’employeur n’a pas pu proposer un taux d’occupation supérieur à 60%. Le maintien de cet emploi est par ailleurs justifié au vu des circonstances. En ce qui concerne le salaire exact dès le 01.10.2021, il ne figure pas au dossier, mais l’assuré admet que sa perte de gain, s’il travaille à 60% exclusivement pour B.__ SA, est de 40%. On peut ainsi partir du principe que son revenu effectif se situe à 60% du salaire de 87’075 fr. qu’il gagnait avant l’accident, soit autour de 52’245 fr. Compte tenu de l’éventail d’emplois diversifiés disponibles sur le marche équilibré du travail, la nature et l’importance des troubles présentés par l’assuré ne constituent pas des obstacles irrémédiables à la reprise d’une activité professionnelle à 40%.

Consid. 6.3.4
Par conséquent, il sied de déterminer le revenu d’invalidité sur la base du salaire que réalise l’assuré pour son activité de 60% auprès de B.__ SA et d’y ajouter un salaire hypothétique, qui est pris en compte à raison de 40%. Ce dernier se détermine sur la base de l’ESS 2018 (tableau TA1_tirage_skill_level, total homme, niveau de compétence 1, en tenant compte de l’horaire normal de travail de la branche économique et de l’évolution des salaires nominaux, soit 68’761 fr. 80, selon le calcul de l’assurance-accidents qui n’est pas remis en question par l’assuré). Pour une activité à 40%, il correspond à un montant de 27’504 fr. 70. Même en prenant en considération, par hypothèse, un abattement maximal de 25%, le revenu à prendre en considération (20’628 fr. 50), additionné à celui réalisé auprès de B.__ SA (52’245 fr.), exclurait un taux d’invalidité supérieur à celui constaté par l’assurance-accidents. Il n’en va pas différemment en prenant en considération une diminution de rendement de 10% pour tenir compte de la nécessité de faire des pauses. Il s’ensuit que le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_271/2024 consultable ici

 

8C_104/2024 (d) du 22.10.2024, destiné à la publication – Prestations de l’assurance-invalidité en cas d’obésité : adaptation de la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_104/2024 (d) du 22.10.2024, destiné à la publication

 

Arrêt 8C_104/2024 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 21.11.2024 consultable ici

 

Prestations de l’assurance-invalidité en cas d’obésité : adaptation de la jurisprudence

 

Le Tribunal fédéral adapte sa jurisprudence concernant le droit aux prestations de l’assurance-invalidité en cas d’obésité. Le fait que l’obésité soit en principe accessible à un traitement ne s’oppose ainsi plus d’emblée au droit à une rente. Il peut toutefois être attendu des personnes concernées qu’elles suivent des traitements qui peuvent raisonnablement être exigés d’elles pour remédier à l’atteinte, tels qu’une thérapie diététique ou un programme d’activité physique.

Conformément à la jurisprudence antérieure, l’obésité (surpoids important) n’entraînait en principe pas d’invalidité donnant droit à une rente. Une obésité ne relevait de l’assurance-invalidité que s’il en résultait une atteinte à la santé physique ou psychique ou si de telles atteintes en étaient la cause. Cette jurisprudence considérait en fin de compte que le surpoids important pouvait être surmonté par un effort de volonté. Cette pratique s’était développée sur la base de celle concernant les addictions. Le Tribunal fédéral a par la suite cependant adapté (suite également à la modification de sa pratique concernant les troubles dépressifs légers ou moyens) sa jurisprudence en la matière (ATF 145 V 215, communiqué de presse du 5 août 2019). Selon dite jurisprudence, il faudrait à l’avenir déterminer dans chaque cas, dans le cadre d’une procédure probatoire structurée, dans quelle mesure l’atteinte influe sur la capacité de travail de la personne assurée.

On ne voit pas de raison de maintenir la jurisprudence spécifique rendue jusqu’ici en matière d’obésité. A cet égard, il convient de tenir compte du fait que l’obésité est une maladie somatique (physique) chronique et complexe. La jurisprudence doit par conséquent être modifiée en ce sens que le fait qu’un traitement de l’obésité soit en principe possible ne s’oppose pas per se à un droit à la rente. Il convient ainsi de se demander pour chaque cas particulier dans quelle mesure la maladie restreint la capacité de travail. Bien évidemment, l’obligation de diminuer le dommage s’applique aussi en cas d’obésité. Un droit à une rente d’invalidité suppose en ce sens que la personne concernée entreprenne les traitements qui peuvent raisonnablement être exigés d’elle, tels que des thérapies diététiques, médicamenteuses ou comportementales ou encore un programme d’activité physique.

Dans le cas concret, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours d’une femme présentant une obésité de classe III et un indice de masse corporelle de 58, qui avait demandé sans succès une rente d’invalidité. Il va de soi que la recourante n’a en tous les cas pas la possibilité de retrouver immédiatement une capacité de travail à 100%. L’Office AI devra rendre une nouvelle décision ; à cet effet, des examens médicaux devront également être effectués au regard de l’obligation de réduire le dommage.

 

Arrêt 8C_104/2024 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 21.11.2024 consultable ici

 

NB : le même jour que le communiqué de presse du TF, l’office fédéral de la statistique a publié les résultats de l’enquête suisse sur la santé (communiqué de presse de l’OFS du 21.11.2024).

En 2022, 31% des personnes de 15 ans ou plus vivant en Suisse étaient en surpoids et 12% étaient obèses. La proportion de personnes présentant ces affections variait toutefois selon le groupe de population. Les hommes étaient par exemple davantage touchés que les femmes. Les personnes obèses ou en surpoids souffraient plus fréquemment de maladies cardiovasculaires, de diabète ou d’autres maladies chroniques que les personnes de poids normal. L’obésité allait en outre plus souvent de pair avec des symptômes sévères de dépression. Ce sont là quelques-uns des résultats de la nouvelle publication de l’OFS consacrée au surpoids et à l’obésité.

Selon l’OFS, le surpoids et l’obésité peuvent favoriser l’apparition de maladies chroniques, provoquer des troubles physiques et détériorer la qualité de vie des personnes atteintes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît l’obésité comme une maladie chronique complexe. Critère essentiel en la matière, le poids corporel est notamment influencé par le sexe, l’âge et le niveau de formation.

Les personnes sans formation post-obligatoire souffraient davantage de surpoids et d’obésité en 2022. Le gradient social s’est fait sentir davantage chez les femmes que chez les hommes : en tenant compte de l’âge, les hommes sans formation post-obligatoire avaient respectivement 2,4 et 1,4 fois plus de risques d’être obèses ou en surpoids que les hommes ayant achevé une formation du degré tertiaire. Les femmes sans formation post-obligatoire présentaient un risque 2,9 fois plus élevé d’être obèses et un risque 2,0 fois plus grand d’être en surpoids que les femmes titulaires d’un diplôme du degré tertiaire

Publication de l’OFS « Enquête suisse sur la santé 2022 – Surpoids et obésité » disponible ici

 

8C_663/2022 (d) du 30.11.2023 – Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / 16 LPGA

Capacité de travail exigible inférieur dans l’activité exercée mais capacité de gain supérieure – Obligation de réduire le dommage

Nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, admissible devant le Tribunal fédéral – 99 LTF

Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / 17 LPGA

Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Réduction de la rente d’invalidité à l’âge AVS et dispositions transitoires / 20 al. 2ter LAA

 

Assurée, née en 1957, travaillait à 60% comme masseuse (assurée en LAA auprès d’Helsana) et à 30% comme professeur de musique (assurée en LAA auprès d’Allianz). 1er accident le 15.09.2011 (fracture de la tête radiale droite et arrachement du tendon sus-épineux). 2ème accident le 12.12.2012 (fracture de l’humérus gauche). Entre les deux accidents, on a diagnostiqué chez elle un carcinome mammaire qui a nécessité des interventions chirurgicales et une chimiothérapie. Helsana a d’abord versé les prestations temporaires (traitement médical et indemnités journalières). Elle a mandaté le Dr E.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, pour une expertise médicale (expertise du 28.03.2014 avec complément du 26.08.2014). Pour des raisons de coordination, Allianz a ensuite pris en charge la gestion du cas et a dès lors versé les prestations temporaires. Elle a demandé au Dr E.__ une nouvelle évaluation (expertise du 14.11.2016), mais l’a ensuite rejeté et s’est basée à la place sur sa première expertise datant de 2014. Par décision du 13.11.2018, confirmée sur opposition le 04.12.2019, Allianz a mis un terme aux prestations temporaires au 31.10.2014, a nié tout droit à une rente et a accordé à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité pour une perte d’intégrité de 15% au total.

Entre-temps, l’office AI a octroyé à l’assurée, par décision du 26.09.2014, une rente entière d’invalidité dès le 01.11.2012 puis une demi-rente dès le 01.08.2013. En raison d’une péjoration de l’état de santé (récidive tumorale et aggravation d’un handicap visuel congénital) en octobre 2016, la rente AI a été augmentée à une rente entière dès le 01.01.2017 (décision du 27.03.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt VSBES.2020.14 – consultable ici)

Ayant considéré les expertises du Dr E.__ comme non probante, le tribunal cantonal a ordonné une expertise orthopédique auprès du bureau d’expertise F.__ (rapport du 05.02.2021). La cour cantonale n’ayant pas reconnu une pleine valeur probante à cette expertise, elle a demandé au Dr G.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, de procéder à une surexpertise (rapport du 20.11. 2021).

En raison des séquelles des accidents, l’activité de masseuse exercée n’était plus possible au moment de la stabilisation de l’état de santé au 01.11.2014. Pour l’activité de professeur de musique, il existait en revanche une capacité de travail de 70% (par rapport à un taux d’occupation de 100%) avec un rendement de 50% et, dans une activité adaptée (activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée seulement, par exemple dans un musée), une capacité de travail de 80% avec un rendement de 60%, soit une capacité de travail de 48%. Partant des revenus réalisés avant l’accident, calculés sur la base d’un taux d’occupation de 100%, le tribunal cantonal a calculé un revenu sans invalidité 87’432 francs. Comparé au revenu d’invalide de 25’821 fr. (ESS, niv. 1, ligne Total, capacité de travail de 48%), le taux d’invalidité a été fixé à 70%.

Par jugement du 10.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité de 70% dès le 01.11.2014, à une IPAI de 25% et a mis à charge de l’assurance-accidents Allianz les frais de l’expertise judiciaire du Dr G.__ à hauteur de 8’617 fr. 30.

 

TF

Consid. 5.2
Dans son expertise du 20.11.2021, le Dr G.__ a qualifié l’activité de professeur de musique de niveau élémentaire comme adaptée, dans une mesure d’une capacité de 70% avec un rendement de 50%.

L’expert judiciaire a mentionné trois autres activités professionnelles théoriquement possibles, qu’il a qualifiées d’adaptées aux limitations fonctionnelles. Premièrement : des conseils purs aux clients, sans sollicitation des deux épaules de toutes sortes, ou seulement pendant une courte durée, en position debout, assise ou en marchant, avec des instructions de courte durée avec les bras à hauteur du ventre ou au maximum à hauteur de la poitrine. Une telle activité serait possible en temps à hauteur de 80% avec un rendement de 50%. Deuxièmement : activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée (p. ex. surveillance dans un musée). De tels travaux sont possibles à 80% avec un rendement de 60%. Troisièmement : les activités administratives sur ordinateur, possibles à 50% avec un rendement de 50% en raison des pauses plus fréquentes dues aux douleurs. En général, une activité adaptée doit remplir les conditions suivantes : Pas de port de charges de plus de 2 kg, pas de soulèvement de charges de plus de 2 kg au-dessus de la hauteur du ventre et uniquement à proximité du corps, pas de travaux au-dessus de la hauteur maximale de la poitrine, pas d’activités nécessitant une rotation externe des deux épaules, pas d’activités répétitives et pas de maintien limité dans la même position, par exemple devant un PC.

Ainsi, selon l’expertise judiciaire, les activités de surveillance offrent la meilleure capacité de travail et de rendement. Mais l’activité de professeur de musique à 70% avec une baisse de rendement de 50% est également considérée comme une activité adaptée, ce qui est important pour le calcul de l’invalidité, comme il ressort de ce qui suit. On peut donc laissée ouverte la question de savoir si l’évaluation par l’expert de la capacité de travail pour des activités de surveillance simples est pleinement convaincante.

Consid. 6.3
Conformément à la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2).

Consid. 6.4
Il n’est pas contesté que l’assurée a continué à travailler comme professeur de musique au moment de la stabilisation de l’état de santé et de l’examen du droit à la rente (01.11.2014). Selon les indications de l’employeur (Commune d’U.__), l’assurée avait un taux d’occupation de 10 à 11 leçons entre 2014 et 2016, correspondant à un taux de 33-37% sur la base d’un temps de travail habituel de 30 leçons par semaine. Il est en outre établi que cette activité pouvait être raisonnablement exigée d’elle à partir du 25.04.2013 à raison de 70% avec une baisse de rendement de 50%. En conséquence, l’instance cantonale a constaté qu’il existait une capacité de travail de 35% (70% x 50%) pour l’activité de professeur de musique. Il ne fait aucun doute que l’emploi de professeur de musique était un rapport de travail stable. En même temps, il n’y a pas d’indices qu’une partie du salaire ait été un salaire social. Par «capacité de travail résiduelle pleinement exploitée», la jurisprudence entend ensuite que la personne assurée exploite au mieux sa capacité de travail du point de vue lucratif (arrêts 8C_590/2019 du 22 novembre 2019 consid. 5.3 et la référence ; 8C_367/2018 du 25 septembre 2018 consid. 5.3.3 ; 8C_839/2010 du 22 décembre 2010 consid. 3.6).

Tel est le cas en l’espèce, puisque l’assurée a réalisé en 2014 [ndt : année de l’examen du droit à la rente] un revenu effectif de 39’980 fr. 10 en tant que professeur de musique. En revanche, l’instance précédente entend prendre en compte un revenu hypothétique d’invalide nettement inférieur de 25’821 fr. pour une activité non qualifiée, ce qui est contraire à l’obligation de réduire le dommage applicable dans le domaine des assurances sociales (ATF 138 V 457 consid. 3.2 et les références).

 

Consid. 6.5
L’objection des intimés [ndt : héritiers de l’assurée, décédée en décembre 2022] selon laquelle l’assurance-accidents n’a à aucun moment fait valoir dans la procédure de première instance que le revenu d’invalide devait être déterminé sur la base du revenu effectivement réalisé et qu’elle ne saurait être prise en considération en raison de l’interdiction des nova n’est pas pertinente. La question de savoir si les salaires statistiques sont applicables est une question de droit librement vérifiable (arrêt 9C_566/2019 du 19 mai 2020 consid. 5.3 et la référence). Un nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, est admissible devant le Tribunal fédéral (ATF 136 V 362 consid. 4.1). L’assurance-accidents a déjà calculé le revenu d’invalidité dans sa décision du 13 .11.2018 en partant du salaire de l’assurée en tant que professeur de musique. Le calcul du revenu d’invalidité a d’ailleurs fait l’objet d’un procès devant le tribunal cantonal. Un comportement contraire à la bonne foi de l’assurance-accidents n’est ainsi pas reconnaissable, pas plus que l’existence de faits nouveaux (irrecevables).

Consid. 6.6
Si l’on se base sur le revenu d’invalidité effectivement réalisé par l’assurée en 2014 en tant que professeur de musique, soit 39’980 fr. 10, il résulte, après comparaison avec le revenu sans invalidité – non contesté – de 87’432 fr., un degré d’invalidité de 54%.

Consid. 6.7
Selon les constatations de l’instance cantonale, l’assurée a été en incapacité de travail totale à partir du 15.10.2016 pour cause de maladie (récidive du carcinome mammaire et aggravation importante du handicap visuel). Après une incapacité de travail prolongée, l’employeur a résilié le contrat de travail au 30.10. 2017.

La suppression du revenu effectivement réalisé à partir de novembre 2017 a modifié la situation professionnelle et donc l’évaluation de l’invalidité, ce qui constitue en règle générale un motif de révision (arrêt 8C_728/2020 du 23 juin 2021 consid. 3.2 et les références). En l’espèce, une incapacité de gain totale due à la maladie est toutefois survenue après le début de la rente de l’assurance-accidents, de sorte qu’il n’y avait pas de place pour une augmentation de la rente d’invalidité de l’assurance-accidents en raison d’une révision (ATF 147 V 161 consid. 5.2.5 et consid. 5.3). Par conséquent, l’incapacité de gain totale due à la maladie à partir du 15.10.2016 avec résiliation des rapports de travail au 30.10.2017 n’entraîne aucune adaptation de la rente de l’assurance-accidents, même dans le cadre de la première fixation de la rente concernée en l’espèce.

Consid. 7.2.1
Selon l’art. 36 al. 2 LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident. Toutefois, en réduisant les rentes, on ne tiendra pas compte des états antérieurs qui ne portaient pas atteinte à la capacité de gain.

L’art. 36 LAA part du principe que non seulement un accident, mais aussi d’autres causes (étrangères à l’accident) peuvent provoquer une certaine atteinte à la santé. Conformément au principe selon lequel l’assurance-accidents ne doit prendre en charge que les conséquences des accidents, l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA prévoit, entre autres, pour les rentes d’invalidité et les indemnités pour atteinte à l’intégrité, une réduction des prestations en cas d’influence de facteurs étrangers à l’accident. Le principe de causalité est cependant limité par l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA avec, pour but, de faciliter le règlement des sinistres en cas de circonstances étrangères à l’accident assuré et d’éviter que la personne assurée ne doive s’adresser à plusieurs assureurs pour le même événement. L’application de cette disposition présuppose que l’accident et l’événement non assuré ont causé ensemble une certaine atteinte à la santé (arrêt 8C_172/2018 du 4 juin 2018 consid. 4.4.2). L’ampleur de la réduction est déterminée en fonction du rôle des causes étrangères à l’accident dans l’atteinte à la santé (cf. art. 47 OLAA).

Consid. 7.2.2
L’assurance-accidents ne prétend pas, et il n’apparaît pas non plus, qu’avant les accidents de 2011 et 2012, l’assurée aurait été limitée dans sa capacité de gain en raison de douleurs à l’épaule dues à une maladie. Une réduction de la rente d’invalidité n’entre donc pas d’emblée en ligne de compte, au sens de l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA.

Consid. 7.3.1
Conformément à la jurisprudence, la deuxième phrase de l’art. 36 al. 2 LAA ne s’applique pas à l’évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, ce qui signifie que cette prestation peut être réduite en raison d’un état antérieur, même si celui-ci n’avait pas entraîné de diminution de la capacité de gain avant l’accident (SVR 2008 UV n° 6 p. 19, U 374/06 consid. 2 ; arrêts 8C_472/2022 du 18 octobre 2022 consid. 5.2 ; 8C_691/2021 du 24 février 2022 consid. 3.2 ; 8C_808/2019 du 17 juin 2020 consid. 3.1 ; 8C_192/2015 du 1er mars 2016 consid. 5.2). Dans un premier temps, l’atteinte à l’intégrité doit être évaluée globalement selon l’annexe 3 de l’OLAA ou, si nécessaire, selon les directives figurant dans les tableaux de la division médicale de la Suva. Dans un second temps, l’indemnité doit être réduite conformément à l’art. 36 al. 2 LAA, en fonction de la part causale des événements non assurés dans l’atteinte globale à l’intégrité (ATF 116 V 156 consid. 3c ; arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6).

Consid. 7.3.2
L’instance cantonale a considéré comme convaincante l’atteinte à l’intégrité fixée par l’expert judiciaire. Il en résulte une perte d’intégrité de 10% pour l’épaule droite (mobile jusqu’à 30° au-dessus de l’horizontale selon la table 1 de la Suva) et de 15% pour l’épaule gauche (mobile jusqu’à l’horizontale). Le tribunal cantonal ne s’est pas prononcé sur une éventuelle réduction en raison de causes étrangères à l’accident.

Consid. 7.3.3
Il ressort de l’expertise judiciaire que l’assurée souffrait déjà de douleurs à l’épaule avant les deux accidents de 2011 et 2012. L’expert a conclu qu’il y avait eu une rupture partielle du tendon sus-épineux tant à gauche qu’à droite. En ce qui concerne l’épaule gauche, il a parlé d’un tendon gravement endommagé. Le traitement de la fracture de l’humérus a transformé une rupture partielle de haut niveau en une rupture complète, en raison de la technique chirurgicale. A droite, l’accident du 15.09.2011 a entraîné la progression d’une rupture partielle du tendon sus-épineux, bien compensée sur le plan fonctionnel et provoquant des douleurs supportables, vers une rupture complète de ce tendon.

Consid. 7.3.4
Il est donc établi que les deux accidents ont touché des épaules présentant des atteintes préexistantes. L’expertise judiciaire ne permet toutefois pas de déterminer l’importance des causes étrangères à l’accident pour les atteintes à la santé donnant droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité. Certes, l’expert a expliqué de manière générale que les maladies étrangères à l’accident étaient systématiquement exclues de l’évaluation de la situation pertinente pour l’accident, car elles ne faisaient pas l’objet de l’expertise. Mais il n’a répondu à la question concrète concernant une atteinte à l’intégrité qu’en indiquant des pourcentages (bras droit : 10% ; bras gauche : 15%), de sorte qu’il n’est pas clair s’il a réellement exclu les lésions préexistantes ou s’il n’a pas même pas chiffré l’ensemble de l’atteinte. Etant donné qu’il incombe au médecin de constater et d’évaluer les lésions préexistantes ou autres troubles non liés à l’accident, respectivement les parts de l’indemnité globale (arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6), il n’est pas possible de juger en l’espèce si et dans quelle mesure l’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être réduite. En renonçant à des investigations supplémentaires dans ce contexte, l’instance inférieure a violé la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA). L’affaire doit être renvoyée au tribunal cantonal afin qu’il clarifie la question, le cas échéant en interrogeant l’expert judiciaire.

Dans la mesure où les intimés font valoir que l’interdiction d’invoquer des nova devant le Tribunal fédéral s’oppose à une réduction [selon l’art. 36 al. 2 LAA], on peut se référer à ce qui a été dit au consid. 6.5 supra. L’assurance-accidents est en principe libre de faire valoir pour la première fois devant le Tribunal fédéral une réduction de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité (ainsi que de la rente d’invalidité) selon l’art. 36 al. 2 LAA (ATF 136 V 362 consid. 3.4.4 et consid. 4.1 et les références). Mais comme l’assurance-accidents ne peut pas demander au Tribunal fédéral moins que ce qu’elle a elle-même accordé – dans la procédure de recours cantonale, elle a demandé la confirmation de la décision sur opposition -, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité ne peut finalement pas être inférieure à celle fixée par la décision sur opposition (15% ; ATF 136 V 362 consid. 4.2 et les références).

 

Consid. 8
Enfin, le grief de l’assurance-accidents selon lequel l’instance cantonale aurait violé l’art. 20 al. 2ter let. a LAA en accordant à l’assurée une rente non réduite même après l’âge ordinaire de la retraite est infondé. En effet, la deuxième phrase de l’al. 2 des dispositions transitoires de la modification du 25 septembre 2015 stipule explicitement que la rente n’est pas réduite si la bénéficiaire de la rente atteint l’âge ordinaire de la retraite moins de huit ans après l’entrée en vigueur. L’art. 20 al. 2ter LAA est entré en vigueur le 01.01.2017 et l’assurée a atteint l’âge ordinaire de la retraite en 2021, soit moins de huit ans avant l’entrée en vigueur du nouveau droit. L’instance inférieure n’a donc pas violé le droit fédéral en renonçant à une réduction de la rente.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_663/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/01/8c_663-2022)

 

8C_43/2023 (d) du 29.11.2023 – Atteinte à la santé invalidante – 4 LAI – 7 LPGA – 16 LPGA / Concept biopsychosocial de la maladie pas applicable en droit des assurances sociales – Exclusion des facteurs psychosociaux et socioculturels

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_43/2023 (d) du 29.11.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Atteinte à la santé invalidante / 4 LAI – 7 LPGA – 16 LPGA

Concept biopsychosocial de la maladie pas applicable en droit des assurances sociales – Exclusion des facteurs psychosociaux et socioculturels

Procédure probatoire structurée selon l’ATF 141 V 281

 

Assuré, né en 1986, a déposé en septembre 2019, invoquant des troubles psychiques («trouble bipolaire, actuellement dépressif, accentuation de la personnalité [paranoïaque, obsessionnelle], diagnostic différentiel de trouble de la personnalité»]). Après instruction et expertise médicale psychiatrique, l’office AI a nié tout droit à des prestations en l’absence d’atteinte à la santé psychique invalidante.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.218 – consultable ici)

Selon l’expertise médicale psychiatrique, mise en œuvre selon l’art. 44 LPGA et ayant valeur probante, aucun trouble psychique n’était diagnostiqué chez l’assuré. Les troubles trouvaient une explication suffisante dans des facteurs psychosociaux, ne pouvant être pris en compte dans l’assurance-invalidité. Selon la cour cantonale, l’assuré disposait d’une capacité de travail totale dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée. Il a été renoncé à un examen séparé des indicateurs selon l’ATF 141 V 281.

Par jugement du 07.12.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
L’assuré ne peut être suivi lorsqu’il estime la situation juridique concernant la notion de maladie applicable et qu’il faudrait (également) partir, dans le droit des assurances sociales, du concept biopsychosocial de la maladie utilisée en médecine. Au contraire, pour l’évaluation de l’incapacité de travail en droit des assurances sociales, il est essentiel que, d’une part, l’incapacité de gain en raison d’une atteinte à la santé (art. 4 al. 1 LAI) et, d’autre part, le chômage non assuré ou d’autres situations de vie pénibles ne se confondent pas (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 avec référence à l’ATF 127 V 294 consid. 5a ; cf. aussi ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; arrêt 9C_311/2021 du 23 septembre 2021 consid. 4.2). L’invalidité présuppose donc toujours un substrat médical, qui doit être constaté de manière probante par un médecin (spécialisé) et dont il est prouvé qu’il affecte de manière importante la capacité de travail et de gain. Ce principe ancré dans l’art. 7 al. 2 LPGA a été concrétisé par le Tribunal fédéral dans le contexte des affections psychiques et psychosomatiques dans et depuis l’ATF 141 V 281 sur la base de la procédure probatoire structurée. L’application du concept global de maladie biopsychosociale demandée par l’assuré doit être rejeté, celui-ci n’étant pas juridiquement déterminante dans le cadre de l’incapacité de travail au sens de l’art. 6 LPGA (ATF 143 V 418 consid. 6 ; cf. aussi : ATF 141 V 574 consid. 5.2 ; arrêts 8C_407/2020 du 3 mars 2021 consid. 4.2 ; 8C_207/2020 du 5 août 2020 consid. 5.2.2). Ainsi, l’affirmation de l’assuré selon laquelle, avec l’ATF 141 V 281, un changement de jurisprudence a eu lieu en ce qui concerne l’application (ou la non-application) de la notion biopsychosociale de maladie, qui n’a simplement pas été mise en œuvre de manière cohérente depuis lors, est vaine.

Consid. 5.2
Par conséquent, le recours portant principalement sur des facteurs psychosociaux et socioculturels, ceux-ci doivent être exclus dans la mesure où il s’agit de décrire les aspects assurés déterminants pour l’évaluation de la capacité de travail. En d’autres termes, les facteurs sociaux ne sont pas pris en compte dès lors qu’ils entraînent des conséquences fonctionnelles négatives directes (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 et 3.4.2.1). Un trouble ayant valeur de maladie, respectivement une problématique de dépendance, doit par conséquent – et également selon la nouvelle jurisprudence – être d’autant plus prononcé que des facteurs psychosociaux et socioculturels influencent fortement le tableau clinique (cf. parmi d’autres : ATF 145 V 215 consid. 6.3 avec référence à l’ATF 127 V 294 consid. 5a ; arrêt 9C_140/2014 du 7 janvier 2015 consid. 3.3). Certes, les troubles psychiques ayant valeur de maladie et les aspects psychosociaux et socioculturels se recoupent fréquemment. Mais il convient d’examiner, dans le cadre de la procédure probatoire structurée introduite par l’ATF 141 V 281, si l’on est en présence d’une atteinte à la santé devenue indépendante, en évaluant les circonstances concernées et leur évolution en tant que ressources ou difficultés dans les ensembles « personnalité » et « contexte social » (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2 s.) (cf. parmi d’autres : ATF 143 V 409 consid. 4.5.2 ; arrêts 9C_10/2021 du 15 juin 2021 consid. 3.3.1 ; 8C_559/2019 du 20 janvier 2020 consid. 3.2 ; 8C_407/2020 du 3 mars 2021 consid. 4.1). Contrairement à l’avis de l’assuré, il n’est pas possible de tirer une conclusion directe du diagnostic médical sur la capacité de travail, même si et dans la mesure où des facteurs psychosociaux et socioculturels ont été constatés par le médecin. Par conséquent, il n’y a pas non plus de place pour l’application de la notion biopsychosociale de maladie dans cette constellation spécifique. En outre, il ne faut pas oublier qu’il est possible de renoncer totalement à une procédure probatoire structurée lorsqu’elle n’est pas nécessaire ou appropriée. Tel est par exemple le cas lorsque, sur la base du dossier, il n’existe aucun indice d’une incapacité de travail de longue durée (art. 28 al. 1 let. b LAI) ou qu’une telle incapacité est niée de manière motivée dans les rapports médicaux spécialisés probants et que d’éventuelles évaluations contraires n’ont pas de valeur probante en raison d’un manque de qualification des médecins spécialistes ou pour d’autres raisons (ATF 143 V 409 consid. 4.5.3 et 418 consid. 7.1). Des raisons objectives sérieuses pour une modification de cette jurisprudence (concernant les conditions : ATF 145 V 304 consid. 4.4 ; 141 II 297 consid. 5.5.1 ; 137 V 417 consid. 2.2.2), comme le demande l’assuré, ne sont pas manifestes.

 

Consid. 6.1
Sur la base des principes qui viennent d’être évoqués, la cour cantonale a motivé de manière exempte d’erreur en droit pourquoi l’expertise psychiatrique était convaincante en tous points. L’instance cantonale s’est penchée sur le reproche selon lequel l’expert psychiatrique n’aurait à tort pas déterminé une atteinte à la santé psychique invalidante en raison des facteurs psychosociaux existants et de l’abus de substances antérieur de l’assuré. L’assuré oppose uniquement et à nouveau son propre point de vue concernant le concept de maladie biopsychosociale qu’il considère comme applicable, se limitant à tirer des conclusions contraires à la pratique établie (cf. consid. 5 supra). […]

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_43/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_43/2023 (d) du 29.11.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/01/8c_43-2023)

 

9C_327/2022 (d) du 10.10.2023 – Notion d’invalidité – Caractère invalidant d’un trouble de la santé – 4 LAI / Possibilité de traiter une affection ne s’oppose pas à la survenance d’une invalidité donnant droit à une rente

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_327/2022 (d) du 10.10.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion d’invalidité – Caractère invalidant d’un trouble de la santé / 4 LAI

Possibilité de traiter une affection ne s’oppose pas à la survenance d’une invalidité donnant droit à une rente

 

Assuré, né en 1989. 1e demande AI le 03.01.2016 en raison de migraines chroniques. Refus par décision du 15.09.2016. Nouvelle demande déposée le 17.01.2018 : décision de non-entrée en matière (16.05.2018).

3e demande AI déposée le 03.07.2018. Mise en œuvre d’investigations médicales et professionnelles. Expertise bidisciplinaire (psychiatrique et neurologique). Décision de refus de prestations AI en date du 08.12.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.8 – consultable ici)

Par jugement du 01.06.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
En procédant à une appréciation globale du dossier médical, mais en se fondant en particulier sur l’expertise bidisciplinaire, le tribunal cantonal a constaté que l’assuré était toujours en mesure d’exercer son activité habituelle à 75%. Ce faisant, le tribunal a suivi les explications de l’expert neurologue selon lesquelles seuls les maux de tête liés à la migraine et survenant jusqu’à cinq jours par mois devaient être reconnus comme invalidants. En revanche, les céphalées de premier plan induites par une surconsommation de médicaments ne doivent pas être prises en compte, car elles peuvent être traitées par un sevrage raisonnablement exigible.

Consid. 4.2
Comme l’assuré le fait valoir à juste titre, l’expert neurologue, et à sa suite la cour cantonale, partent d’une notion trop étroite de l’invalidité. Le Tribunal fédéral a affirmé à plusieurs reprises, en se référant à l’ATF 127 V 294 consid. 4c, que dans l’assurance-invalidité, la possibilité de traiter une affection ne s’oppose pas – de manière absolue – à la survenance d’une invalidité donnant droit à une rente (cf. par exemple les arrêts 8C_222/2017 du 6 juillet 2017 consid. 5.2 ; 9C_682/2016 du 16 février 2017 consid. 3.2 ; 8C_349/2015 du 2 novembre 2015 consid. 3.1). En effet, la possibilité de traitement en tant que telle ne dit rien sur le caractère invalidant d’un trouble de la santé. Une limitation de la capacité de gain doit être prouvée et son étendue déterminée dans chaque cas particulier, indépendamment de la classification diagnostique d’une affection et en principe sans égard à l’étiologie. La question déterminante est de connaître la capacité de travail exigible de la personne assurée, ce qui s’évalue selon des critères essentiellement objectifs (ATF 143 V 409 consid. 4.2.1). Dans la mesure où la jurisprudence s’écartait de ces principes pour certains types de troubles psychiques, le Tribunal fédéral a abandonné cette pratique dans l’ATF 143 V 409. La naissance du droit à une rente d’invalidité présuppose donc toujours et uniquement qu’une incapacité de travail d’au moins 40% ait existé pendant une année (sans interruption notable) et qu’une incapacité de gain fondant le droit subsiste. Un refus ou une réduction des prestations au motif que l’assuré n’épuise pas les ressources thérapeutiques nécessite une procédure conforme à l’art. 21 al. 4 LPGA.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_327/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_327/2022 (d) du 10.10.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/12/9c_327-2022)

 

9C_465/2022 (f) du 01.03.2023 – Trouble de l’adaptation en réaction à une pathologie organique – Pas considéré comme une maladie de longue durée / Pas d’influence d’une reconnaissance par les autorités espagnoles d’une « incapacité permanente absolue » – Degré d’invalidité déterminé exclusivement d’après le droit suisse

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_465/2022 (f) du 01.03.2023

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande de prestations AI après précédents refus / 17 LPGA – 87 RAI

Trouble de l’adaptation en réaction à une pathologie organique (CIM-10 F43.2) – Pas considéré comme une maladie de longue durée et potentiellement invalidante

Pas d’influence d’une reconnaissance par les autorités espagnoles d’une « incapacité permanente absolue » – Degré d’invalidité déterminé exclusivement d’après le droit suisse

 

Assurée, ressortissante espagnole née en 1957, a travaillé (à temps partiel) comme couturière à Bâle jusqu’à la fin du mois de mai 1995. A la suite d’un premier refus de prestations de l’assurance-invalidité en 2002, l’assurée, entre-temps retournée dans son pays d’origine, a déposé une nouvelle demande en mars 2004. Celle-ci a été rejetée par l’office AI (décision du 01.07.2005, confirmée sur opposition le 03.03.2006 et par arrêt du TAF en 2008 et du TF en 2009 [arrêt 9C_486/2008]). En bref, il a considéré que l’assurée avait un statut mixte de personne active (à 91%) et de ménagère (à 9%), qu’il n’y avait pas d’incapacité de travail pour la part relative à l’exercice d’une activité professionnelle et que l’intéressée présentait un empêchement de 22% dans l’accomplissement des travaux ménagers; il en résultait un taux d’invalidité de 2%, insuffisant pour ouvrir le droit à une rente.

En novembre 2017, l’assurée a présenté une troisième demande de prestations. Après avoir notamment soumis les rapports des médecins traitants de l’assurée à son Service médical, l’office AI a rejeté la demande, par décision du 14.01.2019. Il a considéré que l’exercice d’une activité lucrative à temps partiel et l’accomplissement des travaux habituels étaient toujours exigibles dans une mesure suffisante pour exclure le droit à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt C-950/2019 – consultable ici)

Par jugement du 12.08.2022, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 5.2
Contrairement à ce qu’allègue en premier lieu l’assurée, il n’est pas contesté qu’elle est atteinte de fibromyalgie et d’importantes autres pathologies. La juridiction de première instance a en effet rappelé qu’elle avait déjà constaté que l’intéressée souffrait notamment de polyarthrose modérée, d’une scoliose dorso-lombaire et d’une fibromyalgie dans l’arrêt qu’elle avait rendu le 22 avril 2008 et que ses constatations avaient été confirmées par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_486/2008 du 8 janvier 2009 consid. 3). Par ailleurs, en ce qu’elle croit pouvoir déduire du seul fait qu’elle serait atteinte d’une maladie psychique le droit à des prestations de l’assurance-invalidité, l’assurée méconnaît la notion d’invalidité. L’élément déterminant réside bien plutôt dans le point de savoir si sa capacité de travail est, d’une façon ou d’une autre, entravée par des troubles psychiques ou par d’autres troubles somatiques. Or toute son argumentation s’épuise dans la démonstration – vaine, en l’absence d’incapacité de travail attestée – qu’elle est atteinte d’une maladie psychique.

Consid. 5.3
C’est également à tort que l’assurée se prévaut d’une nouvelle atteinte à la santé sous la forme d’un trouble de l’adaptation en réaction à une pathologie organique (CIM-10 F43.2). Cette atteinte à la santé ne peut en effet pas être considérée comme une maladie de longue durée et donc potentiellement invalidante (cf. arrêts 9C_210/2017 du 2 mai 2017 consid. 3.2; 9C_87/2017 du 16 mars 2017 et la référence), comme l’ont dûment exposé les premiers juges.

Consid. 5.5
C’est finalement en vain que l’assurée se prévaut d’une « problématique d’engrenage des conceptions de la typologie de la fibromyalgie et [du] syndrome de fatigue chronique entre l’Espagne et la Suisse » et qu’elle se réfère à une décision rendue le 22.12.2006 par un magistrat « del Jutjat Social nùméro 25 de Barcelona » (par laquelle elle a été reconnue « en situation d’incapacité permanente absolue » et mise au bénéfice de la prestation correspondante), ainsi qu’à une décision du 07.07.2008 du « Tribunal superior de justìcia Catalunya sala social » (par laquelle il a admis le recours formé contre la décision du 22.12.2006 par l’Institut national de la Sécurité sociale espagnole). Indépendamment de la question de leur recevabilité selon l’art. 99 al. 1 LTF, ces pièces ne sont en effet pas pertinentes pour l’issue du présent litige, parce que la reconnaissance par les autorités espagnoles compétentes d’une « incapacité permanente absolue » n’aurait pas d’influence sur l’examen du droit à une rente de l’assurance-invalidité suisse. Au consid. 1.2 de l’arrêt 9C_486/2008, le Tribunal fédéral a en effet déjà rappelé à l’assurée que le degré d’invalidité d’un assuré qui prétend une telle prestation est déterminé exclusivement d’après le droit suisse, même lorsque, comme en l’espèce, les dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) sont applicables à la contestation devant les autorités suisses (ATF 130 V 253 consid. 2.4).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_465/2022 consultable ici

 

9C_573/2021 (f) du 17.10.2022 – Aide en capital de l’assurance-invalidité – 18d LAI – 7 RAI / Le marché équilibré de l’emploi divers postes non liés à un lieu de travail précis et permettant ainsi de travailler principalement à domicile

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_573/2021 (f) du 17.10.2022

 

Consultable ici

 

Aide en capital de l’assurance-invalidité / 18d LAI – 7 RAI

Le marché équilibré de l’emploi divers postes non liés à un lieu de travail précis et permettant ainsi de travailler principalement à domicile

 

Assurée, née en 1977, titulaire d’un CFC d’employée de commerce obtenu en 1997, a été victime d’un accident de la circulation en septembre 1998. L’office AI lui a alloué une rente de l’assurance-invalidité du 01.09.1999 au 30.04.2001, puis dès le 01.03.2003. La quotité de la rente (demie ou entière) a varié au cours des années; elle s’élevait à une demie depuis le 01.04.2017.

Le 14.08.2018, l’assurée a annoncé une rechute (survenue le 07.06.2018) à l’office AI et a sollicité la révision de son droit à la rente. Elle a produit notamment une expertise orthopédique du 13.09.2018 établie sur mandat de l’assureur-accidents. Par décision du 16.05.2019, l’administration a refusé d’entrer en matière sur la demande de révision.

Entre-temps, le 21.03.2019, l’assurée a requis l’octroi d’une aide en capital, ce que l’office AI a refusé (décision du 13.08.2019).

 

Procédure cantonale

Par jugement du 30.09.2021, rejet des deux recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le litige porte sur le droit de l’assurée à une aide en capital de l’assurance-invalidité. L’assurée ne conteste pas l’arrêt cantonal en tant que la juridiction cantonale a confirmé le refus de l’intimé d’entrer en matière sur la demande de révision présentée le 14.08.2018.

Consid. 4.2
Le jugement entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs au droit à une aide en capital (art. 18d LAI) et aux conditions de ce droit, en particulier à la condition selon laquelle on ne saurait raisonnablement exiger de l’assuré qu’il exerce une activité dépendante (art. 7 RAI; arrêt I 122/01 du 5 mars 2002 [VSI 2002 p. 185]; RCC 1969 p. 289 consid. 1; cf. aussi le ch. 6004 de la Circulaire de l’Office fédéral des assurances sociales [OFAS] sur les mesures de réadaptation d’ordre professionnel [CMRP], valables dès le 1er janvier 2014). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 5.2
Contrairement à ce que soutient l’assurée, dans leur rapport du 13.09.2018, les médecins-experts n’ont pas indiqué que seul l’exercice d’une activité indépendante à 50% était exigible. S’ils ont mentionné que l’assurée présentait une capacité résiduelle de travail de 50% dans une activité indépendante avec des horaires de travail flexibles, selon l’état individuel du jour, ils ont constaté que l’activité habituelle d’employée de bureau constituait également une activité adaptée. Comme l’a retenu de manière circonstanciée la juridiction cantonale, les experts ont en effet indiqué qu’une activité légère, en position assise, telle que l’ancienne activité d’employée de commerce était exigible de l’assurée à un taux de 50% et moyennant un horaire de travail flexible permettant de tenir compte de ses besoins individuels. A l’inverse de ce qu’affirme l’assurée, les juges cantonaux ne se sont donc pas fondés uniquement sur des documents établis dans le cadre des mesures d’ordre professionnel qu’elle avait suivies (en 2014 et 2017) pour admettre qu’elle conservait une capacité résiduelle de travail de 50% dans son activité habituelle d’employée de commerce.

Consid. 5.3
Quant à l’argumentation de l’assurée selon laquelle il paraît irréaliste qu’un employeur accepte d’engager une personne comme elle « travaillant depuis son domicile, à temps partiel et sans aucune garantie de pouvoir compter sur elle certains jours, donc sans aucune possibilité de planifier le travail », elle n’est pas non plus fondée.

En premier lieu, selon les constatations de la juridiction cantonale, l’activité adaptée exigible correspond à celle d’employée de commerce à 50% avec des horaires de travail flexibles en fonction des besoins de l’assurée; il n’est nullement question d’un emploi qui devrait être exercé exclusivement à domicile. L’instance cantonale a ensuite retenu de manière convaincante que le marché équilibré de l’emploi (sur cette notion, cf. arrêt 9C_248/2018 du 19 septembre 2018 consid. 6.2) englobe, notamment dans le secteur commercial, divers postes non liés à un lieu de travail précis et permettant ainsi de travailler principalement à domicile. Par ailleurs, des postes permettant de faire une pause régulièrement en cas de besoin existent également sur ce marché et le fait qu’il faille s’attendre à l’avenir aussi à des phases d’incapacité de travail passagère ne change rien à cette situation (cf. arrêt 9C_366/2021 du 3 janvier 2022 consid. 4.3).

Consid. 5.4
En définitive, compte tenu de l’exigibilité d’une capacité (résiduelle) de travail de 50% dans l’activité habituelle adaptée d’employée de commerce, l’assurée ne remplit pas l’une des conditions cumulatives du droit à une aide au placement (consid. 4.2 supra). Partant, c’est sans arbitraire et de manière conforme au droit que la juridiction cantonale a confirmé la décision administrative du 13.08.2019.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_573/2021 consultable ici

 

Obligation de réduire le dommage pour les assurés de l’AI

Article paru le 24.11.2022 dans Sécurité sociale CHSS, consultable ici

Article de Katrin Jentzsch

 

Dans deux circulaires de l’assurance-invalidité, l’Office fédéral des assurances sociales donne plus de poids aux conditions pour les traitements médicaux dans le contexte de l’obligation de réduire le dommage. Un rapport de recherche est à l’origine de cette évolution.

 

Selon la législation suisse sur les assurances sociales, un assuré doit entreprendre tout ce qui peut être raisonnablement exigé de lui pour réduire la durée et l’étendue de l’incapacité de travail et pour empêcher la survenance d’une invalidité (art. 21 al. 4 LPGA, art. 7 et 7b LAI). Dans le cadre de cette obligation de réduire le dommage, il doit participer activement à des mesures de réadaptation et suivre des traitements médicaux afin d’améliorer sa capacité de gain ou sa faculté d’accomplir ses travaux habituels et de permettre une réadaptation correspondante.

Les offices AI cantonaux ont en outre la possibilité de lier l’octroi de prestations de l’AI à des conditions visant à réduire le dommage. Par exemple, ils peuvent exiger d’un assuré qu’il prenne en charge des traitements médicaux conformément à la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal). Ils doivent pour cela tenir compte de ce qui est raisonnablement exigible. L’objectif de telles conditions visant à réduire le dommage est de contribuer à la réussite des mesures de réadaptation et de renforcer la capacité de réadaptation grâce à la stabilisation ou à l’amélioration de l’état de santé. Dans l’idéal, le recours à cet instrument permet d’éviter une incapacité de gain (Bolliger et al. 2020).

 

L’étude de 2020 recommande des conditions ciblées

Jusqu’à présent, le recours à des conditions visant à réduire le dommage a été relativement rare dans la pratique de l’AI. C’est ce que montre une étude réalisée en 2020 par le bureau Vatter et la Haute école spécialisée bernoise sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). De plus, la pratique des offices AI en la matière était très variable. Lorsque l’atteinte à la santé était due à une addiction, la condition d’une obligation de sevrage était imposée avant même l’examen du droit aux prestations. Toutefois, cette condition était plutôt rare et, dans la perspective actuelle, elle n’intervenait pas au bon moment de la procédure AI. En effet, depuis l’arrêt du Tribunal fédéral qui a fait jurisprudence en 2019, les offices AI sont tenus de soumettre les limitations fonctionnelles des personnes souffrant d’addictions, comme celles de tout autre assuré, à une procédure structurée d’administration des preuves, sans qu’il faille remplir des conditions préalables (ATF 145 V 215, ch. 1104 ss CIRAI).

L’étude a en outre montré que, pendant la phase de réadaptation, les conditions pour des traitements médicaux qui auraient pu soutenir la mise en œuvre de mesures de réadaptation ont été plutôt rarement exigées. Elles l’ont été un peu plus souvent lors de l’octroi d’une rente. Mais elles ont alors été manifestement imposées à un stade trop tardif de la procédure AI, car, bien qu’elles aient été suivies, elles n’ont pas eu l’effet escompté sur la capacité de gain et donc sur le taux d’invalidité.

 

L’OFAS vise une pratique uniforme

Avec la circulaire sur la procédure dans l’assurance-invalidité (CPAI), remaniée à l’occasion de la mise en œuvre du Développement continu de l’AI, et la nouvelle circulaire sur la gestion de cas dans l’assurance-invalidité (CGC), l’OFAS a repris les recommandations formulées dans l’étude. L’objectif est d’uniformiser la procédure des offices AI et de renforcer, dès la phase de réadaptation, les conditions pour les traitements médicaux dans le cadre de l’obligation de réduire le dommage.

La CPAI règle la procédure formelle à suivre en cas de conditions pour des traitements médicaux, par exemple en ce qui concerne le caractère raisonnablement exigible, l’injonction écrite au moyen d’une communication, la procédure de mise en demeure et de délai de réflexion ou la proportionnalité d’éventuelles sanctions.

La CGC décrit, quant à elle, la gestion uniforme et continue des cas tout au long de la procédure AI et met plus particulièrement l’accent sur la réadaptation. Elle précise que, dans le contexte de l’obligation de réduire le dommage, il faut toujours examiner dans quelle mesure des traitements médicaux au sens de la LAMal – supplémentaires ou non considérés jusqu’ici – peuvent raisonnablement contribuer, avant ou parallèlement à des prestations de l’AI, à stabiliser ou à améliorer l’état de santé de l’assuré et augmenter sa capacité de réadaptation. L’objectif est de pouvoir réduire une incapacité de gain et une éventuelle rente. Cet examen devrait être effectué le plus tôt possible, avec la participation des médecins traitants ou du Service médical régional (SMR). Il est préférable qu’il ait lieu dès qu’il est question de mettre en place des mesures de réadaptation.

Dans certains cas, on pourrait par exemple examiner dans quelle mesure l’effet stabilisateur d’une psychothérapie pourrait soutenir des mesures de réadaptation et lutter à temps contre le risque qu’une affection devienne chronique. Des études antérieures (par ex. Baer et al. 2015) avaient déjà souligné que, dans le cas de certaines maladies psychiques, un poids plus important devrait être accordé au traitement médical ou thérapeutique dans le cadre des efforts de réadaptation.

 

Accompagnement continu et vérification des objectifs

Dans le contexte de la gestion de cas et de l’accompagnement de l’assuré, il convient, comme pour les mesures de réadaptation de l’AI, de procéder à une vérification permanente des objectifs en lien avec la condition prescrite. L’objet de cette vérification n’est pas seulement de savoir dans quelle mesure le traitement médical est effectivement suivi, mais aussi s’il est pertinent et s’il a de réelles chances de succès à moyen terme. Par conséquent, les objectifs de réadaptation, les mesures de réadaptation en cours et les conditions pour les traitements médicaux peuvent être modifiés ou faire l’objet d’essais répétés s’il apparaît qu’ils n’atteignent pas leur but ou qu’ils dépassent manifestement les capacités des assurés.

La retenue est de mise en ce qui concerne les sanctions pendant la phase de réadaptation. La menace de sanctions au moyen d’une procédure de mise en demeure et de délai de réflexion n’est indiquée que lorsqu’un assuré ne participe manifestement pas aux mesures et aux traitements sous la forme souhaitée. Il convient néanmoins de renoncer à des sanctions si l’absence de participation à un traitement médical prescrit n’affecte pas les progrès réalisés dans l’exécution des mesures de réadaptation.

 

Un numéro d’équilibriste

Le succès de la réadaptation dépend en partie de la relation de confiance qu’il est possible d’instaurer entre l’assuré et la personne chargée de la gestion du cas. Dans le même temps, l’office AI est parfois tenu d’imposer des conditions et de les contrôler. Ce numéro d’équilibriste est sans doute l’une des raisons pour lesquelles le recours aux conditions pour les traitements médicaux n’a joué par le passé qu’un rôle plutôt secondaire dans le processus de réadaptation. Il n’en demeure pas moins que les offices AI devraient envisager de telles conditions dès cette phase de la procédure si cela permet d’augmenter les chances de succès de la réadaptation.

Il reste à voir comment les offices AI les mettront en œuvre et si un recours accru aux conditions pour les traitements médicaux sera concluant dans le processus de réadaptation. À partir de 2023, cette question sera notamment examinée, dans le cadre de l’« évaluation du développement continu de l’AI », au moyen d’un projet de recherche consacré à la mise en œuvre de la gestion de cas.

 

En un coup d’œil

  • Dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme du Développement continu de l’assurance-invalidité, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, l’Office fédéral des assurances sociales a précisé la pratique relative à la prescription de conditions pour les traitements médicaux dans le contexte de l’obligation de réduire le dommage.
  • L’objectif est d’uniformiser la procédure des offices AI lors du recours à cet instrument.
  • La circulaire sur la procédure dans l’assurance-invalidité (CPAI) a été remaniée ; la (nouvelle) circulaire sur la gestion de cas dans l’assurance-invalidité (CGC) souligne que les conditions pour les traitements médicaux doivent, si possible, être envisagées déjà lors de la phase de réadaptation.

 

Bibliographie

Baer, Niklas ; Altwicker-Hámori, Szilvia ; Juvalta, Sibylle ; Frick, Ulrich ; Rüesch, Peter (2015). Profile von jungen IV-Neurentenbeziehenden mit psychischen Krankheiten. Étude commandée par l’OFAS. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche no 19/15.

Bolliger, Christian ; Champion, Cyrielle ; Gerber, Michèle ; Fritschi, Tobias ; Neuenschwander, Peter ; Kraus, Simonina ; Luchsinger, Larissa ; Steiner, Carmen (2020). Auflagen zur Schadenminderungspflicht in der Invalidenversicherung. Étude commandée par l’OFAS. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche no 1/20.

 

 

 

Katrin Jentzsch, Obligation de réduire le dommage pour les assurés de l’AI, in Sécurité Sociale CHSS, 24.11.2022, disponible ici

Katrin Jentzsch, IV-Versicherte müssen Schaden mindern, in Soziale Sicherheit CHSS, 24.11.2022, hier verfügbar

(non esiste una versione italiana dell’articolo)

 

9C_663/2020 (f) du 11.08.2021 – Décision d’octroi à titre rétroactif d’une rente limitée dans le temps – 17 LPGA / Assurée proche de l’âge de la retraite (moins d’une année de l’âge ouvrant le droit à une rente AVS)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_663/2020 (f) du 11.08.2021

 

Consultable ici

 

Décision d’octroi à titre rétroactif d’une rente limitée dans le temps / 17 LPGA

Assurée proche de l’âge de la retraite (moins d’une année de l’âge ouvrant le droit à une rente AVS)

 

Titulaire d’un certificat fédéral de capacité (CFC) d’employée de commerce et d’un certificat d’assistante en gestion du personnel, l’assurée, née en janvier 1956, a travaillé comme gestionnaire de dossiers à 100% auprès d’un hôpital depuis le 01.09.1983. Après plusieurs arrêts de travail, notamment à 100% depuis le 11.01.2017, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 25.07.2017.

L’office AI a procédé aux investigations usuelles et mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Lors de l’évaluation consensuelle, les médecins experts ont diagnostiqué des troubles dépressifs récurrents (épisode actuel léger sans syndrome somatique), des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool (syndrome de dépendance, utilisation continue), une agoraphobie avec trouble panique, une personnalité évitante, une polyneuropathie sensitive des membres inférieurs, un éthylisme chronique, une hypertension artérielle, un emphysème et des lombalgies sans sciatalgies associées (mises en relation avec la présence d’une hernie discale). Selon les médecins, l’assurée présentait une capacité de travail nulle d’un point de vue psychique depuis le 11.01.2017; à compter du 26.09.2018, elle disposait d’une capacité de travail de 100% dans son activité habituelle, avec la mise en place d’une aide au placement. Par décision du 20.01.2020, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité du 01.01.2018 au 31.12.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 54/20 – 319/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu que les troubles diagnostiqués n’avaient eu que des répercussions temporaires sur la capacité de travail de l’assurée et qu’ils s’étaient amendés sous traitement. L’assurée était par conséquent dotée d’une capacité de travail entière dans son activité habituelle d’employée de commerce à compter du 26.09.2018. Les juges cantonaux ont considéré qu’il ne s’agissait dès lors pas de déterminer si elle avait des chances de retrouver un emploi adapté à son handicap, puisqu’elle bénéficiait d’une capacité de travail entière adaptée dans son activité habituelle. Dès lors, il n’y avait pas lieu d’examiner son cas à l’aune de la jurisprudence relative aux assurés proches de l’âge de la retraite. Au demeurant, les juges cantonaux ont relevé que l’assurée était titulaire d’un CFC d’employée de commerce depuis 1975 et qu’elle avait été en mesure de décrocher un certificat d’assistante en gestion du personnel en 2010, ce qui démontrait assurément des ressources professionnelles et une faculté d’adaptation à de nouvelles exigences. Le domaine d’activités concerné était par ailleurs un secteur où les postes de travail étaient particulièrement nombreux, y compris sous contrats de durée déterminée, notamment par le biais d’agences de travail intérimaire, en vue par exemple de procéder à des remplacements de courte durée. Vu ce contexte, l’âge de l’assurée ne l’empêchait pas de bénéficier des opportunités professionnelles qui s’offraient à elle jusqu’à l’âge légal de la retraite (64 ans).

Par jugement du 17.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le bien-fondé d’une décision d’octroi, à titre rétroactif, d’une rente limitée dans le temps doit être examiné à la lumière des conditions de révision du droit à la rente (cf. ATF 125 V 413 consid. 2d et les références). Aux termes de l’art. 17 al. 1 LPGA, si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée.

Avant de réduire ou de supprimer une rente d’invalidité, l’administration doit examiner si la capacité de travail que la personne assurée a recouvrée sur le plan médico-théorique se traduit pratiquement par une amélioration de la capacité de gain et, partant, une diminution du degré d’invalidité ou si, le cas échéant, il est nécessaire de mettre préalablement en œuvre une mesure d’observation professionnelle (afin d’établir l’aptitude au travail, la résistance à l’effort, etc.), voire des mesures de réadaptation au sens de la loi (arrêt 9C_92/2016 du 29 juin 2016 consid. 5.1 et les références). Selon la jurisprudence, l’âge de la personne assurée constitue de manière générale un facteur étranger à l’invalidité qui n’entre pas en considération pour l’octroi de prestations. S’il est vrai que ce facteur – comme celui du manque de formation ou les difficultés linguistiques – joue un rôle non négligeable pour déterminer dans un cas concret les activités que l’on peut encore raisonnablement exiger d’un assuré, il ne constitue pas, en règle générale, une circonstance supplémentaire qui, mis à part le caractère raisonnablement exigible d’une activité, est susceptible d’influencer l’étendue de l’invalidité, même s’il rend parfois difficile, voire impossible la recherche d’une place et, partant, l’utilisation de la capacité de travail résiduelle (arrêt 9C_899/2015 du 4 mars 2016 consid. 4.3.1).

La jurisprudence considère qu’il existe cependant des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cela ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis dans une procédure de révision ou de reconsidération; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, l’office de l’assurance-invalidité doit vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si ce dernier a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (arrêt 9C_517/2016 du 7 mars 2017 consid. 5.2 et les références). Dans l’ATF 145 V 209, le Tribunal fédéral a précisé qu’en cas de réduction ou de suppression de la rente d’invalidité d’un assuré âgé de plus de 55 ans, il y a lieu, en principe, de mettre en œuvre des mesures de réadaptation également lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente.

Au moment où la question de la mise en valeur de sa capacité de travail devait être examinée (à ce sujet, voir ATF 138 V 457 consid. 3.3), l’assurée, née en janvier 1956, se trouvait à moins d’une année de l’âge ouvrant le droit, pour les femmes, à une rente de vieillesse de l’AVS (art. 21 al. 1 let. b LAVS). Elle appartenait donc à la catégorie d’assurés dont il convient de présumer en raison de leur âge qu’ils ne peuvent en principe pas entreprendre de leur propre chef tout ce que l’on peut raisonnablement attendre d’eux pour tirer profit de leur capacité de travail établie sur un plan médico-théorique. Les médecin experts ont de plus retenu qu’elle présentait notamment une agoraphobie avec trouble panique, des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation d’alcool (avec des signes d’imprégnation éthylique chronique), un syndrome de dépendance, un état général médiocre, un ballonnement abdominal avec réseau veineux suggérant une ascite et une trophicité musculaire globalement médiocre, sans amyotrophie focalisée. Ils ont conclu que si l’assurée avait recouvert une pleine capacité de travail dans son activité habituelle, elle ne pouvait en revanche pas se confronter seule au marché de l’emploi.

Aussi, à l’inverse de ce que soutient la juridiction cantonale, il n’est pas concevable que l’assurée puisse, compte tenu de sa fragilité psychique et de son âge, reprendre seule et du jour au lendemain son activité habituelle auprès d’un autre employeur que celui pour lequel elle a travaillé pendant plus de 30 ans. Dans sa prise de position, le médecin du SMR a d’ailleurs suivi les conclusions des experts et conseillé la mise en place d’une aide au placement (au sens de l’art. 8 al. 3 let. c LAI). On peut douter qu’une telle mesure soit suffisante. Quoi qu’il en soit, il convient de constater que les organes de l’assurance-invalidité se sont écartés des recommandations médicales et n’ont pas pris en considération des mesures d’ordre professionnel, y compris une aide au placement. En relevant que l’assurée est titulaire d’un CFC d’employée de commerce (depuis 1975) et d’un certificat d’assistante en gestion de personnel (depuis 2010), la juridiction cantonale ne fait enfin pas état de circonstances qui permettraient de renoncer à la mise en place de mesures d’ordre professionnel. Les ressources professionnelles et la faculté d’adaptation à de nouvelles exigences mises en avant par la juridiction cantonale reposent en effet sur des faits antérieurs à la décompensation psychique de l’assurée de 2016 et ne permettent pas de remettre en cause les conclusions de l’expertise, soit que l’assurée ne pouvait pas se confronter seule au marché de l’emploi.

Ensuite des éléments qui précèdent, il conviendrait en principe de renvoyer la cause à l’office AI pour qu’il examine puis mette en œuvre les mesures nécessaires de réintégration sur le marché du travail. Ce ne serait là, toutefois, qu’une vaine formalité, qui retarderait la liquidation de l’affaire, car l’assurée peut prétendre aujourd’hui déjà une rente de vieillesse de l’AVS. Il convient dès lors d’admettre que l’assurée n’était pas en mesure de mettre en valeur sa capacité de travail sur le marché du travail, en dépit de l’amélioration de son état de santé attestée sur un plan médico-théorique. Elle a dès lors droit au maintien de sa rente entière de l’assurance-invalidité au-delà du 31.12.2018 jusqu’au 31.01.2020 (date à partir de laquelle elle a pu prétendre une rente de vieillesse de l’AVS; art. 30 LAI en relation avec l’art. 21 al. 1 let. b et al. 2 LAVS).

 

Le TF admet le recours de l’assurée et réforme le jugement cantonal en ce sens que l’assurée a droit à une rente entière du 01.01.2018 au 31.01.2020.

 

 

Arrêt 9C_663/2020 consultable ici

 

 

9C_239/2021 (f) du 14.12.2021 – Valeur probante du rapport d’expertise – 44 LPGA / Assuré de plus de 55 ans – Exigibilité sans examen préalable de mesures de réadaptation

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_239/2021 (f) du 14.12.2021

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise / 44 LPGA

Assuré de plus de 55 ans – Exigibilité sans examen préalable de mesures de réadaptation

 

1e demande AI le 15.05.1987 : assuré, manœuvre, présentant les séquelles incapacitantes d’une fracture-luxation du coude gauche. Les mesures de réadaptation mises en œuvre durant la procédure ayant permis à l’assuré de retrouver un emploi qui excluait le versement d’une rente d’invalidité, le dossier a été classé le 13.10.1992.

2e demande le 05.06.2008 : considérant que les suites de deux opérations réalisées à cause d’une rechute de l’atteinte au coude gauche n’empêchaient pas l’exercice, à plein temps mais avec diminution de rendement de 20%, d’une activité adaptée qui excluait le droit à la rente, l’office AI a rejeté la nouvelle requête de prestations (décision du 12.02.2009, confirmée tant au niveau cantonal que fédéral [arrêt 9C_467/2012 du 25.02.2013]).

3e demande le 07.11.2016 : se fondant essentiellement sur une expertise pluridisciplinaire réalisée (rapport du 15.01.2019), dont les auteurs avaient pris position sur les critiques émises par les médecins traitants, l’administration a à nouveau nié le droit de l’intéressé à une rente d’invalidité (décision du 22.11.2019).

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2020 8 – consultable ici)

Par jugement du 22.02.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Valeur probante du rapport d’expertise

Pour reconnaître valeur probante à l’expertise administrative, la juridiction cantonale s’est fondée en tout point sur les exigences tirées de la jurisprudence en la matière. Pour le reste, elle a expliqué de manière convaincante les raisons pour lesquelles elle faisait siennes les conclusions de l’expertise (à savoir, le fait que l’expert psychiatre a expliqué d’une façon circonstanciée pourquoi il excluait les diagnostics retenus par le psychiatre traitant, que l’avis de ce dernier était succinct et peu motivé, que l’expert, spécialiste en chirurgie orthopédique, avait également détaillé les raisons pour lesquelles il se distançait de l’avis des médecins traitants au sujet des seules questions controversées quant à l’exigibilité d’une activité adaptée ou à l’existence d’une détérioration de la situation et que tous les médecins consultés s’entendaient pour attester une capacité résiduelle de travail).

Or l’assuré se contente de présenter sa propre version des faits qui s’écarte ou complète celle constatée dans l’arrêt attaqué sans démontrer qu’elle serait manifestement inexacte ou arbitraire. Cette façon d’argumenter ne remplit pas les exigences de motivation dès lors que fait défaut une critique circonstanciée de l’appréciation de la juridiction cantonale (cf. ATF 145 V 188 consid. 2 et les références), dont il n’y a pas lieu de s’écarter.

 

Assuré de plus de 55 ans – Examen préalable de mesures de réadaptation

L’assuré fait enfin grief à la juridiction de première instance de ne pas avoir mis œuvre des mesures de réadaptation en raison de son âge (56 ans) à l’époque de la décision litigieuse et de son incapacité de travailler depuis plusieurs années.

Cette argumentation n’est pas fondée. L’assuré omet effectivement de prendre en compte que la jurisprudence citée à l’appui de son grief (cf. l’arrêt 9C_276/2020 du 18 décembre 2020) implique nécessairement la réduction ou la suppression d’une rente d’invalidité ou bien l’allocation d’une rente échelonnée et/ou limitée dans le temps (cf. ATF 145 V 209 consid. 5), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_239/2021 consultable ici