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8C_646/2023 (f) du 08.07.2024 – Manipulation ostéopathique de la colonne cervicale par un physiothérapeute – « Accident médical » / Acouphène (tinnitus) – Valeur probante des rapports des médecins vs du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_646/2023 (f) du 08.07.2024

 

Consultable ici

 

Manipulation ostéopathique de la colonne cervicale par un physiothérapeute – « Accident médical » – Notion d’accident niée / 4 LPGA

Lien de causalité naturelle – Acouphène (tinnitus) – Valeur probante des rapports des médecins vs du médecin-conseil

 

Assurée, née en 1980 employée de bureau, a fait annoncer le 17.09.2020 par son employeur qu’elle avait été victime, le 08.07.2020, de mauvaises manipulations lors d’une consultation au cabinet de physiothérapie C.__ Sàrl, qui lui auraient abîmé les cervicales (contusions). Selon les indications de l’assurée dans un questionnaire du 27.09.2020, le physiothérapeute D.__ avait pratiqué de fortes pressions sur son dos et sa nuque alors qu’elle était allongée sur le ventre ; en sortant du cabinet, des acouphènes étaient apparus. Le docteur E.__, spécialiste en oto-rhino-laryngologie (ORL), a fait état, dans son rapport initial du 27.09.2020, d’une augmentation d’une problématique acouphénique à la suite d’une manœuvre ostéopathique violente et d’une probable atteinte cochléo-vestibulaire ; il a posé le diagnostic d’acouphène droit invalidant et de déficit vestibulaire droit. Un rapport IRM de la colonne cervicale du 10.09.2020 constatait l’absence d’argument pour une autre lésion traumatique à l’étage cervical pouvant expliquer la symptomatologie; il n’y avait notamment pas de dissection des axes carotido-vertébraux.

L’assurance-accidents a requis l’avis de son médecin-conseil, spécialiste ORL. Celui-ci a estimé qu’il n’était pas probable que le massage pratiqué le 08.07.2020 ait déclenché des acouphènes à droite. Par décision du 04.03.2021, confirmée sur opposition le 13.10.2021, l’assurance-accidents a refusé d’allouer des prestations à l’assurée, au motif que son cas ne constituait ni un accident ni une lésion assimilée à un accident.

 

Procédure cantonale

L’assurée a interjeté, le 15.11.2021, un recours contre la décision sur opposition. Elle indiquait avoir introduit, le 02.09.2021, une requête de preuve à futur auprès de la juridiction civile, afin de clarifier les chances de succès d’une action en responsabilité civile contre le physiothérapeute par une expertise médicale. Partant, elle a demandé, à titre préalable, que la cour cantonale suspende la procédure jusqu’à droit connu sur la procédure de preuve à futur. À titre principal, elle a conclu à l’annulation de la décision sur opposition et au renvoi de la cause à l’assurance pour nouvelle instruction du dossier. Par ordonnance du 23.12.2021, la cour cantonale a suspendu la procédure jusqu’à réception du jugement relatif à la requête de preuve à futur ou de l’expertise médicale qui aurait été ordonnée. Constatant que l’assurée était toujours dans l’attente de la confirmation de mandat d’un centre d’expertise, la cour cantonale a informée celle-ci, en juin 2023, que le maintien de la suspension n’était plus concevable. Par arrêt du 07.09.2023, elle a rejeté le recours.

 

TF

Consid. 3.1
L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur; il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221; 129 V 402 consid. 2.1 p. 404 et les références).

Pour admettre la présence d’un accident, il ne suffit pas que l’atteinte à la santé trouve sa cause dans un facteur extérieur. Encore faut-il que ce facteur puisse être qualifié d’extraordinaire. Cette condition est réalisée lorsque le facteur extérieur excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante. Le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même (ATF 134 V 72 consid. 4.1; 129 V 402 consid. 2.1).

Le point de savoir si un acte médical est comme tel un facteur extérieur extraordinaire doit être tranché sur la base de critères médicaux objectifs. Le caractère extraordinaire d’une telle mesure est une exigence dont la réalisation ne saurait être admise que de manière sévère. Il faut que, compte tenu des circonstances du cas concret, l’acte médical s’écarte considérablement de la pratique courante en médecine et qu’il implique de ce fait objectivement de gros risques (ATF 121 V 35 consid. 1b; 118 V 283 consid. 2b; arrêt 8C_418/2018 du 12 juillet 2019 consid. 3.2, in SVR 2020 UV n° 9 p. 32). Le traitement d’une maladie en soi ne donne pas droit au versement de prestations de l’assureur-accidents, mais une erreur de traitement peut, à titre exceptionnel, être constitutive d’un accident, dès lors qu’il s’agit de confusions ou de maladresses grossières et extraordinaires, voire d’un préjudice intentionnel, avec lesquels personne ne comptait ni ne devait compter. La notion d’erreur médicale ne saurait en effet être étendue à toute faute du médecin, au risque de faire jouer à l’assurance-accidents le rôle d’une assurance de la responsabilité civile des fournisseurs de prestations médicales (arrêt 8C_234/2008 du 31 mars 2009 consid. 3.2, in SVR 2009 UV n° 47 p. 166). La question de l’existence d’un accident sera tranchée indépendamment du point de savoir si l’infraction aux règles de l’art dont répond le médecin entraîne une responsabilité (civile ou de droit public). Il en va de même à l’égard d’un jugement pénal éventuel sanctionnant le comportement du médecin (ATF 121 V 35 consid. 1b).

Consid. 3.2
Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose l’existence d’un lien de causalité à la fois naturelle et adéquate entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé (ATF 148 V 138 consid. 5.1.1). L’exigence du lien de causalité naturelle est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé: il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 142 V 435 consid. 1; ATF 129 V 177 consid. 3.1). La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 144 IV 285 consid. 2.8.2; ATF 139 V 176 consid. 8.4.2; ATF 129 V 177 consid. 3.2).

 

Consid. 4.1
L’assurée fait grief aux juges cantonaux d’avoir établi les faits de manière incomplète et erronée en considérant que le dossier était complet et en l’état d’être jugé. En particulier, ils auraient violé son droit d’être entendu en omettant d’ordonner une expertise indépendante ou de poursuivre la suspension jusqu’à droit connu sur sa demande de preuve à futur.

Consid. 4.2
Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision soit prise touchant sa situation juridique, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes ou de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 148 II 73 consid. 7.3.1; 145 I 73 consid. 7.2.2.1). Cette garantie constitutionnelle n’empêche pas le juge de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la conviction que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 140 I 285 consid. 6.3.1).

 

Consid. 5.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont examiné si la manipulation physiothérapeutique du 08.07.2020 pouvait être qualifiée d’accident. Ils ont constaté que le traitement effectué par le physiothérapeute, visant à traiter une instabilité ulnaire bilatérale, était conforme aux pratiques médicales normales et ne présentait pas de risques inhabituels. Les juges ont noté qu’il n’y avait pas de preuves d’une erreur de traitement ou d’une force excessive lors des manipulations. De plus, le délai entre l’événement et la première consultation médicale (27.08.2020), ainsi que le fait que l’assurée ait continué à recevoir des traitements et pris des vacances, suggérait que l’événement n’était pas perçu comme significatif. En conséquence, les juges cantonaux ont conclu que l’événement ne remplissait pas les critères pour être qualifié d’accident.

Consid. 5.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont également considéré que le lien de causalité entre la manipulation physiothérapeutique et les acouphènes de l’assurée était douteux. Bien que le premier spécialiste ORL ait suggéré une augmentation des acouphènes après une manœuvre ostéopathique, il n’a pas justifié cette affirmation. De même, la médecin ORL traitante a évoqué un acouphène somatosensoriel lié à une atteinte à la tête et au cou, mais sans établir un lien clair avec la physiothérapie. Les juges ont estimé que cette hypothèse reposait sur un raisonnement post hoc ergo propter hoc, inadmissible selon la jurisprudence (ATF 119 V 335 consid. 2b/bb). Les autres avis médicaux n’apportaient pas non plus de preuve convaincante d’un lien de causalité. En conséquence, le lien de causalité naturelle n’a pas été reconnu.

Consid. 5.3 [résumé]
Les juges cantonaux ont également mis en doute l’existence même d’une atteinte à la santé de l’assurée. Ils ont relevé que tous les examens médicaux effectués étaient normaux et qu’aucun élément objectif ne corroborait les plaintes de l’assurée, lesquelles constituaient la seule base des diagnostics posés. De plus, les plaintes de l’assurée avaient évolué au cours de la procédure, passant d’un acouphène droit à des acouphènes bilatéraux, sans explication, ce qui a contribué à décrédibiliser ses affirmations.

 

Consid. 6.1.1
En ce qui concerne le caractère accidentel de l’événement du 08.07.2020, l’assurée allègue que le médecin-conseil aurait lui-même indiqué que le dossier médical du physiothérapeute ne figurerait pas au dossier, « présageant ainsi un événement inhabituel » dans le traitement dispensé. Il aurait en outre mentionné ne pas être familier avec la pratique consistant à effectuer des massages cervicaux pour traiter une épicondylite. Les médecins de l’assurance-accidents auraient toutefois dû consulter l’intégralité du dossier de physiothérapie pour évaluer correctement la nature extraordinaire de l’acte prodigué par le thérapeute. Au vu des contradictions insurmontables sur cet élément pourtant fondamental, la cour cantonale aurait dû procéder à une instruction complémentaire ou attendre le résultat de la procédure civile visant la preuve à futur.

Le passage de l’appréciation du médecin-conseil, auquel se réfère l’assurée, a la teneur suivante: « In der Aktenlage liegt der Bericht des Physiotherapeuten nicht vor, aus dem etwas Ungewöhnliches bei der Behandlung hervorgehen würde. Wir sind nicht darüber informiert, was der Grund für die Physiotherapie-Behandlung mit Massagen im Halsbereich war. » [traduction personnelle : « Le dossier ne contient pas le rapport du physiothérapeute qui pourrait révéler quelque chose d’inhabituel lors du traitement. Nous ne sommes pas informés des raisons pour lesquelles la physiothérapie avec massages dans la région cervicale a été prescrite. »]

L’interprétation que l’assurée fait de ces phrases est erronée. D’une part, le médecin-conseil souligne simplement par cette phrase qu’il ne dispose pas d’un rapport du physiothérapeute dont il ressortirait que le traitement se serait déroulé de manière anormale. Or, par la suite, le rapport du physiothérapeute a été produit et il n’en ressort en effet pas que le traitement aurait été inhabituel et aurait violé les règles de l’art de manière grossière ou que l’assurée se serait plainte de douleurs durant les manipulations en question. De plus, ce rapport a été soumis au Dr H.__, qui n’y voyait pas un motif pour s’écarter des conclusions du médecin-conseil. D’autre part, le médecin-conseil indique seulement ne pas connaître la raison du traitement par des massages cervicaux; on ne peut pas en conclure qu’un traitement d’une épicondylite par ce type de massage serait insolite, ni que le traitement aurait été effectué d’une manière contraire aux règles de l’art.

 

Consid. 6.2
Par rapport au lien de causalité, l’assurée soutient qu’elle avait consulté plusieurs spécialistes, qui auraient tous énoncé un lien de causalité vraisemblable entre les acouphènes et les manipulations du physiothérapeute. De ce fait, leurs rapports laisseraient subsister d’importants doutes quant à l’objectivité de l’appréciation des médecins internes à l’assurance. En particulier, les juges cantonaux n’auraient pas pris en compte toutes les explications de la médecin traitant, spécialiste ORL. Cette praticienne a notamment précisé que « d’après la littérature », les traumatismes de la tête, par des manipulations dentaires ou cervicales, créeraient des douleurs chroniques « qui redoutent les interactions neurologique[s] entre système auditif et système somatosensoriel, ce qui produit les acouphènes » et que c’était également le cas de l’assurée, les troubles étant apparus au moment de la manipulation. Or, cette brève explication supplémentaire n’apporte pas d’élément décisif nouveau que la cour cantonale aurait ignoré.

Il en va de même pour les avis des autres médecins traitants, qui s’appuyaient d’ailleurs principalement sur les descriptions de la patiente.

Consid. 6.3
En conclusion, on voit mal que l’expertise ordonnée dans le contexte d’une procédure civile, en lien avec une éventuelle responsabilité civile du physiothérapeute, pourrait établir une violation des règles de l’art grossière au point de constituer un accident au sens de l’art. 6 al. 1 LAA. La juridiction cantonale pouvait donc renoncer, sur la base d’une appréciation anticipée des preuves, soit à attendre le résultat de cette procédure soit à mettre en œuvre elle-même une expertise indépendante, sans violer le droit d’être entendu de l’assurée. Le fait qu’une éventuelle demande de révision, à laquelle elle a renvoyé l’assurée, soit soumise à des conditions sévères ne change rien à ce résultat.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_646/2023 consultable ici

 

8C_867/2014 (f) du 28.12.2015 – Causalité adéquate – Tinnitus (acouphènes) – 6 LAA / Classification de l’accident dans la catégorie moyenne

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_867/2014 (f) du 28.12.2015

 

Consultable ici : bit.ly/1PlJwZy

 

Causalité adéquate – Tinnitus (acouphènes) / 6 LAA

Tinnitus non attribuable à une atteinte à la santé organique objectivable (atteinte non objectivable) – Examen de la causalité adéquate selon les critères objectifs applicables en cas de troubles psychiques

Classification de l’accident dans la catégorie moyenne

 

Assuré, né en 1967, souffrant d’une surdité congénitale bilatérale et portant des appareils acoustiques, travaille comme monteur-électricien. Le 03.05.2005, alors qu’il se trouvait dans le parking souterrain d’un chantier, deux inconnus ont lancé un pétard qui a explosé à deux mètres derrière lui. Il semble avoir perdu connaissance quelques instants. Après, il n’entendait plus rien et ressentait des vertiges. Diagnostic : probable aggravation de la surdité par traumatisme acoustique (en comparaison au dernier examen audiométrique disponible daté de 1999) et d’acouphènes ; les tympans étaient cliniquement intacts. En juillet 2005, objectivement, l’aggravation de la surdité diagnostiquée dans les suites de l’accident était revenue au stade initial ; subjectivement, l’assuré se plaignait toujours d’une diminution de son ouïe. Décision du 28.04.2006 : octroi d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 5% pour la perte de l’audition due à l’accident.

Expertise réalisée par un psychiatre en 2007, sur demande de l’assureur-accident : en 2001 l’assuré avait souffert d’une dépression et déjà présenté des problèmes de vertiges sans substrat organique. Trouble actuel sans lien de causalité avec l’accident du 03.05.2005. Les troubles manifestés par l’assuré (vertiges, malaises, acouphènes) découlaient du trouble dissociatif et s’étaient progressivement amplifiés en réaction à des facteurs de stress et à la non reconnaissance de son ressenti de victime.

Décision du 05.02.2008 : fin du droit aux prestations au 15.02.2008 en raison de l’absence d’un lien de causalité entre les troubles et l’accident assuré. Décision sur opposition admettant partiellement l’opposition, en octroyant une indemnité pour atteinte à l’intégrité complémentaire de 5% pour le tinnitus qualifié de partiellement compensé selon la table 13 d’indemnisation des atteintes à l’intégrité. Jugement du 13.10.2010 (AA 90/08 – 3/2011) : recours partiellement admis, annulation de la décision sur opposition et renvoi de la cause.

Expertise mise en œuvre par l’assureur-accidents. Par décision du 02.05.2013, confirmée sur opposition, l’assureur-accidents a maintenu la suppression des prestations au 15.02.2008 et refusé d’allouer une indemnité pour atteinte à l’intégrité pour le tinnitus.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 75/13 – 94/2014 – consultable ici : bit.ly/1OVHjdd)

La juridiction cantonale a relevé que le Tribunal fédéral avait modifié sa jurisprudence en matière de tinnitus (ATF 138 V 248) postérieurement au jugement de renvoi qu’elle avait rendu en appliquant l’ancienne pratique. Dans le nouvel arrêt récent (ATF 138 V 248 précité), le Tribunal fédéral a précisé que les acouphènes ne pouvaient pas être considérés, selon la science médicale actuelle, comme une atteinte physique ou pour le moins, comme une atteinte ayant (obligatoirement) pour origine une cause physique. Dès lors, en présence d’un tinnitus non attribuable à une atteinte à la santé organique objectivable d’origine accidentelle (grâce à des investigations réalisées au moyen d’appareils diagnostiques ou d’imagerie à laquelle associer les acouphènes), le rapport de causalité adéquate avec l’accident ne pouvait pas être admis sans faire l’objet d’un examen particulier comme pour les autres tableaux cliniques sans preuve d’un déficit organique. Cela signifiait qu’en l’absence de lésion organique spécifique, le lien de causalité adéquate entre les acouphènes et l’accident devait être examiné selon les critères objectifs applicables en cas de troubles psychiques.

En l’espèce, la juridiction cantonale a constaté que l’assuré avait présenté, immédiatement après l’accident, une diminution temporaire de l’audition (de mai à juillet 2005), puis une aggravation plus importante, entre février et mars 2006, qui n’était toutefois pas imputable au traumatisme acoustique du 03.05.2005, vu le laps de temps séparant cette dégradation et l’événement en cause. L’assuré souffrait également d’un tinnitus non objectivable lié probablement à l’accident et dont la gravité était difficilement déterminable (entre un tinnitus grave et très grave). Sur la base de ces informations médicales, la juridiction cantonale a fait application de la jurisprudence en cas de troubles psychiques pour statuer sur le droit aux prestations de l’assuré à raison du tinnitus qu’il présentait. Elle a classé l’événement du 03.05.2005 dans la catégorie des accidents de gravité moyenne stricto sensu et jugé qu’aucun critère parmi ceux consacrés par cette jurisprudence n’était réuni chez l’assuré. Partant, elle a nié l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’accident et le tinnitus, et confirmé la décision de refus d’une rente ainsi que d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité.

Par arrêt du 16.09.2014, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Classification de l’accident

Le phénomène d’amplification du bruit provoqué par l’appareil acoustique ne justifie pas de ranger l’accident à la limite des accidents de gravité moyenne, voire parmi les accidents graves. Ce phénomène peut être relativisé par un autre facteur. En effet, en présence de troubles d’audition préexistants, l’expérience médicale montre que ceux-ci ont tendance à protéger l’oreille en cas de nouvelle contrainte acoustique excessive. L’absence de lésion organique justifie également de qualifier les forces générées par l’explosion du pétard d’importance moyenne (consid. 5.1 et 5.2).

Causalité adéquate

Les premiers juges ont clairement exposé les principes jurisprudentiels qui ont fondé leur raisonnement.

Le droit à des prestations de l’assurance-accidents suppose un rapport de causalité naturelle et adéquate entre l’accident et le dommage (ATF 129 V 177 consid. 3 p. 181). La causalité adéquate répond à la nécessité de fixer une limite raisonnable – et supportable pour la communauté – à la responsabilité de l’assurance sociale (ATF 127 V 102 consid. 5b/aa p. 102; 123 III 110 consid. 3 p. 111; 123 V 98 consid. 3d p. 104; arrêt 8C_1040/2012 du 15 mars 2013 consid. 4.2.3.1). Si la causalité adéquate coïncide pratiquement avec la causalité naturelle en présence d’une atteinte à la santé physique (ATF 127 V 102 consid. 5b/bb p. 103), la jurisprudence soumet cet examen à des règles particulières en cas d’atteinte à la santé sans déficit organique objectivable (ATF 115 V 133), compte tenu du fait qu’il est plus difficile, pour ces atteintes, d’apprécier juridiquement si l’accident revêt une importance déterminante dans la survenance du résultat. Il y a alors lieu de se fonder sur le déroulement de l’événement accidentel lui-même (et non sur la manière dont l’assuré a ressenti et assumé le choc traumatique), en considération, selon les circonstances, de certains critères en relation avec cet événement. C’est justement pour parer aux incertitudes liées aux nombreux cas d’espèce et au risque d’inégalité de traitement que l’ancien Tribunal fédéral des assurances a dégagé des critères d’appréciation objectifs qui permettent de juger du caractère adéquat de troubles psychiques consécutifs à un accident (cf. FRÉSARD/MOSER SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in: Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Vol. XIV, 2 ème éd., n o 89 p. 868). Ces critères objectifs ont été établis en fonction d’un large cercle d’assurés et couvrent également les risques présentés par les personnes qui, sur le plan psychique, assument moins bien l’accident que les assurés jouissant d’une constitution normale en raison d’une prédisposition liée à leur état physique ou psychique (ATF 115 V 133 consid. 4b p. 135). Aussi, devient-il superflu d’examiner s’il existe d’autres facteurs ayant favorisé la survenance de troubles psychiques (cf. ATF 116 V 159 consid. 4 non publié). Cela implique, à l’inverse, qu’en cas d’admission du lien de causalité naturelle et adéquate selon ces critères, l’assuré ne se verra pas opposer les conséquences d’une éventuelle prédisposition constitutionnelle dont il souffrait déjà avant l’accident (voir par exemple l’arrêt 8C_380/2011 du 20 octobre 2011). Pour les raisons exposées ci-dessus, le Tribunal fédéral a déjà plusieurs fois refusé de s’écarter de cette jurisprudence en faveur d’une appréciation plus subjective et individuelle qui tiendrait compte des conditions personnelles de l’assuré (SVR 2001 UV n° 8 p. 31; SVR 1999 UV n° 10 p. 31; arrêt U 290/02 du 7 août 2003 consid. 4).

Ce procédé ne viole pas le principe de l’égalité de traitement. Il en garantit au contraire le respect, de sorte qu’il n’y a aucune raison de le modifier (consid. 4.2).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_867/2014 consultable ici : bit.ly/1PlJwZy