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8C_271/2022 (f) du 11.11.2022 – Droit à l’indemnité chômage – 8 LACI / Assuré expatrié – Retour en Suisse retardé par Covid-19 / Devoir de conseils de l’assureur social – Protection de la bonne foi niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_271/2022 (f) du 11.11.2022

 

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Droit à l’indemnité chômage – Assuré expatrié – Retour en Suisse retardé par Covid-19/ 8 LACI

Devoir de conseils de l’assureur social – Protection de la bonne foi niée / 27 LPGA – 19a al. 1 aOACI – 22 al. 1 OACI

 

Assuré, né en 1962, de nationalité suisse, a conclu plusieurs contrats de travail avec l’Association B.__ et a travaillé à l’étranger en tant qu’expatrié depuis 2016. Le 10.04.2019, il a conclu avec l’Association B.__ un contrat de travail qui prévoyait une mission en Jordanie allant du 06.04.2019 au 05.04.2020. Par courriel du 02.04.2020, alors qu’il se trouvait toujours en poste en Jordanie, il a fait parvenir à l’ORP du canton de Genève une demande d’inscription à l’assurance-chômage. Le 03.04.2020, ensuite d’une conversation téléphonique, un collaborateur de l’ORP a adressé à l’assuré un courriel dans lequel il lui demandait d’envoyer sa demande d’inscription aux autorités vaudoises, dès lors que son dernier domicile en Suisse se trouvait à U.__.

Par courriel du 05.04.2020, l’assuré a répondu qu’en raison de la situation exceptionnelle due à la pandémie de Covid-19, il était bloqué en Jordanie ensuite de la fermeture de l’aéroport d’Amman; il avait envoyé son formulaire d’inscription à l’ORP de Genève car il comptait quitter la Jordanie dès que possible en vue de s’installer et d’élire domicile dans le canton de Genève; il demandait en outre un traitement particulier compte tenu de la situation sanitaire.

Par courriel du 06.04.2020, l’ORP de Genève a informé l’assuré qu’au vu de la situation exceptionnelle, il allait procéder à son inscription; l’attention de l’assuré était attirée sur l’importance qu’il établisse officiellement son domicile dans le canton dès son arrivée en Suisse. Un délai-cadre d’indemnisation lui a été ouvert à compter du 06.04.2020 et l’indemnité de chômage lui a été versée jusqu’en septembre 2020.

Par vol du 24.09.2020 en provenance d’Amman, l’assuré est rentré en Suisse, ensuite de quoi il a effectué un voyage de prospection en France. Il est revenu en Suisse le 17.10.2020 puis a observé une quarantaine d’une durée de dix jours. Son certificat de domicile pour confédérés, établi le 12.11.2020, indique le 09.11.2020 comme date de son arrivée dans le canton de Genève.

Par décision du 21.01.2021, confirmée sur opposition, l’Office cantonal de l’emploi (OCE) a déclaré l’assuré inapte au placement pour la période allant du 06.04.2020 au 25.10.2020, au motif que durant son séjour à l’étranger, tant en Jordanie qu’en France, ainsi que pendant sa quarantaine de dix jours, il n’avait pas pu suivre une mesure de marché du travail en présentiel, se rendre à un entretien d’embauche, effectuer un essai chez un employeur ou prendre un emploi.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/266/2022 – consultable ici)

Par jugement du 24.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’art. 8 al. 1 LACI énumère aux lettres a à g sept conditions du droit à l’indemnité de chômage. Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 218 consid. 2). Le droit à l’indemnité de chômage suppose en particulier que l’assuré soit domicilié en Suisse (let. c) et qu’il soit apte au placement (let. f).

Consid. 3.2.1
L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase). Selon l’ancien art. 19a al. 1 OACI, abrogé avec effet au 01.07.2021 et remplacé dès cette date par l’art. 22 al. 1 OACI de même teneur, les organes d’exécution mentionnés à l’art. 76 al. 1 let. a à d LACI – parmi lesquels les ORP – renseignent les assurés sur leurs droits et obligations, notamment sur la procédure d’inscription et leur obligation de prévenir et d’abréger le chômage.

Consid. 3.2.2
Le devoir de conseils de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations (ATF 139 V 524 consid. 2.2; 131 V 472 consid. 4.3). Les conseils ou renseignements portent sur les faits que la personne qui a besoin de conseils doit connaître pour pouvoir correctement user de ses droits et obligations dans une situation concrète face à l’assureur. Le devoir de conseils s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique. Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (arrêt 9C_145/2019 du 29 mai 2019 consid. 4.3.1 et les références).

Consid. 3.2.3
Selon la jurisprudence, le défaut de renseignement dans une situation où une obligation de renseigner est prévue par la loi, ou lorsque les circonstances concrètes du cas particulier auraient commandé une information de l’assureur, est assimilé à une déclaration erronée de sa part qui peut, à certaines conditions, obliger l’autorité à consentir à un administré un avantage auquel il n’aurait pas pu prétendre, en vertu du principe de la protection de la bonne foi découlant de l’art. 9 Cst. Un renseignement ou une décision erronés de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (a) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (b) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (c) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement (« ohne weiteres ») de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour (d) prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (e) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée. Ces principes s’appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (c) devant toutefois être formulée de la façon suivante: que l’administré n’ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu’il n’avait pas à s’attendre à une autre information (ATF 143 V 341 consid. 5.2.1; 131 V 472 consid. 5).

Consid. 6.1
L’assuré, se plaignant d’une violation de l’art. 27 LPGA, soutient que toutes les conditions définies par la jurisprudence pour être mis au bénéfice du principe de la protection de la bonne foi seraient satisfaites. Il explique que l’ORP ne lui aurait jamais fait savoir que l’absence d’un domicile en Suisse l’empêcherait de toucher l’indemnité de chômage. Bien qu’il ait été conscient de l’importance de revenir en Suisse au plus vite, il n’aurait pas été au fait qu’un domicile dans ce pays était une condition impérative pour pouvoir percevoir ladite indemnité. L’ORP aurait omis de le renseigner à ce sujet. Par ailleurs, on lui aurait versé l’indemnité de chômage pendant six mois, alors même que son absence de domicile en Suisse était connue des autorités compétentes. […]

Consid. 6.2
Alors qu’il avait initialement redirigé l’assuré vers les autorités vaudoises, l’ORP de Genève a, dans son courriel du 06.04.2020, accepté de tenir compte de la situation exceptionnelle de l’intéressé et de procéder à son inscription à l’assurance-chômage dans le canton de Genève. Ce faisant, il a attiré l’attention de l’assuré – dont la dernière adresse connue en Suisse se trouvait dans le canton de Vaud – sur la nécessité d’élire officiellement domicile dans le canton de Genève dès son retour en Suisse. Dès lors que l’ORP n’a toutefois jamais indiqué ni même laissé entendre à l’assuré que celui-ci ne pouvait prétendre à l’allocation de l’indemnité de chômage qu’à la condition d’être domicilié en Suisse, il est douteux qu’il se soit conformé à son devoir de conseils. Il a, en sus, exposé tenir compte de la situation exceptionnelle de l’assuré, liée à la pandémie de Covid-19, et a procédé à son inscription, ce qui a entraîné le versement de l’indemnité de chômage jusqu’en septembre 2020, sans que l’absence de domicile en Suisse – pourtant connue des autorités genevoises – n’y ait fait obstacle. Ce n’est qu’en avril 2021, au stade de la décision sur opposition de l’intimé, que le défaut de domicile de l’assuré en Suisse lui a été opposé. Ainsi, quand bien même l’assuré a, dans son courriel du 05.04.2020, assuré avoir l’intention de quitter la Jordanie pour gagner la Suisse dès que possible, il n’est pas improbable qu’il ait cru être éligible à l’indemnité de chômage dès son inscription en avril 2020, même s’il était contraint de différer son retour en Suisse en raison de la situation sanitaire extraordinaire. Il n’est du reste pas contesté qu’il a parfaitement respecté ses obligations d’assuré malgré son éloignement géographique et les difficultés liées à la pandémie, effectuant notamment de nombreuses recherches d’emploi dès février 2020 ainsi que des entretiens d’embauche en juin et août 2020, ce qui suggère qu’il ignorait ne pas remplir l’une des conditions du droit à l’indemnité de chômage. Cela étant, le point de savoir si la condition (c) est satisfaite peut rester indécis au vu de ce qui suit.

Consid. 6.3
S’agissant de la condition (d), l’assuré n’expose pas – et on ne voit pas – à quelle autre source potentielle de revenu il aurait renoncé ensuite du versement de l’indemnité de chômage dès avril 2020. Indépendamment de la perception de cette indemnité, il était en outre de toute manière censé tout mettre en œuvre pour trouver au plus vite un nouvel emploi, conformément à ses obligations d’assuré. Le seul fait qu’il ait dépensé l’indemnité perçue entre avril et septembre 2020 ne saurait conduire à admettre qu’il a pris des dispositions auxquelles il ne peut pas renoncer sans subir de préjudice. Quant à l’argument tiré des « mesures plus radicales » qu’il aurait pu entreprendre – à défaut de versement de l’indemnité de chômage – pour revenir en Suisse plus tôt, il se heurte à ses propres déclarations selon lesquelles il aurait tout fait pour rejoindre la Suisse le plus tôt possible. La condition (d) n’est donc pas remplie.

Consid. 6.4
Il s’ensuit que la cour cantonale a considéré à bon droit que l’assuré ne pouvait pas être mis au bénéfice de la protection de sa bonne foi s’agissant de la condition du domicile en Suisse de l’art. 8 al. 1 let. c LACI.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_271/2022 consultable ici

 

8C_322/2022 (f) du 30.01.2023 – Réduction de l’horaire de travail (RHT) – Mesures de lutte contre le coronavirus / 31 LACI – 32 LACI / Droit à l’indemnité de RHT – Entreprise privée vs Entreprise du service public

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_322/2022 (f) du 30.01.2023

 

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Réduction de l’horaire de travail (RHT) – Mesures de lutte contre le coronavirus / 31 LACI – 32 LACI

Droit à l’indemnité de RHT – Entreprise privée vs Entreprise du service public

Entreprise de transport public de personnes

 

La société A.__ SA (ci-après: la société) est une société anonyme de droit privé active essentiellement dans le domaine du transport public de personnes, dont les actions sont détenues par la B.__ SA.

Le 31.03.2020, la société a transmis au Service de l’emploi du canton de Vaud (ci-après: le SDE) un préavis de réduction de l’horaire de travail (RHT) en raison des mesures officielles prises dans le cadre de la pandémie de coronavirus. Elle demandait l’octroi de l’indemnité en cas de RHT pour 78 employés dès le 01.04.2020, en évaluant à 50% la perte de travail due à la réduction de l’offre de transport entraînée par la généralisation de l’horaire du samedi à tous les jours de la semaine, sauf le dimanche où l’horaire était maintenu.

Après avoir soumis des questionnaires à la société, le SDE a rendu, le 11.06.2020, une décision par laquelle il a rejeté la demande tendant au versement de l’indemnité en cas de RHT. La société s’est opposée à cette décision en produisant divers documents, notamment les conventions collectives de travail, conventions de subventionnement et contrat d’exploitation qui la liaient. Par décision du 05.02.2021, le SDE a rejeté l’opposition et a confirmé sa décision du 11.06.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 55/21 – 55/2022 – consultable ici)

Par jugement du 05.04.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Selon l’art. 31 al. 1 LACI, les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail lorsque: ils sont tenus de cotiser à l’assurance ou qu’ils n’ont pas encore atteint l’âge minimum de l’assujettissement aux cotisations AVS (let. a); la perte de travail doit être prise en considération (art. 32 LACI; let. b); le congé n’a pas été donné (let. c); la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question (let. d).

L’art. 32 let. a et b LACI précise que la perte de travail est prise en considération lorsqu’elle est due à des facteurs d’ordre économique et est inévitable et qu’elle est d’au moins 10% de l’ensemble des heures normalement effectuées par les travailleurs de l’entreprise. Pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques ou à d’autres circonstances non imputables à l’employeur (art. 32 al. 3, première phrase, LACI). Le Conseil fédéral a ainsi notamment prévu à l’art. 51 al. 1 OACI que les pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, ou qui sont dues à d’autres motifs indépendants de la volonté de l’employeur, sont prises en considération lorsque l’employeur ne peut les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou faire répondre un tiers du dommage.

Consid. 4.2.1
Selon la jurisprudence, l‘indemnité en cas de RHT est une mesure préventive au sens large: l’allocation de cette indemnité a pour but d’éviter le chômage complet des travailleurs – soit leurs congés ou leurs licenciements – d’une part et, d’autre part, de maintenir simultanément les emplois dans l’intérêt des employeurs aussi bien que des travailleurs. Or en règle générale, les conditions précitées du droit à l’indemnité en cas de RHT ne sauraient être remplies si l’employeur est une entreprise de droit public, faute pour celle-ci d’assumer un risque propre d’exploitation. Au contraire, les tâches qui lui incombent de par la loi doivent être exécutées indépendamment de la situation économique, et les impasses financières, les excédents de dépenses ou les déficits peuvent être couverts au moyen des deniers publics (recettes des impôts). Bien plus, il n’existe en général aucune menace de perdre son emploi là où les travailleurs ont la possibilité d’être déplacés dans d’autres secteurs, ainsi que cela est le cas dans les communautés ou établissements publics d’une certaine importance. En revanche, compte tenu des formes multiples de l’action étatique, on ne saurait de prime abord exclure que, dans un cas concret, le personnel des services publics remplisse les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT. Ce qui est déterminant en fin de compte, conformément à la finalité du régime de la prestation, c’est de savoir si, par l’allocation de l’indemnité en cas de RHT, un licenciement peut être évité (ATF 121 V 362 consid. 3a et les références).

Consid. 4.2.2
C’est à brève échéance que le versement de l’indemnité en cas de RHT doit pouvoir éviter un licenciement. En effet, ces indemnités ont un caractère préventif. Il s’agit de mesures temporaires. Le statut du personnel touché par la réduction de l’horaire de travail est dès lors décisif pour l’allocation de l’indemnité. Ainsi, là où ce personnel est au bénéfice d’un statut de fonctionnaire ou d’un statut analogue limitant les possibilités de licenciement que connaît le contrat de travail, ce statut fait échec à court terme – éventuellement à moyen terme – à la suppression d’emploi. Dans ce cas, les conditions du droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail ne sont pas remplies. L’exigence d’un risque économique à court ou moyen terme concerne aussi l’entreprise. Cela ressort notamment de l’art. 32 al. 1 let. a LACI, selon lequel la perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable. A l’évidence, cette condition ne saurait être remplie si l’entreprise ne court aucun risque propre d’exploitation, à savoir un risque économique où l’existence même de l’entreprise est en jeu, par exemple le risque de faillite ou le risque de fermeture de l’exploitation. Or si l’entreprise privée risque l’exécution forcée, il n’en va pas de même du service public, dont l’existence n’est pas menacée par un exercice déficitaire (ATF 121 V 362 précité consid. 3b et les références).

Consid. 4.3.1
Dans le cadre des mesures prises par le Conseil fédéral dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec la pandémie de coronavirus (Covid-19), le SECO a rédigé des directives destinées à préciser les conditions d’octroi des prestations de l’assurance-chômage dans ce contexte.

Bien que les directives administratives ne lient en principe pas le juge, celui-ci est néanmoins tenu de les considérer dans son jugement, pour autant qu’elles permettent une interprétation des normes juridiques qui soit adaptée au cas d’espèce et équitable. Ainsi, si les directives administratives constituent une concrétisation convaincante des dispositions légales, le tribunal ne s’en départit pas sans motif pertinent. Dans cette mesure, il tient compte du but de l’administration tendant à garantir une application égale du droit (ATF 148 V 102 consid. 4.2; 146 V 224 consid. 4.4. et l’arrêt cité). En principe, il convient de tenir compte de la version qui était à la disposition de l’autorité de décision au moment de la décision (et qui a déployé un effet contraignant à son égard); des compléments ultérieurs peuvent éventuellement être pris en compte, notamment s’ils permettent de tirer des conclusions sur une pratique administrative déjà appliquée auparavant (cf. ATF 147 V 278 consid. 2.2 et les références).

Consid. 4.3.2
Sous l’intitulé « Préavis des fournisseurs de prestations publiques (employeurs publics, administrations, etc.) », la directive du SECO 2020/8 du 1er juin 2022 (tout comme les directives suivantes) prévoit ce qui suit: « Le but de l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail est de préserver les emplois. L’objectif est d’éviter des licenciements à court terme, consécutifs à un recul temporaire de la demande de biens et de services, et la perte de travail qui en résulte (cf. également ATF 121 V 362 c. 3a). De manière générale, ce risque (immédiat) de disparition d’emplois concerne uniquement les entreprises qui financent la fourniture de prestations exclusivement avec les revenus ainsi perçus ou avec des fonds privés. Contrairement aux entreprises privées, les fournisseurs de prestations publiques ne supportent pas de risque entrepreneurial ou de risque de faillite parce qu’ils doivent mener à bien les tâches qui leur ont été confiées par la loi indépendamment de la situation économique. Les éventuels problèmes de liquidités, les dépenses supplémentaires ou même les pertes résultant de l’activité de l’entreprise sont couverts par des moyens publics, qu’il s’agisse de subventions ou d’autres moyens financiers. Il n’existe pas dans ces cas de risque de disparition d’emplois. En vertu du mandat des fournisseurs de prestations publiques, considérant l’objectif visé par l’indemnité en cas de RHT, les prestataires n’ont globalement aucun droit à la RHT pour leurs travailleurs. Le versement de la RHT en cas de suspension temporaire de cette fourniture de prestations revient à répercuter les coûts du salaire sur le fonds de l’AC sans que le risque de licenciements à court terme pour ces entreprises publiques-privées, contre lequel se bat le législateur, ne soit avéré.

Ces réflexions s’appliquent aussi bien aux employeurs de droit public-privé eux-mêmes (en ce qui concerne les employés de la Confédération, des cantons et des communes) qu’aux secteurs privatisés qui fournissent des prestations sur mandat d’une institution publique sur la base d’un accord. La RHT ne peut être accordée aux travailleurs employés par des fournisseurs de prestations publiques que si les travailleurs concernés sont exposés à un risque concret et immédiat de licenciement. Cela peut également concerner un secteur d’un prestataire seulement. Par exemple, une entreprise de transports peut comprendre à la fois un secteur d’exploitation pour lequel elle a droit à la RHT en cas de chute du chiffre d’affaires (p. ex. bus touristiques), et un secteur d’exploitation pour lequel aucun droit à la RHT n’existe (exploitation subventionnée d’un bus local).

On considère qu’un risque immédiat et concret de disparition d’emplois est présent si, en cas de recul de la demande ou de réduction ordonnée de l’offre chez le mandataire, il n’existe pas de garantie que les coûts d’exploitation seront entièrement couverts, et si les entreprises concernées ont la possibilité de procéder à des licenciements immédiats dans l’objectif de faire baisser les coûts d’exploitation. Ces deux conditions doivent être cumulées.

L’ACt [l’autorité cantonale compétente] est tenue de vérifier uniquement si un risque immédiat et concret de disparition d’emplois existe et si l’employeur est en mesure de justifier ce risque en présentant des documents appropriés. Il incombe donc aux entreprises qui fournissent des prestations publiques (Service Public) de justifier de manière plausible à l’ACt qu’en cas de perte de travail, un risque immédiat et concret de licenciements existe, à l’aide de documents adaptés (règlements du personnel, contrats de travail, mandats de prestations, concessions, CCT, etc.). Il n’est pas nécessaire de procéder à d’autres examens. L’introduction de la réduction de l’horaire de travail doit être refusée uniquement si les documents remis par l’employeur ne justifient pas un risque de disparition d’emplois à satisfaction de droit.

Dans le cas d’une décision sur opposition, la réalisation des deux conditions du droit à l’indemnité susmentionnées (risque de disparition d’emplois concret et aucune couverture complète des coûts d’exploitation) doit être mentionnée clairement et explicitement sur le document justificatif comme motif. »

 

Consid. 7.1
Sur le fond, la société A.__ SA soutient qu’elle aurait droit à l’indemnité en cas de RHT. Elle invoque, d’une part, l’absence de garantie de déficit par les pouvoirs publics et, d’autre part, l’existence d’un risque concret pour les emplois.

Répondant à la question laissée indécise par les juges cantonaux, la société A.__ SA soutient que, tant pour le trafic régional de voyageurs que pour le trafic urbain, le déficit effectif causé par la pandémie de coronavirus ne sera pas pris en charge par une quelconque subvention. Contrairement aux causes à l’origine des arrêts 8C_558/2021 et 8C_559/2021 du 20 janvier 2022, ni la loi ni le texte des conventions de subventionnement applicables en l’espèce n’imposeraient une garantie de déficit, les subventions n’étant pas liées au coût effectif d’exploitation.

Ensuite, la société A.__ SA critique le raisonnement des juges cantonaux, en tant que ceux-ci ont retenu qu’elle n’aurait pas rendu vraisemblable l’exposition, à court terme, à des pertes de revenus suffisamment importantes pour mettre en cause les emplois, alors qu’ils ont admis que la réduction de l’offre avait entraîné des pertes de recettes qui n’avaient plus permis aux entreprises de transports publics de couvrir les coûts fixes en matière d’infrastructure et de personnel. En outre, la juridiction cantonale considérerait à tort qu’il serait objectivement impossible de ne pas respecter un mandat de prestation publique, contrairement à un autre mandat de droit privé. Ce point de vue serait manifestement inexact sous l’angle de la clausula rebus sic stantibus. La société A.__ SA conteste qu’en raison de leur mandat de droit public, les entreprises de transports publics n’auraient pas la possibilité de réduire leur masse salariale. Selon elle, l’existence de subventions et d’un mandat de service public ne constituerait pas en soi un obstacle dirimant à l’obtention de l’indemnité en cas de RHT.

 

Consid. 7.2
Comme on l’a vu (cf. consid. 4 supra), les entreprises qui fournissent des prestations publiques ne sont pas en tant que telles exclues du cercle des potentiels bénéficiaires du droit à l’indemnité en cas de RHT. Pour ces entreprises, on reconnaît un risque de disparition d’emplois si, en cas de recul de la demande ou de réduction de l’offre chez le mandataire, il n’existe pas de garantie que les coûts d’exploitation seront entièrement couverts, et si les entreprises concernées ont la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance dans l’objectif de faire baisser les coûts d’exploitation. En l’espèce, si la réduction du temps de travail du personnel roulant et technique touche des secteurs de la société A.__ SA dans lesquels il n’y a pas de garantie d’une couverture complète des coûts d’exploitation, celle-ci supporterait, comme toute entreprise privée, un risque d’exploitation ou de faillite correspondant, auquel une telle entreprise ferait face par des licenciements (cf. arrêt 8C_769/2021 du 3 mai 2022 consid. 6, qui concerne également une entreprise de transport public). Or, dans l’arrêt entrepris, la cour cantonale n’a pas clairement tranché la question de la couverture des coûts d’exploitation, en tout cas s’agissant du trafic régional. Elle a en effet retenu à cet égard qu’il appartenait à la société A.__ SA de couvrir le déficit provoqué par la chute des recettes, tout en évoquant la possibilité d’une garantie de déficit plus étendue. En outre, le fait de percevoir des subventions ne signifie pas encore que les coûts d’exploitation sont entièrement couverts par les pouvoirs publics (cf. arrêt 8C_157/2022 du 8 septembre 2022 consid. 3.4.1). Enfin, la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance s’examine non pas au regard de la main d’œuvre nécessaire pour fournir les prestations publiques selon l’offre soumise aux commanditaires, mais au regard de la règlementation applicable au personnel (cf. consid. 4.3.2 supra). L’arrêt attaqué ne dit rien à ce propos quand bien même la société A.__ SA a produit la documentation appropriée dans le cadre de son opposition. La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en niant le droit de la société A.__ SA aux indemnités en cas de RHT sans instruire et examiner de manière approfondie l’étendue de la couverture des frais d’exploitation par les pouvoirs publics ainsi que les possibilités concrètes de résiliation sur la base du régime applicable au personnel.

 

Le TF admet le recours de la société A.__ SA, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

Arrêt 8C_322/2022 consultable ici

 

Cf. également les arrêts 8C_325/2022 et 8C_328/2022 du 30.01.2023 dans deux causes parallèles similaires.

 

Séminaire MoveS / IDAT «Télétravail transfrontalier Suisse-France» – vendredi 26 mai 2023

Télétravail transfrontalier Suisse-France Séminaire MoveS / IDAT

 

Vendredi 26 mai 2023 – Université de Lausanne, Aula de l’IDHEAP, 9h15-16h00

Visite de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe 12h15-13h45

 

Le séminaire s’intéresse aux aspects pratiques et solutions possibles en rapport avec le télétravail ou autres formes de travail à distance. Il présente les nouveautés en matière de droit social applicable, couverture d’assurance-maladie, accès aux prestations en espèces et obligations de l’employeur. Les récents développements législatifs et jurisprudentiels dans l’UE, en France et en Suisse en relation avec le télétravail seront également discutés.

Intervenants : Dita Collinsova, Commission Européenne, Eberhard Eichenhofer et Nicolas Rennuy, MoveS Visiting Experts, Guylaine Riondel-Besson, Conseillère juridique, Jean-Philippe Lhernould et Bettina Hummer, Experts nationaux MoveS.

Avec le soutien de la Commission européenne, Direction générale EMPL et MoveS réseau d’experts.

 

Formulaire d’inscription (inscirption gratuite) et programme : https://www.unil.ch/idat/home/menuinst/colloques-idat/2023.html

Remarques importantes :

  • Le programme peut faire l’objet de modifications par les organisateurs.
  • La participation au séminaire est gratuite, sur inscription et sous réserve des places disponibles. Les coûts de transport et d’hébergement sont à charge des participants.

 

Article sponsorisé

 

9C_611/2021 (f) du 21.11.2022 – Revenu sans invalidité selon ESS TA1 – Deux professions définies séparément dans la classification internationale type des professions (CITP-08) – 16 LPGA / Augmentation du taux d’activité non retenue au degré de la vraisemblance prépondérante

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_611/2021 (f) du 21.11.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité selon ESS TA1 – Deux professions définies séparément dans la classification internationale type des professions (CITP-08) / 16 LPGA

Revenu sans invalidité fixé sur la moyenne des revenus perçus lors des cinq années qui ont précédé l’atteinte à la santé puis indexée

Augmentation du taux d’activité non retenue au degré de la vraisemblance prépondérante

 

Assurée, titulaire d’un diplôme de comédienne, a travaillé, parallèlement à son activité de comédienne, en dernier lieu pour une association comme enseignante de théâtre, de danse et de yoga environ douze heures par semaine (du 20.09.2011 au 30.06.2012). En arrêt de travail depuis le 24.05.2012, elle a déposé une demande AI le 14.02.2013.

En se fondant sur l’avis du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et médecin traitant, l’office AI a mis en œuvre différentes mesures de réadaptation d’ordre professionnel, dont le reclassement professionnel de l’assurée comme assistante de direction à 50% à compter du 06.04.2016. Au terme de sa formation, l’assurée a été engagée comme assistante marketing et communication à un taux d’activité de 45% dès le 01.09.2018.

L’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité du 01.08.2013 au 30.11.2018, puis une demi-rente d’invalidité dès le 01.12.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 285/21 ap. TF – 309/2021 – consultable ici)

Par jugement du 14.10.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
La juridiction cantonale a constaté que l’assurée avait durablement retrouvé une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à ses restrictions fonctionnelles dès le mois de décembre 2015. Elle a fixé le revenu avec invalidité à l’issue du reclassement professionnel en 2018 de l’assurée à 28’445 fr. (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, lignes 77, 79-82 « services administratifs », niveau de compétence 2 [« Tâches pratiques »], durée hebdomadaire de travail de 41,7 heures, abattement de 5%). En ce qui concerne le revenu sans invalidité de l’année 2018, la cour cantonale l’a fixé à 64’551 fr. (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, ligne 90-93 « arts, spectacles et activités récréatives », niveau de compétence 2, durée hebdomadaire de travail de 41,7 heures). Le degré d’invalidité s’élevait dès lors à 56% (55,93%), donnant droit à une demi-rente d’invalidité dès le 01.12.2018, soit trois mois après la fin du reclassement professionnel.

 

Consid. 4.1
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir ce que la personne assurée aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant si elle n’était pas devenue invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité (ATF 144 I 103 consid. 5.3; 139 V 28 consid. 3.3.2; arrêt 8C_934/2015 du 9 mai 2016 consid. 2.2 et les références). Le salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré comprend tous les revenus d’une activité lucrative (y compris les gains accessoires, la rémunération des heures supplémentaires effectuées de manière régulière) soumis aux cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants (AVS; arrêt 8C_289/2021 du 3 février 2022 consid. 3.1.2 et la référence).

Consid. 4.2
En l’espèce, la juridiction cantonale a constaté, de manière à lier le Tribunal fédéral, que l’assurée était comédienne et dispensait parallèlement à cette activité des cours dans le domaine artistique (théâtre, danse et yoga) au moment de la survenance de son atteinte à la santé. A l’inverse de ce que la juridiction cantonale a retenu, il ne s’agit pas là d’un ensemble d’emplois dont les principales tâches se caractérisent par un degré élevé de similarité, mais de deux professions définies séparément dans la classification internationale type des professions (CITP-08).

La ligne 85 de l’ESS 2018 (enseignement) comprend ainsi l’enseignement culturel, soit les activités de formation dans le domaine des arts, du théâtre et de la musique (branche 855200). Les structures dispensant ce type de formation (écoles, ateliers, classes, etc.) offrent des cours formellement organisés, principalement à des fins récréatives, de loisirs ou de développement personnel, et ces cours ne débouchent pas sur un diplôme professionnel.

L’activité de comédienne est intégrée, pour sa part, dans les activités « Arts, spectacles et activités récréatives » de la ligne 90 de l’ESS 2018, laquelle comprend les prestations de services en vue de répondre aux intérêts des clients en matière de culture et de divertissement, singulièrement la fourniture de compétences artistiques, créatives et techniques nécessaires à la production de spectacle et de produits artistiques (branche 900101 [troupes de théâtre et de ballet]).

Consid. 4.3
La juridiction cantonale ne pouvait par conséquent pas se fonder sur la ligne 90 de l’ESS 2018 pour déterminer le revenu sans invalidité de l’assurée pour l’année 2018. Selon les faits constatés par les juges cantonaux, l’assurée a en revanche perçu de ses différentes activités un revenu annuel (brut) total de 54’751 fr. en 2006, de 65’479 fr. en 2007, de 65’069 fr. en 2008, de 60’494 fr. en 2009, de 61’614 fr. en 2010 et de 53’796 fr. en 2011. On cherche en vain dans le recours quel élément concret aurait permis à l’assurée d’augmenter significativement ses revenus entre la période courant de 2007 à 2011 (cinq années qui ont précédé la survenance de son atteinte à la santé) et l’année 2018. Elle ne prétend en particulier pas qu’elle s’attendait à une évolution significative de sa carrière de comédienne et que cette évolution aurait été entravée par la survenance de son atteinte à la santé en 2012. Le fait qu’elle élevait seule ses deux enfants, nés en 1998 et 2003, ou qu’elle était une comédienne « particulièrement brillante », ne suffit en particulier pas à établir que le revenu de son activité de comédienne aurait augmenté de manière significative en 2018.

En se fondant sur l’attestation de l’association du 07.04.2021, l’assurée affirme en revanche qu’elle aurait augmenté son taux d’activité comme enseignante de 40% à 50% dès le 01.09.2013, ce qui aurait permis d’augmenter ses revenus. Selon les faits constatés par la juridiction cantonale, cette attestation contredit cependant pour partie les renseignements communiqués par l’association le 01.03.2013 et est signée notamment par le frère de l’assurée. Le 01.03.2013, à l’invitation de l’office AI, l’association avait ainsi indiqué que l’assurée avait travaillé à environ 40% et que son contrat de travail avait pris fin le 30.06.2012; elle n’avait nullement mentionné à l’époque une augmentation du taux d’activité de l’assurée (ni d’ailleurs une prolongation du contrat de travail au-delà du 30.06.2012). Dans ces conditions, les juges cantonaux ont considéré sans arbitraire que les attestations produites en 2021, soit plusieurs années après la fin du contrat de travail de l’assurée, ne permettaient pas d’établir, au degré de la vraisemblance prépondérante applicable dans le domaine des assurances sociales, que l’assurée aurait augmenté son taux d’activité à 50% comme enseignante en 2013 et au-delà. Au demeurant, dans la mesure où l’assurée avait débuté les répétitions en vue de l’interprétation d’une nouvelle pièce de théâtre en 2011, il apparaît peu vraisemblable qu’elle eût simultanément convenu avec son employeur d’augmenter son taux d’activité comme enseignante.

Consid. 4.4
Par conséquent, le Tribunal fédéral retient que la moyenne des revenus perçus lors des cinq années qui ont précédé l’atteinte à la santé (2012) exprime de manière suffisamment vraisemblable le revenu qui aurait été celui de l’assurée en 2018, après la prise en compte de l’évolution des salaires nominaux. L’assurée aurait ainsi perçu un revenu annuel (brut) de 63’974 fr. 29 en 2018 ([65’479 fr. + 65’069 fr. + 60’494 fr. + 61’614 fr. + 53’796 fr.] / 5 x 131.1 / 125.6 [évolution de l’indice des salaires nominaux, 2011-2018]). Comparé avec un revenu d’invalide (non contesté) de 28’445 fr. en 2018, le taux d’invalidité de l’assurée s’élève à 56% (55,54%). Il est insuffisant pour donner droit à trois quarts de rente (anc. art. 28 al. 2 LAI).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_611/2021 consultable ici

 

9C_641/2021 (f) du 10.11.2022 – Revenu sans invalidité selon T17 au lieu du TA1_skill_level – 16 LPGA / Revenu d’invalide selon le niveau de compétences 2 du TA1_skill_level

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_641/2021 (f) du 10.11.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité selon T17 au lieu du TA1_skill_level / 16 LPGA

Revenu d’invalide selon le niveau de compétences 2 du TA1_skill_level

 

Assurée, née en 1991, travaillait pour un hôpital à 70% depuis son engagement le 01.03.2015 puis à 50% depuis le 01.01.2017. Elle accomplissait diverses tâches (service à la clientèle, achalandage, nettoyage, réapprovisionnement des stocks, commande, rangement) au sein du restaurant et du kiosque. Invoquant un angiome au bras droit apparu en 2000 et totalement incapacitant dès le 04.01.2017, elle a déposé une demande AI le 05.01.2017.

Expertise pluridisciplinaire (spécialistes en chirurgie orthopédique, neurologie et médecine interne générale) mise en œuvre par l’office AI. Les experts ont diagnostiqué un hémangiome caverneux avec foyer d’hémangio-endothéliome intra-vasculaire végétant de Masson et avec douleurs chroniques localisées à la région trois fois opérée en 2001, 2007 et 2017 de la partie proximale de l’avant-bras droit. D’après eux, l’intéressée pouvait exercer son métier de gestionnaire en intendance à 54% (taux horaire de 60% avec diminution de rendement de 10%) et toute autre activité mieux adaptée à sa situation médicale à 72% (taux horaire de 80% avec diminution de rendement de 10%) sans interruption depuis 2007 hormis durant les périodes d’incapacité totale de travail de trois mois liées aux opérations (rapport d’expertise du 09.12.2019). Le médecin du SMR a déduit des rapports médicaux récoltés qu’à l’exception de la période du 04.01.2017 au 24.11.2017, au cours de laquelle elle avait occasionné une incapacité totale de travail, l’affection en cause avait permis depuis 2007 et permettait encore l’exercice de l’activité habituelle ou d’une activité adaptée aux taux fixés par les experts.

Se fondant sur le rapport de son médecin-conseil, l’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.07.2017 au 28.02.2018.

 

Procédure cantonale

Saisie du recours de l’assurée, confirmé après l’annonce d’une possible modification de la décision administrative, la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel l’a rejeté. Il a réformé la décision entreprise en ce sens que la demande de prestations présentée par l’intéressée le 5 janvier 2017 était rejetée (arrêt du 29 octobre 2021).

 

Par jugement du 29.10.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal et reformatio in peius (décision réformée en ce sens que la demande de prestations présentée par l’intéressée le 05.01.2017 était rejetée)

 

TF

Consid. 4
Se fondant sur le rapport d’expertise, jugé probant, la juridiction cantonale a constaté que l’assurée avait une capacité de travail de 54% dans l’activité habituelle et de 72% dans une activité adaptée sans interruption depuis 2007 sauf durant les trois mois ayant suivi l’opération du 24.08.2017. Elle a par conséquent considéré que l’office AI avait indûment alloué à l’assurée une rente entière du 01.07.2017 au 28.02.2018. En effet, les conclusions des experts ne permettaient ni de retenir une incapacité totale de travail au moment du dépôt de la demande de prestations le 05.01.2017 ou à l’échéance du délai de carence le 01.07.2017, ni de conclure à une amélioration de la situation à compter du 25.11.2017. Procédant à l’évaluation du taux d’invalidité, elle a comparé un revenu sans invalidité de 54’330 fr. par an (reposant sur l’ESS 2016, Tableau T17, groupe 51, total femmes, tous âges confondus, adapté à l’horaire moyen de la branche et à l’évolution des salaires nominaux pour 2017) à un revenu avec invalidité de 43’697 fr. par an (fondé également sur l’ESS 2016, Tableau TA1_tirage_skill_level, total femmes, niveau de compétence 2, adapté à l’horaire moyen de la branche et à l’évolution des salaires nominaux pour 2017), auquel elle a appliqué un abattement de 15%. Elle a abouti à un degré d’invalidité de 32% insuffisant pour donner droit à une rente. Elle est parvenue à la même conclusion en se référant au niveau de compétence 1 du Tableau TA1_tirage_skill_ level pour déterminer le revenu d’invalide (de 33’537 fr. 25; taux d’invalidité de 38%). Elle a dès lors réformé la décision litigieuse, en ce sens que la demande de l’assurée était rejetée.

 

Consid. 6.2.1
S’agissant d’abord du revenu sans invalidité, l’assurée soutient que le choix du Tableau T17, groupe 51, de l’ESS (« personnel des services directs aux particuliers » en lien avec le chiffre 515 de la Classification internationale des types de professions [CITP-08], qui comprenait les gouvernantes et les concierges en plus des intendants) était arbitraire et réducteur dans la mesure où, avec un CFC, elle aurait pu prétendre un salaire supérieur. Elle considère que la juridiction cantonale n’aurait pas dû s’écarter du choix pertinent de l’office AI qui s’était porté sur la ligne 45-96 (« secteur des services ») ou la ligne 86-88 (« santé humaine et action sociale ») du Tableau TA1_tirage_skill_level.

Consid. 6.2.2
Vu l’apprentissage de gestionnaire en intendance que l’assurée avait entrepris mais n’avait pas pu achever en raison de son handicap, la juridiction cantonale a déterminé le revenu sans invalidité en se référant au Tableau T17 de l’ESS 2016 pour mieux prendre en considération les circonstances du cas particulier conformément à la jurisprudence (cf. arrêt 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2 et les références). En se limitant à soutenir que le choix du groupe 51 du Tableau T17 par le tribunal cantonal était réducteur, l’assurée ne démontre pas que ce choix était contraire au droit dans la mesure où, selon la CITP-08, le groupe en question contient précisément les professionnels qui exercent le métier qu’elle aurait pu pratiquer sans son invalidité selon la description non contestée qu’en a fait la juridiction cantonale. Le choix de ce groupe était donc plus pertinent que les lignes 45-96 ou 86-88 du Tableau TA1_tirage_skill_level retenu par l’office AI dès lors qu’il permet de déterminer plus exactement le revenu sans invalidité.

 

Consid. 6.3.1
S’agissant ensuite du revenu d’invalide, l’assurée fait valoir qu’il convient de retenir le niveau de compétence 1 du Tableau TA1_tirage_skill_level appliqué par le tribunal cantonal dès lors que le niveau de compétence 2 conduit au constat arbitraire qu’elle serait en mesure de gagner plus en mauvaise santé qu’en bonne santé.

Consid. 6.3.2
Le choix du niveau de compétence applicable est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4; 132 V 393 consid. 3.3). Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Quatre niveaux de compétence ont été définis. Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé. Entre ces deux extrêmes figurent les professions intermédiaires. Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé. Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (cf. arrêt 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1 et les références). Si l’on peut douter avec l’assurée du choix du niveau de compétence 2 pour déterminer le revenu d’invalide au regard de la jurisprudence à cet égard (cf. arrêts 8C_156/2022 du 29 juin 2022 consid. 7.2; 8C_131/2021 du 2 août 2021 consid. 7.4.1 et les références), la question peut toutefois rester ouverte. En effet, les premiers juges ont également procédé à la comparaison des revenus en se fondant sur le niveau de compétence 1 du Tableau TA1_tirage_skill_level et ont abouti à un taux d’invalidité de 38% n’ouvrant pas le droit à une rente.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_641/2021 consultable ici

 

8C_93/2022 (f) du 19.10.2022 – Stabilisation de l’état de santé – 19 LAA / Troubles psychiques et causalité adéquate – 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_93/2022 (f) du 19.10.2022

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 LAA

Troubles psychiques et causalité adéquate / 6 LAA

Examen du critère de la durée anormalement longue du traitement médical et celui du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques

 

Assuré, maçon, victime d’un accident de chantier le 09.08.2016, entraînant une fracture du calcanéum gauche.

L’assuré a été opéré le 17.08.2016 (réduction ouverte et fixation interne). Du 19.04.2017 au 16.05.2017, il a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (CRR). Selon les médecins de la CRR, la situation n’était pas encore stabilisée du point de vue médical, mais on pouvait s’attendre à ce qu’elle le soit trois à quatre mois après l’ablation du matériel d’ostéosynthèse. Le pronostic de réinsertion était certes défavorable en ce qui concernait la profession antérieure; il était en revanche favorable dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles ayant trait à la station debout et aux marches prolongées, notamment sur du terrain irrégulier, à la position accroupie, à l’utilisation répétée d’escaliers ou d’échelles, ainsi qu’au port de charges moyennes à lourdes.

Le 13.11.2017, l’assuré a subi une nouvelle opération (AMO et résection d’une marche d’escalier au niveau de l’articulation sous-talienne postérieure). Dans un rapport d’examen final du 09.04.2018, le médecin-conseil, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a constaté que les bilans radiologiques étaient plutôt rassurants et qu’il en ressortait une bonne reconstitution du calcanéum gauche. La mobilité restait toutefois limitée, tout comme l’activité « en force ». Le cas était suffisamment stabilisé et les limitations fonctionnelles énoncées de façon provisoire par la CRR étaient désormais définitives. Moyennant le respect de ces limitations fonctionnelles, l’assuré pouvait travailler à temps complet, sans diminution de rendement. Ce médecin a en outre fixé le taux de l’atteinte à l’intégrité à 5%, correspondant à la fourchette inférieure pour une arthrose moyenne selon les tables d’indemnisation de la CNA.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a accordé à l’assuré, dès le 01.10.2018, une IPAI de 5% et une rente d’invalidité de 21%, considérant qu’en dépit des séquelles accidentelles, l’intéressé demeurait capable d’exercer à plein temps une activité adaptée à son état de santé.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1342/2021 – consultable ici)

Le 11.03.2019, l’assuré a saisi le tribunal cantonal.

L’assuré a subi de nouvelles interventions (le 26.06.2020 : arthrodèse sous-talienne ; le 13.05.2021 : révision de cicatrice du pied gauche et décompression d’un névrome).

Par jugement du 22.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Stabilisation de l’état de santé

Consid. 4.2
Les juges cantonaux ont constaté qu’il ne ressortait pas des rapports médicaux versés au dossier que postérieurement au 01.10.2018, il y avait lieu d’attendre de la poursuite du traitement une sensible amélioration de l’état de santé et de la capacité de travail de l’assuré (cf. art. 19 al. 1 LAA). Le fait qu’une nouvelle intervention chirurgicale (arthrodèse sous-talienne) ait été pratiquée en juin 2020 ne permettait pas de conclure à un état de santé non stabilisé, dès lors qu’il n’était pas établi que cette intervention était propre à améliorer notablement l’état de santé et la capacité de travail de l’assuré. Il en allait de même avec la révision de cicatrice du pied gauche pratiquée en mai 2021. Au demeurant, ces deux dernières interventions avaient été pratiquées postérieurement au prononcé de la décision sur opposition; or le juge des assurances sociales appréciait la légalité des décisions attaquées, en règle générale, d’après l’état de fait existant au moment où la décision litigieuse était rendue (ATF 121 V 362 consid. 1b). En outre, le fait que l’assuré s’était vu prescrire de la physiothérapie et une infiltration postérieurement à la décision attaquée ne remettait pas en question la stabilisation de l’état de santé, dès lors que selon la jurisprudence, la prescription d’antalgiques et de séances de physiothérapie était compatible avec un état stabilisé (arrêt U 316/03 du 26 mars 2004 consid. 3.3).

Consid. 4.3
L’assuré ne discute pas cette motivation, laquelle n’est au demeurant pas critiquable. Il ressort en effet des pièces du dossier qu’avant le médecin-conseil de l’assurance-accidents, les médecins de la CRR avaient indiqué que l’on pouvait s’attendre à une stabilisation sous l’angle médical trois à quatre mois après l’ablation du matériel d’ostéosynthèse (soit en février-mars 2018). Quant au chirurgien qui avait réalisé l’opération précitée en novembre 2017, il avait exposé dans ses rapports de janvier 2019 qu’au moment où l’assurance-accidents avait rendu sa décision initiale en novembre 2018, l’état de santé était relativement stable. Lors d’une consultation en janvier 2019, il avait été constaté une amélioration d’un point de vue fonctionnel, en ce sens que le patient s’était présenté pour la première fois sans moyen auxiliaire, bien qu’il semblât toujours handicapé par les douleurs. A la question de savoir si une dégradation de l’état de santé – ensuite de l’accident du 09.08.2016 – avait été constatée, en particulier avant le prononcé de la décision du 27.11.2018, le chirurgien traitant avait répondu que les symptômes étaient restés stables depuis la première consultation et que l’état de santé ne s’était pas dégradé depuis le prononcé de l’assurance-accidents. Interrogé par le conseil de l’assuré au sujet de futures interventions chirurgicales, le chirurgien traitant avait encore indiqué qu’une arthrodèse sous-talienne et calcanéocuboïdienne pouvait éventuellement être envisagée et que la question devait être rediscutée, mais qu’il était fortement improbable qu’une nouvelle chirurgie améliore la situation. Une telle intervention paraissait impropre à se répercuter sur la capacité résiduelle de travail et dans ce genre de situation, chez des travailleurs de force, les résultats étaient systématiquement décevants.

Consid. 4.4
Vu ce qui précède, il n’est pas établi que la poursuite du traitement médical, en particulier les nouvelles interventions chirurgicales pratiquées en juin 2020 et mai 2021, aient été propres à améliorer sensiblement l’état de santé et la capacité de travail de l’assuré.

 

Troubles psychiques et causalité adéquate

Consid. 5.1
L’assuré soutient qu’en refusant de considérer que ses affections psychiques étaient en lien de causalité avec l’accident, la juridiction cantonale aurait violé le droit fédéral. Selon lui, le critère de la durée anormalement longue du traitement médical et celui de la durée de l’incapacité de travail dues aux lésions physiques seraient réalisés en l’espèce.

Consid. 5.2
Les juges cantonaux ont constaté à juste titre qu’ensuite de son accident, l’assuré avait subi une première intervention en deux temps chirurgicaux en août 2016 et en novembre 2017 (réduction de la fracture du calcanéum gauche, puis AMO). Il avait ensuite été opéré une nouvelle fois en juin 2020 (arthrodèse sous-talienne). Ces opérations s’étaient bien déroulées et avaient occasionné des hospitalisations de courte durée. Pour le reste, le traitement avait essentiellement consisté en des mesures conservatrices, de sorte que le critère de la durée anormalement longue du traitement médical n’était pas réalisé. Ces considérations échappent à la critique.

Consid. 5.3
Quant au critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques, il doit se rapporter aux seules lésions physiques et ne se mesure pas uniquement au regard de la profession antérieurement exercée par l’assuré. Ainsi, il n’est pas rempli lorsque l’assuré est apte, même après un certain laps de temps, à exercer à plein temps une activité adaptée aux séquelles accidentelles qu’il présente (p. ex. arrêt 8C_209/2020 du 18 janvier 2021 consid. 5.2.2). En l’occurrence, ce critère ne peut donc pas non plus être retenu dès lors que, comme l’ont déjà constaté les juges cantonaux, le médecin-conseil avait conclu à une pleine capacité de travail dans toute activité adaptée aux limitations fonctionnelles lors de son examen final du 09.04.2018.

 

Consid. 6.1
Enfin, l’assuré reproche aux juges cantonaux d’avoir violé le droit fédéral en refusant de procéder aux mesures d’instruction requises – à savoir l’audition de témoins, voire la mise en oeuvre d’une expertise judiciaire – et en se satisfaisant à tort des conclusions anciennes, partielles et partiales du médecin-conseil de l’assurance-accidents.

Consid. 6.2
Les juges cantonaux ont retenu que les mesures d’instruction requises par l’assuré étaient superflues dès lors que les avis exprimés par ses médecins traitants rejoignaient très largement celui du médecin-conseil. Par ailleurs, l’audition de ces médecins ne se justifiait pas non plus dans la mesure où ceux-ci avaient eu l’occasion de s’exprimer par écrit à maintes reprises comme en témoignaient les nombreux rapports versés à la procédure.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_93/2022 consultable ici

 

9C_259/2022 (f) du 20.09.2022 – Rappel du principe inquisitoire et du devoir de collaborer de l’assuré à l’instruction de l’affaire / Expertise dans la langue maternelle de l’assurée – Expertise par un psychiatre vaudois germanophone

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_259/2022 (f) du 20.09.2022

 

Consultable ici

 

Rappel du principe inquisitoire et du devoir de collaborer de l’assuré à l’instruction de l’affaire / 43 LPGA – 53 LAI

Nécessité et exigibilité d’une expertise médicale psychiatrique – Pas de motif excusable de l’assurée de ne pas se soumettre à l’expertise / 43 LPGA

Expertise dans la langue maternelle de l’assurée – Expertise par un psychiatre vaudois germanophone

Pas de droit pour l’assuré d’obtenir la traduction dans sa propre langue des pièces de la correspondance avec l’administration

Diagnostic étayé sous l’angle médical point de départ de l’examen du droit aux prestations / 4 al. 1 LAI – 6 ss LPGA

 

Assurée, née en 1966, a déposé une demande AI en août 2018. Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a confié un mandat d’expertise à un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et en a informé l’assurée par courrier du 27.04.2020. Celle-ci a demandé à l’office AI à être examinée par un expert parlant allemand, en lui indiquant qu’elle ne participerait à cette expertise qu’à la condition d’être assistée lors de l’examen et de pouvoir enregistrer l’entretien (courrier du 28.05.2020). L’office AI lui a répondu que l’expert était de langue maternelle allemande, de sorte que les entretiens pourraient être effectués dans cette langue (courrier du 04.06.2020). A cette occasion, il l’a également informée que le rapport d’expertise serait rédigé en français, qu’elle ne pouvait ni être assistée, ni enregistrer les entretiens; il l’a rendue attentive à son devoir de collaborer ainsi qu’au fait qu’un défaut de collaboration pouvait conduire à une décision en l’état du dossier ou à un refus d’entrer en matière sur la demande.

Par courrier du 15.07.2020, l’assurée a demandé à l’office AI de renoncer à une évaluation psychiatrique. Par décision incidente du 18.08.2020, l’office AI a informé l’assurée du maintien de l’expertise psychiatrique et lui a derechef rappelé son devoir de collaborer. L’assurée a de nouveau contesté la nécessité et l’utilité de l’expertise.

Par projet de décision du 18.12.2020, l’administration a informé l’assurée qu’elle envisageait de lui nier le droit à une rente et à des mesures professionnelles, considérant qu’une incapacité de travail n’était pas établie. L’assurée a contesté le projet de décision en indiquant notamment qu’elle avait accepté de se soumettre à une expertise psychiatrique moyennant certaines conditions qu’elle estimait raisonnables. Par décision du 25.02.2021 l’office AI a refusé toute prestation à l’assurée.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 141/21 – 93/2022 – consultable ici)

La juridiction cantonale a considéré qu’il ressortait du dossier médical qu’une expertise psychiatrique était nécessaire, dès lors qu’aucun des nombreux spécialistes consultés par l’assurée n’avait pu poser de diagnostics expliquant ses symptômes, sauf à évoquer des atteintes de type psychosomatique. Elle a en outre admis que l’office AI était en droit de considérer que l’assurée avait refusé de se soumettre, sans motif excusable, à l’expertise psychiatrique ordonnée. Aussi, celui-ci avait-il été en droit de statuer sur les prétentions de l’assurée en l’état du dossier. Or, en l’absence de documents médicaux pouvant expliquer les symptômes de l’assurée et leur gravité, une atteinte entraînant une incapacité de travail durable de 40% n’avait pas été établie. Dès lors, aucune prestation de l’assurance-invalidité ne pouvait être octroyée à l’assurée.

Par jugement du 22.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1.1
A titre liminaire, on doit rappeler que la procédure en matière d’assurance-invalidité est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’assureur, qui prend les mesures d’instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin (cf. art. 43 al. 1 LPGA et art. 53 al. 1 LAI; arrêt 8C_445/2021 du 14 janvier 2022 consid. 4.4 et les références). Le devoir d’instruction s’étend jusqu’à ce que les faits nécessaires à l’examen des prétentions en cause soient suffisamment élucidés (arrêt 9C_1012/2008 du 30 juin 2009 consid. 3.2.1 et les références). Selon la jurisprudence, la grande diversité des situations d’expertise exige de la souplesse et l’assureur dispose d’une grande marge d’appréciation en ce qui concerne la nécessité, l’étendue et l’adéquation des investigations médicales (ATF 147 V 79 consid. 7.4.2 et les références).

De son côté, conformément à son devoir de collaborer à l’instruction de l’affaire, l’assuré est tenu de se soumettre aux examens médicaux et techniques qui sont nécessaires à l’appréciation du cas et peuvent être raisonnablement exigés (art. 43 al. 2 LPGA; arrêt 9C_1012/2008 précité). Sont considérés comme nécessaires tous les moyens de preuve qui permettent d’établir les faits pertinents pour l’application du droit. Dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnablement exigible de la mesure, ce n’est pas l’appréciation subjective de la personne assurée qui est déterminante, mais bien plus si les circonstances subjectives (telles que l’âge, son état de santé ou ses expériences antérieures) autorisent, sur un plan objectif, la mesure requise (JACQUES OLIVIER PIGUET, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 10 et 11 ad art. 43 LPGA). Selon l’article 43 al. 3 LPGA, si l’assuré ou d’autres requérants refusent de manière inexcusable de se conformer à leur obligation de renseigner ou de collaborer à l’instruction, l’assureur peut se prononcer en l’état du dossier ou clore l’instruction et décider de ne pas entrer en matière. Cependant, il n’y a violation de l’obligation de collaborer par l’assuré au sens de cette disposition que si elle a été commise de manière inexcusable. En ce sens, elle doit être fautive, ce qui est le cas lorsqu’aucun motif justificatif n’est reconnaissable ou que le comportement de la personne assurée s’avère totalement incompréhensible (arrêt I 166/06 du 30 janvier 2007 consid. 5.1 et les références; sur les motifs rendant le défaut de collaboration excusable, cf. arrêt 8C_733/2010 du 10 décembre 2010 consid. 5.3 et les références).

Consid. 5.1.2
En l’espèce, en application de la maxime inquisitoire, la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique était nécessaire et se fondait sur plusieurs avis médicaux – et non pas sur une simple « supposition » de l’office AI -, ainsi que l’a retenu la cour cantonale sans arbitraire. En effet, plusieurs médecins consultés ont relevé une composante de type psychosomatique et préconisé un examen psychiatrique. […] En outre, l’assurée omet de mentionner, lorsqu’elle prétend ne jamais avoir souffert de problèmes psychologiques ou pris de médicaments pour des affections psychiatriques, que son médecin traitant, spécialiste en médecine interne générale, avait au contraire mentionné un tel suivi médical; il avait en effet indiqué que l’assurée était « connue pour une structure psychologique particulière et que plusieurs traitements [avaient] été essayés », soit différents antidépresseurs et que cela avait « fonctionné ». Il s’en suit que la réalisation d’une expertise psychiatrique était nécessaire du point de vue de l’instruction, quand bien même l’assurée fait valoir qu’elle n’avait pas déposé sa demande de prestations pour des motifs psychiatriques.

De plus, une expertise psychiatrique était également exigible de l’assurée. […] L’assurée n’invoque, pour contester l’exigibilité de l’expertise en cause, que des critiques d’ordre général sur l’objectivité d’une expertise psychiatrique et son utilité, tout en remettant en cause le fait que les résultats de celle-ci soient vérifiables et en alléguant qu’elle peut contenir des erreurs, ainsi que de fausses assertions. Or ces éléments, examinés sous l’angle objectif ne sont pas suffisants pour conclure qu’une expertise n’était pas exigible du point de vue subjectif. Partant, la cour cantonale n’a pas violé l’art. 43 al. 2 LPGA.

Consid. 5.1.3
Il reste à examiner si le refus de l’assurée de se soumettre à l’expertise psychiatrique ordonnée repose sur des motifs excusables au sens de l’art. 43 al. 3 LPGA. Tel n’est pas le cas au regard des conditions qu’avait posées l’assurée pour accepter l’expertise (expert de langue allemande, accompagnement par une personne de confiance et/ou enregistrement des entretiens). En premier lieu, il ressort des constatations non contestées de la juridiction cantonale que l’office AI avait fait droit à la requête de l’assurée tendant à ce que l’expert parlât l’allemand. Ensuite, ainsi que l’ont dûment rappelé les premiers juges, le droit applicable en vigueur au moment du prononcé de la décision litigieuse ne prévoyait ni la possibilité d’enregistrer les entretiens d’expertises (sur le nouvel art. 44 al. 6 LPGA entré en vigueur au 1er janvier 2022 [RO 2021 705], cf. arrêt 8C_296/2021 du 22 juin 2021 consid. 3.1 et les références), ni celle de s’y faire accompagner par une personne de confiance (ATF 137 V 210 consid. 3.1.3.3 et les références). Dès lors, les conditions que l’assurée avait posées étaient dénuées de pertinence au regard du droit en vigueur en application duquel l’office AI a rendu sa décision.

On doit également constater que la cour cantonale n’a pas fait preuve d’arbitraire en retenant que l’assurée avait exclu catégoriquement de se soumettre à une expertise avant que l’office AI ne l’informe vouloir refuser toute prestation. Son conseil avait en effet écrit, dans un courrier du 16.09.2020, que l’intéressée « rejette l’expertise psychiatrique (et toute autre) ». A cet égard, étant précisé que le refus de collaborer de l’assurée se limitait à la question de l’expertise psychiatrique, son allégation, selon laquelle elle avait toujours pleinement collaboré tout au long de la procédure, ne lui est d’aucun secours. Il en va de même de son argumentation purement appellatoire quant à la prétendue intention de l’office AI d’éviter toute instruction sérieuse de son cas. Dans ces circonstances, le refus de l’assurée de se soumettre à une expertise psychiatrique correspond à une violation de son obligation de collaborer au sens de l’article 43 al. 3 LPGA.

 

Consid. 5.2
L’assurée reproche encore aux premiers juges d’avoir violé l’art. 8 al. 2 Cst. et l’art. 59 al. 6 LAI, voire l’art. 70 al. 1 Cst., en ce qu’elle aurait été discriminée dans le cadre de la procédure, motif pris qu’elle n’aurait pas pu s’exprimer dans sa langue maternelle allemande auprès de l’office AI – entraînant des coûts de traduction importants et des incertitudes juridiques – et n’aurait pas pu, sans une aide extérieure, communiquer avec l’expert.

Pour autant que l’assurée ait satisfait à son obligation de motiver de manière circonstanciée la violation des droits constitutionnels précités (sur ce devoir, cf. ATF 134 V 138 consid. 2.1 et les références), son grief est mal fondé. Lorsqu’il a fait droit à la requête de l’assurée de confier l’expertise à un expert de langue maternelle allemande en lui confirmant que l’entretien serait conduit dans cette langue, l’office AI a respecté les principes posés par la jurisprudence en relation avec les violations invoquées. Selon ces principes, sauf exception justifiée pour des raisons objectives, il y a lieu de donner suite à la demande d’un assuré de désigner un centre d’expertise où l’on s’exprime dans l’une des langues officielles de la Confédération qu’il maîtrise. A défaut, l’intéressé a le droit non seulement d’être assisté par un interprète lors des examens médicaux mais encore d’obtenir gratuitement une traduction du rapport d’expertise (ATF 127 V 219 consid. 2b/aa; arrêts 8C_430/2020 du 15 décembre 2020 consid. 2.2; 8C_90/2014 du 19 décembre 2014 consid. 2.1). On ne saurait ainsi déceler dans le cas d’espèce de discrimination du fait notamment de la langue (art. 8 al. 2 Cst.), voire de l’art. 70 al. 1 Cst. En dehors de ce cadre, on rappellera également qu’il n’existe pas pour l’assuré de droit à obtenir la traduction dans sa propre langue des pièces de la correspondance avec l’administration et qu’il lui appartient dès lors de se faire traduire les actes officiels du dossier (ATF 131 V 35 consid. 3.3 et les références). L’assurée ne saurait en outre déduire de droits plus étendus en se fondant de l’art. 59 al. 6 LAI, selon lequel les offices AI tiennent compte, dans le cadre de leurs prestations, des spécificités linguistiques, sociales et culturelles de l’assuré, sans que ce dernier puisse en déduire un droit à une prestation particulière. La lettre de cette disposition (introduite par la modification de la LEtr du 16 décembre 2016 [Intégration]; RO 2017 6521) est en effet univoque (cf., Message du 8 mars 2013 relatif à la modification de la loi sur les étrangers [Intégration], FF 2013 2131 s. ch. 2).

 

Consid. 5.3
Enfin, l’assurée ne saurait être suivie lorsqu’elle invoque un droit à une rente entière dès le 01.02.2019, en se fondant sur les attestations médicales. On rappellera en effet qu’un diagnostic étayé sous l’angle médical constitue le point de départ de l’examen du droit aux prestations selon l’art. 4 al. 1 LAI, ainsi que les art. 6 ss LPGA (ATF 141 V 281 consid. 2.1 et la référence). Or, le médecin traitant de l’assurée a lui-même indiqué que le diagnostic qui pourrait expliquer les accès de tachycardie et autres symptômes n’est pas clair. Quant à l’expertise réalisée par l’assurance perte de gain maladie auprès d’un spécialiste en médecine interne générale, elle n’atteste que d’une incapacité de travail limitée dans le temps, allant jusqu’à six à huit semaines après la date de l’expertise. Dès lors, par ces seules références, l’assurée ne démontre pas que et en quoi la juridiction cantonale aurait constaté de manière arbitraire qu’une incapacité de travail durable de 40% au moins n’avait pas été établie, faute d’explication médicale relative aux symptômes qu’elle présentait et à la gravité de ceux-ci (sur le lien entre les constatations cantonales sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée ainsi que l’exigibilité et le grief de l’arbitraire, cf. arrêt 9C_160/2021 du 23 juin 2021 consid. 3 et les références).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_259/2022 consultable ici

 

9C_232/2022 (f) du 04.10.2022 – Expertise psychiatrique – Théâtralité, amplification des symptômes ou caractère revendicateur constituent des éléments décisifs pour évaluer la pertinence du diagnostic – 44 LPGA / Pas de délai en AI pour chercher un emploi adapté ou pour se réhabituer au travail / 28 LAI – 29 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_232/2022 (f) du 04.10.2022

 

Consultable ici

 

Expertise psychiatrique en assurance-invalidité – Théâtralité, amplification des symptômes ou caractère revendicateur constituent des éléments décisifs pour évaluer la pertinence du diagnostic / 44 LPGA

Evaluation de la capacité de travail sur une période remontant à plusieurs années dans le passé

Langue dans laquelle l’expertise a été conduite – Expertise en allemand pour un assuré francophone et un dossier en français

Valeur probante du rapport d’expertise vs avis du psychiatre traitant

Pas de report du délai d’exigibilité fixé par les experts – Pas de délai en AI pour chercher un emploi adapté ou pour se réhabituer au travail / 28 LAI – 29 LAI

 

1e demande AI déposée en décembre 2012 par l’assuré, né en 1988. Il y indiquait souffrir de lésions nerveuses et vasculaires des tendons de la main droite à la suite d’une chute survenue le 04.11.2011. Par décision du 10.07.2013, l’office AI a nié le droit de l’assuré à une rente et à des mesures professionnelles.

Nouvelle demande AI, déposée en janvier 2015 par l’assuré, désormais père d’un enfant (né en 2014). Expertise rhumatologique et psychiatrique : dans leur appréciation consensuelle, les experts ont conclu que, du point de vue rhumatologique, l’assuré présentait une pleine capacité de travail dans une activité adaptée au plus tard deux ans après l’accident du 04.11.2011 et que du point de vue psychiatrique, une pleine capacité de travail de l’assuré était exigible au moins depuis 2015 (rapport du 16.12.2019). L’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.04.2014 au 31.03.2016, assortie d’une rente pour enfant dès le 01.05.2014.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 152/21 – 109/2022 – consultable ici)

Par jugement du 31.03.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Dans un premier grief, l’assuré invoque plusieurs vices qui entacheraient l’expertise diligentée par l’office AI. Il allègue en particulier que l’expert psychiatre aurait manifesté un parti pris à son encontre, au motif qu’il aurait notamment constaté de manière inexacte sa « théâtralité », son « handicap largement imaginaire […] », ainsi qu’une « motivation […] en termes de reprise d’activité professionnelle […] abolie ». L’assuré soutient également que l’expertise serait « totalement irréaliste » en tant qu’elle se distancierait des « appréciations fouillées » du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et médecin traitant de l’assuré et qu’il serait « hasardeux » qu’un expert examine en 2019 une capacité de travail exigible à compter de fin 2015. L’assuré fait également valoir que dans la mesure où l’expert ne parlait pas français, il aurait rendu une expertise « totalement déconnectée de la réalité » et dépourvue de force probante, puisqu’il se serait notamment fondé sur une documentation médicale rédigée dans une langue qu’il n’était pas en mesure de comprendre.

Consid. 4.1.1
L ‘argumentation de l’assuré sur la prévention de l’expert psychiatre, sur laquelle le Tribunal fédéral peut se prononcer librement (arrêt 9C_410/2019 du 18 mai 2020 consid. 4.2 et les références), ne peut pas être suivie. Il convient en effet de rappeler que des circonstances indiquant une exagération (telles qu’une amplification des symptômes ou un caractère revendicateur), ainsi que l’éventuel manque de motivation de l’assuré constituent des éléments décisifs pour évaluer la pertinence du diagnostic; l’expert était ainsi fondé, sans s’exposer à un reproche de prévention, à examiner les déclarations de l’assuré sur ces aspects, afin d’en tirer des conclusions quant au caractère invalidant du trouble analysé (cf. arrêt 9C_179/2022 du 24 août 2022 consid. 6.2 et la référence; sur le rôle de l’expert psychiatre, ATF 145 V 361 consid. 4.3).

Consid. 4.1.2
L’assuré ne saurait non plus être suivi lorsqu’il soutient que l’expertise psychiatrique serait dépourvue de valeur probante, en se référant à l’opinion de son psychiatre traitant. On rappellera en effet qu’au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d’expertise (ATF 124 I 170 consid. 4), on ne saurait mettre en cause les conclusions d’une expertise médicale du seul fait qu’un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contraire, sauf si ceux-ci font état d’éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l’expertise et qui sont suffisamment pertinents pour mettre en cause les conclusions de l’expertise (arrêt 9C_459/2019 du 5 novembre 2019 consid. 4). Or dans le cas d’espèce, les juges cantonaux ont dûment exposé les raisons pour lesquelles ils ont accordé une pleine force probante aux conclusions de l’expert psychiatre et n’ont pas suivi l’avis du psychiatre traitant, ainsi que celles pour lesquelles ils ont conclu que le second n’apportait aucun élément probant pour remettre en doute l’appréciation étayée et convaincante du premier. En ce qu’il se contente d’indiquer que les appréciations de l’expert psychiatre sont notamment « irréaliste[s] », « surréaliste[s] » ou « contrefactuel[les] », l’assuré ne démontre pas en quoi les constatations de la juridiction cantonale seraient manifestement inexactes, pas plus qu’il ne critique concrètement le raisonnement qu’elle a suivi. Il s’ensuit qu’ il n’y a pas lieu de s’écarter des conclusions de l’expert psychiatre qui, du reste, pouvait évaluer la capacité de travail de l’assuré sur une période remontant à plusieurs années dans le passé, par une appréciation rétrospective de la situation à l’aide des données du dossier et de l’examen de la personne concernée (cf. arrêt 9C_291/2018 du 3 août 2018 consid. 5.1).

Consid. 4.1.3
Enfin, s’agissant du grief relatif à la langue dans laquelle l’expertise a été conduite, il convient de rappeler, comme le souligne du reste l’assuré lui-même, qu’il n’existe pas de droit inconditionnel à la réalisation d’un examen médical dans la langue maternelle de l’assuré (arrêt 9C_262/2015 du 8 janvier 2015 consid. 6 et les références). Ceci dit, l’assuré ne démontre nullement que la compréhension linguistique entre lui-même et l’expert psychiatre n’était pas, en présence d’une interprète, suffisante pour garantir une expertise revêtant un caractère à la fois complet, compréhensible et concluant. De plus, l’expert psychiatre était en mesure de comprendre les différents rapports médicaux de langue française figurant au dossier, puisqu’il les a mentionnés et résumés dans le rapport d’expertise. Il a de plus, à titre d’exemple, écarté par une analyse détaillée le diagnostic d’état de stress post-traumatique posé par le psychiatre traitant de l’assuré, démontrant qu’il maîtrisait la langue dans laquelle son confrère s’était exprimé.

 

Consid. 4.2
En confirmant l’exigibilité de la capacité entière de travail dans une activité adaptée à partir du début de l’année 2016, la juridiction cantonale a tenu compte d’un délai d’accoutumance de trois mois pour permettre un renforcement de l’utilisation de la main droite comme main de secours, tel que préconisé par les experts. En effet, l’expert somaticien avait attesté d’une capacité de travail entière dans une activité adaptée au plus tard deux ans après l’accident du 04.11.2011, sous réserve de périodes d’incapacité de travail de quelques mois liées aux interventions chirurgicales postérieures (en février 2016 et mars 2017). Dès lors que la juridiction cantonale a retenu sans arbitraire qu’une activité adaptée était exigible depuis début 2016, il ne se justifie pas, comme le demande l’assuré, de « reporter le délai d’exigibilité fixé par les experts ». En effet, le droit à une rente de l’assurance-invalidité prend naissance selon les conditions prévues aux art. 28 et 29 LAI, sans que la loi ne consacre un délai pour chercher un emploi adapté (arrêt 8C_39/2020 du 19 juin 2020 consid. 4.3 et les références) ou pour se réhabituer au travail.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_232/2022 consultable ici

 

8C_82/2022 (f) du 24.08.2022 – Droit à l’indemnité chômage – Inaptitude au placement / 8 LACI – 15 LACI / Assuré bloqué en Russie à cause du COVID-19 – Pas de violation du devoir de renseigner de la caisse de chômage

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_82/2022 (f) du 24.08.2022

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Inaptitude au placement / 8 LACI – 15 LACI

Assuré bloqué en Russie à cause du COVID-19

Pas de violation du devoir de renseigner de la caisse de chômage / 27 LPGA

Obligation de renseigner de l’assuré / 28 al. 2 LPGA

 

Assuré, directeur général d’une société active dans la conception, l’achat, l’import et l’export de tout matériel, d’équipements et d’accessoires liés à l’exploitation pétrolière et gazière, a été licencié avec effet au 31.03.2020 en raison de la restructuration économique du groupe. Il s’est inscrit le 18.03.2020 comme demandeur d’emploi à temps complet auprès de l’ORP et a sollicité l’octroi de prestations de l’assurance-chômage dès le 01.04.2020 auprès de la Caisse cantonale de chômage.

Par courriel du 24.04.2020, l’assuré a écrit à la caisse afin de lui transmettre son formulaire « Indications de la personne assurée » (IPA) pour le mois d’avril 2020. Il a mentionné sur ce formulaire qu’il était « bloqué en Russie à cause du COVID-19 » depuis le 22.03.2020. Il était allé en Russie à cette date pour un voyage d’affaires et y était encore, car ce pays avait suspendu les vols internationaux depuis le 27.03.2020. Il a en outre joint à son envoi un communiqué du gouvernement russe du 26.03.2020, qui annonçait cette mesure dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus (SARS-CoV-2, ci-après: COVID-19). Par retour du courriel du 27.04.2020, la caisse de chômage a informé l’assuré que la période durant laquelle il était à l’étranger ne pouvait pas être indemnisée, l’une des conditions pour percevoir l’indemnité étant la présence de l’assuré sur le territoire suisse, malgré les mesures prises par les gouvernements concernant la pandémie.

Par décision du 04.06.2020, confirmée sur opposition, la caisse de chômage a nié le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage dès le 01.04.2020, au motif qu’il était inapte au placement aussi longtemps qu’il ne serait pas de retour en Suisse. Elle relevait qu’il était en Russie depuis le 22.03.2020, alors que le lock-down avait été décrété en Suisse depuis le 17.03.2020 et en Russie depuis le 18.03.2020 et qu’une quarantaine de quatorze jours était imposée à tout ressortissant de Russie entrant dans ce pays en provenance de Suisse; en outre il n’avait pas réservé de billet de retour afin d’être présent en Suisse le 01.04.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 20/21 – 224/2021 – consultable ici)

Par jugement du 17.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’art. 8 al. 1 LACI énumère aux lettres a à g sept conditions du droit à l’indemnité de chômage. Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 218 consid. 2). Le droit à l’indemnité de chômage suppose en particulier que l’assuré soit apte au placement (let. f). Aux termes de l’art. 15 al. 1 LACI, est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire.

Consid. 4.2
L’aptitude au placement comprend ainsi deux éléments: le premier est la capacité de travail, c’est-à-dire la faculté de fournir un travail – plus précisément d’exercer une activité lucrative salariée – sans que l’assuré en soit empêché pour des causes inhérentes à sa personne; le deuxième élément est la disposition à accepter immédiatement un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, laquelle implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 146 V 210 consid. 3.1; 125 V 51 consid. 6a). L’aptitude au placement est évaluée de manière prospective d’après l’état de fait existant au moment où la décision sur opposition a été rendue (ATF 143 V 168 consid. 2 et les arrêts cités) et n’est pas sujette à fractionnement. Soit l’aptitude au placement est donnée (en particulier la disposition d’accepter un travail au taux d’au moins 20 % d’une activité à plein temps; cf. art. 5 OACI), soit elle ne l’est pas (ATF 143 V 168 consid. 2; 136 V 95 consid. 5.1).

Consid. 4.3
Un chômeur qui prend des engagements à partir d’une date déterminée et, de ce fait, n’est disponible sur le marché du travail que pour une courte période n’est en principe pas apte au placement car il n’aura que très peu de chances de conclure un contrat de travail (ATF 146 V 210 consid. 3.1 et les arrêts cités; 126 V 520 consid. 3a). Ce principe s’applique notamment lorsque des chômeurs s’inscrivent peu avant un départ à l’étranger, une formation ou l’école de recrues, ce qui équivaut à un retrait du marché du travail (cf. BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 56 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.4
Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage (sans que les conditions des art. 59 ss LACI soient réalisées), il doit, pour être reconnu apte au placement, clairement être disposé – et être en mesure de le faire – d’y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. Cette question doit être examinée selon des critères objectifs. Une simple allégation ne suffit pas à cet effet (ATF 122 V 265 consid. 4; arrêts 8C_742/2019 du 8 mai 2020 consid. 3.4; 8C_56/2019 du 16 mai 2019 consid. 2.2 publié in SVR 2020 ALV n° 5 p. 15). Il faut que la volonté de l’assuré se traduise par des actes, et ce pendant toute la durée du chômage (BORIS RUBIN, op. cit. n° 19 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.5
L’aptitude au placement doit être admise avec beaucoup de retenue lorsque, en raison de l’existence d’autres obligations ou de circonstances personnelles particulières, un assuré désire seulement exercer une activité lucrative à des heures déterminées de la journée ou de la semaine. Un chômeur doit être en effet considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi. Peu importe à cet égard le motif pour lequel le choix des emplois potentiels est limité (ATF 120 V 385 consid. 3a; arrêt 8C_65/2020 du 24 juin 2020 consid. 5.3; BORIS RUBIN, op. cit., n. 26 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.6
Dans le contexte de la pandémie du COVID-19 et des restrictions ordonnées le 16.03.2020, il n’y a eu aucune dérogation aux art. 8 al. 1 let. f et 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement (voir l’ordonnance du 20 mars 2020 sur les mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le COVID-19 [Ordonnance COVID-19 assurance-chômage; RS 837.033]).

Consid. 4.7
L’art. 27 al. 2 LPGA, qui s’applique à l’assurance-chômage obligatoire par renvoi de l’art. 1 al. 1 LACI, prévoit que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations; sont compétents pour cela les assureurs à l’égard desquels les intéressés doivent faire valoir leurs droits ou remplir leurs obligations. D’autre part, l’art. 28 al. 2 LPGA dispose que quiconque fait valoir son droit à des prestations doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir ce droit, fixer les prestations dues et faire valoir les prétentions récursoires.

 

Consid. 5.1.1
La cour cantonale a retenu, en ce qui concerne les motifs du voyage en Russie, que l’assuré n’avait produit aucune preuve matérielle qui étayait ses déclarations s’agissant d’un voyage professionnel, comme par exemple une instruction claire de son employeur. Par ailleurs, c’est aussi sans arbitraire que la cour cantonale a constaté que le contrat de travail de l’assuré se terminait quelques jours après son départ en Russie (31.03.2020), que le voyage ne semblait pas avoir été payé par l’employeur (puisque l’assuré avait déclaré que le trajet de retour était à ses frais), que l’assuré n’avait pas reçu de salaire pour les mois de janvier, février et mars 2020 et qu’il était en plus le dernier employé de l’entreprise. Au vu de tous ces éléments, force est de constater que la cour cantonale n’a pas apprécié les preuves de manière arbitraire en concluant qu’il ne s’agissait pas d’un voyage professionnel.

Consid. 5.1.2
La juridiction cantonale n’est en effet pas tombée dans l’arbitraire en considérant que l’assuré aurait pu et dû renoncer à entreprendre ce voyage en Russie ou du moins réserver un billet de retour pour préserver son aptitude au placement. En effet, il sied de rappeler que le 22.03.2020, lorsque l’assuré s’est rendu en Russie, les déplacements internationaux étaient déjà fortement impactés par la crise sanitaire; la Russie avait déjà limité ses vols en provenance et à destination de l’Europe et avait imposé une quarantaine de quatorze jours, ce qui compliquait notablement son séjour et risquait clairement de le retarder, rendant son retour en Suisse pour le 01.04.2020 encore plus aléatoire. Partant, c’est à bon droit que la cour cantonale a considéré que l’assuré devait connaître les risques qu’il prenait en partant en Russie le 22.03.2020, en particulier celui de ne pas être de retour et apte au placement le 01.04.2020.

 

Consid. 5.1.4
Par une argumentation subsidiaire, la cour cantonale a retenu que, même à supposer que l’assuré ait cherché uniquement des emplois pour lesquels des moyens numériques étaient utilisés pour le recrutement et pour l’entrée en service, que de tels emplois aient existé et été disponibles sur le marché durant la période concernée, une telle restriction dans le choix des postes de travail aurait rendu très incertaine sa possibilité de retrouver un emploi, situation qui était également sanctionnée d’inaptitude.

Cette appréciation est conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle un chômeur doit être considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi (cf. consid. 4.5 supra), ce qui est manifestement le cas lorsqu’un chômeur adresse sa candidature uniquement pour des postes d’emploi pour lesquels non seulement le recrutement, mais aussi l’activité en soi s’effectuent exclusivement par voie numérique.

 

Consid. 5.2.1
L’assuré invoque une violation des art. 8 et 15 LACI en tant que son aptitude au placement a été niée du 01.04.2020 au 15.06.2020. En se référant à la jurisprudence, il fait valoir que l’éloignement ne serait plus un obstacle en raison des moyens techniques actuels et sachant qu’un entretien d’embauche n’aurait pas lieu en principe dans un délai de quelques heures. S’agissant de la prise d’une activité salariée, elle commencerait au plus tôt le premier jour du mois suivant l’entretien d’embauche. Par ailleurs, il faudrait tenir compte de la pandémie sévissant depuis le début de l’année 2020 en Europe. Aussi, le télétravail aurait été exigé d’emblée pour les personnes vulnérables.

Consid. 5.2.2
A l’instar de la cour cantonale, force est de constater que la jurisprudence invoquée par l’assuré sur le critère de la disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels ne lui est d’aucun secours. En effet, dans l’arrêt en question (arrêt 8C_922/2014 du 20 mai 2015 consid. 4.2), le Tribunal fédéral a jugé que l’éloignement temporaire d’un assuré n’était pas un obstacle important à son aptitude au placement, compte tenu des moyens techniques actuels et pour autant que ce dernier soit en mesure d’être présent en Suisse dans un délai très court. Dans l’état de fait ayant donné lieu à cet arrêt, l’assuré était parti à Paris (France) pour des raisons de formation, pouvait interrompre ses cours et disposait de moyens de transport pour revenir en Suisse d’un jour à l’autre. La cour cantonale a relevé que le séjour de cet assuré s’étalait sur quelques jours disparates, si bien que son éloignement temporaire n’avait pas d’effet sur sa disponibilité (objective) suffisante, ce qui n’était pas le cas pour l’assuré.

Consid. 5.2.3
Cette appréciation doit aussi être confirmée pour d’autres motifs. En effet, comme on l’a vu, la cour cantonale a constaté sans arbitraire que l’assuré s’était inscrit au chômage quelques jours avant son départ en Russie, sans prouver la nécessité et le caractère professionnel de son voyage, sans avoir au préalable réservé un billet de retour et en connaissance des risques qu’il prenait en partant en Russie le 22.03.2020, en particulier celui de ne pas être de retour et apte au placement le 01.04.2020. En vertu des principes jurisprudentiels énoncés plus haut (cf. consid. 4.3 supra), ces éléments suffisent à retenir que l’assuré s’est retiré du marché de travail suisse peu après son inscription au chômage, ce qui entraîne son inaptitude au placement.

Consid. 5.2.4
Par ailleurs, même si on appliquait par analogie la jurisprudence pour les chômeurs qui participent à un cours de formation (cf. consid. 4.4 supra), l’aptitude au placement devrait néanmoins être niée. En effet, on ne saurait suivre la thèse de l’assuré selon laquelle il suffirait, pour être considéré apte au placement, d’être prêt à commencer une nouvelle activité au plus tôt le premier jour du mois suivant l’entretien d’embauche, surtout en période de pandémie. On rappellera à cet égard que dans le contexte de la pandémie du COVID-19 et des restrictions ordonnées le 16.03.2020, il n’y a eu aucune dérogation aux art. 8 al. 1 let. f et 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement (cf. consid. 4.6 supra). Autrement dit, il ne justifie pas de déroger au principe de la disponibilité suffisante dans le sens de la disposition et de la capacité à commencer une activité professionnelle du jour au lendemain si elle se présente. Dans la mesure où, de manière non contestée, l’assuré n’était objectivement pas en mesure de remplir cette exigence pendant la période concernée, c’est à bon droit qu’il a été considéré comme inapte au placement.

Consid. 5.2.5
Compte tenu de son manque de capacité à accepter un travail convenable, l’assuré ne saurait en outre tirer un avantage du fait qu’il remplit une autre condition du droit à l’indemnité au chômage, notamment son obligation de satisfaire aux exigences de contrôle en effectuant suffisamment des recherches d’emploi (art. 8 al. 1 let. g et art. 17 LACI), les conditions du droit à l’indemnité devant être remplies cumulativement (cf. consid. 4.1 supra).

 

Consid. 5.3.1
L’assuré invoque une violation de l’art. 27 al. 2 LPGA, en soutenant que la caisse de chômage aurait manqué à son devoir de renseigner. Il fait valoir qu’avant son départ en Russie, il n’aurait reçu aucune information préalable selon laquelle il devait être présent sur le territoire suisse, comme indiqué par la caisse de chômage dans son courriel du 27.04.2020. En outre, il ne pouvait pas se douter que son voyage en Russie durerait si longtemps et que cela pourrait mettre en danger, par la suite, son droit aux indemnités de chômage.

Consid. 5.3.2
Contrairement à ce que semble supposer l’assuré, le devoir de conseil de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA n’implique pas que celui-ci donne à titre préventif des informations dont on peut admettre qu’elles sont connues de manière générale (arrêt 8C_433/2014 du 16 juillet 2015 consid. 5.3 et l’arrêt cité). En ce qui concerne l’obligation de la caisse de chômage de donner des renseignements spécifiques, l’étendue de celle-ci dépend de la situation individuelle dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (arrêt 8C_1041/2008 du 12 novembre 2009 consid. 6.2 et les références, RUBIN, op.cit. n° 59 ad art. 17 LACI). En l’occurrence, le conseiller de l’ORP n’avait aucune raison apparente d’interpeller spontanément l’assuré, qui quelques jours auparavant venait de s’inscrire au chômage, au sujet d’un potentiel voyage en Russie et des conséquences que cela aurait sur son droit aux indemnités. Il incombait bien plutôt à l’assuré, en vertu de son obligation de renseigner (art. 28 al. 2 LPGA; cf. consid. 4.7 supra), d’informer la caisse de chômage et de s’enquérir, avant son départ en Russie, des répercussions éventuelles que son voyage aurait sur son droit aux indemnités, étant rappelé qu’entre le moment de son inscription à l’assurance-chômage et son départ en Russie, il avait suffisamment de temps pour le faire.

 

Consid. 6
Au vu de ce qui précède, c’est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale a confirmé le refus de la caisse de chômage d’allouer des indemnités de chômage du 01.04.2020 au 15.06.2020. Le recours se révèle mal fondé en tous points et doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_82/2022 consultable ici

 

8C_211/2022 (f) du 07.09.2022 – Suspension du droit à l’indemnité de chômage – Recherches d’emploi insuffisantes au cours de deux périodes de contrôle successives – 30 LACI – 45 al. 5 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_211/2022 (f) du 07.09.2022

 

Consultable ici

 

Suspension du droit à l’indemnité de chômage – Recherches d’emploi insuffisantes au cours de deux périodes de contrôle successives / 30 LACI – 45 al. 5 OACI

Aggravation d’une sanction d’une assurée qui n’a pas été mis en situation de modifier son comportement après avoir pris connaissance d’une première suspension

 

Assurée, née en 1958, inscrite le 22.10.2019 comme demandeuse d’emploi au taux de 60% auprès de l’Office régional de placement (ORP). Par décisions du 03.02.2021, l’ORP l’a suspendue dans son droit à l’indemnité de chômage pour une durée de trois jours dès le 01.12.2020 (décision n° xxx) et pour une durée de cinq jours dès le 01.01.2021 (décision n° yyy), au motif qu’elle n’avait pas respecté l’objectif de recherches d’emploi fixé par son conseiller durant les mois de novembre et décembre 2020. Les décisions ont été confirmées sur opposition, le 18.06.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 229/21 – 40/2022 – consultable ici)

Partant d’une faute légère de l’assurée, la cour cantonale a, par jugement du 28.02.20022, considéré qu’au vu de la continuité des périodes examinées, de l’absence d’entretien au mois de décembre 2020 et du fait que les décisions litigieuses avaient été rendues simultanément, la présente situation relevait d’une unité d’action justifiant de ne prononcer qu’une seule sanction à l’encontre de l’assurée. Ainsi, son droit à l’indemnité de chômage ne devait être suspendu que durant cinq jours à compter du 01.01.2021 et la décision sur opposition du 18.06.2021 relative aux recherches d’emploi du mois de novembre 2020 (décision n° xxx) devait être annulée.

 

TF

Consid. 4.2
La durée de la suspension du droit à l’indemnité de chômage doit être proportionnelle à la gravité de la faute (art. 30 al. 3 LACI). Aux termes de l’art. 45 al. 3 OACI, la durée de la suspension dans l’exercice du droit à l’indemnité est de 1 à 15 jours en cas de faute légère (let. a), de 16 à 30 jours en cas de faute de gravité moyenne (let. b) et de 31 à 60 jours en cas de faute grave (let. c). Si l’assuré est suspendu de façon répétée dans son droit à l’indemnité pendant le délai-cadre d’indemnisation, la durée de suspension est prolongée en conséquence (art. 45 al. 5 OACI).

 

Consid. 4.3.1
Selon la jurisprudence constante, une suspension du droit à l’indemnité de chômage prévue à l’art. 30 LACI n’a pas un caractère pénal. Elle constitue une sanction de droit administratif destinée à combattre les abus en matière d’assurance-chômage. Comme telle, cette mesure peut être prononcée de manière répétée, sans que soit applicable l’art. 49 CP (ATF 123 V 150 consid. 1c par rapport à l’ancien art. 68 CP). Plusieurs mesures de suspension distinctes peuvent ainsi être prononcées, sauf – et exceptionnellement – en présence de manquements qui procèdent d’une volonté unique et qui, se trouvant dans un rapport étroit de connexité matérielle et temporelle, apparaissent comme l’expression d’un seul et même comportement (arrêts 8C_306/2008 du 26 septembre 2008 consid. 3.2, in: DTA 2009 268; C 305/01 du 22 octobre 2002 consid. 3.1, in: DTA 2003 118; BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 20 ad art. 30 LACI). Une telle situation exceptionnelle peut se produire lorsqu’un assuré refuse plusieurs emplois convenables le même jour, pour le même motif et sur la base d’une volonté unique (arrêt C 171/89 du 15 septembre 1987 consid. 3a, in: DTA 1988 26; THOMAS NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in: Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 2e éd. 2016, n° 860, p. 2523).

Consid. 4.3.2
On précisera que la jurisprudence admet que, lorsqu’il y a concours de plusieurs motifs de suspension de nature différente ou de même nature, une suspension du droit à l’indemnité peut être prononcée séparément pour chacun des états de fait (arrêts C 90/06 du 7 août 2006 consid. 3.1; C 305/01 du 22 octobre 2002, in: DTA 2003 p. 119 et les références). Il peut en outre se justifier de prononcer le même jour plusieurs décisions de suspension du droit à l’indemnité en cas de fautes successives (arrêt C 33/97 du 19 octobre 1998 consid. 3b, in: DTA 1999 p. 193; BORIS RUBIN, Assurance-chômage, Droit fédéral, Survol des mesures cantonales, Procédure, 2e éd. 2006, p. 457). En particulier, l’insuffisance de recherches d’emploi d’un assuré pendant plusieurs périodes de contrôle peut faire l’objet, même rétroactivement, de plusieurs mesures de suspension distinctes dans l’exercice du droit à l’indemnité de chômage (arrêts 8C_306/2008 du 26 septembre 2008 consid. 3.2, in: DTA 2009 268; C 305/01 du 22 octobre 2002, in: DTA 2003 119).

Consid. 4.3.3
Quant à la question de savoir si une sanction peut être aggravée quand bien même l’assuré n’a pas été mis en situation de modifier son comportement après avoir pris connaissance d’une première suspension, la jurisprudence a retenu que la sanction a certes un but dissuasif et éducatif. Les obligations du chômeur découlent cependant de la loi. Elles n’impliquent ni une information préalable (par exemple sur les recherches d’emploi pendant le délai de congé; cf. ATF 124 V 225 consid. 5b; arrêts 8C_518/2009 du 4 mai 2010 consid. 6; C 208/03 du 26 mars 2004 consid. 3.1, in: DTA 2005 56), ni un avertissement préalable. Il ne se justifie pas de traiter différemment l’assuré qui fait l’objet de sanctions échelonnées dans le temps (et aggravées) de celui qui se voit infliger plusieurs sanctions rétroactives pour les mêmes comportements. Objectivement et subjectivement, les comportements fautifs sont les mêmes. Enfin, dans bien des cas, un cumul de sanctions intervient sans que l’assuré soit mis en situation de modifier son comportement, notamment en cas de chômage fautif et de recherches insuffisantes pendant le délai de congé ou encore – comme en l’espèce – en cas de recherches d’emploi insuffisantes au cours de deux périodes de contrôle successives. L’art. 45 al. 5 OACI doit par conséquent également trouver application dans ce type de situation (arrêt 8C_518/2009 du 4 mai 2010 consid. 5).

 

Consid. 4.4
Au vu ce qui précède, le raisonnement de la cour cantonale ne peut pas être suivi. La continuité des périodes considérées ne suffit pas pour renoncer à prononcer une suspension séparément pour chaque manquement, car, selon la jurisprudence exposée ci-dessus, en cas de recherches d’emploi insuffisantes, des décisions de suspension distinctes peuvent être prises, même rétroactivement, pour chaque mois pendant lequel l’assurée a contrevenu à ses obligations. Ne constituent pas non plus des circonstances déterminantes en l’espèce le fait qu’aucun entretien n’a eu lieu en décembre 2020, ni le fait que les deux décisions de sanction ont été rendues le même jour par l’ORP. En effet, comme on vient de l’exposer, les obligations du chômeur n’impliquent ni une information préalable, ni un avertissement préalable et il ne se justifie pas de traiter différemment l’assuré qui fait l’objet de sanctions échelonnées dans le temps de celui qui se voit infliger plusieurs sanctions rétroactives le même jour pour les mêmes comportements, ce principe concernant également les recherches d’emploi insuffisantes au cours de deux périodes de contrôle successives.

Consid. 4.5
C’est ainsi en violation du droit fédéral que les juges cantonaux ont annulé la décision sur opposition concernant la suspension de trois jours à partir du 01.12.2020 (prononcée par décision n° xxx de l’ORP).

 

Le TF admet le recours de l’ORP, réformant le jugement cantonal en ce sens que la décision sur opposition du 18.06.2021 relative à la décision n° xxx de l’ORP est confirmée.

 

Arrêt 8C_211/2022 consultable ici