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8C_646/2022 (f) du 23.08.2023, destiné à la publication – Accident survenu après l’âge ordinaire de la retraite pour une assurée facultative – Rente d’invalidité – 18 al. 1 LAA – 4 LAA – 5 LAA – 136 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_646/2022 (f) du 23.08.2023, destiné à la publication

 

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Accident survenu après l’âge ordinaire de la retraite pour une assurée facultative – Rente d’invalidité / 18 al. 1 LAA – 4 LAA – 5 LAA – 136 OLAA

Interprétation d’un contrat de droit administratif

Il ne peut être dérogé à l’art. 18 al. 1 in fine LAA dans le cadre de la conclusion d’un contrat d’assurance-accidents facultative

Pas de protection de la bonne foi, l’assurée n’ayant pas rendu vraisemblable avoir subi un quelconque préjudice / 27 LPGA – 9 Cst.

 

A.A.__, née en 1946, et son époux B.A.__ né en 1945, ont fondé une entreprise de décoration d’intérieur et de nettoyage en 1989. Le 06.11.2017, l’assurance-accidents leur a soumis une offre de prolongation de contrat – lequel était renouvelable tacitement d’année en année – pour l’assurance des chefs d’entreprise pour l’année 2018. L’offre comprenait notamment, sous la rubrique «aperçu des prestations», une «rente d’invalidité à vie: 90% avec la rente AVS/AI en cas d’invalidité totale». Pour l’époux A.__, l’offre mentionnait, pour un taux d’occupation de 40%, un gain assuré de 30’000 fr. par an (2’500 fr. par mois), des indemnités journalières jusqu’à concurrence de 24’000 fr. par an (2’000 fr. par mois) et une rente d’invalidité de 27’000 fr. par an (2’250 fr. par mois) pour un taux d’invalidité de 100%, rente de l’assurance-invalidité comprise. La prime annuelle s’élevait à 1’203 fr. 70. La proposition établie pour Madame A.__ était structurée de la même manière et indiquait également le taux d’occupation, le gain assuré ainsi que les montants annuels et mensuels des indemnités journalières et de la rente d’invalidité. Les époux A.__ ont tous deux souscrit la proposition d’assurance. L’assurance-accidents a notamment établi une police d’assurance pour chefs d’entreprise en faveur de Madame A.__ pour la période du 01.01.2018 au 31.12.2018, avec renouvellement tacite, prévoyant une prime annuelle de 1’092 fr. 55 pour un gain assuré de 30’000 fr. et un taux d’occupation de 40%. La police d’assurance, datée du 01.02.2018, renvoyait aux « Conditions de l’assurance des chefs d’entreprise, édition 04.2017 » (ci-après: les conditions de l’assurance), censées faire partie intégrante du contrat, lequel a été tacitement renouvelé pour l’année 2019.

Le 04.12.2019, Madame A.__ (ci-après : l’assurée) a chuté alors qu’elle effectuait des nettoyages dans les combles d’un immeuble, occasionnant une fracture tassement de D11 instable, un TCC sans perte de connaissance, une fracture du sacrum dans sa partie S3, une fracture du bord postérieur du sternum 1/3 inférieur et une plaie longitudinale en lambeau de deux centimètres prenant le tissu sous-cutané du bord radial de l’interphalangienne distale de l’annulaire gauche. Une opération de stabilisation par ostéosynthèse de la colonne vertébrale de D9 à L1 a été pratiquée.

Par décision du 25.02.2021, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité, au motif que l’accident du 04.12.2019 était survenu après l’âge ordinaire de la retraite de l’assurée. En revanche, une IPAI de 37’050 fr., correspondant à un taux de 25%, lui a été octroyée en raison d’un « status après fracture instable de D11 ayant nécessité une fixation interne de D9-L1 ».

 

Procédure cantonale (arrêt AA 60/21 – 123/2022 – consultable ici)

Par jugement du 26.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition en tant qu’elle portait sur le droit à une IPAI et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision. Le recours a été rejeté, dans la mesure de sa recevabilité, en tant qu’il portait sur le droit à une rente d’invalidité.

 

TF

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Si l’assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins ensuite d’un accident, il a droit à une rente d’invalidité, pour autant que l’accident soit survenu avant l’âge ordinaire de la retraite (art. 18 al. 1 LAA). Selon l’art. 4 al. 1 LAA, les personnes exerçant une activité lucrative indépendante et domiciliées en Suisse, ainsi que les membres de leur famille qui collaborent à l’entreprise, peuvent s’assurer à titre facultatif, s’ils ne sont pas assurés à titre obligatoire. Selon l’art. 5 LAA, les dispositions sur l’assurance obligatoire s’appliquent par analogie à l’assurance facultative (al. 1); le Conseil fédéral édicte des prescriptions complémentaires sur l’assurance facultative (al. 2, première phrase); il réglemente notamment l’adhésion, la démission et l’exclusion ainsi que le calcul des primes (al. 2, seconde phrase). Le Conseil fédéral a fait usage de cette compétence en édictant les art. 134 à 140 OLAA.

Dans l’assurance facultative, le rapport d’assurance se fonde sur un contrat écrit qui fixe notamment le début, la durée minimale et la fin du rapport d’assurance (art. 136 OLAA). Il s’agit d’un contrat d’assurance de droit public qui doit être interprété, dans le cadre des limites fixées par la loi, de la même manière qu’un contrat de droit privé, à savoir selon la réelle et commune intention des parties, respectivement selon le principe de la confiance (arrêt 8C_200/2017 du 2 mars 2018 consid. 3.2 et les références citées).

Consid. 4.1.2
Lorsqu’il s’agit d’interpréter un contrat de droit administratif, le juge doit, comme pour un contrat de droit privé, rechercher d’abord la réelle et commune intention des parties au moment de la conclusion du contrat (interprétation subjective; ATF 148 V 70 consid. 5.1.1; 144 V 84 consid. 6.2.1). S’il ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties – parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes – ou s’il constate qu’une partie n’a pas compris la volonté exprimée par l’autre à l’époque de la conclusion du contrat – ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu’elle l’affirme en procédure, mais doit résulter de l’administration des preuves -, il doit recourir à l’interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d’après les règles de la bonne foi, chacune d’elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l’autre (principe de la confiance; ATF 148 V 70 consid. 5.1.1; 144 V 84 consid. 6.2.1; 144 III 93 consid. 5.2.3).

D’après le principe de la confiance, la volonté interne de s’engager du déclarant n’est pas seule déterminante; une obligation à sa charge peut découler de son comportement, dont l’autre partie pouvait, de bonne foi, déduire une volonté de s’engager. Ce principe permet ainsi d’imputer à une partie le sens objectif de sa déclaration ou de son comportement, même si celui-ci ne correspond pas à sa volonté intime (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; 130 III 417 consid. 3.2). L’interprétation objective permet de protéger la partie destinataire dans la compréhension qu’elle avait de la volonté manifestée par la partie adverse. Cette protection est accordée si la partie a donné à la déclaration de volonté reçue la signification qu’elle pouvait lui accorder de bonne foi selon les circonstances qu’elle connaissait ou aurait dû connaître (BÉNÉDICT WINIGER, in: Commentaire romand, Code des obligations I, 3 e éd. 2021, n° 135 ad art. 18 CO et les arrêts cités).

Si l’interprétation selon le principe de la confiance ne permet pas de dégager le sens de clauses ambiguës, celles-ci sont à interpréter en défaveur de celui qui les a rédigées, en vertu de la règle «in dubio contra stipulatorem» (ATF 148 III 57 consid. 2.2.2; 133 III 61 consid. 2.2.2.3; 124 III 155 consid. 1b). En droit des assurances, conformément au principe de la confiance, c’est en effet à l’assureur qu’il incombe de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre et le preneur n’a pas à supposer des restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées (ATF 133 III 675 consid. 3.3; sous une forme résumée: ATF 148 III 57 consid. 2.2.2 in fine; 135 III 410 consid. 3.2; arrêt 4A_92/2020 du 5 août 2020 consid. 3.2.2).

Dans l’interprétation de contrats de droit administratif, il y a lieu de présumer que l’administration n’est pas prête à convenir de quelque chose qui serait en contradiction avec l’intérêt public qu’elle doit préserver ou avec la législation topique (ATF 144 V 84 consid. 6.2.1; 135 V 237 consid. 3.6; 122 I 328 consid. 4e). Ainsi, en cas de doute, le contrat de droit administratif doit être interprété de manière conforme à la loi (ATF 139 V 82 consid. 3.1.2; 135 V 237 consid. 3.6).

 

Consid. 4.5
Une volonté réelle et commune des parties sur le point litigieux n’ayant pas pu être établie, il convient d’interpréter le contrat selon le principe de la confiance (cf. consid. 4.1.2 supra). La police d’assurance pour l’année 2018 remise à l’assurée ensuite de la signature de la prolongation du contrat pour l’année 2018 – renouvelé tacitement pour l’année 2019 – indique que les conditions de l’assurance « font partie intégrante de la présente police ». Selon l’art. 1 desdites conditions de l’assurance, « les prescriptions de la LAA concernant l’assurance obligatoire sont applicables par analogie à l’assurance facultative des chefs d’entreprise dans la mesure où les présentes conditions et la police ne prévoient pas d’autres dispositions ». Or le contrat signé par l’assurée, sur la base duquel la police a été établie, contient de manière explicite une clause s’écartant du prescrit de l’art. 18 al. 1 in fine LAA, en tant qu’un droit à une rente d’invalidité est prévu quand bien même l’assurée avait déjà dépassé l’âge ordinaire de la retraite au moment de la conclusion du contrat. Il n’est en effet pas contesté que l’offre de prolongation de contrat du 6 novembre 2017 soumise à l’assurée par l’assurance-accidents – dont la spécialisation dans le domaine de l’assurance-accidents en Suisse est largement reconnue – mentionnait explicitement, sous la rubrique « aperçu des prestations », le droit à une rente d’invalidité à vie (90% avec la rente AVS/AI en cas d’invalidité totale) et que cette offre de prolongation précisait les montants (annuels et mensuels) d’une éventuelle rente en cas d’accident. L’assurance-accidents, qui a elle-même rédigé l’ensemble des clauses contractuelles, ne pouvait au demeurant pas ignorer que l’assurée avait largement dépassé l’âge ordinaire de la retraite au moment où l’offre de prolongation de contrat du 6 novembre 2017 a été faite; l’assurée était alors âgée de 71 ans, soit bien au-delà de 64 ans. Au vu de ces éléments, l’assurée pouvait de bonne foi déduire de la lecture de l’offre de prolongation de contrat, de la police et des conditions de l’assurance que l’assurance-accidents s’engageait à lui verser une rente d’invalidité en cas d’accident. Par conséquent, en application du principe de la confiance, on doit conclure que le contrat liant les parties prévoit un droit à une rente d’invalidité au bénéfice de l’assurée, même si celle-ci avait dépassé l’âge ordinaire de la retraite au moment de l’accident.

 

Consid. 4.6
Il reste encore à déterminer s’il peut être dérogé à l’art. 18 al. 1 in fine LAA dans le cadre de la conclusion d’un contrat d’assurance-accidents facultative.

Consid. 4.6.1
Selon le Message additionnel du 19 septembre 2014 relatif à la modification de la LAA (FF 2014 7691), le droit à une rente d’invalidité pour les accidents survenant après l’âge ordinaire de la retraite a été supprimé – avec entrée en vigueur au 1er janvier 2017 – pour éviter toute surindemnisation; au-delà de cet âge, la prévoyance professionnelle obligatoire (à savoir les prestations prévues par la LAVS et la LPP) est en principe entièrement constituée, si bien qu’il ne peut plus y avoir de dommage de rente que l’assurance-accidents devrait compenser (FF 2014 7691, p. 7703 à 7705).

Consid. 4.6.2
Dans son Message du 18 août 1976 à l’appui du projet de la LAA (FF 1976 III 143), le Conseil fédéral soulignait, s’agissant de l’assurance-accidents facultative, qu’il convenait de donner la possibilité aux employeurs et autres personnes de condition indépendante, à l’exception des personnes sans activité lucrative occupant des employés de maison, de s’assurer facultativement aux mêmes conditions que les travailleurs (FF 1976 III 143, p. 166). Concernant l’art. 5 LAA (cf. consid. 4.1.1 supra), il précisait que le genre et la durée de l’assurance obéissaient aux règles de l’assurance obligatoire pour les personnes qui pouvaient adhérer facultativement à l’assurance selon la loi. Il en allait notamment ainsi pour le droit aux prestations, les primes, la prévention des accidents, les rapports entre les assureurs et les personnes exerçant une activité dans le domaine médical, les questions tarifaires, le contentieux et les dispositions pénales. S’agissant de l’art. 5 al. 2 LAA, le Conseil fédéral relevait que s’il en était besoin, il édicterait des prescriptions spéciales pour l’assurance facultative, avant tout quant à l’adhésion et à la démission, quant à l’exclusion, par exemple lorsque cesse l’activité lucrative, et quant au calcul des primes; ces prescriptions devaient empêcher que l’on abuse des avantages de l’assurance facultative (FF 1976 III 143, p. 188 et 189). Sur la base de cet alinéa 2, le Conseil fédéral a édicté les art. 134 à 140 OLAA.

Consid. 4.6.3
L’ancien Tribunal fédéral des assurances a précisé que l’assurance facultative n’est pas, de par la loi, conçue de manière différente de l’assurance obligatoire. Il est toutefois possible de déroger aux dispositions relatives à l’assurance obligatoire, applicables «par analogie» («sinngemäss» dans la version allemande et «per analogia» dans la version italienne) selon l’art. 5 al. 1 LAA, dans la mesure où la nature et la structure de l’assurance facultative le justifient. La volonté du législateur n’était en effet pas de mettre systématiquement sur un pied d’égalité les assurés volontaires et les assurés obligatoires (cf. ATF 148 V 236 consid. 7.1 et les références); il a au contraire été prévu que le Conseil fédéral puisse édicter des prescriptions particulières dans la mesure où l’assurance facultative le requérait. Selon une correcte interprétation de l’art. 5 LAA, les dispositions de l’assurance obligatoire ne doivent être appliquées à l’assurance facultative que si cela paraît judicieux («wenn dies sinnvoll erscheint»). En d’autres termes, des dérogations à la LAA sont autorisées si elles sont justifiées par le caractère différent de l’assurance obligatoire et de l’assurance facultative (arrêts U 41/05 du 13 juin 2006 consid. 3, in: RAMA 5/2006 p. 403 s.; U 358/98 du 9 décembre 1999 consid. 4a, in: RAMA 3/2000 p. 172 s.; cf. aussi VOLKER PRIBNOW, in: Frésard-Fellay/Leuzinger/Pärli [éd.], Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 2 ad art. 5 LAA; MARCO CHEVALIER, in: Marc Hürzeler/Ueli Kieser [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, n ° 1 à 3 ad art. 5 LAA). Les dérogations à l’assurance obligatoire ne se limitent ainsi pas aux dispositions particulières des art. 134 ss OLAA (cf. VOLKER PRIBNOW, op. cit., n° 2 ad art. 5 LAA). Le travailleur indépendant doit toutefois pouvoir partir du principe qu’il obtiendra, grâce à l’assurance facultative, la même protection que celle dont bénéficient ses salariés (ibidem, n° 6 in fine ad art. 5 LAA).

Consid. 4.6.4
L’assurance-accidents facultative au sens de la LAA est à distinguer de l’assurance-accidents facultative complémentaire («Unfallzusatzversicherung»), qui en tant qu’assurance privée est soumise à la LCA et ne tombe pas sous le coup de la LAA. La CNA ne peut pas proposer des assurances-accidents facultatives complémentaires; les employeurs assurés auprès de la CNA qui souhaitent une couverture d’assurance-accidents plus complète pour leurs employés (peuvent et) doivent s’adresser à d’autres assureurs au sens des art. 68 ss LAA. Aux termes de l’art. 70 al. 1 LAA, ces assureurs sont tenus d’allouer au moins les prestations d’assurance prévues dans la LAA aux personnes assurées à titre obligatoire ou facultatif (cf. MARC HÜRZELER / BETTINA BÜRGI, in: Frésard-Fellay/Leuzinger/Pärli [éd.], Basler Kommentar, op. cit., n° 3 et 4 ad art. 70 LAA; HARDY LANDOLT, in: René Schaffhauser/Ueli Kieser [éd.], Invalidität von Selbstsändigerwerbenden, 2007, p. 68). L’art. 70 al. 1 LAA ne porte pas sur le rapport entre l’assurance obligatoire et l’assurance facultative (arrêt U 358/98 du 9 décembre 1999 précité consid. 4b).

Consid. 4.6.5
L’OLAA ne contient aucune prescription spéciale faisant exception à l’art. 18 al. 1 in fine LAA, en cohérence avec le Message du 18 août 1976, dans lequel le Conseil fédéral indiquait que le droit aux prestations des personnes assurées facultativement obéissait aux règles de l’assurance obligatoire (cf. consid. 4.6.2 supra). Or on ne voit pas qu’une dérogation à cette disposition légale dans le domaine de l’assurance facultative puisse être entérinée par la jurisprudence, dès lors qu’une telle dérogation ne se justifierait pas par le caractère différent des deux types d’assurances. Certes, certaines personnes de condition indépendante peuvent être contraintes de travailler au-delà de l’âge ordinaire de la retraite pour des motifs économiques. Tel peut toutefois aussi être le cas de salariés qui ne se sont pas constitué une épargne suffisante. En outre, les indépendants ont la possibilité de se constituer volontairement un deuxième pilier ainsi qu’un troisième pilier, de sorte que leur situation est également sur ce point comparable à celle des salariés. Le risque de surindemnisation (cf. consid. 4.6.1 supra) concerne donc aussi les indépendants. Pour revenir aux salariés, on notera que l’art. 18 al. 1 in fine LAA s’applique aux personnes assurées obligatoirement contre le risque d’accidents indépendamment du fait qu’ils continuent ou non de travailler après l’âge ordinaire de la retraite ainsi que de l’état de leur prévoyance retraite. On rappellera encore que les prescriptions spéciales en matière d’assurance facultative ont pour but d’empêcher que l’on abuse des avantages de cette assurance (cf. consid. 4.6.2 in fine supra). Or admettre un droit à la rente d’invalidité en faveur des personnes assurées facultativement en cas d’accident au-delà de l’âge ordinaire de la retraite – en dérogation à l’art. 18 al. 1 in fine LAA – reviendrait à procurer un avantage aux assurés soumis au régime facultatif.

Consid. 4.7
Il découle de ce qui précède qu’il ne peut pas être dérogé à l’art. 18 al. 1 in fine LAA dans le cadre de la conclusion d’un contrat d’assurance-accidents facultative. Par conséquent, le contrat liant les parties doit être interprété conformément à cette disposition légale. Malgré la volonté objective des parties de prévoir un droit à une rente d’invalidité en cas d’accident après l’âge ordinaire de la retraite de l’assurée (cf. consid. 4.5 in fine supra), celle-ci ne peut pas prétendre à l’octroi d’une rente d’invalidité sur une base contractuelle. Il reste ainsi à examiner ci-après si tel pourrait être le cas sur la base des principes relatifs à la protection de la bonne foi.

 

Consid. 5.1
Aux termes de l’art. 27 LPGA, dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1); chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase); sont compétents pour cela les assureurs à l’égard desquels les intéressés doivent faire valoir leurs droits ou remplir leurs obligations (al. 2, deuxième phrase).

Découlant directement de l’art. 9 Cst. et valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration. Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erronés de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (2) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) que l’administré se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, (5) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée et (6) que l’intérêt à l’application du droit n’apparaisse pas prépondérant (ATF 146 I 105 consid. 5.1.1; 143 V 95 consid. 3.6.2; 137 I 69 consid. 2.5.1; arrêt 9C_252/2022 du 15 mai 2023 consid. 7.2 et l’arrêt cité). Ces principes s’appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (3) devant toutefois être formulée de la façon suivante: que l’administré n’ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu’il n’avait pas à s’attendre à une autre information (ATF 143 V 341 consid. 5.2.1; 131 V 472 consid. 5).

Consid. 5.2
La cour cantonale
a retenu que l’assurée ne pouvait pas prétendre au versement de la rente litigieuse malgré le renseignement erroné qui lui avait été communiqué par l’assurance-accidents. En effet, la preuve d’un comportement préjudiciable à ses intérêts en raison de ce renseignement n’avait pas été apportée. L’assurée n’avait allégué que très vaguement le fait qu’elle n’avait pas constitué de prévoyance professionnelle et qu’elle comptait sur son activité indépendante pour financer sa retraite. On voyait toutefois mal comment elle aurait encore pu financer une telle retraite entre le moment de la conclusion du contrat d’assurance et celui de la survenance de l’accident, dans l’hypothèse où elle aurait été informée du fait qu’une invalidité résultant d’un accident n’ouvrirait pas le droit à une rente. Cette lacune aurait de toute façon dû être comblée en relation avec le risque de maladie invalidante, ce qui n’avait apparemment pas été fait. Il était par ailleurs peu vraisemblable que l’assurée ait trouvé, après l’âge de la retraite, auprès d’une compagnie d’assurance privée, un contrat d’assurance de rente en cas de réalisation du risque d’accident, voire un contrat d’assurance de somme couvrant ce risque de manière équivalente pour un prix abordable. Enfin, le contrat conclu était tout de même globalement favorable pour l’assurée, les indemnités journalières (28’000 fr.) et l’IPAI (37’050 fr.) versées par l’assurance-accidents excédant largement les cotisations payées (20’000 à 25’000 fr.), sans compter la prise en charge des frais médicaux.

Consid. 5.4
Quand bien même la perspective d’un droit à une rente d’invalidité en cas d’hypothétique accident aurait conduit l’assurée à conclure le contrat litigieux, elle n’a pas rendu vraisemblable avoir subi un quelconque préjudice. Comme retenu à juste titre par les premiers juges, on ne voit pas – et l’assurée n’expose pas – quelles mesures elle aurait pu prendre au titre de la prévoyance professionnelle entre le moment où l’offre de prolongation du contrat lui a été soumise – alors qu’elle était âgée de 71 ans – et l’accident quelques mois plus tard. Elle ne soutient notamment pas qu’elle aurait travaillé davantage pour combler une prévoyance retraite insuffisante. Par ailleurs, l’intéressée ne rend toujours pas plausible qu’elle aurait pu, à 71 ans, conclure auprès d’une assurance privée un contrat qui aurait prévu le droit à une rente d’invalidité en cas d’accident au-delà de l’âge ordinaire de la retraite ou, plus généralement, qui lui aurait permis d’obtenir des prestations nettes – soit en tenant compte des primes versées – plus élevées que celles reçues de l’assurance-accidents (cf. consid. 5.2 in fine supra).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_646/2022 consultable ici

 

Indemnités journalières en cas de rechute d’un accident initialement non assuré par la LAA: le Conseil fédéral lance la procédure de consultation

Indemnités journalières en cas de rechute d’un accident initialement non assuré par la LAA: le Conseil fédéral lance la procédure de consultation

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 15.09.2023 consultable ici

 

Lors de sa séance du 15 septembre 2023, le Conseil fédéral a lancé la procédure de consultation relative à la modification de la loi sur l’assurance-accidents (LAA) afin de donner suite à la motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents». La modification vise à garantir le versement des indemnités journalières par l’assurance-accidents dans les cas où l’incapacité de travail est due à une rechute ou aux séquelles tardives d’un accident survenu lorsque l’assuré était plus jeune et donc pas encore assuré à l’assurance-accidents.

Si une personne qui n’exerce pas encore d’activité professionnelle subit un accident, les frais médicaux sont pris en charge par sa caisse-maladie. Plus tard, si elle souffre d’une rechute ou de séquelles tardives alors qu’elle a intégré le monde du travail, cette personne ne bénéficiera pas d’indemnités journalières de la LAA. En vertu des dispositions légales actuelles, elle n’a en effet pas droit aux prestations de la LAA, l’accident initial n’ayant pas été assuré. Cette personne devra donc se tourner vers sa caisse-maladie, qui prendra en charge les frais médicaux aux conditions de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal). La perte de gain sera quant à elle assurée par l’employeur, mais pour une durée déterminée. Les indemnités journalières de la LAA ne seront donc pas versées.

La motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» adoptée par le Parlement a pour but de changer cet état de fait. Le Conseil fédéral propose donc de modifier la LAA afin de prévoir que les rechutes et les séquelles tardives dont souffre un assuré à la suite d’un accident qui n’a pas été assuré par la LAA et qui est survenu avant l’âge de 25 ans, soient également considérées comme étant des accidents non professionnels. Il propose également que les rechutes et les séquelles tardives susmentionnées donnent naissance à un droit aux indemnités journalières durant 720 jours au plus.

Il est proposé que les indemnités journalières nées de cette nouvelle disposition soient subsidiaires aux autres types d’indemnités pour perte de gain et donc versées par l’assureur uniquement lorsque l’obligation de l’employeur de verser le salaire s’éteint et qu’un droit aux indemnités journalières d’une quelconque assurance perte de gain n’existe plus. Ce nouveau risque à charge des assureurs présentera un coût maximal estimé à 17 millions de francs par année. Il sera financé par une très légère adaptation des primes, celles-ci devant légalement s’avérer conformes aux risques. On estime qu’une augmentation maximale de 0,5% des primes nettes des accidents non professionnels interviendra.

La procédure de consultation dure du 15 septembre 2023 au 15 décembre 2023.

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 15.09.2023 consultable ici

Motion Darbellay 11.3811 «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» consultable ici

Rapport du 28.03.2018 relatif au classement de la motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» consultable in FF 2018 2407

Rapport explicatif du 15.09.2023 relatif à l’ouverture de la procédure de consultation disponible ici

Projet de modification de la LAA disponible ici

Vue d’ensemble des modifications prévues par rapport au droit en vigueur consultable ici

 

Indennità giornaliere in caso di ricadute di un infortunio inizialmente non assicurato dalla LAINF: il Consiglio federale avvia la procedura di consultazione, Comunicato stampa dell’UFSP del 15.09.2023 disponibile qui

Taggelder bei Rückfall nach einem ursprünglich nicht durch das UVG versicherten Unfall: Der Bundesrat eröffnet das Vernehmlassungsverfahren, Medienmitteilung des BfG vom 15.09.2023 hier verfügbar

 

8C_359/2021 (d) du 07.07.2021 – Suicide par pendaison – Capacité de discernement au moment de l’acte chez un assuré atteint d’un trouble affectif bipolaire / 37 al. 1 LAA – 48 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_359/2021 (d) du 07.07.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Suicide par pendaison – Capacité de discernement au moment de l’acte chez un assuré atteint d’un trouble affectif bipolaire / 37 al. 1 LAA – 48 OLAA

 

Assuré, né en 1973, employé en dernier lieu en tant que directeur d’un centre de santé. Le 04.11.2017, il s’est pendu dans sa salle de bain.

Par courrier du 07.12.2017, l’assurance-accidents a informé l’ex-employeur qu’elle ne verserait aucune prestation d’assurance – à l’exception du remboursement des frais funéraires – étant donné que l’assuré avait volontairement mis fin à ses jours et qu’il fallait partir du principe qu’il n’était pas totalement incapable d’agir raisonnablement au moment de l’acte.

A la demande de la compagne de feu l’assuré, l’assurance-accidents a demandé un rapport à l’ancien médecin traitant, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Par décision du 06.09.2018, elle a nié son obligation de prestation, à l’exception des frais funéraires déjà pris en charge. La partenaire a fait opposition à cette décision au nom de leur fils commun, transmettant une expertise psychiatrique datée du 22.12.2018. Par décision sur opposition du 18.12.2019, l’assurance-accidents a maintenu sa décision.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00024 – consultable ici)

Par jugement du 10.03.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Il est établi que l’événement du 04.11.2017 était un suicide. En revanche, il est contesté et doit être examiné si l’assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement au moment où il a agi.

Consid. 2.2
Si l’assuré a provoqué intentionnellement l’atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d’assurance n’est allouée, sauf l’indemnité pour frais funéraires (art. 37 al. 1 LAA). Cette réglementation ne s’applique pas lorsque l’assuré, dont il est prouvé qu’il a voulu se suicider, était totalement incapable, sans faute de sa part, d’agir raisonnablement au moment de l’acte (art. 48 OLAA ; cf. sur la légalité de cette disposition : ATF 140 V 220 consid. 3.2 et consid. 3.3.1 ; 129 V 95).

Consid. 2.3
La capacité de discernement de la personne assurée doit être examinée par rapport à l’acte concret en question et en appréciant les conditions objectives et subjectives qui prévalaient au moment de son accomplissement (cf. sur l’ensemble : arrêt 8C_496/2008 du 17 avril 2009 consid. 2.3). Le fait que l’acte ait été commis sans conscience [cognition] ni volonté [volition] n’est pas déterminant ; en effet, il faut toujours constater une intention, ne serait-ce que sous la forme d’une impulsion de volonté totalement irréfléchie; sinon, il n’y a pas de suicide ou de tentative de suicide. Ce qui est déterminant, c’est uniquement de savoir si, au moment décisif, il existait un minimum de capacité de réflexion pour une gestion critique et consciente des processus endothymiques (c’est-à-dire avant tout des processus instinctifs internes). Pour que l’assureur-accidents soit tenu de verser des prestations, il faut qu’une maladie mentale ou un trouble grave de la conscience soit établi au degré de la vraisemblance prépondérante. Cela signifie qu’il faut prouver l’existence de symptômes psychopathologiques comme par exemple la folie, les hallucinations, la stupeur dépressive (état d’excitation soudaine avec tendance au suicide), le raptus (état d’excitation soudaine comme symptôme d’un trouble psychique), etc. Le suicide ou la tentative de suicide doit avoir pour origine une maladie mentale symptomatique ; en d’autres termes, l’acte doit être «insensé». Un simple geste «disproportionné», au cours duquel le suicidaire apprécie unilatéralement et précipitamment sa situation dans un moment de dépression et de désespoir ne suffit pas à admettre l’incapacité de discernement (arrêts 8C_916/2011 du 8 janvier 2013 consid. 2 ; 8C_936/2010 du 14 juin 2011 consid. 3.1 ; dans les deux cas avec référence à HANS KIND, Suizid oder « Unfall », Die psychiatrischen Voraussetzungen für die Anwendung von Art. 48 UVV, SZS 1993 p. 291). Le caractère accidentel d’un acte suicidaire doit par conséquent être nié s’il peut simplement être qualifié de disproportionné et qu’il existe qu’une incapacité totale de discernement à cet égard (RKUV 1996 n° U 267 p. 309, U 165/94 consid. 2b).

Consid. 2.4
Pour établir l’absence de capacité de discernement, il ne suffit pas de considérer l’acte suicidaire et, partant, d’examiner si cet acte est déraisonnable, inconcevable ou encore insensé. Il convient bien plutôt d’examiner, compte tenu de l’ensemble des circonstances, en particulier du comportement et des conditions d’existence de l’assuré avant le suicide, s’il était raisonnablement en mesure d’éviter ou non de mettre fin ou de tenter de mettre fin à ses jours. Le fait que le suicide en soi s’explique seulement par un état pathologique excluant la libre formation de la volonté ne constitue qu’un indice d’une incapacité de discernement (RAMA 1996 n° U 267 p. 309 E. 2b ; arrêt U 256/03 du 9 janvier 2004 consid.. 3.2). Il n’y a pas lieu de poser des exigences strictes quant à sa preuve ; elle est considérée comme apportée lorsqu’un acte suicidaire commandé par des pulsions irrésistibles et apparaît comme plus vraisemblable qu’une action encore largement rationnelle et volontaire (arrêts 9C_81/2014 du 20 mai 2014 ; 8C_496/2008 du 17 avril 2009 consid. 2.3 in fine et les références).

Consid. 2.5
En cas de suicide ou de tentative de suicide, le bénéficiaire des prestations doit prouver qu’il était incapable de discernement au sens de l’art. 16 CC au moment des faits (SVZ 68 2000 S. 202, U 54/99; RKUV 1996 Nr. U 247 S. 168, U 21/95 consid. 2a, Urteil 8C_256/2010 vom 22. Juni 2010 consid. 3.2.1). Dans le cadre du procès en matière d’assurances sociales, dominé par le principe inquisitoire, il n’incombe toutefois pas aux parties un fardeau subjectif de la preuve au sens de l’art. 8 CC. Le fardeau de la preuve n’existe que dans la mesure où, en cas d’absence de preuve, la décision est rendue au détriment de la partie qui voulait déduire des droits des faits non prouvés. Cette règle de preuve n’intervient toutefois que lorsqu’il s’avère impossible, dans le cadre du principe inquisitoire, d’établir sur la base d’une appréciation des preuves un état de fait qui a au moins la vraisemblance prépondérante de correspondre à la réalité (ATF 117 V 261 consid. 3b et la référence ; SVR 2016 UV no 31 p. 102, 8C_662/2015 consid. 3.2 et la référence).

Consid. 3
La cour cantonale a considéré que ni le rapport du psychiatre traitant ni l’expertise privée n’indiquaient que l’assuré a subi des épisodes psychotiques. De même, rien dans les descriptions de la compagne n’indiquait que l’assuré avait partiellement ou totalement perdu le contact avec la réalité en raison de sa maladie. Au contraire, la veille de l’événement, il a entrepris certaines activités, comme faire changer les pneus de la voiture, faire des pizzas et manger avec son fils. Le 4 novembre 2017, il s’est suicidé entre 13h20 et 19h20. Sa compagne et son fils s’étaient alors rendus à Bâle pour une rencontre prévue avec des amis. Après avoir pris congé de sa compagne, l’assuré lui avait encore envoyé l’adresse nécessaire par SMS et lui avait fait savoir qu’il se sentait très mal. Après avoir demandé des précisions, il n’a pas jugé nécessaire que sa compagne fasse appel à un médecin. Le tribunal cantonal a conclu de ces descriptions qu’il n’y avait pas non plus d’indices de l’existence de symptômes psychotiques le jour du décès. Enfin, compte tenu de la démarche délibérée et planifiée de l’assuré lors de son suicide par pendaison, la cour cantonale a considéré qu’un acte raisonné (même s’il était disproportionné) et volontaire était plus vraisemblable qu’un acte suicidaire entièrement guidé par des pulsions irrésistibles.

Consid. 4.1
Dans un rapport non daté, reçu par l’assurance-accidents le 29.06.2018, le dernier psychiatre traitant de l’assuré a pris position sur des questions de l’assureur. Il a indiqué avoir traité l’assuré de manière épisodique à partir de juin 2015 jusqu’à son décès le 04.11.2017 et n’avoir jamais eu l’intention de l’hospitaliser en psychiatrie. Il a mentionné comme diagnostics un trouble affectif bipolaire, épisode actuel de dépression sévère sans symptômes psychotiques (CIM-10 F31.4) et un trouble bipolaire II (CIM-10 F31.80). Durant son traitement, l’assuré n’a jamais souffert de symptômes psychotiques au sens psychopathologique strict. En particulier, il n’y a jamais eu d’hallucinations, de délire ou de stupeur dépressive ou catatonique. Début novembre 2017, l’assuré aurait souffert d’un épisode dépressif majeur. Au moment du dernier examen (c’est-à-dire la veille du suicide), il a clairement écarté une tendance suicidaire aiguë.

Consid. 4.2
Dans le rapport d’expertise du 22.12.2018, établi à l’initiative de la compagne de l’assuré, le médecin a constaté que, sur la base des informations détaillées fournies par la compagne, il fallait partir du principe que l’assuré présentait une instabilité psychique importante au moment de l’acte suicidaire, ce qui, dans le cadre du diagnostic posé, permettait uniquement de conclure qu’avant son décès, il se trouvait soit (I) au milieu d’un changement de phase entre un état dépressif (CIM-10 F31.4) à un trouble hypomaniaque (CIM-10 F31.0) et éventuellement à nouveau à un trouble dépressif le jour de son décès, soit (II) à un épisode mixte (CIM-10 F31.6). Les deux possibilités seraient liées à un risque de suicide important. Ce médecin a en outre répondu par l’affirmative à la question de savoir si l’assuré était, selon toute vraisemblance, totalement incapable d’agir raisonnablement au moment du suicide. Comme le montre clairement l’interrogatoire de la partenaire, l’assuré ne souffrait pas seulement d’une grave maladie maniaco-dépressive (CIM-10 F31), mais aussi d’un manque de conscience de la maladie et du traitement qui l’accompagnait. Ces deux caractéristiques doivent être considérées comme des expressions de la maladie et ne sont donc pas contrôlables. Par conséquent, au moment du suicide, l’assuré n’était pas en mesure de comprendre les faits médicaux de sa propre maladie et d’en tirer des conclusions appropriées, comme par exemple la nécessité d’un traitement (hospitalier) spécifique au trouble (absence de capacité à traiter les informations). De même, il n’aurait pas été en mesure d’évaluer l’importance de la suicidalité dans le cadre de sa propre maladie et d’en tirer des conclusions appropriées, comme par exemple le recours à des offres d’aide en cas de crise suicidaire en cours de développement (manque de capacité d’autodétermination et d’expression). L’expert privé a en outre souligné qu’en tant que médecin, l’assuré aurait dû avoir des connaissances approfondies tant sur la maladie maniaco-dépressive que sur le risque de suicidalité qui l’accompagne. Néanmoins, le 04.11.2017, il était totalement incapable d’établir un accès rationnel à ces connaissances, garantissant ainsi sa survie. Cela montre clairement l’étendue de la perte de capacité de discernement due à la maladie. En résumé, le suicide de l’assuré devait être considéré comme un événement impulsif lié à la maladie dans le cadre d’une maladie maniaco-dépressive grave (CIM-10 F31), l’assuré étant certes encore capable, le 04.11.2017, d’actes suicidaires ciblés, mais ne pouvant plus en comprendre la signification et les conséquences (perte de la capacité de discernement).

Consid. 5.1
La conclusion tirée par l’instance cantonale, selon laquelle il n’y avait pas, au degré de la vraisemblance prépondérante, de symptômes psychopathologiques graves qui auraient été de nature, au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral, à abolir totalement la capacité de discernement au moment de l’acte de suicide, n’est pas critiquable. Comme l’a constaté à juste titre le tribunal cantonal, il n’existe aucun indice concret permettant de conclure que l’assuré se trouvait immédiatement avant l’acte suicidaire en question dans un état psychique extrême et qu’il était de ce fait totalement incapable de discernement. De tels indices ne ressortent ni du rapport du médecin-traitant ni de l’expertise privée.

Consid. 5.2.1
Il est certes vrai que le psychiatre traitant n’a apparemment jamais remis le dossier médical demandé et que la fréquence des traitements ne ressort pas de sa prise de position. On ne voit cependant pas ce que la compagne de feu l’assuré veut en déduire en sa faveur. Ainsi, il ressort clairement de la prise de position de l’ancien psychiatre traitant que l’assuré n’a jamais souffert de symptômes psychotiques au sens psychopathologique strict durant toute la période de traitement, même pas la veille du suicide. En particulier, selon le psychiatre traitant, son patient n’a à aucun moment présenté des hallucinations, un délire ou une stupeur dépressive ou catatonique. Sur la base de ces indications claires, il n’y a rien à redire au fait que l’instance cantonale n’ait pas ordonné d’autres investigations.

Consid. 5.2.2
Il est possible que l’assuré se trouvait avant son décès – comme le postule l’expert privé – au milieu d’un changement de phase, passant d’un trouble dépressif à un trouble hypomaniaque, puis de nouveau à un trouble dépressif le jour de son décès, ou qu’il souffrait d’un épisode mixte. Mais cela ne suffit pas à établir avec le degré de preuve requis que l’assuré souffrait, au moment de l’acte suicidaire, de symptômes psychopathologiques tels que délire, hallucinations, stupeur dépressive (état d’excitation soudaine avec tendance au suicide), raptus (état d’excitation soudaine comme symptôme d’un trouble psychique) ou autres, qui auraient fait apparaître l’acte non seulement comme disproportionné, mais aussi comme «insensé» (cf. consid. 2.3 supra). Or, de tels symptômes psychopathologiques sont une condition préalable à l’admission d’une incapacité totale de discernement (cf. HANS KIND, op. cit., p. 291). Lorsque l’expert privé part du principe que l’assuré n’avait pas conscience de sa maladie et de son traitement au moment de l’acte suicidaire, cela est en contradiction avec les déclarations de la compagne à l’expert, selon lesquelles, pendant ses phases dépressives, l’assuré avait une capacité de compréhension, dans le sens d’une conscience de la maladie. Dans de telles phases, il y a eu des moments où l’assuré a adopté une attitude de recherche d’aide. A cet égard, on ne voit pas pourquoi l’assuré n’aurait pas été en mesure de comprendre les aspects médicaux de sa propre maladie alors que son humeur était manifestement de plus en plus sombre.

Consid. 5.2.3
Il n’est certes pas possible de conclure directement à la capacité de discernement de l’assuré en raison de l’exécution déterminée de l’acte suicidaire, d’autant plus qu’il n’est pas rare qu’une personne soit capable de discernement pour les actes précédant ou préparant le suicide ou la tentative de suicide, mais qu’elle apparaisse incapable de discernement pour l’acte de suicide lui-même, qui peut reposer sur des motifs et un contexte psychique tout à fait différents (cf. arrêt U 395/01 du 1er juillet 1993 consid. 5b). Or, l’instance cantonale – malgré toute la tragédie inhérente – n’a pas ignoré à juste titre le fait que, selon la présomption fondée sur des indices de la compagne de l’assuré, une première tentative de suicide avait échoué (juste) avant la tentative de suicide à l’issue fatale.

Consid. 5.2.4
Dans l’ensemble, l’évaluation de l’expert privé de l'(in)capacité de discernement de l’assuré au moment de l’acte suicidaire, qui s’appuie essentiellement sur l’anamnèse de la compagne de l’assuré et sur un risque de suicide généralement plus élevé chez les personnes souffrant de troubles affectifs bipolaires, semble plutôt spéculative. Comme l’a relevé le tribunal cantonal, le suicide de l’assuré peut certes être interprété, dans le sens des explications de l’expert privé, comme un événement impulsif lié à une maladie dans le cadre d’une grave maladie maniaco-dépressive. Mais une capacité de discernement complètement abolie n’est pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante. Contrairement à ce que la compagne de feu l’assuré veut faire croire, l’instance cantonale n’est donc pas parvenue à cette conclusion sur la base du seul rapport succinct du psychiatre traitant de l’époque, mais en procédant à une appréciation convaincante du dossier disponible. Etant donné qu’il n’y avait pas lieu d’attendre de nouveaux éléments pertinents pour la décision de la part d’investigations supplémentaires, le tribunal cantonal a renoncé à d’autres mesures d’administration des preuves dans le cadre d’une appréciation anticipée des preuves (ATF 136 I 229 consid. 5.3).

Consid. 5.3
A l’aune de ce qui précède, les faits pertinents ont été correctement et complètement établis conformément au principe inquisitoire (art. 43 al. 1 LPGA ; art. 61 let. c LPGA) et le tribunal cantonal a apprécié les preuves conformément au droit fédéral. C’est pourquoi, en raison de l’absence de preuve (consid. 2.5 supra), la décision est défavorable au recourant en ce qui concerne la preuve de l’incapacité totale de discernement au moment du suicide (cf. art. 37 al. 1 LAA en relation avec l’art. 48 OLAA), qui doit être apportée avec le degré de vraisemblance prépondérante, et qui a tenté d’en déduire un droit plus étendu à des prestations d’assurance selon la LAA. L’arrêt attaqué est donc maintenu.

 

Le TF rejette le recours de la compagne de feu l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_359/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_359/2021 (d) du 07.07.2021, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/8c_359-2021)

 

Pour plus de détails sur le suicide en assurances sociales, cf. l’article paru in Jusletter 30.03.2020

 

Télétravail des frontaliers : accord multilatéral en vigueur

Télétravail des frontaliers : accord multilatéral en vigueur

 

Article de Lionel Tauxe du 31.08.2023 paru in Sécurité Sociale CHSS, disponible ici

 

Les frontaliers dont le taux de télétravail est inférieur à 50% resteront désormais affiliés aux assurances sociales suisses. L’accord correspondant, signé par la Suisse et ses voisins membres de l’UE (à l’exception de l’Italie) ainsi que par d’autres États européens, est entré en vigueur le 1er juillet 2023.

 

En un coup d’œil

  • Pendant la pandémie, l’impact du télétravail transfrontalier sur la sécurité sociale avait été neutralisé grâce à une flexibilité provisoire jusqu’au 30 juin 2023.
  • Un brusque retour aux règles habituelles n’aurait pas été dans l’intérêt des travailleurs et de leurs employeurs.
  • Depuis le 1er juillet 2023, un nouvel accord permet d’exercer jusqu’à 50% de télétravail transfrontalier dans certains États sans incidence sur les assurances sociales.

 

Depuis 2002, la Suisse applique les règles européennes de coordination en matière de sécurité sociale auxquelles font référence l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) conclu avec l’Union européenne (UE) et la Convention instituant l’Association Européenne de Libre-Échange (AELE). Elles prévoient que les personnes qui travaillent en Suisse et dans un État de l’UE ou de l’AELE, y compris en télétravail, sont assujetties aux assurances sociales de leur État de résidence lorsqu’elles y exercent au moins 25% de leurs activités. Dans la pratique, étant donné qu’à l’étranger les cotisations sociales sont souvent plus élevées et les procédures moins familières, beaucoup d’employeurs suisses étaient réticents à ce que leurs employés frontaliers travaillent à domicile plus d’un jour par semaine.

Pendant la pandémie, cas de force majeure, l’application de cette règle a été suspendue par tous les États appliquant les dispositions européennes de coordination. Les travailleurs frontaliers sont donc restés assurés en Suisse, peu importe la part d’activité exercée dans leur État de résidence. Plusieurs fois prolongée, cette flexibilité a duré jusqu’à la fin du mois de juin 2023. Un retour abrupt au cadre légal en vigueur n’aurait cependant pas été dans l’intérêt des travailleurs et de leurs employeurs. Dès lors, pendant une dernière phase transitoire débutée à l’été 2022, les États ont réfléchi à la manière dont ce retour pourrait être aménagé. Comme une modification des règles européennes n’était pas réalisable à si court terme, d’autres pistes, innovantes, ont dû être explorées. Mais le temps était compté.

 

Une stratégie suisse à deux niveaux

Dans le cadre de la commission administrative de l’UE pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, un groupe d’experts, mis à disposition par vingt États, a été créé à l’automne 2022 pour chercher une solution multilatérale. L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a activement pris part aux travaux du groupe, qui s’est réuni une trentaine de fois. Ces efforts ont payé puisqu’une proposition a pu être faite aux États en mars 2023.

En outre, dans l’éventualité où une issue adéquate n’aurait pas pu être trouvée à temps au niveau européen, la Suisse avait, comme d’autres États, pris contact avec ses États voisins pour chercher en parallèle des solutions bilatérales subsidiaires.

 

Un accord multilatéral très attendu

L’accord multilatéral prévoit que les personnes travaillant dans un État pour un employeur qui y a son siège peuvent effectuer jusqu’à 50% de télétravail transfrontalier depuis leur État de résidence tout en maintenant la compétence de l’État du siège de l’employeur pour les assurances sociales. Concrètement, les frontaliers qui télétravaillent au maximum à 49,9% de leur temps de travail depuis certains États peuvent rester assurés en Suisse.

La Suisse a signé cet accord multilatéral le 31 mai 2023. Au moment de son entrée en vigueur, le 1er juillet 2023, 18 États de l’UE et de l’AELE l’avaient paraphé, dont tous les États limitrophes à l’exception de l’Italie. Les États non signataires conservent toutefois la possibilité d’y adhérer ultérieurement. Conclu pour cinq ans, l’accord est automatiquement renouvelable pour la même période.

Afin que les employeurs puissent demander l’application de cette flexibilité à un de leurs salariés et la délivrance d’une attestation («document portable A1») par l’État compétent, tant ce dernier que l’État de résidence doivent avoir adhéré au dispositif multilatéral. Les règles ordinaires d’assujettissement continuent à s’appliquer aux travailleurs qui ne sont pas concernés par l’accord, par exemple les indépendants, ou lorsqu’un État non partie comme l’Italie est impliqué. Ainsi les frontaliers en provenance de l’Italie peuvent seulement effectuer jusqu’à 25% de télétravail sans incidence sur les assurances sociales. Aucune dérogation individuelle n’est acceptée par la Suisse dans les situations qui ne sont pas couvertes par l’accord.

Indépendamment de la sécurité sociale, d’autres aspects peuvent cependant limiter le télétravail transfrontalier, tels que la fiscalité ou le droit du travail.

 

Renseignements supplémentaires sur l’accord multilatéral

État dépositaire de l’accord, la Belgique tient à jour la liste des États signataires (avec le texte de l’accord et un mémorandum explicatif en anglais).

Le site internet de l’OFAS fournit des informations détaillées (ainsi que les traductions de l’accord et du mémorandum explicatif dans les langues officielles).

 

 

L’autre défi : la mise en œuvre

L’accord prescrit que l’échange d’information entre organismes des États parties concernant les demandes individuelles doit se faire par voie électronique, au moyen du système EESSI (Electronic Exchange of Social Security Information).

Compte tenu de la volumétrie considérable, il est apparu, dès cet accord finalisé fin mars 2023, que son implémentation en Suisse n’était possible que dans le cadre de la plateforme informatique ALPS (Applicable Legislation Portal Switzerland), reliée à EESSI, que l’OFAS met à disposition des caisses de compensation AVS et des employeurs (voir Numérisation des assurances sociales : l’échange de données au sein de l’Europe passe la vitesse supérieure).

Les équipes en charge du développement de la plateforme ALPS ont dû la mettre à jour, en un court délai, pour qu’elle soit prête au 1er juillet 2023 et permette une large automatisation des processus.

 

Les chiffres du travail transfrontalier en Europe et en Suisse

En 2021, environ 1,7 million de ressortissants de l’UE ou de l’AELE étaient des « travailleurs transfrontaliers » (frontaliers, saisonniers et certains détachés) vivant dans un État de l’UE ou de l’AELE et travaillant dans un autre (y compris en Suisse).

La Suisse était leur deuxième pays de destination (345 000 travailleurs accueillis), derrière l’Allemagne (378 000) et devant le Luxembourg (212 000) ; ces trois pays ayant attiré à eux seuls près de 60% de l’ensemble des travailleurs transfrontaliers (source : European Commission, Annual report on intra-EU labour mobility 2022).

Début 2023, la Suisse accueillait 386 000 travailleurs frontaliers étrangers, dont 218 000 résidaient en France, 91 500 en Italie, 65 000 en Allemagne et 9000 en Autriche (source : OFS).

Fin 2021, près de 14 000 personnes domiciliées en Suisse travaillaient au Liechtenstein (source : Liechtensteinisches Amt für Statistik, Statistisches Jahrbuch Liechtensteins 2023).

 

 

Quelles perspectives ?

L’accord multilatéral constitue une solution pragmatique et transitoire, élaborée sous une intense pression temporelle. Le groupe d’experts s’est focalisé, à dessein, sur le règlement de la constellation la plus fréquente et la moins complexe. Ses travaux ne sont toutefois pas terminés, puisqu’il est prévu qu’il évalue l’impact de l’accord et prépare le terrain pour une modification des règles européennes de coordination.

Les États sont en effet unanimement convaincus qu’il convient que le législateur européen modifie, à plus long terme, les bases légales afin que l’uniformité dans l’application du droit et la légitimité politique soient garanties. Une éventuelle reprise par la Suisse ne serait pas automatique et nécessiterait une modification de l’ALCP respectivement de la Convention AELE.

 

 

Article de Lionel Tauxe du 31.08.2023 paru in Sécurité Sociale CHSS, disponible ici

Articolo non disponibile in italiano

Multilaterale Vereinbarung regelt Homeoffice von Grenzgängern, Artikel von Lionel Tauxe vom 31.08.2023, veröffentlicht in « Soziale Sicherheit CHSS » (hier verfügbar)

 

La COQEM décide d’une enquête systématique sur le vécu de la situation d’expertise

La COQEM décide d’une enquête systématique sur le vécu de la situation d’expertise

 

Communiqué de presse de la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) du 31.08.2023 consultable ici

 

La Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) veut enquêter systématiquement sur la manière dont les personnes engagées dans une procédure d’instruction de l’AI vivent la situation d’expertise. La situation d’expertise n’est pas comparable à une situation thérapeutique, elle sert à établir les faits médicaux dans le cadre d’une procédure juridique. Pour les personnes concernées, elle représente une situation exceptionnelle tout à fait éprouvante. Il faut s’assurer que l’expert·e informe de manière compréhensible sur le but, l’objectif et le déroulement de l’expertise et que l’expert·e garantisse une conduite d’entretien aimable et empathique ainsi qu’une situation d’examen adéquate. De même, en fonction des faits concrets, l’expert·e doit prendre suffisamment de temps pour procéder aux investigations nécessaires et recueillir la description subjective des plaintes.

Il convient de constater que la conduite d’un entretien d’expertise et le déroulement de l’examen ont été de plus en plus abordés ces dernières années dans le cadre de la formation des experts et font désormais partie intégrante de celle-ci. Afin d’améliorer la transparence dans le domaine des examens d’expertise, les entretiens entre la personne expertisée et l’expert sont documentés sous forme d’enregistrements sonores et versés au dossier depuis 2022 déjà (art. 44 al. 6 LPGA, art. 7k OPGA). Ces enregistrements permettent de vérifier l’établissement des faits dans des cas individuels litigieux. Pour l’analyse systématique de l’interaction entre les experts et les personnes expertisées, l’écoute et l’analyse des enregistrements sonores ne sont pas réalisables en raison de l’énorme quantité de données et ne sont possibles que dans quelques cas. Les données actuelles dans ce domaine reposent donc sur quelques cas litigieux ainsi que sur les enquêtes menées jusqu’à présent par les organisations de patients et de personnes handicapées et ne permettent pas encore de tirer des conclusions représentatives. C’est pourquoi la COQEM veut prendre en compte la perspective des assurés dans le sens d’un contrôle global de la qualité et d’établir une vue d’ensemble de la situation actuelle en matière d’expertises en Suisse pour déterminer les éventuelles mesures à prendre, notamment en ce qui concerne la formation en matière d’expertises et les lignes directrices professionnelles.

Afin de clarifier la question de l’utilité des enquêtes de satisfaction auprès des personnes concernées, la COQEM a préalablement commandé une étude externe basée sur la littérature, qui présente l’état scientifique d’une telle méthode et spécifie dans quelles conditions un tel instrument pourrait être utilisé efficacement pour l’amélioration de la qualité dans l’expertise médicale. (Rapport de la Prof. Muschalla et al.).

L’enquête doit permettre aux personnes évaluées de faire part à une instance indépendante de leur retour sur l’examen d’expertise sans craindre de conséquences négatives sur les résultats de l’expertise ou sur une future décision de prestation. L’enquête sera réalisée immédiatement après l’examen, avant que le résultat de l’expertise ne soit connu, afin d’exclure toute influence du résultat de l’expertise sur les personnes évaluées (voir à ce sujet Muschalla et al.).

L’enquête à l’intention de la COQEM sera réalisée par voie électronique sur une plateforme en ligne et ne donnera lieu qu’exceptionnellement à un questionnaire imprimé sur papier.

Les résultats de l’enquête permettront d’identifier les éventuelles mesures et de formuler des recommandations y concernant et d’entamer un dialogue sur la qualité avec certain·s expert·s ou centre d’expertise.

 

 

Communiqué de presse de la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) du 31.08.2023 consultable ici

Étude thématique « Utilité des enquêtes auprès des personnes concernées pour l’assurance qualité des expertises médico-assurantielles, particulièrement, en termes d’équité et de satisfaction à l’égard du déroulement des expertises », Muschalla B. et al. (2023), rapport disponible ici

 

8C_745/2022 (f) du 29.06.2023 – IPAI – Aggravations prévisibles – 24 LAA – 36 al. 4 OLAA / Gonarthrose – Survenance de l’aggravation vraisemblable et l’importance quantifiable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_745/2022 (f) du 29.06.2023

 

Consultable ici

NB : cf. mes remarques en fin d’article

 

IPAI – Aggravations prévisibles / 24 LAA – 36 al. 4 OLAA

Gonarthrose – Survenance de l’aggravation vraisemblable et l’importance quantifiable

 

Assuré, gendarme, a été percuté le 29.11.2018 par un automobiliste à qui il avait donné l’injonction de s’arrêter. Après avoir subi une intervention chirurgicale au genou gauche le 19.03.2019, il a repris l’exercice de son activité lucrative à plein temps le 01.10.2019.

 

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 20%, en se fondant sur une expertise qu’elle avait confiée à un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 70 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu que dans son rapport d’expertise du 25.08.2021, le médecin-expert avait indiqué que le genou gauche de l’assuré, qui présentait une arthrose moyenne débutante, allait de toute manière évoluer vers une arthrose fémoro-patellaire puis vraisemblablement globale. Ce spécialiste avait estimé l’IPAI à 15%, précisant qu’il était certain que les troubles dégénératifs allaient s’aggraver à l’avenir, ce à quoi s’ajoutait une insuffisance du ligament croisé antérieur. L’expert en avait conclu que l’IPAI devrait être augmentée à un taux entre 20% et 40% selon l’importance de l’arthrose et/ou le résultat après la mise en place d’une prothèse totale du genou. Au vu des conclusions du médecin-expert, l’aggravation future de l’état du genou gauche de l’assuré n’était en tout état de cause pas contestable. Cette aggravation n’était toutefois pas quantifiable. L’expert avait en effet très clairement indiqué que l’augmentation de l’IPAI se situerait dans une fourchette allant de 5% à 25%, soit une IPAI totale pouvant aller de 20% à 40%. Il avait justifié cet écart important en relevant que l’aggravation réelle dépendrait d’une part de l’importance de l’évolution de l’arthrose et d’autre part du résultat après la mise en place d’une prothèse totale du genou. En fixant l’IPAI à 20%, l’assurance-accidents avait déjà tenu compte de l’aggravation minimale prévue par le médecin-expert. Ce n’était que dans le cadre d’une révision future, qui tiendrait plus précisément compte d’une évaluation objective de la situation, que l’IPAI pourrait être augmentée.

Par jugement du 24.10.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

 

Consid. 3.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave.

Consid. 3.2
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 à l’OLAA. Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_580/2022 du 31 mars 2023 consid. 4.1.1 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). La Division médicale de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA) a établi des tables d’indemnisation en vue d’une évaluation plus affinée de certaines atteintes (Indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA). Ces tables n’ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Toutefois, dans la mesure où il s’agit de valeurs indicatives, destinées à assurer autant que faire se peut l’égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l’annexe 3 à l’OLAA (ATF 124 V 209 consid. 4a/cc; 116 V 156 consid. 3a; arrêt 8C_656/2022 du 5 juin 2023 consid. 3.3 et l’arrêt cité).

Consid. 3.3
Aux termes de l’art. 36 al. 4 OLAA, il est équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible. S’il y a lieu de tenir équitablement compte d’une aggravation prévisible de l’atteinte lors de la fixation du taux de l’indemnité, cette règle ne vise toutefois que les aggravations dont la survenance est vraisemblable etcumulativementl’importance quantifiable (arrêts 8C_420/2021 du 6 octobre 2021 consid. 3; 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3; 8C_494/2014 du 11 décembre 2014 consid. 6.2 et les références citées). Le taux d’une atteinte à l’intégrité dont l’aggravation est prévisible au sens de l’art. 36 al. 4 OLAA doit être fixé sur la base de constatations médicales (arrêt 8C_238/2020 précité consid. 3 in fine et l’arrêt cité).

 

Consid. 4.3
Le caractère prévisible de l’aggravation de l’atteinte à l’intégrité de l’assuré n’étant pas contesté, seul est litigieux le point de savoir si l’importance de l’aggravation est quantifiable ou non. Dans son rapport, le médecin-expert a exposé que le genou gauche de l’assuré présentait une arthrose moyenne débutante, donnant droit à une IPAI de 10% selon la table 5, à laquelle s’ajoutait une IPAI de 5% pour la « laxité perdurante actuellement modérée » selon la table 6. L’IPAI totale actuelle était ainsi de 15%. Il était toutefois certain que les troubles dégénératifs allaient s’aggraver à l’avenir et que les lésions du ligament croisé postérieur allaient entraîner une « arthrose au moins fémoro-patellaire voire totale ». Dès lors qu’il y avait en sus une insuffisance du ligament croisé antérieur, il était également certain que l’assuré allait développer une pangonarthrose qui nécessiterait la pose d’une prothèse totale du genou dans un avenir plus ou moins proche. Selon l’importance de l’arthrose et/ou le résultat après la mise en place d’une prothèse, l’IPAI devrait être fixée entre 20% et 40%.

Contrairement à ce que laisse entendre l’assuré, le médecin-expert n’a pas fait état d’une arthrose grave, de sorte que les taux de la table 5 correspondant à une arthrose grave ne sauraient s’appliquer. La pose d’une prothèse « dans un avenir plus ou moins proche » étant acquise, c’est bien les taux prévus par la table 5 en cas d’endoprothèse qui doivent être pris en compte [ndr : cf. mes commentaires en bas d’article]. Comme retenu à juste titre par les juges cantonaux, ce taux varie entre 20% (« endoprothèse avec résultat bon ») et 40% (« endoprothèse avec résultat mauvais ») en fonction des suites de l’opération. Par conséquent, l’importance de l’aggravation de l’atteinte à l’intégrité n’est en l’état pas précisément quantifiable; elle dépendra de l’évolution de l’arthrose et des suites de l’intervention chirurgicale. En l’état, seule une aggravation donnant droit à une IPAI de 20% est quantifiable de manière prévisible. Admettre à ce stade une IPAI de 40% – soit le double – reviendrait à tenir pour acquise une évolution post-opératoire négative, laquelle n’apparaît à ce jour pas plus vraisemblable qu’une évolution positive. L’assuré, qui ne conteste pas la valeur probante de l’expertise, ne cite par ailleurs aucun avis médical susceptible de mettre en cause l’impossibilité, à ce stade, de quantifier plus précisément l’importance de l’aggravation à venir. L’expert s’étant prononcé de manière aussi précise que possible sur le développement futur de l’atteinte à l’intégrité, la cour cantonale n’avait pas à instruire davantage la question en lui demandant une nouvelle évaluation. En outre, en cas d’aggravation importante de l’atteinte à l’intégrité, une révision au sens de l’art. 36 al. 4, seconde phrase, OLAA demeurera envisageable, quand bien même une possible aggravation justifiant une IPAI allant jusqu’à 40% a déjà été évoquée à ce jour (cf. arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 4.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Remarques et commentaires

Selon moi, l’arrêt du TF contient une erreur. En effet, la table 5 « Atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses » précise que l’implant d’une endoprothèse s’oriente sur l’état non corrigé, c’est-à-dire sur le degré de gravité de l’arthrose avant l’implant (colonnes 2 [arthrose moyenne] et 3 [arthrose grave]). Pour les prothèses implantées directement après l’accident (endoprothèses primaires), les colonnes 5 [endoprothèse avec bon résultat] et 6 [endoprothèse avec mauvais résultat] entrent en application.

Dans la situation de ce gendarme, l’atteinte à l’intégrité doit donc bien s’examiner sur la base de l’état non corrigé – soit avant la pose de la prothèse – et non sur la base d’un état après pose d’une prothèse, cette dernière n’ayant pas été implantée directement après l’accident.

Cela étant dit, il est peu probable que la situation aurait été jugée différemment. En effet, une pangonarthrose (arthrose du genou) moyenne du genou correspond à un taux de 10% à 30% et une pangonarthrose sévère à 30% à 40%. S’il est certain que l’assuré, dans le cas d’espèce, présentera à terme une pangonarthrose, la sévérité de l’atteinte demeure inconnue. Et même avec une pangonarthrose sévère, le taux ne peut être d’ores et déjà défini avec précision. Ainsi, la survenance de l’aggravation vraisemblable mais son importance n’est pas quantifiable.

 

 

Arrêt 8C_745/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_745/2022 (f) du 29.06.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/08/8c_745-2022)

 

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023

 

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 31.08.2023 la 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023. Le tableau se trouve ici :

  • en français (estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux)
  • en italien (stima trimestrale dell’evoluzione dei salari nominali)
  • en allemand (Quartalschätzungen der Nominallohnentwicklung)

On rappellera que l’estimation de l’évolution des salaires est nécessaire afin d’indexer un revenu (sans invalidité / d’invalide) à 2023 (arrêt du Tribunal fédéral 8C_659/2022+8C_707/2022 du 2 mai 2023 consid. 7.2).

 

 

8C_554/2022 (f) du 22.06.2023 – Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_554/2022 (f) du 22.06.2023

 

Consultable ici

 

Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / 36 LPGA

Examen d’un conflit d’intérêt entre le médecin-conseil et le médecin-traitant travaillant dans une clinique qui collabore avec plus de 200 médecins spécialistes

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA – Rapport du médecin-conseil / 6 LAA

Demande de révision procédurale / 53 al. 1 LPGA

 

Assurée, infirmière, s’est blessée au genou gauche le 05.12.2007 (choc contre un lit) et présentait des douleurs au niveau du genou, du tibia et de la cheville gauches. Aucun diagnostic précis n’a été posé durant les différentes investigations réalisées. En 2009, l’assurée a consulté à plusieurs reprises pour les douleurs à sa jambe gauche le Dr  C.__ spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, qui lui a prescrit neuf séances de physiothérapie. Par déclaration de rechute du 18.01.2013, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents que l’assurée souffrait d’un début d’arthrose. Après avoir recueilli l’avis du Dr  D.__, médecin-conseil et spécialiste en chirurgie orthopédique, l’assurance-accidents a rendu le 04.03.2013 une décision, confirmée sur opposition le 12.06.2013, constatant que les troubles traités dès le 08.01.2013 n’étaient pas en relation de causalité naturelle avec l’accident du 05.12.2017 et que la responsabilité de l’assurance-accidents n’était dès lors pas engagée.

Le 08.05.2018, l’assurée a glissé sur un marque-page en sortant du lit et a subi une foulure respectivement une entorse du genou gauche. Dans un rapport d’IRM réalisée le 20.02.2019, il est fait état d’une rupture ancienne du LCA, d’une arthrose fémoro-tibiale médiane sévère et d’une chondropathie de grade II diffuse fémoro-tibiale latérale. Par décision du 15.06.2020, l’assurance-accidents a informé l’assurée que la relation de causalité entre ses lésions au genou gauche et l’accident du 08.05.2018 ne pouvait être admise que jusqu’au 08.08.2018 et que le cas relevait de l’assurance-maladie dès le 09.08.2018. L’assurée a formé opposition contre cette décision, en faisant notamment valoir que la découverte d’une rupture ancienne du LCA lors de l’IRM réalisée en février 2019 constituait un fait nouveau qui justifiait la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013. Après avoir soumis une nouvelle fois le cas à son médecin-conseil (Dr  D.__), l’assurance-accidents a rendu le 17.08.2021 une décision sur opposition par laquelle elle a admis jusqu’au 08.11.2018 l’existence d’un rapport de causalité entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles du genou gauche, rejetant l’opposition pour le surplus.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 121/21 – 99/2022 – consultable ici)

Par jugement du 15.08.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents

Consid. 3.1
Dans un grief d’ordre formel, l’assurée fait valoir un motif de récusation à l’encontre du Dr D.__, qui travaille en tant que médecin-conseil de l’assurance-accidents parallèlement à son activité de médecin accrédité à la Clinique H.__ du Groupe G.__.

Consid. 3.2
A cet égard, la cour cantonale a exposé correctement les dispositions légales régissant la récusation d’un médecin-conseil d’un assureur-accidents (cf. art. 36 al. 1 LPGA en lien avec l’art. 10 PA, applicable à titre subsidiaire selon l’art. 55 al. 1 LPGA).

Consid. 3.3
L’assurée invoque un conflit d’intérêts, dans la mesure où le Dr D.__ serait un collègue du Dr C.__, qu’elle avait consulté en 2008 et 2009 et auquel elle reproche de ne pas avoir fait d’IRM de son genou gauche à la suite de l’accident du 5 décembre 2007. A l’appui de son argumentation, elle se réfère à l’ATF 148 V 225.

Consid. 3.4
La cour cantonale a examiné le bien-fondé du motif de récusation et a constaté, sur la base des informations figurant sur le site internet de la Clinique H.__ du Groupe G.__, que cet établissement collaborait avec plus de 200 médecins spécialistes, qui exploitaient des cabinets différents. Elle a conclu que ces circonstances n’étaient pas de nature à créer l’apparence d’une prévention, dans la mesure où le Dr D.__ et le Dr C.__ n’exploitaient pas un même cabinet de groupe.

Consid. 3.5
L’assurée, qui ne conteste pas ces faits, se borne à présenter sa propre appréciation de la situation, sans aucunement démontrer en quoi le raisonnement de la cour cantonale serait manifestement insoutenable. En effet, on peine à comprendre en quoi le fait d’exercer comme médecin accrédité dans la même clinique privée qu’un autre confrère serait susceptible de créer l’apparence d’une prévention, surtout lorsque cette clinique occupe plus de 200 médecins spécialisés. Comme les premiers juges l’ont relevé à bon droit, on ne saurait comparer la situation du cas d’espèce à celle qui a donné lieu à l’ATF 148 V 225, qui concernait deux médecins travaillant dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe, dont ils partageaient les frais.

Force est en outre de constater que la supposition de l’assurée selon laquelle il ne serait pas exclu que le Dr C.__ travaille (aussi) en qualité de médecin-conseil de l’assurance-accidents, ne trouve aucun fondement dans les pièces du dossier et est d’ailleurs expressément réfutée par l’assurance-accidents.

Enfin, on ne saurait suivre l’assurée lorsqu’elle entrevoit un indice de prévention dans le fait que l’assurance-accidents ait demandé au Dr C.__ de transmettre les renseignements médicaux directement au Dr D.__ plutôt que de les envoyer à l’adresse électronique générale de l’assureur. En effet, les motifs tenant à l’organisation interne de l’assureur, notamment le fait qu’un médecin spécialiste, comme le Dr D.__, intervienne à plusieurs reprises dans le même dossier, ne constituent pas une raison de douter de son impartialité, même si ses avis ont pu être défavorables à l’assuré (Anne-Sylvie Dupont, in: Dupont/Moser-Szeless [éd.], Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, Bâle 2018, n° 12 ad art. 36 LPGA et les références).

 

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante

Consid. 4.2
Pour l’examen du lien de causalité naturelle entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles au genou, la cour cantonale s’est fondée sur le rapport du médecin-conseil du 23.04.2021. Dans cette appréciation, le médecin-conseil a retenu qu’il était hautement probable que la déchirure du LCA se soit constituée progressivement à cause de la déformation très importante du genou, suffisamment sévère pour générer des contraintes particulièrement anormales sur le pivot central, ainsi qu’à cause d’une conséquence de l’arthrose, l’ostéophytose de l’échancrure, laquelle était susceptible de générer un conflit chronique avec le LCA. Il a conclu, sur la base de l’ensemble des éléments radio-cliniques, que l’événement du 08.05.2018 avait été responsable d’une contusion ou distorsion bénigne du genou qui cessait généralement de déployer ses effets après quelques jours ou semaines, un éventuel hématome ou un œdème post-contusionnel se résorbant dans ce délai. En présence de troubles dégénératifs sous-jacents ou de troubles de surmenage, qui pouvaient ralentir quelque peu la récupération fonctionnelle, le délai de résorption pouvait aller jusqu’à trois, voire six mois si ces troubles étaient importants, par exemple en cas de gonarthrose avancée ou d’obésité morbide. Au-delà de ce délai, et sans preuve d’une lésion structurelle émanant d’un événement traumatique, les troubles persistants étaient dus à une autre cause.

Consid. 4.4
On rappellera que le simple fait qu’un médecin-conseil soit engagé par un assureur et qu’il soit, dans cette fonction, amené à se prononcer plusieurs fois dans un même dossier ne constitue pas un motif pour mettre en doute la fiabilité et la pertinence de ses constatations. Ce qui est au contraire déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2; 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a).

Contrairement à ce que soutient l’assurée, le médecin-conseil a été cohérent et constant dans ses rapports des 24.05.2020 et 23.04.2021. Il a en particulier constaté que l’IRM réalisée neuf mois après l’événement du 08.05.2018 avait mis en évidence une déchirure ancienne du LCA, qui – en l’absence de tout épanchement – ne pouvait en l’occurrence pas être rattachée à cet événement, mais constituait une pathologie qui s’était progressivement développée à cause de la déformation très importante du genou gauche (plus marquée que celle du genou droit). Tenant compte du caractère anodin des deux événements accidentels de 2007 et 2018, des éléments radio-cliniques, des courtes périodes d’incapacité de travail et des importantes pathologies préexistantes (obésité, déviation sévère de l’axe de la jambe vers l’intérieur), le médecin-conseil est parvenu à la conclusion que l’événement du 08.05.2018, qui s’est soldé par une contusion ou distorsion bénigne du genou gauche, a transitoirement (soit pendant une durée de trois mois) décompensé l’état de celui-ci.

En l’absence d’un avis médical contraire, c’est à bon droit que la cour cantonale s’est fondée sur l’appréciation du médecin-conseil, sans qu’il fût nécessaire d’administrer des preuves supplémentaires (cf. ATF 148 V 356 consid. 7.4 sur l’appréciation anticipée des preuves), et a retenu que l’assurance-accidents était fondée à mettre un terme au versement des prestations d’assurance six mois après l’événement du 08.05.2018.

 

Demande de révision procédurale

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont relevé que la recevabilité de la demande de révision était douteuse, puisque l’assurée n’avait demandé la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013 que le 30.07.2020, soit plus d’une année après la découverte de la déchirure du LCA. Ils ont en outre relevé que la découverte de la rupture du LCA en février 2019 ne semblait pas être un fait nouveau ouvrant la voie de la révision, dès lors que le rapport d’IRM ne permettait pas de dater la déchirure du LCA et qu’aucune pièce médicale ne permettait de lier, au degré de la vraisemblance prépondérante, cette atteinte à l’accident survenu onze ans plus tôt. Sur la base de ces constatations, la cour cantonale a conclu qu’il n’existait pas de motif de révision.

Consid. 5.2
L’assurée se limite à soulever des critiques de type appellatoire, sans démontrer en quoi la juridiction cantonale aurait établi les faits de manière manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF. En particulier, elle ne se prononce aucunement sur la recevabilité de sa demande de révision, ni ne démontre que les conditions nécessaires à la révision d’une décision administrative (cf. arrêt 8C_562/2019 du 16 juin 2020 consid. 3) seraient remplies, si bien qu’il n’y a pas lieu de revenir sur l’appréciation de la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_554/2022 consultable ici

 

8C_643/2022 (f) du 07.06.2023 – Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global – 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA / Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_643/2022 (f) du 07.06.2023

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

 

Assuré, né en 1964, directeur d’une société anonyme, a été victime d’un accident le 23.11.2011 : alors qu’il roulait au volant de sa voiture, il est entré en collision avec un camion militaire venant en sens inverse. Polytraumatisé, il a notamment subi de nombreuses fractures du visage et des membres inférieurs.

Dans le cadre de l’instruction médicale, l’assurance-accidents a confié une expertise pluridisciplinaire à un centre d’expertise médicale, qui a rendu son rapport le 05.02.2015. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a – entre autres – a reconnu le droit de l’assuré à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) fondée sur un taux de 40%. Admission du recours par le tribunal cantonal (arrêt du 27.06.2019). Par arrêt du 06.07.2020 (8C_554/2019), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours formé par l’assurance-accidents contre l’arrêt du 27.06.2019 et a renvoyé l’affaire à la juridiction cantonale pour qu’elle ordonne une expertise judiciaire. Ce renvoi était motivé par le fait qu’il existait des doutes concernant le bien-fondé du rapport d’expertise du centre d’expertise, notamment par rapport à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/20 ap. TF – 122/2022 – consultable ici)

Expertise judiciaire qui a été confiée à Hôpital C.___.

Par jugement du 29.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, portant le taux d’IPAI globale à 60%.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_580/2022 du 31 mars 2023 consid. 4.1.1 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA). L’indemnité totale ne peut dépasser le montant maximum du gain annuel assuré (art. 36 al. 3, deuxième phrase, OLAA). Il sera équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible (art. 36 al. 4 OLAA).

Consid. 4.1
En l’espèce, la cour cantonale a d’abord constaté que le rapport du 11 juillet 2022 de l’expertise judiciaire qu’elle avait confiée à l’Hôpital C.___ ensuite de l’arrêt 8C_554/2019 pouvait se voir conférer pleine valeur probante. Sur ces éléments, elle a constaté que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité globale s’élevait, « comme déjà estimée par le centre d’expertise médicale », à un taux de 60%, mais pour des motifs différents, à savoir: sur le plan orthopédique, un taux de 10% pour chaque genou et de 15% pour le coude gauche, soit un taux arithmétique total de 35% (10% + 10% + 15%) pour l’ensemble des atteintes à la santé sur cet axe; sur le plan ophtalmique, un taux de 10% lié à la diplopie binoculaire au regard vers le haut, dès 15°, sur limitation de l’œil gauche et de 5% liée à la sécheresse oculaire, soit un taux arithmétique total de 15% (10% + 5%) pour les deux affections oculaires; sur le plan esthétique, un taux de 10% pour l’hypoglobie, l’affaissement de la pommette gauche ainsi que l’asymétrie de la fente palpébrale, « en l’absence de débat y relatif »; sur le plan ORL, un taux de 0% en raison de l’absence de séquelles de cet ordre.

 

Consid. 4.3
On rappellera d’abord que dans son arrêt du 06.07.2020, le Tribunal fédéral a considéré qu’il existait des indices concrets qui permettaient de douter du bien-fondé de l’expertise du centre d’expertise, notamment en ce qui concernait l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité. Les experts avaient évalué chaque atteinte séparément (affections oculaires 5%; dommages esthétiques 10%; arthrose modérée genou droit 10%; arthrose modérée genou gauche 10%; arthrose avancée huméro-cubitale coude gauche mais pronosupination pas touchée 15%; syndrome d’apnée obstructive du sommeil 5%), sans tenir compte des aggravations prévisibles qui avaient été estimées par les experts à 25% pour le coude et à 30% pour chacun des genoux. En se fondant sur ces chiffres, le Tribunal fédéral a retenu que le taux total qui en résulterait serait de 115% et dépasserait donc le seuil légal de 100%, raison pour laquelle la cour cantonale ne pouvait pas se fonder sur les conclusions émanant des experts du centre d’expertise (arrêt 8C_554/2019 du 6 juillet 2020 consid. 3.6 et 4).

Malgré cette injonction, la cour cantonale a adressé aux experts judiciaires un questionnaire dans lequel elle indiquait les taux et les atteintes précédemment évalués par les experts du centre d’expertise médicale et leur demandait s’ils pouvaient confirmer ces taux. Cette manière de poser les questions conduit cependant à influencer les experts dans leurs réponses. Par ailleurs, les juges cantonaux semblent avoir déterminé le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en mélangeant les réponses données dans le rapport d’expertise du centre d’expertise médicale avec celles ressortant de l’expertise judiciaire, alors même que le rapport du centre d’expertise médicale avait été qualifié de non probant. Quoi qu’il en soit, l’assurance-accidents a également adressé ses questions aux experts judiciaires, en formulant les questions de manière neutre et ouverte. Aussi, c’est sur cette base qu’il convient de déterminer l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.4
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être évaluée sur la base des éléments suivants:

Sur le plan orthopédique, le spécialiste en orthopédie a indiqué que les atteintes des deux genoux et du coude gauche étaient graves et définitives; il a évalué le taux à 10% pour chaque genou et à 15% pour le coude gauche selon le tableau 5 de la CNA (atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses), en précisant que le taux arithmétique était de 35%, respectivement de 30% après pondération.

Sur le plan ophtalmologique, le spécialiste en neurologie, chef de clinique en neuro-ophtalmologie, et le spécialiste FMH en ophtalmologie ont retenu une indemnité pour atteinte à l’intégrité globale de 15%, se composant d’un taux de 10% pour la diplopie binoculaire sur limitation de l’élévation de l’oeil gauche et d’un taux de 5% pour la sécheresse oculaire, en précisant que cette dernière était probablement liée à une atteinte antérieure, qui avait très probablement été aggravée par l’accident.

Sur le plan otorhinolaryngologique, le spécialiste en ORL n’a pas retenu d’atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.5
Au vu de ces appréciations médicales, il y a lieu de constater avec l’assurance-accidents que sur le plan esthétique, aucune atteinte à l’intégrité n’a été retenue par les experts judiciaires et que sur le plan orthopédique, ceux-ci ont retenu un taux pondéré de 30%. En additionnant ainsi les taux de 30% (sur le plan orthopédique) et de 15% (sur le plan ophtalmologique), le taux global de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité s’élève à 45% (cf. arrêt U 23/87 du 6 avril 1989 consid. 3f, publié in RAMA 1989 U 78 p. 357). On rappellera aussi que selon l’art. 36 al. 3 OLAA, en cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est fixée d’après l’ensemble du dommage. En pratique, il est recommandé d’évaluer d’abord chaque dommage séparément et ensuite de procéder à une évaluation globale des atteintes (cf. THOMAS FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, thèse Fribourg 1998, p. 45). Même si en l’occurrence, une appréciation globale des atteintes à l’intégrité n’a pas été effectuée dans le cadre de l’évaluation consensuelle de l’expertise, le taux de 45% qu’on obtient en additionnant les taux individuels apparaît néanmoins équitable, dès lors que les atteintes concernent différentes parties du corps, qui n’ont pas d’influence les unes sur les autres (cf. FREI, loc. cit.).

Consid. 4.6
Au vu de ce qui précède, l’intimé a droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 45%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_643/2022 consultable ici

 

8C_438/2022 (f) du 26.05.2023 – Stabilisation de l’état de santé – 19 al. 1 LAA / Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_438/2022 (f) du 26.05.2023

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1965, employé depuis le 13.01.1986 en qualité d’ouvrier auprès de l’entreprise B.__. Le 18.05.1986, l’assuré a subi un grave accident de la circulation routière, sa voiture ayant embouti un arbre jouxtant la chaussée alors qu’il cherchait à éviter une collision frontale en raison d’un dépassement téméraire d’un véhicule circulant en sens inverse, ce qui a entraîné le décès de son ami passager; il a lui-même subi plusieurs atteintes, notamment des fractures du fémur droit, du pilon tibial et du tibia droits. Il a subi deux interventions chirurgicales. Après une incapacité totale de travail, l’assuré a repris son activité professionnelle le 24.11.1986. Il a annoncé plusieurs cas de rechutes, notamment en raison des ablations du matériel d’ostéosynthèse (AMO).

Rechute survenue le 2 octobre 2017 (gonalgies droites). L’assurance-accidents a pris en charge ce cas de rechute. L’assuré, qui travaillait entre-temps pour l’entreprise D.__ Sàrl, a été licencié pour la fin du mois d’août 2017.

Examen par le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, en février 2019 : du point de vue somatique, la situation semblait plutôt favorable. Compte tenu des seules suites de l’accident de 1986, une pleine capacité de travail pouvait être reconnue à l’assuré dans une activité parfaitement adaptée, à savoir idéalement réalisée à la guise de l’assuré en position assise ou debout, sans déplacement rapide ou prolongé (max. 15 minutes), ne nécessitant pas l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de charges lourdes ni les positions agenouillées ou accroupies. IPAI globale estimée à 25%.

Par décision du 28.05.2019, confirmée sur opposition le 27.09.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 13% ainsi qu’une IPAI fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 01.06.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Dans un premier grief, l’assuré fait valoir que son état de santé n’était pas stabilisé le 27.09.2019, au moment de la décision sur opposition litigieuse. Il se fonde sur des rapports médicaux évoquant un traitement chirurgical, voire une arthrodèse. Dès lors qu’un traitement – autre que seulement physiothérapeutique et antalgique – était encore envisageable pour améliorer l’état de sa cheville droite et qu’une prothèse avait été posée ultérieurement, l’assuré estime que son état de santé n’était pas stabilisé en date du 27.09.2019.

Dans le premier rapport, le médecin à la Clinique de la douleur a mentionné que l’arthrose de la cheville droite serait imputable à l’accident, son évolution progressive et son pronostic ne pouvant être appréciés qu’avec des contrôles réguliers; l’aggravation de l’arthrose post-traumatique du pied droit nécessitait un traitement intensif de physiothérapie et la poursuite du traitement antalgique. L’hypothèse de la pose d’une prothèse ou d’une arthrodèse a été évoquée mais pas de manière concrète à ce stade. Quant au deuxième rapport, il ne mentionne pas la nécessité d’une intervention chirurgicale mais souligne que si l’assuré devait souffrir de douleurs malgré le traitement conservateur, une intervention pourrait être envisagée, à savoir une arthrodèse (fixation de l’articulation), laquelle apporterait un soulagement comparable à celui escompté après une infiltration. En tout état de cause, il ne ressort pas des rapports médicaux qui précèdent qu’une arthrodèse au niveau de la cheville droite de l’assuré apporterait une sensible amélioration de son état de santé, l’assuré souffrant par ailleurs de problèmes dégénératifs au niveau de plusieurs de ses articulations. Vu ce qui précède, les rapports médicaux dont se prévaut l’assuré ne permettent pas de remettre en cause la date de stabilisation de son état de santé fixée au 27.09.2019.

 

Consid. 4.3.1
L’assuré demande qu’un abattement d’au moins 10% soit effectué sur son revenu d’invalide dès lors qu’il subirait un désavantage salarial dans la recherche d’un nouvel emploi en raison de ses limitations fonctionnelles, de son âge (54 ans) et du fait qu’avant de perdre son dernier emploi, il avait été six ans au service du même employeur et aurait donc perdu la progression salariale y afférente.

Consid. 4.3.2
La cour cantonale a constaté que l’assurance-accidents avait fixé à 74’150 fr. le revenu sans invalidité à prendre en considération pour le calcul de la rente d’invalidité, montant qui n’était pas contesté par l’assuré. Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux données de l’ESS 2016, en prenant pour base le salaire auquel peuvent prétendre les hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé, soit 5’340 fr. par mois pour 40 heures de travail par semaine (tableau TA1_tirage_skill_level). Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale dans les entreprises en 2019 (41,7 heures), il en résultait un montant annuel de 67’743 fr. En outre, la cour cantonale a confirmé l’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour prendre en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré, ce qui portait le revenu d’invalide à 64’355 fr. 85.

Consid. 4.3.3
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1; 132 V 393 consid. 3.3).

Consid. 4.3.4
L’assuré n’expose pas – et on ne voit pas – en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge. En outre, étant âgé de 53 ans au moment de la naissance du droit à la rente, respectivement de 54 ans au moment de la décision sur opposition, l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel le Tribunal fédéral reconnaît généralement que ce facteur peut être déterminant et nécessite une approche particulière (arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4.2). Comme les activités adaptées envisagées du niveau de compétence 1 ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. En outre, il faut rappeler que ces emplois non qualifiés sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.3.4.2; 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2).

Consid. 4.3.5
En ce qui concerne la prise en compte d’un abattement lié aux années de service, elle n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétence 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (voir 8C_103/2018 précité consid. 5.2). Il en irait différemment à partir du niveau de compétence 2, s’agissant d’emplois qualifiés dans lesquels l’expérience professionnelle accumulée auprès d’un même employeur est davantage valorisée.

Consid. 4.3.6
En conclusion, seules les limitations fonctionnelles de l’assuré – prohibant les déplacements rapides ou prolongés au-delà de 15 minutes, l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de lourdes charges ainsi que les positions agenouillées ou accroupies – ont une incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Dès lors que l’assurance-accidents avait tenu compte desdites limitations pour réduire le salaire statistique de 5%, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de s’en écarter.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_438/2022 consultable ici