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9C_513/2023 (f) du 08.04.2024 – Restitution par les héritiers de rentes de vieillesse indûment perçues / 25 LPGA – 2 OPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_513/2023 (f) du 08.04.2024

 

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Restitution par les héritiers de rentes de vieillesse indûment perçues / 25 LPGA – 2 OPGA

 

B.__, né en 1938, a perçu dès le 01.08.2003 une rente de vieillesse de l’AVS. L’assuré est retourné vivre en Espagne, où il est décédé en mars 2015. La caisse de compensation a continué à verser la rente de vieillesse sur le compte de feu l’assuré sur la foi de certificats d’existence en vie, d’état civil et de domicile établis les 24.11.2015, 18.11.2016 et 28.11.2017 et assortis d’un timbre de la ville de domicile du défunt.

Après avoir eu connaissance du décès de feu l’assuré le 29.08.2018, la caisse de compensation a réclamé à chacun des trois enfants du défunt (A.__, C.__ et D.__) la restitution intégrale d’un montant de 87’576 fr., correspondant à 41 rentes d’un montant mensuel de 2’136 fr. versées indûment du 01.04.2015 au 31.08.2018 (décisions du 20.02.2019). A cette occasion, la caisse de compensation a également informé les intéressés de la possibilité de demander une remise de la somme à restituer dans les trente jours à compter de l’entrée en force de la décision de restitution. Le 28.02.2019, A.__ a formé opposition à la décision de restitution, en demandant à être « totalement désolidarisé de cette affaire ». La caisse de compensation a rejeté l’opposition du prénommé et confirmé sa décision du 20.02.2019 le concernant (décision sur opposition du 17.05.2019).

 

Procédure cantonale (arrêt C-2998/2019 – consultable ici)

Par jugement du 27.06.2023, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 2.1
Le litige porte sur l’obligation du recourant de restituer le montant de 87’576 fr., correspondant aux rentes de vieillesse versées indûment par la caisse de compensation sur le compte de feu son père en vertu des art. 25 al. 1, 1re phrase, LPGA et 2 al. 1 let. a OPGA. Compte tenu des motifs et conclusions du recours, est seule litigieuse la question de savoir si cette obligation est opposable à A.__.

Le prénommé ne conteste pas le caractère indu des rentes versées d’avril 2015 à août 2018 (soit dès le mois suivant celui au cours duquel est survenu le décès de son père; cf. art. 21 al. 2 LAVS; arrêt H 339/01 du 17 juin 2002 consid. 4b), ni le montant à restituer. Il ne prétend pas non plus que la caisse de compensation n’aurait pas respecté les délais de péremption relatif (d’une année dès la connaissance le 29.08.2018 du décès de B.__ survenu mars 2015) et absolu (de cinq ans après le versement des prestations servies dès avril 2015) prévus par l’art. 25 al. 2 LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, applicable en l’espèce (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1).

Consid. 2.2
A la suite des juges précédents, on rappellera que selon l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile. Aux termes de l’art. 2 al. 1 let. a OPGA, sont soumis à l’obligation de restituer le bénéficiaire des prestations allouées indûment ou ses héritiers.

 

Consid. 3.2.1
Comme l’a dûment exposé l’instance précédente, l’art. 2 al. 1 let. a OPGA concrétise la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances, selon laquelle la dette de la personne tenue à restitution passe aux héritiers – sauf répudiation de la succession – au décès de cette dernière (ATF 105 V 82 consid. 3; 96 V 73 consid. 1), même lorsque l’administration n’a pas fait valoir la créance en restitution du vivant de la personne tenue à restitution (ATF 129 V 70 consid. 3 et l’arrêt cité). En effet, les droits et les obligations pécuniaires du de cujus qui ressortissent au droit public sont transmis aux héritiers avec le reste de son patrimoine; par conséquent, la dette en restitution du défunt devient une dette personnelle des héritiers. L’obligation de restitution du de cujus passe aux héritiers (à condition qu’ils acceptent la succession) même lorsqu’elle n’a pas encore fait l’objet d’une décision; il suffit pour cela que la dette découle d’un rapport de droit que l’assuré a créé de son vivant. En vertu du principe de l’universalité de la succession, les héritiers peuvent, même dans ce cas, être recherchés personnellement pour l’entier de la dette (rapport externe; arrêt P 32/06 du 14 novembre 2006 consid. 3.3 et les références citées). Celui des héritiers qui restitue effectivement le montant indûment perçu est libre, dans un second temps, d’intenter une action récursoire contre les autres héritiers (ici, le frère et la sœur du recourant) afin qu’ils assument leur part de la dette (rapport interne).

Consid. 3.2.2
Le recourant ne conteste pas les considérations de la juridiction de première instance sur le droit des successions espagnol, en particulier sur le principe de la succession universelle et sur la dévolution successorale, ni celles selon lesquelles il a accepté purement et simplement de manière tacite la succession de feu son père et doit être considéré comme son héritier au sens de l’art. 2 al. 1 let. a OPGA.

En conséquence, dès lors que la créance en restitution porte sur des prestations versées (en trop) à B.__ pour la période allant du 01.04.2015 au 31.08.2018 et relève d’un rapport de droit créé du vivant de celui-ci (à savoir la décision du 11.07.2003 portant sur la rente de vieillesse à partir du 01.08.2003), l’obligation de restitution a passé au recourant, même si c’est après le décès de feu l’assuré que les prestations ont été versées de manière indue et que la décision de restitution a été prise par la caisse de compensation, comme l’ont dûment exposé les juges précédents.

Consid. 3.2.3
Par ailleurs, c’est en vain que le recourant se prévaut des « agissements » de sa soeur. Etant donné que le principe de la restitution prévue par l’art. 25 al. 1, 1re phrase, LPGA doit permettre de rétablir l’ordre légal après la découverte du fait nouveau, il n’est tempéré ni par une éventuelle absence de violation de l’obligation de renseigner ni par un élément d’ordre subjectif comme la faute; ces questions ne se posent que dans le cadre d’un éventuel examen sur la remise de la somme à restituer (cf. ATF 139 V 6 consid. 3; 132 V 134 consid. 2e), qu’il est loisible au recourant de demander dans les 30 jours à compter du prononcé du présent arrêt (cf. art. 25 al. 1, 2e phrase, LPGA et art. 4 al. 4 OPGA).

Consid. 3.3
En définitive, il n’y a pas lieu de s’écarter de la conclusion de la juridiction précédente, selon laquelle le recourant est tenu de restituer le montant de 87’576 fr. versé indûment par la caisse de compensation à feu son père en vertu des art. 25 al. 1, 1re phrase, LPGA et 2 al. 1 let. a OPGA. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 9C_513/2023 consultable ici

 

8C_662/2023 (f) du 22.03.2024 – Droit aux prestations complémentaires cantonales – Condition du domicile et de la résidence habituelle / Séjour à l’étranger de plus de 90 jours – Restitution des prestations complémentaires indûment perçues

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2023 (f) du 22.03.2024

 

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Droit aux prestations complémentaires cantonales – Condition du domicile et de la résidence habituelle / 2 al. 1 LPCC [GE] – 13 LPGA – 23 à 26 CC

Séjour à l’étranger de plus de 90 jours – Restitution des prestations complémentaires indûment perçues

Objet du litige

 

L’assuré touche des prestations complémentaires cantonales à sa rente d’invalidité depuis le 01.03.2007. Il perçoit en outre des subsides de l’assurance-maladie, lesquels ont également été octroyés à son épouse et à ses quatre enfants. Le 20.03.2018, le Service des prestations complémentaires (SPC) a sollicité de l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) une enquête sur la domiciliation de l’assuré. Dans son rapport d’entraide administrative interdépartementale du 21.03.2019, l’enquêteur mandaté par l’OCPM a notamment constaté que selon le passeport de l’intéressé, celui-ci était parti à l’étranger pour une durée largement supérieure à 90 jours par année lors des trois années précédentes, soit 172 jours en 2016, 200 jours en 2017 et 131 jours en 2018.

Par décision du 20.06.2019, le SPC a réclamé à l’assuré la restitution d’un montant de CHF 59’985, correspondant aux prestations complémentaires versées pour la période du 01.01.2017 au 30.06.2019.

Statuant par décisions séparées du 24.06.2019, le SPC a requis la restitution de CHF 5’788, correspondant à des rentes complémentaires pour enfant de l’AVS/AI, pour la période du 01.07.2012 au 31.12.2016. Il a recalculé le droit aux prestations complémentaires pour la période du 01.01.2018 au 30.06.2019, ce qui générait un solde rétroactif de CHF 36’336 en faveur de l’assuré et a réclamé le remboursement de CHF 20’301, correspondant à des subsides de l’assurance-maladie pour l’année 2017. Enfin, il a requis la restitution de CHF 2’502, correspondant à des subsides de l’assurance-maladie pour l’année 2017.

Par décisions séparées du 09.07.2019, le SPC a demandé à l’assuré le remboursement de frais médicaux à hauteur de CHF 1’990.45 pour lui-même, CHF 1’985.80 pour son épouse et CHF 596.30, respectivement CHF 506.95, pour deux de ses enfants.

Par décision sur opposition du 26.07.2021, le SPC a rejeté les oppositions formées par l’assuré contre les décisions des 20.06.2019 et 24.06.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/673/2023 – consultable ici)

Par jugement du 31.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Il convient tout d’abord de préciser l’objet du litige.

Consid. 3.1
L’assuré conteste la restitution d’un premier montant de CHF 59’985, correspondant aux prestations complémentaires versées du 1 er janvier 2017 au 30 juin 2019, ainsi que d’un second montant de CHF 20’301, correspondant à des subsides de l’assurance-maladie pour l’année 2017. Il demande également que son droit à des prestations complémentaires pour les années 2017, 2018 et 2019, ainsi qu’à des subsides de l’assurance-maladie pour l’année 2017, soit reconnu.

Consid. 3.2
Amenés à circonscrire l’objet du litige en procédure cantonale, les juges cantonaux ont constaté que l’assuré s’était opposé à la décision du 20.06.2019, réclamant la restitution de CHF 59’985, et à celle du 24.06.2019 qui exigeait la restitution de CHF 20’301, en faisant valoir que son absence de Genève durant 200 jours en 2017 était justifiée par des raisons médicales. Il n’avait, en revanche, pas contesté les autres décisions des 24.06.2019 et du 09.07.2019 demandant la restitution de diverses prestations. L’examen de l’opposition avait été ainsi limité à la question de la résidence habituelle dans le canton de Genève, à laquelle était subordonné le droit aux prestations complémentaires. Dans son recours cantonal, l’assuré contestait devoir rembourser les montants de CHF 59’985 et CHF 20’301 pour les mêmes motifs que ceux exposés dans son opposition.

La cour cantonale a ajouté qu’en cours de procédure, le SPC avait expliqué que la suppression du droit aux prestations complémentaires pour l’année 2017 avait nécessité l’annulation, dans le système informatique, des prestations complémentaires allouées du 01.01.2017 au 30.06.2019 ; comme l’assuré avait été mis au bénéfice de prestations complémentaires pour la période rétroactive du 01.01.2018 au 30.06.2019, le SPC lui devait encore CHF 312 pour cette période. Toujours selon le SPC, en définitive, il était exigé de l’assuré la restitution d’un montant de CHF 23’649, correspondant aux prestations complémentaires octroyées pour l’année 2017. La juridiction cantonale en a conclu que le litige portait uniquement sur le point de savoir si le SPC avait, à juste titre, retenu que l’assuré n’avait pas sa résidence habituelle dans le canton de Genève en 2017, et requis la restitution des prestations complémentaires cantonales et des subsides de l’assurance-maladie versés du 01.01.2017 au 31.12.2017.

Consid. 3.3
L’assuré ne formule aucun grief à l’encontre de l’appréciation du tribunal cantonal, qui ne prête au demeurant pas le flanc à la critique. Aussi, l’objet du présent litige soumis au Tribunal fédéral ne saurait aller au-delà de la question de la restitution des prestations complémentaires cantonales et des subsides de l’assurance-maladie perçus par l’assuré pour l’année 2017. Dès lors, sa conclusion tendant à reconnaître son droit aux prestations complémentaires pour les années 2018 et 2019, qui excède l’objet du litige et échappe au pouvoir de cognition du Tribunal fédéral, est irrecevable.

 

Consid. 5
En l’espèce, les juges cantonaux ont observé que selon le rapport de l’enquêteur de l’OCPM, l’assuré avait séjourné 200 jours à l’étranger en 2017, soit plus de six mois. Ce dernier avait du reste admis avoir séjourné plus de six mois au Kosovo cette année-là, en effectuant des voyages à répétition. Rappelant qu’une absence à l’étranger au-delà de trois mois n’interrompait pas le droit aux prestations complémentaires jusqu’à une année si elle avait été dictée par des raisons valables, voire au-delà d’une année si elle s’était prolongée pour des motifs contraignants ou imprévisibles, la juridiction cantonale s’est attelée à examiner si des raisons valables avaient justifié l’absence de l’assuré du canton de Genève durant 200 jours en 2017. A cet égard, l’intéressé invoquait des motifs médicaux et le climat au Kosovo, plus supportable. Selon les pièces médicales versées au dossier, il souffrait de douleurs chroniques au niveau de la nuque et du dos, de maux de tête, de vertiges et d’un syndrome neuropsychiatrique. Ses médecins indiquaient que les douleurs chroniques étaient aggravées par les changements climatiques et que sa présence au Kosovo, où il parlait sa langue maternelle et se trouvait auprès de sa famille et de ses proches, dans un milieu naturel, améliorait son état de santé. Les médecins ne faisaient toutefois que rapporter les dires de leur patient. Par ailleurs, selon les tableaux « historique de la météo en 2017 » pour ces deux lieux, le climat au Kosovo était quasi-identique à celui de Genève en 2017. L’explication selon laquelle l’assuré serait resté davantage au Kosovo l’année en question, pour éviter une aggravation de ses douleurs chroniques due au changement de temps, n’emportait ainsi pas la conviction. En outre, il n’avait produit aucun rapport médical attestant l’existence, au Kosovo, d’un traitement inexistant à Genève, ou d’une décompensation psychique durant les périodes où il résidait à Genève. Selon la jurisprudence, les raisons d’ordre social, familial et personnel n’étaient pas pertinentes. Au demeurant, il existait à Genève, voire à Lausanne, des associations où l’assuré pouvait échanger en albanais avec d’autres membres de sa communauté. Enfin, la campagne genevoise lui permettait de passer des moments agréables, seul ou en famille.

L’instance cantonale a conclu qu’à défaut de raisons valables ayant justifié le séjour de l’assuré à l’étranger durant 200 jours en 2017, le SPC avait considéré à juste titre qu’il n’avait pas droit aux prestations complémentaires cantonales – conditionné notamment à l’exigence d’une résidence habituelle dans le canton de Genève – du 01.01.2017 au 31.12.2017. Dès lors que les subsides de l’assurance-maladie étaient notamment destinés aux bénéficiaires de prestations complémentaires à l’AVS/AI, c’était également à tort que l’assuré avait perçu de tels subsides pour lui et sa famille en 2017.

La cour cantonale a finalement constaté que le SPC avait été informé en mars 2019 de l’absence du maintien de la résidence effective de l’assuré dans le canton de Genève durant l’année 2017. En réclamant, par décisions des 20.06.2019 et 24.06.2019, la restitution des prestations complémentaires et des subsides de l’assurance-maladie versés à tort pour l’année 2017, le SPC avait respecté tant le délai relatif d’une année, à compter du moment où il avait eu connaissance des faits, que le délai absolu de cinq ans après le versement des prestations.

 

Consid. 6.2
Il n’est pas contesté que l’assuré, installé dans le canton de Genève avec sa famille, a passé 200 jours au Kosovo en 2017. Les parties s’opposent en revanche sur le point de savoir si l’assuré avait, au sens de la loi, sa résidence habituelle dans le canton de Genève cette année-là. On notera que l’assuré a perçu pour l’année 2017 des prestations complémentaires exclusivement cantonales, et non fédérales. L’octroi de ces prestations, ainsi que leur restitution, relève donc du droit cantonal, tout comme les subsides de l’assurance-maladie. Dès lors, en la présente procédure, le Tribunal ne peut revoir les questions de droit que sous l’angle restreint de l’arbitraire, comme tel est le cas s’agissant de l’établissement des faits.

Quoi qu’en dise l’assuré, la cour cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire en considérant qu’il n’avait pas de raisons valables pour avoir séjourné 200 jours au Kosovo en 2017. Elle a exposé, de manière convaincante, que le climat dans ce pays était semblable à celui de Genève, que l’assuré avait la possibilité de côtoyer des personnes issues de sa communauté dans la région genevoise – où vivent également son épouse et ses enfants – et qu’il pouvait, si besoin, y trouver un environnement calme et apaisant. L’assuré, qui ne prend pas position sur ces éléments pertinents, ne les dément pas. Il se contente, de manière purement appellatoire, de répéter que ses séjours au Kosovo amélioreraient son état de santé, sans expliquer concrètement pour quelles raisons il ne pourrait pas trouver à Genève des conditions de vie similaires à celles prévalant dans son pays d’origine, étant rappelé que la Suisse abrite une importe communauté kosovare. En outre, comme sous-entendu par les juges cantonaux, les médecins de l’assuré n’ont pas fait état d’une diminution de ses souffrances qui puisse être objectivable. Pour le reste, l’assuré ne conteste pas qu’à défaut d’une résidence habituelle dans le canton de Genève en 2017, il n’a pas droit aux prestations complémentaires cantonales et, en corollaire, pas droit non plus aux subsides de l’assurance-maladie. Il ne prétend pas davantage que les conditions à la restitution des prestations indûment touchées ne seraient pas réunies.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_662/2023 consultable ici

 

9C_449/2022 (d) du 29.11.2023, destiné à la publication – Demande de restitution de rentes : date de début et respect du délai relatif / 6 LPP – 35a al. 2 LPP – 135 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_449/2022 (d) du 29.11.2023, destiné à la publication

 

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Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 163, ch. 1135

 

Demande de restitution de rentes : date de début et respect du délai relatif / 6 LPP – 35a al. 2 LPP – 135 CO

 

Le délai relatif visé à l’art. 35a al. 2 LPP est un délai de péremption. Concernant le moment auquel le délai commence à courir, la jurisprudence relative à l’(ancien) art. 25 al. 2 LPGA s’applique par analogie ; concernant le respect du délai, l’art. 135 CO s’applique par analogie.

Dans un courrier de mai 2021, l’institution de prévoyance demande à l’assuré W. de lui restituer des prestations de rente versées en trop. En effet, en raison d’un calcul erroné de la surindemnisation basé sur une évaluation excessive des revenus avec et sans invalidité, elle lui versait une rente trop élevée depuis le 01.05.2016. L’assuré s’oppose à cette demande et porte l’affaire en justice. Selon lui, le droit de demander la restitution des prestations octroyées entre le 01.05.2016 et le 31.05.2021 est en grande partie déjà prescrit resp. frappé de péremption, car l’institution de prévoyance l’a fait valoir trop tard. De son côté, l’institution de prévoyance affirme dans sa réponse au recours du 23.11.2021 qu’elle n’a été informée ni par l’office AI ni par l’assuré de la révision à la baisse des revenus avec et sans invalidité, et qu’elle n’en a eu connaissance qu’à la réception du dossier AI complet en avril 2021.

Dans la présente procédure devant le Tribunal fédéral, la question litigieuse à examiner est notamment celle de la date de début et du respect du délai relatif visé à l’(ancien) art. 35a al. 2 LPP.

Le Tribunal fédéral constate d’abord qu’en l’absence de règles relatives aux conflits de lois dans la base légale applicable, il convient de se référer aux principes généraux du droit intertemporel. Ainsi, l’ancien art. 35a LPP était applicable jusqu’à l’entrée en vigueur de sa version révisée le 1er janvier 2021. À partir de ce moment, c’est le nouvel art. 35a qui s’applique, même pour les droits nés, devenus exigibles mais pas encore prescrits avant cette date. Dans la prévoyance professionnelle, il faut en outre tenir compte de l’art. 6 LPP : ainsi, si le règlement de prévoyance prévoit des dispositions plus avantageuses que la loi pour l’assuré, ce sont ces dispositions qui s’appliquent. Dans le cas présent, le règlement prévoit, même après le 1er janvier 2021, un délai de prescription, ce qui est plus avantageux pour l’assuré que le délai de péremption défini à l’art. 35a al. 2 LPP.

Concernant le moment auquel le délai relatif de prescription ou de péremption fixé à l’art. 35a al. 2 LPP [tant dans sa version actuelle que dans celle en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020] commence à courir, le Tribunal fédéral estime que la jurisprudence au sujet de l’(ancien) art. 25 al. 2 LPGA s’applique par analogie. Ainsi, le moment déterminant pour l’institution de prévoyance est celui auquel elle aurait pu ou dû reconnaître son erreur après avoir fixé le montant de la rente pour la première fois. Selon le Tribunal fédéral, en l’espèce, ce n’est pas la date à laquelle l’institution de prévoyance a reçu le dossier AI complet (avril 2021) qui est déterminante, mais celle à laquelle elle a procédé au premier recalcul de la rente (07.08.2018). Pour ce qui est du délai relatif de prescription ou de péremption visé à l’art. 35a al. 2 LPP, seules les actions citées à l’art. 135 CO sont pertinentes. On peut notamment considérer que l’institution de prévoyance a respecté le délai si elle fait valoir une exception devant un tribunal. Dans le cas présent, le courrier adressé à l’assuré en mai 2021 ne suffit donc pas.

Dans le cas concret, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion qu’en vertu des principes du droit intertemporel et du règlement de prévoyance, on peut considérer que la réponse au recours (exception) de l’institution de prévoyance datée du 23.11.2021 respecte le délai relatif applicable à la demande de restitution pour les prestations versées du 23.11.2020 au 31.05.2021. Pour celles versées entre le 01.05.2016 et le 22.11.2020, en revanche, la demande a été faite trop tard.

 

Arrêt 9C_449/2022 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 163, ch. 1135

 

8C_441/2023 (f) du 21.12.2023 – Remboursement d’indemnités en cas de RHT – Absence de système de contrôle du temps de travail fiable / Demande de remise refusée – Bonne foi niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_441/2023 (f) du 21.12.2023

 

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Remboursement d’indemnités en cas de RHT – Absence de système de contrôle du temps de travail fiable / 31 al. 1 LACI – 46b OACI – 25 al. 1 LPGA

Demande de remise refusée – Bonne foi niée

 

 

Le 16.03.2020, A.__ SA (ci-après : la société), qui a pour but social « toutes activités de commerce de tous produits via internet », a déposé auprès de l’Office cantonal de l’emploi (OCE) un préavis de réduction de l’horaire de travail (RHT) du 20.03.2020 au 20.06.2020, pour 20 de ses 25 employés, en estimant la perte de travail à 75%.

L’indemnité en cas de RHT a été octroyée du 20.03.2020 au 19.06.2020. La société a transmis les décomptes signés et datés et a requis les indemnités en cas de RHT. Celles-ci ont été versées pour les mois de mars (73’661 fr. 40), avril (29’922 fr. 80) et mai 2020 (17’939 fr. 55).

Par décision du 30.03.2022, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a demandé à la société de rembourser à la caisse de chômage un montant de 121’523 fr. 75 pour les indemnités versées à tort entre mars et mai 2020. En l’absence d’un système de contrôle du temps de travail fiable ou d’autres documents pouvant justifier que les indemnités avaient été perçues à bon droit, en d’autres termes que la perte de travail était effectivement due à des facteurs d’ordre économique, il était impossible de procéder à une telle vérification, de sorte que le droit à l’indemnité en cas de RHT devait être nié. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une opposition.

Le 30.05.2022, la société a demandé à la caisse de chômage la remise de son obligation de restituer, en invoquant sa bonne foi et le fait qu’un remboursement l’exposerait à une situation de surendettement.

Par décision, confirmée sur opposition, l’OCE a refusé la remise de la somme de 121’523 fr. 75, motif pris que la société ne pouvait pas se prévaloir de sa bonne foi au moment de la perception des indemnités. Celle-ci savait – avant même de percevoir ces indemnités – qu’elle ne possédait pas de système de contrôle du temps de travail, alors que cette obligation ressortait de nombreux documents qu’elle avait signés. Son comportement était constitutif d’une négligence grave excluant la bonne foi.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/424/2023 – consultable ici)

Par jugement du 12.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail lorsqu’ils remplissent les conditions décrites à l’art. 31 al. 1 let. a à d LACI. Selon l’art. 31 al. 3 let. a LACI, n’ont notamment pas droit à l’indemnité les travailleurs dont la réduction de l’horaire de travail ne peut pas être déterminée ou dont l’horaire de travail n’est pas suffisamment contrôlable. Aux termes de l’art. 46b OACI, la perte de travail n’est suffisamment contrôlable que si le temps de travail est contrôlé par l’entreprise (al. 1); l’employeur conserve les documents relatifs au contrôle du temps de travail pendant cinq ans (al. 2).

Consid. 3.2.1
Aux termes de l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées (première phrase); la restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile (seconde phrase). Ces deux conditions matérielles sont cumulatives et leur réalisation est nécessaire pour que la remise de l’obligation de restituer soit accordée (ATF 126 V 48 consid. 3c; arrêt 8C_207/2023 du 7 septembre 2023 consid. 3.3 et l’arrêt cité).

Consid. 3.2.2
Selon la jurisprudence, l’ignorance, par le bénéficiaire des prestations, du fait qu’il n’avait pas droit aux prestations ne suffit pas pour admettre sa bonne foi. Il faut bien plutôt que le requérant ne se soit rendu coupable, non seulement d’aucune intention malicieuse, mais aussi d’aucune négligence grave. Il s’ensuit que la bonne foi, en tant que condition de la remise, est exclue d’emblée lorsque les faits qui conduisent à l’obligation de restituer – comme par exemple une violation du devoir d’annoncer ou de renseigner – sont imputables à un comportement dolosif ou à une négligence grave. On parlera de négligence grave lorsque l’ayant droit ne se conforme pas à ce qui peut raisonnablement être exigé d’une personne capable de discernement dans une situation identique et dans les mêmes circonstances (ATF 110 V 176 consid. 3d; arrêt 8C_34/2022 du 4 août 2022 consid. 4.2). En revanche, le bénéficiaire peut invoquer sa bonne foi lorsque l’acte ou l’omission fautifs ne constituent qu’une violation légère de l’obligation d’annoncer ou de renseigner (ATF 138 V 218 consid. 4; 112 V 97 consid. 2c; arrêt 8C_34/2022 consid. 4.2 précité).

Les comportements excluant la bonne foi ne sont pas limités aux violations du devoir d’annoncer ou de renseigner; peuvent entrer en ligne de compte également d’autres comportements, notamment l’omission de se renseigner auprès de l’administration (arrêt 9C_318/2021 du 21 septembre 2021 consid. 3.1). La mesure de l’attention nécessaire qui peut être exigée doit être jugée selon des critères objectifs, où l’on ne peut occulter ce qui est possible et raisonnable dans la subjectivité de la personne concernée (faculté de jugement, état de santé, niveau de formation etc.; ATF 138 V 218 consid. 4). L’examen de l’attention exigible d’un ayant droit qui invoque sa bonne foi relève du droit et le Tribunal fédéral revoit librement ce point (ATF 122 V 221 consid. 3; 102 V 245 consid. b; arrêt 8C_557/2021 du 17 février 2022 consid. 4).

Consid. 5.2
Selon les faits constatés par les juges cantonaux, la société n’a mis en place aucun système de contrôle du temps de travail de ses collaborateurs pour lesquels elle a requis des indemnités en cas de RHT. Elle ne le conteste pas. Il est également constant que son attention a été attirée à maintes reprises sur son obligation d’effectuer un contrôle du temps de travail. Le préavis de RHT, la décision de l’OCE du 18.03.2020 ainsi que les décomptes de mars à mai 2020 mentionnaient clairement que la société devait instaurer un tel contrôle (au moyen par exemple de cartes de timbrage ou de rapports sur les heures) portant sur les heures de travail fournies quotidiennement, les heures perdues pour des raisons économiques et tout autre type d’absence. Ces informations détaillées ne pouvaient pas laisser penser à un employeur consciencieux qu’il pouvait être renoncé à l’introduction d’un système permettant d’attester les heures effectives de travail quotidiennes. La société recourante admet d’ailleurs avoir cherché à installer un tel système. En tant qu’elle soutient que l’administration aurait été saturée au début de la crise sanitaire, à tel point qu’il n’aurait pas été possible de se renseigner auprès de l’OCE, elle s’écarte des faits retenus dans l’arrêt entrepris, sans expliquer, conformément aux exigences de motivation posées par la loi, en quoi les constatations des juges cantonaux seraient manifestement inexactes ou incomplètes. Au demeurant, rien n’indique qu’à cette période, le site internet et/ou les lignes téléphoniques de l’OCE aient été surchargés au point que la société n’aurait pas pu obtenir des renseignements.

Ainsi, malgré la crise sanitaire et les difficultés qui y étaient liées, la société a été dûment informée de ses obligations de contrôle du temps de travail. Il lui était en outre loisible de requérir de plus amples informations auprès de l’OCE, notamment au moment où elle aurait pris conscience des entraves liées à la mise en place d’un système de contrôle. On ajoutera qu’il n’était pas exigé qu’elle aménageât un système complexe et/ou coûteux. Les heures de travail ne doivent en effet pas nécessairement être enregistrées mécaniquement ou électroniquement; une présentation suffisamment détaillée et un relevé quotidien en temps réel des heures de travail au moment où elles sont effectivement accomplies suffisent (arrêt 8C_699/2022 du 15 juin 2023 consid. 5.1.2 et les arrêts cités). On ne voit pas que les difficultés engendrées par la crise sanitaire aient pu faire obstacle à un simple relevé quotidien des heures de travail. Au vu de tout ce qui précède, c’est à bon droit que la cour cantonale a considéré que la société avait commis une négligence grave excluant sa bonne foi, de sorte que sa demande de remise devait être rejetée, sans qu’il soit nécessaire de trancher le point de savoir si la restitution des indemnités l’exposait à une situation économique difficile. Peu importe également de savoir si l’OCE s’est prononcé ou non sur cette seconde condition. L’arrêt attaqué échappe ainsi à la critique et le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de la société.

 

Arrêt 8C_441/2023 consultable ici

 

9C_294/2023 (f) du 20.12.2023 – Rentiers AVS mariés puis séparés – Rente de vieillesse non-plafonnée – Notion de ménage commun / Violation du devoir d’informer – Restitution des prestations

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_294/2023 (f) du 20.12.2023

 

Consultable ici

 

Rentiers AVS mariés puis séparés – Rente de vieillesse non-plafonnée – Notion de ménage commun / 35 LAVS

Violation du devoir d’informer – Restitution des prestations / 31 al. 1 LPGA – 25 LPGA

 

B.A.__, née en 1943, et A.A.__, né en 1939, se sont mariés en 1965 et séparés en 2004. Ils percevaient tous deux une rente de vieillesse non-plafonnée, depuis le 01.12.2004 pour l’époux et le 01.03.2005 pour l’épouse (décisions de la caisse professionnelle de compensation). La caisse cantonale de compensation a repris le versement de la rente de B.A.__ dès le 01.07.2008. La caisse cantonale de compensation a été informée le 17.09.2013 que l’assurée était domiciliée à la rue de V.__ à U.__ depuis le 12.09.2013. Le 25.09.2013, la caisse professionnelle de compensation a appris que A.A.__ résidait à l’adresse mentionnée depuis le 30.04.2013. La caisse cantonale de compensation a repris le versement de la rente de l’assuré dès le 01.12.2013.

A la suite d’un contrôle de dossiers, la caisse cantonale de compensation a plafonné le montant des rentes allouées aux époux, au motif qu’ils avaient repris la vie commune depuis le 12.09.2013, et réclamé la restitution d’un montant versé à tort du 01.05.2017 au 31.05.2022 de 36’036 fr. à l’assurée et de 36’097 fr. à l’assuré (décisions du 03.05.2022 confirmées sur opposition).

 

Procédure cantonale (arrêt AVS 20/22 – 3/2023 – consultable ici)

Par jugement du 14.03.2023, rejet des recours des époux A.__ par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
L’arrêt attaqué expose les normes et la jurisprudence indispensables à la résolution du litige, plus particulièrement celles concernant le devoir des assureurs de motiver leurs décisions (art. 49 al. 3 LPGA; art. 29 al. 2 Cst.; ATF 146 II 335 consid. 5.1; 141 V 557 consid. 3.2.1), ainsi que la nature formelle du droit d’être entendu et la possibilité de guérir les violations d’un tel droit (ATF 145 I 167 consid. 4.4; 144 I 11 consid. 5.3; 142 II 218 consid. 2.8.1). Il cite également les dispositions légales et les principes jurisprudentiels portant sur le droit à une rente ordinaire de l’assurance-vieillesse, sa naissance (art. 21 et 29 LAVS) et son calcul (art. 29bis ss LAVS), le plafonnement des rentes pour un couple (art. 35 LAVS; ATF 130 V 505 consid. 2.7), ainsi que la notion de ménage commun (arrêt I 399/02 du 30 avril 2003 consid. 1, en lien avec le ch. 5511 des Directives concernant les rentes [DR] de l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité fédérale [dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2022]). Il mentionne enfin les normes et la jurisprudence applicables aux conditions de la restitution de prestations indûment touchées (art. 25 al. 1 LPGA; ATF 142 V 259 consid. 3.2; art. 53 al. 1 et 2 LPGA; ATF 147 V 167 consid. 4.2; 144 V 245 consid. 5.1 et 5.2), à la péremption du droit de requérir leur restitution (art. 25 al. 2 LPGA; ATF 146 V 217 consid. 2.1), ainsi qu’à la détermination du moment de la connaissance des faits fondant l’obligation de restituer (ATF 140 V 521 consid. 2.1; arrêt 9C_589/2020 du 8 juillet 2021 consid. 2.2). Il suffit d’y renvoyer.

 

Consid. 5.1
Sur le fond, le tribunal cantonal a retenu que le fait pour les recourants de vivre sous le même toit depuis le 12.09.2013 (même si chacun occupait un étage différent et versait une partie du loyer du duplex qu’ils louaient à leur fils) constituait un fait nouveau important (au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA) justifiant la révision procédurale à laquelle avait procédé la caisse cantonale de compensation. Il a considéré que cette autorité n’avait pu avoir connaissance (au sens de l’art. 25 al. 2 LPGA) de la reprise de la vie commune des époux qu’au moment d’un contrôle de concordance de ses fichiers et du Registre des personnes effectué en avril 2022. Il a expliqué à cet égard qu’en se limitant à communiquer leur changement de domicile sans indiquer qu’ils vivaient à nouveau sous le même toit, les recourants avaient violé leur devoir d’informer (au sens de l’art. 31 al. 1 LPGA), qui leur avait au demeurant été expressément rappelé à l’occasion de la reprise de leurs dossiers par la caisse cantonale de compensation les 13.06.2008 et 18.11.2013. Il a par ailleurs rappelé que, selon la jurisprudence, le simple fait pour une caisse de compensation d’être avisée du changement d’adresse d’un bénéficiaire de rente ne permettait pas de justifier la mise en œuvre de démarches visant à contrôler l’exactitude des autres informations contenues dans le dossier. Il a considéré que le même raisonnement devait s’appliquer en cas de transfert du dossier à une autre caisse de compensation ou dans d’autres circonstances particulières telles qu’en l’occurrence, la rectification du calcul de la rente de l’assurée en raison de la découverte en 2016 d’un compte individuel additionnel. Il a déduit de ce qui précède que les décisions du 03.05.2022 avaient été rendues avant l’échéance du délai relatif de péremption de l’art. 25 al. 2 LPGA et que c’était à bon droit que la caisse cantonale de compensation avait réclamé la restitution des rentes versées indûment du 01.06.2017 au 31.05.2022.

Consid. 5.3
Les recourants se contentent pour l’essentiel de soutenir qu’ils ont respecté leur devoir d’informer en annonçant leur changement d’adresse ou en répondant aux questions qui leur étaient posées. Ils affirment en outre que la juridiction cantonale a à tort écarté des éléments tels que la mise à jour du dossier de l’assurée ou une conversation téléphonique avec une collaboratrice de la caisse cantonale de compensation. Ce faisant, ils ne critiquent pas directement l’arrêt attaqué mais se limitent à reprendre des griefs auxquels les juges cantonaux ont apporté une réponse circonstanciée et à en déduire une conclusion différente, à savoir que la caisse cantonale de compensation aurait dû avoir connaissance du fait qu’ils vivaient en collocation depuis le 17.09.2013 si elle avait fait preuve de l’attention qu’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. Ils procèdent ainsi à leur propre appréciation de la situation sans démontrer en quoi les considérations du tribunal cantonal seraient contraires au droit ou arbitraires. Invoquer dans ce contexte de l’arrêt 8C_709/2020 du 6 septembre 2021 n’est d’aucune utilité aux recourants. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a effectivement confirmé qu’une demande de révision, déposée le 25.04.2019 et fondée sur un rapport médical posant un nouveau diagnostic (maladie de Lyme) en mars 2019, était tardive dès lors que le diagnostic en question se fondait sur des examens pratiqués entre février et juillet 2017, dont les résultats avaient selon toute vraisemblance été transmis à l’assuré, et avait été traité de façon spécifique et ciblée jusqu’en septembre 2019. Dans ces circonstances, l’assuré ne pouvait pas raisonnablement prétendre ignorer le motif de révision. A l’inverse, en l’espèce, une telle connaissance des éléments pertinents ne peut pas être imputée à la caisse cantonale de compensation dans la mesure où, selon les considérations non critiquées de la cour cantonale, les différents éléments invoqués par les recourants ne constituaient pas des indices justifiant de vérifier l’exactitude des autres informations contenues dans le dossier. De plus, les recourants se réfèrent en vain à la durée de leur séparation au moment de la communication du changement d’adresse par rapport à celle des assurés dont la cause a fait l’objet de l’arrêt 9C_180/2020 du 13 mai 2020. Le Tribunal fédéral n’a effectivement pas retenu un tel critère comme étant pertinent dans l’arrêt cité et les assurés n’avancent aucun argument qui justifierait de le faire.

 

Le TF rejette le recours des époux A.__.

 

Arrêt 9C_294/2023 consultable ici

 

9C_193/2021 (f) du 31.03.2022 – Dies a quo du délai de péremption relatif d’une année – 25 al. 2 LPGA / Effet de publicité et de notoriété des inscriptions du registre du commerce et leur publication dans la FOSC – 932 al. 2 aCO – 933 al. 1 aCO

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_193/2021 (f) du 31.03.2022

 

Consultable ici

 

Demande de restitution de prestations indûment perçues / 25 al. 2 LPGA

Dies a quo du délai de péremption relatif d’une année – Effet de publicité et de notoriété des inscriptions du registre du commerce et leur publication dans la FOSC / 932 al. 2 aCO – 933 al. 1 aCO

 

Assuré, né en 1963, exploitait en raison individuelle l’entreprise A.__ depuis 2001. Dépôt demande AI le 20.03.2008. Par décision du 20.05.2009, l’office AI a, en application de la méthode extraordinaire d’évaluation de l’invalidité, octroyé à l’intéressé une rente entière de l’assurance-invalidité dès le 01.09.2007, puis une demi-rente dès le 01.07.2008. Les 14.09.2009 et 19.04.2011, il a maintenu le droit de l’assuré à une demi-rente d’invalidité.

Le 23.02.2017, la Commission paritaire a informé l’office AI que l’assuré avait fait l’objet d’un contrôle sur un chantier de la société B.__ SA le 02.11.2016. Initiant une révision, l’office AI a versé à son dossier un extrait avec radiations du registre du commerce (du xx.04.2017). Selon cet extrait, A.__ a été déclaré en faillite le xx.12.2008 et l’inscription de la raison de commerce « A.__ » a été radiée d’office le xx.05.2010. Le 03.07.2017, l’office AI a entendu l’assuré, qui a indiqué que la société B.__ SA avait repris les clients de son entreprise à la suite de sa faillite (du xx.12.2008). Depuis une année à une année et demi, il travaillait pour cette société sur appel à raison de quatre à cinq heures par semaine. Par décision du 15.06.2018, l’office AI a supprimé le droit de l’assuré à une rente de l’assurance-invalidité avec effet au 01.05.2010, soit à la date de la radiation de l’entreprise du registre du commerce. Le recours formé par l’assuré a été rejeté par la cour cantonale (arrêt du 21.10.2019).

Le 08.08.2018, l’office AI a réclamé à l’assuré la restitution d’un montant de 84’879 fr., correspondant aux rentes perçues de juin 2013 à juin 2018. Dans sa décision, il a indiqué qu’une remise de l’obligation de restituer était d’emblée exclue, la bonne foi n’étant pas admise.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/73/2021 – consultable ici)

L’instance cantonale a étendu le litige à la remise de l’obligation de restituer. Par arrêt du 08.02.2021, la cour cantonale a rejeté le recours, confirmé la décision de restitution du 08.08.2018 et dit que les conditions de la remise n’étaient pas remplies.

 

TF

Consid. 2.2
Selon l’art. 25 al. 2 LPGA, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 (applicable en l’espèce [ATF 129 V 354 consid. 1]), le droit de demander la restitution s’éteint un an après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Si la créance naît d’un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est déterminant.

Il s’agit de délais (relatif et absolu) de péremption, qui doivent être examinés d’office (ATF 140 V 521 consid. 2.1). Le délai de péremption relatif d’une année commence à courir dès le moment où l’administration aurait dû connaître les faits fondant l’obligation de restituer, en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elle (ATF 140 V 521 consid. 2.1; 139 V 6 consid. 4.1). L’administration doit disposer de tous les éléments qui sont décisifs dans le cas concret et dont la connaissance fonde – quant à son principe et à son étendue – la créance en restitution à l’encontre de la personne tenue à restitution (ATF 146 V 217 consid. 2.1 et les références). Si l’administration dispose d’indices laissant supposer l’existence d’une créance en restitution, mais que les éléments disponibles ne suffisent pas encore à en établir le bien-fondé, elle doit procéder, dans un délai raisonnable, aux investigations nécessaires. A défaut, le début du délai de péremption doit être fixé au moment où elle aurait été en mesure de rendre une décision de restitution si elle avait fait preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. Dans tous les cas, le délai de péremption commence à courir immédiatement s’il s’avère que les prestations en question étaient clairement indues (arrêt 9C_454/2012 du 18 mars 2013 consid. 4, non publié in ATF 139 V 106, et les références).

Consid. 5.1
Selon la jurisprudence, lorsque la restitution est imputable à une faute de l’administration, on ne saurait considérer comme point de départ du délai (relatif) d’une année de l’art. 25 al. 2 LPGA le moment où l’erreur a été commise par l’administration, mais le moment auquel celle-ci aurait dû, dans un deuxième temps (par exemple à l’occasion d’un contrôle comptable) se rendre compte de son erreur en faisant preuve de l’attention requise (ATF 146 V 217 consid. 2.2). En effet, si l’on plaçait le moment de la connaissance du dommage à la date du versement indu, cela rendrait souvent illusoire la possibilité pour l’administration de réclamer le remboursement de prestations allouées à tort en cas de faute de sa part (ATF 124 V 380 consid. 1; arrêts 8C_968/2012 du 18 novembre 2013 consid. 2.2; 8C_719/2008 du 1er avril 2009 consid. 4.1).

Consid. 5.2
Dans le domaine des assurances sociales, le Tribunal fédéral a cependant souligné l’effet de publicité et de notoriété que le législateur fédéral attache aux inscriptions du registre du commerce et à leur publication dans la FOSC (ATF 122 V 270). Il a en particulier retenu que lorsque l’erreur de l’administration porte sur un élément auquel est attaché un effet de publicité, ladite autorité doit se laisser opposer la fiction selon laquelle elle est réputée avoir connaissance des inscriptions sur le registre du commerce (ATF 122 V 270 consid. 5 et les références; arrêts 8C_6/2021 du 14 avril 2021 consid. 4.3; 9C_1010/2009 du 28 mai 2010 consid. 3.4; 8C_293/2008 du 30 juillet 2009 consid. 4, in DTA 2009 p. 346). Cette fiction trouve sa justification dans l’opposabilité à tout tiers des faits contenus dans le registre du commerce (art. 933 al. 1 CO, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2020). Un report du point de départ du délai de péremption n’entre par conséquent pas en ligne de compte. L’abus de droit est réservé (ATF 123 III 220 consid. 3a; 106 II 346 consid. 4b; arrêt 8C_293/2008 précité consid. 4.6.2).

Consid. 5.3
En l’espèce, il résulte de la FOSC qu’il a été déclaré en état de faillite par jugement du Tribunal de première instance de la République et canton de Genève du xx.12.2008 (registre journalier du xxx février 2009, puis publié dans la FOSC du xxx mars 2009) et que l’inscription de la raison de commerce « A.__ » a été radiée d’office, la procédure de faillite ayant été clôturée (registre journalier du xx.05.2010, puis publiée dans la FOSC du xx.05.2010). Ces inscriptions sont opposables à l’office AI dès le jour ouvrable qui suit leur publication (anc. art. 932 al. 2 CO; arrêt 8C_6/2021 précité consid. 6.2.1).

Lorsqu’il a examiné les questionnaires pour la révision de la rente du 06.07.2009 et du 10.01.2011, l’office AI est dès lors réputé avoir déjà eu connaissance tout d’abord de la faillite personnelle de l’assuré (du xx.12.2008) puis de la radiation du registre du commerce de l’entreprise individuelle « A.__ » (du xx.05.2010). Dans les deux questionnaires, l’assuré a par ailleurs coché la case « sans activité lucrative » (parmi les cases « salarié », « indépendant », « agriculteur », « occupé aux travaux de votre propre ménage » et « sans activité lucrative ») et produit le bilan de son entreprise individuelle (arrêté au xx.12.2008, date de sa faillite personnelle). Par conséquent, l’administration disposait alors de suffisamment d’éléments pour s’apercevoir que le calcul du taux d’invalidité et les rentes allouées ne correspondaient plus à la situation au moment de la reconnaissance des prestations (fondée sur la méthode extraordinaire d’invalidité en lien avec le maintien, par l’assuré, de son activité indépendante), et entreprendre les investigations nécessaires à la révision de la demi-rente de l’assurance-invalidité. Ces éléments laissaient également supposer l’existence d’une créance en restitution au plus tard en janvier 2011. Faute pour l’office AI d’avoir entrepris la moindre démarche entre avril 2011 (communication du 19 avril 2011) et mars 2017 (consultation de l’extrait individuel du compte AVS de l’assuré, après le signalement de la Commission paritaire du 23.02.2017), soit pendant bien plus d’une année (art. 25 al. 2 LPGA), la créance en restitution est périmée.

Consid. 6
Il reste à examiner si l’assuré commet un abus de droit en se prévalant de la péremption de la créance en restitution de l’office AI.

Consid. 6.1
L’art. 2 CC prévoit que chacun est tenu d’exercer ses droits et d’exécuter ses obligations selon les règles de la bonne foi (al. 1). L’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi (al. 2). L’interdiction de l’abus de droit est un principe général du droit qui vaut dans tout l’ordre juridique (ATF 143 III 666 consid. 4.2; 128 III 201 consid. 1c).

La question d’un abus de droit doit se résoudre au regard des circonstances concrètes de chaque cas. L’art. 2 CC est un remède destiné à éviter que l’application de la loi conduise dans un cas particulier à une injustice flagrante. L’emploi dans le texte légal du qualificatif « manifeste » démontre que l’abus de droit doit être admis restrictivement (ATF 144 III 407 consid. 4.2.3 et la référence).

Consid. 6.2
L’assuré a certes donné en l’espèce des indications lacunaires dans les questionnaires pour la révision de la rente du 06.07.2009 et du 10.01.2011, dans la mesure où il n’a pas annoncé explicitement sa faillite personnelle et l’arrêt de son activité indépendante. Il a cependant indiqué qu’il était « sans activité lucrative » (et non plus indépendant) et a déposé les comptes de son entreprise arrêtés au xx.12.2008, soit à la date de sa faillite personnelle. On ne saurait dès lors lui reprocher d’avoir omis de mentionner la cessation de son activité indépendante ou d’avoir caché la situation financière de son (ancienne) entreprise, soit d’avoir tu des informations essentielles qui auraient dû conduire l’office AI à réviser le droit à la rente ensuite de la perte de son statut d’indépendant, si celui-ci avait pris connaissance des données du registre du commerce. Dans ces circonstances, en invoquant que la créance en restitution de l’office intimé est périmée, l’assuré ne contrevient pas de manière manifeste aux règles de la bonne foi au sens de l’art. 2 al. 2 CC.

 

Le TF admet le recours de l’assuré et annule l’arrêt cantonal et la décision de l’office AI.

 

Arrêt 9C_193/2021 consultable ici

 

9C_363/2023 (f) du 06.12.2023 – Activité indépendante – Taxation fiscale erronée (perte au lieu de bénéfice) et cotisations AVS – 23 al. 4 RAVS / Cotisations AVS et allocations de maternité – 7 RAPG

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_363/2023 (f) du 06.12.2023

 

Consultable ici

 

Activité indépendante – Taxation fiscale erronée (perte au lieu de bénéfice) et cotisations AVS / 23 al. 4 RAVS

Cotisations AVS et allocations de maternité / 7 RAPG

Restitution des allocations de maternité versées sur la base de la décision provisoire de cotisations / 25 LPGA

 

En parallèle à une activité dépendante pour le compte de B.__, l’assurée exerce la profession de psychologue et psychothérapeute en qualité d’indépendante. A ce titre, elle est affiliée auprès de la caisse de compensation depuis le 01.11.2018. Le 20.12.2019, la caisse a rendu une décision provisoire de cotisations personnelles pour l’année 2019, fondée sur le revenu annoncé pour cette année-là (41’396 fr.), auquel ont été ajoutées les cotisations personnelles à l’AVS (3’140 fr.), soit un revenu déterminant de 44’500 fr.

A la suite de la naissance de son enfant le 14.12.2019, l’assurée a déposé une demande d’allocations de maternité le 05.03.2020, en relation avec ses activités dépendante et indépendante. Par décision du 27.03.2020, la caisse lui a alloué des allocations de maternité d’un montant total de 8’672 fr. 85 pour la période du 14.12.2019 au 20.03.2020, en lien avec son activité indépendante. La caisse s’est fondée sur le revenu annoncé de 44’500 fr.

La taxation définitive de l’administration cantonale vaudoise des impôts a été communiquée à la caisse le 16.04.2021, indiquant une perte de 17’193 fr. pour l’activité indépendante. Par décision du 26.04.2021, à laquelle l’assurée ne s’est pas opposée, la caisse a fixé définitivement les cotisations personnelles dues pour l’année 2019 en se fondant sur un revenu déterminant de 0 fr.

Par décision du 30.11.2021, notifiée le 22.09.2022 à sa destinataire (une première tentative de notification avait été infructueuse), la caisse a requis de l’assurée la restitution des allocations de maternité indûment versées à concurrence de 8’671 fr. 85, car le revenu réalisé pour cette année-là avait été arrêté à 0 fr. sur la base de la taxation fiscale définitive. L’assurée a demandé à la caisse d’annuler la décision du 30.11.2021 et d’ajuster les allocations de maternité calculées sur la base du revenu provisoire de 44’500 fr. ainsi que la facture de cotisations personnelles à l’AVS pour l’année 2019. Elle a exposé que la taxation fiscale était erronée, car le taxateur avait transformé le bénéfice déclaré de 35’326 fr. pour l’année 2019 en une perte de 17’193 fr. Par décision du 08.11.2022, la caisse a rejeté l’opposition formée contre la décision du 30.11.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt AF 5/22 – 2/2023 – consultable ici)

Par jugement du 21.04.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Le Tribunal cantonal a constaté que la décision du 26.04.2021, par laquelle la caisse de compensation avait fixé les cotisations personnelles de l’assurée pour l’année 2019 sur la base de la taxation fiscale définitive qui lui avait été communiquée, n’avait pas fait l’objet d’une opposition. En outre, la caisse de compensation n’était jamais entrée en matière sur une demande de reconsidération de cette décision, de sorte que les conclusions de l’assurée visant à la reconsidération de la décision du 26.04.2021 étaient irrecevables.

La juridiction cantonale a ensuite rappelé que les caisses de compensation sont liées, en vertu de l’art. 23 al. 4 RAVS, par les données des autorités fiscales cantonales lorsqu’elles établissent le revenu déterminant nécessaire à la fixation des cotisations; la caisse de compensation était dès lors tenue de retenir la perte de 17’193 fr. communiquée par l’autorité fiscale vaudoise pour l’année 2019. A cet égard, la première instance de recours a constaté que les documents produits par l’assurée (déclaration d’impôts et compte de résultat) ne constituaient pas des éléments tangibles permettant à la caisse de compensation de conclure que la taxation fiscale définitive de l’année 2019 comportait une erreur ni de la corriger, le cas échéant. Le Tribunal cantonal a ajouté qu’en définitive, il appartenait en premier lieu à l’assurée de faire valoir ses droits dans une procédure en matière fiscale, si elle était d’avis que sa taxation pour l’année 2019 était entachée d’une erreur, ce qu’elle n’avait toutefois pas fait.

 

Consid. 4.1
S’il est vrai qu’il appartient à l’assuré de contester en premier lieu la taxation fiscale définitive devant les autorités juridictionnelles compétentes en matière fiscale (cf. ATF 110 V 83 consid. 4, et 369 consid. 2a; arrêt 9C_681/2019 du 19 octobre 2020 consid. 3.2), sur la base de laquelle la décision définitive de cotisations personnelles à l’AVS est ensuite rendue, on doit admettre que l’assurée n’avait dans le cas particulier pas d’intérêt à remettre en cause la taxation fiscale relative à l’année 2019 (cf. arrêt 9C_441/2015 du 19 février 2016 consid. 6.5 et les arrêts cités). En effet, ainsi que l’assurée le fait valoir à juste titre, l’avis de taxation fiscale définitive retenait une perte de 17’193 fr. entraînant la prise en compte d’un revenu d’indépendant de 0 fr. pour l’année 2019, de sorte qu’elle n’a pas été lésée par la taxation fiscale afférente à cette année-là puisque son revenu imposable a été finalement diminué (à son avantage).

Consid. 4.2
En pareilles circonstances, il incombait à l’assurée de contester la décision définitive de cotisations personnelles du 26.04.2021 en indiquant à la caisse de compensation, justificatifs à l’appui, que la taxation fiscale définitive de l’année 2019 procédait d’une erreur (qu’elle impute au taxateur) et de demander que ses cotisations personnelles fussent revues et corrigées, cela sur la base d’un examen autonome des facteurs d’imposition (cf. arrêt 9C_441/2015 précité consid. 6.5). C’est en effet à ce stade-là que l’assurée pouvait encore se plaindre d’une erreur claire et susceptible d’être corrigée par la caisse de compensation. Elle n’a toutefois pas formé opposition à la décision du 26.04.2021, alors que la caisse de compensation l’avait précédemment dûment informée, dans la décision d’octroi des allocations de maternité du 27.03.2020, que le revenu de 44’500 fr. était basé sur une estimation provisoire et que l’allocation de maternité serait adaptée (paiement de la différence ou restitution de prestations indûment versées) en fonction de la taxation fiscale définitive qui serait rendue ultérieurement. Dès lors que la décision du 26.04.2021 fixant définitivement les cotisations personnelles en fonction du revenu était entrée en force, la caisse de compensation était en droit de rectifier en conséquence le montant des allocations de maternité, le 30.11.2021. Dans ce cadre, elle était liée par le revenu ayant servi de base à la décision définitive de cotisations (cf. art. 7 RAPG).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_363/2023 consultable ici

 

9C_458/2022 (f) du 16.08.2023 – Subvention de l’assurance-invalidité pour la construction – Restitution / 73 aLAI – 104bis aRAI – Dispositions transitoires de la modification de la LAI du 6 octobre 2006 – Loi sur les subventions (LSu)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_458/2022 (f) du 16.08.2023

 

Consultable ici

 

Subvention de l’assurance-invalidité pour la construction – Restitution / 73 aLAI – 104bis aRAI – Dispositions transitoires de la modification de la LAI du 6 octobre 2006 – Loi sur les subventions (LSu)

Notion de détournement du but du bâtiment

Possibilité d’une réduction du montant à restituer en raison de l’existence d’un cas de rigueur en matière de subvention accordée par l’assurance-invalidité

 

La Fondation A.__ est une fondation de droit privé au sens des art. 80 ss CC, reconnue d’utilité publique. Son but est la prise en charge de personnes adultes souffrant d’un handicap psychique et présentant des comportements à risque. Elle a été créée en 2010 par la reprise des actifs et passifs de l' »Association B.__ », radiée du registre du commerce du Bas-Valais en avril 2011, précédemment, nommée l’association « C.__ », puis « Association D.__ ».

Par décision du 16.05.1994, l’OFAS a octroyé à l’association « C.__ » une subvention de l’assurance-invalidité fixée provisoirement à 1’133’205 fr. pour la réalisation du centre résidentiel « E.__ » à U.__, soit une structure d’habitation pour la réintégration socio-professionnelle de personnes toxicodépendantes. Le montant définitif de ladite subvention a été arrêté à 1’034’145 fr. (décision du 25.03.1999).

Par courrier du 22.01.2018, l’OFAS a interpellé la Fondation A.__, en lui rappelant que les subventions de l’assurance-invalidité à la construction sont liées pendant vingt-cinq ans à une affectation précise et que toute modification doit lui être signalée. Ledit courrier était accompagné notamment d’un questionnaire relatif à l’affectation des subventions pour la construction selon l’ancien art. 73 LAI. Après que la Fondation A.__ a indiqué, le 23.02.2018, que le bâtiment « E.__ » avait été démoli en 2016 et qu’un nouveau bâtiment avait été construit, un échange de correspondances s’en est suivi entre les parties. Par décision du 08.07.2019, l’OFAS a exigé une restitution proportionnelle de la subvention accordée en 1999, à hauteur d’un montant de 327’479 fr., correspondant à un usage non conforme dès avril 2016. En bref, il a considéré que la démolition du bâtiment constituait un détournement du but de la subvention, ce qui justifiait la restitution d’une partie de celle-ci.

 

Procédure cantonale (arrêt C-4577/2019 – consultable ici)

La Fondation A.__ a formé recours contre cette décision devant le TAF qui, par ordonnance du 14.06.2022, l’a informée qu’il envisageait de prononcer un arrêt qui lui serait plus défavorable que la décision attaquée (reformatio in pejus) et lui a imparti un délai au 05.07.2022 pour prendre position ou retirer son recours. Sans réponse de la Fondation A.__ dans ce délai, le TAF a rejeté le recours, le 25.08.2022. Il a réformé la décision du 08.07.2019 en ce sens que la Fondation A.__ doit rembourser le montant de la créance en restitution s’élevant à 330’926 fr. 40, en lieu et place du montant initial de 327’479 fr.

 

TF

Consid. 3.1
A la suite des premiers juges, on rappellera que selon l’art. 73 al. 1 LAI (abrogé au 1er janvier 2008), l’assurance-invalidité alloue des subventions pour la construction, l’agrandissement et la rénovation d’établissements et d’ateliers publics ou reconnus d’utilité publique, qui appliquent des mesures de réadaptation dans une proportion importante. En relation avec cette disposition, l’art. 104bis RAI (également abrogé au 1er janvier 2008) prévoyait que si, avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter du paiement final, l’établissement est détourné de son but ou transféré à un organisme responsable dont le caractère d’utilité publique n’est pas reconnu, la subvention doit être remboursée. Le montant à rembourser est diminué de 4% pour chaque année d’utilisation conforme à l’affectation prévue (al. 1). Le remboursement sera exigé par l’office fédéral dans un délai de cinq ans à compter du moment où la subvention a été détournée de son but (al. 2).

Dans le cadre de la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons entrée en vigueur le 1er janvier 2008 (RO 2007 5779, 5823), les art. 73 LAI et 104bis RAI ont été abrogés et le contenu de cette dernière disposition a été repris par les dispositions transitoires de la modification de la LAI du 6 octobre 2006 (ci-après: les dispositions transitoires de la LAI), dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 et applicable en l’occurrence (ATF 129 V 354 consid. 1; cf. ATF 144 V 224 consid. 3.4, ainsi que Message sur la législation d’exécution concernant la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons [RPT] du 7 septembre 2005, FF 2005 5641, 5810 s.). Conformément aux al. 1 à 3 desdites dispositions transitoires, si, avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter du dernier paiement de subventions au sens de l’ancien art. 73 LAI, des établissements sont détournés de leurs buts ou transférés à un organisme responsable dont le caractère d’utilité publique n’est pas reconnu, les subventions doivent être remboursées au Fonds de compensation défini à l’art. 107 LAVS, en faveur du compte de l’assurance-invalidité (al. 1). Le montant à rembourser est diminué de 4% pour chaque année d’utilisation conforme à l’affectation prévue (al. 2) et le remboursement est exigé par l’OFAS dans un délai de cinq ans à compter du moment où la subvention a été détournée de son but (al. 3).

Consid. 3.2
La loi fédérale du 5 octobre 1990 sur les aides financières et les indemnités (loi sur les subventions, LSu; RS 616.1), entrée en vigueur le 1er avril 1991, s’applique à toutes les aides financières et indemnités prévues par le droit fédéral (art. 2 al. 1 LSu). Le chapitre 3 de la loi est applicable sauf dispositions contraires d’autres loi ou arrêtés fédéraux de portée générale (art. 2 al. 2 LSu).

Selon l’art. 29 al. 1 LSu, avec le titre marginal « Aides, désaffectation et aliénation », lorsqu’un bien immobilier (immeuble, construction, autre ouvrage) ou mobilier pour lequel une aide a été versée est désaffecté ou aliéné, l’autorité compétente exige la restitution de l’aide. Le montant à restituer est fonction de la relation entre d’une part la durée pendant laquelle l’allocataire a effectivement utilisé le bien conformément à l’affectation prévue et, d’autre part, la durée d’affectation qui avait été fixée. Le montant à restituer peut être réduit en cas de rigueurs excessives. L’al. 2 de la disposition prévoit que dans les cas d’aliénation, l’autorité peut renoncer en tout ou partie à la restitution de l’aide lorsque l’acquéreur remplit les conditions qui y donnent droit et qu’il assume toutes les obligations de l’allocataire. Quant à l’art. 29 al. 3 LSu, il prévoit que l’allocataire informe sans tarder et par écrit l’autorité compétente de toute désaffectation ou aliénation.

Consid. 3.3
Les art. 11 à 40 LSu sont applicables à toutes les aides financières (aides) et indemnités prévues par le droit fédéral, à moins que d’autres lois ou arrêtés fédéraux de portée générale n’en disposent autrement, conformément à l’art. 2 al. 2 LSu. Cette norme prévoit une réserve, parce que les dispositions de la LSu, qui a été conçue comme une loi générale pour l’ensemble des aides financières et indemnités sur le plan fédéral, peuvent, selon les domaines de droit, conduire à des situations qui n’ont pas été voulues. Par son adoption, le législateur a aussi mis en évidence que la LSu est considérée comme une lex generalis et que des dispositions contraires d’autres lois fédérales, en tant que lex specialis, priment. Ainsi, en application des principes de la lex posterior et de la lex specialis les dispositions transitoires de la LAI priment la LSu, en cas de divergences (ATF 144 V 224 consid. 6; cf. aussi Message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [Développement continu de l’AI] du 15 février 2017, FF 2017 2363, 2450), ce que les parties ne contestent au demeurant pas.

Consid. 4.1
A l’appui de son recours, la Fondation A.__ se prévaut d’une violation des dispositions transitoires de la LAI. Elle reproche en substance à la juridiction précédente d’avoir considéré que les termes « détourné de son but » utilisés à l’al. 1 desdites dispositions transitoires signifient la même chose que le terme « désaffectation » employé à l’art. 29 al. 1 LSu. Selon elle, les termes « détourné de son but » ont une portée plus limitée que celui de « désaffectation », puisqu’ils impliqueraient « un acte volontaire, une action » et ne viseraient ainsi qu’un changement d’affectation et non également une cessation pure et simple de toute affectation. Dans la mesure où il s’agirait d’un cas de fin d’utilisation en raison d’une impossibilité de toute utilisation du bâtiment, et non pas d’un changement d’affectation, la recourante soutient qu’elle ne peut être tenue à restitution.

Consid. 4.2
Interprétant l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI, le Tribunal administratif fédéral a constaté que la loi ne fournissait pas de définition de la condition du « détournement du but de l’établissement ». Il s’est référé sur ce point au ch. 7001 de la circulaire de l’OFAS sur le versement de subventions pour la construction et les agencements, valable dès le 1er avril 2005, qui prévoit que si, moins de vingt-cinq ans à compter du versement final des subventions, les bâtiments changent d’affectation ou sont transférés à un support juridique qui n’est pas d’intérêt public, les subventions doivent être entièrement remboursées. Il en a déduit que les termes « détournement du but de l’établissement » (au sens de l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI) et « changement d’affectation » du bâtiment (au sens de la circulaire précitée) désignent la même chose, à savoir un changement d’utilisation de celui-ci. La juridiction de première instance a ensuite constaté que le terme « désaffectation » se retrouve à l’art. 29 LSu (consid. 3.2 supra) et que, selon la jurisprudence (cf. décision de la Commission de recours du Département fédéral de l’économie [DFE] du 13 novembre 1995, in JAAC 60/1996 n° 66 p. 539, consid. 4.3), cette notion doit être comprise au sens large, dans la mesure où elle englobe toutes les raisons qui font que l’objet ne sert plus à l’usage auquel il était destiné et qui a motivé l’octroi de l’aide financière; le seul élément déterminant est ainsi que l’objectif initial ne soit plus atteint et les raisons qui ont conduit au changement d’affectation ne sont en principe pas décisives pour déterminer si l’objet a subi un tel changement. Les premiers juges ont considéré que même si l’art. 29 LSu ne trouve pas application en l’espèce, cela ne les empêche pas de se fier à l’interprétation faite par la jurisprudence de termes et circonstances similaires.

Consid. 4.3
Les considérations du Tribunal administratif fédéral ne prêtent pas le flanc à la critique. Quoi qu’en dise la recourante, il a expliqué de manière convaincante que selon les versions allemande et italienne de l’art. 29 al. 1 LSu (« [seinem] Zweck entfremdet », « è stato sottratto al suo scopo ») et de l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI (« zweckentfremdet », « sono distolte dallo scopo cui erano destinate »), les deux dispositions visent le même cas de figure et que les termes « détournement du but de l’établissement » (au sens de l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI) et « changement d’affectation » (selon la circulaire de l’OFAS précitée) visent également le même état de fait.

On ajoutera qu’il ressort du titre marginal de l’art. 29 LSu, dans ses versions allemande et française (« Zweckentfremdung und Veräusserung bei Finanzhilfen » et « Aides, désaffectation et aliénation ») que le terme « désaffectation » correspond à la traduction en français du terme « Zweckentfremdung » (« détournement du but »), qui se retrouve à l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI, comme le fait valoir l’OFAS [intimé]. Partant, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations des premiers juges, selon lesquelles la démolition du bâtiment « E.__ » constitue un détournement du but du bâtiment qui entraîne une obligation de restitution à la charge de la recourante au sens de l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI.

 

Consid. 5.1
Dans une argumentation subsidiaire, la recourante allègue que si l’on devait « appliquer par analogie la jurisprudence sur l’art. 29 al. 1 LSu » – c’est-à-dire en définitive admettre son obligation de restituer -, il conviendrait alors d’examiner la question de l’existence d’un cas de rigueur conduisant à la réduction du montant à restituer (au sens de l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu; consid. 3.2 supra). En conséquence, la Fondation A.__ reproche au Tribunal administratif fédéral de ne pas s’être posé cette question. Elle invoque un établissement manifestement inexact des faits, en ce qu’il a retenu que la subvention avait été allouée en 1999 pour la construction du centre résidentiel « E.__ », alors qu’elle devait en réalité seulement permettre la rénovation d’un ancien bâtiment existant afin d’en prolonger l’utilisation pour quelques années. Elle se prévaut également de « moyens de preuve nouveaux » devant être pris en considération pour établir l’existence d’un cas de rigueur.

Consid. 5.2
Contrairement à ce que soutient l’OFAS, l’argumentation subsidiaire de la recourante et la conclusion qu’elle en tire – à savoir, le renvoi de la cause au Tribunal administratif fédéral, subsidiairement à l’OFAS, pour complément d’instruction et nouvelle décision quant à l’existence d’un cas de rigueurs excessives au sens de l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu) – ne sont pas irrecevables (art. 99 al. 2 LTF). La requête fondée sur l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu tendant à la réduction du montant à restituer (pour cause de cas de rigueurs excessives), présentée pour la première fois par la recourante dans le cadre du recours en matière de droit public, est admissible, même si la question de la réduction pour ce motif n’a fait l’objet ni de la décision administrative ni du jugement de l’autorité judiciaire précédente. Comme le fait valoir à juste titre la Fondation A.__, l’existence d’un cas de rigueurs excessives susceptible de justifier la réduction du montant de la subvention à restituer constitue un aspect du rapport juridique qui fait l’objet de la procédure, soit l’obligation de la recourante de restituer à l’assurance-invalidité une partie de la subvention qu’elle lui avait octroyée. La question de la réduction pour le motif invoqué constitue un nouvel argument juridique dans les limites de l’objet du litige (supra consid. 2), qui est dans tous les cas admissible lorsque la requête en réduction se fonde sur des faits résultant du dossier (cf. ATF 136 V 362 consid. 4.1 et les arrêts cités).

Consid. 5.3
En ce qui concerne la possibilité d’une réduction du montant à restituer en raison de l’existence d’un cas de rigueur en matière de subvention accordée par l’assurance-invalidité au sens de l’ancien art. 73 LAI, le Tribunal fédéral a appliqué l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu dans une situation relevant de l’ancien art. 104bis al. 1 RAI (arrêt I 977/06 du 2 avril 2008), comme le fait valoir la recourante. Or pas plus que cette ancienne disposition réglementaire, les dispositions transitoires de la LAI ne règlent la question d’une éventuelle réduction du montant à restituer en cas de rigueurs excessives. Ces normes ne prévoient donc pas une éventualité qui s’écarterait des dispositions de la LSu, de sorte que les art. 11 à 40 LSu sont applicables en l’occurrence, la subvention dont la restitution en cause faisant partie des aides financières et indemnités prévues par le droit fédéral (cf. art. 2 al. 2 LSu; supra consid. 3). Dans ce contexte, l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu est donc applicable. Quoi qu’en dise l’OFAS [intimé], il n’y a pas lieu de s’écarter de cette solution, déjà admise sous l’ancien droit. C’est en vain que l’autorité de surveillance invoque à cet égard le principe de la lex specialis et de la lex posterior, puisqu’il ne met pas en évidence que les dispositions transitoires de la LAI seraient contraires à l’art. 29 al. 1 LSu; le seul fait qu’elles ne prévoient pas l’éventualité de la réduction pour cas de rigueur ne relève pas d’une contradiction avec la possibilité prévue sur ce point par l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu. L’OFAS [intimé] n’allègue pas non plus de motif qui justifierait que le Tribunal fédéral s’écarte de la solution découlant de l’arrêt I 977/06 cité.

Consid. 5.4
Il n’appartient cependant pas au Tribunal fédéral de se prononcer pour la première fois sur l’application concrète de la disposition en cause à la situation de la recourante. Il convient bien plutôt de renvoyer la cause à l’OFAS afin qu’il examine la question de l’existence d’un cas de rigueur au sens de l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu, puis rende une nouvelle décision. A cet égard, on précisera que la correction du montant à restituer opérée par les premiers juges (330’926 fr. 40 en lieu et place du montant de 327’479 fr. fixé par l’intimé), qui n’est pas contestée par la recourante, ne prête pas le flanc à la critique (soit 17 [années d’utilisation conforme] x 4% [correspondant à la diminution du montant à rembourser par année d’utilisation conforme selon l’al. 2 des dispositions transitoires de la LAI] = 68%; 1’034’145 fr. x 32% = 330’926 fr. 40). Dans ces circonstances, il est superflu d’examiner les autres griefs soulevés par la recourante, en particulier son argumentation portant sur la production de moyens de preuve nouveaux (art. 99 al. 1 LTF) pour établir l’existence d’un cas de rigueur. La conclusion subsidiaire de la recourante est bien fondée.

 

Le TF admet partiellement le recours de la Fondation.

 

Arrêt 9C_458/2022 consultable ici

 

9C_454/2022 (f) du 15.06.2023 – Modification d’une décision d’octroi de prestations complémentaires / Reconsidération – Examen des rapports juridiques sous tous leurs aspects – 53 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_454/2022 (f) du 15.06.2023

 

Consultable ici

 

Obligation de restituer des prestations indûment touchées – Modification d’une décision d’octroi de prestations complémentaires / 25 LPGA

Reconsidération – Examen des rapports juridiques sous tous leurs aspects / 53 al. 2 LPGA

 

Assuré, marié et père de deux enfants (nés en 1999 et 2001), est au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité, assortie de rentes pour enfants, depuis le 01.11.2011. Par décision du 04.07.2014, la caisse de compensation lui a alloué des prestations complémentaires à compter du 01.11.2011. Ce droit a été confirmé à plusieurs reprises par la suite.

Dans le cadre d’une révision périodique du dossier de l’assuré initiée en novembre 2019, la caisse de compensation a constaté que les allocations familiales versées à l’assuré pour ses enfants avaient augmenté et que des allocations familiales complémentaires devaient être prises en compte à partir du mois de mars 2017. Par décision du 06.11.2020, elle a exigé de l’assuré la restitution d’un montant de 6’210 fr., correspondant aux prestations complémentaires indûment perçues du 01.03.2017 au 30.11.2020. Après que l’assuré s’est opposé à cette décision en indiquant qu’il ne contestait pas la correction du montant des allocations familiales et complémentaires, mais la prise en compte d’un revenu hypothétique pour son épouse dans le calcul de son droit à des prestations complémentaires (opposition du 04.12.2020), la caisse de compensation a confirmé sa décision (décision sur opposition du 28.07.2021). En bref, elle a considéré que sa décision du 06.11.2020 portait uniquement sur le montant des allocations familiales et complémentaires, si bien qu’il n’était pas possible de réexaminer, dans ce cadre, la prise en compte d’un revenu hypothétique pour l’épouse, qui n’avait jamais été contesté; elle a également précisé que les éléments invoqués par l’assuré ne permettaient pas d’écarter le revenu hypothétique du calcul.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 29.08.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Considérant que l’assuré ne contestait pas le bien-fondé de la restitution découlant de l’augmentation des allocations familiales et complémentaires, ni le calcul opéré par la caisse de compensation à cet égard, la juridiction cantonale a circonscrit l’objet du litige au point de savoir si, dans le cadre du réexamen de son droit aux prestations complémentaires justifié par ladite augmentation, l’assuré pouvait valablement contester le poste relatif au revenu hypothétique de son épouse, lequel n’avait pas été modifié dans ce cadre et était entré en force. Elle a d’abord nié que l’art. 25 al. 2 let. b de l’Ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI), en relation avec l’art. 17 LPGA, fût applicable en l’espèce, dès lors que l’assuré n’avait pas fait état d’une modification de ses circonstances personnelles ou économiques nécessitant d’adapter le montant de la prestation au sens de la disposition précitée de l’OPC-AVS/AI. Les juges cantonaux ont considéré à cet égard que l’assuré avait signalé une erreur commise par l’administration dès l’octroi des prestations complémentaires, si bien qu’il sollicitait la reconsidération, respectivement la révision du poste relatif au revenu hypothétique de son épouse.

L’instance précédente a ensuite examiné si la voie de la reconsidération pour ledit poste était ouverte, ce qu’elle a nié. En se fondant sur l’état de fait existant à l’époque tel qu’il ressortait du dossier, elle a considéré que la caisse de compensation n’avait pas procédé à une application erronée du droit, dès lors qu’elle ne disposait, à ce moment-là, d’aucun élément attestant du fait que l’épouse de l’intéressé avait diminué son taux d’activité pour s’occuper de lui. Par ailleurs, l’assuré n’avait à aucun moment fait part à la caisse de compensation du besoin d’aide qu’il nécessitait de la part de son épouse ni transmis les rapports d’enquête établis par l’office AI. La juridiction cantonale a également nié que l’assuré pût se prévaloir d’un motif de révision procédurale fondé sur la production de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_165/2020 du 15 juin 2020 (concernant le droit à l’allocation pour impotent du recourant), dès lors déjà qu’il n’avait pas agi dans le délai relatif de 90 jours à partir du moment où il avait pris connaissance de cet arrêt (art. 67 al. 1 PA par renvoi de l’art. 55 al. 1 LPGA). Elle a au demeurant considéré que les faits ressortant de cet arrêt n’étaient pas nouveaux.

 

Consid. 3.1
A la suite des juges cantonaux, on rappellera que l’obligation de restituer des prestations indûment touchées (art. 25 LPGA) suppose que soient remplies les conditions d’une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA) ou d’une révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) de la décision – formelle ou non – par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 130 V 318 consid. 5.2). Selon l’art. 53 al. 2 LPGA, l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable.

Consid. 3.2
Comme le fait valoir à juste titre l’assuré, lorsque les conditions de la reconsidération – ou de la révision procédurale (éventualité écartée par la juridiction cantonale dont le raisonnement n’est pas remis en cause par les parties) – sont réalisées, le rapport juridique doit être examiné pour le futur sous tous ses aspects, comme il en va en cas de révision au sens de l’art. 17 LPGA, c’est-à-dire en tenant compte de l’ensemble des faits déterminants pour le droit aux prestations et son éventuelle étendue, sur la base d’un état de fait établi de manière correcte et complète au moment de la décision ou de la décision sur opposition (arrêt 9C_321/2013 du 19 septembre 2013 consid. 2.1.2 et les arrêts cités). L’examen du droit à la prestation et, le cas échéant, de son étendue (ex nunc et) pro futuro est la règle en matière d’assurance-invalidité (arrêts 9C_215/2007 du 2 juillet 2007 consid. 6.1 et 9C_960/2008 du 6 mars 2009 consid. 1.2).

En revanche, la modification d’une décision d’octroi de prestations complémentaires peut avoir un effet ex tunc ou un effet ex nunc et pro futuro (cf. sur la seconde éventualité, art. 25 OPC-AVS/AI). La modification a un effet ex tunc – et partant justifie, le cas échéant, la répétition des prestations déjà perçues – lorsque sont réalisées les conditions qui président à la révocation, par son auteur, d’une décision administrative, dont celles de la reconsidération (arrêt P 26/02 du 20 janvier 2003 consid. 2). Dans ce cas, l’obligation de restituer des prestations complémentaires indûment perçues doit simplement permettre de rétablir l’ordre légal, après la découverte du motif justifiant la reconsidération (ou la révision procédurale) de la décision initiale d’octroi de prestations (ATF 122 V 134 consid. 2 d-e; arrêt 9C_398/2021 du 22 février 2022 consid. 5.3). Compte tenu de cet objectif, si l’administration admet que les conditions de la reconsidération de la décision d’octroi des prestations complémentaires sont réalisées et requiert la restitution de celles-ci – la modification correspondante déployant alors un effet ex tunc -, elle est tenue d’examiner le rapport juridique sous tous ses aspects lorsque l’ayant droit fait valoir qu’un autre élément de fait ou de droit que celui justifiant, de l’avis de l’organe d’exécution, la reconsidération conduirait à un résultat différent.

Consid. 3.3
En l’occurrence, la juridiction cantonale a examiné la question de la prise en compte du revenu hypothétique de l’épouse de l’assuré dès mars 2017, soulevée au stade de l’opposition, sous l’angle uniquement de la reconsidération et du caractère « manifestement erroné » de cet élément. Quant à la caisse de compensation, elle a procédé à l’examen du droit du recourant à des prestations complémentaires en tenant compte du poste relatif au revenu hypothétique de son épouse, sous l’angle de la révision, et elle a effectué un examen pro futuro, à compter du mois de décembre 2020, soit au moment où l’intéressé avait indiqué que « [son] épouse […] ne p[ouvait] plus travailler en raison du besoin d’aide dû au handicap de son mari » (opposition du 4 décembre 2020). Dans la décision sur opposition du 28.07.2021, la caisse de compensation a en effet indiqué qu’elle serait en mesure d’adapter le calcul des prestations complémentaires de l’assuré, en application de l’art. 25 al. 1 let. c et al. 2 let. b OPC-AVS/AI, en relation avec l’art. 17 LPGA, à supposer que l’état de santé de l’intéressé se fût aggravé depuis la décision du 04.07.2014, ce qu’elle a toutefois nié.

Dans ces circonstances, et comme les éléments de fait déterminants sous l’angle de l’examen du droit aux prestations complémentaires défini en l’espèce font défaut dans l’arrêt attaqué, il convient de renvoyer la cause à la caisse de compensation afin qu’elle procède à un nouvel examen du droit de l’assuré à des prestations complémentaires qui portera également sur la question du revenu hypothétique de son épouse, pour la période sur laquelle porte la restitution (de mars 2017 à novembre 2020).

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_454/2022 consultable ici

 

8C_699/2022 (f) du 15.06.2023 – Remboursement d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 – 31 LACI – 25 al. 1 LPGA / Perte de travail suffisamment contrôlable – 46b OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_699/2022 (f) du 15.06.2023

 

Consultable ici

 

Restitution d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 / 31 LACI – 25 al. 1 LPGA

Perte de travail suffisamment contrôlable / 46b OACI

Principe de la proportionnalité / 5 al. 2 Cst.

 

Les 15.12.2020 et 16.12.2020, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a effectué auprès de A.__ SA un contrôle portant sur les indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) – en lien avec la pandémie de Covid-19 – perçues par cette entreprise en faveur de ses employés entre mars 2020 et septembre 2020.

Par décision, confirmée sur opposition, le SECO a demandé à A.__ SA de rembourser à la Caisse cantonale de chômage du canton de Vaud (ci-après: la caisse de chômage) un montant de 388’202 fr. 25, correspondant à des indemnités en cas de RHT versées à tort pour la période de mars 2020 à août 2020.

 

Procédure cantonale (arrêt B-4559/2021 – consultable ici)

Les juges du Tribunal administratif fédéral ont retenu que le plan de la société A.__ SA relatif à la réduction du temps de travail (ci-après: le plan) prévoyait, de manière globale pour chaque semaine, le pourcentage du temps de travail habituel (20% dès le 18.03.2020 puis 10% dès le 01.04.2020) que chacun des collaborateurs était appelé à respecter. La société A.__ SA n’avait toutefois instauré aucun contrôle des heures effectivement effectuées par les employés. Une telle manière de faire ne respectait pas la jurisprudence relative à l’art. 46b al. 1 OACI, qui exigeait en particulier que les heures travaillées soient relevées au moins quotidiennement par l’employé lui-même ou par son supérieur. Un rapport établi pour la société A.__ SA par une fiduciaire indiquait d’ailleurs qu’il était « certain que [la société A.__ SA] ne dispos[ait] pas d’un pointage d’heures et que par conséquent, il [était] difficile de définir avec exactitude le nombre d’heures faites par les employés chaque jour ». En outre, il ressortait du rapport du SECO consécutif au contrôle des 15.12.2020 et 16.12.2020 qu’il n’y avait pas de contrôle du temps de travail fiable et précis au sein de l’entreprise. La brochure « Info-Service » du SECO, qui satisfaisait à l’obligation de renseigner prévue à l’art. 27 al. 1 LPGA, prévoyait le devoir d’instaurer un système de contrôle du temps de travail expressément destiné à « rendre compte quotidiennement des heures de travail fournies ». Par ailleurs, quand bien même la société A.__ SA soutenait que certains collaborateurs auraient travaillé moins que ce qui était prévu par le plan et que cela n’aurait pas porté préjudice à l’État, il n’était pas possible d’être certain que le temps de travail planifié n’avait jamais été dépassé. Le fait que la société A.__ SA avait indiqué que ses employés n’effectuaient pas d’heures supplémentaires n’y changeait rien.

En définitive, la société A.__ SA n’apportait aucun élément propre à établir qu’elle avait effectué un contrôle des heures de travail conformément à ce qu’exigeait la jurisprudence. Ce n’était que dans le cadre d’une éventuelle demande de remise de l’obligation de restituer que la société A.__ SA – qui ne pouvait pas tirer avantage de sa méconnaissance du droit – pouvait se prévaloir de la protection de sa bonne foi. Même s’il était notoire que la pandémie de Covid-19 avait conduit à une baisse importante du nombre d’heures de travail des salariés actifs dans le secteur du voyage, rien ne permettait en l’espèce de déterminer avec précision l’ampleur de cette baisse. Seules des estimations ou des approximations auraient été envisageables, c’est-à-dire des procédés guère compatibles avec les exigences strictes posées par la réglementation en vigueur. La société A.__ SA ne pouvait rien tirer non plus du fait que son chiffre d’affaires avait subi une baisse considérable durant la période litigieuse, dès lors que le chiffre d’affaires n’était pas directement lié au nombre d’heures de travail et qu’il ne permettait pas de déterminer l’ampleur, à l’heure près, de la réduction de l’horaire de travail.

Par jugement du 20.10.2022, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 5.1.1
Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail lorsqu’ils remplissent les conditions décrites à l’art. 31 al. 1 let. a à d LACI. Selon l’art. 31 al. 3 let. a LACI, n’ont notamment pas droit à l’indemnité les travailleurs dont la réduction de l’horaire de travail ne peut pas être déterminée ou dont l’horaire de travail n’est pas suffisamment contrôlable. Aux termes de l’art. 46b OACI, la perte de travail n’est suffisamment contrôlable que si le temps de travail est contrôlé par l’entreprise (al. 1); l’employeur conserve les documents relatifs au contrôle du temps de travail pendant cinq ans (al. 2).

Consid. 5.1.2
Selon la jurisprudence, l’obligation de contrôle par l’employeur de la perte de travail résulte de la nature même de l’indemnité en cas de RHT: du moment que le facteur déterminant est la réduction de l’horaire de travail (cf. art. 31 al. 1 LACI) et que celle-ci se mesure nécessairement en proportion des heures normalement effectuées par les travailleurs (cf. art. 32 al. 1 let. b LACI), l’entreprise doit être en mesure d’établir, de manière précise et si possible indiscutable, à l’heure près, l’ampleur de la réduction donnant lieu à l’indemnisation pour chaque assuré bénéficiaire de l’indemnité. La perte de travail pour laquelle l’assuré fait valoir ses droits est ainsi réputée suffisamment contrôlable uniquement si les heures effectives de travail peuvent être contrôlées pour chaque jour: c’est la seule façon de garantir que les heures supplémentaires qui doivent être compensées pendant la période de décompte soient prises en considération dans le calcul de la perte de travail mensuelle. A cet égard, les heures de travail ne doivent pas nécessairement être enregistrées mécaniquement ou électroniquement. Une présentation suffisamment détaillée et un relevé quotidien en temps réel des heures de travail au moment où elles sont effectivement accomplies sont toutefois exigés. De telles données ne peuvent pas être remplacées par des documents élaborés par après. En effet, l’établissement a posteriori d’horaires de travail ou la présentation de documents signés après coup par les salariés contenant les heures de travail effectuées n’ont pas la même valeur qu’un enregistrement simultané du temps de travail et ne satisfont pas au critère d’un horaire suffisamment contrôlable au sens de l’art. 31 al. 3 let. a LACI. Cette disposition vise à garantir que les pertes d’emploi soient effectivement vérifiables à tout moment pour les organes de contrôle de l’assurance chômage. Il s’agit d’une situation similaire à l’obligation de tenir une comptabilité commerciale (cf. art. 957 CO) (arrêts 8C_681/2021 du 23 février 2022 consid. 3.3 et 3.4; 8C_26/2015 du 5 janvier 2016 consid. 2.3 et les références citées).

Consid. 5.1.3
Selon l’art. 25 al. 1, première phrase, LPGA, auquel renvoie l’art. 95 al. 1 LACI, les prestations indûment touchées doivent être restituées. L’obligation de restituer suppose que soient réunies les conditions d’une reconsidération (caractère sans nul doute erroné de la décision et importance notable de la rectification) ou d’une révision procédurale de la décision par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 142 V 259 consid. 3.2; 138 V 426 consid. 5.2.1; 130 V 318 consid. 5.2).

 

Consid. 5.2.1
En l’espèce,
la société A.__ SA a exposé devant le Tribunal administratif fédéral que ses employés avaient en temps normal un horaire de travail fixe de 9h00 à 12h00 et de 13h00 à 18h00. Elle tenait à jour un planning des vacances et des absences de chaque collaborateur. A compter du 18.03.2020, elle avait établi un plan précis prévoyant le nombre d’heures à effectuer chaque jour par les employés.

Consid. 5.2.4
Selon les faits constatés par le TAF, la société A.__ SA s’est limitée, à partir du 18.03.2020, à adopter un plan de travail prévoyant le pourcentage de temps de travail (20% puis 10%), de manière globale et pour chaque semaine, attendu de chaque employé. Elle n’a toutefois procédé à aucun contrôle des heures de travail effectivement accomplies. Elle reconnaît du reste ne pas avoir introduit de système de contrôle du temps de travail. Or, quoi qu’elle en dise, un relevé quotidien et en temps réel des heures de travail effectivement effectuées est exigé aux fins de percevoir des indemnités en cas de RHT, pour permettre d’établir à l’heure près l’ampleur de la réduction du temps de travail. La simple estimation du temps de travail à accomplir, de surcroît de manière globale, sans aucun contrôle ni aucune correction a posteriori, s’avère insuffisante au regard de la jurisprudence. S’agissant de la baisse du chiffre d’affaires, c’est à juste titre que le Tribunal administratif fédéral a souligné qu’elle ne permettait pas de déterminer l’ampleur, à l’heure près, de la réduction de l’horaire de travail. Les « nombreux remboursements de voyages » ainsi que les problèmes en lien avec les « prestations payées par avance » évoqués par la société A.__ SA ont d’ailleurs occasionné une certaine charge de travail. On ajoutera, dans le même sens que les juges du TAF, que les indemnités en cas de RHT n’ont pas pour vocation d’assurer la pérennité de l’entreprise ou de couvrir des baisses du chiffre d’affaires ou des pertes d’exploitation (ATF 147 V 359 consid. 4.6.3).

 

 

Consid. 6.1
Consacré à l’art. 5 al. 2 Cst., le principe de la proportionnalité, dont la violation peut être invoquée de manière indépendante dans un recours en matière de droit public (cf. art. 95 al. 1 let. a LTF; ATF 148 II 475 consid. 5; 141 I 1 consid. 5.3.2; 140 I 257 consid. 6.3.1) commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu’elle soit raisonnable pour la personne concernée (ATF 141 I 1 consid. 5.3.2; 140 I 257 consid. 6.3.1; 140 II 194 consid. 5.8.2).

Consid. 6.2
Amené à se prononcer sur le grief tiré d’une violation du principe de la proportionnalité, le Tribunal administratif fédéral a retenu que la jurisprudence n’exigeait pas la mise en place d’un système de contrôle complexe des heures de travail; des relevés manuscrits par les employés eux-mêmes étaient suffisants, pour autant qu’ils soient quotidiens et qu’ils ne puissent pas être modifiés par la suite. Une telle contrainte n’était pas disproportionnée. En outre, dès lors que seules les heures de travail dont la perte était suffisamment contrôlable donnaient droit à des indemnités en cas de RHT, l’absence de tout contrôle avait pour conséquence qu’aucune des heures de travail perdues ne pouvait donner droit à des indemnités. Ainsi, le principe de la proportionnalité ne permettait pas à la société A.__ SA de se fonder uniquement sur des estimations du temps de travail effectif pour justifier un remboursement seulement partiel des prestations perçues. Le principe de la proportionnalité ne permettait pas non plus de tenir compte de circonstances dont la prise en considération n’était pas prévue par la réglementation, telles que l’absence d’avertissement préalable adressé à la société A.__ SA, la reconnaissance par celle-ci d’une partie de son obligation de restituer ou sa bonne foi. Par ailleurs, la société A.__ SA n’avait fourni aucun élément justifiant l’absence d’un système de contrôle adéquat ou établissant qu’un tel système aurait été superflu. Rien n’indiquait que la pandémie de Covid-19 était à l’origine de problèmes particuliers en lien avec le contrôle du temps de travail. C’était ainsi à tort que la société A.__ SA soutenait que la décision attaquée était une mesure excessive, inutile, injuste et donc disproportionnée.

Consid. 6.4
Comme souligné par les juges du TAF, les art. 31 al. 3 let. a LACI et 46b al. 1 OACI ainsi que la jurisprudence y relative ne laissent guère de place au pouvoir d’appréciation de l’autorité d’application du droit, de sorte que la portée du principe de la proportionnalité dans la mise en oeuvre de ces dispositions apparaît d’emblée restreinte. Dès le moment où l’horaire de travail n’est – comme en l’espèce – pas considéré comme suffisamment contrôlable sur une période donnée, l’octroi d’indemnités même partielles n’entre en principe pas en ligne de compte. Les juges du TAF ont par ailleurs relevé à juste titre que rien n’aurait empêché la société A.__ SA de mettre en place un système de contrôle des heures de travail effectivement effectuées. On ne voit pas en quoi la pandémie de Covid-19 aurait constitué un obstacle à l’instauration d’un tel système, qui pouvait se limiter à un simple relevé quotidien des heures de travail par les employés eux-mêmes. La société A.__ SA ne conteste d’ailleurs pas qu’un tel système était possible, puisqu’elle indique qu’un relevé d’heures plus détaillé (que le plan hebdomadaire relatif à la réduction de l’horaire de travail) n’aurait fait que confirmer les horaires effectivement effectués par les employés. L’arrêt entrepris échappe ainsi à la critique et le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de la société A.__ SA.

 

Arrêt 8C_699/2022 consultable ici