Archives par mot-clé : Expertise médicale

9C_553/2023 (f) du 14.11.2024 – Valeur probante d’un rapport d’examen SMR / Expertises médicales privées – Divergences médicales – Mise en œuvre d’une nouvelle expertise / Frais d’expertises privées à la charge de l’office AI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_553/2023 (f) du 14.11.2024

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’un rapport d’examen SMR / 43 LPGA

Expertises médicales privées – Divergences médicales – Mise en œuvre d’une nouvelle expertise

Frais d’expertises privées à la charge de l’office AI / 45 LPGA

 

Assuré, né en 1969, a travaillé en qualité de magasinier à partir de l’année 1996, puis de cuisinier dès 2003.

Le 18.03.2019, il a déposé une demande AI, en raison de lombalgies sur troubles dégénératifs et d’une dépression réactionnelle. L’office AI a recueilli plusieurs avis médicaux. L’office AI a soumis l’assuré à un examen auprès du Service médical régional de l’assurance-invalidité, Suisse romande (SMR), dont les docteurs G.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation, et H.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ont rendu leur rapport le 22 février 2021. Se fondant sur les conclusions des médecins du SMR, l’office AI a rejeté la demande, par décision du 12.07.2021, au motif que le taux d’invalidité (de 2%) était insuffisant pour ouvrir le droit à des prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 321/21 – 196/2023 – consultable ici)

L’assuré a déféré cette décision au tribunal cantonal. En cours de procédure, il a produit deux expertises, l’une rhumatologique établie par le docteur I.__, spécialiste en rhumatologie, l’autre psychiatrique réalisée par le docteur J.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ainsi qu’un consilium signé par les médecins prénommés. Le docteur K.__, médecin au SMR, s’est exprimé sur les rapports de ses deux confrères ; ceux-ci se sont à leur tour déterminés sur la prise de position du médecin du SMR.

Par arrêt du 20.07.2023, la juridiction cantonale a admis le recours; elle a réformé la décision de l’office AI en ce sens qu’elle a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité pour la période du 01.09.2019 au 31.05.2021. Pour le surplus, elle a renvoyé la cause à l’office AI afin qu’il procède conformément aux considérants de l’arrêt pour la période courant dès le mois de juin 2021. Elle a par ailleurs mis les frais des expertises des docteurs I.__ et J.__ à la charge de l’office AI à hauteur de 10’320 fr., en plus des frais et dépens de la cause.

 

TF

Consid. 5.1
Compte tenu des différences dans les diagnostics et l’appréciation de la capacité de travail de l’assuré, ainsi que de la présence possible d’éléments psychiatriques en l’absence de suivi, le médecin au SMR a demandé la réalisation d’un « examen/expertise » bidisciplinaire rhumatologique et psychiatrique avec conclusions consensuelles. Cette mesure d’instruction a été mise en œuvre auprès du SMR par les docteurs G.__ et H.__. Dans leur rapport du 22 février 2021, ces médecins ont posé le diagnostic incapacitant de « lombalgies chroniques non déficitaires dans le cadre de discopathies et d’arthrose des articulations postérieures, prédominant de L3 à S1 »; ils ont en revanche écarté le diagnostic de dépression réactionnelle évoqué par les médecins traitants (la première fois en 2018), retenant que l’assuré n’avait jamais présenté d’incapacité de travail sur le plan psychiatrique. Pour les médecins du SMR, si la capacité de travail était nulle dans l’activité de cuisinier, elle était en revanche totale dans une activité adaptée depuis le 8 juillet 2019.

Contrairement à ce qu’ont retenu à tort les juges cantonaux, on ne saurait admettre que l’office recourant a violé son obligation d’instruire d’office la demande (cf. art. 43 LPGA) en se fondant sur l’avis des médecins du SMR, sans avoir préalablement mis en œuvre une expertise médicale conformément à la procédure prévue à l’art. 44 LPGA. En effet, il ressort du rapport du SMR que ses auteurs se sont exprimés sur les avis des médecins traitants et qu’ils ont clairement justifié les diagnostics ainsi que leur évaluation de la capacité de travail. Plus particulièrement, en ce qui concerne le diagnostic de dépression réactionnelle évoqué par les médecins traitants, les docteurs G.__ et H.__ ont indiqué les motifs qui les ont conduits à nier la présence d’une quelconque pathologie psychiatrique caractérisée. De plus, ils n’ont laissé indécise aucune question pertinente d’ordre médical. À cet égard, la juridiction cantonale s’est limitée à indiquer que les constatations du médecin traitant faisaient apparaître des doutes suffisants quant au bien-fondé des conclusions du SMR, sans toutefois mentionner en quoi consisteraient ces doutes, ni pour quelle raison l’appréciation des docteurs G.__ et H.__ ne suffisait pas pour évaluer la situation de l’assuré.

Consid. 5.2
Cela étant, les conclusions des experts privés mandatés par l’assuré en procédure cantonale ne concordent pas avec celles des médecins du SMR. Les docteurs I.__ et J.__ ont diagnostiqué un trouble dépressif (épisode actuel moyen), une gonarthrose fémoro-patellaire, un lombodiscarthrose et une arthrose du tarse au pied droit; ces atteintes entraînaient une incapacité de travail totale dans la profession de cuisinier depuis octobre 2018 et dans une activité adaptée du 25.10.2018 au 15.02.2021; à partir du 16.02.2021, l’assuré présentait une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles somatiques et psychiques (cf. consilium). Quoi qu’en dise l’office AI recourant, qui soutient que ces conclusions seraient insoutenables en se référant aux avis médicaux du SMR, les expertises privées mettent en doute l’évaluation du SMR du 22 février 2021 sous plusieurs points: ainsi, le docteur I.__ nie que la situation était stabilisée sur le plan rhumatologique avant l’examen auprès du SMR en raison d’une évolution « en dents de scie » jusque-là, tandis que le docteur J.__ fait remonter les effets incapacitants de l’atteinte psychiatrique diagnostiquée à novembre 2018 (cf. consilium du 3 février 2022; rapport du 31 janvier 2022.

Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral, comme déjà la juridiction cantonale qui a écarté le rapport du SMR de manière insoutenable (consid. 5.1 supra), est confrontée à des divergences médicales qui ne peuvent être départagées sans la mise en oeuvre d’une nouvelle expertise bi-disciplinaire (en rhumatologie et psychiatrie) confiée à des médecins indépendants. En particulier, si la juridiction cantonale a constaté que l’examen effectué par le docteur J.__ avait mis en évidence des symptômes dépressifs « actuels » de manière convaincante, elle semble admettre qu’une telle atteinte existait déjà antérieurement au motif que l’expert psychiatre privé estimait qu’un diagnostic ne pouvait être écarté « uniquement sur la base du constat ponctuel d’un manque de symptôme au moment de l’examen » comme l’aurait fait le docteur H.__. Or un tel motif apparaît arbitraire, dès lors que le psychiatre du SMR a nié un trouble psychiatrique non seulement sur la base de son examen de l’assuré mais également sur d’autres éléments au dossier (dont la mention d’une « dépression réactionnelle » qui n’a guère été objectivée par les médecins traitants). À défaut de motif convaincant pour départager les avis des experts privés de celui du SMR, les juges cantonaux étaient tenus d’ordonner une expertise judiciaire. La conclusion subsidiaire du recours est dès lors bien fondée et il convient de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour qu’il complète l’instruction, puis rende une nouvelle décision.

 

Consid. 6.2
Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures. À défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure. Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c; arrêts 9C_519/2020 du 6 mai 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités; 8C_971/2012 du 11 juin 2013 consid. 4.2; I 1008/06 du 24 avril 2007 consid. 3).

Consid. 6.3
En l’occurrence, devant la juridiction cantonale, l’assuré est parvenu à susciter un doute sur les conclusions du SMR par le dépôt des expertises privées, de sorte que les juges précédents devront compléter l’instruction de la cause. À cet égard, l’admissibilité de l’imputation des frais d’un rapport médical à l’administration ne suppose pas nécessairement qu’il serve de base à une décision définitive. Il peut suffire qu’il donne lieu à des investigations supplémentaires qui n’auraient pas été ordonnées en son absence (cf. arrêt 9C_395/2023 du 11 décembre 2023 consid. 6.3 et les arrêts cités), ce qui est le cas ici. Par conséquent, les frais relatifs aux rapports des docteurs I.__ et J.__ doivent être imputés à l’office recourant. Sur ce point, l’arrêt attaqué doit être confirmé par substitution de motifs.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_553/2023 consultable ici

 

Amélioration de la procédure de conciliation encadrant les expertises médicales monodisciplinaires dans l’AI : ouverture de la procédure de consultation

Amélioration de la procédure de conciliation encadrant les expertises médicales monodisciplinaires dans l’AI : ouverture de la procédure de consultation

 

Communiqué de presse du Parlement du 30.01.2025 consultable ici

 

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) entend pleinement mettre en œuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al. Pour ce faire, elle propose d’optimiser la procédure de conciliation encadrant les expertises monodisciplinaires. Elle ouvre une procédure de consultation sur son avant-projet.

En réponse à l’initiative parlementaire Roduit «Mettre en œuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al» (21.498), la CSSS-N a adopté le 17 janvier 2025 un avant-projet de modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI).

La CSSS-N considère qu’il est nécessaire de mettre en œuvre l’ensemble des recommandations formulées dans le rapport d’évaluation des expertises médicales dans l’assurance-invalidité réalisé en août 2020 sur mandat du Département fédéral de l’intérieur (DFI). Les mesures proposées dans ce cadre visent à renforcer la confiance à l’égard du processus, améliorer l’acceptation des résultats des expertises mono-disciplinaires et ainsi réduire la probabilité de longues procédures judiciaires. Or, selon la commission, la 5e recommandation portant sur l’optimisation de la procédure de consultation pour les expertises mono-/bidisciplinaires n’a jusqu’à présent pas été suffisamment prise en compte.

L’avant-projet a pour but d’impliquer l’assuré dès le début dans la désignation de l’expert chargé d’effectuer une expertise médicale monodisciplinaire de l’AI. Il vise également à mettre en œuvre une véritable procédure de recherche de consensus, sur la base d’une pratique déjà appliquée par certains offices AI. L’avant-projet prévoit en outre que les parties (c.-à-d. l’assuré d’une part et l’office AI d’autre part) peuvent chacune désigner un expert pour une expertise commune, dans la mesure où aucune solution consensuelle concernant le choix de l’expert n’a été trouvée auparavant dans le cadre de la tentative de conciliation. Après avoir examiné l’assuré, les experts doivent rédiger un rapport d’expertise qui détaille le résultat de leur évaluation consensuelle. Dans les cas où les deux experts arrivent à des résultats différents ou lorsque les opinions des experts divergent, l’avant-projet prévoit que ceux-ci exposent leurs positions respectives de manière transparente. Il incombera ensuite au service médical régional de prendre position sur les questions qui ne font pas l’unanimité et de rendre ses conclusions sur l’évaluation médicale.

Par 18 voix contre 7, la commission a approuvé l’avant-projet, qu’elle met en consultation accompagné d’un rapport explicatif, jusqu’au 8 mai 2025.

 

Commentaire

L’initiative de la CSSS-N visant à optimiser la procédure de conciliation pour les expertises médicales monodisciplinaires dans l’AI représente indéniablement une avancée positive. Cette approche, qui cherche à impliquer davantage l’assuré dans le processus de désignation de l’expert et à instaurer une véritable recherche de consensus, est louable et pourrait effectivement renforcer la confiance dans le système d’expertise médicale.

L’introduction d’un modèle d’expertise commune en cas d’échec de la conciliation est particulièrement intéressante. Cette méthode, inspirée du modèle français, pourrait potentiellement accélérer les procédures et réduire le nombre de longues batailles juridiques, ce qui serait bénéfique tant pour les assurés que pour l’administration.

Cependant, il est regrettable que cette réforme se limite uniquement au domaine de l’assurance-invalidité. Une telle approche aurait pu être étendue à l’ensemble des assurances sociales régies par la LPGA. Cette limitation soulève des questions quant à l’uniformité des procédures dans le système suisse des assurances sociales.

Bien que la commission ait brièvement envisagé une réglementation au niveau de la LPGA, elle a finalement opté pour une modification uniquement de la LAI. Cette décision, bien que fondée sur le fait que le rapport d’évaluation ne concernait que l’AI, manque peut-être d’ambition et de vision à long terme.

Il est légitime de se demander pourquoi les autres branches des assurances sociales ne pourraient pas bénéficier de ces améliorations procédurales. Les problématiques liées aux expertises médicales ne sont certainement pas l’apanage de l’AI et pourraient concerner d’autres domaines comme l’assurance-accidents ou l’assurance-maladie (perte de gain maladie soumise LAMal ou AOS).

Si cette réforme constitue un pas dans la bonne direction pour l’AI, elle met en lumière un manque de cohérence dans l’approche globale des assurances sociales. Une réflexion plus large sur l’harmonisation des procédures d’expertise médicale dans l’ensemble du système des assurances sociales aurait été souhaitable, afin de garantir une égalité de traitement pour tous les assurés, quel que soit le type d’assurance concerné. Cela pourrait mener à une fragmentation du système, où chaque branche d’assurance sociale développerait ses propres procédures d’expertise, en contradiction avec l’esprit d’uniformisation visé par la LPGA.

Une telle situation non seulement compliquerait la tâche des praticiens et des médecins-experts, qui devraient jongler entre différentes procédures selon l’assurance concernée, mais pourrait aussi créer une confusion chez les assurés. De plus, cela pourrait potentiellement conduire à des résultats différents pour des situations médicales similaires, selon l’assurance impliquée, ce qui serait contraire au principe d’égalité de traitement.

Enfin, il est important d’éviter une situation similaire à celle observée dans l’évaluation de l’invalidité, où la LAI et la LAA appliquent des règles distinctes, les modifications législatives du DCAI étant inscrites dans le RAI. Cette divergence entre les deux lois crée une complexité inutile et potentiellement des inégalités de traitement entre les assurés.

En conclusion, il serait judicieux que le législateur envisage une approche plus globale et cohérente, non seulement pour les procédures d’expertise médicale, mais aussi pour l’évaluation du taux d’invalidité dans l’ensemble du système des assurances sociales suisse. Une telle harmonisation permettrait de réduire les disparités entre les différentes branches d’assurance, comme l’AI et la LAA, et d’assurer une plus grande équité dans le traitement des assurés. Cette approche globale serait plus en accord avec l’esprit de la LPGA et éviterait la création de règles spécifiques à chaque branche d’assurance, contribuant ainsi à un système plus transparent et équitable.

 

Communiqué de presse du Parlement du 30.01.2025 consultable ici

Projet de modification de l’art. 57 al. 4 et 5 LAI consultable ici

Rapport explicatif de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 17.01.2025 disponible ici

 

Ottimizzazione della procedura di conciliazione per le perizie mediche monodisciplinari nell’AI: apertura della procedura di consultazione, comunicato stampa del Parlamento del 30.01.2025 disponibile qui

Verbesserung des Einigungsverfahrens bei den monodisziplinären medizinischen IV-Gutachten: Eröffnung des Vernehmlassungsverfahrens, Medienmitteilung des Parlaments vom 30.01.2025 hier abrufbar

 

Expertises AI : permettre le réexamen des dossiers en cas de graves insuffisances

Expertises AI : permettre le réexamen des dossiers en cas de graves insuffisances

 

Communiqué de presse du Parlement du 17.01.2025 consultable ici

 

Les décisions concernant l’octroi de prestations AI doivent se baser sur des expertises médicales de qualité irréprochable. Il en va de la confiance dans l’assurance-invalidité. La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) a analysé les récentes révélations au sujet des expertises douteuses réalisées par PMEDA SA. Elle exhorte les acteurs concernés à redoubler d’efforts pour garantir que de telles situations ne se reproduisent plus et a déposé une motion visant à permettre le réexamen des dossiers reposant sur des expertises dont la qualité aurait été remise en question par la COQEM.

En présence de représentants de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), de la Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM), ainsi que du Professeur Thomas Gächter de l’Université de Zurich, la commission s’est penchée sur la question des graves insuffisances décelées dans les expertises médicales effectuées pour déterminer le droit à des prestations de l’AI.

La commission estime que les mesures introduites dans le cadre de la révision «Développement continu de l’AI» permettent actuellement de garantir la qualité des expertises et des diagnostics. Des lacunes et des problèmes subsistent cependant encore en ce qui concerne les expertises réalisées avant l’entrée en vigueur de cette révision. Cette situation a été récemment mise en lumière de manière flagrante par les révélations liées aux expertises douteuses réalisées par l’entreprise PMEDA SA. La commission estime que ces révélations sont choquantes. La décision d’octroi ou non d’une prestation AI a en effet de grandes répercussions sur la vie des personnes concernées.

Par 14 voix contre 7 et 4 abstentions, la commission a déposé une motion (25.3006) visant à adapter les bases juridiques pour permettre aux personnes assurées de déposer une demande de révision lorsque leur dossier a été jugé sur la base d’une expertise médicale réalisée par un centre d’expertises ou des médecins avec lesquels la collaboration a été suspendue à la suite d’une recommandation de la COQEM. En cas de réexamen, les offices AI devraient contrôler la capacité de travail, déterminer le début d’une éventuelle incapacité de travail, accorder des mesures d’ordre professionnel et octroyer avec effet rétroactif une éventuelle rente.

 

 

Commentaire personnel

La motion déposée par la commission constitue un pas dans la bonne direction, mais elle pourrait être améliorée pour garantir une justice plus équitable et transparente dans le domaine des assurances sociales ; les parlementaires auraient pu faire preuve d’une ambition plus marquée.

Il serait judicieux d’étendre la portée de cette motion au-delà des offices AI pour englober tous les assureurs sociaux. Les problématiques liées aux expertises médicales ne se limitent pas à l’AI et une approche uniforme pour tous les assureurs sociaux renforcerait la cohérence et l’équité du système.

Par ailleurs, il serait pertinent de confier la responsabilité d’initier la révision à l’assureur social ayant mandaté un centre d’expertise ou un médecin dont la collaboration a été suspendue à la suite d’une recommandation de la COQEM. Cette approche pourrait être un prolongement du principe d’instruction d’office prévu à l’art. 43 LPGA, en imposant aux assureurs une obligation proactive de réexamen, et renforcerait la protection des droits des assurés, qui sont souvent la partie vulnérable dans ces procédures. En effet, les assurés ne sont pas toujours informés des décisions de la COQEM et peuvent se trouver démunis face à la complexité des démarches administratives nécessaires pour faire valoir leurs droits.

Cette proposition vise à établir un équilibre plus juste entre les responsabilités des assureurs sociaux et les droits des assurés, tout en garantissant une révision systématique et équitable des dossiers potentiellement problématiques. Elle permettrait également de restaurer la confiance dans le système des assurances sociales, élément central pour son bon fonctionnement et son acceptation par la société.

Cette motion constitue donc moins un aboutissement qu’une étape importante, invitant à poursuivre avec détermination le travail de modernisation et d’humanisation de notre système de sécurité sociale. Il est essentiel de maintenir cet élan réformateur pour assurer une protection sociale à la hauteur des défis contemporains.

 

Communiqué de presse du Parlement du 17.01.2025 consultable ici

 

Perizie AI : consentire il riesame dei dossier in caso di gravi lacune, comunicato stampa del Parlamento del 17.01.2025 disponibile qui

IV-Gutachten: Bei gravierenden Mängeln Neubeurteilung der Dossiers ermöglichen, Medienmitteilung des Parlaments vom 17.01.2025 hier abrufbar

 

9F_11/2024 (f) du 16.09.2024 – Demande de révision d’un arrêt du Tribunal fédéral / Nouvelle expertise – Appréciation différente insuffisante comme motif de révision

Arrêt du Tribunal fédéral 9F_11/2024 (f) du 16.09.2024

 

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Demande de révision d’un arrêt du Tribunal fédéral / 123 LTF – 124 LTF

Nouvelle expertise – Appréciation différente insuffisante comme motif de révision

 

Par décision du 12.04.2018, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité du 01.12.2016 au 30.06.2017. Saisi d’un recours du prénommé contre cette décision, le tribunal cantonal l’a rejeté. Statuant le 14.05.2019 sur le recours formé par l’assuré contre cet arrêt, le Tribunal fédéral l’a rejeté (arrêt 9C_146/2019).

Le 29.05.2024, l’assuré a présenté une demande de révision de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_146/2019 du 14.05.2019 fondée sur l’art. 123 al. 2 let. a LTF. Sur le rescindant, il requiert l’annulation de cet arrêt (ainsi que celles de l’arrêt cantonal et de la décision administrative). Sur le rescisoire, il conclut principalement à l’octroi de trois quarts de rente d’invalidité à compter du 01.12.2016 et subsidiairement au renvoi de la cause à la juridiction cantonale pour complément d’instruction et nouvelle décision « tenant compte des faits pertinents découverts après coup invoqués à l’appui de la présente demande de révision ».

 

TF

Consid. 1
Le Tribunal fédéral n’ayant pas le droit de procéder à une reformatio in pejus (cf. art. 107 al. 1 LTF), il n’y a pas lieu de revenir sur le droit du requérant à une rente entière d’invalidité du 01.12.2016 au 30.06.2017. Sa conclusion principale tendant à l’octroi de trois quarts de rente d’invalidité à compter du 01.12.2016 doit dès lors être interprétée en ce sens qu’il requiert la reconnaissance du droit à trois quarts de rente à partir du 01.07.2017.

Consid. 2
En vertu de l’art. 123 al. 2 let. a LTF, la révision peut être demandée dans les affaires civiles et les affaires de droit public, si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu’il n’avait pas pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits ou moyens de preuve postérieurs à l’arrêt.

Selon la jurisprudence, ne peuvent justifier une révision que les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence; en outre, ces faits doivent être pertinents, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 134 III 669 consid. 2.2 et les références). Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Si les nouveaux moyens sont destinés à prouver des faits allégués antérieurement, le requérant doit aussi démontrer qu’il ne pouvait pas les invoquer dans la précédente procédure. Une preuve est considérée comme concluante lorsqu’il faut admettre qu’elle aurait conduit le juge à statuer autrement s’il en avait eu connaissance dans la procédure principale. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers. Ainsi, il ne suffit pas qu’une nouvelle expertise donne une appréciation différente des faits; il faut bien plutôt des éléments de fait nouveaux, dont il résulte que les bases de la décision entreprise comportaient des défauts objectifs. Pour justifier la révision d’une décision, il ne suffit pas que l’expert tire ultérieurement, des faits connus au moment du jugement principal, d’autres conclusions que le tribunal. Il n’y a pas non plus motif à révision du seul fait que le tribunal paraît avoir mal interprété des faits connus déjà lors de la procédure principale. L’appréciation inexacte doit être, bien plutôt, la conséquence de l’ignorance ou de l’absence de preuve de faits essentiels pour le jugement (cf. ATF 127 V 353 consid. 5b et les références; cf. également arrêt 8F_2/2016 du 27 juin 2016 consid. 1).

Consid. 3
Aux termes de l’art. 124 al. 1 let. d LTF, une demande de révision fondée sur l’art. 123 al. 2 let. a LTF doit être déposée devant le Tribunal fédéral dans les 90 jours qui suivent la découverte du motif de révision, mais au plus tôt dès la notification de l’expédition complète de l’arrêt. En l’espèce, le requérant n’a eu connaissance du motif de révision invoqué qu’à réception du projet de décision daté du 29.02.2024. L’office AI lui indiquait qu’il entendait rejeter la nouvelle demande de prestations qu’il avait présentée en avril 2020, en l’informant qu’il ressortait de l’expertise rhumatologique diligentée auprès de la Dre B.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation et en rhumatologie (rapport du 15.12.2023 et complément du 07.02.2024), qu’il existait potentiellement des faits nouveaux en relation avec la demande de prestations qu’il avait déposée en mai 2016. Agissant par acte du 29.05.2024, l’assuré a donc respecté le délai légal de 90 jours.

Consid. 4.1
À l’appui de sa demande de révision, le requérant invoque l’existence d’un moyen de preuve nouveau, à savoir le rapport d’expertise de la Dre B.__. Il expose que le médecin y a indiqué qu’un examen supplémentaire de scintigraphie osseuse SPECT-CT avait été effectué le 24.10.2023 et qu’il avait mis en évidence qu’il présentait une instabilité L5-S1 et une pseudarthrose de la cage depuis l’intervention de spondylodèse dorsale L5-S5 et fusion intercorporelle avec cage (TLIF) qu’il avait subie le 09.06.2016, dont le Dr C.__, spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie et médecin au SMR, n’avait pas eu connaissance lors de l’examen clinique rhumatologique qu’il avait réalisé le 06.09.2017. En se référant à l’avis de la Dre B.__, qui a été confirmé par le Dr D.__, médecin au SMR (rapport du 12.02.2024), le requérant affirme que ce nouveau diagnostic justifie de retenir une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée, avec une diminution de rendement de 10% depuis juin 2016, en lieu et place de la capacité de travail de 75% retenue à l’époque par le Dr C.__ depuis le 10.03.2017, tant dans l’activité habituelle de polisseur que dans une activité adaptée. Le requérant soutient que les faits mis en évidence par la Dre B.__ sont des faits nouveaux pertinents, de nature à modifier l’état de fait sur lequel il y a lieu de se fonder afin d’évaluer son taux d’invalidité. Il en déduit que si le Tribunal fédéral avait disposé d’un « état de fait complet » au moment de rendre l’arrêt 9C_146/2019 du 14.05.2019, le droit à « trois quarts de rente » lui eût été reconnu, avec pour conséquence qu’il eût admis le recours qu’il avait déposé contre l’arrêt du 21.01.2019.

Consid. 4.2 [résumé]
L’argumentation du requérant est mal fondée. Quoi qu’il en dise, le rapport d’expertise de la Dre B.__ et son complément ne sont pas un motif de révision de l’arrêt 9C_146/2019 du 14.05.2019, conformément à la jurisprudence précédemment rappelée (consid. 2 supra). En effet, selon celle-ci, il ne suffit pas, pour justifier la révision d’une décision, que l’expert tire ultérieurement, des faits connus au moment du jugement principal, d’autres conclusions que le tribunal. Autrement dit, la seule éventualité que les troubles de la personne assurée – connus et dont les conséquences ont été soigneusement examinées – soient qualifiés différemment ne constitue pas un fait pertinent au sens de la jurisprudence (cf. arrêt 9F_5/2014 du 8 mai 2014).

En l’espèce, l’état de santé de l’assuré était connu au moment où le Tribunal fédéral avait rendu l’arrêt 9C_146/2019 du 14.05.2019 et les conséquences de ses atteintes à la santé avaient été examinées. Un examen rhumatologique réalisé par le Dr C.__ avait diagnostiqué des lombosciatalgies chroniques et des discopathies, concluant à une capacité de travail totale avec une diminution de rendement de 25%. L’assuré avait également produit des rapports de ses médecins traitants mentionnant un « failed back surgery syndrome » et une incapacité totale de travail. Dans l’arrêt initial, le Tribunal avait noté que le Dr C.__ avait relativisé ce diagnostic, ses conclusions étant corroborées par celles du Dr E.__, neurologue.

Le rapport d’expertise de la Dre B.__, présenté comme motif de révision, ne concernait que l’appréciation des faits déjà établis et non l’établissement de nouveaux faits déterminants. Par conséquent, ce rapport ne constitue pas un motif de révision au sens de l’art. 123 al. 2 let. a LTF. La demande de révision est par conséquent mal fondée.

 

Le TF rejette la demande de révision de l’assuré.

 

Arrêt 9F_11/2024 consultable ici

 

8C_697/2023 (f) du 17.09.2024 – Examen par des médecins du SMR – Pas d’enregistrement sonore de l’examen / Valeur probante des rapports des SMR

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_697/2023 (f) du 17.09.2024

 

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Examen par des médecins du SMR – Pas d’enregistrement sonore de l’examen / 44 al. 6 LPGA – 49 al. 2 RAI

Valeur probante des rapports des SMR / 49 al. 2 RAI

 

Assurée, née en 1971, sans formation, a perçu une rente entière d’invalidité du 01.07.2016 au 30.11.2016. En 2018, elle a trouvé un emploi à plein temps dans l’horlogerie, mais a présenté une incapacité de travail totale dès le 05.09.2018 à la suite d’un changement de poste.

Le 06.03.2019, elle a déposé une nouvelle demande de prestations AI. Le SMR a confié un examen à des médecins (rhumatologie et psychiatrie), réalisé le 23.02.2022. Les experts ont diagnostiqué un trouble anxieux et conclu à l’incapacité de travail suivante : 100% du 05.09.2018 au 24.02.2019 ; 50% du 25.02.2019 au 10.03.2019 ; à partir du 11.03.2019 : 70% dans l’activité habituelle, 100% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles (moindre résistance au stress, fatigabilité en fin de journée, difficultés à soutenir une attention et concentration sur un travail routinier et monotone nécessitant un rendement important). Sur le plan rhumatologique, une capacité de travail totale a été reconnue dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles.

Par projet de décision du 10.03.2022, l’office AI a informé l’assurée de son intention de lui refuser l’octroi d’une rente d’invalidité, au motif qu’elle ne présentait pas d’incapacité de gain suffisante pour ouvrir le droit à une telle prestation. Après examen d’objections et d’un nouveau rapport médical de la psychiatre traitante, le SMR a maintenu les conclusions de l’expertise malgré une divergence d’appréciation portant sur les diagnostics incapacitants et sur la capacité de travail de l’assurée. Il a néanmoins retenu l’impartialité de l’expert psychiatre et le fait qu’aucun nouvel élément médical probant ne pouvait le faire départir de ses précédentes conclusions. Par décision du 22.06.2022, l’office AI a confirmé son projet de refus de rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 27.09.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.1
L’assurée fait valoir divers griefs à l’encontre du spécialiste en psychiatrie, de son examen et de son rapport. Elle se plaint d’abord de l’absence d’un enregistrement sonore, en invoquant la violation de l’art. 44 al. 6 LPGA. Elle en déduit l’impossibilité d’établir certains vices graves. L’assurée invoque également le manque d’indépendance de ce médecin à l’égard du SMR et, par là, une violation de l’art. 44 al. 2 LPGA. Le spécialiste en psychiatrie ne serait par ailleurs pas certifié en médecine d’assurance suisse et le dossier ne permettrait pas de connaître son champ de compétences. Enfin, l’assurée évoque la brève durée de l’expertise (1h30), effectuée dans des circonstances selon elle objectivement indéfinissables.

Consid. 3.2.2
Les éléments avancés par l’assurée et ses griefs de violation de l’art. 44 LPGA sont mal fondés. En effet, l’art. 44 LPGA (« Expertise »), qui prévoit notamment un enregistrement sonore des entretiens (al. 6), ne s’applique pas aux examens médicaux réalisés par les SMR comme celui pratiqué par le spécialiste en psychiatrie, médecin exerçant précisément pour le compte du SMR. Un tel examen est soumis aux exigences de l’art. 49 al. 2 RAI, aux termes duquel les SMR peuvent au besoin procéder eux-mêmes à des examens médicaux sur la personne des assurés; ils consignent les résultats de ces examens par écrit. Quant au fait que le spécialiste en psychiatrie ne serait pas certifié en médecine d’assurance suisse, il ne permet pas en soi de remettre en cause ses conclusions, alors qu’il s’agit d’un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, comme cela ressort tant du rapport d’examen que de la convocation à celui-ci. Enfin, la durée de l’examen ne permet de tirer aucune conclusion, en l’espèce, sur la valeur du travail de l’expert, dont le rôle consiste notamment à se prononcer sur l’état de santé psychique de l’assuré dans un délai relativement bref (cf. arrêts 9C_457/2021 du 13 avril 2022 consid. 6.2; 9C_133/2012 du 29 août 2012 consid. 3.2.1; 9C_443/2008 du 28 avril 2009 consid. 4.4.2 et les arrêts cités).

Consid. 3.3.2
S’agissant de la valeur probante des rapports des SMR selon l’art. 49 al. 2 RAI, le Tribunal fédéral considère qu’elle est comparable à celle des expertises médicales externes, lorsque ces rapports satisfont aux exigences développées par la jurisprudence en matière d’expertise médicale. Toutefois, les offices AI devraient toujours ordonner des expertises externes lorsque le caractère interdisciplinaire d’une situation médicale problématique l’exige, lorsque le SMR ne dispose pas des ressources professionnelles nécessaires pour pouvoir répondre à une question qui se pose ou lorsqu’il existe une divergence entre le rapport du SMR et la teneur générale du dossier médical, divergence qui ne reposerait pas sur des prémisses différentes dues à la conception bio-psycho-sociale de la maladie, répandue en médecine et qui est plus large que la notion d’atteinte à la santé en droit des assurances sociales (cf. ATF 137 V 210 consid. 1.2.1; arrêt I 738/05 du 1er mars 2007 consid. 5.2, in SVR IV 33 n° 117).

Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.6 et 4.7; arrêt 8C_816/2021 du 2 mai 2022 consid. 3.2 et l’arrêt cité).

Consid. 3.3.3
En l’espèce, les juges cantonaux ont privilégié les conclusions du spécialiste en psychiatrie, du fait que son rapport satisfaisait aux exigences jurisprudentielles en matière d’expertise médicale. Ils ont considéré en particulier que ce médecin n’avait pas ignoré les éléments invoqués par l’assurée – qualifiés pour certains d’anecdotiques – mais avait un avis différent ou que celle-ci se limitait à opposer l’appréciation de sa médecin traitante à celui du spécialiste en psychiatrie.

Cela dit, il ressort de l’arrêt attaqué que la psychiatre traitante et le spécialiste en psychiatrie ne s’accordent ni sur les diagnostics, ni sur la capacité de travail de l’assurée. En particulier, la médecin traitante a reproché à l’expert d’avoir écarté les troubles de l’attention et de la concentration sans expliquer son évaluation ni avoir procédé à un test. Elle lui a également opposé d’avoir fondé son analyse de l’évolution de la capacité de travail de l’assurée sur la base d’un rapport d’expertise mis en œuvre par l’assurance perte de gain, alors que le médecin consultant était par la suite revenu sur son évaluation. A cela s’ajoute d’autres éléments, contribuant à susciter un doute à tout le moins minime sur la fiabilité ou la pertinence du rapport du SMR. Ainsi, le spécialiste en psychiatrie retient notamment la capacité de l’assurée à prendre des décisions importantes et une indépendance dans l’organisation de sa vie quotidienne, sans circonstancier son appréciation par rapport au fait que l’assurée est sous curatelle de représentation (art. 394 s. CC) (ce qui n’est pas précisé dans le rapport d’examen). Si le curateur n’est pas médecin, comme l’ont relevé les juges cantonaux en niant la pertinence de ses observations, on ne saurait nier sa légitimité à s’exprimer sur les capacités de l’assurée à se gérer sur le plan administratif, compte tenu de la mission qui lui est confiée.

Sans préjuger du fond du litige, il apparaît ainsi que les circonstances du cas d’espèce justifiaient une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA. En conséquence, les juges cantonaux ont procédé à une appréciation (anticipée) des preuves manifestement erronée en refusant la mise en œuvre d’une telle expertise médicale.

Consid. 4
Il s’ensuit que le recours doit être partiellement admis au sens des considérants, avec pour conséquence l’annulation de l’arrêt cantonal et de la décision. La cause sera renvoyée à l’office intimé pour qu’elle mette en œuvre une expertise médicale, dont la discipline peut se limiter au domaine psychiatrique, et rende une nouvelle décision.

Consid. 5
En ce qui concerne la répartition des frais judiciaires et des dépens, le renvoi de la cause pour nouvelle décision revient à obtenir gain de cause au sens des art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF, indépendamment du fait qu’une conclusion ait ou non été formulée à cet égard, à titre principal ou subsidiaire (ATF 146 V 28 consid. 7; 141 V 281 consid. 11.1). Les frais judiciaires ainsi que les dépens auxquels peut prétendre l’assurée seront dès lors mis à la charge de l’office intimé, qui succombe, ce qui rend la demande d’assistance judiciaire sans objet. L’assurée a produit une note d’honoraires pour un montant de 6’470 fr. (18 heures 52 au tarif horaire de 290 fr.). Ce montant apparaît toutefois excessif compte tenu de l’ampleur de la cause et de ses difficultés, ainsi que du fait que les arguments soulevés ont déjà été amplement discutés par l’assurée dans la procédure précédente. Il convient dès lors d’allouer à l’assurée le montant forfaitaire habituel de 2’800 fr.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_697/2023 consultable ici

 

Expertises médicales en assurances sociales – Analyse de la situation actuelle et propositions d’amélioration

Vous trouverez dans l’édition de Jusletter du 14 octobre 2024 ma contribution «Expertises médicales en assurances sociales – Analyse de la situation actuelle et propositions d’amélioration».

 

Résumé :

Les expertises médicales sont cruciales dans le système suisse des assurances sociales, influençant le droit aux prestations. L’analyse des récentes évolutions, notamment le Développement continu de l’AI en 2022, révèle des enjeux majeurs : qualité des expertises, protection des droits des assurés et sélection des experts. Des questions émergent, comme l’enregistrement sonore des entretiens, les barrières linguistiques et l’impact potentiel de l’IA. Face à ces défis, diverses pistes d’amélioration sont proposées pour renforcer la qualité des expertises et mieux garantir les droits des assurés dans ce domaine en constante évolution.

 

Publication (au format pdf) : David Ionta, Expertises médicales en assurances sociales, in Jusletter 14 octobre 2024

 

8C_520/2023 (f) du 28.02.2024 – Valeur probante de l’expertise médicale – Contradiction entre les experts dans l’évaluation consensuelle – 44 LPGA / Vraisemblance d’un diagnostic somatique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_520/2023 (f) du 28.02.2024

 

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Valeur probante de l’expertise médicale – Contradiction entre les experts dans l’évaluation consensuelle / 44 LPGA

Vraisemblance d’un diagnostic somatique

 

L’assurée, née en 1970 et domiciliée en France, a travaillé en Suisse dans la gestion de projets. Elle a subi deux accidents : une blessure à la main gauche le 28.03.2015 et une collision frontale en voiture le 02.03.2017, causant diverses contusions.

L’office AI a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (médecine interne, psychiatrie, neurologie et orthopédie). Dans leur rapport du 30.10.2018, les experts n’ont diagnostiqué aucune atteinte ayant un impact sur sa capacité de travail, estimant celle-ci complète sauf pour de courtes périodes après les accidents et lors d’hospitalisations.

Dans un avis du 05.02.2019, la médecin du SMR, s’écartant des conclusions des médecins experts, a retenu que l’assurée avait présenté une incapacité de travail totale du 02.03.2017 au 31.10.2018, en raison d’un probable syndrome douloureux régional complexe (SDRC) à la main gauche, la capacité de travail étant entière à compter de cette dernière date.

Par décisions du 18.01.2021, l’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE) a alloué à l’assurée un quart de rente d’invalidité pour la période du 01.10.2016 au 21.05.2017, une rente entière du 01.06.2017 au 31.01.2019, ainsi que les rentes pour enfants liées à ces prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt C-884/2021 – consultable ici)

Par jugement du 08.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 7.1 [résumé]
L’assurée conteste la décision de la juridiction de première instance, arguant d’un établissement inexact des faits et d’une appréciation arbitraire des preuves. Elle critique la primauté accordée aux conclusions des médecins experts sur les autres documents médicaux. Elle met en avant un rapport du Dr C.__, spécialiste en chirurgie thoracique, daté du 29.03.2019, qui pose un nouveau diagnostic : un syndrome du défilé thoracique à compensation neurogène et veineuse. Ce diagnostic, établi après un examen approfondi et des consultations avec d’autres spécialistes, expliquerait ses symptômes et remettrait en question le diagnostic d’entorse chondro-sternale. L’assurée souligne que ce nouveau diagnostic, ainsi que la proposition de prise en charge chirurgicale, démontreraient l’existence d’une pathologie somatique réelle, contrairement aux conclusions des experts. Elle argue que de nombreux documents médicaux confirment son incapacité de travail et ses limitations fonctionnelles. Elle estime que les experts, n’ayant pas eu connaissance de cette nouvelle appréciation, n’auraient pas dû être suivis dans leurs conclusions. Elle critique également le fait que les juges aient écarté les limitations fonctionnelles liées aux effets secondaires de sa médication.

 

Consid. 7.2.1
Selon les faits constatés par les premiers juges – qui lient le Tribunal fédéral – une IRM de la cage thoracique pratiquée le 05.07.2017 a mis en évidence une disjonction (ou entorse) chondro-sternale au niveau du premier arc à droite, associée à une importante réaction inflammatoire. Par la suite, ce diagnostic a été repris par plusieurs médecins, notamment ceux de la Clinique de réadaptation dans un rapport de sortie du 03.07.2018, certains, comme ceux de l’hôpital D.__, le qualifiant ou le mettant en lien avec une pseudarthrose.

Consid. 7.2.2
Il ressort en outre des constatations de la cour cantonale que les médecins experts ont fait état d’une douleur thoracique antérieure irradiant dans le membre supérieur droit, avec douleur non systématisée de la main droite depuis mars 2017 (pseudarthrose costale). Ils n’en ont toutefois déduit aucune incapacité de travail. Certaines de leurs explications – exposées dans l’arrêt entrepris – en lien avec la pathologie observée s’avèrent toutefois discordantes et donc peu convaincantes. Dans leur évaluation consensuelle, ils ont tout d’abord relevé, au plan orthopédique, que « la douleur costale droite séquellaire de l’accident de la circulation, avec pseudarthrose ostéo-chondrale de la première côte, et les douleurs de la main droite, [n’avaient] pas de substrat organique, la pseudarthrose [pouvant] provoquer une gêne mais pas [la] douleur ressentie par la personne assurée » (p. 8 du rapport). Ils ont ensuite indiqué, sur le plan neurologique, que « la douleur parfaitement crédible et objectivée radiologiquement d’une atteinte articulaire costo-sternale de l’articulation entre la première côte et le sternum, dans les suites du choc important que la personne assurée a subi, n'[était] pas discutable », en précisant que les conséquences fonctionnelles (impossibilité d’usage normal du membre supérieur droit) de cette atteinte n’étaient pas explicables par la simple douleur costo-sternale, qui restait aussi importante après une année d’évolution (p. 9 du rapport). Les experts semblent donc se contredire, en excluant d’abord que la pseudarthrose chondro-sternale puisse être à l’origine des douleurs de l’assurée, puis en imputant ces mêmes douleurs à cette atteinte costo-sternale objectivée par IRM. On peut se demander si les experts ont voulu distinguer l’existence ou non de douleurs dues à un substrat organique selon le point de vue orthopédique d’une part, et neurologique d’autre part; cela ne paraît toutefois pas être le cas, dès lors que même au plan neurologique, il est fait référence à une atteinte douloureuse articulaire. Quoi qu’il en soit, les experts ont ensuite exclu tout trouble sur le plan neurologique (p. 10 du rapport).

Consid. 7.2.3 [résumé]
Contrairement aux conclusions de l’expertise, plusieurs médecins ont rapporté des troubles neurologiques chez l’assurée. Le Dr E.__, anesthésiologue, a noté des douleurs sternales et des douleurs neurogènes au membre supérieur droit, avec une asymétrie de température et une tuméfaction de la main droite. La Dre F.__, neurologue, a mentionné des thoracodynies et brachialgies, évoquant une névralgie du nerf inter-costo-brachial, bien que l’examen électroneuromyographique, techniquement difficile, n’ait pu confirmer la pathologie.

Les médecins de l’hôpital D.__ ont diagnostiqué un déconditionnement sur douleur probablement neuropathique au membre supérieur droit, lié à une pseudarthrose chondro-sternale. Plusieurs médecins, dont la Dre F.__ et le Dr G.__, ont souligné la nécessité d’un traitement antalgique important, incluant une médication morphinique.

Consid. 7.2.4 [résumé]
C’est dans ce contexte que le Dr C.__ a émis deux avis sur le cas de l’assurée. Dans son premier avis du 20.03.2019, il a conclu à une entorse chondro-sternale du premier arc droit, sans lien apparent avec les brachialgies et troubles sensitifs décrits. Le 29.03.2019, après une analyse plus approfondie incluant la littérature médicale, la relecture de l’IRM et des discussions avec des collègues de différentes spécialités, il a proposé un nouveau diagnostic : un syndrome du défilé thoracique à composante neurogène et veineuse. Selon le Dr C.__, ce diagnostic expliquerait mieux l’ensemble des symptômes de l’assurée que la seule disjonction chondro-sternale. Il proposait, malgré le contexte psychologique et assécurologique défavorable, une résection de la première côte par voie transaxillaire droite, qui permettrait possiblement de soulager une partie des symptômes.

Les premiers juges ne pouvaient donc manifestement pas constater que le docteur C.__ ne faisait pas état d’éléments objectifs expliquant les plaintes de l’assurée. Quand bien même le syndrome du défilé thoracique n’est cité qu’à titre hypothétique et le rapport du 29.03.2019 est assez sommaire, l’avis du docteur C.__ fait naître, compte tenu des lacunes de l’expertise pluridisciplinaire (cf. consid. 7.2.2 supra) et des rapports faisant état d’une composante neurogène (cf. consid. 7.2.3 supra), de très sérieux doutes sur la pertinence des conclusions de l’expertise concernant l’origine et l’ampleur des atteintes thoraciques et au membre supérieur droit, ainsi que la capacité de travail qui en découle. On ajoutera que les médecine experts n’ont pas été confrontés aux avis postérieurs à leur expertise, en particulier à l’appréciation du docteur C.__.

En vue de lever ces doutes, un complément d’instruction est nécessaire, sous la forme d’une expertise judiciaire, compte tenu par ailleurs des discordances de l’expertise pluridisciplinaire mises en évidences au consid. 7.2.2. Etant donné la nature de l’affection évoquée par le docteur C.__ (syndrome du défilé thoracique à composante neurogène et veineuse), l’expertise devra comprendre un volet neurologique et un volet angiologique.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_520/2023 consultable ici

 

8C_71/2024 (f) du 30.08.2024 – Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe / Obligation des médecins de motiver les diagnostics retenus / Diagnostic médical relève des experts non des juges – Inadéquation de l’examen des critères de Budapest par la juridiction cantonale

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_71/2024 (f) du 30.08.2024

 

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Causalité naturelle – Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) / 6 LAA

Valeur probante des expertises médicales – Obligation des médecins de motiver les diagnostics retenus

Diagnostic médical relève des experts non des juges – Inadéquation de l’examen des critères de Budapest par la juridiction cantonale

 

Assuré, née en 1990, gestionnaire dans un service Helpdesk. Le 14.06.2016, elle a été victime d’une électrisation de l’avant-bras gauche alors qu’elle contrôlait le fonctionnement d’un ordinateur portable. Dans les suites de cet événement, elle a présenté des douleurs du membre supérieur gauche, des troubles sensitifs, dysesthésiques et allodyniques du bras avec persistance d’un œdème, d’une rougeur de l’avant-bras et d’un manque de force de ce membre, qui l’ont menée à consulter différents médecins et à faire l’objet de nombreuses investigations médicales (bilans neurologiques avec ENMG, IRM du membre supérieur gauche, cervicale et cérébrale, scintigraphie osseuse). Ces examens se sont révélés dans la norme.

Expertise médicale mise en œuvre par l’assurance-accidents. Le spécialiste en neurologie et le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie ont retenu un status après électrocution du membre supérieur gauche surchargé d’éléments sans substrat somatique évident, sans relation de causalité certaine avec l’événement accidentel, des troubles de l’adaptation avec réaction mixte anxieuse et dépressive et un probable syndrome douloureux somatoforme persistant (rapport du 08.12.2017). Par décision, confirmée sur opposition le 21.11.2018, l’assurance-accidents a mis un terme aux prestations d’assurance avec effet au 08.12.2017, considérant que le lien de causalité naturelle entre l’événement du 14.06.2016 et les troubles actuels n’était plus donné.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1018/2023 – consultable ici)

Après avoir requis le dossier de l’office AI et réceptionné un rapport d’expertise du service de neurologie des HUG établi à la demande dudit office – retenant le diagnostic de troubles neurologiques d’origine fonctionnelle (rapport du 29.11.2020) –, la cour cantonale a suspendu la procédure de recours jusqu’au prononcé de la décision de l’assurance-invalidité. L’office AI a mis en œuvre une nouvelle expertise pluridisciplinaire. Les experts (spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, médecin praticien et spécialiste en rhumatologie) ont posé le diagnostic – entre autres – de syndrome douloureux régional complexe (SDRC) du membre supérieur gauche (rapport du 28.06.2021). Après avoir soumis le dossier à son service de réadaptation, l’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité à compter du 01.06.2017.

Par jugement du 20.12.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition dans le sens de la prise en charge par l’assurance-accidents des suites de l’accident du 14.06.2016 au-delà du 08.12.2017.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
Selon l’art. 6 al. 1 LAA, l’assurance accorde des prestations en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel ou de maladie professionnelle. Pour qu’il y ait droit à des prestations, il doit exister un lien de causalité naturelle entre l’événement accidentel et l’atteinte à la santé. Ce lien est considéré comme établi si, sans l’événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit ou ne serait pas survenu de la même manière (ATF 148 V 356 consid. 3; 148 V 138 consid. 5.1.1; 142 V 435 consid. 1). La question de la causalité naturelle est une question de fait, que le juge ou l’administration doit examiner principalement sur la base d’avis médicaux, en appliquant la règle de la vraisemblance prépondérante pour évaluer les preuves (ATF 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1).

Consid. 3.2
Le droit à des prestations de l’assurance-accidents suppose en outre l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’accident et l’atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 148 V 356 consid. 3; 139 V 156 consid. 8.4.2; 129 V 177 consid. 3.2). En cas d’atteinte à la santé physique, la causalité adéquate se recoupe toutefois largement avec la causalité naturelle, de sorte qu’elle ne joue pratiquement pas de rôle (ATF 138 V 248 consid. 4 et les références). En cas d’atteinte à la santé psychique, les règles applicables en matière de causalité adéquate sont différentes selon qu’il s’agit d’un événement accidentel ayant entraîné une affection psychique additionnelle à une atteinte à la santé physique (ATF 115 V 133 consid. 6 et 403 consid. 5), d’un traumatisme psychique consécutif à un choc émotionnel (ATF 129 V 177 consid. 4.2), ou encore d’un traumatise de type « coup du lapin » à la colonne cervicale, d’un traumatisme analogue à la colonne cervicale ou d’un traumatisme cranio-cérébral (ATF 134 V 109).

Consid. 3.3
Selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie les preuves médicales qu’il a recueillies sans être lié par des règles formelles. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, il est déterminant que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées. Au demeurant, l’élément déterminant pour la valeur probante n’est ni l’origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a).

Consid. 4 [résumé]
La cour cantonale a écarté l’expertise du docteur C.__ [spécialiste en neurologie ; expertise du 08.12.2017], estimant qu’elle n’était pas suffisamment probante sur la question de la causalité naturelle. Elle a préféré l’expertise des HUG, qui, répondant aux exigences jurisprudentielles, a diagnostiqué des troubles neurologiques d’origine fonctionnelle sans atteinte objectivable. Bien que ces troubles puissent être en lien de causalité naturelle avec l’événement du 14.06.2016, aucun lien de causalité adéquate n’a été retenu. Les juges ont ensuite constaté que l’expert G.__ [spécialiste en rhumatologie ; expertise du 28.06.2021] avait diagnostiqué un syndrome douloureux régional complexe (SDRC). Bien qu’il n’ait pas minutieusement examiné les critères de Budapest, ses observations étaient jugées suffisantes pour conclure à leur admission. Le docteur H.__ [spécialiste en anesthésiologie] avait également posé ce diagnostic dans un rapport antérieur, corroboré par plusieurs médecins notant la discordance entre la nature de l’électrisation et l’importance des troubles. Les juges ont finalement admis le lien de causalité entre le SDRC et l’événement, obligeant l’assurance-accidents à prendre en charge les suites de cet événement au-delà du 08.12.2017.

Consid. 6.1
En l’état, il est patent que les experts des trois expertises médicales ne s’accordent pas sur le diagnostic ni sur la nature somatique ou psychique des troubles présentés par l’assurée.

Consid. 6.1.1 [résumé]
Les premiers experts [rapport du 08.12.2017)] ont diagnostiqué chez l’assurée un état après électrisation du bras gauche, accompagné de troubles sans substrat somatique, ainsi que des troubles de l’adaptation avec réaction anxieuse et dépressive, et un probable syndrome douloureux somatoforme. L’expert neurologue a relevé des troubles sensitivomoteurs atypiques et un œdème modéré, avec pour seule anomalie somatique claire une petite rougeur à l’avant-bras. Il a noté une discordance entre la faible intensité de l’électrisation et la persistance des troubles, suggérant des facteurs de somatisation. L’apparition des troubles était probablement due à l’électrisation, mais le lien de causalité somatique avec l’accident était jugé uniquement possible. De plus, l’expert psychiatre a estimé que les troubles psychiques diagnostiqués n’étaient pas liés à l’accident en raison de sa faible gravité.

Consid. 6.1.2 [résumé]
Les experts des HUG [rapport du 29.11.2020] ont, quant à eux, retenu le seul diagnostic de troubles neurologiques d’origine fonctionnelle. Ils ont expliqué ce diagnostic par les nombreux symptômes neurologiques rapportés spontanément par l’assurée (troubles de la sensibilité de tout le membre supérieur gauche mais également de la partie supérieure du thorax gauche, hémiface gauche, membre inférieur gauche et péri-mamelon droit), par les plaintes exprimées (lâchage du membre inférieur gauche, faiblesse généralisée du bras gauche, vertiges et troubles de la concentration) ainsi que par l’absence d’atteintes nerveuses objectivées (IRM cervicale et cérébrale, ENMG). Ces experts ont en outre noté que les douleurs, comme les troubles sensitivomoteurs, pouvaient s’inscrire dans le trouble neurologique fonctionnel; cependant, la possibilité que ceux-ci s’intègrent plus largement dans un syndrome douloureux somatoforme ne relevait pas de leur domaine d’expertise, tout comme l’existence d’un SDRC surajouté.

 

Consid. 6.1.3 [résumé]
Les derniers experts [rapport du 28.06.2021] ont diagnostiqué plusieurs affections principales chez l’assurée : troubles neurologiques d’origine fonctionnelle à la suite d’une électrisation, syndrome douloureux régional complexe (SDRC), trouble anxieux et dépressif mixte, ainsi qu’une douleur et faiblesse du membre inférieur gauche sans base anatomique, et des vertiges périphériques. L’expert rhumatologue a relevé que bien que l’électrisation ait été de bas voltage, aucun signe neurologique objectif n’avait été constaté (électromyographie normale). L’augmentation du volume du bras et de l’avant-bras était la seule constatation clinique, sans changement dans les amplitudes articulaires, la température, la couleur, ou la transpiration du membre, suggérant une douleur disproportionnée par rapport à l’événement initial. L’expert rhumatologue a noté que tous les autres diagnostics avaient été éliminés et que « [t]out ceci répond[ait], en effet, aux critères de Budapest pour un syndrome douloureux régional complexe (CRPS) ». Il a en outre conclu à une capacité de travail de 100% « depuis toujours » dans une activité correspondant aux aptitudes de l’assurée.

Consid. 6.2
En ce qui concerne le syndrome douloureux régional complexe (ou complex regional pain syndrome [CRPS]), anciennement nommé algodystrophie ou maladie de Sudeck, on rappellera qu’il a été retenu en 1994 par un groupe de travail de l’International Association for the Study of Pain (IASP). Il constitue une entité associant la douleur à un ensemble de symptômes et de signes non spécifiques qui, une fois assemblés, fondent un diagnostic précis (DR F. LUTHI/DR. P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L. TURLAN/DR M. KONZELMANN, Syndrome douloureux régional complexe, in Revue médicale suisse 2019, p. 495). L’IASP a réalisé un consensus diagnostique aussi complet que possible avec la validation, en 2010, des critères dits de Budapest. La pose du diagnostic de SDRC requiert ainsi, selon les critères de Budapest, que les éléments caractéristiques suivants soient satisfaits (arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1; cf. également DAVID IONTA, Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC) et causalité en LAA, in Jusletter 18 octobre 2021, ch. 19 et les références) :

  1. Une douleur persistante disproportionnée par rapport à l’événement déclencheur.
  2. Le patient doit rapporter au moins un symptôme dans trois des quatre catégories suivantes:
  • Sensorielle: hyperesthésie et/ou une allodynie
  • Vasomotrice: asymétrie au niveau de la température et/ou changement/asymétrie au niveau de la coloration de la peau
  • Sudomotrice/oedème: oedème et/ou changement/asymétrie au niveau de la sudation
  • Motrice/trophique: diminution de la mobilité et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblements, dystonie) et/ou changements trophiques (poils, ongles, peau).
  1. Le patient doit démontrer au moment de l’examen au moins un signe clinique dans deux des quatre catégories suivantes:
  • Sensorielle: hyperalgésie (piqûre) et/ou allodynie (au toucher léger et/ou à la pression et/ou à la mobilisation)
  • Vasomotrice: différence de température et/ou changement/asymétrie de coloration de la peau
  • Sudomotrice/oedème: oedème et/ou changement/asymétrie au niveau de la sudation
  • Motrice/trophique: diminution de la mobilité et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblement, dystonie) et/ou changements trophiques (poils, ongles, peau).
  1. Il n’existe aucun autre diagnostic permettant de mieux expliquer les symptômes et les signes cliniques.

Ces critères sont exclusivement cliniques et ne laissent que peu de place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM). L’utilisation de l’imagerie fait l’objet d’une controverse dans le milieu médical, mais garde un rôle notamment dans la recherche de diagnostics différentiels, ou lorsque les signes cliniques sont discrets ou incomplets ainsi que dans certaines formes atypiques (DRS K. DISERENS/P. VUADENS/PR JOSEPH GHIKAIN, Syndrome douloureux régional complexe: rôle du système nerveux central et implications pour la prise en charge, in Revue médicale suisse 2020, p. 886; F. LUTHI/M. KONZELMANN, Le syndrome douloureux régional complexe [algodystrophie] sous toutes ses formes, in Revue médicale suisse 2014, p. 271). En pratique, si les critères 1 à 3 sont remplis et le critère 4 est respecté, on doit considérer que le patient souffre d’un SDRC; toutefois la valeur prédictive positive n’est que de 76%. Si les critères sont partiellement remplis, il faut poursuivre le diagnostic différentiel et réévaluer le patient. Si les critères ne sont pas remplis, le patient a une probabilité quasi nulle d’avoir un SDRC (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L. TURLAN/DR M. KONZELMANN, op. cit., p. 498).

S’agissant de l’admission d’un lien de causalité entre un accident et une algodystrophie, le Tribunal fédéral a considéré, dans un arrêt 8C_384/2009 du 5 janvier 2010, que trois conditions cumulatives devaient être remplies: 1° la preuve d’une lésion physique après un accident (p. ex. un hématome ou une enflure) ou l’apparition d’une algodystrophie à la suite d’une opération nécessitée par l’accident; 2° l’absence d’un autre facteur causal de nature non traumatique (p. ex. état après un infarctus du myocarde, après une apoplexie, etc.); 3° une courte période de latence entre l’accident et l’apparition de l’algodystrophie (au maximum six à huit semaines). Dans un article paru dans la brochure actualisée et rééditée sous le titre « SDRC Syndrome douloureux régional complexe » (W. JÄNIG/R. SCHAUMANN/W. VOGT [éditeurs]) en 2013, ses auteurs expliquent que la question de la causalité entre un accident et un SDRC doit être résolue en étudiant en particulier l’évolution en fonction du temps et en prenant en compte les critères de Budapest ainsi que d’autres facteurs ayant marqué significativement le décours. Selon ces auteurs, ce n’est qu’une fois que l’expert a posé un diagnostic de SDRC qu’il faut, s’agissant de la causalité accidentelle, démontrer qu’une lésion corporelle de l’extrémité concernée s’est bien produite; si tel est le cas, se pose alors la question de savoir si le SDRC est apparu durant la période de latence correspondante de six à huit semaines (R. SCHAUMANN/W. VOGT/F. BRUNNER, Expertise, in: SDRC Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 130 s.). Cette période de latence de six à huit semaines ne constitue qu’une valeur empirique et ne fait nullement l’objet d’un consensus médical. Au demeurant, elle a été proposée en 1998, soit avant que les critères diagnostiques du SDRC aient été établis. On ne saurait dès lors établir, sur le plan juridique, une règle absolue sur le délai dans lequel les symptômes du SDRC devraient se manifester (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.2.1 et 5.2.2 et les références). Dans un arrêt 8C_177/2016 du 22 juin 2016, le Tribunal fédéral a du reste précisé, s’agissant du temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC, qu’il n’est pas nécessaire qu’un SDRC ait été diagnostiqué dans les six à huit semaines après l’accident pour admettre son caractère causal avec l’événement accidentel; il est en revanche déterminant qu’on puisse conclure, en se fondant sur les constats médicaux effectués en temps réel, que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du SDRC durant la période de latence de six à huit semaines après l’accident (arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 6.3
En l’occurrence, l’expert rhumatologue [rapport du 28.06.2021] n’a pas motivé le diagnostic de SDRC ni exposé les éléments caractéristiques qui permettraient de confirmer ce diagnostic. Son rapport retranscrit l’anamnèse personnelle et l’anamnèse médicale de l’assurée, faisant apparaître des divergences qui n’ont pas été discutées dans le cadre de l’expertise. L’expert rhumatologue évoque les constats de son examen clinique, soit un membre supérieur gauche présentant une impotence fonctionnelle mais avec des amplitudes respectées, l’absence de rétractation articulaire, aucune asymétrie de température ni changement de couleur, pas d’hypersudation ni d’hyperpilosité. Il prétend ensuite que tous les autres diagnostics ont été éliminés et conclut sans autre démonstration que « tout ceci répond, en effet, aux critères de Budapest ». Cela est peu convainquant, d’autant que l’expert rhumatologue semble exclure tout autre diagnostic, sans pour autant discuter celui de trouble fonctionnel posé par le co-expert F.__ [médecin praticien], et avant lui par les experts des HUG [rapport du 29.11.2020]. Il paraît néanmoins admettre qu’une partie des symptômes relève de ce trouble fonctionnel – en tout cas s’agissant de l’hypoesthésie globale de la jambe gauche – mais n’en fait aucunement état au moment d’évoquer les critères diagnostics d’un SDRC.

Consid. 6.4
La juridiction cantonale a constaté les lacunes de l’expertise, en procédant elle-même à l’examen des éléments caractéristiques pour poser le diagnostic de SDRC. Or elle ne pouvait pas, comme elle l’a fait, admettre ce diagnostic en examinant si les critères de Budapest étaient effectivement présents. En effet, dès lors qu’il incombe au médecin d’évaluer l’état de santé et de poser le diagnostic (ATF 140 V 193 consid. 3.2), il n’appartient pas au juge de poser de son propre chef des conclusions qui relèvent de la science et des tâches du corps médical (arrêt 8C_724/2021 du 8 juin 2022 consid. 4.1.2 et les références). l’expert rhumatologue [rapport du 28.06.2021] n’ayant pas démontré si et dans quelle mesure les constatations qu’il a faites remplissaient les critères de Budapest, on ne saurait considérer le diagnostic de SDRC comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante, pas plus que son lien de causalité avec l’accident.

En tout état de cause, l’avis médical du docteur H.__ [spécialiste en anesthésiologie] ne suffit pas à confirmer ce diagnostic dès lors qu’il s’est limité à noter que « les critères diagnostics (de Budapest) sont remplis », sans autre développement. Par ailleurs, on ne saurait suivre l’avis des juges cantonaux aux termes duquel le diagnostic de SDRC ne relevait pas de la spécialité de l’expert neurologue [(rapport du 08.12.2017]. Ils n’ont en outre pas exposé les raisons qui justifieraient que ce spécialiste en neurologie – contrairement au spécialiste en anesthésiologie (docteur H.__) – ne puisse pas apprécier les critères de Budapest et poser ou écarter le diagnostic de SDRC. Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de juger comme pleinement probant l’avis de médecins-experts, l’un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’autre spécialiste en neurologie, qui s’étaient prononcés de manière compréhensible et convaincante sur le diagnostic de SDRC (arrêt 8C_231/2019 du 12 juillet 2019 consid. 3.2.1), étant au demeurant rappelé que le SDRC est une atteinte appartenant aux maladies neurologiques, orthopédiques et traumatologiques (arrêt 8C_234/2023 du 12 décembre 2023 consid. 3.2). Il s’ensuit que le fait que l’expert soit neurologue ne suffit pas à faire douter de la pertinence de son appréciation. Cela étant, cet expert ne s’est pas déterminé sur le diagnostic différentiel de SDRC, pourtant évoqué dans plusieurs rapports médicaux à sa disposition.

Consid. 6.5
En définitive, à la lecture de l’évaluation consensuelle des derniers experts [rapport du 28.06.2021], on constate qu’ils retiennent tout à la fois des troubles neurologiques d’origine fonctionnelle (troubles sensitivomoteurs mal systématisés, sans substrat neurologique périphérique ni central) et un SDRC. Une discussion relative à la compatibilité de ces deux diagnostics et à leurs éventuelles interactions aurait à tout le moins été nécessaire. En tout état de cause, il persiste des doutes sérieux quant aux diagnostics à retenir, à leur origine somatique ou psychiatrique, et au rôle que l’accident aurait joué dans le développement des troubles de l’assurée. Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’autorité cantonale pour qu’elle mette en œuvre une expertise judiciaire. Cette expertise devra revêtir une forme pluridisciplinaire (neurologique, rhumatologique, psychiatrique) intégrant une discussion de synthèse entre les divers experts consultés, lesquels devront notamment se prononcer sur les diagnostics, la causalité, éventuellement le statu quo sine vel ante ainsi que sur l’influence de ces diagnostics sur la capacité de travail et sur l’atteinte à l’intégrité.

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_71/2024 consultable ici

 

Motion Hurni 24.3226 «Pour des centres nationaux d’expertises médicales indépendantes» – Avis du Conseil fédéral

Motion Hurni 24.3226 «Pour des centres nationaux d’expertises médicales indépendantes» – Avis du Conseil fédéral

 

Motion consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé, en collaboration avec le secteur des assurances, de mettre en place les bases légales pertinente pour l’instauration de centres suisses d’expertises médicales indépendantes dont le champ d’application doit couvrir aussi bien les assurances sociales que privées, la responsabilité civile et étatique. Le financement, l’organisation et la saisine du centre doivent être réglé de sorte à contenir les coûts et le nombre de procédures.

 

Développement

Dans tous les domaines liés au droit de la santé (assurance RC d’un conducteur,  assurance privée ou Lamal d’indemnités journalières maladie, AI, évaluation perte de gain futur, erreur médicale,…) l’expertise est un point central. Qu’il s’agisse d’une procédure judiciaire ou arbitrale ou même de discussions transactionnelles, l’expertise a un poids immense. Or, ces dernières années, de nombreux scandales ont émaillé l’actualité (Corela, PMEDA,…). Ces scandales se comprennent facilement dans la mesure où c’est, de façon générale, l’assurance, respectivement la partie la plus forte (hôpital) qui paie l’expertise ce qui peut créer un conflit d’intérêt ou à tout le moins une apparence de conflit d’intérêt. En effet, si la plupart des experts respectent absolument l’indépendance nécessaire, il existe de  cas où un soupçon fondé de partialité demeure. La Confédération a certes agi en instaurant dans la réforme de l’AI des améliorations ainsi que l’instauration d’une commission fédérale (commission fédérale d’assurance qualités des expertises médicales (COQEM)), mais il n’en demeure pas moins que, trop souvent, les personnes atteintes dans leur santé ne peuvent pas remettre en cause l’expertise quand bien même les critiques sont valables. Il semblerait pertinent, sans remettre fondamentalement en cause le système, qu’un centre indépendant d’expertise médicale existe pour les cas où une expertise doit être remise en question ou lorsque les parties ne s’entendent pas sur l’expert. Son financement pourrait être assurés par l’ensemble du secteur des assurances, comme les modèles des ombudsman. Ce centre aurait l’immense avantage d’être indépendant car non lié à un contrat particulier avec une assurance et permettrait, dans les cas litigieux, d’obtenir un avis pertinent et véritablement indépendant. Par ailleurs, ce centre pourrait évidemment épouser la structure fédéraliste et serait supervisé par la COQEM.

 

Avis du Conseil fédéral du 15.05.2024

Le problème principal qui se pose actuellement dans le domaine de l’expertise en Suisse est celui du manque d’experts qualifiés, notamment dans les assurances sociales et, plus particulièrement, dans l’assurance-invalidité (AI). Chaque année, l’AI fait réaliser environ 15 000 expertises dans les disciplines médicales les plus variées. Les exigences accrues en matière de qualification se traduisent par une diminution du nombre d’experts disponibles, entraînant de longs temps d’attente. Les nouveautés introduites dans le cadre du développement continu de l’AI en ce qui concerne la répartition des expertises (par ex. principe aléatoire pour les expertises bidisciplinaires, procédure de conciliation pour les expertises monodisciplinaires, liste concernant l’attribution des expertises, enregistrements sonores) ont au moins eu pour effet que l’attribution d’expertises monodisciplinaires est très bien acceptée par les assurés.

Le Conseil fédéral voit positivement la création de nouveaux centres d’expertise. Cependant, les institutions visées par la motion – et qui joueraient le rôle d’un organe d’arbitrage ou de médiation disposant de nombreuses disciplines – iraient  bien au-delà du simple centre. Outre le financement équivoque, ces nouvelles institutions auraient des conséquences importantes, notamment sur le déroulement des procédures, les règles relatives à la force probante et l’appréciation matérielle par les tribunaux. Établir ces centres et les procédures correspondantes impliquerait de modifier le droit social, le droit privé, le droit de la responsabilité de l’État et le droit de la responsabilité civile, ainsi que le droit de procédure. En même temps, cela reviendrait notamment à invalider les procédures propres aux différentes branches d’assurance et qui ont fait leurs preuves, à introduire des solutions spéciales et à revenir sur les améliorations de l’AI mentionnées ci-dessus.

Le Conseil fédéral estime donc que la création d’un petit nombre de ces centres d’expertises nationaux pour toutes les branches d’assurance et d’autres domaines ne permettrait pas d’atteindre l’objectif visé. Il serait plutôt favorable à ce que les hôpitaux publics, et donc les cantons, s’engagent plus fortement afin d’augmenter le nombre d’experts disponibles dans les institutions de droit public des différentes régions linguistiques (cf. www.ofas.admin.ch > Publications & Services > Communiqués de presse > Communiqués de presse dans l’ordre chronologique > 13.10.2020 > AI : amélioration ciblée de la surveillance et des expertises médicales ; rapport d’experts du 10.8.2020, adopté par le Conseil fédéral et publié le 13.10.2020).

 

Proposition du Conseil fédéral

Rejet

 

Motion Hurni 24.3226 «Pour des centres nationaux d’expertises médicales indépendantes» consultable ici

 

Mozione Hurni 24.3226 “Per centri peritali nazionali indipendenti” disponibile qui

Motion Hurni 24.3226 «Für nationale Zentren zur unabhängigen medizinischen Begutachtung» hier abrufbar

 

Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier

Vous trouverez dans l’édition de Jusletter du 13 mai 2024 ma contribution «Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier».

 

Résumé :

L’arène des assurances sociales est le théâtre de nombreux défis au quotidien. Le traitement des rapports médicaux et des expertises médicales est un élément central lors de l’examen du droit aux prestations dans ce domaine complexe et crucial. Dans cet environnement, la valeur probante des rapports médicaux et des expertises médicales revêt une importance significative pour déterminer le droit aux prestations des personnes assurées.

 

Publication : David Ionta, Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier, in : Jusletter 13 mai 2024