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9C_809/2017 (f) du 27.03.2018 – Révision d’une rente d’invalidité – 17 LPGA / Capacité de travail exigible dans une activité adaptée – Déconditionnement conséquence directe et inévitable d’une atteinte à la santé – Exécution préalable de mesures de réadaptation

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_809/2017 (f) du 27.03.2018

 

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Révision d’une rente d’invalidité / 17 LPGA

Capacité de travail exigible dans une activité adaptée – Déconditionnement conséquence directe et inévitable d’une atteinte à la santé / 16 LPGA

Exécution préalable de mesures de réadaptation

 

Assuré a travaillé comme vendeur, manutentionnaire et animateur socio-culturel. Le 02.11.2010, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité; il y indiquait être en incapacité totale de travailler depuis le 02.06.2010 en raison d’une insuffisance rénale et de la maladie de Bechterew.

Après avoir recueilli des renseignements auprès des médecins traitants de l’assuré et sollicité l’avis de son SMR, l’office AI a reconnu à l’assuré le droit à une rente entière d’invalidité à compter du 01.06.2011 (décision du 05.09.2012).

En 2016, dans le cadre d’une procédure de révision du droit aux prestations, le médecin au SMR a constaté une amélioration de l’état de santé de l’assuré et fait état d’une capacité de travail entière dans une activité adaptée depuis le mois de novembre 2015. Fort de ces conclusions, l’office AI a supprimé le droit de l’intéressé à une rente entière d’invalidité avec effet au 01.03.2017 (décision du 24.01.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2017 29 – consultable ici)

Par jugement du 17.10.2017, le tribunal cantonal a confirmé la suppression du droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité prononcée par l’office AI le 24.01.2017. Pour ce faire, l’instance cantonale a comparé la situation prévalant lors de la décision initiale d’octroi de rente du 05.09.2012 avec celle existant au moment de la décision litigieuse. Elle a constaté que de l’avis unanime des médecins consultés après le 01.12.2015, l’état de santé de l’assuré s’était amélioré à la suite de la transplantation rénale qu’il avait subie le 05.05.2015. En se fondant sur l’avis du docteur C.__, médecin au centre de transplantation de l’hôpital D.__, elle a admis que l’assuré présentait une capacité de travail totale dans une activité adaptée; elle a également nié son droit à des mesures d’ordre professionnel.

 

TF

L’assuré ne conteste pas l’amélioration de son état de santé. Il reproche uniquement aux premiers juges d’avoir procédé à une appréciation arbitraire de sa capacité de travail, et de ne pas avoir examiné la question de l’opportunité de mesures de réadaptation ou de mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle. Selon lui, l’instance cantonale n’aurait en particulier pas tenu compte des conclusions de la doctoresse E.__, médecin au centre de transplantation de l’hôpital D.__, selon laquelle sa capacité de travail dans une activité adaptée ne dépassait pas 40-50%.

En l’espèce, la juridiction cantonale a suivi l’avis du docteur C.__, selon lequel l’assuré présentait, depuis le mois de novembre 2015, une pleine capacité de travail sans diminution de rendement dans une activité sédentaire principalement en position assise, sans port de charge de plus de 10 kg, sans devoir se pencher ou travailler en porte-à-faux rachidien, ceci dans un milieu exempt de poussières et de risque infectieux. Elle a en revanche écarté l’avis divergent de la doctoresse E.__, qui faisait état d’une capacité de travail dans une activité adaptée n’excédant pas 40-50%.

Les juges cantonaux ont justifié leur choix de se rallier aux conclusions du docteur C.__ et du médecin du SMR en indiquant qu’elles avaient été exprimées au terme d’examens complets et en pleine connaissance du dossier. A l’inverse, ils n’ont pas suivi l’avis de la doctoresse E.__, dans la mesure où elle rattachait la diminution de la capacité de travail de l’assuré à son déconditionnement intervenu à la suite des longues années de thérapie.

L’appréciation des premiers juges ne peut pas être suivie. D’une part, on relèvera que le rapport de la doctoresse E.__ est plus précis et plus étayé que celui du docteur C.__, qui a constaté une amélioration depuis la greffe et émis un pronostic favorable quant à la reprise à 100% d’une activité adaptée « en l’absence de complication ». La doctoresse E.__ a en particulier indiqué l’évolution de l’état de santé de l’assuré depuis le traitement en hémodialyse pendant plusieurs années et le traitement immunosuppresseur.

D’autre part, l’affirmation de l’instance cantonale selon laquelle le déconditionnement « ne représente pas une maladie invalidante en soi au sens de la LAI » est erronée compte tenu des circonstances particulières. Certes, comme le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion d’en juger, ni le déconditionnement issu d’un mode de vie sédentaire et inactif, ni celui lié à une longue interruption de l’activité professionnelle ne suffisent en tant que tels pour admettre une diminution durable de la capacité de travail dans toute activité (cf. arrêts I 524/04 du 28 juin 2005 consid. 5 et I 597/03 du 22 mars 2004 consid. 4.1). En revanche, lorsque le déconditionnement se révèle être la conséquence directe et inévitable d’une atteinte à la santé, son incidence sur la capacité de travail ne saurait d’emblée être niée. A cet égard, les éléments empêchant la réadaptation et la réintégration professionnelles qui ne sont pas dus à l’atteinte à la santé n’ont pas à être pris en considération. Si la mise en valeur de la capacité résiduelle de travail dépend cependant d’une mesure préalable liée à l’état de santé, et réservée du point de vue médical, il y a lieu d’en tenir compte pour évaluer ladite capacité de travail. Ainsi, lorsque le corps médical fixe une capacité résiduelle de travail, tout en réservant que celle-ci ne pourra être atteinte que moyennant l’exécution préalable de mesures de réadaptation, il n’y a pas lieu de procéder à une évaluation du taux d’invalidité sur la base de la capacité résiduelle de travail médico-théorique avant que lesdites mesures n’aient été exécutées (arrêts 9C_141/2009 du 5 octobre 2009 consid. 2.3.1 et les arrêts cités, in SVR 2010 IV n° 9 p. 27; 9C_163/2009 du 10 septembre 2010 consid. 4.1, SVR 2011 IV n° 30 p. 86).

En l’occurrence, la doctoresse E.__ a indiqué que le déconditionnement de l’assuré était consécutif aux années d’hémodialyse qui avaient précédé la greffe, ainsi qu’au traitement immunosuppresseur post-greffe, lequel avait occasionné une perte de poids et une fonte musculaire. En raison de ce déconditionnement et de la faiblesse musculaire, l’activité adaptée n’était envisageable qu’à un taux maximum de 40 à 50%, mais celui-ci pouvait être augmenté dans le futur en l’absence de complications médicales liées à l’immunosuppression. Dès lors, les juges cantonaux ne pouvaient pas, sauf à faire preuve d’arbitraire, écarter l’avis de ce médecin et ne pas tenir compte du déconditionnement entraîné par l’atteinte à la santé et de la reprise progressive d’une activité lucrative qui en découle. Ainsi, leur constatation selon laquelle l’état physique de l’assuré s’était rétabli et lui permettait l’exercice d’une activité à plein temps est manifestement inexacte. Il y a lieu de tenir compte d’une capacité de travail de 40 à 50% dans une activité adaptée dans un premier temps, alors qu’il reste à évaluer les mesures nécessaires au reconditionnement physique de l’intéressé ainsi que leur durée, sous réserve de la collaboration de celui-ci (art. 21 al. 4 LPGA).

La cause doit ainsi être renvoyée à l’office AI pour instruction complémentaire. Ce n’est qu’à la suite de celle-ci que l’office AI pourra statuer définitivement sur la révision de la rente d’invalidité. En ce sens, la conclusion de l’assuré tendant au renvoi de la cause pour instruction complémentaire est bien fondée; le jugement cantonal doit être annulé en conséquence.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_809/2017 consultable ici

 

 

9C_814/2019 (f) du 10.09.2020 – Allocation pour impotent – Condition d’assurance – Séquelles d’une poliomyélite – 6 LAI / Allocation pour impotent en relation avec l’obésité – Atteinte à la santé invalidante au sens de l’art. 4 LAI vs 9 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_814/2019 (f) du 10.09.2020

 

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Allocation pour impotent – Condition d’assurance – Séquelles d’une poliomyélite / 6 LAI

Allocation pour impotent en relation avec l’obésité – Atteinte à la santé invalidante au sens de l’art. 4 LAI vs 9 LPGA

 

Assurée, ressortissante étrangère, souffre de séquelles d’une poliomyélite avec atteinte du membre inférieur droit contractée à l’âge de cinq ans. Arrivée en Suisse en février 2004, où l’assurance-invalidité a pris en charge des frais supplémentaires de formation professionnelle initiale, une aide au placement et des frais d’orientation professionnelle. En 2009 et 2013, elle a eu deux enfants.

Le 18.07.2011, l’assurée a déposé une demande d’allocation pour impotent, exposant qu’elle avait besoin de l’aide d’un tiers depuis septembre 2009 pour placer correctement l’orthèse sur sa jambe droite, ainsi que mettre et ôter les vêtements passant par cette jambe. Elle a aussi mentionné le besoin d’aide pour entrer et sortir de la douche depuis 2004. En outre, elle a indiqué avoir besoin d’un accompagnement durable et régulier pour faire face aux nécessités de la vie, soit pour lui permettre de vivre chez elle ainsi que pour les rendez-vous et les contacts hors domicile.

Sur la base des renseignements obtenus, l’office AI a rejeté la demande, par décision du 14.06.2012. En bref, il a considéré que les conditions d’assurance n’étaient pas remplies, car le besoin d’aide dans l’accomplissement de certains actes ordinaires de la vie existait déjà en raison des séquelles d’une poliomyélite au moment où l’assurée était arrivée en Suisse. Cette décision a été annulée par la cour cantonale, qui, par jugement du 18.06.2015 (AI 173/12 – 162/2015), a renvoyé la cause à l’office AI pour instruction complémentaire sur le caractère invalidant de l’obésité pathologique mise en évidence par l’expertise du spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur (jugement confirmé par le TF [9C_593/2015].

Par décision du 06.07.2017, l’office AI a rejeté la demande. En bref, il a retenu que l’excédent de poids n’avait pas provoqué d’atteinte à la santé et n’était pas la conséquence d’un trouble de santé, si bien que l’obésité ne devait pas être considérée comme une atteinte à la santé invalidante au sens de la loi.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 275/17 – 348/2019 – consultable ici)

En se référant à son jugement du 18.06.2015, la juridiction cantonale a admis que la condition d’assurance n’était pas réalisée en ce qui concerne le droit à une allocation pour impotent (art. 37 RAI) en relation avec les séquelles de la poliomyélite.

En ce qui concerne le droit à l’allocation pour impotent en relation avec l’obésité, il importe peu qu’elle soit la cause ou la conséquence d’une atteinte à la santé se répercutant sur la capacité de gain, respectivement qu’il s’agisse d’une obésité primaire ou secondaire. Seul est décisif le point de savoir si l’obésité en tant que telle est source d’impotence pour l’accomplissement de trois actes de la vie quotidienne (se vêtir, se baigner/se doucher et se déplacer) ou pour faire face aux nécessités de la vie. Selon l’instance cantonale, l’assurée n’a toutefois besoin ni d’aide ni d’accompagnement du fait de son surpoids, puisque les difficultés qu’elle éprouve sont essentiellement liées à l’interaction entre les séquelles de la poliomyélite – singulièrement le port d’une orthèse – et l’obésité. Sans les séquelles de la poliomyélite, la seule obésité n’engendrerait aucun besoin d’assistance, de sorte que l’assurée n’a pas droit à une allocation pour impotent du fait de son surpoids.

Par jugement du 05.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Condition d’assurance – Allocation pour impotent

Selon les constatations de l’autorité cantonale, et comme l’office AI le fait observer en se référant à l’extrait de compte individuel de l’assurée, la première inscription sur le compte en lien avec une période de cotisations date du mois d’août 2005.

Par ailleurs, l’aide invoquée se rapportait surtout aux travaux ménagers et aux déplacements hors domicile, de sorte qu’il n’était pas possible de soutenir que cette aide aurait été nécessitée après l’arrivée de l’assurée en Suisse en 2004. A cet égard, l’affirmation de l’assurée selon laquelle elle aurait vécu de façon indépendante en Suisse de 2005 à 2009 ne suffit pas à mettre en évidence un défaut d’instruction de la part de la juridiction cantonale sur ce point, étant donné qu’elle entre partiellement en contradiction avec les déclarations de l’assurée qui ressortent de sa demande de prestations du 18.07.2011, où elle invoquait déjà ce besoin d’accompagnement « depuis 2004 ».

 

Allocation pour impotent en relation avec l’obésité

En l’espèce, le spécialiste en médecine générale et le spécialiste en chirurgie orthopédique ont tous deux confirmé le caractère de maladie de l’obésité, le premier ayant indiqué qu’elle est pathologique tandis que le second a fait état d’obésité morbide. On se trouve donc en présence d’une atteinte à la santé. Celle-ci est survenue dans les suites du premier accouchement, le 15.01.2009, soit à un moment où la condition d’assurance était remplie (art. 6 al. 2 LAI). L’une des exigences posées à l’art. 9 LPGA pour ouvrir droit à l’allocation pour impotent est ainsi réalisée.

Quant au caractère invalidant de cette atteinte, on rappellera que la notion d’atteinte à la santé prévue à l’art. 9 LPGA correspond à celle de l’invalidité qui figurait à l’art. 42 al. 2 LAI, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002 (cf. arrêt I 127/04 du 2 juin 2004 consid. 2.2.1, in SVR 2005 IV n° 4 p. 14), et non à celle qui est retenue pour fixer l’incapacité de gain (cf. art. 7 LPGA). Déjà sous l’empire de l’art. 42 al. 2 aLAI, la notion d’impotence n’était pas limitée aux personnes invalides au sens de l’art. 4 aLAI, à savoir aux assurés qui en raison d’une atteinte à la santé subissaient une diminution de la capacité de gain. Le terme « invalidité » en relation avec l’impotence n’avait déjà à l’époque pas une signification économique, mais celle d’atteinte à la santé ou de handicap physique ou mental (ATF 137 V 351 consid. 4.3 p. 358). Dans ces conditions, on constate que le caractère primaire ou secondaire de l’obésité (à ce sujet, cf. arrêt 9C_49/2019 du 3 mai 2019 consid. 5.3), tel qu’invoqué par l’office AI, ne joue aucun rôle. Il s’agit en définitive uniquement de savoir si l’atteinte à la santé entraîne une perte d’autonomie susceptible de fonder le droit à l’allocation litigieuse (MICHEL VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité, 2018, n° 6 ad art. 42 LAI, p. 597).

En ce qui concerne l’incidence de l’obésité sur l’accomplissement des différents actes ordinaires de la vie, le Tribunal cantonal a constaté que pour trois actes (se vêtir, se baigner/se doucher, se déplacer), les difficultés trouvaient leur origine dans les suites de la poliomyélite ; la seule obésité n’entraînait aucun besoin d’assistance au sens de l’art. 9 LPGA.

Il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations cantonales relatives à l’origine des difficultés pour accomplir les actes ordinaires de la vie. En tant que l’assurée soutient que l’obésité serait causale dans le besoin invoqué, elle méconnaît que s’il existe une interaction entre l’obésité et les séquelles de la poliomyélite, c’est cette atteinte à la santé – non assurée – qui a provoqué les limitations par rapport aux actes en cause.

En particulier, en relation avec l’acte « se déplacer », le besoin existe indépendamment du surpoids de l’assurée. Il importe donc peu que l’obésité ait aggravé la situation, comme le spécialiste en chirurgie orthopédique l’a attesté en notant que le surpoids entraîne une diminution de la capacité à la marche.

Par ailleurs, l’assurée n’aurait pas besoin d’assistance pour accomplir les autres actes de la vie en cause sans les séquelles de la poliomyélite. A propos de l’acte « se baigner/se doucher », elle ne démontre pas en quoi l’instance précédente aurait violé l’art. 61 let. c LPGA dans la mesure où elle a examiné cet aspect mais n’a pas constaté d’impotence liée à l’obésité. Il ressort des constatations du jugement attaqué que l’assurée dépendait précédemment d’autrui pour se doucher en raison des séquelles de la poliomyélite.

Quant à l’acte « se vêtir », les difficultés éprouvées (singulièrement la fixation de l’orthèse et la mise d’un pantalon) sont aussi liées aux séquelles de la poliomyélite. Le besoin d’aide concerne les suites de cette maladie, sans laquelle le port de l’orthèse n’aurait pas été nécessaire. Pour cet acte également, l’obésité ne crée pas un besoin indépendant des suites de l’atteinte non assurée.

Finalement, en affirmant simplement revendiquer un besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie en raison de l’obésité, l’assurée ne met pas en évidence en quoi la juridiction cantonale aurait violé le droit en ne reconnaissant pas que les conditions du besoin étaient réalisées. A cet égard, les premiers juges ont constaté qu’un tel besoin avait été mentionné par l’assurée depuis 2004 déjà et qu’il était en tout état de cause lié aux séquelles de la poliomyélite, sans que l’assurée ne critique ces considérations. Il n’y a donc pas lieu de s’en écarter.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_814/2019 consultable ici