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8C_104/2024 (d) du 22.10.2024, destiné à la publication – Prestations de l’assurance-invalidité en cas d’obésité : adaptation de la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_104/2024 (d) du 22.10.2024, destiné à la publication

 

Arrêt 8C_104/2024 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 21.11.2024 consultable ici

 

Prestations de l’assurance-invalidité en cas d’obésité : adaptation de la jurisprudence

 

Le Tribunal fédéral adapte sa jurisprudence concernant le droit aux prestations de l’assurance-invalidité en cas d’obésité. Le fait que l’obésité soit en principe accessible à un traitement ne s’oppose ainsi plus d’emblée au droit à une rente. Il peut toutefois être attendu des personnes concernées qu’elles suivent des traitements qui peuvent raisonnablement être exigés d’elles pour remédier à l’atteinte, tels qu’une thérapie diététique ou un programme d’activité physique.

Conformément à la jurisprudence antérieure, l’obésité (surpoids important) n’entraînait en principe pas d’invalidité donnant droit à une rente. Une obésité ne relevait de l’assurance-invalidité que s’il en résultait une atteinte à la santé physique ou psychique ou si de telles atteintes en étaient la cause. Cette jurisprudence considérait en fin de compte que le surpoids important pouvait être surmonté par un effort de volonté. Cette pratique s’était développée sur la base de celle concernant les addictions. Le Tribunal fédéral a par la suite cependant adapté (suite également à la modification de sa pratique concernant les troubles dépressifs légers ou moyens) sa jurisprudence en la matière (ATF 145 V 215, communiqué de presse du 5 août 2019). Selon dite jurisprudence, il faudrait à l’avenir déterminer dans chaque cas, dans le cadre d’une procédure probatoire structurée, dans quelle mesure l’atteinte influe sur la capacité de travail de la personne assurée.

On ne voit pas de raison de maintenir la jurisprudence spécifique rendue jusqu’ici en matière d’obésité. A cet égard, il convient de tenir compte du fait que l’obésité est une maladie somatique (physique) chronique et complexe. La jurisprudence doit par conséquent être modifiée en ce sens que le fait qu’un traitement de l’obésité soit en principe possible ne s’oppose pas per se à un droit à la rente. Il convient ainsi de se demander pour chaque cas particulier dans quelle mesure la maladie restreint la capacité de travail. Bien évidemment, l’obligation de diminuer le dommage s’applique aussi en cas d’obésité. Un droit à une rente d’invalidité suppose en ce sens que la personne concernée entreprenne les traitements qui peuvent raisonnablement être exigés d’elle, tels que des thérapies diététiques, médicamenteuses ou comportementales ou encore un programme d’activité physique.

Dans le cas concret, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours d’une femme présentant une obésité de classe III et un indice de masse corporelle de 58, qui avait demandé sans succès une rente d’invalidité. Il va de soi que la recourante n’a en tous les cas pas la possibilité de retrouver immédiatement une capacité de travail à 100%. L’Office AI devra rendre une nouvelle décision ; à cet effet, des examens médicaux devront également être effectués au regard de l’obligation de réduire le dommage.

 

Arrêt 8C_104/2024 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 21.11.2024 consultable ici

 

NB : le même jour que le communiqué de presse du TF, l’office fédéral de la statistique a publié les résultats de l’enquête suisse sur la santé (communiqué de presse de l’OFS du 21.11.2024).

En 2022, 31% des personnes de 15 ans ou plus vivant en Suisse étaient en surpoids et 12% étaient obèses. La proportion de personnes présentant ces affections variait toutefois selon le groupe de population. Les hommes étaient par exemple davantage touchés que les femmes. Les personnes obèses ou en surpoids souffraient plus fréquemment de maladies cardiovasculaires, de diabète ou d’autres maladies chroniques que les personnes de poids normal. L’obésité allait en outre plus souvent de pair avec des symptômes sévères de dépression. Ce sont là quelques-uns des résultats de la nouvelle publication de l’OFS consacrée au surpoids et à l’obésité.

Selon l’OFS, le surpoids et l’obésité peuvent favoriser l’apparition de maladies chroniques, provoquer des troubles physiques et détériorer la qualité de vie des personnes atteintes. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît l’obésité comme une maladie chronique complexe. Critère essentiel en la matière, le poids corporel est notamment influencé par le sexe, l’âge et le niveau de formation.

Les personnes sans formation post-obligatoire souffraient davantage de surpoids et d’obésité en 2022. Le gradient social s’est fait sentir davantage chez les femmes que chez les hommes : en tenant compte de l’âge, les hommes sans formation post-obligatoire avaient respectivement 2,4 et 1,4 fois plus de risques d’être obèses ou en surpoids que les hommes ayant achevé une formation du degré tertiaire. Les femmes sans formation post-obligatoire présentaient un risque 2,9 fois plus élevé d’être obèses et un risque 2,0 fois plus grand d’être en surpoids que les femmes titulaires d’un diplôme du degré tertiaire

Publication de l’OFS « Enquête suisse sur la santé 2022 – Surpoids et obésité » disponible ici

 

9C_487/2022 (f) du 03.06.2024 – Nouvelle demande AI / Notion de maladie – Syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM) / SCM non inscrit dans la CIM – Consensus scientifique sur la réalité du trouble et des symptômes le caractérisant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_487/2022 (f) du 03.06.2024

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande de prestations / 87 RAI – 17 LPGA

Notion de maladie – Syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM) et intolérance environnementale idiopathique (IEI)

SCM non inscrit dans la CIM – Consensus scientifique sur la réalité du trouble et des symptômes le caractérisant

 

Assurée, née en 1961, est au bénéfice d’un diplôme d’enseignante d’orgue électronique et a donné des cours de musique à titre indépendant. En novembre 1997, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité, invoquant un asthme bronchique responsable d’infections pulmonaires à répétition. Sur la base d’une expertise réalisée par un spécialiste en médecine interne générale et en pneumologie (rapport du 17.07.2000), l’office AI a rejeté la demande, par décision du 24.08.2000, en l’absence de maladie physique ou psychique propre à entraîner une diminution permanente de la capacité de gain. Par jugement du 12.07.2001, le tribunal cantonal a rejeté le recours que l’assurée avait formé contre cette décision.

Le 11.10.2017, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations, invoquant des allergies à diverses substances et des problèmes respiratoires.

L’office AI a recueilli l’avis de la Dre C.__, spécialiste en médecine interne générale et médecin traitant, qui a notamment indiqué que la santé de sa patiente avait subi une aggravation progressive surtout depuis 10 ans et qu’elle souffrait d’un syndrome de sensibilité chimique multiple à l’origine d’une capacité de travail n’excédant pas 30%. L’assurée a aussi déposé des avis médicaux émanant du Dr D.__, spécialiste en génétique médicale, du Prof E.__, spécialiste en allergologie et immunologie et du Dr G.__, spécialiste en médecine interne et en phlébologie.

Le Dr H., médecin du SMR spécialisé en médecine interne et rhumatologie, a diagnostiqué chez l’assurée une pathologie immuno-allergique rare, provoquant des réactions allergiques à de nombreuses substances courantes. Compte tenu du caractère controversé de ce syndrome, il a recommandé une expertise psychiatrique. Le Dr I., psychiatre mandaté par l’office AI, n’a identifié aucun trouble psychiatrique et a conclu à une capacité de travail entière. Le Dr J., également médecin du SMR, a approuvé cette évaluation du Dr I..

Par décision du 25.11.2019, l’office AI a nié le droit à des prestations de l’assurance-invalidité (mesures professionnelles et rente), car la situation de l’assurée ne s’était pas modifiée de manière à influencer ses droits depuis la décision du 24.08.2000.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 7/20 – 285/2022 – consultable ici)

Par jugement du 15.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Se référant à un arrêt 8C_165/2007 du 5 mars 2008, les juges cantonaux ont retenu que la notion de syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM), également désigné par l’expression d’intolérance environnementale idiopathique (IEI) est fortement controversée dans la doctrine médicale spécialisée. D’après cette dernière, l’IEI correspond à une description clinique regroupant des symptômes d’étiologie inconnue attribués par les patients à de multiples expositions environnementales, lorsque toutes les autres explications médicales ont été exclues. Selon l’avis médical pris en compte dans l’affaire précitée, il existe de plus en plus de preuves à l’appui de la thèse selon laquelle l’IEI est souvent le résultat de crises de panique provoquées par des stimuli olfactifs conditionnés psychologiquement.

Par ailleurs, l’instance précédente s’est référée à une publication, qu’elle a considérée comme sérieuse et exhaustive, de l’Institut national de santé publique du Québec du 29 juin 2021 (Gaétan Carrier [coordinateur]/Marie-Ève Tremblay/Rollande Allard et al., Syndrome de sensibilité chimique multiple, une approche intégrative pour identifier les mécanismes physiopathologiques, Rapport de recherche de la Direction de la santé environnementale et de la toxicologie de l’Institut national de santé publique du Québec, juin 2021 [ci-après: étude québécoise). Selon cette publication, les altérations observées (altération de l’humeur et des fonctions cognitives, troubles du sommeil, fatigue, perte de motivation et anhédonie) ne sont pas propres au syndrome de sensibilité chimique multiple; elles sont rapportées dans la fatigue chronique, le syndrome de stress post-traumatique, l’électrosensibilité, la fibromyalgie, la dépression, les troubles de somatisation, les troubles phobiques et le trouble panique; tous ces troubles ont en commun la présence d’anxiété chronique, ce qui permet d’expliquer l’ensemble des symptômes du syndrome de sensibilité chimique multiple car les mêmes altérations et dysfonctionnements y sont trouvés et mesurés. Pour la juridiction cantonale, cette recherche autorise à appliquer au syndrome de sensibilité chimique multiple la jurisprudence en matière de syndrome sans pathogenèse ni étiologie claire et sans constat de déficit organique (cf. ATF 141 V 281), ce d’autant que les parties n’ont opposé aucun avis médical contraire à cette étude.

 

Consid. 3.1
Plusieurs médecins se sont exprimés sur l’état de santé de l’assurée. La Dre C.__ a attesté que l’assurée souffrait d’un syndrome de sensibilité chimique multiple à l’origine d’une capacité de travail n’excédant pas 30%; elle a fait état de réaction à certaines odeurs provoquant une dyspnée ou crise d’asthme, un gonflement du visage érythémateux, des céphalées, des troubles de la concentration, une faiblesse musculaire et des palpitations. De son côté, le Prof E.__ a aussi mentionné ce syndrome qu’il a mis en relation avec le diagnostic d’hyperréactivité des muqueuses. Ce médecin a évoqué divers symptômes diffus, tels que des vertiges, maux de tête, troubles de la concentration, toux, difficultés respiratoires, ainsi que des troubles circulatoires, indiquant que leur origine découlait probablement de la présence d’odeurs dans la maison de l’assurée; il ne s’est pas exprimé sur la capacité de travail. Le Dr G.__ a attesté une sensibilité accrue à des produits chimiques présents dans l’environnement, en particulier la diffusion de parfums, qui affectent la mémoire et le sens de l’orientation de sa patiente. Il a aussi diagnostiqué un asthme allergique, ce que le Dr H.__ a également relevé en indiquant que l’assurée développait des réactions allergiques (notamment respiratoires) angoissantes à l’exposition de substances volatiles. Quant au Dr I.__, il a conclu à l’absence de tout diagnostic psychiatrique: les quelques indices (tendance neurasthénique, tendance obsessionnelle), faibles et non systématisés, ne suffisaient pas pour établir une véritable hypothèse diagnostique et encore moins pour retenir un trouble ayant un impact sur la capacité de travail. L’expert a précisé qu’il avait été frappé par l’absence d’observation, le testing (psychométrique) lors d’une exposition, proposé par le Dr G.__, n’avait jamais été effectuée.

Consid. 3.2.1
Le syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM) a été décrit par l’étude québécoise (p. 3) comme un trouble chronique, caractérisé par de multiples symptômes récurrents non spécifiques; les symptômes du SCM sont mal définis, associés à divers systèmes organiques et seraient provoqués ou exacerbés lors d’une exposition à des odeurs présentes dans l’environnement courant à de faibles concentrations, lesquelles sont tolérées par la plupart des gens. Médicalement, ce syndrome est considéré comme une pathologie inexpliquée dont le diagnostic est posé après une investigation clinique servant à exclure toute autre affection pouvant expliquer les symptômes; il s’agit d’un diagnostic d’exclusion (étude québécoise, p. 9). Parmi les symptômes dont se plaignent les personnes concernées, sont évoqués des symptômes neuropsychiatriques (troubles de la mémoire, troubles de concentration, fatigue et épuisement, etc.), des douleurs comme des céphalées ou des arthralgies, des symptômes gastro-intestinaux, sensoriels, neurovégétatifs et cutanés (étude québécoise, p. 63).

Comme l’ont retenu à juste titre les juges cantonaux, le syndrome de sensibilité chimique multiple diagnostiqué par les médecins traitants de l’assurée ne constitue pas une maladie reconnue dans la Classification internationale des maladies de l’OMS (CIM), qui ne comporte pas de code y relatif (CIM-10-German Modification). Des tentatives de faire inscrire le SCM au CIM n’ont pas abouti (voir par exemple, les propositions de déclarer le SCM sous un code singulier T78.5 faites au Bundesministerium für Gesundheit [Ministère allemand pour la santé] en 2018, www.dimdi.de, sous Klassifikationen/Downloads/ICD-10-GM/Vorschläge/2019). En Allemagne, le code T.78.4 CIM-10-GM (Allergie, sans précision) est utilisé pour appréhender le SCM, le code F45.0 (Somatisation) ayant également été évoqué (Katharina Harter/Gertrud Hammel/Megan Fleming/Claudia Traidl-Hoffmann, Multiple Chemikaliensensibilität [MCS] – Ein Leitfaden für die Dermatologie zum Umgang mit Betroffenen, Journal der Deutschen Dermatologischen Gesellschaft, 2020, p. 124).

Consid. 3.2.2
Les objectifs de l’étude québécoise, effectuée sur mandat du Ministère de la Santé et des Services sociaux à l’Institut national de santé publique du Québec, ont été d’identifier les mécanismes physiopathologiques qui permettraient d’expliquer le syndrome SCM au moyen d’une approche qui intègre l’ensemble des différentes recherches sur toutes les hypothèses proposées et de vérifier, dans le cas où de tels mécanismes ont été identifiés, si l’exposition à des produits chimiques odorants, présents dans l’environnement à de faibles concentrations, pourrait en être la cause (p. 3 de l’étude).

Au terme d’une analyse de plus de 4’000 articles de la littérature scientifique, les auteurs de l’étude québécoise ont dégagé plusieurs constats, qu’ils ont présentés sous le titre « Messages clés »: depuis les années 2000, les avancées réalisées en neurosciences et dans les techniques de mesure des paramètres biologiques et de l’imagerie cérébrale fonctionnelle ont apporté de nouveaux éléments permettant de mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques de la SCM; ces avancées confirment que le psychique est absolument indissociable du biologique et du social; les personnes atteintes voient les odeurs comme une menace à leur santé, et la détection de celles-ci provoque chez elles des symptômes de stress aigu, qui se manifestent par des malaises qu’elles attribuent aux produits chimiques associés à l’odeur; cette cascade de réactions provoque des altérations biologiques du fonctionnement normal de l’organisme dans les systèmes immunitaire, endocrinien et nerveux; le système nerveux est altéré principalement dans les structures du système lymbique impliqué dans l’émotion, l’apprentissage et la mémoire; l’ensemble des altérations observées (altération de l’humeur et des fonctions cognitives, troubles du sommeil, fatigue, perte de motivation et anhédonie) explique la chronicité et la polysymptomatologie rapportées par les personnes atteintes de SCM; ces altérations ne sont pas propres au syndrome SCM et sont rapportées dans la fatigue chronique, le syndrome de stress post-traumatique, l’électrosensibilité, la fibromyalgie, l’anxiété chronique et la dépression, les troubles de somatisation, les troubles phobiques et le trouble panique, tous ces troubles ayant en commun la présence d’anxiété chronique; l’anxiété chronique permet d’expliquer l’ensemble des symptômes du syndrome SCM, les mêmes altérations et dysfonctionnements y étant trouvés et mesurés; à la longue, la répétition presque inévitable de ces épisodes de stress aigu entraîne chez les personnes atteintes le développement d’une neuroinflammation, d’un stress oxydatif et conséquemment une anxiété chronique; sur la base de ces nouvelles connaissances, les auteurs invalident l’hypothèse d’une association entre le SCM et la toxicité des produits chimiques trouvés aux concentrations habituelles; cependant, les perturbations biologiques chroniques observées, la sévérité des symptômes ressentis, les impacts sociaux et professionnels en résultant pour les personnes atteintes et la forte prévalence du syndrome SCM en font un réel enjeu de santé (« Messages clés », p. 1 s.).

Consid. 3.2.3
L’étude québécoise met aussi en évidence que le sujet du SCM divise deux écoles de pensées médicales, la première « psychologique » (« psychological school of thought » [cf. Adrianna Tetley, Do no harm: Multiple chemical sensitivity is not psychological, J. Allergy Clin Immunol Pract 2024, p. 266]) définissant ce syndrome comme une anxiété (p. ex. Karen E. Binkley, Multiple Chemical Sensitivity/Idiopathic Environmental Intolerance: A Practical Approach to Diagnosis and Management, J. Allergy Clin Immunol Pract. 2021, p. 3645 ss, à laquelle se réfère Tetley, op. cit.); la seconde, « biophysique-toxicologique » (« biophysical-toxicologic school of thought »), voit ce syndrome comme un trouble environnemental grave, complexe et récurrent avec un processus pathologique ayant des symptômes et signes notamment neurologiques, immunologiques, dermatologiques et allergiques (p. ex. Shahir Mari/Claudia S. Miller/Raymond F. Palmer/Nicholas Ashford, Perte de tolérance induite par les substances toxiques pour les produits chimiques, les aliments et les médicaments: évaluation des modèles d’exposition derrière un phénomène mondial [traduction française], Environ Sciences Europe 2021, 33, p. 1 ss, auxquels se réfère Tetley, op. cit.).

Consid. 3.2.4
À ce stade de la controverse médicale, et en l’espèce, le Tribunal fédéral n’a pas à prendre position sur celle-ci. Il suffit de constater que la science médicale reconnaît en tous les cas la survenance d’un trouble chronique ou mécanisme pathologique sous la forme de symptômes récurrents non spécifiques, semblables à ceux de l’allergie (qui ne correspondent cependant pas à la définition classique de l’allergie), observés, provoqués ou exacerbés, lors d’expositions à des odeurs (ou à des produits chimiques) présentes dans l’environnement à de faibles concentrations (qui sont tolérées par la majorité des gens). Ce trouble peut, selon le degré de sévérité des symptômes, affecter le fonctionnement normal des personnes atteintes.

Même si ce trouble n’est pas catégorisé en tant que tel dans la CIM ni saisi sous un code CIM singulier, il est, selon les pratiques médicales, décrit sous les codes T78.4 ou F45.0, ce qui reflète le débat mené par la science médicale sur sa nature somatique ou psychosomatique (sur les deux modèles, voir aussi Heinz Bolliger-Salzmann et al., Evaluation des MCS-Pilotprojetks der Wohnbaugenossenschaft Gesundes Wohnen MCS, Eine explorative Studie, Schlussbericht, mars 2015, p. 15 ss [Office fédéral du logement OFL; www.bwo.admin.ch, sous Le logement aujourd’hui/Études et publications »Le logement aujourd’hui »]). Nonobstant ce débat, et l’absence d’attribution d’un code CIM particulier, la réalité du trouble et des symptômes le caractérisant font l’objet d’un consensus scientifique, aucune des études consultées ne mettant en doute l’existence d’une pathologie pouvant, selon le degré de gravité, occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante et l’environnement professionnel. Dès lors que ce trouble peut être décrit selon une définition largement reconnue dans le milieu médical, en référence à un code CIM-10 somatique ou psychique, en fonction des pratiques et courants médicaux, on peut admettre qu’il repose sur un diagnostic pouvant être établi en fonction de critères médicaux suffisants, dont la validité peut être contrôlée (sur l’importance, sous l’angle juridique, d’un diagnostic posé lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu, cf. ATF 141 V 281 consid. 2.1).

Consid. 3.2.5
Il y a lieu, ensuite, de relever que le diagnostic en cause constitue un diagnostic d’exclusion, qui ne peut être posé qu’à l’issue d’un examen interdisciplinaire du cas particulier, une évaluation consensuelle et l’exclusion d’autres causes des troubles (Harter et al., op. cit., p. 124). Différents schémas d’évaluation ont été proposés (cf. Harter et al., op. cit., p. 122, tableau 1 « Konsensus-Kriterien zur Definition von multipler Chemikaliensensibilität [MCS]; Giovanni Damiani et al., Italian Expert Consensus on Clinical and Therapeutic Management of Multiple Chemical Sensitivity [MCS], International Journal of Environmental Research and Public Health 2021, 18, p. 5).

Or une telle évaluation n’a pas eu lieu en l’occurrence. En particulier, l’expertise psychiatrique a été rendue sans qu’il y ait eu un échange avec les médecins traitants (somaticiens) de l’assurée. Elle relève en outre, quoi qu’en dise la juridiction cantonale, d’une approche superficielle de la problématique médicale en cause. Ainsi, l’expert s’est limité à de strictes constatations sur l’attitude de l’assurée pendant son entretien, au sujet duquel il a indiqué que « par la force des choses et imposées par l’assurée, nous étions dans un entretien extrêmement précis et rapide et Mme A.__ a répondu à cela avec autant de précision et de rapidité que possible ». Il n’a pas pris position sur les limitations rapportées par l’assurée en relation avec son hypersensibilité, dont elle a donné un exemple en signalant son inconfort à cause de certaines émanations et odeurs sur le lieu de l’examen.

Consid. 3.3
Dans ces circonstances, la mise en œuvre d’une expertise médicale pluridisciplinaire, incluant notamment les volets immunologique, allergologique, pneumologique et psychiatrique, s’impose. Ce complément d’instruction est de la compétence de l’office AI, auquel la cause est renvoyée à cette fin et à l’issue duquel il se prononcera une nouvelle fois sur le droit éventuel de l’assurée à une rente d’invalidité, prestation dont elle demande l’octroi à partir du 01.01.2018. La conclusion subsidiaire du recours est bien fondée.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_487/2022 consultable ici

 

9C_123/2022 (f) du 28.11.2022 – Dysphorie de genre – Traitement chirurgicale faciale consistant en un rabotage de l’arcade sourcilière – Caractères sexuels secondaires / Caractère efficace, approprié et économique du traitement médical

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_123/2022 (f) du 28.11.2022

 

Consultable ici

 

Dysphorie de genre – Traitement chirurgicale faciale consistant en un rabotage de l’arcade sourcilière – Caractères sexuels secondaires

Notion de maladie – Caractère efficace, approprié et économique du traitement médical / 3 LPGA – 32 al. 1 LAMal

Valeur probante des rapports médicaux

 

A la suite d’une dysphorie de genre due à son identité transgenre, l’assurée, née de sexe masculin, a entrepris une procédure de changement de sexe. Son acte de naissance a été modifié en janvier 2020 en ce sens qu’elle est de sexe féminin.

Le 18.10.2019, l’assurée a requis, par l’intermédiaire d’un spécialiste en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique, la prise en charge d’une chirurgie faciale consistant en un rabotage de l’arcade sourcilière, afin de féminiser le front. Elle a subi cette intervention sans attendre la garantie de paiement de la caisse-maladie qui, par décision du 03.07.2020, confirmée sur opposition le 07.12.2020, a refusé la prise en charge des coûts y afférents. En bref, la caisse-maladie a considéré que les arcades sourcilières ne faisaient pas partie des caractères sexuels secondaires et que les arcades sourcilières de l’assurée n’étaient pas particulièrement saillantes. Leur rabotage ne permettait pas d’obtenir un bénéfice thérapeutique clair et de diminuer les souffrances de l’intéressée, si bien que l’opération ne remplissait pas les critères d’efficacité et d’adéquation

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1372/2021 [arrêt de principe] – consultable ici)

Par jugement du 16.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
La doctrine médicale et en matière d’anthropologie médico-légale produite par l’assurée et par la caisse-maladie ne relève pas – en tant que littérature spécialisée accessible par tout un chacunde l’interdiction des moyens de preuve nouveaux au sens de l’art. 99 al. 1 LTF, selon lequel aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté en procédure fédérale, à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente (arrêt 9C_131/2021 du 24 novembre 2021 consid. 2 [in: SVR, 2022 KV n° 9 p. 52] et les arrêts cités). Cela étant, elle n’est pas utile pour juger de la présente cause.

Consid. 3.1
Le litige porte sur le droit de l’assurée à la prise en charge par la caisse-maladie, à titre de prestations couvertes par la LAMal, des coûts de la chirurgie de rabotage des arcades sourcilières qu’elle a subie en octobre 2019 dans le cadre d’une dysphorie de genre (ou transsexualisme; CIM-10 F 64.0).

Consid. 3.3
On rappellera également, à la suite des juges cantonaux, que l‘opération de changement de sexe en cas de dysphorie de genre (ou troubles de l’identité sexuelle) doit être envisagée de façon globale tant pour des raisons physiques que psychologiques. Aussi, lorsque les conditions justifiant l’opération chirurgicale évoquée sont réalisées, les interventions complémentaires visant à modifier les caractères sexuels secondaires font en principe partie des prestations obligatoires devant être mises à la charge des assureurs-maladie, pour autant que les conditions de l’art. 32 al. 1 LAMal soient réalisées (ATF 142 V 316 consid. 5.1; 120 V 463 consid. 6b).

Les caractères sexuels primaires différents chez les femmes et chez les hommes désignent l’ensemble des organes génitaux qui permettent la reproduction et apparaissent in utero après quelques semaines de gestation. On les distingue des caractères sexuels secondaires qui confèrent également à l’individu une apparence féminine ou masculine mais apparaissent à la puberté. Sous l’angle médical, sont notamment mentionnés à cet égard l’apparition d’une pilosité du visage ainsi que d’autres parties du corps, la mue de la voix due à une modification du larynx ou l’augmentation du volume musculaire pour les hommes et le développement de la poitrine ainsi que des capacités de sécrétion lactée ou l’apparition des cycles menstruels chez les femmes (cf. dictionnaire médical Pschyrembel Online, sous www.pschyrembel.de, ad Geschlechtsmerkmale). Il existe encore des particularités physiques qui ont un rôle important du point de vue esthétique et participent en principe de l’apparence féminine ou masculine d’un individu. Il en va ainsi d’une calvitie d’une ampleur typiquement masculine. Dans le contexte d’une dysphorie de genre avec indication d’opération de changement de sexe, une particularité physique qui serait incompatible avec l’apparence féminine ou masculine recherchée doit être assimilée à un caractère sexuel secondaire. Le traitement visant à y remédier doit alors être pris en charge par l’assurance obligatoire des soins comme c’est le cas d’une intervention complémentaire destinée à modifier un caractère sexuel secondaire pour autant que cette mesure fasse partie d’un programme thérapeutique global établi en fonction de tous les éléments recueillis et puisse être considérée comme efficace, appropriée et économique à l’intérieur de ce plan. En principe, la prise en charge des coûts entre alors en considération pour une prestation qui ne constitue en soi pas une mesure à la charge de l’assurance obligatoire des soins (arrêt 9C_331/2020 du 29 septembre 2020 consid. 5.2.2, in: SVR 2022 KV n° 6 p. 35; ATF 142 V 316 consid. 5.2 et la référence).

 

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a d’abord considéré que les arcades sourcilières ne correspondent pas à la définition restrictive, selon elle, des caractères sexuels secondaires appliquée par le Tribunal fédéral, si bien que leur rabotage n’est en principe pas à la charge de l’assurance-maladie des soins. Elle a ensuite examiné la question de savoir si la proéminence des arcades sourcilières de l’assurée, avant leur correction, constitue une particularité physique incompatible avec une apparence féminine pouvant être assimilée à un caractère sexuel secondaire. Elle a nié cela en se fondant sur l’avis du médecin-conseil de la caisse-maladie et a considéré pour le surplus qu’il n’était pas utile de mettre en œuvre une expertise médicale. Dans la mesure où une incompatibilité avec une apparence féminine n’a pas été établie, les juges cantonaux ont nié que les coûts de l’intervention litigieuse puissent être mis à la charge de la caisse-maladie.

Consid. 5.1
Quoi qu’en disent d’abord les parties, le point de savoir si les arcades sourcilières doivent être qualifiées de caractère sexuel secondaire ou de particularité physique ayant un rôle important du point de vue esthétique et participant en principe de l’apparence féminine ou masculine d’un individu peut en l’espèce être laissé ouvert. En effet, dans les deux hypothèses, une intervention complémentaire ne peut être mise à la charge de l’assurance obligatoire des soins pour autant que les conditions de l’art. 32 al. 1 LAMal soient réalisées (consid. 3.3 supra). Pour cette raison déjà, c’est en vain que l’assurée reproche à la juridiction de première instance de ne pas l’avoir entendue sur son revirement de jurisprudence. Si la juridiction cantonale a certes considéré dans un arrêt rendu le 22 mai 2018 (ATAS/423/2018) que les arcades sourcilières étaient à qualifier de caractère sexuel secondaire, elle a alors retenu que la nécessité d’une intervention de correction de cet attribut doit être niée si, dans le cas concret, il n’est pas particulièrement développé, et en tout cas pas au point de provoquer une souffrance ou de participer à la détresse de la patiente. A cet égard, dans le cadre du traitement de la dysphorie de genre, l’objectif thérapeutique recherché doit être non seulement d’accéder au désir de la personne concernée de changer de sexe mais aussi de soulager les effets négatifs du diagnostic, c’est-à-dire de procurer à la personne concernée un bien-être subjectif en éliminant ou en réduisant le malaise et la détresse cliniquement significatifs liés aux difficultés d’ordre somatique et psychique rencontrés lors d’une réassignation sexuelle. Cet objectif implique le fait de donner à la personne concernée une apparence extérieure correspondant à son nouveau sexe (cf. p. ex. ATF 120 V 463 consid. 6b). Il ne relève toutefois pas du seul désir de l’intéressée. Au contraire, encore faut-il que le caractère sexuel secondaire dont la modification est envisagée présente une apparence typique de l’autre sexe que celui attribué, faute de quoi l’opération projetée relèverait de la chirurgie esthétique (à ce propos, cf. ATF 138 V 131 consid. 5.1).

Consid. 5.2.1
Pour parvenir à la conclusion que la protubérance des arcades sourcilières de l’assurée n’était pas incompatible avec une apparence féminine, la juridiction cantonale a apprécié les différents rapports médicaux versés au dossier, ainsi que les photos prises par le spécialiste en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique avant et après l’intervention chirurgicale. Elle a d’abord constaté que ni les médecins interrogés ni la psychologue de l’assurée n’avaient voulu se prononcer sur la question de savoir si les arcades sourcilières de leur patiente étaient incompatibles avec une apparence féminine et a supposé que s’ils avaient jugé la protubérance supra-orbitale comme totalement incompatible avec une apparence féminine, ils n’auraient pas hésité à l’affirmer. Le médecin-conseil de la caisse-maladie, spécialiste en médecine légale, avait en revanche conclu, en se fondant sur les photos avant et après l’opération prises par le chirurgien plastique, que les arcades sourcilières de l’assurée n’étaient pas particulièrement proéminentes et qu’il n’était pas médicalement attesté qu’elles conféraient une apparence masculine à l’intéressée. Quant au chirurgien plastique, il avait qualifié le souhait de sa patiente de subir une intervention de rabotage des arcades sourcilières de compréhensible dans le cas d’espèce et indiqué que la protubérance supra-orbitale était très marquée et avait un aspect très masculin. Confrontés aux avis médicaux divergents du chirurgien et du médecin-conseil, les juges cantonaux ont examiné les photos et conclu qu’elles ne permettaient pas de constater que les arcades sourcilières de l’assurée étaient incompatibles avec une apparence féminine. Ils ont ensuite expliqué que dans la mesure où l’intervention litigieuse ne relève pas d’une question technique ou d’évaluation médicale d’une atteinte à la santé, mais d’une appréciation très subjective d’une apparence, une expertise médicale n’était pas nécessaire en l’espèce. Selon l’instance cantonale, un expert ne pourrait en effet se prononcer que sur la base des mêmes photos.

Consid. 5.2.2
Quoi qu’en dise l’assurée, l’appréciation de la juridiction cantonale n’est pas arbitraire. Parmi les médecins consultés, seul le chirurgien plastique a indiqué qu’avant son intervention, la protubérance des arcades sourcilières était très marquée et avait un aspect très masculin. En revanche, l’endocrinologue traitant a indiqué ne pas être en mesure de juger si les arcades sourcilières de sa patiente étaient « formellement compatibles ou incompatibles avec une apparence féminine avant l’intervention ». De son côté, le médecin-conseil a nié que les arcades sourcilières de l’assurée lui avaient conféré une apparence masculine. Dans ces circonstances, on ne saurait qualifier de manifestement inexactes les constatations cantonales selon lesquelles il n’est pas établi que la protubérance des arcades sourcilières de l’assurée est incompatible avec une apparence féminine, les juges cantonaux ayant par ailleurs eux-mêmes apprécié les photographies au dossier.

L’intervention litigieuse n’était donc pas nécessaire pour atteindre l’objectif thérapeutique visé dans le cadre du traitement de la dysphorie de genre, à savoir principalement le fait de donner à la personne concernée une apparence extérieure correspondant à son nouveau sexe. A cet égard, l’objectif thérapeutique visé ne doit pas seulement être examiné sous l’angle subjectif de la personne en traitement, mais également sous l’angle objectif. L’attribut dont la modification est envisagée doit en effet présenter une apparence typique de l’autre sexe que celui attribué, faute de quoi l’opération projetée relève de la chirurgie esthétique (consid. 5.1 supra). On ajoutera qu’une apparence extérieure correspondant au nouveau sexe ne signifie pas une apparence correspondant à l’idéal de beauté du nouveau sexe. Ainsi, dans un cas particulier, le Tribunal fédéral a considéré que lorsque l’hormonothérapie, dans le cadre d’une dysphorie de genre, a permis un accroissement mammaire correspondant à l’apparence caractéristique d’une poitrine du genre féminin, l’assureur-maladie n’avait pas à prendre en charge une intervention visant à une augmentation mammaire. En d’autres termes, une intervention chirurgicale qui avait pour but premier de contribuer à rendre la poitrine de l’intéressée plus belle ou plus conforme aux mensurations idéales ne constituait pas une prestation obligatoire (arrêt 9C_255/2016 du 17 février 2017 consid. 6).

Consid. 5.2.3
En conséquence de ce qui précède, les coûts de l’intervention subie par l’assurée n’ont pas à être pris en charge par l’assurance-maladie (art. 32 LAMal). Compte tenu des différents avis médicaux, ainsi que des autres pièces au dossier, la juridiction cantonale était en droit de se forger une conviction sans nouvelle mesure d’instruction. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_123/2022 consultable ici

 

9C_800/2019 (f) du 21.10.2020 – Traitements visant à remédier à des troubles de la fertilité (inséminations intra-utérines avec stimulations ovariennes) refusés en raison de l’âge de l’assurée (44 ans) / Conditions de la prise en charge de la prestation par l’assurance obligatoire des soins – 32 ss LAMal – ch. 3 annexe 1 OPAS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_800/2019 (f) du 21.10.2020

 

Consultable ici

 

Traitements visant à remédier à des troubles de la fertilité (inséminations intra-utérines avec stimulations ovariennes) refusés en raison de l’âge de l’assurée (44 ans)

Conditions de la prise en charge de la prestation par l’assurance obligatoire des soins – Critère de la vraisemblance prépondérante / 32 ss LAMal – ch. 3 annexe 1 OPAS

Troubles liés à la fertilité et définition de la maladie

Pas de motifs pour changer la jurisprudence

 

Assurée, née en 1968 qui, à la suite d’un premier traitement visant à remédier à des troubles de la fertilité, dont les coûts ont été pris en charge par la caisse-maladie, ayant échoué, a sollicité la prise en charge d’un second traitement (inséminations intra-utérines des 28.03.2012 et 31.08.2012 et stimulations ovariennes). Après avoir requis des renseignements auprès de la spécialiste en reproduction et endocrinologie gynécologique, et médecin traitant, et sollicité l’avis de son médecin-conseil, la caisse-maladie a refusé de rembourser le traitement. En bref, elle a considéré qu’en raison de l’âge de l’assurée, la stérilité ne constituait plus une maladie mais relevait d’un problème physiologique, et que le traitement prévu n’était plus efficace, dans la mesure où les chances de tomber enceinte et de mener une grossesse à terme étaient trop faibles.

 

Procédure cantonale (arrêt AM 27/16 – 54/2019 – consultable ici)

Le recours a été admis (jugement du 15.05.2015). Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours interjeté par la caisse-maladie, annulant le jugement cantonal et renvoyé la cause à la juridiction cantonale pour instruction complémentaire et nouvelle décision dans le sens des considérants (ATF 142 V 249).

La juridiction cantonale a complété l’instruction sous l’angle médical. La cour cantonale a admis que la cause la plus vraisemblable des difficultés de l’assurée à tomber enceinte était son âge au moment des inséminations litigieuses. Dès lors que l’assurée souffrait d’une stérilité uniquement physiologique et non pathologique, et qu’il n’existait donc pas d’altération de la santé ayant valeur de maladie, elle a laissé ouverte la question de savoir si les inséminations intra-utérines pratiquées étaient efficaces et adéquates, et a confirmé le refus de la caisse-maladie de prendre en charge les coûts de celles-ci.

Par jugement du 25.10.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Troubles liés à la fertilité et définition de la maladie

Les troubles liés à la fertilité, notamment la stérilité, constituent une maladie à laquelle il peut être remédié au moyen d’un traitement par inséminations intra-utérines. Un tel traitement est alors obligatoirement à charge de la caisse-maladie, aux conditions fixées par la législation (cf. le ch. 3 « Gynécologie, obstétrique » de l’annexe 1 à l’OPAS, en relation avec les art. 25, 32 et 33 LAMal et 33 OAMal; ATF 142 V 249 consid. 4 p. 251 s.), le but étant l’induction d’une grossesse et la naissance d’un enfant (cf. ATF 121 V 302 consid. 3 p. 304 et 121 V 289 consid. 5 et 6 p. 295 ss). En revanche, l’état corporel lié au développement naturel de l’être humain n’est pas compris dans cette définition. La diminution de la fertilité due uniquement à l’âge est un phénomène physiologique naturel qui ne constitue pas une maladie. C’est pourquoi les mesures médicales visant l’amélioration de la capacité à procréer en cas de baisse de la fertilité liée exclusivement à l’âge ne constituent pas le traitement d’une maladie (ATF 142 V 249 consid. 6.1 p. 253 s.). Dans la mesure où une limite d’âge fixe à partir de laquelle une femme ne pourrait plus tomber enceinte ni mener une grossesse à terme n’a pas été arrêtée, et où les constatations médicales sont actuellement divergentes quant à l’éventuel moment à partir duquel une femme ne serait plus en capacité de procréer, il convient, pour déterminer si la stérilité et les troubles de la fertilité ont ou non valeur de maladie, de procéder à une approche individualisée fondée sur les composantes cliniques propres à chaque patiente (ATF 142 V 249 consid. 6.3 et 6.4 p. 255 s.; cf. aussi STÉPHANIE PERRENOUD, La stérilité est-elle une maladie? Quelques considérations à la lumière de l’ATF 142 V 249, RSAS 2017, p. 101).

 

Pas de motifs pour changer la jurisprudence

L’assurée fait valoir que la juridiction cantonale aurait violé le droit fédéral et le droit international – en particulier l’art. 25 al. 1 LAMal, la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée du 18 décembre 1998 (LPMA; RS 810.11) et l’art. 25 de la Convention du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées (CDPH; RS 0.109) -, en ce qu’elle a considéré que la diminution de la fertilité due uniquement à l’âge est un phénomène physiologique naturel qui ne constitue pas une maladie, avec pour conséquence qu’elle a nié que les traitements d’inséminations intra-utérines avec stimulations ovariennes dont elle a bénéficié dussent être pris en charge par la caisse-maladie. L’assurée fait en substance valoir qu’il n’est pas possible d’exclure « l’état corporel lié au développement naturel de l’être humain » de la définition juridique de la maladie et donc « la diminution de la fertilité due uniquement à l’âge » de cette définition. Elle soutient à cet égard qu’un recours systématique au critère des « phénomènes dégénératifs naturels » pour « exclure des pathologies de la notion juridique de maladie » ne peut pas avoir lieu, dès lors que de très nombreuses maladies (les maladies coronariennes, les troubles de la fonction érectile, p. ex.), bien que liées au vieillissement et constituant donc des phénomènes dégénératifs naturels, fondent l’obligation de l’assurance-maladie d’allouer des prestations.

L’argumentation de l’assurée, qui s’apparente à une demande de changement de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, est mal fondée. Un changement de jurisprudence ne se justifie, en principe, que lorsque la nouvelle solution procède d’une meilleure compréhension de la ratio legis, repose sur des circonstances de fait modifiées ou répond à l’évolution des conceptions juridiques; sinon, la pratique en cours doit être maintenue. Un changement doit par conséquent reposer sur des motifs sérieux et objectifs qui, dans l’intérêt de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne (ATF 144 V 72 consid. 5.3.2 p. 77 s. et les références). Ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce. Les critiques développées par l’assurée ne tiennent en effet pas compte du fait que selon l’art. 1a al. 2 LAMal, l’assurance-maladie sociale alloue des prestations lors de la survenance de trois éventualités, à savoir la maladie (art. 3 LPGA), l’accident (art. 4 LPGA), dans la mesure où aucune assurance-accidents n’en assume la prise en charge, et la maternité (art. 5 LPGA). Or comme le fait justement valoir la caisse-maladie, l’âge ne figure pas au sein de cette liste exhaustive d’éventualités fondant l’obligation de l’assurance-maladie d’allouer des prestations. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l’assurée, les troubles de la fertilité dus à l’âge ne peuvent pas être comparés aux maladies liées à l’âge, compte tenu déjà de la cause rendant nécessaire le recours à des prestations médicales. Alors qu’une prise en charge médicale en cas de maladies liées à l’âge est nécessaire en raison d’une atteinte (ou d’un risque d’atteinte) à la santé, à l’inverse, la dispensation de prestations en cas de diminution de la fertilité liée à l’âge découle du désir d’enfant de la personne assurée, et ne trouve donc pas sa cause dans une maladie qui nécessiterait l’octroi de prestations pour traiter une atteinte à la santé ou en éviter la survenance (cf. art. 1a al. 2 let. a LAMal a contrario). En conséquence, en niant que les mesures médicales visant à améliorer la capacité à procréer en cas de baisse de la fertilité liée exclusivement à l’âge puissent constituer le traitement d’une maladie, la juridiction cantonale n’a pas violé le droit, notamment l’art. 25 al. 1 LAMal.

 

Critère de la vraisemblance prépondérante

Le simple fait que l’on ne puisse « pas complètement exclure l’existence d’une pathologie préexistante des chromosomes chez [elle] ou [s]on conjoint » ne suffit pas pour admettre qu’une telle pathologie soit à l’origine des fausses couches qu’elle a subies. Le juge des assurances sociales fonde en effet sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante (ATF 144 V 427 consid. 3.2 p. 429). En l’espèce, dans son rapport, la médecin traitant a indiqué que ses investigations avaient mis en évidence comme seul facteur féminin de l’infertilité l’âge de la patiente, et qu’il s’agissait également du seul élément objectivé du risque de fausse couche. La possibilité que des anomalies chromosomiques préexistantes fussent à l’origine des fausses couches de l’assurée ne paraissait ainsi pas vraisemblable.

Concernant ensuite le facteur masculin de l’infertilité du couple, on ne saurait reprocher aux juges cantonaux de ne pas l’avoir pris en considération. Dans son rapport, la médecin traitant a en effet seulement fait état d’une légère asthénozoospérmie (légère diminution de la mobilité des spermatozoïdes) et/ou tératozoospermie (légère diminution des formes normales des spermatozoïdes), sans indiquer que cette diminution de la qualité des spermatozoïdes puisse être due à une cause pathologie et non uniquement à l’âge de l’époux de l’assurée.

En conséquence de ce qui précède, pour admettre, au degré de la vraisemblance prépondérante, que la cause la plus vraisemblable des difficultés de l’assurée à tomber enceinte était son âge au moment du traitement par inséminations intra-utérines des 28.03.2012 et 31.08.2012, et donc, pour nier la présence d’une maladie au sens juridique du terme, la juridiction cantonale n’a pas établi les faits de manière arbitraire, ni procédé à une appréciation des preuves contraire à l’art. 61 let. c LPGA.

 

Compte tenu de l’absence d’altération de la santé de l’assurée ayant valeur de maladie, c’est à bon droit que la juridiction cantonale a considéré que la question de l’examen de l’efficacité et de l’adéquation du traitement par inséminations artificielles pouvait rester ouverte à ce stade, dans le cas particulier. L’argumentation relative aux « critères d’efficacité et d’adéquation des traitements » développée dans l’écriture de recours n’a donc pas à être prise en considération.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_800/2019 consultable ici