Arrêt du Tribunal fédéral 9C_354/2023 (f) du 15.11.2023
Allocation pour impotent – Besoin d’un accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie / 37 al. 3 RAI – 38 RAI
Assistance apportée les membres de sa famille – Obligation de diminuer le dommage
Assurée, née en 1974, souffre d’une infirmité congénitale affectant les os des hanches et du fémur ainsi que le dos (avec mise en place d’une double prothèse de la hanche et d’une prothèse du genou droit). A deux reprises (2005 et 2012), l’office AI a nié le droit de l’assurée à une rente de l’assurance-invalidité, car la survenance de l’invalidité était antérieure à son arrivée en Suisse.
L’assurée a déposé une demande d’allocation pour impotent le 28.11.2014. En se fondant sur une enquête à domicile (rapport du 15.07.2015), l’office AI lui a octroyé une allocation pour impotent de degré moyen à compter du 01.04.2014 (décision du 24.01.2017). Il a retenu qu’elle avait besoin d’une aide importante et régulière d’autrui pour deux actes ordinaires de la vie quotidienne (faire sa toilette et se vêtir/se dévêtir) ainsi que d’un accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie.
Initiant une révision, l’administration a mis en œuvre une nouvelle enquête au domicile de l’assurée (rapport du 01.10.2020, complété le 17.06.2021), puis versé à son dossier l’avis du médecin traitant, spécialiste en médecine interne générale. Par décision du 15.02.2022, l’office AI a supprimé le droit de l’assurée à une allocation pour impotent avec effet au 01.04.2022.
Procédure cantonale
Par jugement du 20.04.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens que l’assurée a droit à une allocation pour impotent de degré faible à compter du 01.04.2022.
TF
Consid. 2.2
L’impotence est faible notamment si la personne assurée, même avec des moyens auxiliaires, a besoin d’un accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie au sens de l’art. 38 RAI (art. 37 al. 3 let. e RAI). Selon cette disposition, ce besoin existe lorsque la personne assurée ne peut pas en raison d’une atteinte à la santé vivre de manière indépendante sans l’accompagnement d’une tierce personne (art. 38 al. 1 let. a RAI), faire face aux nécessités de la vie et établir des contacts sociaux sans l’accompagnement d’une tierce personne (art. 38 al. 1 let. b RAI), ou éviter un risque important de s’isoler durablement du monde extérieur (art. 38 al. 1 let. c RAI).
Dans la première éventualité, l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie doit permettre à la personne concernée de gérer elle-même sa vie quotidienne. Il intervient lorsque la personne nécessite de l’aide pour au moins l’une des activités suivantes: structurer la journée, faire face aux situations qui se présentent tous les jours (p. ex. problèmes de voisinage, questions de santé, d’alimentation et d’hygiène, activités administratives simples) et tenir son ménage (aide directe ou indirecte d’un tiers; ATF 133 V 450 consid. 10). Selon la jurisprudence, la nécessité de l’assistance d’un tiers pour la réalisation des tâches ménagères peut justifier à elle seule la reconnaissance du besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie (cf. arrêt 9C_425/2014 du 26 septembre 2014 consid. 4.1). Dans la deuxième éventualité (accompagnement pour les activités hors du domicile), l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie doit permettre à la personne assurée de quitter son domicile pour certaines activités ou rendez-vous nécessaires, tels les achats, les loisirs ou les contacts avec les services officiels, le personnel médical ou le coiffeur. Dans la troisième éventualité, l’accompagnement en cause doit prévenir le risque d’isolement durable ainsi que de la perte de contacts sociaux et, par là, la péjoration subséquente de l’état de santé de la personne assurée (arrêt 9C_308/2022 du 28 mars 2023 consid. 3.3 et la référence).
Selon le chiffre marginal 2012 de la Circulaire de l’OFAS sur l’impotence (CIS), l’accompagnement est régulier au sens de l’art. 38 al. 3 RAI lorsqu’il est nécessité en moyenne au moins deux heures par semaine sur une période de trois mois. Le Tribunal fédéral a reconnu que cette notion de la régularité était justifiée d’un point de vue matériel et partant conforme aux dispositions légales et réglementaires (cf. ATF 133 V 450 consid. 6.2 et les références).
Consid. 2.3
La nécessité de l’aide apportée par une tierce personne doit être examinée de manière objective, selon l’état de santé de la personne assurée, indépendamment de l’environnement dans lequel celle-ci se trouve; seul importe le point de savoir si, dans la situation où elle ne dépendrait que d’elle-même, la personne assurée aurait besoin de l’aide d’un tiers. L’assistance que lui apportent les membres de sa famille a trait à l’obligation de diminuer le dommage et ne doit être examinée que dans une seconde étape (cf. arrêts 9C_330/2017 du 14 décembre 2017 consid. 4; 9C_410/2009 du 1 er avril 2010 consid. 5.1, in SVR 2011 IV n° 11 p. 29; voir aussi arrêt 9C_425/2014 du 26 septembre 2014 consid. 4.2).
Consid. 4.1
Selon la jurisprudence, la nécessité de l’assistance d’un tiers pour la réalisation des tâches ménagères peut justifier à elle seule la reconnaissance du besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie (arrêt 9C_330/2017 du 14 décembre 2017 consid. 4). La nécessité de l’aide apportée par une tierce personne doit cependant être examinée de manière objective, selon l’état de santé de la personne assurée, indépendamment de l’environnement dans lequel celle-ci se trouve (supra consid. 2.3). A cet égard, l’enquête effectuée au domicile de la personne assurée constitue en principe une base appropriée et suffisante pour évaluer l’étendue des empêchements dans la vie quotidienne (sur les exigences relatives à la valeur probante d’un tel rapport d’enquête, cf. ATF 140 V 543 consid. 3.2.1; 133 V 450 consid. 11.1.1 et les références).
Consid. 4.2
En l’espèce, les juges cantonaux ont constaté que l’enquêtrice de l’office AI avait indiqué dans son rapport du 01.10.2020 que l’assurée avait besoin de l’aide d’un tiers pour les tâches ménagères à hauteur de deux heures par semaine, en particulier pour les tâches les plus physiques ou demandant des efforts soutenus. En outre, à l’inverse de ce que soutient l’office recourant, la juridiction cantonale a tenu compte de l’aide apportée par les enfants dans l’évaluation de l’impotence de l’assurée. Elle a considéré qu’on ne pouvait pas exiger du fils de l’assurée une part plus importante aux tâches ménagères que celle qu’il assumait déjà depuis 2015. Par ailleurs, si les juges cantonaux n’ont pas expressément mentionné l’aide susceptible d’être apportée par la fille de l’assurée aux tâches ménagères, l’enquêtrice de l’office AI a coché « non » à la question de savoir si « [e]n vertu de l’obligation de réduire le dommage, peut-on exiger de ces personnes qu’elles apportent autant voire plus d’aide que jusqu’à présent? ». Etant donné que les termes « ces personnes » font référence aux deux enfants de l’assurée, la juridiction cantonale pouvait considérer sans arbitraire que l’assurée avait besoin de l’aide d’une tierce personne à hauteur de deux heures par semaine, en plus de l’aide raisonnablement exigible des deux enfants. Dans ces circonstances, la juridiction cantonale n’a pas fait preuve d’arbitraire en retenant que l’assurée avait besoin d’un accompagnement régulier au sens de l’art. 38 al. 3 RAI pour faire face aux nécessités de la vie. Il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.
Consid. 4.3
Pour le surplus, c’est en vain que l’office recourant reproche à la juridiction cantonale de n’avoir pas apprécié à nouveau et librement, c’est-à-dire sans référence à l’évaluation antérieure (cf. ATF 141 V 9), le besoin d’un accompagnement durable au sens de l’art. 38 al. 3 RAI. Dans la mesure où l’assurée a toujours besoin d’un accompagnement régulier au sens de l’art. 38 al. 3 RAI pour faire face aux nécessités de la vie (consid. 2.2 et 4.2 supra), les critiques de l’office recourant portent exclusivement sur les motifs de l’arrêt entrepris, et non pas sur son dispositif. L’argumentation de l’office recourant ne met en outre pas en évidence que la juridiction cantonale aurait indûment restreint son pouvoir d’examen et qu’elle aurait, de la sorte, commis un déni de justice. Autant qu’il est suffisamment motivé (art. 42 et 106 al. 2 LTF), le grief est par conséquent infondé.
Le TF rejette le recours de l’office AI.
Arrêt 9C_354/2023 consultable ici