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4A_401/2023 (f) du 15.05.2024 – Responsabilité civile d’un hôpital / Lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage / Degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_401/2023 (f) du 15.05.2024

 

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Responsabilité civile d’un hôpital / 61 al. 1 CO – LREC (RS/GE A 2 40)

Analyse du lien de causalité naturelle en cas d’omission – Lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage

Degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante

 

Le 14.05.2011, B.__ (ci-après: la patiente), âgée de 47 ans au moment des faits, a été admise à 13h37 au service des urgences des Établissements A.__, en raison notamment d’un malaise et de vomissements. Elle a été installée en salle d’attente, faute de place ailleurs. Par la suite, elle a été vue à quatre reprises par le personnel soignant, puis à 19h30 par un premier médecin, après que sa famille a alerté le personnel d’une dégradation de son état. Le Dr C.__, chef de clinique des urgences, a suspecté une crise d’hyperventilation liée à des troubles anxieux. Une infirmière a relevé les paramètres vitaux (tension, pouls et température) de la patiente à 22h40, lesquels ne présentaient rien d’anormal.

La patiente a été installée en zone de soins à 1h35. Lors de son transfert, les infirmières ont notamment relevé qu’elle ne parlait plus. Le médecin interne de nuit l’a immédiatement examinée, rejoint par son supérieur. Il a demandé un CT-scan cérébral et a sollicité une consultation auprès de la neurologue de garde, laquelle a examiné la patiente à 4h et notamment préconisé un CT-scan cérébral. Ce dernier, réalisé à 5h, a mis en évidence un possible infarctus récent cérébelleux droit par occlusion du tronc basilaire. Une IRM cérébrale effectuée à 8h a confirmé un accident vasculaire cérébral (AVC) sous la forme d’une occlusion du tronc basilaire. Le même jour, la patiente a subi une thrombectomie du tronc basilaire.

Après plusieurs séjours en soins intensifs, en neurologie, puis en rééducation, la patiente a pu regagner son domicile le 28 novembre 2011 et garde d’importantes séquelles.

 

Procédure cantonale (arrêts ACJC/433/2020 et ACJC/817/2023)

La patiente a intenté une action en justice contre les Établissements A.__ le 13.06.2014, réclamant initialement CHF 2’041’249, montant ultérieurement réduit à CHF 1’026’027, pour des soins prétendument inadéquats reçus en mai 2011. Une expertise judiciaire menée par le Dr D.__, chef du service des Urgences de l’Hôpital X.__, n’a révélé aucune faute médicale, citant la complexité du diagnostic et la surcharge des urgences. Le Tribunal de première instance a rejeté la demande de la patiente le 24.04.2019, tandis que la cour cantonale, le 28.02.2020, a reconnu la responsabilité des Établissements A.__ et renvoyé l’affaire pour évaluation du préjudice.

A la suite de l’arrêt de renvoi, une nouvelle expertise a été ordonnée pour évaluer l’état de la patiente et son incapacité de travail. Réalisée en septembre 2021 par le Prof. F.__ et le Dr G.__, médecin-chef et assistant au H.__, elle a été complétée en janvier 2022.

Le 18 août 2022, le Tribunal a condamné les Établissements A.__ à verser CHF 156’505 à la patiente, estimant leur responsabilité à 15% du préjudice subi.

Les deux parties ont fait appel. Le 08.06.2023, la cour cantonale a largement révisé le jugement, condamnant les Établissements A.__ à verser divers montants à la patiente (CHF 12’655.30 pour frais médicaux ; CHF 264’667 pour dommage ménager ; CHF 69’153 pour perte de gain ; CHF 30’000 pour tort moral).

TF

Les Établissements A.__ (ci-après: les recourants) ont exercé un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre les arrêts des 28.02.2020 et 08.06.2023.

Consid. 2.1
Selon la jurisprudence, les soins dispensés aux malades dans les hôpitaux publics ne se rattachent pas à l’exercice d’une industrie (cf. art. 61 al. 2 CO), mais relèvent de l’exécution d’une tâche publique; en vertu de la réserve facultative prévue à l’art. 61 al. 1 CO, les cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la responsabilité des médecins engagés dans un hôpital public pour le dommage ou le tort moral qu’ils causent dans l’exercice de leur charge (ATF 139 III 252 consid. 1.3; 133 III 462 consid. 2.1; 122 III 101 consid. 2a/aa et bb).

Consid. 2.2
Le canton de Genève a fait usage de cette réserve. La loi genevoise sur la responsabilité de l’État et des communes (LREC; RS/GE A 2 40), applicable aux recourants en tant qu’établissement public médical, prévoit que les institutions, corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité juridique répondent du dommage résultant pour les tiers d’actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l’accomplissement de leur travail (art. 2 al. 1 et 9 LREC). La LREC institue une responsabilité pour faute, ce qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes: un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci (dans le domaine médical, la réalisation de cette condition devra être admise, en règle générale, lorsqu’une violation du devoir de diligence aura été constatée), un dommage subi par un tiers et un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’acte illicite et le dommage (arrêts 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1; 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 2.1 et 3.3).

Ces conditions correspondent à celles qui figurent à l’art. 41 CO. Le droit civil fédéral est appliqué à titre de droit cantonal supplétif (art. 6 LREC).

Consid. 2.3
L’art. 7 al. 2 LREC prévoit que le code de procédure civile suisse est applicable. Les règles du CPC constituent aussi du droit cantonal supplétif (cf. arrêt 2C_96/2023 du 16 février 2023 consid. 6).

 

Consid. 6.1.1
La causalité naturelle entre deux événements est réalisée lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit (ATF 143 III 242 consid. 3.7; 133 III 462 consid. 4.4.2).

En l’occurrence, le manquement reproché aux recourants s’analyse comme une omission. En pareil cas, l’examen du lien de causalité revient à se demander si le dommage serait également survenu si l’acte omis avait été accompli (causalité hypothétique). Une preuve stricte ne peut être exigée en la matière. Il suffit que le cours hypothétique des événements soit établi avec une vraisemblance prépondérante (ATF 132 III 715 consid. 3.2; 124 III 155 consid. 3d). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2; 132 III 715 consid. 3.1). En ce qui concerne le degré de la preuve, le Tribunal fédéral peut contrôler si l’autorité précédente est partie d’une juste conception du degré de la preuve applicable. En revanche, le point de savoir si le degré requis – dont le juge a une juste conception – est atteint dans un cas concret relève de l’appréciation des preuves, que le Tribunal fédéral revoit uniquement sous l’angle de l’arbitraire (ATF 130 III 321 consid. 5).

En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité (ATF 115 II 440 consid. 5a). Ainsi, lorsqu’il s’agit de rechercher l’existence d’un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s’interroger sur le cours hypothétique des événements. Dans ce cas de figure, le Tribunal fédéral, saisi d’un recours en matière civile, est lié, selon l’art. 105 al. 1 LTF, par les constatations cantonales concernant la causalité naturelle, dès lors qu’elles ne reposent pas exclusivement sur l’expérience de la vie, mais sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves (ATF 132 III 305 consid. 3.5 et les références; arrêt 4A_133/2021 du 26 octobre 2021 consid. 9.1.3).

Consid. 6.1.2
Il convient de rappeler que le droit civil fédéral est appliqué ici à titre de droit cantonal supplétif. Il en va également de l’art. 8 CC, lequel ne concerne que les prétentions fondées sur le droit fédéral (ATF 129 III 18 consid. 2.6; 127 III 519 consid. 2a; arrêt 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1). Par conséquent, le Tribunal fédéral ne peut en contrôler l’application que sous l’angle restreint de l’arbitraire ou pour violation d’autres droits constitutionnels.

 

Consid. 6.2 [résumé]
La cour cantonale s’est écartée de l’avis de l’expert D.__ concernant le lien de causalité naturelle. Elle a estimé que si les Établissements A.__ avaient agi avec diligence, notamment en assurant une surveillance adéquate et en réalisant rapidement les examens diagnostiques dès les premiers symptômes, l’atteinte subie par la patiente aurait probablement pu être diagnostiquée et traitée dans le délai adéquat de huit heures. La cour s’est appuyée sur les explications du Dr E.__, indiquant qu’une intervention dans ce délai pouvait réduire les risques de séquelles d’au moins 50%, voire les éliminer complètement dans certains cas.

Selon la cour cantonale, ces propos n’étaient pas contredits par l’expert, lequel avait pour sa part indiqué qu’avec les méthodes de diagnostics et de traitement, 41% des patients avaient des pronostics favorables, ce par quoi il fallait entendre une survie et une bonne évolution neurologique. La cour cantonale a considéré que les statistiques avancées par les deux spécialistes laissaient apparaître qu’une prise en charge rapide était fortement susceptible de diminuer les risques de morbidité (plus de 50%) et procurait des chances non négligeables (plus de 40%) d’obtenir un pronostic favorable avec une bonne évolution.

Bien que la corrélation entre la rapidité d’intervention et le pronostic ne soit pas scientifiquement prouvée, la cour cantonale a considéré qu’il existait une probabilité suffisante pour admettre qu’une prise en charge sans délai aurait eu un impact positif sur l’évolution de l’état de la patiente. Cette conclusion s’appuie sur les statistiques présentées par les spécialistes, l’état clinique initial plutôt favorable de la patiente, et le succès de la procédure de recanalisation. La cour a donc retenu que le lien de causalité entre les retards de diagnostic et de traitement et le préjudice subi par la patiente, ou du moins son aggravation, était suffisamment vraisemblable.

 

Consid. 6.4 [résumé]
La cour cantonale était consciente que le degré de la vraisemblance prépondérante était applicable (cf. consid. 3.1.2 de l’arrêt du 28 février 2020). Or, sa conception du degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante est manifestement erronée.

Pour rappel, la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, que d’autres possibilités existent, mais qu’elles ne semblent pas avoir joué de rôle déterminant ou n’entrent pas raisonnablement en considération (cf. consid. 6.1.1 supra; ATF 130 III 321 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral a précisé que la jurisprudence n’avait pas établi de pourcentages, mais que selon la doctrine, une vraisemblance de 51% ne suffisait pas, un degré de vraisemblance nettement plus élevé devant être appliqué: un degré de 75% était cité (arrêt 4A_424/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.1 non publié in ATF 147 III 73 et les références).

En l’occurrence, il ressort des faits constatés par la cour cantonale que selon l’expert D.__, avec les méthodes de traitement modernes, 41% des patients avaient des pronostics favorables; il ajoutait qu’entre 20% et 44% des patients traités par une recanalisation évoluaient bien. De telles probabilités ne suffisent manifestement pas s’agissant du degré de la vraisemblance prépondérante.

Il est vrai que le Dr E.__ a pour sa part relevé qu’en cas de traitement dans un délai adéquat, le taux de morbidité se réduisait d’en tout cas de moitié, ce qui pourrait être interprété dans le sens que chaque patient voyait ses séquelles diminuer d’en tout cas de moitié. Le Dr E.__ a néanmoins précisé que pour un tiers des patients, l’autonomie n’était pas complète mais permettait à certains de retourner à domicile. Ceci ne permet pas de s’éloigner sans autre des statistiques présentées par l’expert et, s’agissant de la proportion d’un tiers, elle ne suffit quoi qu’il en soit pas au regard du degré de la vraisemblance prépondérante.

La cour cantonale a considéré les statistiques et les facteurs spécifiques à la patiente, comme son état clinique initial favorable et le succès de l’opération tardive. Cependant, l’expert D.__ avait déjà pris en compte ces éléments. Il a maintenu que pour une lésion du tronc basilaire, contrairement à un AVC classique, le lien entre la rapidité d’intervention et le pronostic n’est pas clairement établi. Malgré les facteurs favorables, l’expert a affirmé qu’il était impossible de conclure à une perte de chance liée au délai d’intervention dans ce cas spécifique.

Dans sa réponse, la patiente soutient – à raison – que l’existence du lien de causalité ne doit pas être analysée selon un calcul arithmétique découlant de statistiques, mais au regard de l’ensemble des circonstances du cas particulier. Elle se réfère à l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.3 qui appuie cette approche. Cependant, le problème ici concerne le degré de preuve exigé. La cour cantonale a appliqué des exigences insuffisantes au degré de la vraisemblance prépondérante. Au demeurant, outre les statistiques présentées par les spécialistes, les circonstances entourant le cas ne lui sont d’aucun secours. La cour cantonale a d’ailleurs relevé elle-même à plusieurs reprises de grandes incertitudes s’agissant du pronostic de la patiente, ce qui ne correspond clairement pas aux exigences relatives au degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante.

Ainsi, en partant d’une conception manifestement fausse du degré de la preuve applicable, la cour cantonale a versé dans l’arbitraire dans l’application du droit fédéral à titre de droit cantonal supplétif.

Le degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante n’est à l’évidence pas atteint.

Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs concernant le lien de causalité formulés par les recourants.

 

Le TF admet le recours et réforme les arrêts attaqués en ce sens que l’intimée est déboutée de toutes ses conclusions.

 

Arrêt 4A_401/2023 consultable ici

 

8C_582/2022 (d) du 12.07.2024 – Une infection au Covid-19, contractée par une psychologue exerçant en milieu hospitalier, n’est pas une maladie professionnelle

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_582/2022 (d) du 12.07.2024

 

Communiqué de presse du TF du 12.07.2024 consultable ici

NB : l’arrêt du TF n’est pas encore disponible

 

Une infection au Covid-19, contractée par une psychologue exerçant en milieu hospitalier, n’est pas une maladie professionnelle / 9 LAA

 

La prise en charge par l’assurance accident d’une maladie professionnelle présuppose qu’avec la maladie, un risque professionnel spécifique à l’activité exercée par la personne assurée se soit réalisé. Tel n’est pas le cas s’agissant d’une psychologue exerçant en milieu hospitalier, infectée en 2021 par le Covid-19. Dès lors qu’elle ne prodiguait pas de soins, elle n’était pas exposée à un risque spécifique de contamination sur un lieu de travail présentant un risque pour la santé.

L’assurée, qui exerçait son activité de psychologue au sein d’une clinique, a été contaminée en 2021 par le Covid-19. Son assurance obligatoire couvrant les lésions dues à des maladies professionnelles ainsi qu’à des accidents professionnels et non professionnels a refusé l’octroi de prestations car il n’était, selon elle, pas suffisamment établi que l’intéressée ait été contaminée sur son lieu de travail. Le Tribunal des assurances du canton d’Argovie a rejeté le recours de l’assurée.

Lors de sa délibération publique du 12 juillet 2024, le Tribunal fédéral rejette également le recours formé par l’assurée. L’article 9 de la loi fédérale sur l’assurance-accidents (LAA) définit les cas dans lesquels une maladie est réputée maladie professionnelle. Tel est notamment le cas de certaines affections provoquées par des travaux, que le Conseil fédéral doit définir. Selon la liste établie à cet effet par ledit Conseil fédéral, les maladies infectieuses sont réputées maladies professionnelles lorsque la personne concernée travaille en milieu hospitalier. Il en découle une présomption naturelle du point de vue de la preuve à rapporter. Selon le présent jugement, il ne se justifie toutefois d’appliquer ladite présomption que si l’infection a été contractée dans le cadre d’une activité pour laquelle un risque spécifique à la profession s’est réalisé. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Si des patientes et des patients atteints d’une infection aiguë au Covid-19 ont certes bien été soignés dans la clinique en question, la psychologue ne leur a cependant pas prodigué de soins et n’était ainsi pas exposée à un risque de contamination spécifique sur un lieu de travail présentant un danger pour la santé. Le fait qu’elle ait été en contact, sans mesures de protection notamment lors de la pause déjeuner, avec le personnel soignant et des médecins, eux-mêmes en contact direct avec des patients atteints du Covid-19, ou que de tels patients aient tout d’abord été placés en quarantaine dans des chambres situées dans le service de la psychologue, n’y change rien

 

Communiqué de presse du TF du 12.07.2024 consultable ici

NB : l’arrêt du TF n’est pas encore disponible

 

Commentaire

Gaëlle Barman Ionta et David Ionta soutenaient cette appréciation de l’art. 9 al. 1 LAA dans la contribution COVID-19 sous l’angle de la maladie professionnelle paru in Assurances sociales et pandémie de Covid-19, Stämpfli, 2021.

 

 

8C_559/2023 (f) du 19.02.2024 – Troubles psychiques et absence de lésion cérébrale objectivable – 6 LAA / Affections psychiques distinctes et indépendantes des troubles propres au syndrome post-commotionnel

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_559/2023 (f) du 19.02.2024

 

Consultable ici

 

Lien de causalité naturelle et adéquate – Troubles psychiques et absence de lésion cérébrale objectivable / 6 LAA

Affections psychiques distinctes et indépendantes des troubles propres au syndrome post-commotionnel – Examen de la causalité adéquate selon les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident

 

Assurée, née en 1970, vendeuse, a été victime d’un accident de la circulation le 22.12.2020. Selon le rapport de police y afférent, elle s’est assoupie un court instant alors qu’elle circulait sur l’autoroute, perdant ainsi le contrôle de son véhicule. Celui-ci a effectué un tête-à-queue, a heurté violemment le dispositif central de sécurité puis a réalisé d’autres tête-à-queue, avant de s’immobiliser. Le lendemain de l’accident, les diagnostics de contusions et de contractures paravertébrales post-traumatiques, sans complication autre au bilan clinique et radiologique, ont été posés. En février 2021, le médecin traitant a fait état de douleurs cervico-dorso-lombaires, de céphalées, de vertiges, d’insomnie et de douleurs à l’épaule gauche avec fourmillement, dans le cadre d’un syndrome post-commotionnel. En mars 2021, la psychiatre traitante a diagnostiqué un état de stress post-traumatique lié à l’accident. Par la suite, l’assurée a subi plusieurs IRM et d’autres examens médicaux, pratiqués notamment par la Dre E.__, neurologue. Dans un rapport non daté reçu par l’assurance-accidents le 21.12.2021, cette spécialiste a estimé que les lésions somatiques structurelles consécutives à l’accident étaient guéries.

Par décision du 01.02.2022, confirmée sur opposition le 07.06.2022, l’assurance-accidents a mis un terme à ses prestations au 20.12.2021, au motif que les troubles somatiques étaient guéris et qu’il n’y avait pas de lien de causalité adéquate entre les affections psychiques et l’accident du 22.12.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 78/22 – 90/2023 – consultable ici)

Par jugement du 11.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose notamment, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière (ATF 148 V 356 consid. 3; 148 V 138 consid. 5.1.1; 142 V 435 consid. 1). Le droit à des prestations de l’assurance-accidents suppose en outre l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’accident et l’atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 148 V 356 consid. 3; 143 II 661 consid. 5.1.2; 139 V 156 consid. 8.4.2; 129 V 177 consid. 3.2).

Consid. 3.2
Lorsque des symptômes consécutifs à un accident ne sont pas objectivables du point de vue organique, il y a lieu d’examiner le caractère adéquat du lien de causalité en se fondant sur le déroulement de l’événement accidentel, compte tenu, selon les circonstances, de certains critères en relation avec cet événement (ATF 134 V 109 consid. 2.1; 117 V 359 consid. 6, 369 consid. 4; 115 V 133 consid. 6, 115 V 403 consid. 5; arrêts 8C_867/2015 du 20 avril 2016 consid. 4.2; 8C_445/2013 du 27 mars 2014 consid. 4.3.1). En présence de troubles psychiques apparus après un accident, on examine les critères de la causalité adéquate en excluant les aspects psychiques (ATF 140 V 356 consid. 3.2; 134 V 109 consid. 2.1; 115 V 133 consid. 6c/aa, 403 consid. 5c/aa). En cas de traumatisme de type « coup du lapin » à la colonne cervicale, de traumatisme analogue ou de traumatisme crânio-cérébral sans preuve d’un déficit fonctionnel organique, l’examen se fait en revanche sur la base de critères particuliers n’opérant pas de distinction entre les éléments physiques et psychiques des atteintes, lorsque les symptômes attribuables de manière crédible au tableau clinique typique (maux de têtes diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépression, modification du caractère, etc.) se trouvent au premier plan (ATF 134 V 109 consid. 10.3; 117 V 359 consid. 6a); toutefois, lorsque les troubles psychiques constituent une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique caractéristique habituellement associé aux traumatismes en cause, il y a lieu de se fonder sur les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident, c’est-à-dire en excluant les aspects psychiques (ATF 134 V 109 précité consid. 9.5; 127 V 102 consid. 5b/bb).

Consid. 4
Les juges cantonaux ont retenu qu’en sus des douleurs cervico-dorso-lombaires consécutives à l’accident, l’assurée avait rapidement présenté le tableau clinique typique d’un syndrome post-commotionnel, avec notamment des céphalées, des vertiges, une sensation de tangage, des insomnies, une irritabilité, des troubles de la concentration et de la mémoire et, parfois, des nausées. Sur ces troubles était venu s’ajouter un syndrome de stress post-traumatique, avec principalement des flash-back réguliers, des cauchemars, des troubles du sommeil, une tendance à l’évitement, une hypersensibilité psychique, une hypervigilance et un sentiment de détresse. Des angoisses importantes, une réaction agoraphobique et une sensibilité au bruit étaient également associées à ce trouble. En l’absence d’autres explications objectives à l’origine de la symptomatologie, il n’y avait pas lieu de réfuter l’existence d’un rapport de causalité naturelle entre, d’une part, le syndrome post-commotionnel, les troubles neuropsychologiques qui lui étaient associés et l’état de stress post-traumatique et, d’autre part, l’accident du 22.12.2020. A cet égard, la Dre E.__ avait nié, après avoir multiplié les examens spécifiques, que la symptomatologie ait pu avoir une cause neurologique. En outre, aucune fracture vertébrale ni lacération splénique n’avait été constatée ensuite de l’accident, et les troubles cervicaux mis en évidence par une IRM de la colonne vertébrale étaient d’origine dégénérative. Aussi, l’assurée avait développé de manière précoce, en sus des symptômes caractéristiques d’un tableau clinique typique d’un syndrome post-commotionnel, des problèmes psychiques qui constituaient une atteinte à la santé distincte et indépendante du traumatisme initial. Cela justifiait l’application des critères en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident (cf. consid. 3.2 in fine supra). Par conséquent, il n’y avait pas lieu de donner suite à la requête de l’assurée tendant à la mise en œuvre d’une expertise neurologique et neuropsychologique, qui s’avérait superflue. Considérant que l’accident était de gravité moyenne stricto sensu, les premiers juges ont retenu qu’aucun des critères jurisprudentiels n’était réalisé, de sorte que les troubles psychiques de l’assurée n’étaient pas en relation de causalité adéquate avec l’accident. L’intimée était ainsi fondée à mettre un terme à ses prestations au 20.12.2021.

Consid. 6
Quoi qu’en dise l’assurée, les juges cantonaux ont clairement retenu que celle-ci avait souffert d’un syndrome post-commotionnel causé par l’accident du 22.12.2020. Ce traumatisme a été diagnostiqué, de manière concordante, par la Dre E.__ et le médecin traitant. Il ne souffre d’aucune discussion. Les juges cantonaux ont en outre détaillé les troubles neuropsychologiques, associés à ce syndrome, qui ont touché l’assurée. Selon les avis médicaux au dossier, en particulier celui de la Dre E.__, dont se prévaut l’assurée, les lésions somatiques consécutives à l’accident étaient toutefois guéries au plus tard le 21 décembre 2021. Cette spécialiste en neurologie a précisé qu’aucune lésion n’avait été détectée sur les imageries réalisées et qu’il était impossible de mettre en évidence, par le biais d’examens, la douleur chronique de l’assurée. Précédemment, elle avait indiqué en juin 2021 que l’incapacité de travail ne trouvait pas son origine dans une cause neurologique, mais psychiatrique. L’assurée ne se prévaut d’aucun autre avis médical donnant à penser que des troubles somatiques – causés par un traumatisme crânien – auraient perduré au-delà du 20.12.2021. En ce qui concerne plus précisément les possibles lésions axonales diffuses dont fait mention l’assurée, force est de constater qu’aucun médecin n’a évoqué, même à titre de simple hypothèse, l’existence de telles lésions, ni proposé ou mis en place des examens permettant de les déceler. L’arrêt 8C_120/2023 du 11 octobre 2023, cité par l’assurée, ne lui est d’aucun secours. Dans cette affaire, à l’inverse de celle qui nous occupe, un médecin avait fait état d’une lésion axonale diffuse, de sorte que les juges fédéraux ont – en présence d’avis médicaux divergents sur l’évolution des symptômes – ordonné une expertise médicale, portant notamment sur le lien de causalité naturelle entre cette lésion et l’accident (cf. consid. 6.1 et 6.2).

Vu les avis concordants des médecins, notamment d’une neurologue, et en l’absence de tout indice allant dans le sens de la persistance de troubles somatiques au-delà du 20.12.2021, l’instance cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire en ne donnant pas suite à la requête de l’assurée tendant à la mise en œuvre d’une expertise neurologique et neuropsychologique (cf. ATF 145 I 167 consid. 4.1; 144 II 427 consid. 1.3; 141 I 60 consid. 3.3). En outre, le tribunal cantonal a motivé de façon suffisante le rejet de cette réquisition de preuve, sans violation de son obligation de motiver (cf. arrêt 8C_376/2023 du 29 novembre 2023 consid. 8.2.1 et les arrêts cités).

Pour le reste, la juridiction cantonale a, au vu des éléments médicaux, retenu à juste titre que les affections psychiques développées par l’assurée étaient distinctes et indépendantes des troubles propres au syndrome post-commotionnel, appliquant ainsi à bon droit les critères jurisprudentiels en cas de troubles psychiques (cf. consid. 3.2 in fine supra). A cet égard, l’assurée ne conteste pas qu’aucun de ces critères n’est rempli et que le lien de causalité adéquate entre ses atteintes psychiques et l’accident doit être nié.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_559/2023 consultable ici

 

8C_514/2023+8C_516/2023 (f) du 12.12.2023 – Efficacité et adéquation d’une mesure médicale – 10 LAA / Base prospective de l’évaluation de l’indication opératoire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_514/2023+8C_516/2023 (f) du 12.12.2023

 

Consultable ici

 

Efficacité et adéquation d’une mesure médicale / 10 LAA

Base prospective de l’évaluation de l’indication opératoire

Causalité naturelle / 6 LAA

 

Assuré, né en 1967, travaillait comme chauffeur de poids lourds. Le 10.03.2020, alors qu’il était en train de charger un camion, il a glissé sur une passerelle mouillée, puis il est tombé de sa hauteur en se réceptionnant « sur sa main et son genou ». Il a été en incapacité de travail du 12.03.2020 au 27.03.2020. Dans le rapport médical initial, le médecin traitant a précisé que l’assuré avait chuté avec réception sur le genou gauche.

Le 10.06.2020, une IRM des deux genoux a été réalisée. Une intervention chirurgicale sur le genou gauche a été pratiquée le 10.07.2020 par le docteur C.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Celui-ci a attesté une incapacité de travail totale dès cette date.

Le 23.07.2020, l’assurance-accidents a reçu une nouvelle demande de garantie pour le cas d’hospitalisation. Le 02.09.2020, une arthroscopie, cette fois-ci du genou droit, a été effectuée par le docteur C.__.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations d’assurance avec effet au 01.09.2020, au motif que selon l’appréciation du médecin-conseil, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, les troubles au-delà du 31.08.2020 n’avaient plus aucun lien avec l’accident.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/457/2023 – consultable ici)

La cour cantonale a mis en œuvre une expertise judiciaire qu’elle a confiée au docteur E.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur.

Par arrêt du 20.06.2023, la cour cantonale a annulé la décision sur opposition et a condamné l’assurance-accidents « à prendre en charge l’arthroscopie du 02.09.2020 et les contrôles post-opératoires y relatifs, ainsi qu’à verser les indemnités journalières pour l’incapacité de travail en septembre 2020, pour autant que ces prestations n’aient pas été accordées par l’assureur-maladie et l’assurance perte de gain de l’employeur ».

 

TF

Consid. 2.1
On précisera que s’agissant de l’atteinte au genou gauche, la cessation des prestations d’assurance au 01.09.2020 n’est pas contestée. Le litige porte donc en premier lieu sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance-accidents pour les troubles de son genou droit.

Consid. 3.2.2
Les prestations pour soins sont des prestations en nature fournies par l’assurance-accidents. Le traitement doit être efficace, approprié et économique, l’efficacité devant être démontrée selon des méthodes scientifiques (ATF 123 V 53 consid. 2b/bb; cf. ég. arrêt 8C_55/2015 du 12 février 2016 consid. 6.2, publié in: SVR 2016 UV n° 37 p. 125). Une prestation médicale est ainsi considérée comme efficace lorsqu’il est largement admis par les chercheurs et les scientifiques, dans le domaine médical, qu’elle permet objectivement d’obtenir le résultat diagnostique ou thérapeutique recherché (ATF 145 V 116 consid. 3.2.1; 139 V 135 consid. 4.4.1; 133 V 115 consid. 3.1). L’adéquation d’une mesure nécessite d’évaluer de manière prospective, toujours sur la base de critères scientifiques, la somme des effets positifs de la mesure envisagée et de la comparer avec les effets positifs de mesures alternatives ou par rapport à la solution consistant à renoncer à toute mesure. Est appropriée la mesure qui présente, compte tenu des risques existants, le meilleur bilan diagnostique ou thérapeutique (ATF 145 V 116 consid. 3.2.2; 139 V 135 consid. 4.4.2). La question de l’adéquation se confond normalement avec celle de l’indication médicale: lorsque l’indication médicale est établie, il convient d’admettre que l’exigence du caractère approprié de la mesure est réalisée (ATF 139 V 135 consid. 4.4.2 cité). Le prestataire de soins doit limiter ses prestations à ce qui est indiqué dans l’intérêt du patient et nécessaire à la réussite du traitement (ATF 145 V 116 consid. 3.2.3).

Consid. 4.1
Appelé à se déterminer sur la prise en charge de l’intervention du genou droit, le médecin-conseil a indiqué que l’assuré avait annoncé son problème au genou droit plusieurs mois après le sinistre. Il n’y avait aucune information concernant ce genou droit dans le rapport établi le 12.03.2020 par le médecin traitant de l’assuré. Des éléments dégénératifs nombreux du genou droit, comme la méniscose externe et les fissures cartilagineuses, étaient présents. Ces fissurations n’étaient pas associées à un œdème osseux, ce qui serait visible en cas de lésion récente. Une entorse du ligament interne était signalée, mais deux ménisques étaient atteints. Or, un traumatisme ne pouvait pas entraîner des lésions des deux ménisques en même temps, sauf en cas de traumatisme à très haute énergie, ce qui n’était pas le cas du sinistre présent. Les lésions constatées comme le kyste du ménisque interne avec remaniements kystiques et graisseux dans le tibia proximal et antérieur ne pouvaient pas être en lien de causalité avec l’accident, un kyste ayant besoin de plusieurs mois pour se développer et l’accident du 10.03.2020 ayant été annoncé sans lésion clinique initiale du genou droit. En plus de l’absence de manifestation clinique de ce genou, le temps écoulé entre l’accident et les premières investigations (IRM) était de six mois. De ce fait, ces lésions étaient à considérer comme anciennes.

Consid. 4.2
Dans son rapport d’expertise, le docteur E.__ a posé le diagnostic d’une gonarthrose varisante bilatérale débutante symptomatique. A la question de l’existence d’un rapport de causalité entre les atteintes constatées au genou droit et l’accident du 10.03.2020, l’expert a indiqué qu’il ne pensait pas que les atteintes cartilagineuses et méniscales à droite étaient en rapport de causalité avec l’accident. Il a motivé ses conclusions en se référant à un article publié dans la revue médicale suisse, qui démontrait que les lésions méniscales dégénératives étaient définies comme des lésions non traumatiques se développant progressivement sous forme d’une fissure horizontale au sein du ménisque chez un patient de plus de 35 ans. Plus loin, il a ajouté que l’accident du 10.03.2020 avait décompensé une gonarthrose débutante et que cette décompensation avait atteint le statu quo sine en février 2022, soit le moment où le patient avait retrouvé une stabilité symptomatique des deux genoux. Il a précisé en outre qu’il partageait parfaitement l’avis du médecin-conseil, selon lequel la nature des lésions était en rapport avec un état maladif, sauf l’entorse du ligament collatéral interne du stade II, dont il estimait qu’elle était en relation de causalité avec l’accident. Le médecin-expert a nié, enfin, l’indication opératoire pour le traitement des troubles dégénératifs constatés, considérant qu’on ne pouvait pas attendre de cette intervention un réel bénéfice.

Consid. 4.3
Procédant à l’appréciation des preuves, en particulier à celle du rapport d’expertise, la cour cantonale a retenu qu’une pleine valeur probante pouvait en principe lui être attribuée, « sous réserve de ce qui suit ». D’après l’expert la symptomatologie douloureuse s’était stabilisée en février 2022 et c’était à ce moment que le statu quo sine avait été atteint. Il n’y avait aucune raison de douter de ce que la symptomatologie douloureuse était encore présente plus de cinq mois après l’accident en rapport avec celui-ci, comme admis par l’expert, dans la mesure où l’assuré ne souffrait pas des genoux auparavant et où il ne présentait qu’une arthrose débutante. Rien n’indiquait que celle-ci se serait tout d’un coup aggravée après mars 2020, sans la survenance de l’accident, au point de nécessiter des interventions chirurgicales. Il paraissait donc convaincant d’admettre une décompensation temporaire des lésions dégénératives des genoux, en particulier du genou droit, encore en septembre 2020. La cour cantonale a retenu qu’aussi longtemps que les suites de l’accident du 10.03.2020 constituaient encore une cause, même partielle, d’un traitement médical ou d’incapacité de travail, l’assurance-accidents devait fournir des prestations d’assurance à l’assuré, et ce, jusqu’à ce qu’il soit établi que les atteintes causées par cet accident ne constituaient plus une cause, même partielle des troubles du genou droit du recourant. En l’occurrence, en septembre 2020, la symptomatologie douloureuse était encore due à la décompensation des lésions dégénératives suite à l’accident. S’agissant de l’indication opératoire pour le traitement du genou droit, la cour cantonale s’est écartée des constatations de l’expert au motif que les lésions traitées étaient d’origine traumatique selon le chirurgien traitant, les douleurs étant apparues dans les suites de l’accident. Sous cet angle, la nécessité d’une arthroscopie du genou droit ne paraissait donc pas critiquable. Par ailleurs, l’assuré avait pu reprendre le travail rapidement après l’opération, soit après moins d’un mois, et il ne semblait plus avoir été en incapacité de travail par la suite, cela sans physiothérapie ni infiltrations. Cette évolution permettait de conclure que le traitement chirurgical avait été efficace, quand bien même ni l’expert judiciaire, ni le médecin-conseil, ne l’auraient préconisé.

Consid. 4.4.1
Le raisonnement de la cour cantonale n’est pas fondé. Les prestations d’assurance initiales, comme celles pour l’opération du 11.07.2020, ont été allouées par l’assurance-accidents en relation avec les troubles du genou gauche. Concernant les atteintes du genou droit, comme relevé à juste titre par le médecin-conseil, ce n’est que le 23.07.2020, soit plusieurs mois après l’accident, que l’assuré en a informé l’assurance-accidents. Contrairement à l’appréciation des juges cantonaux, le seul fait que les symptômes douloureux se soient manifestés après la survenance d’un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet évènement (raisonnement « post hoc ergo propter hoc »; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; arrêt U 215/97 du 23 février 1999 consid. 3b, in RAMA 1999 n° U 341 p. 407). En l’occurrence, tant le médecin-conseil que le médecin-expert s’entendent à qualifier les lésions méniscales et cartilagineuses constatées au genou droit comme étant de nature maladive.

Consid. 4.4.2
Il est vrai que le médecin-expert estime que l’accident a «décompensé» les atteintes dégénératives et qu’il admet l’origine accidentelle de l’atteinte ligamentaire, sans toutefois donner d’explication à ce dernier constat. Mais quoi qu’il en soit, l’ensemble des atteintes constatées au genou droit n’a entraîné aucune incapacité de travail jusqu’à l’intervention du 02.09.2020. En effet, l’incapacité de travail attestée par le chirurgien-traitant dès le 10.07.2020 était liée à l’opération pratiquée sur le genou gauche, l’assuré disposant auparavant d’une pleine capacité de travail et se plaignant uniquement «d’anomalies» au genou droit. L’incapacité de travail attestée ensuite en raison des troubles de genou droit, qui a persisté jusqu’au 30.09.2020, était donc due à l’arthroscopie et à la période de récupération nécessaire. Par ailleurs, cette intervention ne portait aucunement sur l’atteinte ligamentaire et l’expert judiciaire a nié l’indication opératoire. Contrairement aux considérations des juges cantonaux, on ne peut pas déduire du rétablissement du patient dans un bref délai après cette intervention qu’elle était indiquée. L’évaluation de l’indication opératoire doit reposer sur base prospective, en se demandant, avant le traitement et non après, si l’on peut en escompter un bénéfice thérapeutique, compte tenu également des risques existants. Statuer sur une base uniquement rétrospective reviendrait notamment à évacuer la question du risque de l’intervention et de ses incertitudes; une amélioration des plaintes après un traitement ne permet par ailleurs pas forcément de constater que son efficacité devrait désormais être scientifiquement reconnue.

Consid. 4.5
Il résulte de ce qui précède que l’assurance-accidents n’est pas tenue de prendre en charge l’intervention pratiquée le 02.09.2020, dont l’indication n’est pas établie en l’état du dossier et qui portait, quoi qu’il en soit, sur des lésions qui ne sont pas d’origine accidentelle. L’assurance-accidents n’a pas davantage à verser des indemnités journalières pour la période d’incapacité de travail qui en a découlé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_514/2023+8C_516/2023 consultable ici

 

8C_112/2023 (f) du 11.12.2023 – Causalité naturelle – Vraisemblance d’une entorse de genou – 6 LAA / Valeur probante du rapport du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_112/2023 (f) du 11.12.2023

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Vraisemblance d’une entorse de genou / 6 LAA

Valeur probante du rapport du médecin-conseil

 

Assuré, né en 1971, gestionnaire documentaire, a fait déclarer le 23.09.2020 l’événement du 22.08.2020 lors duquel il avait raté une marche d’escalier et s’était fait mal au genou. Le spécialiste en chirurgie orthopédique traitant a rapporté qu’après sa chute dans les escaliers, l’assuré avait ressenti des douleurs au niveau de son genou gauche, exacerbées à la montée des escaliers. Une IRM réalisée le 27.11.2020 avait révélé une déchirure du ménisque interne associée à une arthrose fémoro-tibiale interne débutante. L’orthopédiste traitant a constaté que le genou gauche était calme, peu tuméfié. Il a posé le diagnostic de déchirure de la corne postérieure du ménisque interne du genou gauche symptomatique. Le médecin généraliste traitant de l’assuré a indiqué que l’assuré avait « loupé » une marche le 22.08.2020 et avait chuté par la suite, avec une charge importante sur la jambe gauche. Les douleurs s’étaient développées progressivement sur une semaine. La descente des escaliers augmentait les douleurs. Il a constaté l’absence de blocage, de tuméfaction et d’épanchement. Les douleurs se situaient au compartiment interne et à la corne postérieure du ménisque interne. L’assurance-accidents a pris en charge le cas.

Le 06.01.2021, le spécialiste en chirurgie orthopédique a pratiqué une arthroscopie sur le genou gauche de l’assuré (résection-égalisation de la corne postérieure du ménisque interne).

Par décision du 05.03.2021, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a informé l’assuré que selon l’appréciation de son médecin d’arrondissement, la Dre E.__, l’événement du 22.08.2020 avait cessé de déployer ses effets depuis de nombreuses semaines mais au plus tard à la fin du mois de novembre 2020 ; l’assurance-accidents ne prenait pas en charge les frais de l’opération du 06.01.2021 et mettait fin aux prestations d’assurance (indemnité journalière et frais de traitement) le 15.12.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 110/21-5/2023 – consultable ici)

Par jugement du 16.01.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Pour la cour cantonale, l’avis du spécialiste en chirurgie orthopédique traitant n’était pas de nature à mettre en doute l’appréciation convaincante du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents. En tant qu’il était d’avis que la déchirure méniscale était d’origine accidentelle, son argumentation reposait essentiellement sur l’absence de douleurs avant l’accident et sur la persistance des douleurs plus de trois mois après l’accident, ainsi que sur le fait que l’assuré aurait subi, d’après lui, une torsion du genou. Or, pour les juges cantonaux, une telle torsion n’était pas avérée. Il n’en était question ni dans la déclaration d’accident (qui mentionnait expressément une contusion), ni dans le rapport intermédiaire établi par le premier médecin consulté par l’assuré en septembre 2020, ni dans la description de l’accident par l’assuré lui-même lors d’un entretien du 03.02.2021 avec un collaborateur de l’assurance-accidents. Lors de cet entretien, l’assuré avait précisé s’être « tordu le genou droit à ski en 2014 » ; en revanche, il ne mentionnait pas de torsion du genou gauche dans sa description de l’accident du 22.08.2020. Il exposait avoir raté les deux dernières marches de l’escalier, avoir chuté en avant et s’être retrouvé « avec la jambe gauche pliée sous les fesses ». Selon la cour cantonale, cette description concordait avec la notion de « charge importante sur la jambe gauche » figurant dans le rapport du médecin généraliste traitant. Elle ne permettait cependant pas de constater un mécanisme de torsion lors de l’accident et il était peu vraisemblable que l’assuré n’eût pas mentionné explicitement un mouvement de torsion lors de l’entretien du 03.02.2021, ni lors de sa première consultation auprès du médecin traitant si celui-ci se fût effectivement produit. Quant au rapport de l’orthopédiste traitant, il était insuffisant pour établir à lui seul, au degré de la vraisemblance prépondérante, une torsion du genou, compte tenu des autres pièces au dossier, d’autant que ce médecin paraissait partir du principe que toute chute dans un escalier impliquait une torsion du genou. Par ailleurs, et contrairement à ce que soutenait l’orthopédiste traitant, la survenance et la persistance des douleurs plus de trois mois après l’accident ne permettait pas, sous réserve d’autres indices concordants, de tirer des conclusions sur l’origine accidentelle d’une lésion méniscale, dès lors qu’il s’agissait d’un raisonnement « post hoc ergo propter hoc ».

Consid. 4
Dans un premier grief, l’assuré conteste l’absence de torsion retenue par la cour cantonale dans le mécanisme de sa chute. Il estime que l’absence spécifique de mention de torsion au genou ne saurait exclure l’existence d’une telle torsion.

En l’occurrence, comme l’a déjà constaté la juridiction cantonale, l’assuré n’a jamais fait état d’une entorse au genou tout au long de ses différentes déclarations. Par ailleurs, la Dre E.__ avait indiqué que si l’assuré avait subi une entorse du genou, il est probable qu’il aurait enflé immédiatement et qu’il aurait ressenti des douleurs à la marche, et non seulement en position assise avec le genou à 90°; il aurait également présenté une impotence fonctionnelle immédiatement, ce qui n’avait pas été le cas. Vu ce qui précède, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations des juges cantonaux, selon lesquelles l’assuré n’a pas subi de torsion de son genou gauche le 22.08.2020.

 

Consid. 5
La juridiction cantonale a retenu que l’assuré n’apportait aucun élément permettant de faire naître un doute quant à l’impartialité ou l’indépendance de la Dre E.__. Elle a au demeurant retenu que les médecins d’arrondissement ainsi que les spécialistes du centre de compétence de la médecine des assurances de la CNA étaient considérés, par leur fonction et leur position professionnelle, comme étant des spécialistes en matière de traumatologie, indépendamment de leur spécialisation médicale, de sorte que le grief de l’assuré relevant de l’absence de compétence et de légitimité de la Dre E.__ devait être écarté. Par ailleurs, la cour cantonale a également retenu que s’il eût été préférable que la Dre E.__ cite d’emblée ses sources médicales et qu’elle le fasse de manière plus précise, par exemple en mentionnant à quel passage ou à quelle page de quel ouvrage elle se référait pour chacune de ses affirmations, ce grief ne suffisait toutefois de loin pas à mettre en doute ses constatations dans la présente procédure. En tant que l’assuré conteste derechef l’appréciation de la Dre E.__, au motif que cette dernière n’est pas spécialiste en chirurgie orthopédique et qu’elle ne cite pas de manière suffisamment précise ses sources médicales, il y a lieu de renvoyer aux considérants convaincants de l’arrêt attaqué.

 

Consid. 6
Dans un ultime grief, l’assuré soutient encore que c’est manifestement à tort que les juges cantonaux ont considéré qu’il y avait lieu d’accorder une pleine valeur probante aux différents rapports établis par la Dre E.__ puisque dans la cause 8C_401/2019 du 9 juin 2020 tranchée par le Tribunal fédéral, une valeur probante avait été accordée au médecin spécialiste de l’assuré et non au médecin-conseil de l’assurance-accidents.

Ce n’est pas parce que dans un cas différent de celui en l’espèce, les juges ont accordé plus de poids à l’avis d’un spécialiste qu’aux médecins-conseils de l’assurance-accidents que cela doit toujours en être ainsi. En effet, selon une jurisprudence constante, l’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a). Dans le cas précité, les juges cantonaux avaient dénié toute valeur probante aux appréciations des médecins-conseil, expliquant qu’on était en droit d’attendre de ces derniers soutenant l’origine non accidentelle des lésions au niveau de l’épaule de la personne assurée, qu’ils étayent leur point de vue et qu’ils fournissent des explications circonstanciées sur le processus non traumatique qu’ils estimaient être à l’origine des atteintes constatées, ainsi que les raisons pour lesquelles le mécanisme accidentel n’aurait objectivement pas pu causer l’ensemble de ces atteintes, ce qu’ils n’avaient apparemment pas fait.

En l’espèce, la cour cantonale s’est dite cependant convaincue par l’avis du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents, lequel n’était pas mis en doute par celui du spécialiste en chirurgie orthopédique traitant, ce dernier fondant ses constatations sur une hypothèse différente quant au déroulement de l’accident, à savoir l’existence d’une torsion du genou, ainsi que sur l’absence de douleurs avant l’accident et sur leur persistance plus de trois mois après l’accident, ce qui relevait d’une argumentation « post hoc ergo propter hoc », insuffisante pour justifier à elle seule l’origine accidentelle d’une lésion méniscale. Dans ces circonstances, la cour cantonale pouvait, sans violer le droit fédéral, se fonder sur l’avis du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents. En outre, dès lors qu’elle était parvenue à juste titre à la conclusion que l’avis du spécialiste en chirurgie orthopédique traitant n’était pas de nature à mettre en doute la fiabilité et la pertinence de l’appréciation de la Dre E.__, la cour cantonale n’avait pas le devoir de mettre en œuvre une expertise (cf. ATF 135 V 465 consid. 4).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_112/2023 consultable ici

 

8C_234/2023 (f) du 12.12.2023 – Rapport de causalité naturelle entre le syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) et un accident – Vraisemblance prépondérante – Critères de Budapest / 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_234/2023 (f) du 12.12.2023

 

Consultable ici

 

Rapport de causalité naturelle entre le syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) et un accident – Vraisemblance prépondérante – Critères de Budapest / 6 LAA

 

Assuré, né en 1968, manœuvre en génie civil, s’est blessé au genou gauche le 25.01.2013 en portant un panneau et en chutant avec ses genoux sur du gravier. En incapacité de travail depuis cet accident, l’assuré a subi quatre interventions chirurgicales à son genou gauche. Il a séjourné du 20.08.2014 au 16.09.2014, puis du 08.11.2016 au 14.12.2016 dans une clinique de réadaptation. L’examen médical final par la médecin-conseil a eu lieu le 20.03.2017.

Par décision du 05.07.2017, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité de 17% dès le 01.07.2017, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 5%.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2017 234 – consultable ici)

La cour cantonale a suspendu la procédure de recours jusqu’à ce que les conclusions d’une expertise pluridisciplinaire mandatée dans le cadre de la procédure d’assurance-invalidité soient connues. Le rapport du centre d’expertises a été rendu le 27.11.2018. Remettant en cause la valeur probante du volet psychiatrique de ce rapport, l’office AI a ordonné une nouvelle évaluation psychiatrique, puis finalement une nouvelle expertise pluridisciplinaire auprès d’un centre universitaire, qui a rendu son rapport le 30.06.2020 ainsi qu’un complément de rapport le 09.03.2021.

Par jugement du 28.02.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
En ce qui concerne le rapport de causalité entre le CRPS allégué et l’accident, il y a lieu d’ajouter que l’étiologie et la pathogenèse de cette atteinte n’est pas claire (arrêts 8C_416/2019 consid. 5, in: SVR 2021 UV n° 9 p. 48; 8C_384/2009 consid. 4.2.1, in SVR 2019 UV n° 18 p. 69). En tant que maladie de nature neurologique-orthopédique-traumatologique, elle est toutefois qualifiée d’atteinte organique, soit une atteinte de la santé corporelle. En ce qui concerne plus précisément ce diagnostic, il n’est pas nécessaire qu’un CRPS ait été diagnostiqué dans les six à huit mois après l’accident pour admettre son caractère causal avec l’événement accidentel; il est en revanche déterminant que sur la base des constats médicaux effectués en temps réel, il soit établi que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du CRPS durant la période de latence de six à huit semaines après l’accident (arrêts 8C_473/2022 du 20 janvier 2023 consid. 5.5.1, in: SVR 2021 UV n° 9 p. 48; 8C_1/2023 du 6 juillet 2023 consid. 7.2). Pour la validation du diagnostic, il est communément fait référence aux critères dits « de Budapest », qui sont exclusivement cliniques et associent symptômes et signes dans quatre domaines: sensoriels, vasomoteurs, sudomoteurs/oedème, moteurs/trophiques (cf. arrêt 8C_416/2019 précité consid. 5.1).

Consid. 4.1
Se fondant sur l’avis du médecin-conseil, des spécialistes de la clinique de réadaptation et des médecins-expert du centre d’expertise universitaire, les juges cantonaux ont retenu que l’existence d’un CRPS n’était pas établie. Ils ont constaté que le diagnostic de CRPS avait été suspecté pour la première fois en juin 2014 par le neurologue traitant, puis confirmé notamment par le Dr C.__ dans le cadre de la première expertise mise en œuvre par l’assurance-invalidité. Si cet expert avait retenu le diagnostic de CRPS, il l’avait fait sur les seuls constats de la persistance d’une douleur au genou, d’épisodes vaso-moteurs et troubles neurologiques non systématisés à l’examen clinique, de difficultés à la marche, d’une neuropathie mal systématisée à l’électro-myogramme et d’une atteinte articulaire modérée sans changement depuis 2014. Dans la mesure où son diagnostic ne se fondait pas sur une analyse systématique des critères de Budapest, il était sujet à caution. Aussi, en l’absence de tout substrat neurologique ou d’autre atteinte somatique, les douleurs persistantes ne pouvaient pas être attribuées à l’accident du 25.01.2013. Il en résultait que c’était à bon droit que l’assurance-accidents avait retenu qu’à partir du 01.07.2017, les séquelles organiques causées par l’accident au genou gauche de l’assuré ne l’empêchaient pas d’exercer à plein temps et sans perte de rendement une activité adaptée à ses limitations dans différents secteurs de l’industrie.

 

Consid. 4.3.2
Interrogée sur l’existence d’un CRPS, le médecin-conseil a pris position. Dans son appréciation médicale du 07.06.2017, elle a indiqué que l’assuré avait été évalué multidisciplinairement à la clinique de réadaptation, où notamment la présence d’un CRPS avait été exclue selon les critères de Budapest. Elle a relevé en outre que le développement d’un CRPS se faisait en général dans les premiers six mois après l’événement respectivement l’intervention. Or, l’assuré avait été vu le 20.03.2017 par le médecin-conseil pour un bilan médical. Selon ce bilan, les critères pour un CRPS n’étaient pas remplis. La capacité de travail de l’assuré dans l’ancienne activité était nulle; dans un travail adapté respectant les limitations suivantes (marche sur le long trajet, maintien prolongé de la position assise ou debout, montée et descente d’escaliers et d’échelles), la capacité de travail était à 100% (horaire et rendement).

Consid. 4.3.3.1
Dans le cadre de la deuxième expertise auprès du centre universitaire, l’expert rhumatologue a indiqué, sur la question de l’existence d’un CRPS, que les gonalgies gauches étaient invalidantes, mais que leur étiologie demeurait indéterminée. L’anamnèse, l’étude des documents radiologiques, l’examen clinique orientaient vers le diagnostic de gonalgies gauches chroniques non spécifiques, la persistance des douleurs étant médicalement mal à peu explicable. D’un point de vue diagnostic différentiel, il n’avait pas d’élément orientant vers un syndrome douloureux complexe régional de type CRPS ou algodystrophie, ni vers une étiologie infectieuse, fracturaire, auto-immune, métabolique toxique entre autres. L’examen clinique était relativement pauvre, il était caractérisé par des douleurs et une épargne de mouvements du genou gauche.

Consid. 4.3.3.2
L’expert neurologue, quant à lui, a indiqué qu’il n’y avait pas de substrat neurologique qui permettait d’expliquer la douleur du genou gauche et que les incohérences prédominaient. Il existait toutefois des anomalies électrophysiologies, mais bilatérales, compatibles avec une polyneuropathie dont l’origine était indéterminée, vraisemblablement de découverte fortuite et sans nette traduction clinique. Sur le plan neurologique, il n’y avait pas de limitations fonctionnelles, ni de diminution de la capacité de travail.

Consid. 4.3.3.3
Dans leur appréciation interdisciplinaire, les médecins-experts ont encore observé qu’il existait une hypomyotrophie globale du membre inférieur gauche, mais qu’il n’y avait pas d’œdème, ni de trouble de la coloration, ni de différence de chaleur, ni de dépilation. L’examen de ce membre inférieur était en outre parasité par un comportement douloureux avec une pseudo-parésie, dont le caractère pseudo-parétique était confirmé par l’ENMG. Par ailleurs, les experts ont retrouvé des anomalies de la conduction nerveuses bilatérales déjà notées depuis 2014, qui étaient compatibles avec une polyneuropathie. La documentation radiologique montrait qu’il n’y avait pas de compression radiculaire ni tronculaire sur les IRM lombaire et du bassin effectuées ; il n’y avait pas non plus d’élément en faveur d’un CRPS documenté par scintigraphie.

Consid. 4.4
Au vu de ces constatations médicales, c’est à juste titre que la cour cantonale a renoncé, par appréciation anticipée des preuves (ATF 145 I 167 consid. 4.1), à mettre en œuvre une nouvelle expertise. Contrairement à ce que prétend l’assuré, les éléments versés au dossier et les nombreuses investigations médicales effectuées permettent d’admettre que l’atteinte dont il souffre ne remplit pas, ou du moins plus, les critères de Budapest, si bien que le diagnostic de CRPS ne peut pas être retenu. A cet égard, les constatations du docteur C.__, dans le cadre de la première expertise, n’emportent pas la conviction, dans la mesure où cet expert a motivé son diagnostic en se référant essentiellement à la persistance des douleurs et « d’épisodes vaso-moteurs et troubles neurologiques non systématisés à l’examen clinique ». Il ne décrit que sommairement les symptômes et ne paraît par ailleurs pas tenir compte du caractère très démonstratif de l’assuré, comme l’ont observé à juste titre les juges cantonaux.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_234/2023 consultable ici

 

Pour plus de détails sur le SDRC, je renvois la lectrice et le lecteur à l’article paru dans Jusletter du 18.10.2021 : Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC) et causalité en LAA – Jusletter 2021-10-18

 

8C_125/2023 (d) du 08.08.2023, destiné à la publication – Mordre sur un caillou se trouvant dans un sachet de salade – 4 LPGA / Lien de causalité en cas d’état antérieur chez une assurée présentant de fortes parafonctions – 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_125/2023 (d) du 08.08.2023, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : Traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Dommage dentaire – Mordre sur un caillou se trouvant dans un sachet de salade / 4 LPGA

Lien de causalité naturelle et adéquate en cas d’état antérieur (dent traitée) chez une assurée présentant de fortes parafonctions / 6 LAA

 

Assurée, née en 1963. Déclaration d’accident du 09.12.2021 : elle a mordu, le 22.11.2021, un caillou qui se trouvait dans un sachet de salade.

Le 29.11.2021, elle s’est rendue chez le Dr C.__, médecin-dentiste. Celui-ci a d’abord remplacé le composite. Cette opération n’ayant pas donné les résultats escomptés, l’extraction de la dent 47 a été réalisée le 23.12.2021 en raison d’une suspicion de fracture longitudinale. Après avoir demandé l’avis de son dentiste-conseil, le Dr D.__, l’assurance-accidents a nié le droit aux prestations par décision du 07.03.2022, en raison de l’absence de lien de causalité naturelle entre l’événement du 22.11.2021 et le dommage dentaire. Elle a maintenu cette position par décision sur opposition du 07.06.2022, après avoir demandé une nouvelle prise de position à son médecin-conseil.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.261 – consultable ici)

Le tribunal cantonal a considéré que le dentiste-conseil a justifié de manière compréhensible qu’un lien de causalité naturelle entre l’événement du 22.11.2021 et la lésion de la dent 47 était certes possible, mais pas prouvé au degré de la vraisemblance prépondérante. La question de savoir si l’événement du 22.11.2021 remplit la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA est laissée ouverte.

Par jugement du 30.12.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2 [notion d’accident]
L’arrêt attaqué ne contient pas de constatations contraignantes concernant l’événement du 22.11.2021, mais comme le dossier est clair sur ce point, le Tribunal fédéral peut compléter lui-même l’état de fait à cet égard (ATF 143 V 177 consid. 4.3 ; 140 V 22 consid. 5.4.5).

Selon la déclaration d’accident du 09.12.2021, l’assurée a mordu le 22.11.2021 sur un caillou qui se trouvait dans un sachet de salade qu’elle avait acheté auparavant au supermarché. Dans le questionnaire relatif à la lésion dentaire, elle a de nouveau déclaré, à propos des circonstances de l’accident, qu’elle avait acheté une salade au supermarché et qu’elle l’avait mangée chez elle. Dans la salade se trouvait un gros caillou sur lequel elle a mordu. Elle a déclaré que le caillou était disponible. Elle a également décrit l’incident de la même manière à son dentiste. Dans son recours au Tribunal fédéral, l’assurée a indiqué que le caillou en question se trouvait en possession de l’assurance-accidents, ce que cette dernière ne conteste pas. Il n’y a aucune raison de supposer que l’assurée n’a pas décrit correctement les faits. Il faut donc partir du principe que le 22.11.2021, elle a effectivement mordu sur un caillou contenu dans un sachet de salade. L’assurance-accidents n’a d’ailleurs jamais prétendu, à juste titre, que l’événement du 22.11.2021 ne remplissait pas les conditions de la notion d’accident selon l’art. 4 LPGA.

En effet, selon la jurisprudence relative aux lésions dentaires lors de l’alimentation, l’élément déterminant est de savoir si le facteur extérieur en question, qui a entraîné la lésion dentaire, est un composant habituel du matériau transformé (SVR 2016 UV n° 17 p. 52, 8C_750/2015 consid. 5 ; RKUV 1992 n° U 144 p. 82 consid. 2b). Tel n’est pas le cas en l’espèce. Un caillou dans une salade préemballée prête à consommer, achetée dans un supermarché, dépasse le cadre de l’ordinaire ou de l’habituel (cf. à ce sujet ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 ; 129 V 402 consid. 2.1 ; arrêt K 1/88 du 15 août 1988 consid. 2b, non publié dans : ATF 114 V 169, mais in : RKUV 1988 K 787 419 ; arrêt 8C_191/2018 du 21 décembre 2018 consid. 3.1).

Il n’y a par ailleurs aucune raison de penser que les autres conditions de la notion d’accident ne seraient pas remplies. Il s’ensuit que l’événement du 22.11.2021 remplit la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA.

 

Consid. 5.1 [causalité naturelle]
Pour que l’assurance-accidents soit tenue de verser des prestations, il faut notamment qu’il existe un lien de causalité naturelle entre l’événement dommageable et l’affection dentaire traitée, établi au degré de la vraisemblance prépondérante tel que requis en droit des assurances sociales. Selon la jurisprudence, les causes déterminantes au sens de l’art. 6 al. 1 LAA comprennent également des circonstances sans l’existence desquelles l’atteinte à la santé ne serait pas survenue au même moment. Une cause accidentelle à l’origine d’un dommage est donc déterminante pour l’octroi de prestations même si le dommage en question serait probablement survenu plus tôt ou plus tard même sans l’événement assuré, l’accident n’étant donc une condition sine qua non qu’en ce qui concerne le moment de la survenance du dommage. Il en va autrement lorsque l’accident n’est qu’une cause occasionnelle ou fortuite, qui rend manifeste un risque actuel dont la réalisation aurait pu être attendue à tout moment, sans prendre une importance distincte dans le cadre du rapport de cause à effet. Un événement revêt donc le caractère d’une cause partielle fondant le droit aux prestations lorsque le risque résultant de la cause pathogène potentielle n’était pas présent auparavant au point que le facteur déclenchant apparaisse comme aléatoire et interchangeable. En revanche, l’action accidentelle correspond à une cause occasionnelle ou fortuite (faisant obstacle à l’octroi des prestations) lorsqu’elle rencontre un état antérieur si instable et précaire que l’on aurait pu s’attendre à tout moment à la survenance de la lésion (organique), que ce soit en raison de la dynamique propre de la pathologie ou parce qu’elle répond à une autre cause fortuite quelconque. Si un autre facteur de sollicitation quotidienne aurait pu provoquer la même atteinte à la santé à peu près au même moment, l’accident n’apparaît pas comme un événement causal significatif, mais comme une cause interchangeable [austauschbarer] ; il n’y a donc pas d’obligation de prestation de l’assureur-accidents (SVR 2012 UV Nr. 8 S. 27, 8C_380/2011 consid.. 4.2.1; SVR 2007 UV Nr. 28 S. 94, U 413/05 E. 4; arrêts 8C_692/2022 du 2 mai 2023 consid. 4.2.2; 8C_287/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.1; ANDREAS TRAUB, Natürlicher Kausalzusammenhang zwischen Unfall und Gesundheitsschädigung bei konkurrierender pathogener Einwirkung: Abgrenzung der wesentlichen Teilursache von einer anspruchshindernden Gelegenheits- oder Zufallsursache, in: SZS 2009 S. 479).

Consid. 5.2 [causalité adéquate]
En cas d’atteintes objectives à la santé physique, dont les lésions dentaires, la causalité naturelle se recoupe largement avec la causalité adéquate – qui reste une condition préalable à l’obligation de verser des prestations. Dans ce cas, la question décisive du point de vue du lien de causalité adéquate, à savoir si l’événement accidentel est en soi susceptible, selon l’expérience générale de la vie, de provoquer un résultat du type de celui qui s’est produit, c’est-à-dire si la survenance de ce résultat apparaît généralement comme favorisée par l’événement (ATF 129 V 177 consid. 3.2 et la référence), ne joue pratiquement aucun rôle dans l’obligation de verser des prestations (sur l’ensemble : ATF 134 V 109 consid. 2.1 et la référence).

Dans le cas de lésions dentaires dont l’état antérieur était pathologique au moment de l’accident, la causalité adéquate ne pourrait être niée – par analogie avec la causalité naturelle (consid. 5.1 supra) – que si l’on pouvait supposer que la dent affaiblie par un état antérieur pathologique n’aurait pas résisté, à peu près à la même période, même à une sollicitation normale. (arrêt 9C_242/2010 du 29 novembre 2010 consid. 3.3 ; cf. aussi ATF 114 V 169 consid. 3b).

Consid. 5.3
En ce qui concerne les lésions dentaires, il convient d’ajouter ce qui suit : Une dent parfaitement saine résiste à des contraintes plus fortes qu’une dent réparée, mais une dent traitée reste en règle générale tout à fait fonctionnelle pour l’acte normal de mastication. Si une telle dent ne résiste pas à une sollicitation soudaine, non intentionnelle et extraordinaire, l’hypothèse d’un accident ne peut être exclue au motif qu’une dent parfaitement intacte aurait résisté à cette sollicitation. Sont réservés les cas où la dent est tellement affaiblie qu’elle n’aurait pas non plus résisté à une sollicitation normale (sur l’ensemble : ATF 114 V 169 consid. 3b ; cf. aussi SVR 2016 UV no 17 p. 52, 8C_750/2015 consid. 5 ; arrêt 9C_639/2014 du 24 février 2015 consid. 4.1).

 

Consid. 5.4
Se pose la question de savoir si l’accident du 22.11.2021 a provoqué la fracture partielle de l’obturation dentaire et, dans l’affirmative, si la dent 47 concernée n’aurait pas résisté à une sollicitation normale au moment de l’accident. Le dossier médical se présente comme suit:

Consid. 5.4.1
Dans sa prise de position du 04.03.2022, le médecin-dentiste traitant a constaté que l’assurée avait mordu sur un caillou dans une salade. Une partie de son obturation occlusale sur la dent 47 s’est alors fracturée. Lors de la consultation du 29.11.2021, l’assurée s’est plainte de douleurs à la pression. De plus, la dent 47 était très hypersensible lors du test de vitalité. L’amalgame en composite a alors été remplacée, mais cela n’a pas donné les résultats escomptés. Malgré plusieurs applications de vernis fluoré et corrections (meulage et polissage), la douleur à la pression et la sensibilité au froid sont restées. Le 23.12.2021, la dent 47 a été extraite en raison d’une suspicion de fracture longitudinale. Le médecin-dentiste traitant a conclu à l’existence d’un lien direct entre l’accident et la lésion dentaire. Par lettre du 27.07.2022, il a en outre indiqué que l’assurée n’avait pas eu de douleurs jusqu’à l’événement du 22.11.2021, raison pour laquelle, selon lui, le lien de causalité entre l’accident et la lésion dentaire était établi.

Consid. 5.4.2
Le dentiste-conseil a quant à lui constaté dans son appréciation du 19.02.2022 que l’assurée avait des dents considérablement usées. De plus, des hypersensibilités peuvent survenir à tout moment. Les racines de la dent 47 présentaient des modifications radiologiques au niveau apical, de façon nettement délimitée, signe d’un processus chronique s’étendant sur plusieurs mois. Selon le dentiste-conseil, le lien de causalité naturelle n’est que possible. Le 01.06.2022, le dentiste-conseil a ajouté que l’assurée présentait de fortes parafonctions (grincements) [ndt : parafonctions : habitudes nuisibles à l’équilibre oro-facial et dentaire, comme par exemple le bruxisme ou l’onychophagie]. Cela est visible sur la radiographie du 06.12.2021, où les cuspides sont presque entièrement effacées par l’usure. En raison de la perte de l’émail protecteur, la dentine sensible est exposée, ce qui entraîne des sensations douloureuses lors de la mastication (irritation mécanique et chimique). En raison de la perte de substance, les obturations perdent leur rétention mécanique et s’amincissent en même temps. Il est courant qu’avec le temps, sous une charge masticatoire normale, il y ait des pertes d’obturation, des fractures d’obturation ou des pertes partielles d’obturation. En outre, l’énorme charge exercée pendant le grincement peut, avec le temps, provoquer des fissures longitudinales dans la dent. L’orthopantomographie du 23.12.2021 montre un signe clair d’un processus inflammatoire chronique qui dure depuis des années. Le processus inflammatoire dans l’os est une réaction à une stimulation du nerf. Celui-ci peut être dû à l’obturation occlusale profonde proche de la pulpe, à la dentine exposée ou à une fissure longitudinale. Les troubles qui en découlent apparaissent insidieusement. En résumé, le médecin-conseil a nié une causalité partielle de l’accident.

 

Consid. 5.5
L’assurée conteste la valeur probante des rapports du dentiste-conseil. Ainsi, il ressort certes de ses observations que la dent 47 était déjà endommagée avant l’événement du 22.11.2021. Mais même une dent assainie peut tout à fait être encore fonctionnelle pour l’acte de mastication normal (cf. consid. 5.3 supra). On ne peut pas déduire de l’évaluation du dentiste-conseil que la dent en question aurait été tellement affaiblie qu’elle n’aurait pas résisté à une sollicitation normale (mastication, grincement). Le dentiste-conseil a certes laissé entendre que la dent en question se serait abîmée tôt ou tard, même sans accident («avec le temps»), et il a supposé que le grincement pût entraîner des fissures longitudinales. Mais cela n’établit pas qu’en raison de l’état antérieur, une autre sollicitation quotidienne aurait pu provoquer la même atteinte à la santé à peu près au même moment. En outre, le dentiste-conseil ne s’est absolument pas penché sur l’accident et les forces en présence, bien qu’il faille considérer comme établi que l’assurée a mordu une pierre le 22.11.2021. L’évaluation du médecin-conseil n’est donc pas complète pour les questions litigieuses. Sa conclusion selon laquelle il n’y a pas de lien de causalité entre l’événement du 22.11.2021 et la lésion dentaire constatée n’est pas convaincante à cet égard.

Consid. 5.6
Par ailleurs, le dentiste traitant fonde son appréciation essentiellement sur le fait que l’assurée ne souffrait d’aucun trouble avant l’événement du 22.11.2021. Ce raisonnement «post hoc ergo propter hoc» n’est pas admissible dans le contexte donné (ATF 142 V 325 consid. 2.3.2.2 ; 119 V 335 consid. 2b/bb). Ces éléments ne suffisent pas en soi à prouver l’existence d’un lien de causalité.

Consid. 5.7
En résumé, le dossier médical disponible ne permet pas de déterminer de manière fiable si l’accident du 22.11.2021 a été au moins partiellement à l’origine de la lésion dentaire litigieuse et si la dent 47 était déjà tellement affaiblie avant l’accident du 22.11.2021 qu’elle n’aurait pas supporté une sollicitation normale. Les faits n’ont donc pas été établis de manière suffisante, ce qui viole la maxime inquisitoire (art. 43 al. 1, art. 61 let. c LPGA) et en même temps les règles concernant la valeur probante des rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1).

Il incombe en premier lieu à l’assureur-accidents de procéder d’office aux investigations nécessaires pour établir de manière complète les faits pertinents (art. 43 al. 1 LPGA ; ATF 132 V 368 consid. 5 ; arrêt 8C_523/2022 du 23 février 2023 consid. 5.4 et la référence). L’affaire doit donc être renvoyée à l’assurance-accidents afin qu’elle demande – après avoir obtenu le dossier médical auprès du dentiste traitant – une expertise médicale dans le cadre de la procédure selon l’art. 44 LPGA et qu’elle statue ensuite à nouveau sur le droit aux prestations de l’assurée (ATF 132 V 368 consid. 5 ; arrêt 8C_523/2022 du 23 février 2023 consid. 5.4 et la référence).

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_125/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_125/2023 (d) du 08.08.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/02/8c_125-2023)

 

8C_663/2022 (d) du 30.11.2023 – Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / 16 LPGA

Capacité de travail exigible inférieur dans l’activité exercée mais capacité de gain supérieure – Obligation de réduire le dommage

Nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, admissible devant le Tribunal fédéral – 99 LTF

Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / 17 LPGA

Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Réduction de la rente d’invalidité à l’âge AVS et dispositions transitoires / 20 al. 2ter LAA

 

Assurée, née en 1957, travaillait à 60% comme masseuse (assurée en LAA auprès d’Helsana) et à 30% comme professeur de musique (assurée en LAA auprès d’Allianz). 1er accident le 15.09.2011 (fracture de la tête radiale droite et arrachement du tendon sus-épineux). 2ème accident le 12.12.2012 (fracture de l’humérus gauche). Entre les deux accidents, on a diagnostiqué chez elle un carcinome mammaire qui a nécessité des interventions chirurgicales et une chimiothérapie. Helsana a d’abord versé les prestations temporaires (traitement médical et indemnités journalières). Elle a mandaté le Dr E.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, pour une expertise médicale (expertise du 28.03.2014 avec complément du 26.08.2014). Pour des raisons de coordination, Allianz a ensuite pris en charge la gestion du cas et a dès lors versé les prestations temporaires. Elle a demandé au Dr E.__ une nouvelle évaluation (expertise du 14.11.2016), mais l’a ensuite rejeté et s’est basée à la place sur sa première expertise datant de 2014. Par décision du 13.11.2018, confirmée sur opposition le 04.12.2019, Allianz a mis un terme aux prestations temporaires au 31.10.2014, a nié tout droit à une rente et a accordé à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité pour une perte d’intégrité de 15% au total.

Entre-temps, l’office AI a octroyé à l’assurée, par décision du 26.09.2014, une rente entière d’invalidité dès le 01.11.2012 puis une demi-rente dès le 01.08.2013. En raison d’une péjoration de l’état de santé (récidive tumorale et aggravation d’un handicap visuel congénital) en octobre 2016, la rente AI a été augmentée à une rente entière dès le 01.01.2017 (décision du 27.03.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt VSBES.2020.14 – consultable ici)

Ayant considéré les expertises du Dr E.__ comme non probante, le tribunal cantonal a ordonné une expertise orthopédique auprès du bureau d’expertise F.__ (rapport du 05.02.2021). La cour cantonale n’ayant pas reconnu une pleine valeur probante à cette expertise, elle a demandé au Dr G.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, de procéder à une surexpertise (rapport du 20.11. 2021).

En raison des séquelles des accidents, l’activité de masseuse exercée n’était plus possible au moment de la stabilisation de l’état de santé au 01.11.2014. Pour l’activité de professeur de musique, il existait en revanche une capacité de travail de 70% (par rapport à un taux d’occupation de 100%) avec un rendement de 50% et, dans une activité adaptée (activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée seulement, par exemple dans un musée), une capacité de travail de 80% avec un rendement de 60%, soit une capacité de travail de 48%. Partant des revenus réalisés avant l’accident, calculés sur la base d’un taux d’occupation de 100%, le tribunal cantonal a calculé un revenu sans invalidité 87’432 francs. Comparé au revenu d’invalide de 25’821 fr. (ESS, niv. 1, ligne Total, capacité de travail de 48%), le taux d’invalidité a été fixé à 70%.

Par jugement du 10.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité de 70% dès le 01.11.2014, à une IPAI de 25% et a mis à charge de l’assurance-accidents Allianz les frais de l’expertise judiciaire du Dr G.__ à hauteur de 8’617 fr. 30.

 

TF

Consid. 5.2
Dans son expertise du 20.11.2021, le Dr G.__ a qualifié l’activité de professeur de musique de niveau élémentaire comme adaptée, dans une mesure d’une capacité de 70% avec un rendement de 50%.

L’expert judiciaire a mentionné trois autres activités professionnelles théoriquement possibles, qu’il a qualifiées d’adaptées aux limitations fonctionnelles. Premièrement : des conseils purs aux clients, sans sollicitation des deux épaules de toutes sortes, ou seulement pendant une courte durée, en position debout, assise ou en marchant, avec des instructions de courte durée avec les bras à hauteur du ventre ou au maximum à hauteur de la poitrine. Une telle activité serait possible en temps à hauteur de 80% avec un rendement de 50%. Deuxièmement : activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée (p. ex. surveillance dans un musée). De tels travaux sont possibles à 80% avec un rendement de 60%. Troisièmement : les activités administratives sur ordinateur, possibles à 50% avec un rendement de 50% en raison des pauses plus fréquentes dues aux douleurs. En général, une activité adaptée doit remplir les conditions suivantes : Pas de port de charges de plus de 2 kg, pas de soulèvement de charges de plus de 2 kg au-dessus de la hauteur du ventre et uniquement à proximité du corps, pas de travaux au-dessus de la hauteur maximale de la poitrine, pas d’activités nécessitant une rotation externe des deux épaules, pas d’activités répétitives et pas de maintien limité dans la même position, par exemple devant un PC.

Ainsi, selon l’expertise judiciaire, les activités de surveillance offrent la meilleure capacité de travail et de rendement. Mais l’activité de professeur de musique à 70% avec une baisse de rendement de 50% est également considérée comme une activité adaptée, ce qui est important pour le calcul de l’invalidité, comme il ressort de ce qui suit. On peut donc laissée ouverte la question de savoir si l’évaluation par l’expert de la capacité de travail pour des activités de surveillance simples est pleinement convaincante.

Consid. 6.3
Conformément à la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2).

Consid. 6.4
Il n’est pas contesté que l’assurée a continué à travailler comme professeur de musique au moment de la stabilisation de l’état de santé et de l’examen du droit à la rente (01.11.2014). Selon les indications de l’employeur (Commune d’U.__), l’assurée avait un taux d’occupation de 10 à 11 leçons entre 2014 et 2016, correspondant à un taux de 33-37% sur la base d’un temps de travail habituel de 30 leçons par semaine. Il est en outre établi que cette activité pouvait être raisonnablement exigée d’elle à partir du 25.04.2013 à raison de 70% avec une baisse de rendement de 50%. En conséquence, l’instance cantonale a constaté qu’il existait une capacité de travail de 35% (70% x 50%) pour l’activité de professeur de musique. Il ne fait aucun doute que l’emploi de professeur de musique était un rapport de travail stable. En même temps, il n’y a pas d’indices qu’une partie du salaire ait été un salaire social. Par «capacité de travail résiduelle pleinement exploitée», la jurisprudence entend ensuite que la personne assurée exploite au mieux sa capacité de travail du point de vue lucratif (arrêts 8C_590/2019 du 22 novembre 2019 consid. 5.3 et la référence ; 8C_367/2018 du 25 septembre 2018 consid. 5.3.3 ; 8C_839/2010 du 22 décembre 2010 consid. 3.6).

Tel est le cas en l’espèce, puisque l’assurée a réalisé en 2014 [ndt : année de l’examen du droit à la rente] un revenu effectif de 39’980 fr. 10 en tant que professeur de musique. En revanche, l’instance précédente entend prendre en compte un revenu hypothétique d’invalide nettement inférieur de 25’821 fr. pour une activité non qualifiée, ce qui est contraire à l’obligation de réduire le dommage applicable dans le domaine des assurances sociales (ATF 138 V 457 consid. 3.2 et les références).

 

Consid. 6.5
L’objection des intimés [ndt : héritiers de l’assurée, décédée en décembre 2022] selon laquelle l’assurance-accidents n’a à aucun moment fait valoir dans la procédure de première instance que le revenu d’invalide devait être déterminé sur la base du revenu effectivement réalisé et qu’elle ne saurait être prise en considération en raison de l’interdiction des nova n’est pas pertinente. La question de savoir si les salaires statistiques sont applicables est une question de droit librement vérifiable (arrêt 9C_566/2019 du 19 mai 2020 consid. 5.3 et la référence). Un nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, est admissible devant le Tribunal fédéral (ATF 136 V 362 consid. 4.1). L’assurance-accidents a déjà calculé le revenu d’invalidité dans sa décision du 13 .11.2018 en partant du salaire de l’assurée en tant que professeur de musique. Le calcul du revenu d’invalidité a d’ailleurs fait l’objet d’un procès devant le tribunal cantonal. Un comportement contraire à la bonne foi de l’assurance-accidents n’est ainsi pas reconnaissable, pas plus que l’existence de faits nouveaux (irrecevables).

Consid. 6.6
Si l’on se base sur le revenu d’invalidité effectivement réalisé par l’assurée en 2014 en tant que professeur de musique, soit 39’980 fr. 10, il résulte, après comparaison avec le revenu sans invalidité – non contesté – de 87’432 fr., un degré d’invalidité de 54%.

Consid. 6.7
Selon les constatations de l’instance cantonale, l’assurée a été en incapacité de travail totale à partir du 15.10.2016 pour cause de maladie (récidive du carcinome mammaire et aggravation importante du handicap visuel). Après une incapacité de travail prolongée, l’employeur a résilié le contrat de travail au 30.10. 2017.

La suppression du revenu effectivement réalisé à partir de novembre 2017 a modifié la situation professionnelle et donc l’évaluation de l’invalidité, ce qui constitue en règle générale un motif de révision (arrêt 8C_728/2020 du 23 juin 2021 consid. 3.2 et les références). En l’espèce, une incapacité de gain totale due à la maladie est toutefois survenue après le début de la rente de l’assurance-accidents, de sorte qu’il n’y avait pas de place pour une augmentation de la rente d’invalidité de l’assurance-accidents en raison d’une révision (ATF 147 V 161 consid. 5.2.5 et consid. 5.3). Par conséquent, l’incapacité de gain totale due à la maladie à partir du 15.10.2016 avec résiliation des rapports de travail au 30.10.2017 n’entraîne aucune adaptation de la rente de l’assurance-accidents, même dans le cadre de la première fixation de la rente concernée en l’espèce.

Consid. 7.2.1
Selon l’art. 36 al. 2 LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident. Toutefois, en réduisant les rentes, on ne tiendra pas compte des états antérieurs qui ne portaient pas atteinte à la capacité de gain.

L’art. 36 LAA part du principe que non seulement un accident, mais aussi d’autres causes (étrangères à l’accident) peuvent provoquer une certaine atteinte à la santé. Conformément au principe selon lequel l’assurance-accidents ne doit prendre en charge que les conséquences des accidents, l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA prévoit, entre autres, pour les rentes d’invalidité et les indemnités pour atteinte à l’intégrité, une réduction des prestations en cas d’influence de facteurs étrangers à l’accident. Le principe de causalité est cependant limité par l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA avec, pour but, de faciliter le règlement des sinistres en cas de circonstances étrangères à l’accident assuré et d’éviter que la personne assurée ne doive s’adresser à plusieurs assureurs pour le même événement. L’application de cette disposition présuppose que l’accident et l’événement non assuré ont causé ensemble une certaine atteinte à la santé (arrêt 8C_172/2018 du 4 juin 2018 consid. 4.4.2). L’ampleur de la réduction est déterminée en fonction du rôle des causes étrangères à l’accident dans l’atteinte à la santé (cf. art. 47 OLAA).

Consid. 7.2.2
L’assurance-accidents ne prétend pas, et il n’apparaît pas non plus, qu’avant les accidents de 2011 et 2012, l’assurée aurait été limitée dans sa capacité de gain en raison de douleurs à l’épaule dues à une maladie. Une réduction de la rente d’invalidité n’entre donc pas d’emblée en ligne de compte, au sens de l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA.

Consid. 7.3.1
Conformément à la jurisprudence, la deuxième phrase de l’art. 36 al. 2 LAA ne s’applique pas à l’évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, ce qui signifie que cette prestation peut être réduite en raison d’un état antérieur, même si celui-ci n’avait pas entraîné de diminution de la capacité de gain avant l’accident (SVR 2008 UV n° 6 p. 19, U 374/06 consid. 2 ; arrêts 8C_472/2022 du 18 octobre 2022 consid. 5.2 ; 8C_691/2021 du 24 février 2022 consid. 3.2 ; 8C_808/2019 du 17 juin 2020 consid. 3.1 ; 8C_192/2015 du 1er mars 2016 consid. 5.2). Dans un premier temps, l’atteinte à l’intégrité doit être évaluée globalement selon l’annexe 3 de l’OLAA ou, si nécessaire, selon les directives figurant dans les tableaux de la division médicale de la Suva. Dans un second temps, l’indemnité doit être réduite conformément à l’art. 36 al. 2 LAA, en fonction de la part causale des événements non assurés dans l’atteinte globale à l’intégrité (ATF 116 V 156 consid. 3c ; arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6).

Consid. 7.3.2
L’instance cantonale a considéré comme convaincante l’atteinte à l’intégrité fixée par l’expert judiciaire. Il en résulte une perte d’intégrité de 10% pour l’épaule droite (mobile jusqu’à 30° au-dessus de l’horizontale selon la table 1 de la Suva) et de 15% pour l’épaule gauche (mobile jusqu’à l’horizontale). Le tribunal cantonal ne s’est pas prononcé sur une éventuelle réduction en raison de causes étrangères à l’accident.

Consid. 7.3.3
Il ressort de l’expertise judiciaire que l’assurée souffrait déjà de douleurs à l’épaule avant les deux accidents de 2011 et 2012. L’expert a conclu qu’il y avait eu une rupture partielle du tendon sus-épineux tant à gauche qu’à droite. En ce qui concerne l’épaule gauche, il a parlé d’un tendon gravement endommagé. Le traitement de la fracture de l’humérus a transformé une rupture partielle de haut niveau en une rupture complète, en raison de la technique chirurgicale. A droite, l’accident du 15.09.2011 a entraîné la progression d’une rupture partielle du tendon sus-épineux, bien compensée sur le plan fonctionnel et provoquant des douleurs supportables, vers une rupture complète de ce tendon.

Consid. 7.3.4
Il est donc établi que les deux accidents ont touché des épaules présentant des atteintes préexistantes. L’expertise judiciaire ne permet toutefois pas de déterminer l’importance des causes étrangères à l’accident pour les atteintes à la santé donnant droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité. Certes, l’expert a expliqué de manière générale que les maladies étrangères à l’accident étaient systématiquement exclues de l’évaluation de la situation pertinente pour l’accident, car elles ne faisaient pas l’objet de l’expertise. Mais il n’a répondu à la question concrète concernant une atteinte à l’intégrité qu’en indiquant des pourcentages (bras droit : 10% ; bras gauche : 15%), de sorte qu’il n’est pas clair s’il a réellement exclu les lésions préexistantes ou s’il n’a pas même pas chiffré l’ensemble de l’atteinte. Etant donné qu’il incombe au médecin de constater et d’évaluer les lésions préexistantes ou autres troubles non liés à l’accident, respectivement les parts de l’indemnité globale (arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6), il n’est pas possible de juger en l’espèce si et dans quelle mesure l’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être réduite. En renonçant à des investigations supplémentaires dans ce contexte, l’instance inférieure a violé la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA). L’affaire doit être renvoyée au tribunal cantonal afin qu’il clarifie la question, le cas échéant en interrogeant l’expert judiciaire.

Dans la mesure où les intimés font valoir que l’interdiction d’invoquer des nova devant le Tribunal fédéral s’oppose à une réduction [selon l’art. 36 al. 2 LAA], on peut se référer à ce qui a été dit au consid. 6.5 supra. L’assurance-accidents est en principe libre de faire valoir pour la première fois devant le Tribunal fédéral une réduction de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité (ainsi que de la rente d’invalidité) selon l’art. 36 al. 2 LAA (ATF 136 V 362 consid. 3.4.4 et consid. 4.1 et les références). Mais comme l’assurance-accidents ne peut pas demander au Tribunal fédéral moins que ce qu’elle a elle-même accordé – dans la procédure de recours cantonale, elle a demandé la confirmation de la décision sur opposition -, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité ne peut finalement pas être inférieure à celle fixée par la décision sur opposition (15% ; ATF 136 V 362 consid. 4.2 et les références).

 

Consid. 8
Enfin, le grief de l’assurance-accidents selon lequel l’instance cantonale aurait violé l’art. 20 al. 2ter let. a LAA en accordant à l’assurée une rente non réduite même après l’âge ordinaire de la retraite est infondé. En effet, la deuxième phrase de l’al. 2 des dispositions transitoires de la modification du 25 septembre 2015 stipule explicitement que la rente n’est pas réduite si la bénéficiaire de la rente atteint l’âge ordinaire de la retraite moins de huit ans après l’entrée en vigueur. L’art. 20 al. 2ter LAA est entré en vigueur le 01.01.2017 et l’assurée a atteint l’âge ordinaire de la retraite en 2021, soit moins de huit ans avant l’entrée en vigueur du nouveau droit. L’instance inférieure n’a donc pas violé le droit fédéral en renonçant à une réduction de la rente.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_663/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/01/8c_663-2022)

 

8C_613/2022 (d) du 06.10.2023 – Automutilation – 37 al. 1 LAA / Valeur probante de l’expertise médicale pluridisciplinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_613/2022 (d) du 06.10.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Automutilation / 37 al. 1 LAA

Valeur probante de l’expertise médicale pluridisciplinaire

 

Assurée, pizzaiola née en 1983, s’est blessée le 03.02.2018 au pied gauche sur le bord d’une marche d’escalier (perforation avec une barre de fer). Traitement initial aux services des urgences. Par la suite, le médecin de famille a refermé la plaie, d’abord laissée ouverte, mais qui s’est rouverte dix jours plus tard et a entraîné par la suite de nombreux traitements en raison d’un trouble de la cicatrisation.

Expertise pluridisciplinaire (orthopédie, psychiatrie et neurologie) mise en œuvre par l’assurance-accidents. Rapport d’expertise du 30.09.2020 et rapport complémentaire du 30.03.2021. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a suspendu les prestations avec effet rétroactif au 29.10.2020, en se basant sur les évaluations des experts. Elle a expliqué que l’automutilation de l’assurée avait entraîné des complications qui avaient nécessité d’autres traitements. Les troubles actuels ne seraient, selon toute vraisemblance, pas en lien de causalité avec l’accident du 03.02.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2021.502 – consultable ici)

Par jugement du 16.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assurée conteste en premier lieu la valeur probante (cf. ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 125 V 351 consid. 3a) de l’expertise pluridisciplinaire. Elle fait valoir qu’il aurait encore fallu faire appel à un expert en plaies ainsi qu’à un médecin spécialisé en infectiologie.

Consid. 4.2
Les experts disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix des méthodes d’examen (cf. par ex. les arrêts 8C_260/2016 du 13 juillet 2016 consid. 5.1 et les références; 8C_780/2014 du 25 mars 2015 consid. 5.1 et les références). Le choix des examens médicaux spécialisés à effectuer en fait également partie (arrêt 8C_820/2016 du 27 septembre 2017 consid. 5.5 et les références). Il appartient donc aux personnes chargées de l’expertise de décider si le recours à d’autres spécialités est nécessaire (arrêt 8C_495/2021 du 16 mars 2022 consid. 4.3 et les référence). Selon le texte introductif de l’expertise, l’assurance-accidents a accordé aux experts du centre d’expertises la possibilité de faire appel à d’autres spécialistes, après consultation avec elle. Les experts ont manifestement estimé être en mesure d’évaluer de manière définitive l’état de santé avec les disciplines de l’orthopédie, de la psychiatrie et de la neurologie, raison pour laquelle on ne peut pas reprocher à l’instance cantonale d’avoir accordé à l’expertise une valeur probante même en l’absence de spécialistes supplémentaires.

 

Consid. 5.2
Selon l’art. 37 al. 1 LAA, l’automutilation et le suicide présupposent un acte intentionnel. Le dol éventuel est également suffisant (ATF 143 V 285 consid. 4.2.4). La question de savoir si l’on est en présence d’une automutilation s’apprécie selon le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, usuel en droit des assurances sociales. En l’occurrence, compte tenu des difficultés pratiques de preuve, il ne faut pas poser d’exigences excessives à la preuve d’une automutilation volontaire (arrêts 8C_828/2019 du 17 avril 2020 consid. 4.4.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.4 et les références). Contrairement au suicide, l’automutilation ne bénéficie pas de la présomption naturelle selon laquelle, en raison de la puissance de l’instinct de conservation, il faut généralement partir du principe qu’un tel acte est involontaire (cf. arrêts 8C_591/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.3 et 2.4).

 

Consid. 5.3.1
Les médecins experts ont pris connaissance du rapport du médecin traitant, le professeur E.__, spécialiste en chirurgie. Celui-ci s’est exprimé sur les résultats qui, selon lui, indiquaient une automutilation. Dans le cadre de l’anamnèse, le centre d’expertises a contacté le professeur E.__ par téléphone. Il a confirmé une nouvelle fois ce qui avait déjà été dit dans le rapport d’opération. Il a fait remarquer que lors de la révision de la plaie, des germes tout à fait inhabituels pour des infections cutanées (deux germes intestinaux et Klebsiella) avaient été mis en évidence. En outre, lors d’une intervention chirurgicale, il avait découvert au microscope un point de piqûre dorsal par rapport à la blessure initiale, raison pour laquelle il avait soupçonné une automutilation avec un instrument en forme d’aiguille. Par la suite, il a administré le « scotchcast » pendant le traitement chirurgical et a ainsi étanchéifié toute la zone d’infection. L’assurée n’a ensuite plus pu manipuler la plaie. Pendant ce temps, la situation s’est calmée et aucune autre infection n’est survenue. Selon le professeur E.__, il a été frappé par le fait que la dernière infection était survenue alors que l’assurée n’était pas sous surveillance médicale ou thérapeutique. Cette circonstance a clairement renforcé ses soupçons d’une infection auto-infligée.

L’expert orthopédique a rapporté que la blessure subie par l’assurée le 03.02.2018 aurait guéri au plus tard après six à neuf mois, même en cas d’apparition d’une infection dans la profondeur de la jambe gauche. L’état déplorable constaté lors des examens était exclusivement lié à la maladie. Il ressort de l’expertise psychiatrique que l’automutilation est un trouble auto-infligé (CIM-10 F68.10). Le psychiatre a précisé que le seul critère diagnostique à remettre en question était la condition selon laquelle le comportement manifesté ne pouvait pas être mieux expliqué par un autre trouble psychique (p. ex. un trouble délirant ou un autre trouble psychotique). Il a conclu qu’il existait chez l’assurée une suspicion de trouble de la personnalité borderline (CIM-10 F60.31). Les automutilations sont relativement fréquentes dans ce trouble. De plus, selon le rapport de sortie de la clinique F.__, des phénomènes psychotiques et de déréalisation auraient été observés chez l’assurée. Cependant, dans les troubles de la personnalité borderline ainsi que dans les troubles psychotiques, les comportements d’automutilation ne sont généralement pas dissimulés. De plus, dans le cas d’automutilations liées à des troubles mentaux, l’assistance médicale n’est généralement pas l’objectif premier de la personne concernée. Dans le cas d’espèce, la simulation évidente d’un trouble a apparemment eu pour effet de la considérer comme handicapée, et par conséquent, aucune activité professionnelle ne lui serait plus exigible dans ce contexte. Les circonstances présentes plaident donc plutôt contre une automutilation due à un trouble mental.

Dans leur avis complémentaire, les experts ont à nouveau confirmé que le trouble de la cicatrisation avait été causé par une automutilation. Il est difficile de déterminer quand celle-ci a commencé. Au plus tard depuis que le professeur E.__ a pris en charge le traitement chirurgical et pris des mesures (« Scotchcast »), le soupçon d’automutilation s’est renforcé.

Consid. 5.3.2
La cour cantonale a reconnu qu’il était établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les limitations encore présentes reposaient sur une automutilation intentionnelle. L’assurée ne présente aucun élément concret qui contredise l’appréciation des preuves de la juridiction cantonale. Elle expose essentiellement sa propre vision de la manière dont le trouble de la cicatrisation s’est développé, comment interpréter les documents médicaux, et quelles conclusions en tirer. Cela n’est pas suffisant pour rendre l’appréciation de la cour cantonale contraire au droit fédéral (arrêt 8C_380/2022 du 27 décembre 2022 consid. 11.1 et la référence).

L’assurée affirme notamment que le canal de piqûre, dont le professeur E.__ et les médecins-experts déduiraient l’automutilation, serait dû au fait que des abcès auraient été percés à la fois à l’hôpital et à la clinique F.__. Or, comme elle le constate elle-même, cela n’est pas documenté dans les rapports respectifs. De plus, l’allégation de la recourante selon laquelle les professionnels de la santé l’auraient traitée à plusieurs reprises sans gants d’hygiène n’est pas étayée. En outre, l’instance cantonale a correctement constaté que, pour les médecins-experts, il était resté incertain depuis quand exactement les germes inhabituels étaient présents dans la plaie.

Ils sont toutefois partis du principe que cela avait été le cas au plus tard à partir de la date du traitement par le professeur E.__ (date de l’opération : 17.02.2020). On ne voit pas dans quelle mesure le tribunal cantonal aurait violé le droit fédéral en se basant sur le moment fixé par l’expertise pour déterminer le moment de l’automutilation. Comme le fait remarquer à juste titre l’assurée, il n’est pas exclu que la contamination de la plaie ait eu lieu plus tôt, mais cela ne changerait rien en sa faveur quant à la fin du droit aux prestations à compter du 29.10.2020.

Pour la même raison, le renvoi de l’assurée au rapport de la clinique F.__ du 21.11.2019 et le reproche qui y est lié, à savoir qu’une manipulation (de la plaie) n’était pas reconnaissable à l’époque, est sans objet. A ce sujet également, il convient de noter que les médecins-experts n’ont admis l’existence d’une automutilation qu’à une date ultérieure et que l’assurance-accidents a en conséquence cessé de prester qu’en octobre 2020.

 

Consid. 5.4.1
Au vu de ce qui précède, l’instance cantonale a, dans une appréciation anticipée des preuves (arrêt 144 V 361 consid. 6.5), renoncé à d’autres investigations, conformément au droit fédéral. Conformément à l’expertise pluridisciplinaire, la cour cantonale a jugé que les troubles encore présents étaient attribuables à l’automutilation, position qui peut être suivie. La conclusion du tribunal cantonal selon lequel les causes dues à l’accident, étayées par les résultats de l’expertise, auraient guéri sans conséquences notables au plus tard neuf mois après l’événement du 03.02.2018, en l’absence du trouble auto-infligé, n’est pas non plus critiquable. Comme l’a à juste titre retenu la cour cantonale, il faut partir du principe que l’atteinte à la santé a été auto-infligée (au moins par dol éventuel) (cf. art. 37 al. 1 LAA et consid. 5.2 ci-dessus).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_613/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_613/2022 (d) du 06.10.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_613-2022)

 

8C_704/2022 (d) du 27.09.2023 – Lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical – 6 al. 3 LAA / Causalité naturelle et adéquate

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_704/2022 (d) du 27.09.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical / 6 al. 3 LAA

Causalité naturelle et adéquate

 

Assurée, née en 1996, employée depuis le 1er octobre 2016 dans le cadre d’un contrat d’apprentissage en tant que cuisinière diététique auprès d’un hôpital. Le 18.09.2017, elle a subi un traumatisme par distorsion du genou droit lors d’un exercice de gymnastique. Le bilan radiologique a mis en évidence une rupture du LCA, qui a fait l’objet d’une intervention chirurgicale le 23.10.2017. Fin décembre 2017, l’assurée a subi un nouveau traumatisme par distorsion. De nouvelles interventions chirurgicales ont eu lieu les 08.03.2018, 30.05.2018, 31.07.2018 et 28.08.2018.

Sur les conseils du médecin-conseil de l’assurance-accidents, l’assurée s’est rendue à la clinique C.__ pour un deuxième avis. Là, un mauvais positionnement de la plastie du ligament croisé a été constaté et une nouvelle opération a été réalisée le 07.12.2018. Malgré un séjour stationnaire du 03.03.2019 au 18.04.2019 au centre de rééducation D.__, des douleurs permanentes, accentuées en fonction de l’effort, ainsi qu’une limitation de l’extension ont toutefois persisté. En raison de l’évolution, des examens neurologiques ont été effectués. Du 06.01.2020 au 27.03.2020, l’assurée a derechef été hospitalisée, cette fois-ci à la clinique E.__, où elle a une nouvelle fois chuté le 06.02.2020. Aucun progrès significatif n’a été réalisé. Après une consultation dans un centre pour la maladie de Parkinson/les troubles de la mobilité, à l’automne 2020, un nouveau séjour de réadaptation à la clinique G.__ a été réalisé du 03.01.2021 au 27.03.2021. Entre-temps, l’assurée se déplaçait en grande partie en fauteuil roulant.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a procédé à la clôture du cas au 30.11.2020.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a confirmé la clôture du cas au 30.11.2020, étant donné qu’à cette date, il n’y avait plus d’amélioration notable à attendre d’un traitement supplémentaire des troubles, dans la mesure où ils étaient d’origine somatique. Le trouble de la marche développé n’avait pas d’explication neurologique et structurelle, aucun substrat organique n’avait pu être trouvé pour les douleurs dont se plaignait l’assurée. Le tribunal cantonal a examiné la question de savoir s’il existait un lien de causalité adéquate entre les troubles organiques non prouvés objectivement et les accidents subis, conformément à la pratique relative aux conséquences psychiques des accidents. Les événements devaient à chaque fois être qualifiés de légers et le lien de causalité adéquate devait donc être niée d’emblée. Tout au plus l’événement de fin décembre 2017, pour lequel on ne dispose toutefois pas de données en temps réel, pourrait, s’il s’agissait d’une chute dans les escaliers, être classé parmi les accidents de gravité moyenne, mais à la limite des accidents légers. Un lien de causalité adéquate avec les plaintes encore existantes le 30.11.2020 devait également être nié. A cet égard, l’instance cantonale a notamment considéré que les troubles ne pouvaient plus être expliqués objectivement sur le plan organique après la rééducation au printemps 2019. Par conséquent, les critères de la durée anormalement longue du traitement médical, des douleurs physiques persistantes et du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques ne sont notamment pas remplis. La cour cantonale a en outre rejeté, faute de lien de causalité adéquate, l’obligation de prestation invoquée par l’assurée sur la base de l’art. 6 al. 3 LAA en raison d’une erreur de traitement médical lors de la plastie ligamentaire du 23.10.2017.

Par jugement du 26.10.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Au sens de l’art. 6 al. 3 LAA, l’assurance alloue en outre ses prestations pour les lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical (art. 10). Le sens et le but de cette disposition est que l’assureur-accidents assume le risque pour les mesures médicales qu’il a prises en charge ; le corollaire de l’obligation de traitement et de la soumission de l’assuré à cette obligation est ainsi établi.

La responsabilité s’étend aux atteintes à la santé imputables à des mesures de traitement prises à la suite d’un accident. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une erreur de traitement, ni que la notion d’accident soit remplie, ni qu’il y ait une faute professionnelle, ni même qu’il y ait objectivement une violation du devoir de diligence du médecin. Ainsi, la complication médicale est également assurée au sens d’une conséquence indirecte de l’accident, et ce même dans le cas des complications les plus rares et les plus graves. L’assureur ne verse pas non plus de dommages-intérêts au sens du droit de la responsabilité civile, mais fournit des prestations d’assurance selon la LAA (ATF 128 V 169 consid. 1c).

Comme il ne s’agit pas de conséquences d’un accident, mais d’un traitement médical, il n’y a pas lieu d’appliquer une évaluation de la causalité adéquate selon la jurisprudence relative aux conséquences psychiques d’un accident en tenant compte de critères liés à l’accident (ATF 115 V 133), mais de recourir à la formule générale d’adéquation. En d’autres termes, il faut se demander si le traitement qui n’a éventuellement pas été effectué lege artis est en soi susceptible, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, de provoquer un résultat du type de celui qui s’est produit, autrement dit si la survenance de ce résultat apparaît généralement comme favorisée par l’événement (ATF 129 V 177 consid. 3 et 4 ; SVR 2007 UV n° 37 p. 125 avec références, U 292/05 consid. 3.1 ; arrêt 8C_288/2007 du 12 mars 2008 consid. 6.1).

Consid. 3.3
Il convient d’ajouter que la preuve du lien de causalité naturelle doit être apportée en premier lieu par les indications des professionnels de la santé (SVR 2016 UV n° 18 p. 55, 8C_331/2015 E. 2.2.3.1 ; arrêt 8C_287/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.1). […]

 

Consid. 5
Le recours est dirigé en premier lieu contre le fait que l’instance cantonale a renoncé à une clarification plus approfondie des douleurs et des limitations de mouvement persistant depuis le premier accident du 18.09.2017 et qu’elle a également nié l’obligation de prester de l’assurance-accidents sur la base de l’art. 6 al. 3 LAA, faute de lien de causalité adéquate.

En examinant le lien de causalité adéquate requis pour l’obligation de verser des prestations selon la pratique relative aux conséquences psychiques d’un accident (ATF 115 V 133), le tribunal cantonal a violé le droit fédéral. Lors de l’évaluation d’une éventuelle responsabilité selon l’art. 6 al. 3 LAA, c’est plutôt la formule générale d’adéquation qui s’applique et il est déterminant de savoir si, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, une mesure médicale qui a échoué est en soi susceptible de provoquer un résultat du genre de celui qui s’est produit (cf. consid. 3.2 supra). Si l’appréciation du lien de causalité adéquate par l’instance cantonale s’avère erronée dans la procédure de recours devant le Tribunal fédéral et que le lien de causalité adéquate devait être retenu, il conviendra, conformément à la pratique, d’ordonner des investigations supplémentaires sur les questions qui se posent du point de vue factuel concernant la nature des troubles (diagnostic, caractère invalidant) ainsi que leur lien de causalité naturelle, avant de se prononcer définitivement à ce stade sur le lien de causalité adéquate (ATF 148 V 138 consid. 5).

La question de savoir si l’assurée a éventuellement subi un dommage dans le cadre de l’intervention chirurgicale du 23.10.2017 n’a pas été clarifiée à ce jour de manière juridiquement satisfaisante, pas plus que la question de savoir si, dans l’affirmative, les troubles persistants par la suite sont en lien de causalité naturelle avec la complication médicale. Même si les troubles ne devaient pas être causés par une lésion lors de l’opération, des investigations supplémentaires sont nécessaires quant à leur étiologie. Certes, des examens approfondis ont été effectués dans des cliniques spécialisées. Cependant, les médecins traitants n’avaient pas besoin d’éclaircissements à ce sujet, mais les évaluations diagnostiques servaient avant tout à évaluer les possibilités thérapeutiques. Pour que l’assureur-accidents soit tenu de verser des prestations – éventuellement au-delà du 30.11.2020 -, il est toutefois indispensable de clarifier la nature des limitations. Compte tenu de la complexité de l’évolution, l’assurance-accidents a notamment renoncé à tort à soumettre le dossier à son médecin-conseil pour un examen plus approfondi.

L’affaire doit être renvoyée à l’assurance-accidents pour un examen complet, également indispensable pour les questions juridiques qui se posent, et pour qu’elle rende une nouvelle décision sur son obligation de prester.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_704/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_704/2022 (d) du 27.09.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_704-2022)