Archives par mot-clé : Procédure

8C_631/2022 (i) du 24.03.2023 – Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / 39 LPGA – 60 LPGA

Pas d’application de l’ALCP ni du Règl. (CE) no 883/2004

Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

 

Assuré, ressortissant italien né en 1983, a travaillé pendant plusieurs années en Suisse en tant qu’ouvrier du bâtiment. Accident le 09.08.2016.

Par décision du 30.12.2020, envoyée directement à l’avocat de l’assuré résidant en Italie, l’assurance-accidents a octroyé une rente d’invalidité de 12% dès le 01.01.2021. Par décision sur opposition du 09.02.2021, notifiée directement à l’avocat de l’assuré le 16.02.2021, l’assurance-accidents a confirmé la décision du 30.12.2020.

 

Procédure cantonale

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition auprès du tribunal cantonal. L’acte de recours daté du 16.03.2021 a été remis à la poste italienne le 18.03.2021 et est parvenu au tribunal le 24.03.2021. Dans un arrêt du même jour, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le fond du recours en raison de la tardiveté de celui-ci.

Dans son arrêt 8C_307/2021 du 25.08.2021, le Tribunal fédéral a admis le recours formé par l’assuré, annulant le jugement du 24.03.2021 et renvoyant la cause à l’instance cantonale. Le Tribunal fédéral a notamment relevé que le tribunal cantonal avait constaté le domicile de l’assuré – fait déterminant pour la détermination du droit applicable (interne ou international) en matière de computation du délai de recours et de mode de notification des actes – sans procéder aux actes d’instruction nécessaires et sans garantir à l’assuré le droit d’être entendu.

Dans un arrêt du 09.03.2022, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours du 16.03.2021, le considérant comme tardif.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir mal interprété l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ci-après : ALCP [RS 0.142.112.681]) et le Règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après : Règlement n° 883/2004 [RS 0.831.109.268.1]), dans la mesure où, pour déterminer l’applicabilité (ou non) du droit international précité, elle a procédé à l’établissement de l’existence d’un élément transfrontalier du litige, à savoir son lieu de résidence. Selon l’assuré, , se fondant sur l’art. 2 par. 1 du Règlement n° 883/2004, le simple fait qu’il soit ressortissant italien entraînerait automatiquement l’application de ce règlement, selon lequel, en vertu de l’art. 81 (demandes, déclarations ou recours), la remise d’une demande ou d’un recours à la poste d’un État membre – autre que celui qui détermine la loi applicable à l’affaire – sauvegarde le délai de recours à la poste, de sorte que le recours doit être considéré comme opportun.

Consid. 4.2
Dans les considérants de l’arrêt attaqué, la cour cantonale a exposé de manière complète et détaillée les règles de droit et les principes jurisprudentiels nécessaires à la résolution de la cause, en rappelant notamment les délais de recours et les règles de computation et de respect des délais en droit national (en particulier les art. 39 et 60 LPGA), ainsi qu’en droit européen (art. 81 Règlement n° 883/2004). Il est possible de s’y référer et de s’y conformer.

Appelé à se prononcer concrètement sur la législation applicable, le tribunal cantonal a ensuite relevé que, pour que l’assuré puisse invoquer l’ALCP et les règlements européens, il est indispensable que la cause présente un élément transfrontalier. Comme en l’espèce le litige relatif aux prestations sociales contestées était prima facie circonscrit à la Suisse, où il travaillait et vivait depuis de nombreuses années, la cour cantonale a donc procédé à la vérification de son lieu de résidence au moment où il a déposé son recours par l’intermédiaire de ses avocats, ainsi que le Tribunal fédéral l’a expressément indiqué dans son arrêt de renvoi (8C_307/2021 consid. 5.2-5.3).

Consid. 4.3
En ce qui concerne le champ d’application personnel (ratione personae) de l’ALCP et du Règlement n° 883/2004, le Tribunal fédéral a jugé que les éléments déterminants pour cette appréciation sont, d’une part, les conditions de nationalité ou de statut familial de la personne et, d’autre part, l’élément transfrontalier, à savoir l’exercice du droit à la libre circulation, c’est-à-dire le fait de résider ou de travailler dans un État membre de l’UE (ATF 143 V 81 consid. 8.1 et 8.3.2). Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à laquelle le Tribunal fédéral se réfère généralement pour l’application de l’ALCP (voir ATF 143 II 57 consid. 3.6 ; 139 II 393 consid. 4. 1), les dispositions européennes relatives à la coordination des systèmes de sécurité sociale ne sauraient en effet s’appliquer à des activités qui n’ont de lien avec aucune des situations couvertes par le droit communautaire et dont les éléments pertinents restent dans l’ensemble confinés à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt pro multis du 5 mai 2011 C-434/09 McCarthy, consid. 45). Il y a caractère transfrontalier lorsqu’une personne, une affaire ou une demande a une relation juridique avec plusieurs États de l’UE. Dans ce cas, le lieu de résidence ou de travail entre notamment en ligne de compte (ATF 143 V 81 consid. 8.3.1 ; voir BETTINA HUMMER, in Europäisches Sozialrecht, Maximilian Fuch/Constanze Janda [éd.], 8e éd. 2022, no. 16 ad art. 2 du Règlement [CE] no 883/2004). Le seul fait de posséder la nationalité d’un État de l’UE ne suffit donc pas pour appliquer les règlements européens de sécurité sociale si la personne concernée n’a pas exercé son droit à la libre circulation (lien transfrontalier). Par conséquent, l’interprétation faite par le tribunal cantonal est conforme au droit international. L’assuré ne saurait donc être suivie lorsque, ignorant la jurisprudence fédérale constante, elle procède à une réanalyse générale de l’art. 2 par. 1 du Règlement no 883/2004 pour aboutir au résultat que le seul fait de posséder la nationalité d’un État communautaire, indépendamment de l’exercice ou non du droit à la libre circulation, entraînerait l’application personnelle du règlement précité.

 

Consid. 5.1
Le tribunal cantonal a tout d’abord constaté la présence de deux attestations de domicile contradictoires : l’extrait du service de l’état civil du canton des Grisons du 25.03.2021 indiquait que l’assuré était domicilié dans la commune de V.__ depuis 2018, alors que les certificats des 14.04.2021 et 26.11.2021 délivrés par la commune de W.__ (Italie) attestaient qu’il était domicilié dans la commune depuis le 27.10.2020. Les juridictions grisonnes ont également constaté que le contrat de location de l’appartement à V.__ – loué depuis le 01.04.2018 – n’avait pas encore été résilié et que l’assuré avait payé le loyer sans interruption, au moins jusqu’en juin 2021. Le tribunal cantonal a ensuite relevé que l’assuré était un citoyen italien titulaire d’un permis L UE/AELE de séjour temporaire, qu’il avait travaillé en Suisse pendant au moins sept ans en percevant un salaire stable jusqu’à son accident et qu’il était assujetti à l’impôt à la source depuis 2010. L’enquête a ensuite permis d’établir que l’assuré percevait des indemnités de chômage à partir du 01.01.2021, indemnités qui requièrent légalement une résidence effective en Suisse, et que dans le cadre de l’inscription au chômage, tant l’assuré que les autorités communales ont confirmé résider dans la commune de V.__. Pendant la période en question, soit entre février et mars 2021, il avait en outre témoigné de ses efforts personnels pour trouver un emploi en Suisse. La cour cantonale a finalement constaté que l’assuré était titulaire d’un abonnement de téléphonie mobile suisse – en Italie, il ne disposait que d’une carte prépayée – et que ses principales dépenses, constatées sur la base de la documentation bancaire, étaient principalement concentrées en Suisse. Sur la base des éléments du dossier, le tribunal cantonal a donc conclu que le requérant, bien que citoyen italien, non inscrit à l’Anagrafe dei Residenti all’Estero (AIRE) et propriétaire d’un bien immobilier à W.__, n’avait pas établi un lien avec l’Italie de nature à y reconnaître une résidence habituelle, à savoir avec l’intention de la maintenir pendant un certain temps et d’en faire le centre de ses relations personnelles durant cette période.

Consid. 5.2
L’assuré reproche à l’instance cantonale d’avoir déterminé son domicile de manière arbitraire et d’avoir appliqué à cet effet une base légale et des critères erronés. Il reproche en particulier au tribunal cantonal d’avoir retenu à tort la notion de résidence habituelle au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA et de l’art. 8 al. 1 lit. c LACI, au lieu de celle de domicile au sens de l’art. 23 CC, pour en déduire les critères de résidence au sens de l’article 1er lit. j Règlement n° 883/2004. En raison de la détention d’un permis L UE/AELE, qui ne peut en aucun cas être assimilé à un séjour en Suisse, il ne devrait également être considéré que comme un résident temporaire. En ce qui concerne les constatations de fait manifestement inexactes, l’assuré soutient que le tribunal cantonal a totalement ignoré le fait qu’au moment du dépôt du recours, il avait la nationalité italienne, n’était pas inscrit auprès de l’AIRE, ne travaillait pas, voyageait fréquemment d’Italie en Suisse et vice versa, qu’il était propriétaire d’un bien immobilier en Italie et titulaire d’un permis L UE/AELE valable pour trois mois seulement. Il ressort de ces éléments qu’il entretenait des relations juridiques avec l’Italie et qu’il ne se rendait en Suisse que pour des raisons professionnelles et administratives, sans avoir l’intention de s’y installer durablement. En conclusion, le requérant reproche à l’instance cantonale d’avoir appliqué à tort le droit fédéral – art. 39 al. 1 et 60 LPGA – au lieu du droit international, déclarant ainsi le recours irrecevable pour tardiveté.

Consid. 5.3
Selon l’art. 1er lit. j du Règl. n° 883/2004 – qui correspond à l’ancien art. 1er lit. h du Règlement [CE] n° 1408/71, abrogé avec effet au 1er avril 2012 -, la résidence est le lieu où une personne réside habituellement. Le terme de résidence constitue, en principe, une notion autonome et propre du droit communautaire européen (arrêt [de la CJUE] du 11 septembre 2014 C-394/13 Ministerstvo práce a sociálních vecí, point 26 ; arrêt 8C_186/2017 du 1er septembre 2017 consid. 7.5). L’art. 11 du Règlement d’exécution [CE] n° 987/2009 (RS 0.831.109.268.11) assimile la résidence au centre des intérêts de la personne concernée, qui est déterminé par une appréciation globale des circonstances. Cet article codifie également les éléments développés par la jurisprudence de la CJUE qui peuvent être pris en compte pour déterminer le centre d’intérêts susmentionné, tels que, par exemple, la durée et la continuité de la présence sur le territoire des États membres concernés, l’exercice d’une activité ou la situation et les liens de la famille (arrêt C-394/13, point 34 ; cf. point 5). Enfin, la définition de la résidence diffère de celle du séjour à l’art. 1er lit. k du Règl. n° 883/2004, qui est défini comme un séjour purement temporaire. Dans le cadre des accords sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, notamment dans l’application des règlements européens sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, le Tribunal fédéral a déjà constaté, sur la base de la jurisprudence de la CJUE, que le droit communautaire laisse largement ouverte la question de la détermination de la résidence et confie généralement cette notion au droit national respectif (ATF 138 V 533 consid. 4.2, 186 consid. 3.3.1).

Du point de vue du Règl. n° 883/2004, la jurisprudence fédérale a ainsi établi que la résidence est le lieu où se trouve le centre de vie de la personne ; elle peut dépendre à la fois de circonstances subjectives, fondées principalement sur la volonté de la personne concernée, et de circonstances objectives, qui sont déterminées par les conditions de vie extérieures et qui peuvent également diverger de la volonté déclarée (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1). Toutefois, ce sont les aspects objectifs et non les aspects subjectifs qui sont déterminants pour le jugement (ATF 148 V 209 consid. 4.3 ; 138 V 533 consid. 4.2). En outre, la simple durée de résidence dans un État membre de l’UE n’est pas décisive pour déterminer le lieu de résidence (HUMMER, op. cit., n° 20 à l’art. 1 du Règl. n° 883/2004 avec les références à la jurisprudence de la CJUE). Ce qui est déterminant, en revanche, c’est de savoir si la personne concernée a localisé (ou non) le centre de ses intérêts dans l’État en question. Pour ce faire, il faut tenir compte de la nature de la profession exercée, du but de l’absence du pays d’origine, de la situation familiale et de l’intention de l’intéressé de retourner au lieu où il était précédemment employé, démontrée par l’ensemble des circonstances (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1 ; 133 V 137 consid. 7.2 ; 131 V 222 consid. 7.4). Sur la base de l’art. 11 par. 1 lit. b du Règl. n° 987/2009, la situation de vie de la personne concernée peut également être prise en compte.

Comme l’a relevé à juste titre le tribunal cantonal, la définition de la résidence en droit communautaire correspond, pour l’essentiel, à celle du droit interne (ATF 148 V 209 consid. 4.3). En effet, selon l’art. 13 al. 2 LPGA, une personne a sa résidence habituelle (« propria dimora abituale » ; « gewöhnlicher Aufenthalt ») au lieu où elle vit pendant une période prolongée, même si la durée du séjour est d’emblée limitée. Il s’agit d’une notion créée par la jurisprudence fédérale (cf. ATF 119 V 98 consid. 6c) et propre au droit des assurances sociales. Selon une jurisprudence constante, la résidence habituelle au sens de la disposition précitée suppose donc un séjour effectif en Suisse et l’intention de le maintenir pendant un certain temps, même si la durée du séjour est d’emblée limitée ; en outre, le centre des relations de la personne doit se trouver en Suisse (ATF 141 V 530 consid. 5.3 ; 119 V 98 consid. 6c ; 112 V 164 consid. 1a). Ainsi, du point de vue du droit interne également, le domicile au sens de la résidence habituelle se situe là où se trouve le centre de vie de la personne concernée.

Consid. 5.4
L’assuré, sauf de manière générale, ne démontre pas le caractère insoutenable des constatations de l’instance cantonale. Dans la mesure où il se concentre notamment sur l’appréciation de la cour cantonale au regard des faits de la cause et du but allégué de son séjour en Suisse, il ne démontre pas leur caractère manifestement infondé, mais se contente d’opposer abusivement son opinion à celle des juges cantonaux. En tout état de cause, le raisonnement du tribunal cantonal est convaincant. Les circonstances factuelles évoquées par l’assuré ne suffisent pas à remettre en cause le raisonnement de la cour cantonale.

En effet, les considérants détaillés de la décision attaquée montrent que la cour cantonale a apprécié tous les éléments pertinents pour l’établissement des faits et a examiné de manière approfondie les griefs de l’assuré. Plus précisément, la cour cantonale a relevé que l’absence d’enregistrement AIRE ne prouve pas en soi l’absence de résidence à l’étranger et que la possibilité pour l’assuré d’un renouvellement illimité des permis UE/AELE de type L ne saurait raisonnablement prouver, au vu de tous les autres éléments du dossier, qu’il n’avait pas l’intention de résider durablement en Suisse. D’ailleurs, il est resté en Suisse malgré les blessures qu’il a subies. Même le fait qu’il ait acheté un bien immobilier en Italie ne semble pas déterminant pour admettre le retour de l’assuré dans son pays d’origine, puisque le bail de l’appartement en Suisse est toujours en cours. L’instance cantonale a ensuite pris acte du refus de l’assuré de déclarer le moment du prétendu déménagement en Italie et de produire les documents fiscaux italiens pour les années 2019-2020 et l’éventuelle résiliation du bail de l’appartement en Suisse. Par conséquent, pour la cour cantonale, des éléments plus concrets étaient nécessaires pour conclure à un déménagement en Italie. On ne saurait donc admettre que la cour cantonale ait déterminé le domicile de l’assuré par une interprétation insoutenable et en contradiction flagrante avec les documents de la cause.

Consid. 5.5
A cet égard, l’assuré semble oublier qu’en matière d’assurances sociales, la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération (ATF 144 III 264 consid. 5.2). Le juge fonde sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références).

En l’espèce, il est plus vraisemblable que le centre des relations personnelles de l’assuré se trouvait dans le canton des Grisons, où il a travaillé et vécu pendant des années et bénéficié de prestations sociales qui, selon la loi, exigent une résidence effective en Suisse, et non en Italie, où il semble n’avoir fait qu’acquérir un bien immobilier. En outre, le refus de l’assuré de déclarer au tribunal cantonal la date de son prétendu déménagement en Italie est également révélateur. A cet égard, après avoir dûment analysé les éléments de preuve, en particulier le dossier relatif aux prestations de l’assurance-chômage en Suisse, les documents bancaires et les documents relatifs à la location en Suisse, la cour cantonale a estimé, conformément au droit fédéral, que les circonstances invoquées par l’assuré n’étaient pas suffisantes pour établir une résidence habituelle en Italie. Il s’ensuit que les critiques de l’assuré ne sont pas fondées à cet égard. La cour cantonale n’ayant pas constaté arbitrairement la résidence de l’assuré en Suisse, c’est donc à juste titre qu’elle a considéré que le recours déposé était tardif (art. 39 al. 1 et 60 LPGA ; cf. arrêt de renvoi 8C_307/2021 du 25 août 2021 consid. 4).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_631/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/8c_631/2022)

 

4A_556/2022 (d) du 04.04.2023 – Respect de l’envoi du recours dans les délais – 143 al. 1 CPC / Dépôt d’un envoi A-Plus, affranchi par WebStamp, au guichet de la Poste suisse après l’heure limite de dépôt

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_556/2022 (d) du 04.04.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Respect de l’envoi du recours dans les délais / 143 al. 1 CPC

Dépôt d’un envoi A-Plus, affranchi par WebStamp, au guichet de la Poste suisse après l’heure limite de dépôt – Droit d’être entendu – Preuve de l’envoi le dernier jour du délai

 

Procédure cantonale

Recourant, qui n’était pas représenté par un avocat, a fait appel d’une décision auprès du Obergericht du canton de Schaffhouse.

La cour cantonale n’est pas entrée en matière sur le recours. Elle a considéré que le délai de recours de 30 jours n’avait pas été respecté. Le délai a commencé à courir le 24 août 2022 et a expiré le 22 septembre 2022. L’enveloppe contenant l’acte de recours est affranchie avec un « WebStamp » et ne porte pas de cachet postal. Il ressort du suivi de l’envoi que celui-ci est arrivé le samedi 24 septembre 2022 dans la boîte postale du Tribunal cantonal. Étant donné qu’un envoi en courrier A Plus est généralement distribué le jour ouvrable suivant, il faut partir du principe que le recourant a remis le recours à la Poste suisse le vendredi 23 septembre 2022. Il n’a ni fait valoir ni prouvé une remise antérieure à la poste dans le délai de recours.

 

TF

Consid. 2.1
Selon l’art. 143 al. 1 CPC, les actes doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai soit au tribunal soit à l’attention de ce dernier, à la poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse. Le critère décisif pour qu’un acte écrit soit déposé dans les délais n’est donc pas l’arrivée de la requête au tribunal le dernier jour du délai (principe dit de réception), mais sa remise à la Poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (principe dit d’expédition ; arrêt 5A_536/2018 du 21 septembre 2018 consid. 3.2 ; message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse [CPC], BBI 2006 7221, p. 7308 ch. 5.9.3 [ndt : pour la version française : FF 2006 6841, p. 6919] ; cf. ATF 145 V 90 consid. 6.1.1 sur la LPGA).

Le délai peut être utilisé jusqu’à la dernière minute du jour. Toutefois, il incombe à l’expéditeur de prouver qu’il a déposé sa demande dans les temps. Il lui incombe donc de prouver qu’il a remis sa requête à la poste avant 24 heures le dernier jour du délai en cours. La preuve est en général apportée par le cachet de la poste (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 ; 142 V 389 consid. 2.2 ; arrêts 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2 ; 5A_972/2018 du 5 février 2019 consid. 4.1). Dans la mesure où le dépôt à la poste a lieu après la fermeture des guichets et qu’il est donc évident que le cachet de réception sera à une date ultérieure, l’expéditeur doit, sur la base de la présomption selon laquelle la date du cachet correspond à celle de la remise, prendre des dispositions appropriées en matière de preuve pour affirmer qu’il a déposé l’envoi dans une boîte aux lettres la veille de l’apposition du cachet ou même avant, afin de renverser la présomption (arrêts 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2 ; 5A_503/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un avocat doit être conscient du risque que son courrier ne soit pas oblitéré le jour même s’il ne le dépose pas au guichet de la poste, mais le dépose dans une boîte aux lettres après la fermeture du guichet. Si un avocat crée une telle incertitude procédurale quant au respect du délai, il doit offrir spontanément (« unaufgefordert ») et avant l’expiration du délai de recours des moyens de preuve pour affirmer le respect du délai, par exemple en mentionnant sur l’enveloppe que l’envoi postal a été déposé dans une boîte aux lettres peu avant l’expiration du délai en présence de témoins (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 et les références ; arrêts 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2 et les références ; 5A_185/2022 du 21 décembre 2022 consid. 6 et les références ; 5A_965/2020 du 11 janvier 2021 consid. 4.2.3 et les références ; 5A_503/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4.1 et les références).

Consid. 2.2
L’instance inférieure s’est référée à cette jurisprudence dans la décision attaquée.

Le recourant n’a toutefois pas déposé son acte de recours dans une boîte aux lettres après la fermeture des guichets, créant ainsi une incertitude procédurale. Au contraire, il a incontestablement déposé son acte de recours auprès de la Poste sous la forme d’un envoi A-Post-Plus. Avec cette méthode d’envoi, la lettre est munie d’un numéro comme pour une lettre recommandée et expédiée en courrier A. L’envoi est enregistré électroniquement par la Poste et il peut ensuite être suivi grâce au système de recherche «Track & Trace» mis à disposition par la Poste (ATF 144 IV 57 consid..3.1 ; 142 III 599 consid. 2.2). Comme pour une lettre recommandée, la preuve de la remise à temps de l’envoi postal peut donc être facilement apportée ultérieurement dans le cas d’une lettre A-Post Plus (arrêt 1C_581/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2.3 ; Tano Barth, Le Courrier A Plus, Anwaltsrevue 2019, p. 127 ss ch. 7). Dans ce sens, la Poste vante également le fait que le courrier A-Post-Plus représente la possibilité de suivre le déroulement du processus d’expédition « de l’envoi postal à la distribution » (Factsheet de la Poste Suisse sur A-Post-Plus, disponible sur https://www.post.ch/de/briefe-versenden/briefe-schweiz/a-post-plus).

La remise du recours par le recourant en tant qu’envoi A-Post-Plus se distingue donc fondamentalement de la constellation dans laquelle un avocat dépose son courrier dans une boîte aux lettres après la fermeture des guichets. Si la Poste accepte une requête d’une partie en tant qu’envoi en courrier A-Plus, la partie n’a aucune raison de douter de la ponctualité de la remise de l’envoi par la Poste Suisse et de faire des allégations spontanées sur la ponctualité de la requête et d’offrir des moyens de preuve à cet effet (cf. concernant la remise d’un envoi au guichet des clients commerciaux de la Poste pendant les heures d’ouverture, récemment arrêt 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 4.2). Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de décider si une partie non représentée par un avocat – comme le recourant dans la procédure de première instance – pouvait exiger une telle chose (question laissée ouverte dans l’arrêt 5A_965/2020 du 11 janvier 2021 consid. 4.3).

Consid. 2.3.1
L’instance inférieure et l’intimée invoquent le fait que le plaignant a remis l’envoi à la Poste après « l’heure limite de dépôt publiée publiquement », créant ainsi une incertitude.

Il n’est pas nécessaire de clarifier la date exacte de l’«heure limite de dépôt publiée» de l’office de poste dans le cas concret, car cela n’a aucune importance. Avec ce que l’on appelle l’heure limite de réception, la Poste règle la date jusqu’à laquelle certains envois doivent lui être remis pour qu’elle puisse distribuer l’envoi au destinataire dans le cadre de son offre de prestations. Elle règle par exemple la date jusqu’à laquelle un envoi doit parvenir à la Poste pour qu’il soit distribué le jour ouvrable suivant (cf. arrêt 8C_237/2017 du 4 octobre 2017 consid. 5.2.1 sur la pratique irritante [«irritierenden Praxis»] de l’«antidatage» par la Poste). Cette heure limite de réception interne de la Poste n’est pas pertinente pour déterminer si une requête a été remise à temps à la Poste suisse au sens de l’art. 143 CPC. Le seul élément déterminant est que l’envoi a été remis à la poste suisse le dernier jour du délai (consid. 2.1 supra). La partie n’a pas à s’intéresser de la question de savoir si la Poste peut distribuer à temps l’envoi qui a été déposé après l’heure limite de dépôt, conformément à son offre de prestations, car c’est le principe de l’expédition qui s’applique (à ce sujet, consid. 2.1 supra).

L’heure limite de dépôt ne modifie pas non plus les exigences procédurales décrites ci-dessus à l’égard d’une partie : si la Poste accepte (après l’heure limite de dépôt) l’envoi au guichet postal en tant qu’envoi A-Post-Plus, la partie n’a pas à douter de la remise en temps voulu de la requête en mains de la Poste. Elle ne doit pas non plus, dans ce cas, formuler spontanément des affirmations sur la ponctualité de la remise et proposer des moyens de preuve à cet effet.

Consid. 2.3.2
L’instance inférieure mentionne dans la procédure de consultation que le recourant a utilisé la solution d’affranchissement en ligne «WebStamp» sans indication de date et qu’il a ainsi sciemment accepté une incertitude quant à la ponctualité.

Cet argument est également infondé, car le recourant n’a pas simplement affranchi sa requête avec un «WebStamp» sans date, mais il a déposé son courrier à la poste en tant qu’envoi A-Post-Plus. Dans cette situation, il n’a pas créé d’incertitude procédurale et n’a pas eu à douter de la ponctualité du dépôt postal.

Consid. 2.3.3
Ainsi, le requérant n’était pas tenu de présenter spontanément, avant l’expiration du délai de recours, des allégations et des moyens de preuve attestant que son recours avait été introduit en temps utile.

Consid. 2.4
Selon les faits sur lesquels l’instance précédente a fondé sa décision de non-entrée en matière, la requête du recourant était arrivée le samedi 24 septembre 2022 dans la case postale de la Cour cantonale. L’instance inférieure s’est appuyée pour cela sur les indications du suivi des envois de la Poste. Contrairement à la promesse de la Poste (consid. 2.2 supra), ce suivi n’indiquait que le moment de la distribution, et non celui du dépôt. L’enveloppe ne portait pas de timbre postal avec la date, l’envoi ayant été affranchi avec un «WebStamp» sans indication de la date. Aucune date ne figure non plus sur l’autocollant de suivi de l’envoi A-Post Plus. L’instance inférieure ne disposait donc d’aucun indice concret sur le moment où le recourant a déposé l’acte de recours.

Si le dossier ne contient aucune indication sur le moment du dépôt postal et que l’acte de recours parvient à l’instance cantonale seulement deux jours après l’expiration du délai, comme c’est le cas en l’espèce, celle-ci ne peut pas se contenter de faire des suppositions sur le moment du dépôt en se basant sur la date de réception et de ne pas entrer en matière sur le recours sur cette base. Le droit d’être entendu au sens de l’art. 29 al. 2 Cst. garantit au recourant que, dans une telle situation, l’autorité le consulte afin qu’il puisse s’exprimer sur la date de dépôt de la requête et présenter d’éventuels moyens de preuve (cf. ATF 139 III 364 consid. 3.2.3 ; 115 Ia 8 consid. 2c ; arrêts 5A_185/2022 du 21 décembre 2022 consid. 6 ; 5A_28/2015 du 22 mai 2015 consid. 3.1.1). Cela garantit que le recourant puisse s’acquitter de son obligation d’alléguer et de prouver qu’il a déposé sa requête dans les délais (considérant 2.1).

Le grief de la violation du droit d’être entendu s’avère fondé.

 

Le TF admet le recours.

 

 

Arrêt 4A_556/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 4A_556/2022 (d) du 04.04.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/4a_556-2022)

 

5A_178/2022 (f) du 04.07.2023 – Nul ne peut se prévaloir de son ignorance d’une norme publiée au Recueil officiel

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_178/2022 (f) du 04.07.2023

 

Consultable ici

 

Nul ne peut se prévaloir de son ignorance d’une norme publiée au Recueil officiel

 

TF

Consid. 3.3.1
La méconnaissance du droit, soit en l’occurrence de la nécessité d’intenter une action en désaveu pour rompre le lien de filiation et des limitations dans le temps pour agir, ne fait pas obstacle à l’écoulement des délais de péremption selon l’art. 256c al. 1 CC et ne constitue pas, en tant que telle, un motif de restitution au sens de l’art. 256c al. 3 CC: nul n’est en effet censé ignorer une loi publiée au recueil officiel. La prise en considération de cette ignorance irait d’ailleurs à l’encontre du but poursuivi par la réglementation des délais, qui est de servir la sécurité juridique, l’enfant ne devant plus être exposé à une remise en discussion du lien de filiation paternel après une certaine période (arrêt 5A_240/2011 du 6 juillet 2011 consid. 6.5, in FamPra.ch 2011 p. 1002; cf. aussi arrêt 5A_210/2016 du 3 juin 2016 consid. 2.2; SCHWENZER/COTTIER, in Commentaire bâlois, 7e éd. 2022, n° 6 ad art. 256c CC; TUOR/SCHNYDER/JUNGO, op. cit., loc. cit. p. 424). Il n’est ainsi pas décisif que le mari ait ou non connaissance de la présomption de paternité de l’art. 255 CC et du fait que cette présomption ne peut être écartée que par le moyen d’une action en désaveu (STETTLER, Le droit suisse de la filiation, TDPS, III/II/2, § 11 p. 191). En l’occurrence, il importe donc peu que le mari n’ait pas ouvert les courriers de l’avocat de l’épouse, qui mentionnaient l’existence et les conséquences de dite présomption, ni même que ce mandataire ait tenté de l’informer de sa paternité juridique. Si des raisons psychologiques peuvent faire obstacle, dans certaines circonstances, à la formation ou à l’exécution de la décision d’agir en justice, tel n’est pas le cas ici, le mari s’étant borné à invoquer, comme cause de son retard, son ignorance de la situation sur le plan juridique, ce qui ne constitue pas en soi un juste motif au sens de l’art. 256c al. 3 CC.

 

 

Arrêt 5A_178/2022 consultable ici

 

9C_155/2023 (f) du 19.06.2023 – Recours irrecevable – Conclusions « aberrantes » – Pas d’intérêt juridiquement protégé pour les justiciables à obtenir l’avis des tribunaux sur des questions théoriques

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_155/2023 (f) du 19.06.2023

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité extraordinaire

Recours irrecevable – Conclusions « aberrantes » (porter le taux d’invalidité de 75% à 80%)

Pas d’intérêt juridiquement protégé pour les justiciables à obtenir l’avis des tribunaux sur des questions théoriques

Publication des arrêts du Tribunal fédéral – Principe de la transparence / 27 LTF – 59 RTF

 

Assurée, née en 1975, présente une atteinte à la santé depuis l’âge de 17 ans. Elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 21.12.2020. Par décision du 11.04.2022, l’office AI lui a octroyé une rente extraordinaire de l’assurance-invalidité dès le 01.06.2021, en fonction d’un degré d’invalidité de 75%.

 

Procédure cantonale

L’assurée a interjeté recours contre cette décision, demandant notamment à ce qu’il soit répondu à ses questions et à ce que son degré d’invalidité soit porté à 80%.

Statuant le 04.01.2023, le Tribunal cantonal a déclaré le recours irrecevable. Il a rappelé tout d’abord que le droit à une rente entière de l’assurance-invalidité existait à partir d’un degré d’invalidité de 70%, de sorte que l’intéressée n’avait aucun intérêt digne de protection à contester le degré d’invalidité fixé à 75%. De plus, sauf à desservir totalement ses intérêts, l’intéressée ne disposait également d’aucun intérêt actuel digne de protection à se voir accorder une rente ordinaire de l’assurance-invalidité (d’un montant mensuel de 1’195 fr.) en lieu et place d’une rente extraordinaire (d’un montant mensuel de 1’593 fr.).

 

TF

Consid. 6.2
Destinataire de l’arrêt attaqué refusant d’entrer en matière pour des motifs de procédure sur son recours cantonal, la recourante a en principe un intérêt digne de protection à en demander l’annulation, cela indépendamment et sans préjudice du motif d’irrecevabilité retenu par l’autorité précédente, qui constitue l’objet de la contestation devant le Tribunal fédéral (ATF 145 II 168 consid. 2 et les références). En vertu de l’art. 42 al. 1 et 2 LTF, la partie recourante doit cependant motiver son recours en exposant succinctement en quoi la décision attaquée viole le droit. En particulier, la motivation doit se rapporter à l’objet du litige tel qu’il est circonscrit par la décision litigieuse (ATF 133 IV 119 consid. 6.4). Lorsque le recours cantonal a été déclaré irrecevable, les motifs développés dans le mémoire de recours devant le Tribunal fédéral doivent porter exclusivement sur la question de la recevabilité traitée par l’instance précédente à l’exclusion du fond du litige (ATF 144 II 184 consid. 1.1; 135 II 145 consid. 3.1). Les griefs de violation des droits fondamentaux sont en outre soumis à des exigences de motivation accrues au sens de l’art. 106 al. 2 LTF, la partie recourante devant alors citer les principes constitutionnels qui n’auraient pas été respectés et expliquer de manière claire et précise en quoi ces principes auraient été violés (ATF 146 I 62 consid. 3).

 

Consid. 6.3
En l’occurrence, comme l’a rappelé la juridiction cantonale, l’office AI a déjà alloué à la recourante une rente extraordinaire de l’assurance-invalidité, qui s’élève selon la loi à 133 1/3% du montant minimum de la rente ordinaire complète correspondante (art. 40 al. 3 LAI). Aussi, en demandant à la juridiction cantonale de porter son taux d’invalidité de 75% à 80%, soit dans les deux cas un degré d’invalidité déjà supérieur au seuil de 70% ouvrant droit à une rente entière (art. 28b al. 3 LAI), la recourante a pris des conclusions que la doctrine qualifie d’ « aberrantes » (voir p. ex. GRÉGORY BOVET, Commentaire de la LTF, 3 e éd. 2022, n° 41 ad art. 76 LTF), car elles ne correspondent nullement à un intérêt personnel juridiquement protégé ou digne de protection. En outre, la loi ne confère pas un intérêt juridiquement protégé pour les justiciables à obtenir l’avis des tribunaux sur des questions théoriques et qui ne sont pour ce motif pas déterminantes pour l’issue d’un litige. De plus, en l’absence d’éléments précis indiquant une date d’adoption prochaine de nouvelles prescriptions fixant un seuil plus élevé que celui de 70% pour l’octroi d’une rente entière de l’assurance-invalidité, il n’appartient pas non plus aux tribunaux de tenir compte des craintes de la recourante quant à d’éventuelles futures modifications législatives pour fonder sa qualité pour recourir (ATF 129 II 497 consid. 5.3.3). Aussi, en se limitant à répéter devant le Tribunal fédéral son insatisfaction de ne pas trouver dans l’arrêt attaqué une réponse à la question de savoir pourquoi son degré d’invalidité a été fixé par l’office AI à 75%, et non pas à 80%, la recourante n’expose pas de manière conforme aux exigences d’un recours devant le Tribunal fédéral (art. 42 al. 2 LTF) les éléments propres à établir la recevabilité de son recours devant le Tribunal fédéral.

 

Consid. 8
La recourante demande enfin que le présent arrêt ne soit pas publié, ce qui ne saurait être agréé. La publication des arrêts est conforme à la loi, qui prescrit – selon le principe de la transparence – que tous les arrêts du Tribunal fédéral sont publiés et ce sans exception (art. 27 LTF et 59 al. 1 let. b du règlement du 20 novembre 2006 du Tribunal fédéral [RTF]; arrêt 5A_354/2018 du 21 septembre 2018 consid. 2.1 et les références).

La protection des données et de la personnalité limite toutefois le contenu de la publication: l’art. 27 al. 2 LTF prévoit dans cette optique que les décisions sont « en principe » publiées sous forme anonyme.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_155/2023 consultable ici

 

9C_601/2022 (f) du 06.06.2023 – Absence de mise en œuvre des débats publics sollicités – 6 par. 1 CEDH / Interpellation du recourant en cas de doute

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_601/2022 (f) du 06.06.2023

 

Consultable ici

 

Absence de mise en œuvre des débats publics sollicités / 6 par. 1 CEDH

Interpellation du recourant en cas de doute

 

Par décision du 08.04.2021, l’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité pour les périodes du 01.07.2017 au 31.03.2018, puis du 01.06.2018 au 31.05.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 181/21 – 355/2022 – consultable ici)

Dans son recours, l’assurée a conclu principalement au versement d’une rente entière d’invalidité postérieurement au 31.03.2018, subsidiairement au renvoi de la cause à l’office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants. Elle a sollicité la mise en œuvre de débats publics. Le recours a été rejeté par arrêt du 24.11.2022.

 

TF

Consid. 2.1
Dans un grief d’ordre formel, l’assurée se plaint d’une violation de l’art. 6 par. 1 CEDH, en tant que son droit à la tenue de débats publics aurait été violé. L’assurée fait à cet égard grief à la juridiction cantonale de n’avoir pas mis en œuvre des débats publics qu’elle avait clairement sollicités dans son recours du 11 mai 2021. Elle se réfère à l’arrêt 9C_349/2022 du 22 novembre 2022.

Consid. 2.2
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a rappelé que l’art. 6 par. 1 CEDH donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil – comme c’est le cas en l’espèce (ATF 122 V 47 consid. 2a) -, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. La tenue de débats publics doit, sauf circonstances exceptionnelles, avoir lieu devant les instances judiciaires précédant le Tribunal fédéral. Il appartient à ce titre au recourant, sous peine de forclusion, de présenter une demande formulée de manière claire et indiscutable. Saisi d’une telle demande, le juge doit en principe y donner suite. Il peut cependant s’en abstenir dans les cas prévus par l’art. 6 par. 1, deuxième phrase, CEDH, lorsque la demande est abusive, chicanière, ou dilatoire, lorsqu’il apparaît clairement que le recours est infondé, irrecevable ou, au contraire, manifestement bien fondé ou encore lorsque l’objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 141 I 97 consid. 5.1; 136 I 279 consid. 1; 134 I 331 consid. 2.3; 122 V 47 précité consid. 3b). Enfin, la publicité des débats implique le droit pour le justiciable de plaider sa cause lui-même ou par l’intermédiaire de son mandataire (arrêt 8C_136/2018 du 20 novembre 2018 consid. 4.2 et les arrêts cités). En cas de doute sur la nature de la demande, il appartient au tribunal saisi d’interpeller la partie requérante (ATF 127 I 44 consid. 2e/bb; arrêt 8C_221/2020 du 2 juillet 2020 consid. 3.2 et la référence).

Consid. 2.3
En l’espèce,
la demande de tenue d’une audience publique au sens de la CEDH a été formulée en temps utile par l’assurée dans son recours cantonal. Bien que la dernière phrase de la motivation y relative figurant en p. 4 du recours cantonal « III. Moyens de preuve et audience publique » paraisse tronquée, la demande ne pouvait pas être rejetée au motif que l’assurée avait demandé la tenue d’une audience publique sans en préciser le but et sans invoquer l’art. 6 par. 1 CEDH et la jurisprudence y relative (cf. consid. 15 de l’arrêt attaqué, p. 22). En effet, la demande tendait non seulement à l’administration de preuves (la production complète du dossier de l’office AI intimé ainsi que la mise en œuvre d’expertises médicale et ergothérapeutique), mais aussi à « la mise en œuvre de débats publics, afin que les juges puissent se rendre compte de l’importance de ». Ainsi que la juridiction cantonale le relève à juste titre dans sa détermination du 28.04.2023, en se référant à l’arrêt 9C_349/2022 précité, il lui appartenait en pareilles circonstances d’interpeller l’assurée pour connaître la nature exacte de sa demande, ce qu’elle a omis de faire. Il est évident par ailleurs qu’aucune des exceptions au principe de la publicité mentionnée à l’art. 6 par. 1 CEDH n’est réalisée.

Consid. 2.4
En définitive, en l’absence d’un motif qui s’opposait d’emblée à la tenue d’une audience publique en instance cantonale et compte tenu de la demande de l’assurée, que celle-ci invoque avoir formulé pour plaider sa cause par l’intermédiaire de son conseil, il y a lieu d’admettre que la procédure cantonale est entachée d’un vice de procédure qui entraîne d’emblée l’annulation de l’arrêt entrepris, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 134 I 331 consid. 3.1).

Consid. 3
Compte tenu de ce qui précède, la cause doit être renvoyée à la juridiction cantonale afin qu’elle donne suite à la requête de débats publics conformément à ce qui précède et statue à nouveau.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_601/2022 consultable ici

 

8C_643/2022 (f) du 07.06.2023 – Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global – 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA / Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_643/2022 (f) du 07.06.2023

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

 

Assuré, né en 1964, directeur d’une société anonyme, a été victime d’un accident le 23.11.2011 : alors qu’il roulait au volant de sa voiture, il est entré en collision avec un camion militaire venant en sens inverse. Polytraumatisé, il a notamment subi de nombreuses fractures du visage et des membres inférieurs.

Dans le cadre de l’instruction médicale, l’assurance-accidents a confié une expertise pluridisciplinaire à un centre d’expertise médicale, qui a rendu son rapport le 05.02.2015. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a – entre autres – a reconnu le droit de l’assuré à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) fondée sur un taux de 40%. Admission du recours par le tribunal cantonal (arrêt du 27.06.2019). Par arrêt du 06.07.2020 (8C_554/2019), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours formé par l’assurance-accidents contre l’arrêt du 27.06.2019 et a renvoyé l’affaire à la juridiction cantonale pour qu’elle ordonne une expertise judiciaire. Ce renvoi était motivé par le fait qu’il existait des doutes concernant le bien-fondé du rapport d’expertise du centre d’expertise, notamment par rapport à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/20 ap. TF – 122/2022 – consultable ici)

Expertise judiciaire qui a été confiée à Hôpital C.___.

Par jugement du 29.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, portant le taux d’IPAI globale à 60%.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_580/2022 du 31 mars 2023 consid. 4.1.1 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA). L’indemnité totale ne peut dépasser le montant maximum du gain annuel assuré (art. 36 al. 3, deuxième phrase, OLAA). Il sera équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible (art. 36 al. 4 OLAA).

Consid. 4.1
En l’espèce, la cour cantonale a d’abord constaté que le rapport du 11 juillet 2022 de l’expertise judiciaire qu’elle avait confiée à l’Hôpital C.___ ensuite de l’arrêt 8C_554/2019 pouvait se voir conférer pleine valeur probante. Sur ces éléments, elle a constaté que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité globale s’élevait, « comme déjà estimée par le centre d’expertise médicale », à un taux de 60%, mais pour des motifs différents, à savoir: sur le plan orthopédique, un taux de 10% pour chaque genou et de 15% pour le coude gauche, soit un taux arithmétique total de 35% (10% + 10% + 15%) pour l’ensemble des atteintes à la santé sur cet axe; sur le plan ophtalmique, un taux de 10% lié à la diplopie binoculaire au regard vers le haut, dès 15°, sur limitation de l’œil gauche et de 5% liée à la sécheresse oculaire, soit un taux arithmétique total de 15% (10% + 5%) pour les deux affections oculaires; sur le plan esthétique, un taux de 10% pour l’hypoglobie, l’affaissement de la pommette gauche ainsi que l’asymétrie de la fente palpébrale, « en l’absence de débat y relatif »; sur le plan ORL, un taux de 0% en raison de l’absence de séquelles de cet ordre.

 

Consid. 4.3
On rappellera d’abord que dans son arrêt du 06.07.2020, le Tribunal fédéral a considéré qu’il existait des indices concrets qui permettaient de douter du bien-fondé de l’expertise du centre d’expertise, notamment en ce qui concernait l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité. Les experts avaient évalué chaque atteinte séparément (affections oculaires 5%; dommages esthétiques 10%; arthrose modérée genou droit 10%; arthrose modérée genou gauche 10%; arthrose avancée huméro-cubitale coude gauche mais pronosupination pas touchée 15%; syndrome d’apnée obstructive du sommeil 5%), sans tenir compte des aggravations prévisibles qui avaient été estimées par les experts à 25% pour le coude et à 30% pour chacun des genoux. En se fondant sur ces chiffres, le Tribunal fédéral a retenu que le taux total qui en résulterait serait de 115% et dépasserait donc le seuil légal de 100%, raison pour laquelle la cour cantonale ne pouvait pas se fonder sur les conclusions émanant des experts du centre d’expertise (arrêt 8C_554/2019 du 6 juillet 2020 consid. 3.6 et 4).

Malgré cette injonction, la cour cantonale a adressé aux experts judiciaires un questionnaire dans lequel elle indiquait les taux et les atteintes précédemment évalués par les experts du centre d’expertise médicale et leur demandait s’ils pouvaient confirmer ces taux. Cette manière de poser les questions conduit cependant à influencer les experts dans leurs réponses. Par ailleurs, les juges cantonaux semblent avoir déterminé le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en mélangeant les réponses données dans le rapport d’expertise du centre d’expertise médicale avec celles ressortant de l’expertise judiciaire, alors même que le rapport du centre d’expertise médicale avait été qualifié de non probant. Quoi qu’il en soit, l’assurance-accidents a également adressé ses questions aux experts judiciaires, en formulant les questions de manière neutre et ouverte. Aussi, c’est sur cette base qu’il convient de déterminer l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.4
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être évaluée sur la base des éléments suivants:

Sur le plan orthopédique, le spécialiste en orthopédie a indiqué que les atteintes des deux genoux et du coude gauche étaient graves et définitives; il a évalué le taux à 10% pour chaque genou et à 15% pour le coude gauche selon le tableau 5 de la CNA (atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses), en précisant que le taux arithmétique était de 35%, respectivement de 30% après pondération.

Sur le plan ophtalmologique, le spécialiste en neurologie, chef de clinique en neuro-ophtalmologie, et le spécialiste FMH en ophtalmologie ont retenu une indemnité pour atteinte à l’intégrité globale de 15%, se composant d’un taux de 10% pour la diplopie binoculaire sur limitation de l’élévation de l’oeil gauche et d’un taux de 5% pour la sécheresse oculaire, en précisant que cette dernière était probablement liée à une atteinte antérieure, qui avait très probablement été aggravée par l’accident.

Sur le plan otorhinolaryngologique, le spécialiste en ORL n’a pas retenu d’atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.5
Au vu de ces appréciations médicales, il y a lieu de constater avec l’assurance-accidents que sur le plan esthétique, aucune atteinte à l’intégrité n’a été retenue par les experts judiciaires et que sur le plan orthopédique, ceux-ci ont retenu un taux pondéré de 30%. En additionnant ainsi les taux de 30% (sur le plan orthopédique) et de 15% (sur le plan ophtalmologique), le taux global de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité s’élève à 45% (cf. arrêt U 23/87 du 6 avril 1989 consid. 3f, publié in RAMA 1989 U 78 p. 357). On rappellera aussi que selon l’art. 36 al. 3 OLAA, en cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est fixée d’après l’ensemble du dommage. En pratique, il est recommandé d’évaluer d’abord chaque dommage séparément et ensuite de procéder à une évaluation globale des atteintes (cf. THOMAS FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, thèse Fribourg 1998, p. 45). Même si en l’occurrence, une appréciation globale des atteintes à l’intégrité n’a pas été effectuée dans le cadre de l’évaluation consensuelle de l’expertise, le taux de 45% qu’on obtient en additionnant les taux individuels apparaît néanmoins équitable, dès lors que les atteintes concernent différentes parties du corps, qui n’ont pas d’influence les unes sur les autres (cf. FREI, loc. cit.).

Consid. 4.6
Au vu de ce qui précède, l’intimé a droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 45%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_643/2022 consultable ici

 

8C_656/2022 (f) du 05.06.2023 – Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) – Choix de la table IPAI du ressort du médecin et non du juge – 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA / Juge assureur (médecin) au tribunal cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_656/2022 (f) du 05.06.2023

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) – Choix de la table IPAI du ressort du médecin et non du juge / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Juge assureur (médecin) au tribunal cantonal – Double fonction des membres spécialisés des tribunaux cantonaux des assurances sociales (juges et experts) – Juge spécialisé ne remplace pas le recours à un expert indépendant

 

Assuré, né en 1983, travaillait comme aide jardinier. Le 28.08.2018, il a été coupé aux doigts de la main gauche par un taille-haie avec une perte subtotale de la 3e phalange de l’index et une lésion partielle du tendon fléchisseur profond du majeur. Opération le jour même : amputation distale au niveau de la houppe phalangienne de l’index. Séjour en réadaptation du 04.12.2018 au 15.01.2019 où a été diagnostiqué un syndrome douloureux régional complexe (SDRC).

L’assurance-accidents a soumis le cas à la Dre E.___, médecin-conseil, qui a indiqué, dans son appréciation du 29.06.2020, que l’état de santé était stabilisé sur le plan médical et que l’assuré pouvait travailler à 100% sans diminution de rendement dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. Dans une appréciation séparée du même jour, cette praticienne a évalué le taux d’atteinte à l’intégrité à 6%, en appliquant par analogie la table 3 (relative aux atteintes résultant de la perte d’un ou plusieurs segments des membres supérieurs) élaborée par la Division médicale de la CNA pour l’indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA (Révision 2000).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l’intégrité au taux de 6%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 139/21 – 126/2022 – consultable ici)

Par jugement du 05.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour complément d’instruction au sens des considérants – précisant dans ceux-ci que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait être évaluée sur la base de la table 1 des tables d’indemnité – et nouvelle décision.

 

TF

Consid. 1.1
L’arrêt attaqué admet partiellement le recours de l’assuré. Il confirme la décision sur opposition litigieuse en ce qui concerne la négation du droit à la rente et renvoie la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle complète l’instruction et statue à nouveau sur le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Sur ce dernier point, l’arrêt entrepris constitue une décision incidente au sens de l’art. 93 LTF car il ne met pas fin à la procédure. Une telle décision incidente peut être déférée au Tribunal fédéral sans attendre le prononcé du jugement final lorsque l’assureur social est contraint de rendre une décision qu’il estime contraire au droit et qu’il ne pourra lui-même pas attaquer (cf. ATF 141 V 330 consid. 1.2; 134 II 124 consid. 1.3; 133 V 477 consid. 5.2.4). Cette éventualité est ici réalisée. L’arrêt cantonal a un effet contraignant pour l’assurance-accidents en ce sens qu’elle doit rendre une nouvelle décision sur l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en étant liée par le choix de la table décidé par les juges cantonaux, et qu’elle ne peut pas elle-même attaquer cette décision. Il convient par conséquent d’entrer en matière.

Consid. 1.2
Pour le surplus, le recours est dirigé contre un arrêt rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans la forme et le délai prévus par la loi (art. 42 et 100 LTF). Il est donc recevable.

 

Consid. 3.2
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité vise à compenser le préjudice immatériel (douleurs, souffrances, diminution de la joie de vivre, limitation des jouissances offertes par l’existence etc.) qui perdure au-delà de la phase du traitement médical et dont il y a lieu d’admettre qu’il subsistera la vie durant (ATF 133 V 224 consid. 5.1 et les références). Elle se caractérise par le fait qu’elle est exclusivement fixée en fonction de facteurs médicaux objectifs, valables pour tous les assurés, et sans égard à des considérations d’ordre subjectif ou personnel (JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd. 2016, n° 311). En cela, elle se distingue de l’indemnité pour tort moral du droit civil, qui procède de l’estimation individuelle d’un dommage immatériel au regard des circonstances particulières du cas. Cela signifie que pour tous les assurés présentant un status médical identique, l’atteinte à l’intégrité est la même (115 V 137 consid. 1; arrêts 8C_106/2021 du 9 mars 2021 consid. 3; 8C_703/2008 du 25 septembre 2009 consid. 5.1 et les références).

Consid. 3.3
Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b; 124 V 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). La Division médicale de la CNA a établi des tables d’indemnisation en vue d’une évaluation plus affinée de certaines atteintes (Indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA). Ces tables n’ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Toutefois, dans la mesure où il s’agit de valeurs indicatives, destinées à assurer autant que faire se peut l’égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l’annexe 3 à l’OLAA (ATF 124 V 209 consid. 4a/cc; 116 V 156 consid. 3a; arrêt 8C_198/2020 du 28 septembre 2020 consid. 3.1).

Consid. 3.4
L’atteinte à l’intégrité au sens de l’art. 24 al. 1 LAA consiste généralement en un déficit corporel (anatomique ou fonctionnel) mental ou psychique. La gravité de l’atteinte, dont dépend le montant de l’indemnité, se détermine uniquement d’après les constatations médicales. L’évaluation incombe donc avant tout aux médecins qui doivent, d’une part, constater objectivement quelles limitations subit l’assuré et, d’autre part, estimer l’atteinte à l’intégrité en résultant (arrêt 8C_703/2008 du 25 septembre 2009 consid. 5.2 et les références; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., n° 317).

Dans le cadre de l’examen du droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité, il appartient par conséquent au médecin – qui dispose des connaissances spécifiques nécessaires – de procéder aux constatations médicales; telle n’est pas la tâche de l’assureur ou du juge, qui se limitent à faire une appréciation des indications données par le médecin. Le fait que l’administration et le juge doivent s’en tenir aux constatations médicales du médecin ne change rien au fait que l’évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité – en tant que fondement du droit aux prestations légales – est en fin de compte l’affaire de l’administration ou, en cas de litige, du juge, et non celle du médecin. En contrepartie, l’autorité d’application du droit doit à cet égard respecter certaines limites, dans la mesure où des connaissances médicales – dont elle ne dispose pas – revêtent une importance déterminante pour l’évaluation du droit aux prestations. Si, au terme d’une libre appréciation des preuves, elle arrive à la conclusion que les constatations médicales ne sont pas concluantes, il lui appartient en règle générale d’ordonner un complément d’instruction sur le plan médical. Il n’est en revanche pas admissible que le tribunal ne tienne pas compte des éléments pertinents et qu’il fasse prévaloir d’autres considérations sur les constats médicaux (arrêt 8C_68/2021 du 6 mai 2021 consid. 4.3 et les références).

 

Consid. 4.1
Dans sa décision sur opposition, l’assurance-accidents s’était appuyée principalement sur les appréciations médicales de son médecin-conseil, la Dre E.___. Aux termes de son appréciation du 29.06.2020, cette praticienne a notamment relevé que subjectivement, l’assuré déclarait d’importantes douleurs, mentionnant ne rien pouvoir faire avec sa main gauche. Objectivement, la Dre E.___ constatait une absence d’amyotrophie du membre supérieur gauche et aucun signe objectif d’un SDRC encore actif. Elle observait par contre un col de cygne marqué au niveau du 3e doigt et nettement moins prononcé au niveau des 2e et 4e doigts. La force était nettement diminuée au test de Jamar. Toutefois, il existait d’importantes autolimitations au cours de l’examen, de même que des tremblements induits et des discordances. Sur le plan médical, l’état de santé était stabilisé. La Dre E.___ retenait les limitations fonctionnelles suivantes: activités s’exerçant essentiellement avec la main droite chez cet assuré droitier, la main gauche pouvant uniquement servir d’aide mais ne pouvant pas effectuer d’activités manuelles; pas d’activités au froid mais une activité s’exerçant à l’intérieur. Dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, l’assuré pouvait travailler à 100% sans diminution de rendement. Dans l’ancienne activité et dans toutes les activités bimanuelles, la capacité de travail était nulle. Dans une appréciation séparée du même jour, la Dre E.___ a évalué le taux d’atteinte à l’intégrité à 6%. Elle a exposé que dans la table 1 des atteintes à l’intégrité résultant de troubles fonctionnels des membres supérieurs, il n’y avait aucune atteinte des doigts qui correspondait à un taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Cela étant, par analogie, et au vu du manque de mobilité du 3e doigt, elle a considéré que l’assuré présentait des séquelles correspondant à l’image 10 de la table 3 (Révision 2000), à savoir une amputation du 3e doigt, ce qui conduisait à retenir une atteinte à 6%.

Dans son rapport du 06.09.2021, la Dre E.___ a confirmé son appréciation après avoir pris position sur les rapports médicaux présentés par l’assuré, notamment ceux qui concernaient l’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Elle se distanciait de l’avis du docteur C.___, qui retenait que l’assuré présentait des séquelles correspondant à un taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité de 20% selon la table 3 et la position 32, parce que cela correspondait à une amputation des doigts II, III et IV; quant à l’estimation de l’atteinte à l’intégrité de 50% des docteurs F.___ et G.___ du Centre d’antalgie de l’Hôpital D.___, qui suivaient l’assuré depuis le 20.11.2019, elle correspondait à une amputation totale de tout le membre supérieur au niveau de l’épaule. La Dre E.___ ne pouvait ainsi pas se rallier à ces conclusions très divergentes qui ne reposaient pas sur les constatations cliniques objectives mais se basaient essentiellement sur les plaintes subjectives de l’assuré, lequel mentionnait ne plus pouvoir rien faire avec son bras gauche; or cela n’était objectivement pas possible, puisqu’il ne présentait pas d’amyotrophie de son membre supérieur.

Consid. 4.2
La cour cantonale a considéré que la Dre E.___ avait elle-même retenu dans ses appréciations que l’assuré pouvait utiliser sa main gauche comme aide mais n’était pas apte à effectuer d’activité manuelle avec celle-ci. Force était donc de constater qu’il présentait une atteinte fonctionnelle du membre supérieur gauche. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait par conséquent être évaluée sur la base de la table 1, relative à l’atteinte à l’intégrité résultant de troubles fonctionnels des membres supérieurs. Ainsi, les juges cantonaux ont admis le recours sur ce point et ont renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité sur la base de la table 1.

Consid. 4.3
L’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir violé le droit fédéral en procédant de leur propre chef au choix de la table d’indemnisation à appliquer, singulièrement en considérant que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait être évaluée en regard d’une atteinte fonctionnelle du membre supérieur gauche. Ce faisant, ils se seraient prononcés sur une évaluation incombant aux médecins. L’évaluation de l’atteinte à l’intégrité étant une question purement médicale, les juges cantonaux n’auraient pas pu décider librement de la table d’indemnisation à appliquer.

 

Consid. 4.4.1
A l’instar de l’assurance-accidents, il sied de souligner d’abord que la juridiction cantonale s’est référée elle-même aux appréciations médicales de la médecin-conseil, sans remettre en cause ses constatations médicales objectives.

Consid. 4.4.2
En ce qui concerne les appréciations de l’atteinte à l’intégrité divergentes des médecins traitants, il appert qu’aucun de ces praticiens ne fait référence à la table 1 d’indemnisation. Ainsi, le docteur C.___ a expliqué que les différentes tables d’indemnisation des atteintes à l’intégrité ne montrent pas de handicap correspondant exactement à cette situation. On peut néanmoins apparenter cette situation à une amputation partielle de la main gauche. Considérant la table 3 (Révision 2000) de la CNA, relative à l’atteinte à l’intégrité résultant de la perte d’un ou de plusieurs segments des membres supérieurs, la position 32 pourrait, par analogie correspondre au préjudice, c’est-à-dire à 20%. Les docteurs F.___ et G.___ se sont, quant à eux, prononcés dans le sens d’une amputation totale de tout le membre supérieur gauche en référence à l’annexe 3 à l’OLAA. Force est donc de constater que ces médecins ne se sont pas prononcés en regard d’une atteinte à l’intégrité résultant de troubles fonctionnels du membre supérieur (table 1), mais en regard d’une atteinte à l’intégrité résultant de la perte d’un ou de plusieurs segments des membres supérieurs, cela par analogie. Dès lors qu’aucun médecin n’a évalué l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en application de la table 1, les juges cantonaux ne pouvaient pas considérer que la table 1 devait s’appliquer en l’espèce, étant rappelé qu’il appartient au médecin d’évaluer l’atteinte à l’intégrité.

Il convient en outre de constater que, sur cette question essentiellement médicale, la cour cantonale s’est distancée de l’avis dûment motivé de la médecin-conseil, sans s’appuyer sur un autre avis médical au dossier. Par conséquent, aucun élément ne lui permettait de considérer que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait être évaluée en application de la table 1, d’autant moins que la perte fonctionnelle d’une main n’est pas rapportée dans cette table.

 

Consid. 4.4.3
Vu que la cour cantonale était composée de la Juge présidente et de deux assesseurs, dont un médecin, le docteur H.___, médecin spécialisé en chirurgie plastique et reconstructive, on rappellera qu’il est certes admissible qu’un tribunal s’appuie non seulement sur les connaissances juridiques des juges, mais aussi sur d’autres connaissances spécialisées disponibles au sein du tribunal, notamment celles des juges spécialisés. Toutefois, selon la jurisprudence, la double fonction des membres spécialisés des tribunaux cantonaux des assurances sociales en tant que juges et experts n’est pas sans poser problème et un juge spécialisé ne saurait remplacer le recours à un expert indépendant (cf. arrêt 8C_376/2019 du 6 novembre 2019 consid. 5.1 et les références). En l’occurrence, il ne ressort pas de l’arrêt attaqué si, dans quelle mesure et sur quels aspects l’assesseur H.___ l’aurait concrètement influencé. Quoi qu’il en soit, en procédant à son propre choix de la table d’indemnisation à appliquer, la cour cantonale a assumé une tâche ressortant expressément du domaine médical.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_656/2022 consultable ici

 

9C_7/2023 (f) du 31.05.2023 – Admissibilité d’une nouvelle demande d’assistance judiciaire – Reconsidération – 64 LTF / Conditions cumulatives de l’art. 64 al. 1 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_7/2023 (f) du 31.05.2023

 

Consultable ici

 

Admissibilité d’une nouvelle demande d’assistance judiciaire – Reconsidération / 64 LTF

Conditions cumulatives de l’art. 64 al. 1 LTF

 

Par décision du 18.11.2022, la Cour cantonale des assurances sociales a déclaré irrecevable, pour cause de tardiveté, le recours formé par l’assuré contre la décision d’une caisse de compensation (allocation pour impotent de l’AVS). Il a également rejeté la demande d’assistance judiciaire formée par l’intéressé.

Assuré forme un recours devant le Tribunal fédéral contre cette décision dont il demande l’annulation. L’acte est assorti d’une requête d’assistance judiciaire.

Par ordonnance du 15.03.2023, le Tribunal fédéral a rejeté la demande d’assistance judiciaire et imparti à l’intéressé un délai de 14 jours pour verser une avance de frais de 500 francs. Il a retenu que les griefs soulevés dans le recours ne semblaient pas de nature à mettre sérieusement en question la décision entreprise, de sorte que les conclusions prises paraissaient vouées à l’échec (au sens de l’art. 64 al. 1 LTF). La demande d’assistance judiciaire fut par conséquent rejetée, sans examen de la condition de l’indigence.

Le 19.04.2023, l’assuré a demandé derechef au Tribunal fédéral de lui accorder l’assistance judiciaire totale. A l’appui de son écriture, il a déposé différents documents concernant son statut d’apatride et sa situation financière. Le 27.04.2023, le Tribunal fédéral lui a imparti un délai non prolongeable au 08.05.2023 pour verser le montant de l’avance de frais.

Le 6 mai 2023, l’assuré a indiqué qu’il attendait une prise de position du Tribunal fédéral concernant notamment son droit à « l’exemption de caution judicatum solvi » (sic).

 

Consid. 3.1
La Constitution fédérale (art. 29 al. 3 Cst.) n’autorise pas inconditionnellement la partie qui a requis en vain l’assistance judiciaire à formuler une nouvelle demande. Sous l’angle constitutionnel, il suffit que la partie concernée soit en mesure de requérir une fois l’assistance judiciaire. Une deuxième demande d’assistance judiciaire fondée sur le même état de fait présente les caractéristiques d’une demande de reconsidération à l’examen de laquelle ni la loi ni la Constitution ne confèrent une prétention juridique (cf. arrêt 4A_410/2013 du 5 décembre 2013 consid. 3.2 et les références citées). Cette jurisprudence a été développée dans le domaine de la procédure civile. Elle est toutefois transposable mutatis mutandis dans la procédure régissant le recours en matière de droit public, dès lors que la loi sur le Tribunal fédéral ne confère, elle non plus, aucune prétention procédurale au réexamen du droit à l’assistance judiciaire par le Tribunal fédéral lorsque ce bénéfice a été refusé au requérant. Dans l’ATF 127 I 133, le Tribunal fédéral a reconnu un droit constitutionnel inconditionnel à la révision d’une telle décision lorsque le requérant se prévaut de faits importants ou de preuves dont il n’avait pas connaissance dans la procédure ayant mené au refus, qu’il lui aurait été impossible d’invoquer dans cette procédure pour des motifs juridiques ou pratiques ou encore qu’il n’avait alors pas de raison d’alléguer. Un droit à la reconsidération existe ainsi en présence de pseudo nova (cf. ATF 146 I 185 consid. 4.1; 136 II 177 consid. 2.1).

L’admissibilité d’une nouvelle demande d’assistance judiciaire fondée sur une situation modifiée résulte de la circonstance que la décision d’octroi ou de refus de l’assistance judiciaire, en tant que décision incidente, est dotée de l’autorité de chose jugée formelle mais non matérielle (arrêt 4A_482/2022 du 29 novembre 2022 consid. 3.3).

 

Consid. 3.2
En l’espèce, le recourant ne soutient pas que les circonstances du cas d’espèce se seraient modifiées depuis le rejet de sa demande d’assistance judiciaire le 15.03.2023. Il considère tout d’abord qu’il avait droit à l’assistance judiciaire indépendamment des chances de succès de son recours. Ce faisant, il méconnaît le fait que l’art. 64 al. 1 LTF énonce deux conditions cumulatives. Comme les conclusions du recours paraissaient vouées à l’échec, l’une des deux conditions cumulatives posées à l’art. 64 al. 1 LTF pour l’octroi du bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite n’était pas réalisée. Le recourant ne se prévalant d’aucun motif de reconsidération, dans la mesure où sa situation financière n’a joué aucun rôle dans le rejet de sa demande d’assistance judiciaire, il n’y a par conséquent pas lieu d’examiner les nouvelles pièces déposées concernant sa situation financière.

Le recourant fait ensuite valoir que le Tribunal fédéral a insuffisamment tenu compte de la gravité de ses atteintes à la santé et notamment de son âge lors de l’examen de sa demande d’assistance judiciaire. Ce faisant, il perd de vue que la demande de reconsidération n’a pas pour but de permettre à celui qui n’a pas suffisamment exposé les motifs de son recours de réparer sa négligence. Bien plutôt, la demande de reconsidération est soumise à la condition stricte que la personne en cause se prévale de faits importants ou de preuves dont il n’avait pas connaissance dans la procédure ayant mené au refus de l’assistance judiciaire, qu’il lui aurait été impossible d’invoquer dans cette procédure pour des motifs juridiques ou pratiques ou encore qu’il n’avait alors pas de raison d’alléguer. Les faits allégués ne répondent pas à ces conditions, le recourant se limitant à inviter le Tribunal fédéral à procéder à une nouvelle appréciation de sa situation sur la base de faits déjà connus.

A l’inverse de ce que croit le recourant, le Tribunal fédéral ne l’a enfin pas astreint au versement de sûretés en garantie de dépens pour une personne domiciliée à l’étranger (« cautio judicatum solvi »), mais a rejeté sa demande d’assistance judiciaire et lui a imparti un délai pour s’acquitter du montant de l’avance des frais de procédure présumés de la procédure de recours. Le recourant a donc bénéficié du même traitement que toute personne domiciliée en Suisse en ce qui concerne son accès au Tribunal fédéral et l’examen de sa demande d’assistance judiciaire. Sa situation d’apatride n’a joué aucun rôle dans l’examen de sa demande d’assistance judiciaire (cf. art. 16 par. 2 de la Convention du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides [RS 0.142.40]).

Consid. 3.3
Sur le vu de ce qui précède, le recourant ne se prévalant d’aucun motif de reconsidération, il y a lieu d’écarter la requête présentée en ce sens, les conditions permettant d’entrer en matière sur celle-ci n’étant pas réunies.

 

Consid. 4
L’intéressé n’ayant pas effectué l’avance de frais requise dans le délai supplémentaire imparti, nonobstant la mise en garde, son recours est manifestement irrecevable.

 

 

Arrêt 9C_7/2023 consultable ici

 

9C_533/2022 (f) du 10.02.2023 – Demande par le tribunal cantonal d’une procuration actualisée en faveur de l’avocat – Pas de formalisme excessif / 29 al. 1 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_533/2022 (f) du 10.02.2023

 

Consultable ici

 

Demande par le tribunal cantonal d’une procuration actualisée en faveur de l’avocat – Pas de formalisme excessif / 29 al. 1 Cst.

 

Le 25.08.2022, l’office AI n’est pas entré en matière sur la nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité déposée par l’assurée le 26.09.2019.

 

Procédure cantonale

Le 26.09.2022, l’avocat, déclarant agir pour l’assuré, a formé un recours contre cette décision devant le Tribunal administratif.

Par ordonnance du 27.09.2022, le juge instructeur du Tribunal administratif a constaté que le recours était accompagné d’une procuration datée du 22.11.2010 et a invité l’assuré à lui faire parvenir une nouvelle procuration actualisée et se référant au litige jusqu’au 11.10.2022. Il a attiré l’attention de l’intéressée que le recours serait déclaré irrecevable, sans réponse dans le délai imparti ou en cas de réponse ne satisfaisant pas aux exigences de l’art. 15 al. 1 et 3 de la loi bernoise du 23 mai 1989 sur la procédure et la juridiction administratives (LPJA/BE; RSB 155.21).

Statuant le 14.10.2022, le juge unique du Tribunal administratif a déclaré le recours irrecevable, au motif que la procuration requise n’avait pas été produite jusqu’alors.

 

TF

Le litige porte sur le point de savoir si le Tribunal administratif pouvait déclarer le recours irrecevable au motif que l’avocat qui déclarait agir au nom de l’assurée n’avait pas produit de procuration écrite actualisée dans le délai imparti à cet effet par la cour cantonale.

Consid. 4
Invoquant une violation du principe de l’interdiction du formalisme excessif (art. 29 al. 1 Cst.), l’assurée fait valoir que son avocat la défendait « depuis des années » et que l’office AI avait adressé et notifié la décision de première instance à son avocat directement. Comme le Tribunal administratif n’avait pas exigé une nouvelle procuration ou une procuration « actuelle », mais seulement une « procuration actualisée », elle soutient que l’autorité précédente ne doutait pas que son avocat agissait pour son compte. L’absence de procuration « actualisée » ne pouvait dès lors pas entraîner l’irrecevabilité du recours. Qui plus est, l’avance des frais de procédure avait été versée en temps utile.

Consid. 5.1
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 145 I 201 consid. 4.2.1 et les références). Selon la jurisprudence, commet un déni de justice formel et viole l’art. 29 al. 1 Cst. l’autorité qui n’entre pas en matière dans une cause qui lui est soumise dans les formes et délai prescrits, alors qu’elle devrait s’en saisir (ATF 142 II 154 consid. 4.2 et les références). Il peut en résulter une violation de la garantie de l’accès au juge ancrée à l’art. 29a Cst. Cette disposition donne en effet le droit d’accès à une autorité judiciaire exerçant un pouvoir d’examen complet sur les faits et le droit (arrêt 1C_515/2020 du 10 février 2021 consid. 2.1 et les références). Cette garantie ne s’oppose cependant pas aux conditions de recevabilité habituelles d’un recours ou d’une action (ATF 143 I 344 consid. 8.2 et les références). De manière générale, la seule application stricte des règles de forme n’est pas constitutive de formalisme excessif (arrêt 9C_354/2022 du 26 septembre 2022 consid. 3.1 et les références).

Consid. 5.2
De l’interdiction du formalisme excessif, la jurisprudence a déduit l’obligation pour l’autorité, en présence d’un mémoire signé d’un mandataire ne justifiant pas de ses pouvoirs, d’accorder un délai convenable pour réparer le vice; l’autorité ne saurait refuser d’emblée d’entrer en matière (ATF 104 Ia 403 consid. 4e; 94 I 523; 92 I 13 consid. 2; arrêts 2C_545/2021 du 10 août 2021 consid. 2.1; 1B_65/2021 du 12 mars 2021 consid. 3 et les références).

Le Tribunal fédéral considère en revanche qu’une autorité judiciaire ne tombe pas dans le formalisme excessif lorsqu’après avoir invité la partie recourante, par l’intermédiaire de son mandataire, à transmettre une procuration et l’avoir informée des conséquences du défaut de production sur l’issue de son recours, elle prononce une décision d’irrecevabilité (arrêts 2C_55/2014 du 6 juin 2014 consid. 5.3.1; 5A_812/2011 du 21 janvier 2013 consid. 3.2).

Consid. 5.3
En l’espèce, le juge instructeur du Tribunal administratif a avisé par écrit l’assurée le 27.09. 2022, par l’entremise de l’avocat qui avait formé recours à son nom, qu’il lui fallait déposer une procuration écrite actualisée d’ici au 11.10.2022, à défaut de quoi le recours serait déclaré irrecevable. Comme il le relève devant le Tribunal fédéral et à l’inverse de ce que soutient l’assurée, il pouvait requérir, s’il l’estimait nécessaire compte tenu de l’ancienneté de la procuration annexée au recours cantonal (datée du 22.11.2010), une telle procuration actualisée, sans pour autant que sa demande relève dans le cas présent du formalisme excessif (cf. arrêt 9C_793/2013 du 27 mars 2014 consid. 1.2 et les références). Le simple fait que l’avocat avait déjà produit un tel document devant cette autorité ne dispensait par ailleurs pas l’assurée de répondre à cette invitation expresse – conforme aux règles de la procédure cantonale (cf. art. 15 et 32 s. LPJA/BE) – dans le délai imparti (arrêt 1C_237/2019 du 17 mai 2019 consid. 2.2 et les références). Il n’appartient pas à la partie requise de ne pas obtempérer au motif que, de son point de vue, la requête serait trop formaliste parce que le pouvoir de représentation ne ferait pas de doute. Dans la mesure où l’assurée n’a pas donné suite à cette invitation, ni demandé une prolongation dudit délai, il y a lieu de considérer, sur le vu de la jurisprudence (consid. 5.2), que l’instance précédente n’a pas fait preuve de formalisme excessif en déclarant le recours irrecevable.

Quoi qu’en pense l’assurée, le fait qu’elle a payé à temps l’avance de frais ne permet enfin pas une autre appréciation. L’autorité précédente a en effet expressément exigé, par ordonnance du 27.09.2022, une procuration actualisée. Elle a ainsi clairement indiqué qu’elle n’accepterait pas d’autorisation de représentation implicite (à ce sujet, voir arrêt 5A_561/2016 du 22 septembre 2016 consid. 2). L’appréciation de l’autorité précédente ne prête par conséquent pas le flanc à la critique.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_533/2022 consultable ici

 

9C_239/2022 (f) du 14.09.2022 – Notification de la décision uniquement à l’assuré dûment représenté par un avocat / Notification irrégulière – 49 al. 3 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_239/2022 (f) du 14.09.2022

 

Consultable ici

 

Notification de la décision uniquement à l’assuré dûment représenté par un avocat

Protection des parties garantie lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité / 49 al. 3 LPGA

 

Assuré, né en 1964, a déposé une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité le 23.12.2019. Le 28.06.2021, il a annoncé à l’office AI qu’il était représenté par un avocat, mandataire auprès de qui il a élu domicile. Par décision du 14.01.2022, adressée directement à l’assuré, l’office AI a nié le droit de l’intéressé à une rente de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 22.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
En instance fédérale, compte tenu des motifs et des conclusions du recours, il s’agit de savoir si la notification irrégulière de la décision du 14.01.2022 a entraîné un préjudice pour l’intéressé, ce qui devrait selon lui conduire à l’annulation du prononcé litigieux.

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a constaté que l’office AI avait à tort notifié la décision du 14.01.2022 directement à l’assuré, alors qu’il avait valablement élu domicile en l’étude de son conseil. La notification irrégulière n’avait cependant pas empêché l’avocat de l’assuré de déposer un recours le 09.02.2022, soit environ une semaine avant l’échéance du délai de recours. Une copie de la décision du 14.01.2022 avait par ailleurs été annexée au recours cantonal. Aussi, comme l’assuré, par son avocat, s’était limité à invoquer un vice de forme, sans exposer de motifs contre le rejet de sa demande de prestations de l’assurance-invalidité, il n’y avait pas lieu d’examiner d’autres questions. En l’absence de toute argumentation sur le fond, le recours devait être rejeté et la décision du 14.01.2022 confirmée.

Consid. 4.2
Invoquant une violation des art. 37 et 49 al. 3 LPGA, en lien avec son droit d’être entendu et une appréciation arbitraire des preuves, l’assuré reproche à la juridiction cantonale d’avoir retenu que la notification de la décision du 14.01.2022 avait atteint son but malgré la notification irrégulière. Il soutient qu’il n’avait pas à subir le « raccourcissement » du délai de recours ensuite de la notification irrégulière.

Consid. 5.1
L’art. 49 al. 3 LPGA, à teneur duquel la notification irrégulière d’une décision ne doit entraîner aucun préjudice pour l’intéressé, consacre un principe général du droit qui concrétise la protection constitutionnelle de la bonne foi et les garanties conférées par l’art. 29 al. 1 et 2 Cst. (cf. ATF 145 IV 259 consid. 1.4.4; 144 II 401 consid. 3.1 et les références).

Cependant, la jurisprudence n’attache pas nécessairement la nullité à l’existence de vices dans la notification: la protection des parties est suffisamment garantie lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité (arrêts 2C_1010/2020 du 26 février 2021 consid. 4.3; 8C_130/2014 du 22 janvier 2015 consid. 2.3.2 publié in SJ 2015 I 293). Il y a lieu d’examiner, d’après les circonstances du cas concret, si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l’irrégularité de la notification et a, de ce fait, subi un préjudice. Il convient à cet égard de s’en tenir aux règles de la bonne foi qui imposent une limite à l’invocation du vice de forme (ATF 122 I 97 consid. 3a/aa; arrêt 9C_863/2013 du 9 mai 2014 consid. 3.2). En vertu de ce principe, l’intéressé est tenu de se renseigner sur l’existence et le contenu de la décision dès qu’il peut en soupçonner l’existence, sous peine de se voir opposer l’irrecevabilité d’un éventuel moyen pour cause de tardiveté (ATF 139 IV 228 consid. 1.3 et les références).

Dans l’hypothèse particulière où la partie représentée par un avocat reçoit seule l’acte, il lui appartient de se renseigner auprès de son mandataire de la suite donnée à son affaire, au plus tard le dernier jour du délai de recours depuis la notification (irrégulière) de la décision litigieuse; le délai de recours lui-même court dès cette date (arrêts 9C_266/2020 du 24 novembre 2020 consid. 2.3; 2C_1021/2018 du 26 juillet 2019 consid. 4.2 et les références).

Consid. 5.2
En l’espèce, l’ancien mandataire de l’assuré a pu prendre connaissance de la décision du 14.01.2022 et interjeter un recours contre celle-ci, moyen que l’autorité cantonale a jugé recevable quant au délai à respecter. Il est donc manifeste que la protection juridique recherchée par les règles sur la notification d’une décision et le contenu de celle-ci a été atteinte malgré les vices dénoncés. Quoi qu’il en dise – en invoquant le dommage subi en raison du refus de prestations de l’assurance-invalidité -, l’assuré ne subit pas de préjudice en raison de l’irrégularité de la notification en question. Au demeurant, on peut attendre d’un avocat qu’il connaisse la jurisprudence selon laquelle le délai de recours court dès la connaissance par le mandataire de la décision irrégulièrement notifiée à la partie directement (ce qui peut conduire cas échéant à déposer valablement un recours plus de 30 jours après la notification irrégulière). Les arrêts auxquels l’assuré fait référence le rappellent du reste expressément (ATF 99 V 177 consid. 3; arrêt 9C_529/2013 du 2 décembre 2013 consid. 4; arrêt de la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 14 mai 2019 consid. 1, RJN 2019 p. 662). Enfin, l’assuré ne prétend pas, du moins pas d’une manière conforme aux exigences de motivation (art. 42 al. 2 LTF), qu’il était formaliste à l’excès de retenir qu’il avait choisi de limiter ses griefs en instance cantonale au seul vice de notification. La juridiction cantonale n’a ainsi, pas violé le droit d’être entendu de l’assuré en traitant le seul point invoqué.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_239/2022 consultable ici