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8C_622/2023 (f) du 27.05.2024 – Révision d’une décision entrée en force – Droit aux indemnités chômage / Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_622/2023 (f) du 27.05.2024

 

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Révision d’une décision entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Existence d’un domicile en Suisse – Droit aux indemnités chômage

Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

 

L’assurée a notamment bénéficié d’un délai-cadre d’indemnisation de chômage du 01.07.2020 au 30.11.2022. A la suite d’une dénonciation, l’Office cantonal genevois de l’emploi (ci-après: OCE) a demandé une enquête sur le domicile de la prénommée au bureau des enquêtes de l’Office cantonal genevois de la population et des migrations (ci-après: OCPM). Il ressort d’un rapport d’aide administrative interdépartementale établi le 01.06.2022 que l’assurée ne résidait pas à la rue B.__ à Genève, mais à U.__ en France.

Par décision du 03.06.2022, adressée par pli recommandé, l’OCE a nié à l’assurée son droit à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’avait pas de domicile dans le canton de Genève, à tout le moins depuis cette date. Cette décision n’ayant pas été retirée dans le délai de garde postal, l’OCE l’a renvoyée à l’assurée le 20.06.2022, par courrier simple, en précisant que le « délai de recours » avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde.

Le 20.07.2022, l’assurée, assistée d’un avocat, a informé l’OCE n’avoir eu connaissance de la décision du 03.06.2022 que par le biais du pli simple du 20.06.2022. Elle a expliqué ne plus habiter à la rue B.__ depuis le 05.06.2022 et ne pas avoir été en mesure de prendre connaissance de la décision dans le délai de garde postal. Niant être domiciliée en France, elle a réclamé l’annulation de la décision par reconsidération ou révision. Par décision du 22.08.2022, l’OCE a refusé d’entrer en matière sur la demande de l’assurée. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une contestation.

Le 27.09.2022, l’assurée a formulé une nouvelle demande de reconsidération, s’appuyant sur une décision de l’OCE du 22.09.2022 reconnaissant son domicile à Genève du 03.04.2017 au 02.04.2019, ainsi que sur des attestations de tiers concernant son domicile après le 05.06.2022. Cette demande a été rejetée le 01.12.2022.

Parallèlement, l’OCPM a d’abord conclu à l’absence de domicile en Suisse de l’assurée depuis le 06.02.2020, avant d’annuler cette décision le 02.03.2023, reconnaissant finalement son domicile en Suisse sur la base des éléments fournis dans le cadre de la procédure avec l’OCE.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/632/2023 – consultable ici)

Par jugement du 23.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Il convient de définir l’objet du litige, plusieurs décisions ayant été rendues par l’OCE concernant la situation de l’assurée. L’arrêt attaqué porte sur la contestation par l’assurée de la décision du 01.12.2022 rejetant la demande de reconsidération et révision formée le 27.09.2022. Cette demande visait à obtenir la révision, respectivement la reconsidération de la décision de l’OCE du 03.06.2022 niant le droit de l’assurée à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’était pas domiciliée dans le canton de Genève. Le présent litige porte dès lors sur la réalisation des conditions d’une révision de cette dernière décision au moment du dépôt de la demande du 27.09.2022. Le recours est dès lors irrecevable en tant qu’il conclut au constat d’un domicile à Genève dès le 01.07.2020 et à la reconnaissance du droit à l’indemnité de chômage à partir de cette date.

Consid. 4.1
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant. Aussi, par analogie avec la révision des décisions rendues par les autorités judiciaires, l’administration est tenue de procéder à la révision (dite procédurale) d’une décision formellement passée en force lorsque sont découverts des faits nouveaux importants ou de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits avant et qui sont susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 148 V 277 consid. 4.3 et la référence).

Sont « nouveaux », au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence. En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de la décision dont la révision est demandée et conduire à une solution différente en fonction d’une appréciation juridique correcte. Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants, qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers (arrêt 8C_778/2021 du 1 er juillet 2022 consid. 3.2 et 3.3 et les arrêts cités).

 

Consid. 4.2
La cour cantonale a considéré que la décision sur opposition rendue par l’OCE le 22.09.2022 et la décision rendue par l’OPCM le 02.03.2023 ne constituaient pas des nouveaux moyens de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Ces décisions se fondaient sur des témoignages qui auraient pu être présentés en temps utile par l’assurée dans le cadre d’un recours contre la décision de l’OCE du 03.06.2022. Celui-ci avait considéré à tort que cette décision avait été valablement notifiée à l’échéance du délai de garde de son pli recommandé, car la fiction de la notification ne s’appliquait pas lorsque comme en l’espèce, la destinataire ne faisait l’objet d’aucune procédure. La décision du 03.06.2022 avait donc été notifiée par pli simple du 20.06.2022. L’assurée ne pouvait toutefois pas se prévaloir du principe de la bonne foi, car son conseil aurait pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement contenu dans ce courrier. Dès lors, l’assurée aurait dû former une opposition à la décision du 03.06.2022, et non une demande de révision ou reconsidération. Dans la mesure où cette demande avait été formée dans le délai d’opposition, l’assurée aurait encore pu contester dans le délai de 30 jours la décision de l’OCE du 22.08.2022, quand bien même cette décision ne mentionnait pas la possibilité de la contester.

Consid. 4.3 [résumé]
L’assurée soutient que la décision sur opposition de l’OCE du 22.09.2022 constitue un nouveau moyen de preuve avec des faits nouveaux, car elle est postérieure aux décisions précédentes et démontre son domicile à Genève depuis 2016, sauf pour une courte période en 2022. Elle invoque également la décision de l’OCPM du 02.03.2023 qui annule une précédente décision niant son domicile en Suisse, en se basant sur la décision de l’OCE du 22.09.2022 et les documents fournis. L’assurée argue que ces éléments remettent en question le rapport d’enquête administrative de l’OCPM du 01.06.2022 sur lequel l’OCE s’était appuyé.

Consid. 4.4
Il convient de déterminer si les faits dont l’assurée se prévaut, soit l’existence d’un domicile genevois, peuvent constituer des faits nouveaux ouvrant la voie à une révision de la décision du 03.06.2022. L’assurée ne conteste pas que les décisions des 22.09.2022 et 02.03.2023 reposent sur des témoignages qui auraient pu être présentés lors de la procédure contre la décision du 03.06.2022. Les preuves qu’elle tente d’introduire sont des attestations de témoins de juillet et août 2022, relatives à son domicile, utilisées dans la procédure ayant conduit à la décision du 22.09.2022. Les juges cantonaux ont correctement conclu que l’assurée aurait pu présenter ces preuves lors de la procédure d’opposition ou de recours contre la décision du 03.06.2022. Par conséquent, les conditions pour une révision selon l’art. 53 al. 1 LPGA ne sont pas remplies, et le grief de violation de cette disposition doit être rejeté.

Consid. 5 [résumé]
L’assurée allègue une violation de l’interdiction de l’arbitraire et du principe de la bonne foi, arguant que l’arrêt est arbitraire dans sa motivation et son résultat, la décision de l’OCE du 03.06.2022 étant selon elle erronée. Cet argument se confond avec celui précédemment examiné (cf. consid. 4 supra) concernant les conditions de révision, et n’a donc pas plus de portée. Il en va de même du grief tiré d’une prétendue nullité de la décision du 03.06.2022, l’assurée n’exposant pas sur quelle base légales fonde une quelconque cause de nullité.

L’assurée soutient également que la cour cantonale aurait dû analyser les pièces produites sous l’angle de la reconsidération, arguant que le refus de l’OCE de reconsidérer sa décision constituerait un abus de droit et une violation de l’interdiction de l’arbitraire. Le fondement de l’argumentation de l’assurée est nébuleux. Comme l’assurée le reconnaît elle-même, aucune voie de recours n’existe contre un refus de reconsidération (cf. ATF 133 V 50 consid. 4). Les juges cantonaux n’étaient donc pas tenus d’examiner ce refus, et ce grief est rejeté.

 

Consid. 8.1
A titre subsidiaire, l’assurée soutient que les juges cantonaux auraient dû admettre que son courrier du 20.07.2022 adressé à l’OCE était une opposition et qu’à défaut, ils auraient violé l’art. 52 al. 1 et 2 LPGA. On déduit de son argumentation qu’en réalité, l’assurée se plaint que l’OCE n’ait pas interprété le courrier litigieux, qui requérait la reconsidération et la révision de la décision précitée, comme une opposition. Elle se plaint en conséquence d’un formalisme excessif de la part de l’OCE.

Consid. 8.2
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 145 I 201 consid. 4.2.1; 142 IV 299 consid. 1.3.2).

Les formes procédurales sont nécessaires à la mise en œuvre des voies de droit pour assurer le déroulement de la procédure conformément au principe de l’égalité de traitement, ainsi que pour garantir l’application du droit matériel; toutes les exigences formelles ne se trouvent donc pas en contradiction avec la prohibition du formalisme excessif découlant de l’art. 29 al. 1 Cst. (ATF 142 V 152 consid. 4.2; arrêts 4A_254/2023 du 12 juin 2023 consid. 5.4; 5A_18/2018 du 16 mars 2018 consid. 3.3.1). En outre, selon la jurisprudence, l’avocat est non seulement représentant mais encore collaborateur de la justice, de sorte que le juge est en droit d’admettre qu’il agit en pleine connaissance de cause: l’avocat est présumé capable, en raison de sa formation particulière, de représenter utilement la partie; il se justifie dès lors de se montrer plus rigoureux en présence de ses procédés qu’en présence d’un plaideur ignorant du droit (ATF 113 Ia 84 consid. 3d; arrêt 2C_511/2012 du 15 janvier 2013 consid. 7.2).

Consid. 8.3
Il convient de rappeler que l’assurée n’a pas retiré durant le délai de garde postal la décision rendue le 03.06.2022. L’OCE l’a lui a renvoyée par pli simple du 20.06.2022, en indiquant que le délai d’opposition avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde postal. Dans son acte du 20.07.2022, rédigé par son conseil, l’assurée a requis l’annulation de la décision de l’OCE du 03.06.2022 par reconsidération ou révision, et n’a pas formulé d’opposition. Il n’est pas contesté que la décision précitée n’était alors pas entrée en force, le délai d’opposition n’ayant débuté qu’après réception du second envoi.

Consid. 8.4
L’assurée expose s’être fondée sur les indications erronées fournies par l’OCE dans son envoi du 20.06.2022, ce dont on ne devrait pas lui tenir rigueur dans la mesure où son conseil aurait été constitué en urgence, soit le 18.07.2022 et donc deux jours à peine avant l’échéance pour agir contre la décision du 03.06.2022. Elle évoque pour le reste que son acte du 20.07.2022 pouvait être considéré comme une opposition, répondant aux conditions de forme et de fond nécessaires.

Consid. 8.5
Il est manifeste en l’espèce que le conseil de l’assurée pouvait, et devait, se rendre compte que la décision du 03.06.2022 n’avait pas été notifiée à l’échéance du délai de garde postal. La jurisprudence y relative (cf. ATF 146 IV 30 consid. 1.1.2 in fine; 139 IV 228 consid. 1.1) est en effet constante et doit être connue de tout conseil professionnel. En outre, le délai d’opposition n’étant pas échu au moment de sa constitution, le conseil devait procéder par cette voie et non requérir la révision ou la reconsidération de la décision litigieuse. Pour le reste, les conclusions de l’acte du 20.07.2022 sont claires et se limitent à requérir la reconsidération ou la révision de la décision du 03.06.2022. L’OCE – et la cour cantonale – n’a donc commis aucun arbitraire en s’en tenant à ce que l’assurée demandait. L’assurée omet au surplus de prendre en compte que sa requête de reconsidération et de révision du 20.07.2022 a fait l’objet d’une décision rendue le 22.08.2022 par l’OCE, contre laquelle elle n’a pas recouru. Si elle entendait faire valoir que sa requête constituait une opposition, c’est dans le cadre d’un tel recours qu’elle aurait dû agir en ce sens. Son grief s’avère mal fondé.

 

Consid. 9
Au vu de ce qui précède, le recours, manifestement mal fondé, doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. L’assurée, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d’emblée dénué de chances de succès et la requête d’assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. L’assurée doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_622/2023 consultable ici

 

8C_188/2023 (f) du 31.05.2024 – Révision d’une décision sur opposition entrée en force – 53 al. 1 LPGA / Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_188/2023 (f) du 31.05.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision sur opposition entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

 

Le 01.05.2018, l’assuré a conclu un contrat à durée déterminée avec B.__ SA pour un poste de maçon. Le 28.05.2018, il a été victime d’un accident professionnel en chutant d’un échafaudage.

Un désaccord est survenu concernant sa fonction exacte :

  • Le 19.11.2018, un certificat de travail le désignait comme chef d’équipe.
  • Le 15.10.2020, l’employeur a déclaré à l’assurance-accidents que l’assuré était maçon avec quelques responsabilités supplémentaires. Il a précisé que durant l’engagement, il avait été convenu que l’assuré aurait un peu plus de responsabilités afin d’acquérir de l’expérience en tant que chef d’équipe ; toutefois, au vu de sa courte période de travail et compte tenu du peu d’expérience accumulée, il n’était pas possible de qualifier l’assuré en tant que chef d’équipe.
  • L’assuré a maintenu avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe.

Par décision du 23.11.2020, elle lui a nié le droit à une rente, au motif que le taux d’invalidité était inférieur au degré d’invalidité minimum de 10%.

Le 06.01.2021, l’assuré a formé opposition contre la décision, affirmant avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, ce qui influait sur son salaire, les indemnités journalières et le calcul de la rente d’invalidité.

Le 22.02.2021, l’assuré a affirmé à l’assurance-accidents avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, contredisant la déclaration de B.__ SA du 15.10.2020. Il a fourni des documents appuyant sa position, dont des rapports de travail le désignant comme chef de chantier. Le 10.03.2021, via un syndicat, il a demandé à son ancien employeur de rectifier sa déclaration et de lui verser la différence de salaire, invoquant également un certificat et une attestation de travail confirmant sa fonction de chef d’équipe. Le même jour, il a sollicité une réanalyse de sa situation auprès de l’assurance-accidents.

Par décision sur opposition du 12.03.2021, l’assurance-accidents a confirmé sa décision du 23.11.2020.

Le 25.03.2021, le conseil de la société a répondu au courrier de l’assuré du 10.03.2021 en maintenant sa position quant à sa fonction de maçon. Il a ajouté que le certificat de travail du 19.11.2018 et l’attestation de travail du 02.12.2020 avaient été rédigés à la requête de l’assuré, sans que la société n’ait été informée de leur but.

Non contestée, la décision sur opposition du 12.03.2021 est entrée en force.

Le 11.11.2021, l’assuré a déposé une demande de révision de la décision du 23.11.2020 et de la décision sur opposition du 12.03.2021. Il a expliqué qu’à l’occasion d’une audience de conciliation, tenue le 26.10.2021 dans la procédure civile initiée à l’encontre de son ancien employeur, celui-ci avait reconnu que l’assuré travaillait en qualité de chef d’équipe, acceptant de ce fait de lui payer la différence de salaire correspondante et de corriger son certificat de travail. Ces éléments avaient été consignés dans une convention qui valait jugement définitif et constituait donc un fait ou un moyen de preuve nouveau. Par décision du 16.12.2021 confirmée le 25.05.2022, l’assurance-accidents a refusé d’entrer en matière sur la demande de révision.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/22 – 19/2023 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont estimé que le statut de chef d’équipe de l’assuré n’était pas un fait nouveau au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Cependant, ils ont considéré que la convention conclue entre l’assuré et son ancien employeur, ayant valeur de jugement définitif, constituait un nouveau moyen de preuve important. Cette convention, établie après la décision sur opposition du 12.03.2021, attestait de la fonction de chef d’équipe de l’assuré et du salaire correspondant, éléments que l’assuré n’avait pas pu prouver auparavant.

Le tribunal cantonal a jugé que ce nouveau moyen de preuve était susceptible d’influencer significativement la décision de l’assurance-accidents concernant le montant des indemnités journalières et le droit à la rente d’invalidité. La convention ne servait pas à réévaluer un fait connu, mais à établir un fait objectif définitif. Par conséquent, le tribunal a conclu qu’il s’agissait bien d’un nouveau moyen de preuve selon l’art. 53 al. 1 LPGA.

Par jugement du 15.02.2023, admission du recours interjeté par l’assuré, toujours représenté par le syndicat, et renvoi de la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient pas être produits auparavant.

Consid. 3.1
Sont « nouveaux » au sens de cette disposition les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus de la personne requérant la révision, malgré toute sa diligence (ATF 134 III 669 consid. 2.2 et les références). En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 144 V 245 consid. 5.2; 143 III 272 consid. 2.2; 134 IV 48 consid. 1.2).

Consid. 3.2
Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment de la personne qui requiert la révision de la décision. Si les nouveaux moyens de preuve sont destinés à prouver des faits allégués antérieurement, le requérant doit aussi démontrer qu’il ne pouvait pas les invoquer dans la procédure précédente. Une preuve est considérée comme concluante lorsqu’il faut admettre qu’elle aurait conduit le juge à statuer autrement s’il en avait eu connaissance dans la procédure principale. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers. Il n’y a ainsi pas motif à révision du seul fait que l’administration ou le tribunal paraît avoir mal interprété des faits connus déjà lors de la décision principale. L’appréciation inexacte doit être, bien plutôt, la conséquence de l’ignorance ou de l’absence de preuve de faits essentiels pour la décision (ATF 144 V 245 consid. 5.3; 127 V 353 consid. 5b).

Consid. 3.3
Comme condition supplémentaire à la révision au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, il faut que les faits ou moyens de preuve n’aient pas été connus de la personne requérant la révision ou de l’assureur social qui entend réviser sa décision, malgré toute sa diligence. Il appartient au requérant qui se fonde sur un nouveau moyen de preuve destiné à prouver des faits allégués antérieurement dans la procédure précédente de démontrer qu’il ne pouvait pas invoquer ce moyen précédemment. Il doit pouvoir se prévaloir d’une excuse valable pour justifier le fait que le moyen en cause n’a pas été invoqué en temps utile. En effet, la révision ne doit pas servir à réparer une omission qui aurait pu être évitée par un requérant diligent. En cela, elle est un moyen subsidiaire par rapport aux voies de droit ordinaires. On appréciera la diligence requise avec moins de sévérité en ce qui concerne l’ignorance des faits, dont la découverte est souvent due au hasard, que l’insuffisance des preuves au sujet de faits connus, la partie ayant le devoir de tout mettre en œuvre pour prouver ceux-ci dans la procédure principale (MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 54 ad art. 53 LPGA; THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar ATSG, 2020, n° 26 ad art. 53 LPGA; arrêts 8C_334/2013 du 15 novembre 2013 consid. 3.3; U 561/06 du 28 mai 2007 consid. 6.2).

 

Consid. 5.1
En l’espèce, la juridiction cantonale a retenu que la convention constituait un nouveau moyen de preuve dès lors qu’elle permettait d’établir, et non seulement d’apprécier, des faits connus au moment de la décision de l’assurance-accidents du 23.11.2020 confirmée sur opposition le 12.03.2021. La question de savoir si c’est à tort ou à raison que les juges cantonaux ont admis que cette convention constituait réellement un « nouveau » moyen de preuve concluant pour établir le statut de chef d’équipe de l’assuré peut demeurer ouverte. En effet, même en présence d’un nouveau moyen de preuve, si la personne requérant la révision ou son représentant omet, de manière négligente, de faire valoir celui-ci dans la procédure ordinaire, la révision n’est pas possible. Le seul facteur décisif est donc celui de savoir si l’assuré aurait déjà pu présenter son nouveau moyen de preuve dans la procédure ordinaire. Le but de la procédure extraordinaire de révision n’est en effet pas de réparer les omissions évitables du requérant commises au cours de la procédure ordinaire (cf. consid. 3.3 supra).

Consid. 5.2
Il ressort des faits constatés par la juridiction cantonale que l’assuré avait correspondu avec son employeur avant et après la décision sur opposition du 12.03.2021 au sujet de sa position au sein de la société. En effet, le 10.03.2021, il avait écrit à son ancien employeur pour lui demander de rectifier son courrier du 15.10.2020 confirmant sa position de maçon auprès de l’assurance-accidents. En date du 08.04.2021, il avait réitéré auprès de son ancien employeur sa demande du 10.03.2021. Bien qu’il estimait que sa position de chef d’équipe avait des conséquences sur son droit à une rente d’invalidité de l’assurance-accident et qu’il ait allégué ces faits devant l’assurance-accidents en tentant de les étayer par divers moyens de preuve, l’assuré n’a cependant pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 devant la juridiction cantonale. Or rien n’indique qu’il aurait été empêché de le faire. Devant l’instance cantonale de recours, dans la mesure où la question du poste qu’il occupait au sein de la société était au cœur du litige, l’assuré aurait pu et dû défendre sa position de chef d’équipe en invoquant ses échanges de courriers avec son ancien employeur et en fournissant les moyens de preuve se trouvant déjà au dossier qu’il a produit ultérieurement devant le Tribunal de prud’hommes. Au besoin, après avoir recouru en temps utile contre la décision sur opposition du 12.03.2021, il aurait pu demander au tribunal des assurances de suspendre la procédure jusqu’à ce que le Tribunal de prud’hommes ait rendu un jugement ou que les parties aient trouvé un accord. Pour des raisons inexplicables, il n’a non seulement pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 mais il a en outre attendu près de six mois après cette décision pour ouvrir action contre son ancien employeur devant le Tribunal de prud’hommes. L’assuré ne saurait cependant faire reposer sa demande de révision sur un élément qu’il aurait, à tout le moins, pu tenter d’invoquer dans le cadre de la procédure initiale. Il faut dès lors conclure à un manque de diligence de sa part puisque la découverte des éléments prétendument nouveaux sur lesquels il fonde sa demande de révision résulte de démarches qui auraient pu et dû être effectuées durant la procédure précédente. La voie de la révision ne constitue pas uniquement la continuation de la procédure précédente, mais bel et bien un moyen de droit extraordinaire et il appartient ainsi aux parties de contribuer en temps utile à l’établissement des faits litigieux conformément aux règles de procédure applicables (arrêt 8C_334/2013 déjà cité consid. 3.3 et les références).

Consid. 6
Compte tenu de ce qui précède, c’est de manière contraire au droit fédéral que la juridiction cantonale a admis que l’on était en présence d’un nouveau moyen de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Il s’ensuit que le recours est bien fondé.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_188/2023 consultable ici

 

9C_6/2024 (f) du 27.05.2024 – Délai légal de l’art. 57a LAI non prolongeable – Délai pour produire des rapports médicaux après le dépôt des objections au préavis

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_6/2024 (f) du 27.05.2024

 

Consultable ici

 

Délai légal de l’art. 57a LAI non prolongeable – Délai pour produire des rapports médicaux après le dépôt des objections au préavis

 

Dépôt d’une demande de prestations AI en février 2017. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a diligenté une évaluation multidisciplinaire (rapport d’expertise du 26.05.2021). Par projet de décision du 11.12.2021, l’office AI a informé l’assuré qu’il entendait lui allouer trois quarts de rente d’invalidité du 01.10.2017 au 31.03.2018. Le 25.01.2022, l’assuré a formulé des objections à l’encontre de ce projet de décision, en indiquant qu’il allait produire des rapports médicaux. L’administration lui a octroyé un délai supplémentaire au 31.03.2022 pour faire part de ses éventuelles objections et transmettre tous documents permettant d’étayer ses arguments. À la demande de l’assuré (correspondance du 31.03.2022), l’office AI lui a accordé un ultime et dernier délai au 30.04.2022, en lui indiquant qu’aucune nouvelle prolongation ne serait accordée et qu’à l’échéance du délai prolongé, il prendrait position en tenant compte des éléments en sa possession (correspondance du 01.04.2022). Le 29.04.2022, l’assuré a sollicité une nouvelle prolongation du délai au 30.09.2022, en indiquant qu’il allait soumettre le rapport d’expertise à un expert indépendant, ce qui prenait du temps. Par décision du 20.07.2022, l’administration a reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente d’invalidité du 01.10.2017 au 31.03.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 210/22-333/2023 – consultable ici)

Par jugement du 28.11.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
À la suite de l’instance cantonale, on rappellera que conformément à l’art. 57a al. 1 LAI, au moyen d’un préavis, l’office AI communique à l’assuré toute décision finale qu’il entend prendre au sujet d’une demande de prestations, ou au sujet de la suppression ou de la réduction d’une prestation déjà allouée ainsi que toute décision qu’il entend prendre au sujet d’une suspension à titre provisionnel des prestations. Selon l’al. 3 de cette disposition (introduit avec effet au 1er janvier 2021 [RO 2020 5143]), les parties peuvent faire part de leurs observations concernant le préavis dans un délai de 30 jours.

Consid. 4.1
À l’appui de son recours, l’assuré se prévaut d’une constatation manifestement inexacte des faits « en lien avec l’art. 57a al. 1 LAI », ainsi que d’une violation de son droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et de son droit à un procès équitable (art. 6 par. 1 CEDH). Il reproche à l’instance précédente d’avoir admis que l’office intimé était fondé à statuer sur son droit à la rente sans au préalable lui avoir accordé une troisième prolongation de délai, à hauteur de cinq mois supplémentaires, alors qu’il avait déjà bénéficié de deux prolongations (d’abord jusqu’au 31.03.2022, puis jusqu’au 30.04.2022).

Consid. 4.2
Les griefs de l’assuré sont mal fondés. En effet, comme l’ont dûment exposé les juges cantonaux, le délai de 30 jours accordé aux parties par l’art. 57a al. 3 LAI pour faire part de leurs observations concernant les préavis rendus par les offices AI conformément à l’art. 57a al. 1 LAI est un délai légal non prolongeable (cf. ATF 143 V 71 consid. 4.3.4 sur l’art. 57a al. 3 Projet-LAI [FF 2011 5301, 5400 ch. 2]; cf. aussi arrêt 8C_557/2023 du 22 mai 2024 consid. 5.3.1), ce que l’assuré ne conteste du reste pas. À cet égard, l’argumentation de l’assuré selon laquelle il n’aurait pas sollicité une prolongation du délai légal de 30 jours, dès lors qu’il avait déposé des objections le 25.01.2022, ne peut pas être suivie, au regard déjà de la demande de prolongation y figurant ainsi que de ses courriers successifs des 31.03.2022 et 29.04.2022, dans lesquels il requiert expressément « une prolongation de délai ». Il affirme à ce propos que dans la mesure où il avait respecté le délai légal, il devait pouvoir, dans un deuxième temps, disposer du temps nécessaire à l’obtention des rapports médicaux afin de « compléter ses objections, par la mise en œuvre d’une contre-expertise », sous peine d’être « privé de la garantie du double degré de juridiction ». Or ce point de vue n’est pas pertinent dès lors déjà que la démarche annoncée par l’assuré le 25.01.2022 (« nous allons produire des rapports médicaux ») n’a apparemment pas été concrétisée plus avant au terme de la prolongation du délai accordée par l’office intimé au 30.04.2022. À ce moment-là, l’assuré s’est limité à requérir un nouveau délai, sans alléguer ni partant démontrer qu’il avait effectivement entrepris des démarches pour produire le rapport médical annoncé dans ses objections du 25.01.2022.

Au demeurant, l’argumentation de l’assuré ne met pas en évidence que les juges cantonaux auraient méconnu la portée de l’art. 57a al. 3 LAI, ni qu’ils auraient mal compris les raisons pour lesquelles le législateur a instauré cette règle légale, voire que celui-ci entendait faire une distinction entre un « délai pour adresser des objections » et un « délai pour compléter ses objections ». Il n’est dès lors pas nécessaire de se prononcer plus avant sur le changement législatif qui a modifié le système du délai d’ordre qui prévalait avant l’adoption de l’art. 57a al. 3 LAI (cf. art. 73ter al. 1 aRAI; ATF 143 V 71 consid. 4.3.5).

En tout état de cause, même dans l’hypothèse où le droit d’être entendu de l’assuré aurait été violé, cette violation aurait pu être guérie devant la juridiction cantonale, qui est dotée d’un plein pouvoir d’examen (à ce sujet, cf. arrêts 9C_23/2021 du 25 octobre 2021 consid. 5.2; 9C_205/2013 du 1er octobre 2013 consid. 1). Dans son écriture de recours devant le Tribunal fédéral, l’assuré admet en effet qu’il a obtenu en juillet 2023 le rapport médical qu’il avait sollicité pour contester l’expertise de la CRR, si bien qu’il lui aurait été loisible de produire le rapport médical annoncé durant la procédure de recours cantonal, comme l’ont exposé les juges cantonaux. Or le mandataire de l’assuré explique avoir « fait le choix délibéré de ne pas produire ce rapport » devant l’instance précédente. Un tel choix de renoncer à produire une preuve ne saurait conduire à admettre une « violation des garanties procédurales élémentaires » de l’assuré, dès lors déjà qu’il appartient aux parties d’exercer concrètement leur droit de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort du litige, droit précisément déduit de l’art. 29 Cst.

De plus c’est en vain que l’assuré produit ce rapport devant le Tribunal fédéral. Il s’agit en effet d’un « faux nova », qui n’a pas à être pris en considération par le Tribunal fédéral (cf. art. 99 al. 1 LTF; ATF 143 V 19 consid. 1.2; 134 V 223 consid. 2.2.1).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_6/2024 consultable ici

 

8C_557/2023 (f) du 22.05.2024 – Nouvelle demande AI – Plausibilité d’une aggravation de l’état de santé – 87 RAI / Délai légal de l’art. 57a LAI non prolongeable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_557/2023 (f) du 22.05.2024

 

Consultable ici

NB : arrêt à 5 juges, non destiné à la publication

 

Nouvelle demande AI – Plausibilité d’une aggravation de l’état de santé / 87 RAI

Délai légal de l’art. 57a LAI (dans sa version dès le 1er janvier 2021) non prolongeable

 

Par décision du 07.03.2001, l’office AI a octroyé à l’assurée, née en 1968, une demi-rente d’invalidité à partir du 01.11.1998. Après avoir diligenté une expertise bidisciplinaire, l’office AI a, par décision du 28.09.2017, supprimé cette demi-rente d’invalidité au 01.11.2017.

Le 25.05.2022, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations auprès de l’office AI, arguant souffrir de douleurs corporelles diffuses sur une probable fibromyalgie, d’une hyperlaxité ligamentaire, d’une maladie des petites fibres à éliminer, d’un syndrome anxio-dépressif, d’un status post-chirurgie de la cheville droite en 2018 et de migraines. Statuant le 26.09.2022, l’office AI a refusé d’entrer en matière sur cette nouvelle demande, motif pris que l’assurée n’avait pas rendu plausible la péjoration de son état de santé.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 179 – consultable ici)

Par jugement du 06.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
En vertu de l’art. 87 al. 2 et 3 RAI, lorsque la rente a été refusée parce que le degré d’invalidité était insuffisant, la nouvelle demande ne peut être examinée que si l’assuré rend plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits. Cette exigence doit permettre à l’administration qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force d’écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l’assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 133 V 108 consid. 5.2; 130 V 64 consid. 5.2.3; 117 V 198 consid. 4b et les références). Lorsqu’elle est saisie d’une nouvelle demande, l’administration doit commencer par examiner si les allégations de l’assuré sont, d’une manière générale, plausibles. Si tel n’est pas le cas, l’affaire est liquidée d’entrée de cause et sans autres investigations par un refus d’entrer en matière (ATF 117 V 198 consid. 3a).

Consid. 3.2
Le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’autorité (cf. art. 43 al. 1 LPGA), ne s’applique pas à la procédure de l’art. 87 al. 3 RAI (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5). Eu égard au caractère atypique de celle-ci dans le droit des assurances sociales, le Tribunal fédéral a précisé que l’administration devait appliquer par analogie l’art. 73a RAI (cf. art. 43 al. 3 LPGA depuis le 1er janvier 2003) – qui permet aux organes de l’AI de statuer en l’état du dossier en cas de refus de l’assuré de coopérer – à la procédure régie par l’art. 87 al. 3 RAI, ce qui se justifiait aussi sous l’angle de la protection de la bonne foi (cf. art. 5 al. 3 et 9 Cst.). Ainsi, lorsqu’un assuré introduit une nouvelle demande de prestations ou une procédure de révision sans rendre plausible que son invalidité s’est modifiée, notamment en se bornant à renvoyer à des pièces médicales qu’il propose de produire ultérieurement ou à des avis médicaux qui devraient selon lui être recueillis d’office, l’administration doit lui impartir un délai raisonnable pour déposer ses moyens de preuve, en l’avertissant qu’elle n’entrera pas en matière sur sa demande pour le cas où il ne se plierait pas à ses injonctions. Cela présuppose que les moyens proposés soient pertinents, en d’autres termes qu’ils soient de nature à rendre plausibles les faits allégués.

Si cette procédure est respectée, le juge doit examiner la situation d’après l’état de fait tel qu’il se présentait à l’administration au moment où celle-ci a statué (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5; arrêts 8C_308/2015 du 8 octobre 2015 consid. 3.2 in fine, 9C_789/2012 du 27 juillet 2013 consid. 2.3 in fine et les arrêts cités). Cela signifie que des rapports médicaux produits postérieurement à la décision de non-entrée en matière ne peuvent pas être pris en considération par le juge, même s’ils auraient pu avoir une influence sur l’appréciation de l’autorité au moment où elle s’est prononcée (ATF 130 V 64 consid. 5; arrêts 9C_92/2020 du 17 mars 2020 consid. 3.2 in fine; 9C_51/2018 du 7 février 2019 consid. 3.4 in fine).

Consid. 3.3
L’art. 57a LAI – dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2021, applicable au cas d’espèce – dispose qu’au moyen d’un préavis, l’office AI communique à l’assuré toute décision finale qu’il entend prendre au sujet d’une demande de prestations, ou au sujet de la suppression ou de la réduction d’une prestation déjà allouée ainsi que toute décision qu’il entend prendre au sujet d’une suspension à titre provisionnel des prestation (al. 1, première phrase); l’assuré a le droit d’être entendu, conformément à l’art. 42 LPGA (al. 1, seconde phrase); les parties peuvent faire part de leurs observations concernant le préavis dans un délai de 30 jours (al. 3).

 

Consid. 5.1
En instance cantonale, l’assurée a reproché à l’office AI de ne pas avoir attendu un rapport de son psychiatre traitant avant de rendre sa décision de non-entrée en matière du 26.09.2022. A ce propos, les juges cantonaux ont constaté que dans son projet de décision du 25.07.2022, l’office AI avait informé l’assurée qu’elle disposait d’un délai de 30 jours pour transmettre les documents médicaux étayant sa nouvelle demande de prestations. L’assurée avait alors produit plusieurs avis médicaux, parmi lesquels un rapport du docteur C.__, spécialiste en anesthésiologie, qui indiquait avoir programmé un rendez-vous auprès du docteur D.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Le 05.09.2022, le curateur de l’assurée avait invité l’office AI à demander un rapport au docteur D.__, qui suivait l’assurée. Le 08.09.2022, ce même curateur avait informé l’office AI que ce psychiatre ne pouvait pas adresser de rapport avant le 15.09.2022; il demandait à l’office AI de patienter avant de statuer. Le 26.09.2022, ce dernier avait rendu sa décision de non-entrée en matière.

La cour cantonale a retenu qu’au vu de ces éléments, l’office AI était pleinement conscient que l’assurée était suivie par le docteur D.__. Cependant, il n’avait pas violé le droit d’être entendue de l’assurée. La décision de non-entrée en matière avait en effet été rendue plus de 40 jours après l’échéance du délai – légal (art. 57a al. 3 LAI) et non prolongeable – indiqué dans le projet de décision et plus de dix jours après l’échéance du terme indiqué par le curateur de l’assurée. Dans ce contexte, l’office AI avait pleinement donné à l’assurée la possibilité de fournir les moyens de preuve qu’elle entendait produire. En l’absence d’envoi du rapport annoncé du docteur D.__ ou d’une intervention de l’assurée au terme du délai indiqué, l’office AI était légitimé à rendre sa décision sans plus attendre, d’autant plus qu’à ce stade, il ne lui incombait pas de procéder à des mesures d’instruction, sous la forme d’un éventuel rappel au médecin concerné.

Consid. 5.2
L’assurée expose avoir déposé ses observations à l’encontre du projet de décision du 26.07.2022 dans le délai de l’art. 57a al. 3 LAI. A l’appui de son écriture, elle aurait produit plusieurs rapports médicaux, dont un avis du 18.08.2022 du docteur B.__, médecin praticien. Le SMR ne se serait toutefois pas prononcé sur cet avis dans son appréciation du 30.08.2022, ce qui serait déjà constitutif d’une violation du droit d’être entendu.

L’assurée soutient en outre avoir sollicité l’octroi d’un délai supplémentaire pour produire un rapport du docteur D.__. L’office AI aurait dû y donner suite, le curateur de l’assurée ne pouvant de surcroît pas être considéré comme un mandataire professionnel rompu à la procédure administrative. Par ailleurs, il serait notoire qu’il faudrait parfois un certain temps pour obtenir un rapport médical auprès d’un médecin. L’office AI n’aurait eu aucune raison de s’empresser de rendre sa décision quelques jours seulement après l’échéance du délai indiqué par l’assurée, sans avoir accusé réception de sa requête et sans avoir attiré son attention sur le fait que sans nouvelles de sa part, il serait statué en l’état du dossier. Dès lors que le juge de première instance ne peut pas prendre en compte des rapports postérieurs à la décision de non-entrée en matière, il aurait été d’autant plus nécessaire d’accorder à l’assurée le temps utile à la production d’un rapport du docteur D.__.

 

Consid. 5.3.1
Avant l’entrée en vigueur de l’art. 57a al. 3 LAI, le délai à disposition des parties pour déposer des observations sur un préavis de l’office AI était réglé à l’art. 73ter al. 1 RAI (abrogé avec effet au 1er janvier 2022), qui prévoyait que les parties pouvaient faire part à l’office AI de leurs observations sur le préavis dans un délai de 30 jours. Dans un arrêt publié aux ATF 143 V 71, le Tribunal fédéral a jugé que le délai de 30 jours de l’ancien art. 73ter al. 1 RAI – qui était alors encore en vigueur – était un délai d’ordre, prolongeable pour de justes motifs. Les juges fédéraux ont précisé que si le législateur souhaitait en faire un délai légal, et donc non prolongeable, il devait l’inscrire dans la loi (ATF 143 V 71 consid. 4.3.5), ce qui s’est produit avec l’adoption de l’art. 57a al. 3 LAI. Le délai de 30 jours, imposé aux parties pour faire part de leurs observations concernant les préavis des offices AI, est donc un délai légal depuis le 1er janvier 2021. Il n’est pas prolongeable, comme l’ont souligné à juste titre les juges cantonaux.

Consid. 5.3.2
En l’espèce, l’assurée a – par l’intermédiaire de son curateur – déposé ses observations sur le projet de décision du 25.07.2022 le 05.09.2022, soit dans le respect du délai légal de 30 jours, compte tenu des féries judiciaires du 15 juillet au 15 août (cf. art. 38 al. 4 let. b LPGA), ce que les parties ne contestent pas. Dans ce même délai de 30 jours, l’office AI a invité l’assurée à lui transmettre des rapports médicaux, dès lors que celle-ci n’en avait produit aucun à l’appui de sa nouvelle demande du 25.05.2022. Ce faisant, l’office AI lui a octroyé un délai raisonnable pour étayer cette nouvelle demande, ce qui lui a permis de déposer plusieurs avis médicaux portant essentiellement sur des lésions somatiques. S’agissant des troubles psychiques, force est de constater que l’assurée a d’abord demandé à l’office AI de solliciter lui-même un rapport du psychiatre traitant, ce à quoi il n’était pas tenu de donner suite dans le cadre d’une procédure non régie par le principe inquisitoire (cf. consid. 3.2 supra). Ensuite, l’assurée a certes évoqué l’envoi – pas avant le 15.09.2022 – d’un rapport du docteur D.__, mais sans que cette intention se soit concrétisée à cette date ou dans les jours suivants. Dans ces conditions et en l’absence d’une requête en ce sens de l’assurée, qui était représentée par un curateur professionnel, l’office AI n’avait pas à accorder un nouveau délai à l’assurée pour la production d’un rapport médical. Compte tenu des particularités régissant la procédure de l’art. 87 al. 3 RAI, l’office AI était au contraire fondé à rendre une décision de non-entrée en matière le 26.09.2022 sans attendre la production d’un rapport du psychiatre traitant. Il n’y a pas non plus de violation du droit d’être entendue de l’assurée du seul fait que le médecin du SMR ne s’est pas référé à un rapport du docteur B.__. Les griefs de l’assurée, mal fondés, doivent être rejetés.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_557/2023 consultable ici

 

Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier

Vous trouverez dans l’édition de Jusletter du 13 mai 2024 ma contribution «Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier».

 

Résumé :

L’arène des assurances sociales est le théâtre de nombreux défis au quotidien. Le traitement des rapports médicaux et des expertises médicales est un élément central lors de l’examen du droit aux prestations dans ce domaine complexe et crucial. Dans cet environnement, la valeur probante des rapports médicaux et des expertises médicales revêt une importance significative pour déterminer le droit aux prestations des personnes assurées.

 

Publication : David Ionta, Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier, in : Jusletter 13 mai 2024

 

4A_169/2023 (f) du 31.01.2024, destiné à la publication – Assurance complémentaire LCA d’un capital en cas d’invalidité – Notion d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale au sens de l’art. 7 CPC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_169/2023 (f) du 31.01.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Assurance complémentaire LCA d’un capital en cas d’invalidité – Notion d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale au sens de l’art. 7 CPC

Compétence ratione materiae de la Cour cantonale des assurances sociales

 

L’assuré a souscrit auprès de B.__ SA (ci-après: la société d’assurance) une « assurance d’un capital en cas d’invalidité ou décès par suite d’accident » (ci-après: l’assurance), qui indique que le risque assuré est celui de l’accident. L’assurance prévoit le versement d’un capital de 5’000 fr. en cas de décès et de 100’000 fr. en cas d’invalidité, ce montant-ci pouvant être augmenté en application des conditions particulières de l’assurance.

Dans la nuit du 25.07.2020 au 26.07.2020, l’assuré a subi un accident. Par décision du 12.02.2022, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité et, en application des art. 24 et 25 LAA, une IPAI de 103’740 francs.

 

Procédure cantonale

Le 24.11.2022, l’assuré a ouvert une action en paiement auprès de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal à l’encontre de la société d’assurance, concluant au versement d’un montant de 350’000 fr., intérêts en sus.

Par jugement du 16.02.2023, la Cour des assurances sociales a déclaré l’action irrecevable. La cour cantonale a jugé que l’assurance litigieuse ne pouvait être qualifiée d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale au sens de l’art. 7 CPC, de sorte qu’elle n’était pas compétente ratione materiae. En substance, la cour cantonale a retenu que le capital assuré en cas d’invalidité, soit 100’000 fr., excédait les limites de l’art. 14 de l’ordonnance sur l’assurance-maladie (OAMal) et que le versement d’un capital invalidité n’était plus prévu par l’art. 1 let. a de l’ordonnance sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale (OSAMal). En outre, ledit capital servait à couvrir non pas une perte de salaire due à une incapacité de travail pour cause de maladie, à l’instar des indemnités journalières prévues par la loi fédérale sur le contrat d’assurance (LCA) et qui sont complémentaires à l’assurance-maladie sociale, mais une incapacité de gain durable.

 

TF

Consid. 1
En tant qu’elle s’est déclarée incompétente ratione materiae, la cour cantonale a mis fin à la procédure devant elle. Contrairement à ce que soutient l’assuré, il ne s’agit donc pas d’une décision incidente portant sur la compétence (art. 92 LTF), mais d’une décision finale (art. 90 LTF; cf. arrêt 4A_275/2021 du 11 janvier 2022 consid. 2.1, non publié in ATF 148 III 172).

Dans la mesure où la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton du Valais a rendu la décision attaquée en qualité d’instance cantonale unique au sens de l’art. 7 CPC (art. 5 al. 1 let. a de la loi du canton du Valais du 11 février 2009 d’application du code de procédure civile suisse [LACPC/VS; RS/VS 270.1]; cf. art. 75 al. 2 let. a LTF et ATF 138 III 799 consid. 1.1), le présent recours est ouvert sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. b LTF). […]

 

Consid. 3.3
C’est à tort que la cour cantonale et l’assuré ont fait référence aux « autres branches d’assurance » au sens de l’art. 14 aOAMal et de l’art. 1 let. a OSAMal, dans la mesure où ces dispositions se réfèrent à l’actuel art. 2 al. 2 de la loi fédérale sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale (LSAMal), qui ne vise que les caisses-maladie. Ce faisant, ils perdent en effet de vue qu’une assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale peut être conclue tant avec une caisse-maladie qu’avec une entreprise d’assurance privée (cf. infra consid. 4.2).

 

Consid. 4
Est litigieuse la compétence ratione materiae de la cour cantonale au regard de l’art. 7 CPC pour connaître du litige portant sur l’assurance complémentaire d’un capital en cas d’invalidité ou décès par suite d’accident, soumise à la LCA.

Consid. 4.1
Selon l’art. 7 CPC, les cantons peuvent instituer un tribunal qui statue en tant qu’instance cantonale unique sur les litiges portant sur les assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale selon la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal).

Cette disposition a été introduite sur proposition des Chambres fédérales pour permettre aux cantons de déroger au double degré de juridiction qu’impose l’art. 75 LTF (cf. art. 75 al. 2 let. a LTF) et de conserver l’instance cantonale unique à laquelle ils étaient habitués et à laquelle étaient soumis les litiges relatifs tant à l’assurance-maladie sociale elle-même que ceux relatifs aux assurances complémentaires à celle-ci. Comme les litiges en matière d’assurance-maladie sociale ne sont, de par la loi, pas soumis à l’exigence d’un double degré de juridiction, les cantons devaient pouvoir prévoir qu’un tribunal unique puisse examiner aussi les litiges relatifs à l’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale. Cela devait permettre aussi au même tribunal de statuer sur ces deux types d’assurances (BO 2007 CE 500-501 et 644).

L’initiative parlementaire 13.441 déposée le 21 juin 2013 par Mauro Poggia, qui visait à également soumettre à un tribunal unique les litiges relevant de l’assurance complémentaire à l’assurance-accidents obligatoire, a été classée. Ces litiges ne sont donc pas soumis à l’art. 7 CPC (PATRICIA DIETSCHY-MARTENET, in Petit commentaire, Code de procédure civile, 2021, no 7 ad art. 7 CPC).

Selon la jurisprudence, si le canton a fait usage du choix que lui offre l’art. 7 CPC, il doit soumettre tous les litiges portant sur les assurances complémentaires à l’assurance-maladie sociale à un tribunal unique (ATF 138 III 558 consid. 3.1). Le tribunal unique appliquera la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) à la partie assurance-maladie sociale et la LCA à la partie assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale. C’est le recours en matière civile au Tribunal qui est ouvert contre la partie assurance complémentaire, sans égard à la valeur litigieuse (ATF 138 III 799 consid. 1.1, 2 consid. 1.2.2).

Consid. 4.2
Il découle du but visé par l’art. 7 CPC, à savoir de déroger au double degré de juridiction prévu par l’art. 75 LTF, que cette disposition doit être interprétée de manière restrictive.

Pour satisfaire au critère de la complémentarité à l’assurance-maladie sociale que l’art. 7 CPC exige, il faut que l’assurance soit complémentaire à la LAMal par les risques couverts et par les prestations qu’elle offre. Autrement dit, il faut, premièrement, que l’assurance complémentaire litigieuse couvre des risques prévus par la LAMal, c’est-à-dire la maladie, l’accident ou la maternité (ces trois risques étant visés par l’art. 1a al. 2 LAMal) et, secondement, que les prestations litigieuses soient destinées à compléter, c’est-à-dire à améliorer, les prestations de base prévues par la LAMal, à l’exclusion des prestations prévues par d’autres lois sociales (dans ce sens, arrêt 4A_12/2016 du 23 mai 2017 consid. 1.2; KATHARINA ANNA ZIMMERMANN, Zusatzversicherungen zur sozialen Krankenversicherung, 2022, p. 48 n. 89; HANS-JAKOB MOSIMANN, in Schweizerische Zivilprozessordnung, Brunner et al. [édit.], vol. I, 2e éd. 2016, no 2 ad art. 7 CPC et les références citées; DIETSCHY-MARTENET, op. cit., no 4 ad art. 7 CPC et les références citées; HAAS/SCHLUMPF, in Kurzkommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3e éd. 2021, no 5 ad art. 7 CPC). N’est en revanche pas déterminante la question de savoir si l’assureur est une caisse-maladie ou une entreprise d’assurance privée (ATF 141 III 479 consid. 2.1; DIETSCHY-MARTENET, op. cit., no 3 ad art. 7 CPC; HAAS/SCHLUMPF, loc. cit.).

Il en découle que si le risque assuré n’est pas l’un ou plusieurs des trois risques susmentionnés, l’art. 7 CPC n’est pas applicable. Cette disposition n’est pas non plus applicable si les prestations offertes ne complètent pas le catalogue de prestations de la LAMal, par exemple si les prestations sont destinées à améliorer les prestations de la LAA.

Consid. 4.3
En l’espèce, il faut donc examiner, dans une première étape, si le risque assuré par l’assurance litigieuse est l’un ou plusieurs des trois risques couverts par la LAMal, puis, si tel est le cas, déterminer, dans une seconde étape, si les prestations de l’assurance litigieuse viennent compléter celles de la LAMal ou d’une autre assurance.

Il n’est pas contesté que l’assurance litigieuse couvre le risque d’accident, de sorte que la condition exigée dans la première étape est remplie.

Il convient donc de déterminer si la prestation de l’assurance litigieuse, soit le versement d’un capital de 100’000 fr. en cas d’invalidité suite à un accident, vient compléter les prestations de la LAMal ou d’une autre assurance, par exemple la LAA. Comme l’admet lui-même l’assuré, dite prestation peut être qualifiée de complément à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité au sens des art. 24 et 25 LAA. En l’occurrence, elle viendrait s’ajouter au montant en capital déjà octroyé à ce titre à l’assuré par l’assurance-accidents par décision du 12.02.2022. Force est donc de constater que la prestation litigieuse vient compléter le catalogue de prestations de la LAA et, donc, qu’elle ne constitue pas une assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale au sens de l’art. 7 CPC (cf. ZIMMERMANN, op. cit., p. 113 n. 222).

Dès lors, l’art. 7 CPC n’est pas applicable en l’espèce et c’est à bon droit que la cour cantonale s’est déclarée incompétente ratione materiae.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_169/2023 consultable ici

 

9C_50/2024 (f) du 27.02.2024 – Preuve du respect du délai – 100 LTF / Preuve stricte de la remise à la poste dans les délais – Cours ordinaire des choses – Règle de preuve de la vraisemblance prépondérante

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_50/2024 (f) du 27.02.2024

 

Consultable ici

 

Preuve du respect du délai / 100 LTF – 48 LTF

Preuve stricte de la remise à la poste dans les délais ne peut pas être considérée comme rapportée par la référence au cours ordinaire des choses ou en application de la règle de preuve de la vraisemblance prépondérante

 

Procédure cantonale

Par arrêt du 01.12.2023, admission du recours formé par l’assuré.

 

TF

Consid. 2
Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification complète de l’expédition (art. 100 al. 1 LTF). Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l’attention de ce dernier, à La Poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

Un recours est présumé avoir été déposé à la date ressortant du sceau postal (ATF 147 IV 526 consid. 3.1; 142 V 389 consid. 2.2). En cas de doute, la preuve du respect du délai doit être apportée par celui qui soutient avoir agi en temps utile au degré de la certitude et non simplement au degré de la vraisemblance prépondérante; elle résulte en général de preuves « préconstituées » (sceau postal, récépissé d’envoi recommandé ou encore accusé de réception en cas de dépôt pendant les heures de bureau); la date d’affranchissement postal ou le code à barres pour lettres, avec justificatif de distribution, imprimés au moyen d’une machine privée ne constituent en revanche pas la preuve de la remise de l’envoi à la poste. D’autres modes de preuves sont toutefois possibles, en particulier l’attestation de la date de l’envoi par un ou plusieurs témoins mentionnés sur l’enveloppe; la présence de signatures sur l’enveloppe n’est pas, en soi, un moyen de preuve du dépôt en temps utile, la preuve résidant dans le témoignage du ou des signataires; il incombe dès lors à l’intéressé d’offrir cette preuve dans un délai adapté aux circonstances, en indiquant l’identité et l’adresse du ou des témoins (arrêt 9C_526/2022 du 1 er février 2023 consid. 2 et l’arrêt cité).

Consid. 3
L’arrêt attaqué a été notifié à son destinataire le 07.12.2023. Le délai de recours de trente jours (art. 46 al. 1 let. c, 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF) est ainsi arrivé à échéance lundi 22.01.2024.

Le mémoire de recours, daté de ce jour-là, est parvenu par voie postale au Tribunal fédéral le mercredi suivant [24.01.2024]. Le colis ayant contenu le mémoire ne porte pas de cachet postal, mais uniquement une étiquette n° yyy apposée par la partie recourante avec la mention manuscrite « Recommandé ». D’après le suivi des envois de la Poste, le pli a été trié la première fois par la Poste le 23.01.2024 à 07h05 à 1310 Daillens Centre Colis.

Invité à s’exprimer sur le respect du délai de recours, l’office recourant a indiqué que le recours et le dossier qui l’accompagnait devaient être adressés en colis contre signature, comme l’atteste la mention « Recommandé » qui figure sur l’étiquette. Le recourant précise qu’il peut affirmer après contrôle que le colis est bien enregistré en tant qu’envoi recommandé dans son fichier de suivi interne. Visiblement, il a en fait été expédié par « Colis PostPac Economy ». Il ne peut ainsi que supposer qu’une erreur est survenue dans le processus d’envoi postal, soit auprès de ses services, soit auprès de la Poste. Le recourant relève néanmoins que le suivi des envois de la Poste atteste que l’envoi a été trié au Centre Colis de 1310 Daillens le 23.01.2024 à 07h05. Etant donné que les horaires de la filiale de la Poste ne permettent pas une prise en charge avant 08h00 et que son courrier postal est pris en charge par la Poste sur place à 15h30, cela démontre que le colis a été remis à la Poste au plus tard le jour précédent, soit le 22.01.2024, dernier jour du délai de recours. Il conclut ainsi à ce que le recours soit déclaré recevable.

Consid. 4
Les circonstances du cas d’espèce sont analogues à celles de l’affaire qui avait donné lieu à l’arrêt ATF 142 V 389. En ce qui concerne la preuve de la remise en temps utile du recours à la Poste suisse, le Tribunal fédéral avait retenu que lorsque la partie recourante convient d’un arrangement avec la Poste suisse pour que celle-ci prenne en charge ses envois postaux, et qu’elle lui remet par ce biais une écriture de recours, elle court un grand risque de ne pas pouvoir apporter la preuve de la remise en temps utile de l’envoi à la poste. En effet, le moment auquel la poste saisit pour la première fois les données de l’envoi dans le système « Easy Track », qui ne correspond pas forcément à la date de sa remise, vaut comme date de dépôt de l’envoi en faveur aussi bien qu’en défaveur de l’expéditrice (consid. 3.3). La preuve stricte de la remise à la poste dans les délais ne peut pas être considérée comme rapportée par la référence au cours ordinaire des choses quant à la prise en charge des envois par la poste dans les locaux de la partie recourante sans indication concrète sur l’envoi en cause (consid. 3.4).

Par son argumentation, le recourant demande en définitive que l’examen du respect du délai de recours soit effectué en application de la règle de preuve de la vraisemblance prépondérante. On ne saurait toutefois suivre ce point de vue qui va à l’encontre de la jurisprudence. Fondées sur le cours ordinaire des choses, les explications que fournit le recourant ne sauraient valoir preuve stricte du dépôt du mémoire de recours à la Poste suisse dans le délai légal. Il faut ajouter que ces explications ont été fournies seulement en cours de procédure et qu’aucune déclaration d’un témoin qui aurait pu attester du moment et du lieu du dépôt n’a été apposée (cf. ATF 147 IV 526 consid. 3.1). De plus, aucun accusé de réception de prise en charge du courrier n’a été produit.

Comme la preuve stricte du respect du délai du recours n’est pas rapportée, le recours doit être déclaré irrecevable pour cause de tardiveté (art. 48 al. 1 et 100 al. 1 LTF), en procédure simplifiée (art. 108 al. 1 let. a LTF). Vu l’issue du litige, la requête d’attribution de l’effet suspensif au recours n’a plus d’objet.

 

Le TF déclare irrecevable le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_50/2024 consultable ici

 

Procédure de consultation : Notification d’actes le week-end et les jours fériés par courrier A Plus : le délai commencera à courir plus tard

Procédure de consultation : Notification d’actes le week-end et les jours fériés par courrier A Plus : le délai commencera à courir plus tard

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 14.02.2024 consultable ici

 

La distribution d’envois postaux déclenchant des délais un samedi ne doit pas être source d’inconvénients juridiques pour les destinataires. Le Conseil fédéral propose une nouvelle règle applicable à l’ensemble du droit fédéral pour les communications assorties de délais qui sont remises le week-end. Celles-ci ne seront réputées notifiées que le premier jour ouvrable qui suit. Lors de sa séance du 14 février 2024, le Conseil fédéral a ouvert la consultation sur un avant-projet mettant en œuvre la motion 22.3381 « De l’harmonisation de la computation des délais » de la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N).

Depuis quelque temps, la Poste suisse propose des envois par courrier A Plus, dont la traçabilité est assurée y compris le samedi. Le destinataire n’a pas à en accuser réception et peut en subir des désavantages lorsqu’il s’agit de communications dont la notification déclenche un délai légal, telles que les résiliations, les décisions des autorités ou les jugements. Actuellement, le délai commence à courir le lendemain de la notification, en l’occurrence le dimanche. Il est donc déjà en cours si le destinataire ne sort la communication de sa boîte aux lettres que le lundi parce qu’il est absent le week-end. Il a donc d’autant moins de temps pour réagir dans le délai imparti. De plus, il ne sait pas si la communication a été remise le lundi ou le samedi puisque cette information ne figure pas sur l’envoi. Il risque de manquer le délai s’il se trompe sur la date de fin, et de perdre ses droits.

Lors de la révision récemment achevée du code de procédure civile (CPC), le Parlement a trouvé une solution à ce problème pour le domaine de la procédure civile. Une fiction de notification s’appliquera : une communication remise un samedi, un dimanche ou un jour férié ne sera réputée notifiée que le premier jour ouvrable qui suit. Les destinataires disposeront donc d’un jour ouvrable au moins pour en prendre connaissance avant que le délai ne commence à courir.

 

Extension de la fiction de notification à tous les délais du droit fédéral

La motion 22.3381 « De l’harmonisation de la computation des délais » de la CAJ-N charge le Conseil fédéral d’appliquer la solution trouvée dans le CPC à toutes les autres lois fédérales comportant des règles de computation des délais, afin de garantir que les mêmes règles s’appliquent à l’ensemble du droit fédéral.

Le Conseil fédéral poursuit deux approches simultanées pour mettre en œuvre la motion. Il complète d’une part les lois fédérales comportant des règles de computation des délais par une disposition analogue à celle inscrite dans le CPC. Les lois concernées sont la loi sur la procédure administrative (PA), la loi sur le Tribunal fédéral (LTF), le code pénal militaire (CPM), le code de procédure pénale militaire (PPM), la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD) et la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA). Le code de procédure pénale (CPP) ne subit pas de modification dans la mesure où il prescrit la notification contre accusé de réception.

D’autre part, le Conseil fédéral inscrit une disposition subsidiaire dans la loi fédérale sur la supputation des délais comprenant un samedi, de manière à couvrir les lois fédérales qui comportent des délais, mais aucune règle de computation. Cette disposition s’appliquera notamment aux délais du droit matériel privé, par exemple aux délais de résiliation.

La consultation prendra fin le 24 mai 2024.

 

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 14.02.2024 consultable ici

Loi fédérale sur les notifications d’actes le week-end et les jours fériés – Rapport explicatif relatif à l’ouverture de la procédure de consultation, disponible ici

Avant-projet de la Loi fédérale sur les notifications d’actes le week-end et les jours fériés consultable ici

Tableau synoptique présentant les modifications prévues par rapport au droit en vigueur disponible ici

 

Notificazioni nei fine settimana e nei giorni festivi con posta A-Plus: il termine inizia a decorrere più tardi, comunicato stampa del Consiglio federale, 14.02.2024, disponibile qui

 

Zustellung an Wochenenden und Feiertagen mit « A-Post Plus »: Frist soll später beginnen, Medienmitteilung des Bundesrats, 14.02.2024, hier abrufbar

 

8C_663/2022 (d) du 30.11.2023 – Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / 16 LPGA

Capacité de travail exigible inférieur dans l’activité exercée mais capacité de gain supérieure – Obligation de réduire le dommage

Nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, admissible devant le Tribunal fédéral – 99 LTF

Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / 17 LPGA

Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Réduction de la rente d’invalidité à l’âge AVS et dispositions transitoires / 20 al. 2ter LAA

 

Assurée, née en 1957, travaillait à 60% comme masseuse (assurée en LAA auprès d’Helsana) et à 30% comme professeur de musique (assurée en LAA auprès d’Allianz). 1er accident le 15.09.2011 (fracture de la tête radiale droite et arrachement du tendon sus-épineux). 2ème accident le 12.12.2012 (fracture de l’humérus gauche). Entre les deux accidents, on a diagnostiqué chez elle un carcinome mammaire qui a nécessité des interventions chirurgicales et une chimiothérapie. Helsana a d’abord versé les prestations temporaires (traitement médical et indemnités journalières). Elle a mandaté le Dr E.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, pour une expertise médicale (expertise du 28.03.2014 avec complément du 26.08.2014). Pour des raisons de coordination, Allianz a ensuite pris en charge la gestion du cas et a dès lors versé les prestations temporaires. Elle a demandé au Dr E.__ une nouvelle évaluation (expertise du 14.11.2016), mais l’a ensuite rejeté et s’est basée à la place sur sa première expertise datant de 2014. Par décision du 13.11.2018, confirmée sur opposition le 04.12.2019, Allianz a mis un terme aux prestations temporaires au 31.10.2014, a nié tout droit à une rente et a accordé à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité pour une perte d’intégrité de 15% au total.

Entre-temps, l’office AI a octroyé à l’assurée, par décision du 26.09.2014, une rente entière d’invalidité dès le 01.11.2012 puis une demi-rente dès le 01.08.2013. En raison d’une péjoration de l’état de santé (récidive tumorale et aggravation d’un handicap visuel congénital) en octobre 2016, la rente AI a été augmentée à une rente entière dès le 01.01.2017 (décision du 27.03.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt VSBES.2020.14 – consultable ici)

Ayant considéré les expertises du Dr E.__ comme non probante, le tribunal cantonal a ordonné une expertise orthopédique auprès du bureau d’expertise F.__ (rapport du 05.02.2021). La cour cantonale n’ayant pas reconnu une pleine valeur probante à cette expertise, elle a demandé au Dr G.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, de procéder à une surexpertise (rapport du 20.11. 2021).

En raison des séquelles des accidents, l’activité de masseuse exercée n’était plus possible au moment de la stabilisation de l’état de santé au 01.11.2014. Pour l’activité de professeur de musique, il existait en revanche une capacité de travail de 70% (par rapport à un taux d’occupation de 100%) avec un rendement de 50% et, dans une activité adaptée (activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée seulement, par exemple dans un musée), une capacité de travail de 80% avec un rendement de 60%, soit une capacité de travail de 48%. Partant des revenus réalisés avant l’accident, calculés sur la base d’un taux d’occupation de 100%, le tribunal cantonal a calculé un revenu sans invalidité 87’432 francs. Comparé au revenu d’invalide de 25’821 fr. (ESS, niv. 1, ligne Total, capacité de travail de 48%), le taux d’invalidité a été fixé à 70%.

Par jugement du 10.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité de 70% dès le 01.11.2014, à une IPAI de 25% et a mis à charge de l’assurance-accidents Allianz les frais de l’expertise judiciaire du Dr G.__ à hauteur de 8’617 fr. 30.

 

TF

Consid. 5.2
Dans son expertise du 20.11.2021, le Dr G.__ a qualifié l’activité de professeur de musique de niveau élémentaire comme adaptée, dans une mesure d’une capacité de 70% avec un rendement de 50%.

L’expert judiciaire a mentionné trois autres activités professionnelles théoriquement possibles, qu’il a qualifiées d’adaptées aux limitations fonctionnelles. Premièrement : des conseils purs aux clients, sans sollicitation des deux épaules de toutes sortes, ou seulement pendant une courte durée, en position debout, assise ou en marchant, avec des instructions de courte durée avec les bras à hauteur du ventre ou au maximum à hauteur de la poitrine. Une telle activité serait possible en temps à hauteur de 80% avec un rendement de 50%. Deuxièmement : activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée (p. ex. surveillance dans un musée). De tels travaux sont possibles à 80% avec un rendement de 60%. Troisièmement : les activités administratives sur ordinateur, possibles à 50% avec un rendement de 50% en raison des pauses plus fréquentes dues aux douleurs. En général, une activité adaptée doit remplir les conditions suivantes : Pas de port de charges de plus de 2 kg, pas de soulèvement de charges de plus de 2 kg au-dessus de la hauteur du ventre et uniquement à proximité du corps, pas de travaux au-dessus de la hauteur maximale de la poitrine, pas d’activités nécessitant une rotation externe des deux épaules, pas d’activités répétitives et pas de maintien limité dans la même position, par exemple devant un PC.

Ainsi, selon l’expertise judiciaire, les activités de surveillance offrent la meilleure capacité de travail et de rendement. Mais l’activité de professeur de musique à 70% avec une baisse de rendement de 50% est également considérée comme une activité adaptée, ce qui est important pour le calcul de l’invalidité, comme il ressort de ce qui suit. On peut donc laissée ouverte la question de savoir si l’évaluation par l’expert de la capacité de travail pour des activités de surveillance simples est pleinement convaincante.

Consid. 6.3
Conformément à la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2).

Consid. 6.4
Il n’est pas contesté que l’assurée a continué à travailler comme professeur de musique au moment de la stabilisation de l’état de santé et de l’examen du droit à la rente (01.11.2014). Selon les indications de l’employeur (Commune d’U.__), l’assurée avait un taux d’occupation de 10 à 11 leçons entre 2014 et 2016, correspondant à un taux de 33-37% sur la base d’un temps de travail habituel de 30 leçons par semaine. Il est en outre établi que cette activité pouvait être raisonnablement exigée d’elle à partir du 25.04.2013 à raison de 70% avec une baisse de rendement de 50%. En conséquence, l’instance cantonale a constaté qu’il existait une capacité de travail de 35% (70% x 50%) pour l’activité de professeur de musique. Il ne fait aucun doute que l’emploi de professeur de musique était un rapport de travail stable. En même temps, il n’y a pas d’indices qu’une partie du salaire ait été un salaire social. Par «capacité de travail résiduelle pleinement exploitée», la jurisprudence entend ensuite que la personne assurée exploite au mieux sa capacité de travail du point de vue lucratif (arrêts 8C_590/2019 du 22 novembre 2019 consid. 5.3 et la référence ; 8C_367/2018 du 25 septembre 2018 consid. 5.3.3 ; 8C_839/2010 du 22 décembre 2010 consid. 3.6).

Tel est le cas en l’espèce, puisque l’assurée a réalisé en 2014 [ndt : année de l’examen du droit à la rente] un revenu effectif de 39’980 fr. 10 en tant que professeur de musique. En revanche, l’instance précédente entend prendre en compte un revenu hypothétique d’invalide nettement inférieur de 25’821 fr. pour une activité non qualifiée, ce qui est contraire à l’obligation de réduire le dommage applicable dans le domaine des assurances sociales (ATF 138 V 457 consid. 3.2 et les références).

 

Consid. 6.5
L’objection des intimés [ndt : héritiers de l’assurée, décédée en décembre 2022] selon laquelle l’assurance-accidents n’a à aucun moment fait valoir dans la procédure de première instance que le revenu d’invalide devait être déterminé sur la base du revenu effectivement réalisé et qu’elle ne saurait être prise en considération en raison de l’interdiction des nova n’est pas pertinente. La question de savoir si les salaires statistiques sont applicables est une question de droit librement vérifiable (arrêt 9C_566/2019 du 19 mai 2020 consid. 5.3 et la référence). Un nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, est admissible devant le Tribunal fédéral (ATF 136 V 362 consid. 4.1). L’assurance-accidents a déjà calculé le revenu d’invalidité dans sa décision du 13 .11.2018 en partant du salaire de l’assurée en tant que professeur de musique. Le calcul du revenu d’invalidité a d’ailleurs fait l’objet d’un procès devant le tribunal cantonal. Un comportement contraire à la bonne foi de l’assurance-accidents n’est ainsi pas reconnaissable, pas plus que l’existence de faits nouveaux (irrecevables).

Consid. 6.6
Si l’on se base sur le revenu d’invalidité effectivement réalisé par l’assurée en 2014 en tant que professeur de musique, soit 39’980 fr. 10, il résulte, après comparaison avec le revenu sans invalidité – non contesté – de 87’432 fr., un degré d’invalidité de 54%.

Consid. 6.7
Selon les constatations de l’instance cantonale, l’assurée a été en incapacité de travail totale à partir du 15.10.2016 pour cause de maladie (récidive du carcinome mammaire et aggravation importante du handicap visuel). Après une incapacité de travail prolongée, l’employeur a résilié le contrat de travail au 30.10. 2017.

La suppression du revenu effectivement réalisé à partir de novembre 2017 a modifié la situation professionnelle et donc l’évaluation de l’invalidité, ce qui constitue en règle générale un motif de révision (arrêt 8C_728/2020 du 23 juin 2021 consid. 3.2 et les références). En l’espèce, une incapacité de gain totale due à la maladie est toutefois survenue après le début de la rente de l’assurance-accidents, de sorte qu’il n’y avait pas de place pour une augmentation de la rente d’invalidité de l’assurance-accidents en raison d’une révision (ATF 147 V 161 consid. 5.2.5 et consid. 5.3). Par conséquent, l’incapacité de gain totale due à la maladie à partir du 15.10.2016 avec résiliation des rapports de travail au 30.10.2017 n’entraîne aucune adaptation de la rente de l’assurance-accidents, même dans le cadre de la première fixation de la rente concernée en l’espèce.

Consid. 7.2.1
Selon l’art. 36 al. 2 LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident. Toutefois, en réduisant les rentes, on ne tiendra pas compte des états antérieurs qui ne portaient pas atteinte à la capacité de gain.

L’art. 36 LAA part du principe que non seulement un accident, mais aussi d’autres causes (étrangères à l’accident) peuvent provoquer une certaine atteinte à la santé. Conformément au principe selon lequel l’assurance-accidents ne doit prendre en charge que les conséquences des accidents, l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA prévoit, entre autres, pour les rentes d’invalidité et les indemnités pour atteinte à l’intégrité, une réduction des prestations en cas d’influence de facteurs étrangers à l’accident. Le principe de causalité est cependant limité par l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA avec, pour but, de faciliter le règlement des sinistres en cas de circonstances étrangères à l’accident assuré et d’éviter que la personne assurée ne doive s’adresser à plusieurs assureurs pour le même événement. L’application de cette disposition présuppose que l’accident et l’événement non assuré ont causé ensemble une certaine atteinte à la santé (arrêt 8C_172/2018 du 4 juin 2018 consid. 4.4.2). L’ampleur de la réduction est déterminée en fonction du rôle des causes étrangères à l’accident dans l’atteinte à la santé (cf. art. 47 OLAA).

Consid. 7.2.2
L’assurance-accidents ne prétend pas, et il n’apparaît pas non plus, qu’avant les accidents de 2011 et 2012, l’assurée aurait été limitée dans sa capacité de gain en raison de douleurs à l’épaule dues à une maladie. Une réduction de la rente d’invalidité n’entre donc pas d’emblée en ligne de compte, au sens de l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA.

Consid. 7.3.1
Conformément à la jurisprudence, la deuxième phrase de l’art. 36 al. 2 LAA ne s’applique pas à l’évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, ce qui signifie que cette prestation peut être réduite en raison d’un état antérieur, même si celui-ci n’avait pas entraîné de diminution de la capacité de gain avant l’accident (SVR 2008 UV n° 6 p. 19, U 374/06 consid. 2 ; arrêts 8C_472/2022 du 18 octobre 2022 consid. 5.2 ; 8C_691/2021 du 24 février 2022 consid. 3.2 ; 8C_808/2019 du 17 juin 2020 consid. 3.1 ; 8C_192/2015 du 1er mars 2016 consid. 5.2). Dans un premier temps, l’atteinte à l’intégrité doit être évaluée globalement selon l’annexe 3 de l’OLAA ou, si nécessaire, selon les directives figurant dans les tableaux de la division médicale de la Suva. Dans un second temps, l’indemnité doit être réduite conformément à l’art. 36 al. 2 LAA, en fonction de la part causale des événements non assurés dans l’atteinte globale à l’intégrité (ATF 116 V 156 consid. 3c ; arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6).

Consid. 7.3.2
L’instance cantonale a considéré comme convaincante l’atteinte à l’intégrité fixée par l’expert judiciaire. Il en résulte une perte d’intégrité de 10% pour l’épaule droite (mobile jusqu’à 30° au-dessus de l’horizontale selon la table 1 de la Suva) et de 15% pour l’épaule gauche (mobile jusqu’à l’horizontale). Le tribunal cantonal ne s’est pas prononcé sur une éventuelle réduction en raison de causes étrangères à l’accident.

Consid. 7.3.3
Il ressort de l’expertise judiciaire que l’assurée souffrait déjà de douleurs à l’épaule avant les deux accidents de 2011 et 2012. L’expert a conclu qu’il y avait eu une rupture partielle du tendon sus-épineux tant à gauche qu’à droite. En ce qui concerne l’épaule gauche, il a parlé d’un tendon gravement endommagé. Le traitement de la fracture de l’humérus a transformé une rupture partielle de haut niveau en une rupture complète, en raison de la technique chirurgicale. A droite, l’accident du 15.09.2011 a entraîné la progression d’une rupture partielle du tendon sus-épineux, bien compensée sur le plan fonctionnel et provoquant des douleurs supportables, vers une rupture complète de ce tendon.

Consid. 7.3.4
Il est donc établi que les deux accidents ont touché des épaules présentant des atteintes préexistantes. L’expertise judiciaire ne permet toutefois pas de déterminer l’importance des causes étrangères à l’accident pour les atteintes à la santé donnant droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité. Certes, l’expert a expliqué de manière générale que les maladies étrangères à l’accident étaient systématiquement exclues de l’évaluation de la situation pertinente pour l’accident, car elles ne faisaient pas l’objet de l’expertise. Mais il n’a répondu à la question concrète concernant une atteinte à l’intégrité qu’en indiquant des pourcentages (bras droit : 10% ; bras gauche : 15%), de sorte qu’il n’est pas clair s’il a réellement exclu les lésions préexistantes ou s’il n’a pas même pas chiffré l’ensemble de l’atteinte. Etant donné qu’il incombe au médecin de constater et d’évaluer les lésions préexistantes ou autres troubles non liés à l’accident, respectivement les parts de l’indemnité globale (arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6), il n’est pas possible de juger en l’espèce si et dans quelle mesure l’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être réduite. En renonçant à des investigations supplémentaires dans ce contexte, l’instance inférieure a violé la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA). L’affaire doit être renvoyée au tribunal cantonal afin qu’il clarifie la question, le cas échéant en interrogeant l’expert judiciaire.

Dans la mesure où les intimés font valoir que l’interdiction d’invoquer des nova devant le Tribunal fédéral s’oppose à une réduction [selon l’art. 36 al. 2 LAA], on peut se référer à ce qui a été dit au consid. 6.5 supra. L’assurance-accidents est en principe libre de faire valoir pour la première fois devant le Tribunal fédéral une réduction de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité (ainsi que de la rente d’invalidité) selon l’art. 36 al. 2 LAA (ATF 136 V 362 consid. 3.4.4 et consid. 4.1 et les références). Mais comme l’assurance-accidents ne peut pas demander au Tribunal fédéral moins que ce qu’elle a elle-même accordé – dans la procédure de recours cantonale, elle a demandé la confirmation de la décision sur opposition -, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité ne peut finalement pas être inférieure à celle fixée par la décision sur opposition (15% ; ATF 136 V 362 consid. 4.2 et les références).

 

Consid. 8
Enfin, le grief de l’assurance-accidents selon lequel l’instance cantonale aurait violé l’art. 20 al. 2ter let. a LAA en accordant à l’assurée une rente non réduite même après l’âge ordinaire de la retraite est infondé. En effet, la deuxième phrase de l’al. 2 des dispositions transitoires de la modification du 25 septembre 2015 stipule explicitement que la rente n’est pas réduite si la bénéficiaire de la rente atteint l’âge ordinaire de la retraite moins de huit ans après l’entrée en vigueur. L’art. 20 al. 2ter LAA est entré en vigueur le 01.01.2017 et l’assurée a atteint l’âge ordinaire de la retraite en 2021, soit moins de huit ans avant l’entrée en vigueur du nouveau droit. L’instance inférieure n’a donc pas violé le droit fédéral en renonçant à une réduction de la rente.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_663/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/01/8c_663-2022)

 

8C_631/2022 (i) du 24.03.2023 – Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Délai de recours pour un assuré résidant en Italie – Dépôt du recours à la poste italienne / 39 LPGA – 60 LPGA

Pas d’application de l’ALCP ni du Règl. (CE) no 883/2004

Notion de résidence selon Règl. n° 883/2004 et 13 LPGA

 

Assuré, ressortissant italien né en 1983, a travaillé pendant plusieurs années en Suisse en tant qu’ouvrier du bâtiment. Accident le 09.08.2016.

Par décision du 30.12.2020, envoyée directement à l’avocat de l’assuré résidant en Italie, l’assurance-accidents a octroyé une rente d’invalidité de 12% dès le 01.01.2021. Par décision sur opposition du 09.02.2021, notifiée directement à l’avocat de l’assuré le 16.02.2021, l’assurance-accidents a confirmé la décision du 30.12.2020.

 

Procédure cantonale

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition auprès du tribunal cantonal. L’acte de recours daté du 16.03.2021 a été remis à la poste italienne le 18.03.2021 et est parvenu au tribunal le 24.03.2021. Dans un arrêt du même jour, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le fond du recours en raison de la tardiveté de celui-ci.

Dans son arrêt 8C_307/2021 du 25.08.2021, le Tribunal fédéral a admis le recours formé par l’assuré, annulant le jugement du 24.03.2021 et renvoyant la cause à l’instance cantonale. Le Tribunal fédéral a notamment relevé que le tribunal cantonal avait constaté le domicile de l’assuré – fait déterminant pour la détermination du droit applicable (interne ou international) en matière de computation du délai de recours et de mode de notification des actes – sans procéder aux actes d’instruction nécessaires et sans garantir à l’assuré le droit d’être entendu.

Dans un arrêt du 09.03.2022, le tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours du 16.03.2021, le considérant comme tardif.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir mal interprété l’Accord entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ci-après : ALCP [RS 0.142.112.681]) et le Règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (ci-après : Règlement n° 883/2004 [RS 0.831.109.268.1]), dans la mesure où, pour déterminer l’applicabilité (ou non) du droit international précité, elle a procédé à l’établissement de l’existence d’un élément transfrontalier du litige, à savoir son lieu de résidence. Selon l’assuré, , se fondant sur l’art. 2 par. 1 du Règlement n° 883/2004, le simple fait qu’il soit ressortissant italien entraînerait automatiquement l’application de ce règlement, selon lequel, en vertu de l’art. 81 (demandes, déclarations ou recours), la remise d’une demande ou d’un recours à la poste d’un État membre – autre que celui qui détermine la loi applicable à l’affaire – sauvegarde le délai de recours à la poste, de sorte que le recours doit être considéré comme opportun.

Consid. 4.2
Dans les considérants de l’arrêt attaqué, la cour cantonale a exposé de manière complète et détaillée les règles de droit et les principes jurisprudentiels nécessaires à la résolution de la cause, en rappelant notamment les délais de recours et les règles de computation et de respect des délais en droit national (en particulier les art. 39 et 60 LPGA), ainsi qu’en droit européen (art. 81 Règlement n° 883/2004). Il est possible de s’y référer et de s’y conformer.

Appelé à se prononcer concrètement sur la législation applicable, le tribunal cantonal a ensuite relevé que, pour que l’assuré puisse invoquer l’ALCP et les règlements européens, il est indispensable que la cause présente un élément transfrontalier. Comme en l’espèce le litige relatif aux prestations sociales contestées était prima facie circonscrit à la Suisse, où il travaillait et vivait depuis de nombreuses années, la cour cantonale a donc procédé à la vérification de son lieu de résidence au moment où il a déposé son recours par l’intermédiaire de ses avocats, ainsi que le Tribunal fédéral l’a expressément indiqué dans son arrêt de renvoi (8C_307/2021 consid. 5.2-5.3).

Consid. 4.3
En ce qui concerne le champ d’application personnel (ratione personae) de l’ALCP et du Règlement n° 883/2004, le Tribunal fédéral a jugé que les éléments déterminants pour cette appréciation sont, d’une part, les conditions de nationalité ou de statut familial de la personne et, d’autre part, l’élément transfrontalier, à savoir l’exercice du droit à la libre circulation, c’est-à-dire le fait de résider ou de travailler dans un État membre de l’UE (ATF 143 V 81 consid. 8.1 et 8.3.2). Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), à laquelle le Tribunal fédéral se réfère généralement pour l’application de l’ALCP (voir ATF 143 II 57 consid. 3.6 ; 139 II 393 consid. 4. 1), les dispositions européennes relatives à la coordination des systèmes de sécurité sociale ne sauraient en effet s’appliquer à des activités qui n’ont de lien avec aucune des situations couvertes par le droit communautaire et dont les éléments pertinents restent dans l’ensemble confinés à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt pro multis du 5 mai 2011 C-434/09 McCarthy, consid. 45). Il y a caractère transfrontalier lorsqu’une personne, une affaire ou une demande a une relation juridique avec plusieurs États de l’UE. Dans ce cas, le lieu de résidence ou de travail entre notamment en ligne de compte (ATF 143 V 81 consid. 8.3.1 ; voir BETTINA HUMMER, in Europäisches Sozialrecht, Maximilian Fuch/Constanze Janda [éd.], 8e éd. 2022, no. 16 ad art. 2 du Règlement [CE] no 883/2004). Le seul fait de posséder la nationalité d’un État de l’UE ne suffit donc pas pour appliquer les règlements européens de sécurité sociale si la personne concernée n’a pas exercé son droit à la libre circulation (lien transfrontalier). Par conséquent, l’interprétation faite par le tribunal cantonal est conforme au droit international. L’assuré ne saurait donc être suivie lorsque, ignorant la jurisprudence fédérale constante, elle procède à une réanalyse générale de l’art. 2 par. 1 du Règlement no 883/2004 pour aboutir au résultat que le seul fait de posséder la nationalité d’un État communautaire, indépendamment de l’exercice ou non du droit à la libre circulation, entraînerait l’application personnelle du règlement précité.

 

Consid. 5.1
Le tribunal cantonal a tout d’abord constaté la présence de deux attestations de domicile contradictoires : l’extrait du service de l’état civil du canton des Grisons du 25.03.2021 indiquait que l’assuré était domicilié dans la commune de V.__ depuis 2018, alors que les certificats des 14.04.2021 et 26.11.2021 délivrés par la commune de W.__ (Italie) attestaient qu’il était domicilié dans la commune depuis le 27.10.2020. Les juridictions grisonnes ont également constaté que le contrat de location de l’appartement à V.__ – loué depuis le 01.04.2018 – n’avait pas encore été résilié et que l’assuré avait payé le loyer sans interruption, au moins jusqu’en juin 2021. Le tribunal cantonal a ensuite relevé que l’assuré était un citoyen italien titulaire d’un permis L UE/AELE de séjour temporaire, qu’il avait travaillé en Suisse pendant au moins sept ans en percevant un salaire stable jusqu’à son accident et qu’il était assujetti à l’impôt à la source depuis 2010. L’enquête a ensuite permis d’établir que l’assuré percevait des indemnités de chômage à partir du 01.01.2021, indemnités qui requièrent légalement une résidence effective en Suisse, et que dans le cadre de l’inscription au chômage, tant l’assuré que les autorités communales ont confirmé résider dans la commune de V.__. Pendant la période en question, soit entre février et mars 2021, il avait en outre témoigné de ses efforts personnels pour trouver un emploi en Suisse. La cour cantonale a finalement constaté que l’assuré était titulaire d’un abonnement de téléphonie mobile suisse – en Italie, il ne disposait que d’une carte prépayée – et que ses principales dépenses, constatées sur la base de la documentation bancaire, étaient principalement concentrées en Suisse. Sur la base des éléments du dossier, le tribunal cantonal a donc conclu que le requérant, bien que citoyen italien, non inscrit à l’Anagrafe dei Residenti all’Estero (AIRE) et propriétaire d’un bien immobilier à W.__, n’avait pas établi un lien avec l’Italie de nature à y reconnaître une résidence habituelle, à savoir avec l’intention de la maintenir pendant un certain temps et d’en faire le centre de ses relations personnelles durant cette période.

Consid. 5.2
L’assuré reproche à l’instance cantonale d’avoir déterminé son domicile de manière arbitraire et d’avoir appliqué à cet effet une base légale et des critères erronés. Il reproche en particulier au tribunal cantonal d’avoir retenu à tort la notion de résidence habituelle au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA et de l’art. 8 al. 1 lit. c LACI, au lieu de celle de domicile au sens de l’art. 23 CC, pour en déduire les critères de résidence au sens de l’article 1er lit. j Règlement n° 883/2004. En raison de la détention d’un permis L UE/AELE, qui ne peut en aucun cas être assimilé à un séjour en Suisse, il ne devrait également être considéré que comme un résident temporaire. En ce qui concerne les constatations de fait manifestement inexactes, l’assuré soutient que le tribunal cantonal a totalement ignoré le fait qu’au moment du dépôt du recours, il avait la nationalité italienne, n’était pas inscrit auprès de l’AIRE, ne travaillait pas, voyageait fréquemment d’Italie en Suisse et vice versa, qu’il était propriétaire d’un bien immobilier en Italie et titulaire d’un permis L UE/AELE valable pour trois mois seulement. Il ressort de ces éléments qu’il entretenait des relations juridiques avec l’Italie et qu’il ne se rendait en Suisse que pour des raisons professionnelles et administratives, sans avoir l’intention de s’y installer durablement. En conclusion, le requérant reproche à l’instance cantonale d’avoir appliqué à tort le droit fédéral – art. 39 al. 1 et 60 LPGA – au lieu du droit international, déclarant ainsi le recours irrecevable pour tardiveté.

Consid. 5.3
Selon l’art. 1er lit. j du Règl. n° 883/2004 – qui correspond à l’ancien art. 1er lit. h du Règlement [CE] n° 1408/71, abrogé avec effet au 1er avril 2012 -, la résidence est le lieu où une personne réside habituellement. Le terme de résidence constitue, en principe, une notion autonome et propre du droit communautaire européen (arrêt [de la CJUE] du 11 septembre 2014 C-394/13 Ministerstvo práce a sociálních vecí, point 26 ; arrêt 8C_186/2017 du 1er septembre 2017 consid. 7.5). L’art. 11 du Règlement d’exécution [CE] n° 987/2009 (RS 0.831.109.268.11) assimile la résidence au centre des intérêts de la personne concernée, qui est déterminé par une appréciation globale des circonstances. Cet article codifie également les éléments développés par la jurisprudence de la CJUE qui peuvent être pris en compte pour déterminer le centre d’intérêts susmentionné, tels que, par exemple, la durée et la continuité de la présence sur le territoire des États membres concernés, l’exercice d’une activité ou la situation et les liens de la famille (arrêt C-394/13, point 34 ; cf. point 5). Enfin, la définition de la résidence diffère de celle du séjour à l’art. 1er lit. k du Règl. n° 883/2004, qui est défini comme un séjour purement temporaire. Dans le cadre des accords sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, notamment dans l’application des règlements européens sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, le Tribunal fédéral a déjà constaté, sur la base de la jurisprudence de la CJUE, que le droit communautaire laisse largement ouverte la question de la détermination de la résidence et confie généralement cette notion au droit national respectif (ATF 138 V 533 consid. 4.2, 186 consid. 3.3.1).

Du point de vue du Règl. n° 883/2004, la jurisprudence fédérale a ainsi établi que la résidence est le lieu où se trouve le centre de vie de la personne ; elle peut dépendre à la fois de circonstances subjectives, fondées principalement sur la volonté de la personne concernée, et de circonstances objectives, qui sont déterminées par les conditions de vie extérieures et qui peuvent également diverger de la volonté déclarée (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1). Toutefois, ce sont les aspects objectifs et non les aspects subjectifs qui sont déterminants pour le jugement (ATF 148 V 209 consid. 4.3 ; 138 V 533 consid. 4.2). En outre, la simple durée de résidence dans un État membre de l’UE n’est pas décisive pour déterminer le lieu de résidence (HUMMER, op. cit., n° 20 à l’art. 1 du Règl. n° 883/2004 avec les références à la jurisprudence de la CJUE). Ce qui est déterminant, en revanche, c’est de savoir si la personne concernée a localisé (ou non) le centre de ses intérêts dans l’État en question. Pour ce faire, il faut tenir compte de la nature de la profession exercée, du but de l’absence du pays d’origine, de la situation familiale et de l’intention de l’intéressé de retourner au lieu où il était précédemment employé, démontrée par l’ensemble des circonstances (ATF 138 V 186 consid. 3.3.1 ; 133 V 137 consid. 7.2 ; 131 V 222 consid. 7.4). Sur la base de l’art. 11 par. 1 lit. b du Règl. n° 987/2009, la situation de vie de la personne concernée peut également être prise en compte.

Comme l’a relevé à juste titre le tribunal cantonal, la définition de la résidence en droit communautaire correspond, pour l’essentiel, à celle du droit interne (ATF 148 V 209 consid. 4.3). En effet, selon l’art. 13 al. 2 LPGA, une personne a sa résidence habituelle (« propria dimora abituale » ; « gewöhnlicher Aufenthalt ») au lieu où elle vit pendant une période prolongée, même si la durée du séjour est d’emblée limitée. Il s’agit d’une notion créée par la jurisprudence fédérale (cf. ATF 119 V 98 consid. 6c) et propre au droit des assurances sociales. Selon une jurisprudence constante, la résidence habituelle au sens de la disposition précitée suppose donc un séjour effectif en Suisse et l’intention de le maintenir pendant un certain temps, même si la durée du séjour est d’emblée limitée ; en outre, le centre des relations de la personne doit se trouver en Suisse (ATF 141 V 530 consid. 5.3 ; 119 V 98 consid. 6c ; 112 V 164 consid. 1a). Ainsi, du point de vue du droit interne également, le domicile au sens de la résidence habituelle se situe là où se trouve le centre de vie de la personne concernée.

Consid. 5.4
L’assuré, sauf de manière générale, ne démontre pas le caractère insoutenable des constatations de l’instance cantonale. Dans la mesure où il se concentre notamment sur l’appréciation de la cour cantonale au regard des faits de la cause et du but allégué de son séjour en Suisse, il ne démontre pas leur caractère manifestement infondé, mais se contente d’opposer abusivement son opinion à celle des juges cantonaux. En tout état de cause, le raisonnement du tribunal cantonal est convaincant. Les circonstances factuelles évoquées par l’assuré ne suffisent pas à remettre en cause le raisonnement de la cour cantonale.

En effet, les considérants détaillés de la décision attaquée montrent que la cour cantonale a apprécié tous les éléments pertinents pour l’établissement des faits et a examiné de manière approfondie les griefs de l’assuré. Plus précisément, la cour cantonale a relevé que l’absence d’enregistrement AIRE ne prouve pas en soi l’absence de résidence à l’étranger et que la possibilité pour l’assuré d’un renouvellement illimité des permis UE/AELE de type L ne saurait raisonnablement prouver, au vu de tous les autres éléments du dossier, qu’il n’avait pas l’intention de résider durablement en Suisse. D’ailleurs, il est resté en Suisse malgré les blessures qu’il a subies. Même le fait qu’il ait acheté un bien immobilier en Italie ne semble pas déterminant pour admettre le retour de l’assuré dans son pays d’origine, puisque le bail de l’appartement en Suisse est toujours en cours. L’instance cantonale a ensuite pris acte du refus de l’assuré de déclarer le moment du prétendu déménagement en Italie et de produire les documents fiscaux italiens pour les années 2019-2020 et l’éventuelle résiliation du bail de l’appartement en Suisse. Par conséquent, pour la cour cantonale, des éléments plus concrets étaient nécessaires pour conclure à un déménagement en Italie. On ne saurait donc admettre que la cour cantonale ait déterminé le domicile de l’assuré par une interprétation insoutenable et en contradiction flagrante avec les documents de la cause.

Consid. 5.5
A cet égard, l’assuré semble oublier qu’en matière d’assurances sociales, la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération (ATF 144 III 264 consid. 5.2). Le juge fonde sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références).

En l’espèce, il est plus vraisemblable que le centre des relations personnelles de l’assuré se trouvait dans le canton des Grisons, où il a travaillé et vécu pendant des années et bénéficié de prestations sociales qui, selon la loi, exigent une résidence effective en Suisse, et non en Italie, où il semble n’avoir fait qu’acquérir un bien immobilier. En outre, le refus de l’assuré de déclarer au tribunal cantonal la date de son prétendu déménagement en Italie est également révélateur. A cet égard, après avoir dûment analysé les éléments de preuve, en particulier le dossier relatif aux prestations de l’assurance-chômage en Suisse, les documents bancaires et les documents relatifs à la location en Suisse, la cour cantonale a estimé, conformément au droit fédéral, que les circonstances invoquées par l’assuré n’étaient pas suffisantes pour établir une résidence habituelle en Italie. Il s’ensuit que les critiques de l’assuré ne sont pas fondées à cet égard. La cour cantonale n’ayant pas constaté arbitrairement la résidence de l’assuré en Suisse, c’est donc à juste titre qu’elle a considéré que le recours déposé était tardif (art. 39 al. 1 et 60 LPGA ; cf. arrêt de renvoi 8C_307/2021 du 25 août 2021 consid. 4).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_631/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_631/2022 (i) du 24.03.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/8c_631/2022)