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8C_663/2022 (d) du 30.11.2023 – Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Détermination du revenu d’invalide – Revenu effectif vs revenu selon ESS / 16 LPGA

Capacité de travail exigible inférieur dans l’activité exercée mais capacité de gain supérieure – Obligation de réduire le dommage

Nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, admissible devant le Tribunal fédéral – 99 LTF

Suppression du revenu effectivement réalisé en raison d’un état maladif / 17 LPGA

Evaluation de l’IPAI et état préexistant / 36 al. 2 LAA

Réduction de la rente d’invalidité à l’âge AVS et dispositions transitoires / 20 al. 2ter LAA

 

Assurée, née en 1957, travaillait à 60% comme masseuse (assurée en LAA auprès d’Helsana) et à 30% comme professeur de musique (assurée en LAA auprès d’Allianz). 1er accident le 15.09.2011 (fracture de la tête radiale droite et arrachement du tendon sus-épineux). 2ème accident le 12.12.2012 (fracture de l’humérus gauche). Entre les deux accidents, on a diagnostiqué chez elle un carcinome mammaire qui a nécessité des interventions chirurgicales et une chimiothérapie. Helsana a d’abord versé les prestations temporaires (traitement médical et indemnités journalières). Elle a mandaté le Dr E.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, pour une expertise médicale (expertise du 28.03.2014 avec complément du 26.08.2014). Pour des raisons de coordination, Allianz a ensuite pris en charge la gestion du cas et a dès lors versé les prestations temporaires. Elle a demandé au Dr E.__ une nouvelle évaluation (expertise du 14.11.2016), mais l’a ensuite rejeté et s’est basée à la place sur sa première expertise datant de 2014. Par décision du 13.11.2018, confirmée sur opposition le 04.12.2019, Allianz a mis un terme aux prestations temporaires au 31.10.2014, a nié tout droit à une rente et a accordé à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité pour une perte d’intégrité de 15% au total.

Entre-temps, l’office AI a octroyé à l’assurée, par décision du 26.09.2014, une rente entière d’invalidité dès le 01.11.2012 puis une demi-rente dès le 01.08.2013. En raison d’une péjoration de l’état de santé (récidive tumorale et aggravation d’un handicap visuel congénital) en octobre 2016, la rente AI a été augmentée à une rente entière dès le 01.01.2017 (décision du 27.03.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt VSBES.2020.14 – consultable ici)

Ayant considéré les expertises du Dr E.__ comme non probante, le tribunal cantonal a ordonné une expertise orthopédique auprès du bureau d’expertise F.__ (rapport du 05.02.2021). La cour cantonale n’ayant pas reconnu une pleine valeur probante à cette expertise, elle a demandé au Dr G.__, spécialiste en chirurgie orthopédique, de procéder à une surexpertise (rapport du 20.11. 2021).

En raison des séquelles des accidents, l’activité de masseuse exercée n’était plus possible au moment de la stabilisation de l’état de santé au 01.11.2014. Pour l’activité de professeur de musique, il existait en revanche une capacité de travail de 70% (par rapport à un taux d’occupation de 100%) avec un rendement de 50% et, dans une activité adaptée (activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée seulement, par exemple dans un musée), une capacité de travail de 80% avec un rendement de 60%, soit une capacité de travail de 48%. Partant des revenus réalisés avant l’accident, calculés sur la base d’un taux d’occupation de 100%, le tribunal cantonal a calculé un revenu sans invalidité 87’432 francs. Comparé au revenu d’invalide de 25’821 fr. (ESS, niv. 1, ligne Total, capacité de travail de 48%), le taux d’invalidité a été fixé à 70%.

Par jugement du 10.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité de 70% dès le 01.11.2014, à une IPAI de 25% et a mis à charge de l’assurance-accidents Allianz les frais de l’expertise judiciaire du Dr G.__ à hauteur de 8’617 fr. 30.

 

TF

Consid. 5.2
Dans son expertise du 20.11.2021, le Dr G.__ a qualifié l’activité de professeur de musique de niveau élémentaire comme adaptée, dans une mesure d’une capacité de 70% avec un rendement de 50%.

L’expert judiciaire a mentionné trois autres activités professionnelles théoriquement possibles, qu’il a qualifiées d’adaptées aux limitations fonctionnelles. Premièrement : des conseils purs aux clients, sans sollicitation des deux épaules de toutes sortes, ou seulement pendant une courte durée, en position debout, assise ou en marchant, avec des instructions de courte durée avec les bras à hauteur du ventre ou au maximum à hauteur de la poitrine. Une telle activité serait possible en temps à hauteur de 80% avec un rendement de 50%. Deuxièmement : activités de surveillance sans utilisation des bras ou avec une utilisation de courte durée (p. ex. surveillance dans un musée). De tels travaux sont possibles à 80% avec un rendement de 60%. Troisièmement : les activités administratives sur ordinateur, possibles à 50% avec un rendement de 50% en raison des pauses plus fréquentes dues aux douleurs. En général, une activité adaptée doit remplir les conditions suivantes : Pas de port de charges de plus de 2 kg, pas de soulèvement de charges de plus de 2 kg au-dessus de la hauteur du ventre et uniquement à proximité du corps, pas de travaux au-dessus de la hauteur maximale de la poitrine, pas d’activités nécessitant une rotation externe des deux épaules, pas d’activités répétitives et pas de maintien limité dans la même position, par exemple devant un PC.

Ainsi, selon l’expertise judiciaire, les activités de surveillance offrent la meilleure capacité de travail et de rendement. Mais l’activité de professeur de musique à 70% avec une baisse de rendement de 50% est également considérée comme une activité adaptée, ce qui est important pour le calcul de l’invalidité, comme il ressort de ce qui suit. On peut donc laissée ouverte la question de savoir si l’évaluation par l’expert de la capacité de travail pour des activités de surveillance simples est pleinement convaincante.

Consid. 6.3
Conformément à la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2).

Consid. 6.4
Il n’est pas contesté que l’assurée a continué à travailler comme professeur de musique au moment de la stabilisation de l’état de santé et de l’examen du droit à la rente (01.11.2014). Selon les indications de l’employeur (Commune d’U.__), l’assurée avait un taux d’occupation de 10 à 11 leçons entre 2014 et 2016, correspondant à un taux de 33-37% sur la base d’un temps de travail habituel de 30 leçons par semaine. Il est en outre établi que cette activité pouvait être raisonnablement exigée d’elle à partir du 25.04.2013 à raison de 70% avec une baisse de rendement de 50%. En conséquence, l’instance cantonale a constaté qu’il existait une capacité de travail de 35% (70% x 50%) pour l’activité de professeur de musique. Il ne fait aucun doute que l’emploi de professeur de musique était un rapport de travail stable. En même temps, il n’y a pas d’indices qu’une partie du salaire ait été un salaire social. Par «capacité de travail résiduelle pleinement exploitée», la jurisprudence entend ensuite que la personne assurée exploite au mieux sa capacité de travail du point de vue lucratif (arrêts 8C_590/2019 du 22 novembre 2019 consid. 5.3 et la référence ; 8C_367/2018 du 25 septembre 2018 consid. 5.3.3 ; 8C_839/2010 du 22 décembre 2010 consid. 3.6).

Tel est le cas en l’espèce, puisque l’assurée a réalisé en 2014 [ndt : année de l’examen du droit à la rente] un revenu effectif de 39’980 fr. 10 en tant que professeur de musique. En revanche, l’instance précédente entend prendre en compte un revenu hypothétique d’invalide nettement inférieur de 25’821 fr. pour une activité non qualifiée, ce qui est contraire à l’obligation de réduire le dommage applicable dans le domaine des assurances sociales (ATF 138 V 457 consid. 3.2 et les références).

 

Consid. 6.5
L’objection des intimés [ndt : héritiers de l’assurée, décédée en décembre 2022] selon laquelle l’assurance-accidents n’a à aucun moment fait valoir dans la procédure de première instance que le revenu d’invalide devait être déterminé sur la base du revenu effectivement réalisé et qu’elle ne saurait être prise en considération en raison de l’interdiction des nova n’est pas pertinente. La question de savoir si les salaires statistiques sont applicables est une question de droit librement vérifiable (arrêt 9C_566/2019 du 19 mai 2020 consid. 5.3 et la référence). Un nouveau raisonnement juridique, fondé sur des faits figurant au dossier, est admissible devant le Tribunal fédéral (ATF 136 V 362 consid. 4.1). L’assurance-accidents a déjà calculé le revenu d’invalidité dans sa décision du 13 .11.2018 en partant du salaire de l’assurée en tant que professeur de musique. Le calcul du revenu d’invalidité a d’ailleurs fait l’objet d’un procès devant le tribunal cantonal. Un comportement contraire à la bonne foi de l’assurance-accidents n’est ainsi pas reconnaissable, pas plus que l’existence de faits nouveaux (irrecevables).

Consid. 6.6
Si l’on se base sur le revenu d’invalidité effectivement réalisé par l’assurée en 2014 en tant que professeur de musique, soit 39’980 fr. 10, il résulte, après comparaison avec le revenu sans invalidité – non contesté – de 87’432 fr., un degré d’invalidité de 54%.

Consid. 6.7
Selon les constatations de l’instance cantonale, l’assurée a été en incapacité de travail totale à partir du 15.10.2016 pour cause de maladie (récidive du carcinome mammaire et aggravation importante du handicap visuel). Après une incapacité de travail prolongée, l’employeur a résilié le contrat de travail au 30.10. 2017.

La suppression du revenu effectivement réalisé à partir de novembre 2017 a modifié la situation professionnelle et donc l’évaluation de l’invalidité, ce qui constitue en règle générale un motif de révision (arrêt 8C_728/2020 du 23 juin 2021 consid. 3.2 et les références). En l’espèce, une incapacité de gain totale due à la maladie est toutefois survenue après le début de la rente de l’assurance-accidents, de sorte qu’il n’y avait pas de place pour une augmentation de la rente d’invalidité de l’assurance-accidents en raison d’une révision (ATF 147 V 161 consid. 5.2.5 et consid. 5.3). Par conséquent, l’incapacité de gain totale due à la maladie à partir du 15.10.2016 avec résiliation des rapports de travail au 30.10.2017 n’entraîne aucune adaptation de la rente de l’assurance-accidents, même dans le cadre de la première fixation de la rente concernée en l’espèce.

Consid. 7.2.1
Selon l’art. 36 al. 2 LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident. Toutefois, en réduisant les rentes, on ne tiendra pas compte des états antérieurs qui ne portaient pas atteinte à la capacité de gain.

L’art. 36 LAA part du principe que non seulement un accident, mais aussi d’autres causes (étrangères à l’accident) peuvent provoquer une certaine atteinte à la santé. Conformément au principe selon lequel l’assurance-accidents ne doit prendre en charge que les conséquences des accidents, l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA prévoit, entre autres, pour les rentes d’invalidité et les indemnités pour atteinte à l’intégrité, une réduction des prestations en cas d’influence de facteurs étrangers à l’accident. Le principe de causalité est cependant limité par l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA avec, pour but, de faciliter le règlement des sinistres en cas de circonstances étrangères à l’accident assuré et d’éviter que la personne assurée ne doive s’adresser à plusieurs assureurs pour le même événement. L’application de cette disposition présuppose que l’accident et l’événement non assuré ont causé ensemble une certaine atteinte à la santé (arrêt 8C_172/2018 du 4 juin 2018 consid. 4.4.2). L’ampleur de la réduction est déterminée en fonction du rôle des causes étrangères à l’accident dans l’atteinte à la santé (cf. art. 47 OLAA).

Consid. 7.2.2
L’assurance-accidents ne prétend pas, et il n’apparaît pas non plus, qu’avant les accidents de 2011 et 2012, l’assurée aurait été limitée dans sa capacité de gain en raison de douleurs à l’épaule dues à une maladie. Une réduction de la rente d’invalidité n’entre donc pas d’emblée en ligne de compte, au sens de l’art. 36 al. 2, deuxième phrase, LAA.

Consid. 7.3.1
Conformément à la jurisprudence, la deuxième phrase de l’art. 36 al. 2 LAA ne s’applique pas à l’évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, ce qui signifie que cette prestation peut être réduite en raison d’un état antérieur, même si celui-ci n’avait pas entraîné de diminution de la capacité de gain avant l’accident (SVR 2008 UV n° 6 p. 19, U 374/06 consid. 2 ; arrêts 8C_472/2022 du 18 octobre 2022 consid. 5.2 ; 8C_691/2021 du 24 février 2022 consid. 3.2 ; 8C_808/2019 du 17 juin 2020 consid. 3.1 ; 8C_192/2015 du 1er mars 2016 consid. 5.2). Dans un premier temps, l’atteinte à l’intégrité doit être évaluée globalement selon l’annexe 3 de l’OLAA ou, si nécessaire, selon les directives figurant dans les tableaux de la division médicale de la Suva. Dans un second temps, l’indemnité doit être réduite conformément à l’art. 36 al. 2 LAA, en fonction de la part causale des événements non assurés dans l’atteinte globale à l’intégrité (ATF 116 V 156 consid. 3c ; arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6).

Consid. 7.3.2
L’instance cantonale a considéré comme convaincante l’atteinte à l’intégrité fixée par l’expert judiciaire. Il en résulte une perte d’intégrité de 10% pour l’épaule droite (mobile jusqu’à 30° au-dessus de l’horizontale selon la table 1 de la Suva) et de 15% pour l’épaule gauche (mobile jusqu’à l’horizontale). Le tribunal cantonal ne s’est pas prononcé sur une éventuelle réduction en raison de causes étrangères à l’accident.

Consid. 7.3.3
Il ressort de l’expertise judiciaire que l’assurée souffrait déjà de douleurs à l’épaule avant les deux accidents de 2011 et 2012. L’expert a conclu qu’il y avait eu une rupture partielle du tendon sus-épineux tant à gauche qu’à droite. En ce qui concerne l’épaule gauche, il a parlé d’un tendon gravement endommagé. Le traitement de la fracture de l’humérus a transformé une rupture partielle de haut niveau en une rupture complète, en raison de la technique chirurgicale. A droite, l’accident du 15.09.2011 a entraîné la progression d’une rupture partielle du tendon sus-épineux, bien compensée sur le plan fonctionnel et provoquant des douleurs supportables, vers une rupture complète de ce tendon.

Consid. 7.3.4
Il est donc établi que les deux accidents ont touché des épaules présentant des atteintes préexistantes. L’expertise judiciaire ne permet toutefois pas de déterminer l’importance des causes étrangères à l’accident pour les atteintes à la santé donnant droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité. Certes, l’expert a expliqué de manière générale que les maladies étrangères à l’accident étaient systématiquement exclues de l’évaluation de la situation pertinente pour l’accident, car elles ne faisaient pas l’objet de l’expertise. Mais il n’a répondu à la question concrète concernant une atteinte à l’intégrité qu’en indiquant des pourcentages (bras droit : 10% ; bras gauche : 15%), de sorte qu’il n’est pas clair s’il a réellement exclu les lésions préexistantes ou s’il n’a pas même pas chiffré l’ensemble de l’atteinte. Etant donné qu’il incombe au médecin de constater et d’évaluer les lésions préexistantes ou autres troubles non liés à l’accident, respectivement les parts de l’indemnité globale (arrêt U 344/01 du 11 septembre 2002 consid. 6), il n’est pas possible de juger en l’espèce si et dans quelle mesure l’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être réduite. En renonçant à des investigations supplémentaires dans ce contexte, l’instance inférieure a violé la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA). L’affaire doit être renvoyée au tribunal cantonal afin qu’il clarifie la question, le cas échéant en interrogeant l’expert judiciaire.

Dans la mesure où les intimés font valoir que l’interdiction d’invoquer des nova devant le Tribunal fédéral s’oppose à une réduction [selon l’art. 36 al. 2 LAA], on peut se référer à ce qui a été dit au consid. 6.5 supra. L’assurance-accidents est en principe libre de faire valoir pour la première fois devant le Tribunal fédéral une réduction de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité (ainsi que de la rente d’invalidité) selon l’art. 36 al. 2 LAA (ATF 136 V 362 consid. 3.4.4 et consid. 4.1 et les références). Mais comme l’assurance-accidents ne peut pas demander au Tribunal fédéral moins que ce qu’elle a elle-même accordé – dans la procédure de recours cantonale, elle a demandé la confirmation de la décision sur opposition -, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité ne peut finalement pas être inférieure à celle fixée par la décision sur opposition (15% ; ATF 136 V 362 consid. 4.2 et les références).

 

Consid. 8
Enfin, le grief de l’assurance-accidents selon lequel l’instance cantonale aurait violé l’art. 20 al. 2ter let. a LAA en accordant à l’assurée une rente non réduite même après l’âge ordinaire de la retraite est infondé. En effet, la deuxième phrase de l’al. 2 des dispositions transitoires de la modification du 25 septembre 2015 stipule explicitement que la rente n’est pas réduite si la bénéficiaire de la rente atteint l’âge ordinaire de la retraite moins de huit ans après l’entrée en vigueur. L’art. 20 al. 2ter LAA est entré en vigueur le 01.01.2017 et l’assurée a atteint l’âge ordinaire de la retraite en 2021, soit moins de huit ans avant l’entrée en vigueur du nouveau droit. L’instance inférieure n’a donc pas violé le droit fédéral en renonçant à une réduction de la rente.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_663/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_663/2022 (d) du 30.11.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/01/8c_663-2022)

 

8C_46/2023 (f) du 26.10.2023 – Evaluation du taux d’invalidité pour un employé avec un salaire fixe et un bonus variable (dépendant du résultat de l’exercice annuel de la société) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_46/2023 (f) du 26.10.2023

 

Consultable ici

 

Evaluation du taux d’invalidité pour un employé avec un salaire fixe et un bonus variable (dépendant du résultat de l’exercice annuel de la société) / 16 LPGA

Nécessité d’un lien de causalité entre la perte de gain et l’atteinte à la santé

Conséquences de l’absence de preuve

 

Assuré, comptable depuis octobre 1983 au service de la fiduciaire B.__ SA, dont il est directeur et, depuis janvier 2015, administrateur avec droit de signature individuelle, après avoir été administrateur-secrétaire de 1998 à 2000 et administrateur-président de janvier 2010 à janvier 2015. Il est également administrateur-président de la société C.__ SA depuis décembre 2001, avec droit de signature individuelle. Ladite société est détenue par B.__ SA et sise à la même adresse que cette dernière.

Le 12.03.2015, l’assuré a été percuté par une camionnette, alors qu’il circulait à vélo. L’accident lui a causé un polytraumatisme impliquant de nombreuses fractures et notamment un traumatisme crânio-cérébral ainsi que des atteintes neurologiques. Generali a pris en charge le cas.

L’assuré, en incapacité totale de travail depuis l’accident, a pu reprendre son activité à 50% dès le 01.07.2015. Il a ensuite progressivement augmenté son taux d’activité, à 60% dès le 01.04.2016, puis à 75% dès le 01.07.2016 et à 100% dès le 01.01.2017, avant de connaître une nouvelle incapacité de travail de 10% dès le 01.03.2017, la tentative de reprise à plein temps s’étant soldée par un échec, en raison d’un état de fatigue accru.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a considéré que l’état de santé de l’assuré était stabilisé et a mis fin au versement de l’indemnité journalière et à la prise en charge du traitement médical avec effet au 31.08.2019. Elle a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, mais lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité, fondée sur un taux de 32.5%, compte tenu des atteintes orthopédiques et neurologiques.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 108/20-154/2022 – consultable ici)

Par jugement du 14.12.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition dans le sens de la reconnaissance du droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 37.5%.

 

TF

Consid. 3.2
Chez les assurés exerçant une activité lucrative, le taux d’invalidité doit être évalué sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1). Dans certaines circonstances, il est possible de fixer la perte de gain d’un assuré directement sur la base de son incapacité de travail en faisant une comparaison en pour-cent (arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 consid. 2.2). Cette méthode constitue une variante admissible de la comparaison des revenus basée sur des données statistiques: le revenu hypothétique réalisable sans invalidité équivaut alors à 100%, tandis que le revenu d’invalide est estimé à un pourcentage plus bas, la différence en pour-cent entre les deux valeurs exprimant le taux d’invalidité (arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 consid. 6.2.2 et les arrêts cités). L’application de cette méthode se justifie notamment lorsque les salaires avant et/ou après invalidité ne peuvent pas être déterminés ou lorsque l’activité exercée précédemment est encore possible (en raison par exemple du contrat de travail qui n’a pas été résilié) (arrêt 9C_237/2016 précité consid. 2.2; MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, LPGA, 2018, n° 44 s. ad art. 16 LPGA).

Consid. 3.3
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 4.1
La cour cantonale a retenu que l’assuré présentait une diminution de rendement de 10% due aux séquelles de l’accident du 12.03.2015. Dans la mesure où il avait repris le travail en juillet 2015 en qualité de comptable et directeur de B.__ SA, et qu’il s’agissait-là d’une activité stable dont on pouvait admettre qu’elle mettait pleinement en valeur sa capacité résiduelle de travail et de gain, l’invalidité devait être calculée en fonction de sa situation professionnelle concrète.

Consid. 4.2
Sur le plan économique, les juges cantonaux ont constaté que l’assuré était rémunéré d’une double manière, à savoir par un salaire fixe et par un bonus variable, résultant de la répartition entre les associés d’une enveloppe de direction déterminée chaque printemps en fonction du résultat de l’exercice annuel précédent.

En ce qui concernait la rémunération fixe, la cour cantonale a retenu que, depuis le 01.09.2019, l’assuré avait perçu un salaire fixe inférieur de 10% au salaire qui aurait été le sien sans invalidité. S’agissant de la rémunération variable (bonus), l’éventuel préjudice économique subi par l’assuré ne pouvait pas être évalué en valeurs absolues. Une comparaison en francs des bonus avec et sans atteinte à la santé n’était pas représentative, puisque le montant versé à l’assuré était tributaire de la valeur de l’enveloppe à répartir, autrement dit du résultat réalisé par l’entreprise. Il n’était dès lors pas possible de distinguer une éventuelle influence des limitations fonctionnelles de l’assuré sur le montant perçu d’une simple variation du bénéfice de la société due à d’autres facteurs. Ce constat s’illustrait notamment s’agissant du bonus alloué à l’assuré pour les années 2016 et 2018, qui avait été respectivement de 93’072 fr. 93 et de 60’075 fr.40, alors que la clé de répartition de l’enveloppe était identique avec 66,66% en faveur de l’assuré contre 33,33% en faveur de D.__. Une comparaison du bonus s’imposait mais elle devait s’opérer sur des valeurs relatives, à savoir sur les proportions de la clé de répartition de l’enveloppe de direction. Or les documents produits par l’assuré en réponse à une mesure d’instruction du 26.08.2022 ne permettaient pas de vérifier les allégations de celui-ci, selon lesquelles la proportion en sa faveur était passée de 66,66% à 60%. En effet, le ratio de deux tiers pour lui et un tiers pour D.__ n’avait été appliqué que depuis 2016, soit précisément l’année qui avait suivi l’accident. Le bonus alloué à l’assuré pour 2013, première année de partage de l’enveloppe de direction avec D.__, représentait 70% de l’enveloppe. En 2014, année précédant l’accident, sa part avait chuté à 37% contre 63% pour D.__, étant précisé que selon une attestation du 07.09.2022 de cette dernière, le bonus décidé début 2015 pour l’année 2014 tenait également compte de l’absence très fréquente de l’assuré en 2014 en raison d’un important conflit familial. En 2015, la part de l’assuré au bonus s’était à nouveau limitée à 34%. Ces chiffres étaient bien loin d’une clé de répartition linéaire et durable de 66,66% en faveur de l’assuré et de 33,33% en faveur de D.__. Au final, la clé de répartition du bonus entre les intéressés avait constamment varié au fil des années, sans que l’assuré parvienne à démontrer que ces variations seraient attribuables aux séquelles de son accident et à sa capacité résiduelle de travail. Alors que l’assuré annonçait une diminution de sa part de 66,66% à 60% dès 2019 pour tenir compte de son incapacité de travail de 10%, sa part s’était ensuite encore réduite à 55% en 2020, puis à 50% en 2021, alors que son incapacité de travail, inchangée, était toujours de 10%. Ainsi, la part de l’assuré au bonus avait varié de manière substantielle entre 2013 et 2021, pour passer de très faible certaines années avant l’accident (2014 et 2015), à haute alors même que l’assuré travaillait à un taux d’activité réduit en raison des séquelles de son accident (2016 à 2018). Il ne pouvait donc pas être retenu comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante que les variations de la part de l’assuré au bonus étaient en lien de causalité avec les séquelles de l’accident du 12.03.2015 et sa capacité de travail désormais réduite.

Consid. 4.3
Enfin, les explications données par B.__ SA, sous signature de l’assuré, au sujet de l’évolution de sa rémunération en fonction de son état de santé avaient varié au fil du temps, de sorte qu’elles semblaient dénuées de cohérence, voire contradictoires. En définitive, dès lors que l’assuré avait échoué à rendre vraisemblable une réduction de sa part au bonus annuel de minimum 10% qui pourrait être mise en lien de causalité avec l’accident assuré, la seule diminution de 10% de son salaire fixe ne suffisait pas à établir à satisfaction une différence de 10% au moins entre les revenus globaux sans et avec invalidité. C’était ainsi de manière fondée que l’assurance-accidents avait considéré que l’assuré ne présentait pas une invalidité au moins égale à 10% et lui avait refusé l’octroi d’une rente de l’assurance-accidents.

 

Consid. 5.1.2
Il est vrai que le bonus afférent à l’année 2015, alloué début 2016, porte sur l’année de l’accident, survenu en mars 2015. Cela ne change toutefois rien au raisonnement des juges cantonaux en tant que ceux-ci ne voient pas de corrélation entre les clés de répartition de l’enveloppe des bonus et la capacité résiduelle de travail de l’assuré due à son accident. En effet, il n’est pas contesté que la clé de répartition était moins favorable à l’assuré en 2014 (37%) que de 2016 à 2021 (de 50 à 66,66%). Quand bien même l’année 2014 fut marquée par des absences liées à un conflit familial, il n’est pas possible d’en déduire que la clé aurait été supérieure à 66,66% s’il avait été plus présent. En tant que l’assuré soutient qu’il aurait fallu se fonder sur davantage d’années, il perd de vue que l’argumentation des juges cantonaux visait à répondre à son allégation selon laquelle avant l’accident, la clé de répartition était de 66,66% en sa faveur. En outre, à la lecture du tableau produit par l’assuré en instance cantonale ce n’est qu’à partir de 2014 que le bonus (afférent à 2013) a été fixé sur la base d’une enveloppe de direction à partager avec D.__ selon une clé de répartition. Autrement dit, il n’est pas possible d’opérer un examen de la clé de répartition sur trois ou quatre années avant l’accident. En tout état de cause, le fait que les proportions ont varié entre 2019 et 2021, alors que la capacité de travail résiduelle était stabilisée, montre qu’il n’y a pas de lien direct entre celle-ci et la répartition de l’enveloppe. Dans cette mesure, les conclusions des juges cantonaux sur l’absence de rapport de causalité entre les séquelles de l’accident et les variations de la part au bonus échappent à la critique.

 

Consid. 5.3.1
L’assuré procède ensuite à son propre calcul des revenus avec et sans invalidité. Sur la base de l’extrait du compte individuel AVS et des fiches de salaire, il invoque un revenu sans invalidité de 255’509 fr. 55 (moyenne des années 2011 à 2014) et un revenu avec invalidité de 204’229 fr. 95 (moyenne des années 2015 à 2019, hors indemnités journalières). Il n’est selon lui pas compréhensible que la cour cantonale n’ait pas considéré ces chiffres et qu’elle se soit fondée sur la clé de répartition du bonus, qui ne serait pas déterminante. Il faudrait bien plus se fonder sur le bénéfice effectivement réparti.

Consid. 5.3.2
En l’occurrence, les juges cantonaux ont refusé de se fonder sur les valeurs absolues du bonus au motif que celui-ci était tributaire du résultat réalisé par l’entreprise, lequel ne permettait pas de distinguer l’influence des limitations fonctionnelles de l’assuré d’une simple variation du bénéfice due à d’autres facteurs. Cela étant, le raisonnement des juges cantonaux n’est pas incompréhensible, ni contraire au droit. La jurisprudence reconnaît d’ailleurs que les données comptables ne permettent pas de tirer des conclusions valables sur la diminution de la capacité de gain due à l’invalidité lorsque les résultats de l’exploitation ont été influencés par des facteurs étrangers à l’invalidité (cf. arrêts 8C_1/2020 du 15 octobre 2020 consid. 3.2; 9C_826/2017 du 28 mai 2018 consid. 5.2; 9C_106/2011 du 14 octobre 2011 consid. 4.3 et les références). En outre, si l’examen auquel a procédé la cour cantonale sur la base de la clé de répartition de l’enveloppe n’a pas permis d’établir une perte de gain suffisante liée à l’accident, l’argumentation de l’assuré ne le permet pas non plus. A cet égard, il ne suffit pas de se prévaloir d’une diminution des revenus effectivement perçus. Encore faut-il que la baisse éventuelle du bénéfice de la société, en fonction duquel est calculé le montant de l’enveloppe des bonus à répartir, soit imputable à l’accident de l’assuré, étant précisé que, selon un rapport de visite du 10.10.2019, B.__ SA compte plusieurs associés, dont trois travaillent dans l’entreprise, et emploie, avec la société C.__ SA, neuf collaborateurs en tout.

 

Consid. 6.2
La diminution de 10% du salaire fixe de l’assuré à compter de la fin de son droit aux indemnités journalières (pour tenir compte d’une capacité de travail de 90%), se distingue manifestement de la question du bonus. En effet, le bonus – dont il n’est pas contesté qu’il est fixé en fonction du bénéfice de la société et de la clé de répartition – ne dépend pas, à tout le moins pas directement ni uniquement, de la capacité de travail de l’assuré. Or, comme on l’a déjà dit (cf. consid. 5.3.2), pour reconnaître le droit de l’assuré à une éventuelle rente d’invalidité, il faut que la perte de gain (à déterminer selon une des méthodes reconnues par la jurisprudence) soit imputable à l’accident assuré (sur la nécessité d’un lien de causalité entre la perte de gain et l’atteinte à la santé, cf. MOSER-SZELESS, op. cit. n° 28 s. ad art. 7 LPGA). A la lecture du tableau récapitulatif des bonus produit par l’assuré en procédure cantonale, on observe que l’enveloppe à répartir est passée de 84’239 fr. 24 en 2015 (pour l’année 2014) à 98’625 fr. 47 en 2016 (pour l’année 2015). Autrement dit, l’enveloppe des bonus, qui dépend du bénéfice de la société, a augmenté l’année de l’accident par rapport à l’année précédente. Elle est même passée à 139’609 fr. 40 en 2017 (bonus afférents à l’année 2016). On ne voit toutefois pas en quoi le versement des indemnités journalières par l’assurance-accidents permettrait d’expliquer la hausse de l’enveloppe des bonus à répartir. Dans ces conditions, on ne peut que confirmer l’absence de lien de causalité entre la diminution des revenus alléguée par l’assuré et son incapacité de travail de 10%. Enfin, les faits de la présente cause se distinguent de ceux qui ont fait l’objet de l’arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 où la méthode de comparaison en pour-cent a été appliquée. En effet, la rémunération de l’assurée concernée était certes composée d’une part fixe et d’une part variable, mais cette dernière dépendait des commissions perçues par l’assurée et non du bénéfice de la société. De surcroît, il n’y a pas lieu d’appliquer la méthode en pour-cent en l’espèce car la difficulté de la cause ne consiste pas dans l’impossibilité à chiffrer les revenus sans et avec invalidité mais dans la reconnaissance d’une perte de gain (suffisante) imputable à l’accident, ce que les pièces au dossier n’ont précisément pas permis d’établir. Un renvoi de la cause apparaît par ailleurs superflu. Il s’ensuit que l’assuré devra supporter les conséquences de l’absence de preuve (cf. consid. 3.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_46/2023 consultable ici

 

8C_605/2022 (f) du 29.06.2023 – Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / Niveau de compétences 2 vs 1 / Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_605/2022 (f) du 29.06.2023

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 vs 1 – Eventuelles compétences acquises sur le plan administratif ne remplacent pas une formation commerciale ou bureautique

Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

 

Assurée est titulaire d’un CFC d’assistante en soins et santé communautaire obtenu en 2007 après avoir suivi une formation d’aide-soignante en France. Engagée le 01.11.2010 en tant qu’assistante en soins et santé communautaire. Accident de la circulation le 30.06.2015, lequel lui a notamment causé des lésions au niveau de l’épaule gauche. Après une interruption de travail suivie d’une reprise, elle a été en incapacité totale de travailler depuis le 01.02.2016.

Par décision sur opposition du 15.02.2019, l’assurance-accidents a mis fin au versement des indemnités journalières avec effet au 31.01.2019. Cette décision n’a pas été contestée.

Par décision, confirmée sur opposition le 25.06.2021, l’assurance-accidents a clôturé le cas, considérant que l’état de santé de l’assurée était stabilisé au 30.11.2019, date à partir de laquelle elle ne prendrait plus en charge les frais médicaux; elle a reconnu le droit de l’intéressée à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 22% dès le 01.12.2019 et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/792/2022 – consultable ici)

Par jugement du 09.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 47% à compter du 01.11.2018.

 

TF

Consid. 3
En ce qui concerne le revenu sans invalidité (en soi non contesté par les parties), les juges cantonaux ont retenu qu’en 2015, l’assurée travaillait pour l’institution B.__ à raison de 32 heures par semaine, soit à un taux d’activité de 80%. Le revenu annuel tiré de cette activité s’élevait à 73’918 fr. 75, ce qui correspondait à 92’398 fr. 45 à temps plein. Adapté à la hausse générale des salaires dans la branche économique « santé, hébergement médico-social et action sociale » entre 2015 et 2018 selon un taux de 1.014%, cela aboutissait à un revenu sans invalidité final de 93’335 fr. 35.

Pour le revenu avec invalidité, les juges cantonaux se sont fondés sur le salaire médian global des femmes, niveau de compétence 1, de la table TA1_tirage_skill_level (ci-après: TA1) de l’ESS, ce qui correspondait à un salaire mensuel de 4’371 fr., respectivement à un salaire annuel de 52’452 fr. pour 40 heures de travail hebdomadaires. Adapté à la durée normale hebdomadaire de travail en 2018 en Suisse, à savoir 41,7 heures, cela aboutissait à un salaire de référence en 2018 de 54’681 fr. 20 ([52’452/40] x 41.7). Sur la question d’un abattement sur le salaire statistique, les juges cantonaux ont confirmé le taux de 10% retenu par l’assurance-accidents. Le revenu hypothétique d’invalide de l’assurée en 2018 s’élevait donc à 49’213 fr. 10.

En conséquence, la cour cantonale a retenu un taux d’invalidité de 47,273% ([93’335.35 – 49’213.10] / 93’335.35 x 100), arrondi à 47%.

Consid. 4.1
L’assurance-accidents reproche à l’instance cantonale de s’être fondée sur le salaire médian global pour les femmes dans les emplois de niveau de compétence 1 de la table TA_1 de l’ESS 2018 plutôt que sur le salaire médian dans les emplois de niveau de compétence 2 dans la branche économique « Assurances » (ligne 65) de la table « T1_skill_level » (secteur privé et secteur public ensemble) (ci-après: T1) de l’ESS 2018.

A propos du choix de la table, l’assurance-accidents fait valoir qu’on ne saurait faire abstraction de l’historique professionnel de l’assurée, dans la mesure où le fait d’avoir déjà exercé un emploi durant huit ans dans le secteur public augmenterait de manière substantielle les chances de retrouver un emploi dans ce secteur, y compris dans un nouveau domaine d’activité. Le fait que l’assurée ait déjà exercé un emploi dans le secteur public permettrait de démontrer que celui-ci lui est également ouvert. La jurisprudence admettrait d’ailleurs que l’on peut se référer à la table T1 lorsque la personne assurée a exercé sa dernière activité dans le secteur public. En l’occurrence, l’assurance-accidents fait valoir qu’une activité adaptée à son état de santé après l’événement invalidant dans ce secteur serait également envisageable et qu’il serait en effet notoire que les directions de la santé des administrations cantonales et les offices AI emploient des collaborateurs administratifs ayant une formation de base dans le domaine médical ou paramédical.

En ce qui concerne la branche d’activités applicable, l’assurance-accidents fait valoir que l’assurée disposerait de solides connaissances médicales et paramédicales et d’une longue expérience professionnelle dans le domaine de la santé. Avant d’être engagée en qualité d’assistante en soins et santé communautaire par l’institution B.__ dès le 01.11.2010, l’assurée avait travaillé pendant de nombreuses années à la clinique C.__, d’abord comme aide-soignante puis comme assistante en soins et santé communautaire dès l’obtention de son CFC en 2007. Les compétences et l’expérience professionnelles de l’assurée dans le domaine de la santé correspondraient aux critères de plusieurs offres d’emploi dans le secteur des assurances (en référence aux pièces produites à l’appui de son recours et devant l’instance cantonale). La majorité des offres d’emploi pour des postes dans les services administratifs des assurances actives dans le domaine de la santé et dans les offices AI mettraient en effet l’accent sur la nécessité d’avoir achevé une formation dans le domaine médical ou paramédical et de disposer de plusieurs années d’expérience dans ce domaine. Les connaissances administratives, assécurologiques voire juridiques ne constitueraient qu’un atout supplémentaire. Il existerait ainsi sur un marché du travail équilibré des emplois dans le domaine des assurances pour lesquels l’assurée disposerait d’un profil adéquat et qui seraient dès lors raisonnablement exigibles de sa part.

 

Consid. 4.2.1
Selon la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base des données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ATF 148 V 419 consid. 5.2 et les arrêts cités). Dans ce cas, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 (secteur privé), à la ligne « total » (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). Toutefois, lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Il y a en revanche lieu de se référer à la ligne « total » secteur privé lorsque l’assuré ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’il est tributaire d’un nouveau domaine d’activité pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible (arrêt 8C_405/2021 du 9 novembre 2021 consid. 5.2.1 et les références). En outre, lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 (secteur privé) pour se référer à une table portant sur les secteurs privé et public ensemble, si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et que le secteur en question est adapté et exigible (ATF 148 V 174 consid. 6.2; arrêts 8C_205/2021 du 4 août 2021 consid. 3.2.2; 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2).

Consid. 4.2.2
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêt 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 5.1.2 et les arrêts cités). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.3 et les arrêts cités). L’application du niveau 2 se justifie uniquement si la personne assurée dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêt 8C_801/2021 du 28 juin 2022 consid. 3.4 et les arrêts cités).

Consid. 4.2.3
En l’espèce,
après avoir relevé que la dernière activité exercée par l’assurée (en tant qu’assistante en soins et santé communautaire) relevait du secteur public, les juges cantonaux ont retenu que celle-ci était totalement incapable de travailler dans ce domaine d’activité au 01.11.2018, et que cette situation perdurerait à l’avenir (éléments qui ne sont pas contestés par l’assurance-accidents). Aussi, selon les juges cantonaux, dès lors que rien au dossier ne laissait spécifiquement penser que l’assurée pourrait retrouver plus facilement une place dans le secteur public dans un nouveau domaine d’activité, en comparaison avec un assuré moyen, il convenait d’avoir recours au tableau TA1. Pour déterminer le revenu d’invalide, c’était en effet la situation de l’assurée après la survenance de son invalidité qui était déterminante. Le fait que celle-ci ait autrefois exercé un emploi dans le secteur public ne signifiait donc pas automatiquement qu’il en serait de même à l’avenir.

Consid. 4.2.4
Ces considérations ne prêtent pas le flanc à la critique et il convient de s’y rallier. Certes, l’activité d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, peut s’exercer dans le secteur public. Il n’en reste pas moins qu’il est établi que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle. On ajoutera, au demeurant, que l’activité d’aide-soignante de l’assurée auprès de la clinique C.__ relevait du secteur privé. En ce qui concerne ensuite la branche d’activité « Assurances », comme l’ont relevé les juges cantonaux, elle recouvre la souscription de contrats d’assurance de rente et d’autres formes de contrats d’assurance ainsi que l’investissement des primes pour constituer un portefeuille d’actifs financiers en prévision des sinistres futurs ainsi que la fourniture de services d’assurance et de réassurance directe (cf. notes explicatives de la nomenclature NOGA 2008). En l’occurrence, la formation d’aide-soignante et d’assistante en soins et santé communautaire, ainsi que l’expérience accumulée dans ce domaine, ne justifient en rien de se fonder sur cette branche d’activité. La faculté reconnue par la jurisprudence de se référer aux salaires de secteurs particuliers plutôt qu’à la ligne « total » concerne les cas dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Or, en l’espèce, l’assurée n’a pas travaillé dans le domaine des assurances pendant de nombreuses années. Même si elle pouvait hypothétiquement trouver un emploi dans le secteur administratif d’une assurance, en référence aux offres d’emploi produites par l’assurance-accidents, on ne peut pas encore en déduire que cette branche d’activité soit exigible de sa part, alors qu’il n’apparaît pas – en tout cas l’assurance-accidents ne le soutient pas – qu’elle aurait bénéficié de mesures de réadaptation dans ce secteur. C’est donc à raison que les juges cantonaux se sont référés à la ligne « total » de la table TA1, dès lors que l’assurée ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’elle est tributaire d’un nouveau domaine d’activités pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible.

 

Consid. 5.1
Par une argumentation subsidiaire, l’assurance-accidents soutient que les juges cantonaux auraient violé l’art. 16 LPGA en n’adaptant pas le revenu hypothétique d’invalide au moyen d’une « parallélisation inversée » des revenus. Elle soutient en résumé qu’avant l’accident, l’assurée percevait un revenu nettement supérieur au revenu médian des personnes au profil similaire, de sorte qu’il conviendrait d’augmenter le revenu hypothétique d’invalide dans la même proportion, en l’occurrence 36,80% (41,80% – 5% de marge tolérée). A cet égard, elle compare le revenu sans invalidité perçu auprès de l’institution B.__ en 2018, soit 93’335 fr. 35, et le salaire statistique médian d’une employée ayant prétendument les mêmes caractéristiques, soit 65’819 fr. 50 selon l’ESS 2018, T1, lignes 86-88 « domaines de la santé humaine et de l’action sociale », avec un niveau de compétence 2 et un horaire hebdomadaire de 41.6 heures.

Consid. 5.2
L’argumentation est mal fondée. En effet, la possibilité d’opérer un parallélisme des revenus a été introduite afin de ne pas défavoriser et éventuellement exclure du cercle des bénéficiaires de rente les personnes dont les revenus avant l’invalidité étaient nettement inférieurs aux salaires habituels de la branche pour des raisons étrangères à l’invalidité et sans que les personnes en question s’en contentent délibérément (sur le parallélisme des revenus cf. notamment ATF 134 V 322). Tel n’est précisément pas le cas de l’assurée et il n’y a aucun motif de pénaliser cette dernière pour tenir compte du fait qu’elle était éventuellement bien mieux rémunérée que la moyenne des salariés actifs dans son domaine de compétence. En outre, si le salaire perçu auprès de l’institution B.__ était (hypothétiquement) justifié par l’expérience ou d’autres qualités ou compétences personnelles de l’assurée, cela ne signifie pas encore qu’elle pourra mettre à profit ces caractéristiques de la même manière dans un nouveau domaine d’activité auprès d’un nouvel employeur. Contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents de manière péremptoire, on ne voit pas que si une personne perçoit un salaire nettement supérieur à la moyenne dans l’activité exercée en bonne santé en raison de ses caractéristiques personnelles, tout indiquerait qu’elle serait également en mesure de réaliser un revenu largement supérieur à la moyenne ensuite de l’événement invalidant.

 

Consid. 6.1
Par une argumentation plus subsidiaire, l’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir également violé l’art. 16 LPGA en ne se fondant pas sur le niveau de compétence 2 pour fixer le revenu hypothétique d’invalide. Elle invoque à cet égard les compétences professionnelles de l’assurée et ses limitations fonctionnelles excluant un travail du membre supérieur gauche au-dessus de l’horizontale et le port de charges de plus de trois ou quatre kilos.

Consid. 6.2
Ce grief doit être rejeté. En effet, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, pour laquelle elle dispose d’une formation complète. Or rien au dossier n’indique qu’elle aurait, durant ses années d’activité, assuré des tâches administratives ou logistiques outrepassant largement l’administration de soins, qui, quoi qu’en dise l’assurance-accidents, constitue l’essentiel des tâches incombant aux professions susmentionnées (cf. a contrario arrêt 8C_202/2022 du 9 novembre 2022 consid. 4.4). En outre, les éventuelles compétences que l’assurée aurait acquises sur le plan administratif ne peuvent manifestement pas remplacer une formation commerciale ou bureautique. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser, à propos d’une infirmière qui ne pouvait plus exercer son activité habituelle et ne disposait pas de compétences professionnelles transposables dans un autre domaine, qu’il convenait de se référer au niveau de compétence 1 pour déterminer le revenu d’invalide (arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.2). Quant aux limitations fonctionnelles invoquées par l’assurance-accidents, elles ne présentent pas de contraintes majeures ou de spécificités telles qu’elles seraient incompatibles avec le large éventail d’activités légères du niveau de compétence 1 sur un marché équilibré du travail (sur cette notion, cf. arrêts 8C_240/2021 consid. 3; 9C_597/2018 du 18 janvier 2019 consid. 5.2 et les arrêts cités).

 

Le rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_605/2022 consultable ici

 

8C_39/2023 (f) du 14.07.2023 – Capacité de travail partielle et baisse de rendement post-TCC sévère – Pas d’abattement pour la capacité partielle ni la baisse de rendement – 19 LAA – 16 LPGA / Prise en charge des frais médicaux après stabilisation de l’état de santé

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_39/2023 (f) du 14.07.2023

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité / 19 LAA – 16 LPGA

Capacité de travail partielle et baisse de rendement post-TCC sévère – Pas d’abattement pour la capacité partielle ni la baisse de rendement

Prise en charge des frais médicaux après stabilisation de l’état de santé / 21 al. 1 LAA

 

Assuré, né en 1990, a débuté un apprentissage de cuisinier le 15.08.2006. Le 03.07.2008, il a été victime d’un accident alors qu’il circulait à scooter. Le diagnostic principal de polytraumatisme avec TCC sévère a été posé.

L’office AI a alloué à l’assuré une rente entière d’invalidité à compter du 01.09.2014.

Après expertise pluridisciplinaire (neurologie, psychiatrie et neuropsychologie), l’assureur-accidents a, par décision du 10.12.2019 confirmée sur opposition, alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 18% à compter du 01.01.2015 et une IPAI de 35%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 09.12.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens qu’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 27% à partir du 01.01.2015 a été octroyée à l’assuré et que le droit au « remboursement des frais médicaux liés à l’accident du 03.07.2008 » (plus précisément, selon les considérants, le droit au remboursement au-delà du 31.08.2015 des frais occasionnés par un traitement psychotrope et un suivi psychiatrique) lui a été reconnu

 

TF

Consid. 3.2
La cour cantonale a constaté que l’expert en neurologie avait indiqué que la seule affection limitant la capacité de travail de l’assuré était un syndrome neuropsychologique en lien avec une contusion cérébrale; dans l’activité habituelle comme dans une activité adaptée, la capacité de travail était de 80% avec une perte de rendement de 20%. Dans le même sens, l’expert en neuropsychologie avait fait état d’une capacité de travail de 80% avec un rendement de 80%, soit une capacité de travail équivalant à 64%. Selon l’experte en psychiatrie, la capacité de travail pouvait être fixée à 80% avec une diminution de rendement de 20 à 25%. L’expert en neurologie avait précisé qu’en consensus, une capacité résiduelle de travail de 60% (80% avec une diminution de rendement de 20 à 25%) avait été retenue. L’instance cantonale a estimé que sur la base de cette appréciation consensuelle, une capacité résiduelle de travail de 60% dans une activité adaptée pouvait être retenue.

Consid. 3.4
Au terme d’une appréciation consensuelle, les experts ont fait état d’une « capacité de travail de 60% (80% de capacité de travail en taux horaire avec une diminution de rendement de 20-25% sur ce 80%) « . Ce taux de 60%, qui correspond à une capacité de travail de 80% avec une diminution de rendement de 25% sur ce 80%, entre bien dans la fourchette d’une baisse de rendement de 20 à 25% évoquée par l’experte en psychiatrie puis reprise en consensus. Il n’y a donc pas lieu de s’en s’écarter, quand bien même les experts n’ont pas exposé pour quelle raison ils ont finalement privilégié – toujours en consensus – une baisse de rendement de 25%.

 

Consid. 4.1.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 4.1.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 4.1.4
Le critère du taux d’occupation réduit peut être pris en compte pour déterminer l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique d’invalide lorsque le travail à temps partiel se révèle proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps. A cet égard, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de constater que le travail à plein temps n’est pas nécessairement proportionnellement mieux rémunéré que le travail à temps partiel; dans certains domaines d’activités, les emplois à temps partiel sont en effet répandus et répondent à un besoin de la part des employeurs, qui sont prêts à les rémunérer en conséquence (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêt 9C_18/2022 du 9 novembre 2022 consid. 3.2 et les arrêts cités). Cela étant, le travail à temps partiel peut, selon les statistiques, être synonyme d’une perte de salaire pour les travailleurs de sexe masculin (arrêt 9C_18/2022 précité consid. 3.2 in fine et les arrêts cités).

Consid. 4.2
La cour cantonale a fixé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS 2014, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes. S’agissant de l’abattement, elle a retenu que les facteurs de la nationalité, de l’âge et des années de service n’entraient pas en ligne de compte. Il en allait de même des limitations fonctionnelles, dont il avait déjà été tenu compte pour déterminer la capacité de travail. En revanche, dès lors que « dans une activité adaptée, non seulement le rendement, mais aussi la capacité de travail […] a[vait] fait l’objet d’une diminution par les médecins-experts », un abattement de 5% était justifié. Compte tenu d’une capacité résiduelle de travail de 60% et d’un abattement de 5%, le revenu d’invalide s’élevait à 37’991 fr. 95. En présence d’un revenu sans invalidité non contesté de 52’074 fr., il en résultait un taux d’invalidité (arrondi) de 27%.

Consid. 4.4
Selon les médecins-experts, l’assuré doit limiter les activités impliquant un rythme de travail soutenu, la gestion du stress et la prise de responsabilités; des activités sans pression temporelle et interactions sociales « confrontantes » doivent également être privilégiées, l’intéressé présentant par ailleurs un besoin d’encadrement, une tendance à la désorganisation, de la fatigabilité et des troubles de l’attention. Ce sont précisément ces limitations fonctionnelles qui ont amené les experts à conclure que l’assuré disposait d’une capacité de travail de 80% avec une baisse de rendement de 25%, soit une capacité équivalant à une activité à 60% (cf. consid. 3.4 supra), de sorte qu’un abattement en raison des limitations fonctionnelles est exclu, comme retenu à juste titre par les juges cantonaux. En revanche, c’est à tort que ceux-ci ont appliqué un abattement de 5% au seul motif que l’assuré ne disposait pas d’une pleine capacité de travail avec un plein rendement. Dès lors que pour calculer le revenu d’invalide, ils ont multiplié par 60% le revenu annuel pour une activité à plein temps issu de l’ESS, le travail à temps partiel ne se révèle pas proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps (cf. consid. 4.1.4 supra). Le revenu d’invalide, qui ne peut faire l’objet d’aucun abattement, doit ainsi être corrigé et s’élève à 39’991 fr. 54. Compte tenu d’un revenu sans invalidité de 52’074 fr., le taux d’invalidité doit être fixé à 23%.

 

Consid. 5.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase).

Aux termes de l’art. 21 al. 1 LAA, lorsque la rente a été fixée, les prestations pour soins et remboursement de frais (art. 10 à 13) sont accordées à son bénéficiaire dans les cas suivants: lorsqu’il souffre d’une maladie professionnelle (let. a); lorsqu’il souffre d’une rechute ou de séquelles tardives et que des mesures médicales amélioreraient notablement sa capacité de gain ou empêcheraient une notable diminution de celle-ci (let. b); lorsqu’il a besoin de manière durable d’un traitement et de soins pour conserver sa capacité résiduelle de gain (let. c); lorsqu’il présente une incapacité de gain et que des mesures médicales amélioreraient notablement son état de santé ou empêcheraient que celui-ci ne subisse une notable détérioration (let. d). Selon la jurisprudence, l’art. 21 al. 1 let. d LAA s’applique uniquement aux bénéficiaires d’une rente d’invalidité qui présentent une incapacité totale de travail (ATF 124 V 52 consid. 4; arrêts 8C_601/2022 du 31 mars 2023 consid. 5.2; 8C_434/2020 du 26 octobre 2020 consid. 4.3 et les arrêts cités).

Consid. 5.2
Les juges cantonaux ont souligné que l’assurance-accidents avait mis un terme au paiement du traitement médical à partir du 01.09.2015. Dans leur rapport, les médecins-experts avaient évoqué l’instauration d’un traitement psychotrope ou d’une thérapie psychiatrique en cas de péjoration de l’état de santé de l’assuré. Dans ces conditions, celui-ci avait droit, en application de l’art. 21 al. 1 let. d LAA, au remboursement des frais médicaux occasionnés par ces traitements au-delà du 31.08.2015.

Consid. 5.3
L’assurance-accidents soutient qu’aucun expert n’aurait estimé que des mesures médicales pourraient améliorer notablement l’état de santé de l’assuré ou empêcher une notable détérioration dudit état de santé. En outre, il ne serait pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante qu’un traitement psychotrope ou un suivi psychiatrique seraient de nature à avoir un impact sur l’état de santé de l’assuré.

Consid. 5.4
Dès lors que l’assuré n’est pas en incapacité totale de travail, l’art. 21 al. 1 let. d LAA ne trouve pas application. Il ne résulte pas non plus des faits constatés par le tribunal cantonal que l’un des autres cas de figure – exhaustifs (arrêt 8C_601/2022 précité consid. 5.1.1 et la référence) – prévus à l’art. 21 al. 1 LAA se présenterait. S’agissant en particulier de l’art. 21 al. 1 let. c LAA, les médecins-experts n’ont pas indiqué que des soins durables étaient nécessaires pour conserver la capacité résiduelle de travail fixée à 60%. L’experte en psychiatrie s’est limitée à relever qu’en cas d’aggravation de l’état de santé, un traitement psychotrope ou un suivi psychologique pouvait être instauré. Par conséquent, c’est à tort que les juges cantonaux ont estimé que l’assuré avait droit au remboursement des frais médicaux postérieurs au 31.08.2015.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_39/2023 consultable ici

 

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023

 

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 31.08.2023 la 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023. Le tableau se trouve ici :

  • en français (estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux)
  • en italien (stima trimestrale dell’evoluzione dei salari nominali)
  • en allemand (Quartalschätzungen der Nominallohnentwicklung)

On rappellera que l’estimation de l’évolution des salaires est nécessaire afin d’indexer un revenu (sans invalidité / d’invalide) à 2023 (arrêt du Tribunal fédéral 8C_659/2022+8C_707/2022 du 2 mai 2023 consid. 7.2).

 

 

9C_304/2020 (f) du 08.07.2020 – Obligation de diminuer le dommage – Réadaptation par soi-même / Revenu d’invalide effectif après mesures de réadaptation – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_304/2020 (f) du 08.07.2020

 

Consultable ici

 

Obligation de diminuer le dommage – Réadaptation par soi-même

Revenu d’invalide effectif après mesures de réadaptation / 16 LPGA

Le fait d’effectuer pour un même taux d’activité (100%) un nombre d’heures de travail hebdomadaire plus important depuis la survenance de son atteinte à la santé sans pertinence

 

Assuré, né en 1967, a travaillé comme ouvrier de forage et conducteur d’engin de forage à plein temps du 27.04.2009 au 31.07.2012. Victime d’un arrêt de travail survenu le 01.12.2009, il a été mis en arrêt de travail complet. Après avoir tenté une reprise de son activité professionnelle, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 11.10.2012.

Selon le SMR, l’assuré pouvait depuis le 16.04.2012 exercer à plein temps une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites. L’office AI a pris en charge le coût d’un reclassement professionnel dès le 13.06.2014, notamment de logisticien, avec permis de conduire de camion et de cariste. Au terme de la formation, l’assuré a été engagé comme chauffeur à 100% dès le 01.06.2017. L’office AI a rejeté la demande de prestations; il a nié en particulier le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 31.03.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, on applique de manière générale le principe selon lequel un invalide doit, avant de requérir des prestations, entreprendre de son propre chef tout ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son invalidité; c’est pourquoi un assuré n’a pas droit à une rente lorsqu’il serait en mesure, au besoin en changeant de profession, d’obtenir un revenu excluant une invalidité ouvrant droit à une rente. La réadaptation par soi-même est un aspect de l’obligation de diminuer le dommage et prime aussi bien le droit à une rente que celui à des mesures de réadaptation. Le point de savoir si une mesure peut être exigée d’un assuré doit être examiné au regard de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret (ATF 138 I 205 consid. 3.2 p. 209 et les références).

 

Consid. 5.2
En ce qui concerne le revenu d’invalide, il doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Si l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu, qui correspond au travail effectivement fourni, ne contient pas d’élément de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 143 V 295 consid. 2.2 p. 296; 139 V 592 consid. 2.3 p. 593; 126 V 75 consid. 3b/aa p. 76; 117 V 8 consid. 2c/aa p. 17 et les références).

En se limitant à mentionner qu’il doit effectuer pour un même taux d’activité (100%) un nombre d’heures de travail hebdomadaire plus important depuis la survenance de son atteinte à la santé, l’assuré ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter de la jurisprudence constante (sur les conditions d’un changement de jurisprudence, ATF 144 V 72 consid. 5.3.2 p. 77). Du fait déjà que les activités exercées avant et après l’invalidité ne sont pas les mêmes, le nombre d’heures effectuées dans l’une et l’autre branche professionnelle n’ont pas à être « comparées de manière proportionnelle » comme le voudrait l’assuré. On ne saurait y voir une inégalité de traitement. Il ne prétend par ailleurs pas que l’on ne pourrait pas raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son atteinte à la santé, de travailler à plein temps dans sa nouvelle activité professionnelle. Les premiers juges ont dès lors fixé à bon droit le revenu d’invalide de l’assuré à 62’400 fr., soit au revenu effectivement réalisé par celui-ci après son reclassement professionnel.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_304/2020 consultable ici

 

9C_325/2022 (f) du 25.05.2023 – Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire – 44 LPGA / Revenu d’invalide selon ESS – Âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_325/2022 (f) du 25.05.2023

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire / 44 LPGA

Revenu d’invalide selon ESS – âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Revenu sans invalidité selon ESS – Niv. de compétences 1 in casu

 

Assurée, née en 1971, ayant travaillé en dernier lieu à temps partiel comme livreuse de repas à domicile (du 01.10.2005 au 30.04.2012), puis comme auxiliaire de santé polyvalente (du 01.05.2012 au 30.11.2014). Par décisions des 16.03.2011 et 03.05.2016, l’office AI a rejeté les deux premières demandes de prestations de l’assurance-invalidité déposée par la prénommée.

Le 10.04.2018, l’assurée a déposé une troisième demande de prestations. L’office AI a entre autres mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Dans un rapport établi le 09.02.2021, les médecins-experts (spécialiste en médecine interne générale, en psychiatrie et psychothérapie et en rhumatologie) ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – une douleur de l’épaule gauche sur arthropathie acromio-claviculaire, une cervicalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une lombalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une douleur en extension du poignet droit (post ablation d’un kyste, fracture et greffe osseuse) et une douleur des deux gros orteils (post chirurgie pour hallux valgus à l’âge de 18 ans); l’assurée ne pouvait plus exercer son activité habituelle depuis le 30.09.2017. Dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites, les médecins ont indiqué que l’assurée disposait d’une capacité de travail de 100%. Par décision du 09.03.2021, l’office AI a nié le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 149/21 – 160/2022 – consultable ici)

Par jugement du 23.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

2.1. Lorsque l’administration entre en matière sur une nouvelle demande (art. 87 al. 3 RAI), elle doit procéder de la même manière que dans les cas de révision au sens de l’art. 17 LPGA et comparer les circonstances prévalant lors de la nouvelle décision avec celles existant lors de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (ATF 130 V 71) pour déterminer si une modification notable du taux d’invalidité justifiant la révision du droit en question est intervenue.

 

Rapport de l’expertise pluridisciplinaire

Consid. 5.2
En l’espèce, mise à part la référence à la divergence d’opinions entre le médecin traitant, d’une part, et les médecins du centre d’expertise, d’autre part, l’assurée ne fait état d’aucun élément concret susceptible de remettre en cause les conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, ni de motifs susceptibles d’établir le caractère arbitraire de leur appréciation. En particulier, les médecins experts ont pris connaissance du résultat des IRM lombaires; ils ont indiqué que ces examens avaient montré des sacro-iliaques « parfaitement normales », avec des signes uniquement dégénératifs, sans aucun élément en faveur d’une spondylarthrite ankylosante. Quoi qu’en dise l’assurée, la tomographie par émission monophotonique (Spect) du corps entier réalisées en date du 12 juillet 2021 n’infirme par ailleurs nullement les conclusions des experts. Dans le rapport y relatif, le médecin responsable ne fait pas de lien entre les atteintes constatées (atteinte inflammatoire de l’articulation sacro-iliaque et, notamment, enthésite du tendon d’Achille) et la suspicion d’une spondyloarthrite. De plus, l’assurée ne conteste pas le fait qu’elle ne répond pas au traitement médical d’une spondylarthropathie et qu’elle est HLA B27 négative. Quant aux autres critères de classification d’une spondylarthropathie que l’assurée met en avant, ils reposent essentiellement sur son ressenti personnel. Le fait que l’assurée annonce des problèmes de fatigue, de douleurs, d’imprévisibilité, de stress et de concentration n’établissent par conséquent pas en quoi les juges cantonaux auraient suivi de manière arbitraire les conclusions des médecins experts. Pour le surplus, les experts se sont fondés non pas sur la manière dont l’assurée ressent et perçoit ses facultés de travail, mais ont établi la mesure de ce qui est raisonnablement exigible de sa part le plus objectivement possible. Dans ces circonstances, et compte tenu également du fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc et les références), il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.

 

Revenu d’invalide

Consid. 6.2
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 de l’ESS, à la ligne « total secteur privé »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_tirage_skill_ level (ATF 142 V 178).

La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral. En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.3
En l’espèce, l’assurée n’expose aucun élément qui justifierait de s’écarter du revenu avec invalidité fixé par la juridiction cantonale. En particulier, elle ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter du salaire de référence auquel peuvent prétendre les femmes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples de la table TA1_tirage_skill_level. Cette valeur statistique s’applique en effet à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu’elle est trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers (arrêts 9C_603/2015 du 25 avril 2016 consid. 8.1 et 9C_692/2015 du 23 février 2016 consid. 3.1 et la référence). Le marché équilibré du travail pris en considération dans le domaine de l’assurance-invalidité (à ce sujet, voir arrêt 9C_659/2014 du 13 mars 2015 consid. 5.3 et les références) offre par ailleurs un éventail suffisamment large d’activités légères, dont on doit admettre qu’un nombre significatif d’entre elles sont accessibles à l’assurée sans aucune formation préalable particulière et compatibles avec les limitations fonctionnelles décrites par les experts. En tant que facteur étranger à l’invalidité, il n’y a en outre pas lieu de tenir compte du fait que l’âge de la personne assurée peut avoir une influence négative sur la recherche d’emploi (arrêt 8C_808/2013 du 14 février 2014 consid. 7.3). Pour le surplus, par la simple énumération des circonstances personnelles et professionnelles susceptibles d’être prises en considération au titre de l’abattement, l’assurée n’établit pas que la juridiction cantonale aurait excédé ou abusé de son pouvoir d’appréciation en prenant en considération un abattement de 10%. Mal fondé, les griefs doivent être rejetés.

 

Consid. 7
C’est finalement en vain que l’assurée conteste son revenu sans invalidité en faisant valoir qu’il aurait dû être déterminé en fonction d’un niveau de compétence 2 de l’ESS. En tant qu’auxiliaire de santé polyvalente, chargée de la livraison de repas, l’assurée exerçait avant la survenance de son atteinte de la santé une tâche physique ou manuelle simple (niveau de compétence 1 de l’ESS), comme l’a constaté sans arbitraire la juridiction cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_325/2022 consultable ici

 

8C_438/2022 (f) du 26.05.2023 – Stabilisation de l’état de santé – 19 al. 1 LAA / Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_438/2022 (f) du 26.05.2023

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1965, employé depuis le 13.01.1986 en qualité d’ouvrier auprès de l’entreprise B.__. Le 18.05.1986, l’assuré a subi un grave accident de la circulation routière, sa voiture ayant embouti un arbre jouxtant la chaussée alors qu’il cherchait à éviter une collision frontale en raison d’un dépassement téméraire d’un véhicule circulant en sens inverse, ce qui a entraîné le décès de son ami passager; il a lui-même subi plusieurs atteintes, notamment des fractures du fémur droit, du pilon tibial et du tibia droits. Il a subi deux interventions chirurgicales. Après une incapacité totale de travail, l’assuré a repris son activité professionnelle le 24.11.1986. Il a annoncé plusieurs cas de rechutes, notamment en raison des ablations du matériel d’ostéosynthèse (AMO).

Rechute survenue le 2 octobre 2017 (gonalgies droites). L’assurance-accidents a pris en charge ce cas de rechute. L’assuré, qui travaillait entre-temps pour l’entreprise D.__ Sàrl, a été licencié pour la fin du mois d’août 2017.

Examen par le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, en février 2019 : du point de vue somatique, la situation semblait plutôt favorable. Compte tenu des seules suites de l’accident de 1986, une pleine capacité de travail pouvait être reconnue à l’assuré dans une activité parfaitement adaptée, à savoir idéalement réalisée à la guise de l’assuré en position assise ou debout, sans déplacement rapide ou prolongé (max. 15 minutes), ne nécessitant pas l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de charges lourdes ni les positions agenouillées ou accroupies. IPAI globale estimée à 25%.

Par décision du 28.05.2019, confirmée sur opposition le 27.09.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 13% ainsi qu’une IPAI fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 01.06.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Dans un premier grief, l’assuré fait valoir que son état de santé n’était pas stabilisé le 27.09.2019, au moment de la décision sur opposition litigieuse. Il se fonde sur des rapports médicaux évoquant un traitement chirurgical, voire une arthrodèse. Dès lors qu’un traitement – autre que seulement physiothérapeutique et antalgique – était encore envisageable pour améliorer l’état de sa cheville droite et qu’une prothèse avait été posée ultérieurement, l’assuré estime que son état de santé n’était pas stabilisé en date du 27.09.2019.

Dans le premier rapport, le médecin à la Clinique de la douleur a mentionné que l’arthrose de la cheville droite serait imputable à l’accident, son évolution progressive et son pronostic ne pouvant être appréciés qu’avec des contrôles réguliers; l’aggravation de l’arthrose post-traumatique du pied droit nécessitait un traitement intensif de physiothérapie et la poursuite du traitement antalgique. L’hypothèse de la pose d’une prothèse ou d’une arthrodèse a été évoquée mais pas de manière concrète à ce stade. Quant au deuxième rapport, il ne mentionne pas la nécessité d’une intervention chirurgicale mais souligne que si l’assuré devait souffrir de douleurs malgré le traitement conservateur, une intervention pourrait être envisagée, à savoir une arthrodèse (fixation de l’articulation), laquelle apporterait un soulagement comparable à celui escompté après une infiltration. En tout état de cause, il ne ressort pas des rapports médicaux qui précèdent qu’une arthrodèse au niveau de la cheville droite de l’assuré apporterait une sensible amélioration de son état de santé, l’assuré souffrant par ailleurs de problèmes dégénératifs au niveau de plusieurs de ses articulations. Vu ce qui précède, les rapports médicaux dont se prévaut l’assuré ne permettent pas de remettre en cause la date de stabilisation de son état de santé fixée au 27.09.2019.

 

Consid. 4.3.1
L’assuré demande qu’un abattement d’au moins 10% soit effectué sur son revenu d’invalide dès lors qu’il subirait un désavantage salarial dans la recherche d’un nouvel emploi en raison de ses limitations fonctionnelles, de son âge (54 ans) et du fait qu’avant de perdre son dernier emploi, il avait été six ans au service du même employeur et aurait donc perdu la progression salariale y afférente.

Consid. 4.3.2
La cour cantonale a constaté que l’assurance-accidents avait fixé à 74’150 fr. le revenu sans invalidité à prendre en considération pour le calcul de la rente d’invalidité, montant qui n’était pas contesté par l’assuré. Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux données de l’ESS 2016, en prenant pour base le salaire auquel peuvent prétendre les hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé, soit 5’340 fr. par mois pour 40 heures de travail par semaine (tableau TA1_tirage_skill_level). Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale dans les entreprises en 2019 (41,7 heures), il en résultait un montant annuel de 67’743 fr. En outre, la cour cantonale a confirmé l’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour prendre en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré, ce qui portait le revenu d’invalide à 64’355 fr. 85.

Consid. 4.3.3
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1; 132 V 393 consid. 3.3).

Consid. 4.3.4
L’assuré n’expose pas – et on ne voit pas – en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge. En outre, étant âgé de 53 ans au moment de la naissance du droit à la rente, respectivement de 54 ans au moment de la décision sur opposition, l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel le Tribunal fédéral reconnaît généralement que ce facteur peut être déterminant et nécessite une approche particulière (arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4.2). Comme les activités adaptées envisagées du niveau de compétence 1 ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. En outre, il faut rappeler que ces emplois non qualifiés sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.3.4.2; 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2).

Consid. 4.3.5
En ce qui concerne la prise en compte d’un abattement lié aux années de service, elle n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétence 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (voir 8C_103/2018 précité consid. 5.2). Il en irait différemment à partir du niveau de compétence 2, s’agissant d’emplois qualifiés dans lesquels l’expérience professionnelle accumulée auprès d’un même employeur est davantage valorisée.

Consid. 4.3.6
En conclusion, seules les limitations fonctionnelles de l’assuré – prohibant les déplacements rapides ou prolongés au-delà de 15 minutes, l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de lourdes charges ainsi que les positions agenouillées ou accroupies – ont une incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Dès lors que l’assurance-accidents avait tenu compte desdites limitations pour réduire le salaire statistique de 5%, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de s’en écarter.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_438/2022 consultable ici

 

8C_20/2023 (i) du 10.05.2023 – Troubles psychiques déclouant du traitement médical – 6 al. 3 LAA – 10 LAA / Revenu d’invalide selon ESS – Abattement – Travailleur frontalier

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_20/2023 (i) du 10.05.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Lien de causalité adéquate entre troubles psychiques et accident qualifié de bénin / 6 LAA

Troubles psychiques déclouant du traitement médical / 6 al. 3 LAA – 10 LAA

Revenu d’invalide selon ESS – Abattement – Travailleur frontalier

Mesures de réadaptation ne font pas partie du catalogue de prestations de l’assurance-accidents – Rappel

Détermination du taux de l’IPAI / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

 

Le 12.08.2019, l’assuré, né en 1981, ouvrier, a été victime d’un accident en escaladant la rambarde d’un muret, à la suite duquel il a subi une lésion du ligament scapho-lunaire du poignet droit. Le 16.09.2019, les médecins ont diagnostiqué une lésion du ligament scapho-lunaire, une lésion du TFCC, une contusion osseuse du scaphoïde, du semi-lunaire et du radius, ainsi que des formations kystiques de nature dégénérative au niveau du trapèze et du capitatum, et une suspicion de kyste articulaire palmaire au niveau du radio-carpien. Le 23.01.2020, l’assuré a subi une intervention chirurgicale visant à reconstruire le ligament scapho-lunaire. Face aux complications infectieuses et à l’apparition d’une arthrite septique avec ostéomyélite des os du carpe, il a ensuite subi trois autres opérations entre le 13.03.2020 et le 20.03.2020. Une dernière opération a eu lieu en avril 2021.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 13% dès le 01.05.2022 et une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 35.2022.55 – consultable ici)

Par jugement du 28.11.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2.2
S’agissant des circonstances de l’accident, il ressort des éléments du dossier que l’assuré a escaladé la balustrade d’un muret d’environ un mètre de haut, en s’y agrippant de la main droite, et qu’une fois projeté avec son corps, il a partiellement perdu sa prise et a plié sa main droite sous le bord de la balustrade sur lequel se concentrait le poids de son corps. La classification de l’accident devant être déterminée uniquement sur la base du fait accidentel en tant que tel ainsi que des forces générées par celui-ci (ATF 140 V 356 consid. 5.1 ; 117 V 359 consid. 6), la qualification retenue par les instances cantonales doit être confirmée comme étant conforme au droit fédéral. En effet, au vu de la pratique du Tribunal fédéral dans des cas similaires (cf. arrêts 8C_26/2020 du 4 mars 2020 consid. 8 ; 8C_37/2015 du 7 décembre 2015 consid. 6 ; 8C_232/2012 du 27 septembre 2012 consid. 6.2), c’est à juste titre que l’on qualifie l’événement en cause d’accident bénin, car il n’était pas du tout spectaculaire et ne s’accompagnait pas de circonstances particulièrement dramatiques. En outre, la blessure n’a pas affecté directement l’usage de la main, d’autant plus que l’assuré a déclaré avoir bien supporté les douleurs liées à l’événement et avoir déjà repris le travail sept jours plus tard, une fois les vacances terminées. C’est donc à juste titre que les troubles psychiques allégués n’ont pas été pris en compte dans le cadre des prestations d’assurance, puisqu’un événement de peu de gravité ou insignifiant permet a priori de nier le lien de causalité adéquat avec l’accident (ATF 140 V 356 consid. 5.3 ; 115 V 133 consid. 6a). Sur ce point, la critique du recourant n’est donc pas fondée.

 

Consid. 4.2.3.2
En vertu de l’art. 6 al. 3 LAA, l’assureur-accidents est responsable de toute lésion causée par un traitement médical effectué en rapport avec un accident assuré, sans que le fait dommageable doive être un accident ou être nécessairement imputable à une erreur médicale ou à une lésion corporelle punissable. Toutefois, l’assureur n’est tenu de fournir des prestations d’assurance que si les lésions sont en lien de causalité naturelle et adéquate avec le traitement médical effectué à la suite de l’accident (ATF 128 V 169 consid. 1c ; 118 V 286 consid. 3b). Dans ce contexte, le Tribunal fédérale des assurances a déjà jugé dans l’arrêt U 292/05 du 15 mai 2007 (SVR 2007 UV n° 37 p. 125, consid. 3.1) que l’évaluation de l’adéquation ne doit pas être effectuée sur la base de la jurisprudence relative aux conséquences psychologiques des accidents (ATF 115 V 133), mais plutôt selon la formule générale du lien de causalité adéquate. Ainsi, il faut examiner si le traitement médical ou psychothérapeutique, qui n’a pas été effectué selon les règles de l’art, est en soi susceptible, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, d’engendrer un effet tel que celui qui s’est produit ou d’en favoriser généralement la survenance (cf. ATF 129 V 177 consid. 3.2 ; arrêt 8C_123/2007 du 19 février 2008 consid. 4).

Consid. 4.2.3.3
Dans le cas présent, il ressort du dossier que l’évolution de l’intervention chirurgicale de janvier 2020 a été compliquée par l’apparition d’une arthrite septique avec ostéomyélite des os du carpe. Cette dernière a été diagnostiquée à la suite de l’infection résultant de la lacération des tissus causée par les broches de Kirschner au niveau du poignet et de l’infection qui s’en est suivie. Il a donc fallu procéder à trois opérations supplémentaires – non prévues à l’origine à l’issue de la première opération – consistant principalement en des débridements cutanés et osseux, des synovectomies étendues et un recouvrement final du poignet par un lambeau antérolatéral de la cuisse droite. En ce qui concerne l’ampleur des troubles psychiques, le spécialiste en psychiatrie a attesté le 25.08.2022 la présence d’un trouble de l’adaptation avec anxiété mixte persistante-chronique et humeur dépressive (CIM-10 : F43.23) survenant en réaction à l’événement traumatique représenté par les complications infectieuses. Pour sa part, un second spécialiste en psychiatrie a formulé dans un rapport du 24.10.2022 le diagnostic de réaction dépressive prolongée (CIM-10 ; F43.21) découlant notamment du traumatisme résultant des séquelles physiques de l’accident. Au vu de ce qui précède, l’existence d’un préjudice causé à la personne blessée lors du traitement médical ne peut donc être exclue. En effet, ces lésions pourraient avoir un lien de causalité naturelle avec l’opération de janvier 2020. Des mesures d’instruction complémentaires seraient donc indispensables pour clarifier définitivement la question ; on peut toutefois y renoncer (voir SVR 2007 UV n° 37 p. 125, U 292/05, consid. 3.2). En l’espèce, il n’y a en effet pas de lien de causalité adéquate puisque l’apparition d’une arthrite septique avec ostéomyélite des os du carpe suite à une opération de reconstruction du ligament scapho-lunaire, pour laquelle d’autres opérations sont nécessaires, n’est généralement pas susceptible, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, de provoquer des troubles psychiques tels que ceux dont souffre l’assuré. En effet, les complications médicales susmentionnées peuvent être contrecarrées à temps par un traitement approprié – comme ce fut le cas en l’espèce – de sorte que les troubles psychiques susmentionnés sont en quelque sorte atypiques et inadaptés (cf. ATF 115 V 133 consid. 7). La cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral dans la mesure où elle s’est limitée à analyser le lien de causalité adéquate des atteintes psychiques en se référant exclusivement à l’accident d’août 2019.

 

Consid. 5.1
Dans le cadre du calcul de la rente d’invalidité, la cour cantonale a retenu que le revenu réalisé par l’assuré en tant que travailleur à temps partiel (degré d’occupation de 40%) au sein de l’entreprise qui l’employait avant l’accident ne pouvait pas constituer le revenu d’invalidité déterminant, car il n’utilisait pas pleinement sa capacité résiduelle de travail. Le tribunal cantonal a donc fait usage des salaires statistiques et retenu le revenu d’invalidité de CHF 69’061 déterminé par l’assurance-accidents sur la base de l’ESS 2018, tableau TA1, total de la branche économique, niveau de qualification 1, hommes, actualisé à 2022. La cour cantonale a ensuite exclu l’application d’un abattement revenu en raison de l’âge de l’assuré et de son statut de frontalier, non justifié au regard de la jurisprudence fédérale.

 

Consid. 5.3
S’agissant de la qualité de travailleur frontalier, il faut considérer qu’en principe, les personnes ayant la nationalité d’un État de l’UE ne peuvent pas être traitées différemment des travailleurs suisses en termes de salaire (cf. arrêt 8C_610/2017 du 3 avril 2018 consid. 4.4). En outre, l’influence de tous les facteurs sur le revenu (parmi lesquels figure le type d’autorisation de séjour) doit être appréciée globalement en considération de toutes les circonstances concrètes alléguées par l’intéressé et en faisant un usage adéquat du pouvoir d’appréciation (ATF 135 V 297 consid. 6.2 ; 134 V 322 consid. 5.2). En ce sens, il n’est en principe pas possible de revendiquer un abattement sur le revenu statistique sur la base de simples références à des données statistiques (ATF 146 V 16). En outre, le recourant n’indique même pas dans quelle mesure il a été pénalisé jusqu’à présent par rapport à ses collègues résidant en Suisse. En effet, le Tribunal cantonal a constaté que son revenu sans invalidité est supérieur de 8,55% au salaire statistique, de sorte qu’il n’y a aucune raison de supposer qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir un salaire similaire au tableau TA1 de l’ESS dans le cadre d’une activité de substitution adaptée. En outre, il n’est pas compréhensible comment l’assuré, né en 1981, pourrait utiliser sa capacité de travail que d’une manière inférieure à la médiane ; rien que pour cette raison, un abattement sur le salaire statistique doit être exclue.

En outre, il ne démontre pas dans quelle mesure il ne pourrait pas, en raison de son âge (encore loin de l’âge de la retraite), utiliser pleinement sa capacité de gain restante. Tout aussi infondé est l’abattement en raison de l’état de santé, car les limitations fonctionnelles déjà prises en compte dans l’examen de la capacité de gain résiduelle ne sauraient avoir une influence supplémentaire sur l’examen de l’abattement (arrêts 8C_805/2016 du 22 mars 2017 consid. 3.1 ; 9C_846/2014 du 22 janvier 2015 consid. 4.1.1 et les références). L’assuré n’épuisant pas la capacité résiduelle de travail, les juges cantonaux n’ont donc pas violé le droit fédéral dans la mesure où, sans appliquer d’abattement, ils ont déterminé le revenu d’invalide sur la base des salaires statistiques.

 

Consid. 5.4
Enfin, il est constaté que l’exécution des mesures de réadaptation ne fait pas l’objet de la décision sur opposition. Dès lors, en l’absence d’un objet de litige valable, le recours doit être déclaré irrecevable sur ce point (cf. ATF 131 V 164 consid. 2.1 ; arrêt 8C_380/2022 du 27 décembre 2022 consid. 3). En outre, l’assurance-accidents obligatoire ne prévoit pas de mesures de réadaptation parmi ses prestations. Le grief tiré de la violation du principe de l’égalité juridique (art. 8 al. 1 Cst.) est également irrecevable, car il ne remplit pas les exigences d’une motivation accrue, qui requiert une explication claire et détaillée, par rapport aux motifs de l’arrêt attaqué, de l’étendue et des raisons pour lesquelles le droit fondamental invoqué a été violé (art. 106 al. 2 de la loi fédérale sur la procédure administrative ; ATF 142 V 577 consid. 3.2).

 

Consid. 6.1
S’agissant de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI), les juges cantonaux ont fondé leur jugement sur la base des rapports du médecin-conseil, en l’absence d’autres avis spécialisés au dossier contredisant son appréciation, dont la fiabilité ne saurait être remise en cause par les rapports médicaux du médecin-traitant. La cour cantonale a retenu que, pour une atteinte concernant la même partie du corps, il n’est en principe pas admissible de prendre en compte les valeurs en pourcentage de l’atteinte à l’intégrité figurant dans deux tables Suva différents. En l’espèce, l’estimation de l’atteinte à l’intégrité ne pouvait être fondée que sur la table Suva n° 5.2, qui inclue l’arthrose modérée (avec un taux de 5 à 10%) et l’arthrose grave (avec un taux de 10 à 25%). Pour justifier le taux de 10%, le médecin-conseil a fondé son appréciation sur la présence d’une arthrose n’atteignant pas un degré avancé et a tenu compte d’une affection dégénérative préexistante du métacarpe non due aux conséquences de l’accident. L’atteinte à l’intégrité pour « arthrodèse radiocarpienne » selon la table Suva n° 1 n’a pas été prise en compte car l’assuré n’avait pas subi une telle opération.

Consid. 6.3
S’agissant de l’état dégénératif du métacarpien avant l’accident on relèvera que le médecin-traitant a également indiqué que « [l]e tableau clinique […] s’est compliqué d’une arthrite septique et d’une ostéomyélite qui ont vraisemblablement entraîné une aggravation du tableau arthrosique préexistant. » L’évaluation du médecin-traitant n’est donc pas en contradiction avec l’avis du médecin-conseil. Par ailleurs, considérant que l’atteinte à l’intégrité doit être établie exclusivement sur la base de constatations médicales et de manière abstraite et égale pour tous, indépendamment des facteurs subjectifs (cf. arrêt 8C_376/2021 du 10 août 2021 consid. 3.1 ; ATF 115 V 147 consid. 1 ; 113 V 218 consid. 4b), on ne peut reprocher à la cour cantonale de ne pas avoir pris en compte l’atteinte due à l’arthrodèse radiocarpienne prévue dans la table Suva n° 1. Cette dernière ne peut en effet pas être prise en compte puisque l’assuré n’a pas subi une telle intervention chirurgicale. Compte tenu de l’absence de troubles psychiques en relation avec l’accident, une atteinte à l’intégrité psychique doit également être exclue.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_20/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_20/2023 (i) du 10.05.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/06/8c_20-2023)

 

9C_260/2022 (f) du 15.05.2023 – Revenu sans invalidité et d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 4 pour un assuré ayant obtenu un bachelor de design graphique – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2022 (f) du 15.05.2023

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité et d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 4 pour un assuré ayant obtenu un bachelor de design graphique / 16 LPGA

 

Assuré suivait des études en design. Il a subi un traumatisme crânien à la suite d’une chute survenue le 02.06.2017. Arguant souffrir des séquelles de ce traumatisme, il a requis des prestations de l’assurance-invalidité le 06.12.2017.

Entre autres mesures de réadaptation, l’office AI a pris à sa charge les coûts de formation supplémentaires occasionnés par les suites de l’atteinte à la santé. Il a alloué à l’assuré des indemnités journalières pour la période courant du 01.07.2018 au 11.09.2020. L’assuré a obtenu un Bachelor de Design graphique le 04.09.2020.

Au terme de la procédure administrative, se référant principalement au rapport d’expertise pluridisciplinaire du 11.11.2020, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité pour le mois de juin 2018 et à trois quarts de rente à partir du 01.09.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2021 153-154 – consultable ici)

Par jugement du 13.04.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont considéré que les revenus avec et sans invalidité de l’assuré devaient être évalués sur la base du tableau TA1_skill_level de l’ESS, groupe d’activités no 73-75, total homme, niveau de compétence 4 dans la mesure où celui-ci venait d’obtenir un Bachelor dans le domaine du design et où une activité exercée dans ce secteur était jugée adaptée par les médecins-experts. Ils en ont dès lors inféré que le taux d’invalidité équivalait au taux d’incapacité de travail retenu par les experts et l’ont arrêté à 60%. Vu les circonstances (assuré suisse, âgé de moins de 35 ans, dont les limitations fonctionnelles avaient déjà été prises en compte dans l’évaluation de la capacité résiduelle de travail), ils ont aussi exclu toute réduction supplémentaire du revenu d’invalide. Ils ont toutefois relevé que l’abattement de 15% requis par l’assuré n’influençait pas le droit à la rente, dans la mesure où un désavantage salarial de 15% correspondait en l’espèce à une perte de gain de 6% (15% de 40%) et, partant, entraînait un taux d’invalidité de 66% inférieur aux 70% exigés pour ouvrir le droit à une rente entière d’invalidité. Ils ont donc entériné les décisions litigieuses en tant qu’elles allouaient à l’assuré trois quarts de rente à partir du 1er septembre 2020.

 

Consid. 5.2.2
Grâce aux mesures mises en œuvre par l’office AI, l’assuré a obtenu un Bachelor dans le secteur du design. Dès lors que celui-ci n’avait jamais travaillé dans le secteur pour lequel il avait été formé, la juridiction cantonale a déterminé son revenu sans invalidité sur la base de l’ESS. Elle a constaté à cet égard que, d’après la Nomenclature générale des activités professionnelles (NOGA 2008), le diplôme de designer (cf. ch. 741007 NOGA 2008) plaçait l’assuré dans le groupe des professions n° 73-75 de l’ESS (autres activités spécialisées, scientifiques et techniques) et, selon la Classification internationale type des professions (CITP 08), dans le groupe 21 (spécialistes des sciences techniques inclus dans le groupe 2 des professions intellectuelles et scientifiques), auquel un niveau de compétence 4 était attribué. L’assuré ne critique pas ces différents éléments. Dans la mesure où le diplôme obtenu récemment atteste que celui-ci a les connaissances et les compétences nécessaires pour travailler dans le domaine d’activité dans lequel il a été formé, il n’y a en principe pas de motif, pour fixer le revenu d’invalide, de se fonder sur un autre groupe d’activités de l’ESS ni un autre niveau de compétence que ceux retenus pour déterminer le revenu sans invalidité.

Invoquer les limitations fonctionnelles causées par les affections dont il souffre depuis sa chute du 02.06.2017 n’est par ailleurs d’aucune utilité à l’assuré. Ces limitations ne l’ont effectivement nullement empêché d’obtenir un diplôme de designer ni d’acquérir les connaissances et les compétences indispensables afin d’exercer une activité professionnelle dans ce secteur. Des limitations fonctionnelles ne sont de surcroît pas de nature à modifier les connaissances et les compétences acquises, d’autant moins lorsqu’elles étaient déjà présentes tout au long de cette formation spécialisée comme en l’occurrence. Elles servent notamment à évaluer la proportion dans laquelle la personne concernée peut encore réaliser les tâches inhérentes à l’activité dans laquelle elle vient d’être formée, comme en l’espèce. Concrètement, la prise en considération d’une capacité résiduelle de travail de 40% attestée par les experts et retenue par les autorités administrative et judiciaire signifie qu’il est exigible de la part de l’assuré qu’il assume toutes les tâches inhérentes à la profession de designer, comme son diplôme l’atteste, mais à un taux d’activité réduit. On ajoutera que l’expression utilisée afin de décrire le niveau de compétence 4 (tâches nécessitant une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions basées sur de vastes connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé) est une formule générale censée caractériser le type de compétences nécessaires pour réaliser les activités nombreuses et diverses comprises dans les deux groupes de professions de la CITP qui constituent le niveau de compétence 4 (les directeurs/trices, cadres de direction, gérant (e) s; les professions intellectuelles et scientifiques). De plus, le fait qu’un emploi adapté aux limitations fonctionnelles de l’assuré ne doit notamment pas impliquer la capacité à prendre des décisions immédiates, à traiter des informations simultanées, à s’adapter rapidement ou à planifier ne signifie pas que celui-ci est incapable de prendre des décisions ou de s’adapter, mais uniquement qu’il a besoin de plus de temps ou de plus de soutien pour mettre à profit les vastes connaissances théoriques et factuelles acquises grâce à sa formation supérieure dans le domaine spécialisé qu’est le design.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_260/2022 consultable ici