Arrêt du Tribunal fédéral 8C_271/2024 (f) du 11.10.2024
Revenu d’invalide pour un assuré ayant subi une amputation transtibiale / 16 LPGA
Obligation de réduire le dommage / 21 al. 4 LPGA
Capacité de travail exigible de 100% mais exercice de l’ancienne activité (non adaptée) à 60% – Détermination du revenu d’invalide
Assuré, né en 1962, disposant d’un CFC de ramoneur, travaillait depuis 1989 comme agent d’exploitation spécialisé auprès de l’entreprise B.__ SA. Le 03.07.2019, il a subi une chute en montagne pendant son travail, entraînant une fracture ouverte du pilon tibial de la jambe droite. Malgré plusieurs interventions chirurgicales, son état s’est détérioré, menant à une amputation transtibiale droite le 30.04.2020 en raison d’un retard de consolidation, avec pseudarthrose septique et insuffisance vasculaire.
L’assuré a été hospitalisé pour réadaptation à deux reprises, d’abord du 04.03.2020 au 30.04.2020, puis du 05.05.2020 au 07.08.2020. Une évaluation médicale effectuée le 01.10.2020 a objectivé une bonne évolution à presque cinq mois de l’amputation. Il a été relevé les limitations fonctionnelles suivantes : pas de position prolongée debout, pas de marche en terrain irrégulier ou en pente, pas de montée ou descente d’escaliers de manière fréquente, pas de port de charges de plus de 10 kg de manière fréquente et montée ou descente d’échelle très occasionnellement seulement. La marche sur les échafaudages devait être évitée et l’assuré devait pouvoir utiliser des bâtons de marche pour la marche prolongée.
Le 17.02.2021, l’employeur a proposé un poste à 65%, mais l’assurance-accidents a exprimé des doutes quant à la prise en charge des 35% restants. Le médecin-conseil a confirmé, le 01.03.2021, qu’une activité adaptée à plein temps était exigible, sous réserve de pauses régulières (minimum quatre par jour) afin de soigner le moignon.
L’assuré a commencé un travail à temps partiel le 24.05.2021 pour trois semaines, prolongé ensuite pour évaluation. À la suite de cette période, son rendement a été fixé à 40% puis à 50%.
L’état de santé de l’assuré étant stabilisé, l’assurance-accidents a mis fin au paiement des soins médicaux et des indemnités journalières avec effet au 30.09.2021 (sous réserve de contrôles médicaux et des traitements symptomatiques). Par décision du 17.09.2021, confirmée sur opposition, elle a reconnu à l’assuré le droit à une rente d’invalidité d’un taux de 25% dès le 01.10.2021. Elle a notamment déterminé le revenu d’invalide sur la base des données statistiques issues de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS). En outre, elle lui a accordé une IPAI de 35%.
L’assuré a été engagé à un taux d’activité de 60% auprès de l’entreprise B.__ SA dès le 01.10.2021.
L’office AI a accordé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.07.2020 au 31.12.2020, au motif que, dès le 16.09.2020, toute activité légère et adaptée à son état de santé était exigible de sa part, à 100%, avec un rendement normal; dès lors, elle a fixé le taux d’invalidité à 32%.
Procédure cantonale
Par jugement du 04.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 4.2
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 419 consid. 5.2; 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).
Consid. 6.2
L’assuré soutient que, durant toute la procédure administrative, l’assurance-accidents n’aurait proposé aucune autre démarche de réinsertion que celle chez son ancien employeur. Il serait donc contraire à la bonne foi de lui reprocher indirectement cette réinsertion, en lui imposant un autre emploi. À ce propos, il sied de rappeler que la réadaptation professionnelle incombe en principe aux organes de l’assurance-invalidité (cf. art. 19 al. 1 LAA et art. 15 ss LAI). En l’espèce, l’office AI a constaté qu’un droit théorique à un reclassement (art. 17 LAI) existait, dès lors que l’activité exercée auparavant n’était plus réalisable à 100%; toutefois, les conditions subjectives du droit à cette mesure n’étaient pas réalisées, parce que l’assuré souhaitait conserver son activité habituelle adaptée à 60%. Le grief soulevé par l’assuré est ainsi infondé. La cour cantonale a en outre exposé à juste titre que le principe général de l’obligation de diminuer le dommage valable en droit des assurances sociales, ancré notamment à l’art. 21 al. 4 LPGA, exige de l’assuré de mettre en œuvre tout ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui pour atténuer les conséquences de son accident (ATF 134 V 109 consid. 10.2.7; 129 V 460 consid. 4.2).
Consid. 6.3.1
Il ressort des constatations de l’arrêt attaqué et des protocoles d’entretien que l’assuré ne peut pas reprendre l’activité qu’il avait exercé auprès de B.__ SA avant l’accident à cause des limitations fonctionnelles qu’il présente. L’employeur a fait un effort pour lui attribuer des travaux qui sont adaptées à ces limitations et qu’il est encore en mesure d’accomplir. Cependant, l’employeur a souligné qu’il n’a pas la possibilité de regrouper certaines activités pour en faire une occupation à 100% en raison de l’organisation du travail et qu’il ne pourra pas toujours assurer une occupation durable de 65 à 70%. Finalement, il a engagé l’assuré dès le 01.10.2021 à un taux de 60%. Ce taux d’occupation est ainsi dû principalement à l’impossibilité pour l’employeur d’offrir à l’assuré un taux d’activité supérieur.
Consid. 6.3.2
Si une augmentation du taux d’occupation n’est pas possible selon les indications de l’employeur, le revenu correspondant à la capacité de travail résiduelle (dépassant le taux d’activité effectivement mis en œuvre), peut être déterminé, selon la jurisprudence, en fonction des donnés statistiques, pour autant qu’une telle possibilité de gain puisse être réalistement envisagée au regard du marché du travail équilibré (arrêts 9C_140/2017 du 18 août 2017 consid. 5.4; 8C_7/2014 du 10 juillet 2014 consid. 7 et 8, in SVR 2014 IV n° 37 p. 130; MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 30 ad art. 16 LPGA).
Consid. 6.3.3
En l’espèce l’employeur n’a pas pu proposer un taux d’occupation supérieur à 60%. Le maintien de cet emploi est par ailleurs justifié au vu des circonstances. En ce qui concerne le salaire exact dès le 01.10.2021, il ne figure pas au dossier, mais l’assuré admet que sa perte de gain, s’il travaille à 60% exclusivement pour B.__ SA, est de 40%. On peut ainsi partir du principe que son revenu effectif se situe à 60% du salaire de 87’075 fr. qu’il gagnait avant l’accident, soit autour de 52’245 fr. Compte tenu de l’éventail d’emplois diversifiés disponibles sur le marche équilibré du travail, la nature et l’importance des troubles présentés par l’assuré ne constituent pas des obstacles irrémédiables à la reprise d’une activité professionnelle à 40%.
Consid. 6.3.4
Par conséquent, il sied de déterminer le revenu d’invalidité sur la base du salaire que réalise l’assuré pour son activité de 60% auprès de B.__ SA et d’y ajouter un salaire hypothétique, qui est pris en compte à raison de 40%. Ce dernier se détermine sur la base de l’ESS 2018 (tableau TA1_tirage_skill_level, total homme, niveau de compétence 1, en tenant compte de l’horaire normal de travail de la branche économique et de l’évolution des salaires nominaux, soit 68’761 fr. 80, selon le calcul de l’assurance-accidents qui n’est pas remis en question par l’assuré). Pour une activité à 40%, il correspond à un montant de 27’504 fr. 70. Même en prenant en considération, par hypothèse, un abattement maximal de 25%, le revenu à prendre en considération (20’628 fr. 50), additionné à celui réalisé auprès de B.__ SA (52’245 fr.), exclurait un taux d’invalidité supérieur à celui constaté par l’assurance-accidents. Il n’en va pas différemment en prenant en considération une diminution de rendement de 10% pour tenir compte de la nécessité de faire des pauses. Il s’ensuit que le recours est mal fondé.
Le TF rejette le recours de l’assuré.
Arrêt 8C_271/2024 consultable ici