Arrêt du Tribunal fédéral 8C_32/2024 (f) du 04.11.2024
Début du droit à l’allocation pour impotent – Dépôt de la demande par le père de l’assuré avant de devenir curateur de représentation et de gestion, avec pouvoir de représentation envers les tiers / 48 LAI – 66 RAI – 394 CC – 395 CC
Domicile et résidence habituelle en Suisse / 42 al. 1 LAI – 13 LPGA
Assuré né le 01.09.1996, atteint d’un autisme sévère avec retard mental dû (délétion du bras long du cinquième chromosome). À la suite d’une demande de prestations AI déposée le 12.07.2021 par son père, l l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité à compter du 01.01.2022.
Le 25.03.2022, une demande d’allocation pour impotent a été déposée par le père de l’assuré.
Par décision du 25.08.2022, la Justice de paix a institué une curatelle de représentation et de gestion au sens des art. 394 al. 1 et 395 al. 1 CC en faveur de l’assuré et nommé ses parents co-curateurs, avec pouvoir de représentation envers les tiers.
Se fondant sur un rapport d’évaluation de l’impotence du 22.12.2022, l’office AI a reconnu, par projet de décision du 23.12.2022, le droit à une allocation pour impotent de degré moyen à domicile dès octobre 2014 (1er mois suivant le 18e anniversaire de l’assuré). En raison du dépôt tardif de la demande, les prestations ne pouvaient être accordées que pour les douze mois précédant le dépôt de la demande, soit dès le 01.03.2021.
Une première décision du 21.02.2023 octroyait à l’assuré une allocation pour impotent de degré moyen à partir du 01.09.2014 avec un montant rétroactif de 120’650 fr. Cependant, cette décision a été annulée par la Caisse de compensation AVS. Une nouvelle décision, également datée du 21.02.2023, a finalement accordé l’allocation pour impotent de degré moyen à partir du 01.03.2021, avec un montant rétroactif réduit à 28’740 fr.
Procédure cantonale (arrêt AI 95/23 – 341/2023 – consultable ici)
Par jugement du 06.12.2023, admission partielle par le tribunal cantonal du recours déposé par le père de l’assuré, réformant la décision litigieuse en fixant le début du droit à l’allocation pour impotent au 01.03.2017.
TF
Consid. 4.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont reconnu que l’assuré, en raison de son handicap, était incapable de comprendre sa situation et d’agir pour faire valoir son droit aux prestations au sens de l’art. 48 al. 2 let. a LAI. Ils ont ensuite examiné si la connaissance de ces faits par ses parents pouvait affecter son droit aux prestations arriérées.
L’instance cantonale a constaté que les parents n’étaient devenus représentants légaux de l’assuré que le 25.08.2022, date à laquelle ils ont été nommés co-curateurs de représentation et de gestion, avec pouvoir de représentation envers les tiers. Avant cette date, ils étaient considérés comme des tiers au sens de l’art. 66 RAI, auxquels la jurisprudence refuse précisément un devoir d’agir, du moins tant et aussi longtemps qu’ils ne sont pas chargés d’une représentation légale de l’ayant droit. Par conséquent, le tribunal cantonal a estimé qu’on ne pouvait imputer ni à l’assuré ni à ses parents le devoir de déposer une demande de prestations en temps utile.
Le tribunal cantonal a conclu que le point de départ du délai de douze mois pour faire valoir le droit aux prestations avait débuté le 25.08.2022. Dès lors que la demande formelle du 25.03.2022 avait été déposée avant le point de départ de ce délai de douze mois, par des parents qui en avaient le droit en tant que tiers énumérés à l’art. 66 RAI, elle satisfaisait à la condition de l’art. 48 al. 2 LAI, de sorte que les prestations arriérées pouvaient être allouées pour une période plus longue que la règle des douze mois.
Consid. 5.1
Aux termes de l’art. 48 al. 1 LAI, si un assuré ayant droit à une allocation pour impotent, à des mesures médicales ou à des moyens auxiliaires présente sa demande plus de douze mois après la naissance de ce droit, la prestation, en dérogation à l’art. 24, al. 1, LPGA, n’est allouée que pour les douze mois précédant le dépôt de la demande.
Selon l’art. 48 al. 2 LAI, les prestations arriérées sont allouées à l’assuré pour des périodes plus longues s’il ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations (let. a) et s’il a fait valoir son droit dans un délai de douze mois à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de ces faits (let. b). Selon l’art. 24 al. 1 LPGA, le droit à des prestations arriérées s’éteint cinq ans après la fin du mois pour lequel elles étaient dues.
Consid. 5.2
Par faits établissant le droit aux prestations au sens de l’art. 48 al. 2 let. a LAI, on entend, par analogie avec les art. 4 et 5 LAI et 8 et 9 LPGA, l’atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui entraîne un besoin présumé permanent ou de longue durée d’aide ou de surveillance pour accomplir les actes ordinaires de la vie (ATF 139 V 289 consid. 4.2). Selon la jurisprudence, l’art. 48 al. 2 let. a LAI s’applique lorsque la personne assurée ne connaissait pas ou ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations ou que, bien qu’elle en ait eu connaissance, elle ait été empêchée pour cause de maladie de déposer une demande ou de charger quelqu’un du dépôt de la demande. Un tel état de fait n’est admis que de manière très restrictive par la jurisprudence, notamment en cas de schizophrénie (arrêts du Tribunal fédéral des assurances I 824/05 du 20 février 2006 consid. 4.3; I 705/02 du 17 novembre 2003 consid. 4.3; I 141/89 du 1er mars 1990 consid. 2b), en cas de trouble grave de la personnalité narcissique et dépressive au sens d’un état borderline à la limite de la psychose schizophrénique (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 418/96 du 12 novembre 1997 consid. 3b), en cas de trouble grave de la personnalité (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 205/96 du 21 octobre 1996 consid. 3c), en cas d’incapacité de discernement due à une maladie psychique grave (non précisée) (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 71/00 du 29 mars 2001 consid. 3a); éventuellement aussi en cas de dépression grave (ATF 102 V 112 consid. 3) ou de troubles de la personnalité avec alcoolisme chronique secondaire (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 149/99 du 16 mars 2000 consid. 3b).
Par ailleurs, seule compte la connaissance des faits fondant le droit, c’est-à-dire la connaissance de l’état de santé correspondant, et non pas la question de savoir si l’on peut en déduire un droit à une allocation pour impotent. L’art. 48 al. 2 LAI ne s’applique en revanche pas lorsque l’assuré, respectivement son représentant légal, connaissait ces faits mais ignorait qu’ils donnent droit à des prestations de l’assurance-invalidité (ATF 102 V 112 consid. 1a).
Consid. 6.1
Aux termes de l’art. 66 al. 1 RAI, l’exercice du droit aux prestations appartient à l’assuré ou à son représentant légal ainsi qu’aux autorités ou tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente. Si l’assuré n’exerce pas lui-même le droit aux prestations, il doit autoriser les personnes et les instances mentionnées à l’art. 6a LAI à fournir aux organes de l’assurance-invalidité tous les renseignements et les documents nécessaires pour établir ce droit et le bien-fondé de prétentions récursoires (al. 1bis). Si l’assuré est incapable de discernement, son représentant légal accorde l’autorisation visée à l’art. 6a LAI en signant la demande (al. 2).
Consid. 6.2
Dans l’arrêt déjà cité du 6 mai 2013 publié aux ATF 139 V 289, le Tribunal fédéral a confirmé la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances (ATF 108 V 226 consid. 3 et 102 V 112 consid. 2c), dans lequel ce dernier avait retenu, s’agissant du champ d’application de l’art. 48 al. 2 deuxième phrase LAI (dès le 1er janvier 2012: art. 48 al. 2 let. a et b LAI), que pour le paiement rétroactif concernant une période qui remonte au-delà des douze mois précédant le dépôt de la demande, est déterminante la connaissance de l’état de fait ouvrant droit à prestations de la part de la personne assurée ou de son représentant légal. Le fait que les tiers désignés à l’art. 66 RAI, autorisés à faire valoir le droit aux prestations, aient au besoin déjà eu connaissance de l’état de fait ouvrant droit à prestations à un moment antérieur ne s’oppose pas à un tel droit au paiement rétroactif.
Consid. 6.3.1
Dans l’ATF 139 V 289, c’est le fils de l’assurée qui avait déposé en avril 2009 une demande d’allocation pour impotence grave en faveur de sa mère atteinte de multiples pathologies. Le droit aux prestations existait depuis le 1er janvier 2005 mais l’allocation n’avait été octroyée qu’à partir du 1er avril 2008, soit douze mois avant le dépôt de la demande. Le Tribunal fédéral a considéré que même si le fils de l’assurée connaissait l’état de santé qui avait entraîné une impotence grave et qu’il aurait pu annoncer sa mère plus tôt – seule son ignorance du droit l’en avait empêché – l’assurée pouvait bénéficier d’un droit au paiement rétroactif de l’allocation pour impotent à partir du 1er janvier 2005 déjà. Dans l’arrêt H 22/02 du 8 juillet 2002, l’assurée, qui souffrait de démence sénile, se trouvait dans un établissement de soins depuis 1995. Le Tribunal fédéral a jugé que la demande d’allocation pour impotent déposée par le mari de l’assurée le 22 février 2000 était tardive et que c’était à juste titre que le paiement rétroactif de l’allocation n’entrait en ligne de compte que pour la période à partir du 1er février 1999, soit pour les douze mois précédant le dépôt de la demande. Les conditions pour un paiement rétroactif plus étendu n’étaient pas remplies, étant donné que le mari de l’assuré était son curateur et qu’il connaissait les faits établissant son droit aux prestations. Dans un arrêt I 141/89 du 1er mars 1990, l’assurée, privée de la capacité de discernement en raison de sa maladie mentale, ne pouvait pas connaître les faits établissant son droit aux prestations. Le Tribunal fédéral des assurances avait jugé que le fait d’être pourvue d’un représentant légal provisoire, lequel avait été empêché de se rendre compte de la gravité de la situation de l’assurée, n’empêchait pas que l’assurée soit mise au bénéfice de l’art. 48 al. 2 LAI. Par ailleurs, le fait que la soeur de l’assurée – à l’origine des démarches visant à obtenir des prestations de l’AI – avait selon toute vraisemblance pu se rendre compte depuis plusieurs années de la maladie, ne suffisait pas non plus à exclure l’application dans le cas d’espèce de l’art. 48 al. 2 LAI, de sorte que l’assurée avait eu droit au versement rétroactif de sa rente d’invalidité.
Consid. 6.3.2
Il résulte de la jurisprudence précitée (consid. 6.3.1 supra), laquelle n’est au demeurant pas remise en cause en tant que telle par les parties, que lorsque la personne assurée n’est pas en mesure de connaître les faits ouvrant son droit aux prestations, il ne s’impose de lui imputer ce que savait et devait savoir un tiers qui l’assiste régulièrement ou prend soin d’elle de manière permanente que si cette personne est officiellement son représentant légal et qu’elle pouvait à son tour connaître les faits établissant le droit aux prestations.
Consid. 7.1
L’autorité de protection de l’adulte prend les mesures appropriées pour garantir l’assistance et la protection de la personne qui a besoin d’aide (art. 388 CC) dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité (art. 389 CC). Selon l’art. 390 al. 1 ch. 1 CC, l’autorité de protection de l’adulte institue une curatelle lorsqu’une personne majeure est partiellement ou totalement empêchée d’assurer elle-même la sauvegarde de ses intérêts en raison d’une déficience mentale, de troubles psychiques ou d’un autre état de faiblesse qui affecte sa condition personnelle. Aux termes de l’art. 394 al. 1 CC, une curatelle de représentation est instituée lorsque la personne qui a besoin d’aide ne peut accomplir certains actes et doit de ce fait être représentée. L’art. 395 al. 1 CC permet par ailleurs à l’autorité de protection de l’adulte d’instituer une curatelle ayant pour objet la gestion du patrimoine, en déterminant les biens sur lesquels portent les pouvoirs du curateur; celle-ci est donc une forme spéciale de la curatelle de représentation, destinée à protéger les intérêts d’une personne dans l’incapacité de gérer son patrimoine quel qu’il soit, l’étendue de la mesure étant déterminée par le besoin de protection concret au regard des circonstances (arrêts 5A_103/2024 du 26 septembre 2024 consid. 3.2; 5A_567/2023 du 25 janvier 2024 consid. 3.1.3; 5A_319/2022 du 17 juin 2022 consid. 5.1; 5A_192/2018 du 30 avril 2018 consid. 3.1). Il n’est pas nécessaire que l’intéressé soit incapable de discernement, le besoin de protection et d’aide suffit (HAUSHEER/GEISER/AEBI-MÜLLER, Das neue Erwachsenenschutzrecht, 2 e éd. 2014, n° 2.102 p. 64).
Consid. 7.2
L’art. 389 CC soumet toutes les mesures de protection aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. L’application du principe de subsidiarité implique que l’autorité de protection de l’adulte ne peut ordonner une telle mesure que si l’aide dont a besoin la personne concernée ne peut pas être procurée par sa famille, ses proches ou par les services publics ou privés compétents (art. 389 al. 1 ch. 1 CC). Si l’autorité de protection de l’adulte constate que l’aide apportée par ce cercle de personnes ne suffit pas ou estime d’emblée qu’elle sera insuffisante, elle doit ordonner une mesure qui respecte le principe de la proportionnalité, à savoir une mesure nécessaire et appropriée (art. 389 al. 2 CC; ATF 140 III 49 consid. 4.3.1 et les références; parmi d’autres: arrêts 5A_567/2023 précité consid. 3.1.2; 5A_682/2022 du 8 juin 2023 consid. 3.1; 5A_221/2021 du 7 décembre 2021 consid. 5.1).
Consid. 7.3
Le curateur institué devient le représentant légal de la personne concernée dans le cadre des tâches qui lui sont confiées; il l’engage valablement par ses actes ou omissions (YVO BIDERBOST, in Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch, Band I: Art. 1-456 ZGB, 7 e éd. 2022, n° 18 ad art. 394 CC). L’institution d’une curatelle de représentation n’entraîne pas automatiquement une limitation de l’exercice des droits civils de la personne concernée, à moins que l’autorité de protection de l’adulte n’en décide autrement (art. 394 al. 2 CC; AUDREY LEUBA, in Commentaire romand, Code civil I: Art. 1-456 CC, 2 e éd. 2024, n° 17 ss ad art. 394 CC). Par ailleurs, contrairement à ce qui est le cas lors de l’institution d’une mesure de curatelle de portée générale, la curatelle de représentation, même doublée d’une restriction de la capacité civile, n’a aucun impact sur le domicile volontaire (art. 23 et 26 CC) de la personne concernée (AUDREY LEUBA, op. cit., n° 32 ad art. 394 CC).
Consid. 7.4
Selon l’art. 16 CC, est capable de discernement toute personne qui n’est pas privée de la faculté d’agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d’ivresse ou d’autres causes semblables. La notion de capacité de discernement contient deux éléments: un élément intellectuel, la capacité d’apprécier le sens, l’opportunité et les effets d’un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d’agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté. La capacité de discernement ne doit pas être appréciée abstraitement mais en rapport avec un acte déterminé, selon la difficulté et la portée de cet acte (ATF 144 III 264 consid. 6.1.1; 134 II 235 consid. 4.3.2). On peut donc imaginer qu’une personne dont la capacité de discernement est généralement réduite puisse tout de même exercer certaines tâches quotidiennes et soit capable de discernement pour les actes qui s’y rapportent; pour des affaires plus complexes, en revanche, on pourra dénier sa capacité de discernement. Alors que l’expérience de la vie plaide généralement en faveur de la présomption de capacité de discernement, cette présomption trouve ses limites et s’inverse là où, en raison de l’état de santé général de la personne concernée, l’expérience de la vie plaide en faveur du fait que la personne doit généralement être considérée comme incapable de discernement (ATF 124 III 5 consid. 4b).
Consid. 7.5
En l’occurrence, l’assuré a atteint sa majorité le 01.09.2014. À partir de cette date, il n’était plus sous autorité parentale. Ses parents n’ont été nommés curateurs de leur fils qu’à partir du 25.08.2022. Pendant la période comprise entre le 01.09.2014 et le 25.08.2022, l’assuré ne disposait donc pas de représentant légal. Rien n’indique, contrairement à ce qu’allègue l’office AI recourant, que ce sont les parents de l’assuré qui ont tardé à requérir une curatelle officielle pour leur fils. Ces derniers ont expliqué dans leur réponse au recours que lorsqu’ils avaient voulu annoncer leur fils au contrôle des habitants lors de leur arrivée en Suisse, ils avaient été orientés dans un premier temps vers l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte qui n’avait pas jugé nécessaire de faire instaurer une curatelle pour établir le domicile de leur fils à Zurich. Lorsque le père de l’assuré a déposé, le 12.07.2021, une première demande de prestations d’assurance-invalidité en faveur de son fils, il n’était pas encore son curateur. Implicitement tout au moins, l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte a admis que les parents de l’assuré aider ce dernier dans ses démarches pour demander des prestations de l’assurance-invalidité en qualité de tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente, sans qu’il soit nécessaire de lui nommer un représentant légal. Au moment du dépôt de la demande d’allocation pour impotent le 25.03.2022, le père de l’assuré est donc intervenu en qualité de tiers au sens de l’art. 66 RAI, et non en qualité de représentant légal de son fils (art. 304 al. 1 CC a contrario). La situation a changé lorsque les parents de l’assuré ont été nommés ses co-curateurs avec pouvoirs de représentation, notamment dans les affaires sociales et les affaires juridiques. C’est seulement à partir de l’institution de cette mesure de curatelle de représentation que les parents de l’assuré sont devenus ses représentants légaux en l’engageant valablement par leurs actes ou omissions. Dans ces circonstances, c’est sans arbitraire que la juridiction cantonale a considéré que l’assuré ne pouvait pas se voir imputer l’ignorance du droit par ses parents avant la décision du 25.08.2022 et que par conséquent, il pouvait – sous réserve que les autres conditions du droit à la prestation fussent remplies – bénéficier de prestations arriérées pour une période de cinq ans au plus (cf. art. 24 al. 1 LPGA) à compter du dépôt de la demande de prestations, soit dès le 01.03.2017.
Consid. 8.1
Dans un grief très subsidiaire, l’office AI fait encore valoir que si l’on devait considérer que les parents de l’assuré n’avaient pas été ses représentants légaux avant la décision de la Justice de paix du 25.08.2022, l’assuré n’aurait pas pu, en l’absence de discernement, se constituer un domicile en Suisse, lequel est une condition du droit à l’allocation pour impotent.
Consid. 8.2
En vertu de l’art. 42 al. 1 LAI, les assurés impotents (art. 9 LPGA) qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à une allocation pour impotent. Cette disposition pose explicitement l’exigence, entres autres conditions, du domicile et de la résidence habituelle en Suisse (ATF 135 V 249 consid. 4.4).
Consid. 8.3
En vertu de l’art. 13 LPGA, le domicile correspond au domicile civil selon les art. 23 à 26 CC (al. 1), tandis que la résidence habituelle correspond au lieu où la personne concernée séjourne un certain temps même si la durée de ce séjour est d’emblée limitée (al. 2; cf. ATF 141 V 530 consid. 5.1).
Consid. 8.3.1
Au sens des art. 13 al. 1 LPGA et 23 al. 1, 1re phrase, CC, le domicile civil de toute personne est au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir. La notion de domicile contient deux éléments: d’une part, la résidence, soit un séjour d’une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits et, d’autre part, l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives (ATF 143 II 233 c. 2.5.2; 141 V 530 c. 5.2; 137 II 122; 127 V 237). Cette intention implique la volonté manifestée de faire d’un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. L’intention de se constituer un domicile volontaire suppose que l’intéressé soit capable de discernement au sens de l’art. 16 CC. Cette exigence ne doit toutefois pas être appréciée de manière trop sévère (ATF 134 V 236 consid. 2.1; 127 V 237 consid. 2c) et peut être remplie par des personnes présentant une maladie mentale (ATF 143 II 233 c. 2.5.2; 141 V 530 c. 5.2).
L’intention d’une personne de se fixer au lieu de sa résidence ne doit pas être examinée de façon subjective, au regard de sa volonté interne, mais à la lumière de circonstances objectives, reconnaissables pour les tiers, permettant de conclure à l’existence d’une telle intention. Pour savoir quel est le domicile d’une personne, il faut tenir compte de l’ensemble de ses conditions de vie, le centre de son existence se trouvant à l’endroit, lieu ou pays, où se focalisent un maximum d’éléments concernant sa vie personnelle, sociale et professionnelle, de sorte que l’intensité des liens avec ce centre l’emporte sur les liens existant avec d’autres endroits ou pays (ATF 125 III 100 consid. 3). Déterminer les conditions de vie d’une personne, son comportement et les liens concrets qu’elle entretient avec un lieu donné relève de l’établissement des faits. En revanche, la conclusion qu’il faut en tirer quant à l’intention de s’établir durablement est une question de droit (cf. ATF 136 II 405 consid. 4.3; 97 II 1 consid. 3; arrêt 4A_588/2017 du 6 avril 2018 consid. 3.2.1).
Consid. 8.3.2
Par résidence habituelle au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA, il convient de comprendre la résidence effective en Suisse (« der tatsächliche Aufenthalt ») et la volonté de conserver cette résidence; le centre de toutes les relations de l’intéressé doit en outre se situer en Suisse (ATF 119 V 111 consid. 7b et la référence). La notion de résidence doit être comprise dans un sens objectif, de sorte que la condition de la résidence effective en Suisse n’est en principe plus remplie à la suite d’un départ à l’étranger.
Consid. 8.4
En l’espèce, s’il ne fait pas de doutes que la première des deux conditions cumulatives de l’art. 23 al. 1 CC, soit le séjour d’une certaine durée en Suisse, est réalisée dans le cas de l’assuré, la seconde condition mérite un examen plus approfondi.
Consid. 8.4.1
On relèvera tout d’abord qu’il n’est pas établi, contrairement à ce qu’affirme l’office AI recourant, que l’assuré était privé de sa capacité de discernement, que ce soit au moment de son arrivée en Suisse ou par après. Les juges cantonaux ont certes retenu que l’assuré ne disposait pas d’une capacité de jugement adéquat quant à son état de santé. Ils n’ont cependant pas constaté que ce dernier était incapable de discernement au sens de l’art. 16 CC a contrario. Quoi qu’il en soit, on a vu que la capacité de discernement est une notion relative devant être appréciée concrètement par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance (cf. consid. 7.4 supra; voir aussi ATF 150 III 147 consid. 7.6.1). Elle ne doit en outre pas être appréciée de manière trop sévère lorsqu’elle l’est en lien avec l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence (cf. consid. 8.3.1 supra).
Consid. 8.4.2
Il ressort des faits constatés dans l’arrêt attaqué que l’assuré est arrivé en Suisse avec ses parents en mai 2015 et qu’il y réside depuis lors. En raison de son handicap, il dépend de l’assistance de ses parents. Il ne travaille pas, ne séjourne pas dans une institution, même temporairement, mais vit depuis toujours avec ses parents. D’un point de vue objectif, le centre des relations de l’assuré se trouve donc au lieu de résidence de ses parents, lieu où il dort, passe son temps libre et laisse ses effets personnels (DANIEL STAEHELIN, in Basler Kommentar, n° 6 ad art. 23 CC). Au regard des circonstances du cas d’espèce, il y a lieu d’en déduire que l’assuré avait son domicile civil et sa résidence habituelle en Suisse depuis 2015 jusqu’à ce jour. L’office AI n’a du reste pas remis en cause le domicile en Suisse de l’assuré lorsqu’il lui a reconnu le droit à une rente d’invalidité à compter du 01.01.2022.
Le TF rejette le recours de l’office AI.
Arrêt 8C_32/2024 consultable ici