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8C_782/2023 (f) du 06.06.2024 – Fin du droit aux indemnités journalières – Stabilisation de l’état de santé / Vraisemblance du revenu sans invalidité / Revenu d’invalide – Pas d’abattement pour permis B / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_782/2023 (f) du 06.06.2024

 

Consultable ici

 

Fin du droit aux indemnités journalières – Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Vraisemblance du revenu sans invalidité / 16 LPGA

Revenu d’invalide – Pas d’abattement pour permis B / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1987, gérant de l’entreprise B.__ Sàrl (ci-après: la société), qu’il avait fondée et qui avait été inscrite au registre du commerce le 07.02.2017. Le 17.10.2018, il a été victime d’un accident sur l’autoroute, en Italie, alors qu’il était passager d’un véhicule.

Par décision du 10.02.2022, confirmée sur opposition le 24.05.2022, l’assurance-accidents lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 20% mais lui a dénié le droit à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité de 9% n’ouvrait pas le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 73/22 – 110/2023 – consultable ici)

Par jugement du 12.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Il ne suffit pas qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_682/2023 du 24 avril 2024 consid. 3.1.1 et les références).

Consid. 3.2.2 [résumé]
L’assuré soutient principalement que l’opération chirurgicale recommandée n’était pas exigible. Cependant, il ne démontre pas qu’un autre traitement médical aurait pu améliorer sensiblement son état de santé. Il ne conteste pas non plus la stabilisation de son état au 01.11.2022, conformément à l’art. 19 al. 1 LAA. Au contraire, il cite un rapport de la médecin-conseil, du 12.07.2021, selon lequel aucun traitement chirurgical ni médical ne pourrait améliorer de manière notable son état de santé. Par ailleurs, si l’on considérait que l’intervention chirurgicale était exigible et susceptible d’améliorer sensiblement l’état de santé de l’assuré, celui-ci ne pourrait s’en prévaloir – tout en refusant de s’y soumettre – dans le but de maintenir son droit aux indemnités journalières.

L’assuré évoque des contradictions entre les rapports médicaux pour justifier une expertise, mais son argument n’est pas fondé. Bien que la médecin-conseil ait noté le refus de l’assuré des propositions chirurgicales et l’absence de changement de l’angle de cyphotisation, cela n’est pas contradictoire avec l’avis du chirurgien traitant qui avait évoqué une possible intervention tout en reconnaissant qu’elle n’était pas exigible d’un point de vue assécurologique.

En conclusion, le grief de l’assuré est rejeté et la date de stabilisation de son état de santé est maintenue.

 

Consid. 4.2.1
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 139 V 176 consid. 5.3).

Consid. 4.2.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont constaté que deux mois après l’accident, la société avait informé l’assurance-accidents d’une augmentation rétroactive du salaire de l’assuré (son gérant) à CHF 6’900 par mois à partir du 01.08.2018, soit environ deux mois avant l’accident. Un avenant au contrat de travail non daté, signé par l’assuré en tant qu’employeur et employé, a été produit. Cependant, la déclaration de sinistre du 19.10.2018 mentionnait un salaire mensuel de CHF 5’000, jugé plus conforme au revenu effectif de l’assuré avant l’accident, considérant le certificat de salaire de CHF 50’187net pour 2017. Les juges ont rappelé l’art. 15 al. 2 LAA, prévoyant que le salaire déterminant pour le calcul des rentes est celui gagné durant l’année précédant l’accident. Ils ont validé la décision de la l’assurance-accidents de prendre en compte un salaire annuel de CHF 68’536 (CHF 5’272 x 13) comme revenu de valide, correspondant au salaire de la Convention nationale du gros œuvre pour 2021 mentionné dans le contrat de travail de l’assuré.

Consid. 4.3
Les considérations des juges cantonaux sont convaincantes et il convient de s’y rallier; un salaire mensuel de CHF 6’900 n’apparaît pas comme le montant le plus vraisemblable au regard des éléments mis en évidence par eux. Les explications de l’assuré sont soit incomplètes, soit confuses. En effet, s’il avait perçu en 2017 un salaire uniquement à partir de juillet, cela reviendrait à retenir un revenu moyen mensuel de plus de CHF 8’000 au vu du certificat de salaire 2017 mentionnant un revenu annuel net de CHF 50’187, ce qui se heurte au contenu du contrat de travail et à la prétendue augmentation de salaire (à CHF 6’900) dès le mois d’août 2018. Quant aux fiches de salaire, elles mentionnent un versement en espèces, sans que le dossier fasse état de quittance de paiement. Ces éléments sont autant de motifs qui ne plaident pas en faveur de l’assuré. Partant, les juges cantonaux étaient fondés à confirmer le choix de l’assurance-accidents de se référer aux salaires conventionnels, vu les allégations contestables de l’assuré et la faible force probante que l’on peut accorder aux pièces produites par lui.

 

Consid. 5.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 5.3
En l’occurrence, la cour cantonale a confirmé le taux d’abattement appliqué par l’assurance-accidents sur le revenu statistique « compte tenu de la situation de l’assuré ». Toutefois, à la lecture de l’arrêt attaqué, il n’est pas possible de saisir quel (s) facteur (s) de réduction entrent en considération pour eux. Quoi qu’il en soit, l’argumentation de l’assuré, en tant qu’il requiert une déduction de 25% liée au handicap, doit être rejetée.

Celui-ci ne conteste pas sa capacité totale de travail, sans diminution de rendement, dans une activité adaptée, ni les limitations fonctionnelles retenues, excluant les activités avec port de charges très légères (inférieures à 5 kg), les activités nécessitant une position statique (assis ou debout; alternance des positions nécessaire), la marche répétée ou prolongée et la position en porte-à-faux du rachis. Cela étant, compte tenu du large éventail d’activités légères offert dans le marché du travail, un certain nombre d’entre elles sont adaptées à de telles limitations et accessibles sans aucune formation particulière. L’on peut penser à des activités simples et répétitives dans le domaine industriel léger (par exemple montage, contrôle ou surveillance d’un processus de production; ouvrier à l’établi dans des activités simples et légères, etc.). Par conséquent et vu qu’une diminution de rendement n’a pas été retenue, un taux de 10% en raison du handicap peut être confirmé. Quant aux autres facteurs de réduction, ils n’entrent pas en considération (le permis B n’étant pas susceptible de réduire les perspectives salariales de l’assuré au regard de la nature des activités encore exigibles).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_782/2023 consultable ici

 

9C_197/2024 (f) du 12.08.2024 – Rôle du conseiller en réadaptation vs du médecin / Pas d’abattement pour le canton du Valais / Pas d’abattement pour les limitations fonctionnelles après réadaptation dans une activité adaptée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_197/2024 (f) du 12.08.2024

 

Consultable ici

 

Rôle du conseiller en réadaptation et du médecin dans la détermination des activités professionnelles adaptées aux capacités résiduelles de l’assuré / 16 LPGA

Postes de surveillant « exclusif » suffisamment représentés sur le marché équilibré du travail

Revenu d’invalide ESS – Pas d’abattement pour le canton du Valais ni d’abattement pour les limitations fonctionnelles après réadaptation dans une activité adaptée

 

Assuré, né en 1965, a travaillé en dernier lieu en tant que surveillant auprès de l’École d’agriculture. En octobre 2013, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité. L’office AI a octroyé à l’assuré des mesures d’ordre professionnel, sous la forme notamment d’un reclassement en qualité de surveillant d’école. Entre autres mesures d’instruction, il a diligenté une expertise auprès d’un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur (rapport du 17.10.2017 et complément du 15.01.2018).

L’office AI a notamment mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (rapport du 26.07.2019). Après avoir soumis les différents avis médicaux à son SMR, l’administration a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité du 01.04.2014 au 30.09.2017 (rente entière jusqu’au 31.12.2015, demi-rente jusqu’au 31.07.2017, puis rente entière jusqu’au 30.109. 2017), puis dès le 01.02.2020 (rente entière), par décisions des 09.07.2021 et 22.07.2021.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 20.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3 [résumé]
Sur la base des expertises médicales et de l’avis SMR, les juges cantonaux ont conclu que l’assuré avait retrouvé une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dès le 05.06.2017, et ce jusqu’à la pose d’une prothèse du genou le 17.02.2020. Les avis divergents des médecins traitants n’ont pas été jugés suffisamment convaincants pour remettre en cause ces conclusions.

La juridiction cantonale a ensuite validé que l’activité de surveillant « exclusif », sans tâches supplémentaires, était adaptée à l’assuré pendant la période concernée. Elle a calculé le taux d’invalidité en comparant le revenu antérieur (CHF 88’393.50) avec celui d’une activité adaptée de surveillant (CHF 65’545.60), basé sur les données statistiques du niveau de compétences 2 de l’Enquête suisse sur la structure des salaires pour les activités de services administratifs. Cela a conduit à un taux d’invalidité de 25%, insuffisant pour maintenir une rente d’invalidité au-delà du 30.09.2017. Ainsi, l’assuré n’avait pas droit à une rente AI entre le 01.10.2017 et le 31.01.2020.

 

Consid. 5.2.1 [résumé]
L’expert orthopédique a indiqué, dans son rapport d’expertise du 17.10.2017, qu’une activité de surveillant ne respectait pas les limitations fonctionnelles de l’assuré. Cela étant, selon les constations cantonales, tant les conclusions de l’expertise pluridisciplinaires que celles du service de réadaptation de l’office AI ont confirmé le caractère exigible d’une telle profession. On constate effectivement que le service de réadaptation a fourni une liste non exhaustive de tâches spécifiques à un poste de surveillant (surveiller les élèves et contrôler le respect du règlement intérieur de l’établissement, suivre et compléter les documents administratifs et la correspondance, repérer les dégradations ou incidents, organiser et surveiller le déroulement du repas au réfectoire, etc.) adaptées aux limitations fonctionnelles de l’assuré décrites par l’expert orthopédique. Or on rappellera, à la suite des juges cantonaux, qu’il appartient au conseiller en réadaptation, non au médecin, d’indiquer quelles sont les activités professionnelles concrètes entrant en considération sur la base des renseignements médicaux et compte tenu des aptitudes résiduelles de l’assuré (ATF 107 V 17 consid. 2b; arrêt I 778/05 du 11 janvier 2007 consid. 6.1 et les références). A l’issue de l’expertise pluridisciplinaire, les experts ont par ailleurs confirmé qu’une activité de surveillant uniquement, sans participation aux sorties des élèves, à la conciergerie et à l’installation des classes, est adaptée aux limitations qu’ils ont décrites (pas d’effort de soulèvement de plus de 5 kg, pas de porte-à-faux du buste, port de charge limité à 5 kg, pas de marche ou de piétinement prolongé, éviter les escaliers, pas de travail en hauteur, pas de position à genoux ou accroupie, pas d’effort de préhension ou de pronosupination forcé des mains). Pour le surplus, l’assuré ne s’en prend pas à la valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire.

Consid. 5.2.2 [résumé]

L’argument de l’assuré selon lequel un poste de surveillant « exclusif » sans tâches annexes n’existerait pas sur un marché du travail équilibré est rejeté. Les juges cantonaux ont montré, en s’appuyant sur des documents de l’office AI, que ce type de poste est suffisamment représenté sur le marché équilibré du travail. Selon la prise de position du coordinateur en réadaptation de l’office AI, la majorité des emplois de surveillant n’incluent pas de tâches supplémentaires comme la conciergerie ou la maintenance, et sont donc représentatifs sur un marché du travail dit équilibré.

 

Consid. 5.3.1
S’agissant ensuite de la détermination de son revenu d’invalide, l’assuré soutient, en se référant à un article de doctrine (GABRIELA RIEMER-KAFKA/URBAN SCHWEGLER, Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn, RSAS 2021, p. 287 ss), que les données statistiques sur lesquelles se fondent les offices de l’assurance-invalidité et les tribunaux pour déterminer le revenu statistique d’invalide ne tiennent pas suffisamment compte de l’état de santé des assurés et des réalités du marché du travail. Dans ce contexte, il reproche aux juges cantonaux de ne pas avoir opéré d’abattement sur le revenu statistique d’invalide. Il fait valoir, en se référant également au principe de non discrimination prévu par l’art. 8 al. 2 Cst. et les art. 8 et 14 CEDH, que dans son cas, un abattement de 45% était justifié (à savoir 25% en raison de son âge et de son canton de domicile et 20% afin de tenir compte de ses limitations fonctionnelles).

Consid. 5.3.2
Concernant l’article de GABRIELA RIEMER-KAFKA et URBAN SCHWEGLER, auquel l’assuré se réfère, on rappellera que le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y a pas de motif sérieux et objectif de modifier la jurisprudence selon laquelle la détermination du revenu d’invalide sur la base des valeurs statistiques se fonde en principe sur la valeur centrale, respectivement médiane, de l’ESS, malgré les critiques présentées par ces auteurs (ATF 148 V 174 consid. 9.2.4).

Consid. 5.3.3 [résumé]
La question de savoir si un abattement doit être appliqué au salaire statistique pour des raisons particulières (handicap ou autres facteurs) est une question de droit, que le Tribunal fédéral examine librement. En revanche, la détermination du taux d’abattement dans un cas concret, limité à 25% maximum, relève du pouvoir d’appréciation des juges cantonaux. Le Tribunal fédéral n’intervient que si cet exercice d’appréciation a été effectué de manière contraire au droit, par excès ou insuffisance de l’appréciation, ou en cas d’abus.

Consid. 5.3.4
L’argumentation de l’assuré selon laquelle les juges cantonaux auraient dû procéder à un abattement en raison du fait qu’il existe des différences notables sur le plan salarial entre les cantons, ce qui conduirait à discriminer certains travailleurs issus de cantons « dits pauvres », comme le Valais, n’est pas fondée. La jurisprudence admet, de manière constante, que l’évaluation de l’invalidité repose sur des données statistiques lorsque la personne assurée n’exerce plus d’activité, ou aucune activité adaptée lui permettant de mettre pleinement en valeur sa capacité résiduelle de travail (ATF 135 V 297 consid. 5.2 et les arrêts cités), et que le principe constitutionnel de l’égalité de traitement commande de recourir aux salaires statistiques ressortant de l’ESS, sans tenir compte de données salariales régionales, et à plus forte raison cantonales (arrêts 9C_272/2022 du 20 avril 2023 consid. 5.3; 9C_535/2019 du 31 octobre 2019 consid. 4 et les arrêts cités). L’assuré ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter de cette jurisprudence constante (sur les conditions d’un changement de jurisprudence, ATF 144 V 72 consid. 5.3.2).

Consid. 5.3.5
C’est également en vain que l’assuré reproche à l’instance cantonale de ne pas avoir opéré un abattement sur le salaire statistique d’invalide en raison de ses limitations fonctionnelles, dès lors que celles-ci ont été prises en compte dans le choix du type d’activité adaptée (cf. arrêt 9C_497/2020 du 25 juin 2021 consid. 5.2.2). Par ailleurs, même en prenant en considération un éventuel abattement en raison de l’âge de l’assuré, il pourrait être fixé à 10% au plus en regard de ce seul critère, ce qui ne modifierait en rien l’issue du litige quant au taux d’invalidité déterminant pour le maintien du droit à la rente durant la période ici litigieuse (taux d’invalidité de 33%, issu de la comparaison entre le revenu sans invalidité de 88’393 fr. 50 fr. et le revenu statistique d’invalide de 65’545 fr. 60 [consid. 3 supra], sous déduction d’un abattement de 10%).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_197/2024 consultable ici

 

8C_90/2024 (f) du 05.08.2024 – Rente transitoire / Jurisprudence de l’AI pour les assurés de plus de 55 ans non applicable au domaine de la LAA / Revenu d’invalide selon ESS (niv. 1) – Pas d’abattement pour la mauvaise maîtrise du français, le manque de formation professionnelle

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_90/2024 (f) du 05.08.2024

 

Consultable ici

 

Rente transitoire / 19 al. 3 LAA – 30 OLAA

Jurisprudence de l’AI pour les assurés de plus de 55 ans non applicable au domaine de la LAA

Revenu d’invalide selon ESS (niv. 1) / 16 LPGA

Pas d’abattement pour la mauvaise maîtrise du français, le manque de formation professionnelle

 

Assuré, né en 1961, ouvrier dans la construction depuis 1992. Le 02.05.2018, alors qu’il se trouvait dans une fouille de canalisation, il a été partiellement enseveli par l’effondrement d’un bord, ce qui a entraîné des fractures de l’hémi-bassin droit, de la partie droite du sacrum et de l’apophyse de L5 à droite. Le 04.06.2018, il a subi une intervention chirurgicale (stabilisation de l’anneau pelvien antérieur avec une plaque de reconstruction). En cours de traitement, l’assuré s’est également plaint de troubles urologiques, érectiles et psychiques.

Le 30.10.2018, il a déposé une demande de prestations auprès l’office AI.

Le 16.09.2021, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle considérait que sa situation était stabilisée et qu’elle mettait un terme au paiement des frais médicaux et de l’indemnité journalière au 30.11.2021. Par décision du 20.09.2021, confirmée sur opposition le 22.04.2022, elle lui a octroyé une rente fondée sur un taux d’invalidité de 15% dès le 01.12.2021 et a refusé de lui allouer une IPAI. L’assurance-accidents a notamment considéré, sur la base de l’appréciation de son médecin d’arrondissement, que compte tenu des seules atteintes (orthopédiques et neurologiques) en lien de causalité avec l’accident, l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles.

Statuant le 12.01.2023, l’office AI, constatant que l’assuré présentait une incapacité de travail totale dans toute activité professionnelle, lui a accordé une rente entière d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 89 – consultable ici)

Par jugement du 21.12.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
Se plaignant d’une violation du droit fédéral, l’assuré reproche à la juridiction cantonale de ne pas avoir appliqué la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d’assurance-invalidité relative aux assurés de plus de 55 ans et aux mesures d’ordre professionnel, qui conduirait à l’octroi d’une rente fondée sur un taux d’invalidité de 100%.

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). L’art. 19 al. 3 LAA précise que le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur la naissance du droit aux rentes lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité quant à la réadaptation professionnelle intervient plus tard. Aux termes de l’art. 30 al. 1 OLAA, lorsqu’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, mais que la décision de l’AI concernant la réadaptation professionnelle n’interviendra que plus tard, une rente sera provisoirement allouée dès la fin du traitement médical; cette rente est calculée sur la base de l’incapacité de gain existant à ce moment-là. Le droit s’éteint: dès la naissance du droit à une indemnité journalière de l’AI (let. a); avec la décision négative de l’AI concernant la réadaptation professionnelle (let. b); avec la fixation de la rente définitive (let. c).

L’octroi d’une rente provisoire suppose notamment qu’un droit à des mesures de réadaptation professionnelle de l’AI soit sérieusement envisagé. Tel est le cas lorsque, au moment où l’assureur-accidents rend sa décision sur opposition, l’AI n’a pas encore statué de manière définitive sur des mesures de réadaptation professionnelle qui sont en cours d’examen (arrêt 8C_347/2014 du 15 octobre 2014 consid. 3.2; THOMAS FLÜCKIGER, in: Frésard-Fellay/Leuzinger/Pärli [éd.], Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 52 ad art. 19 LAA). Par ailleurs, la décision de l’AI à venir doit porter sur des mesures qui sont de nature à influencer le taux d’invalidité déterminant pour la rente de l’assurance-accidents (arrêts 8C_424/2023 du 21 février 2024 consid. 5.2; 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 4.3.1 et les références; THOMAS FLÜCKIGER, op. cit., n°18 et 53 ad art. 19 LAA).

Consid. 4.1.2
Selon la jurisprudence applicable en assurance-invalidité (cf. arrêts 9C_177/2023 du 26 mars 2024 consid. 6.2; 9C_303/2022 du 31 mai 2023 consid. 5.2 et les arrêts cités), il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence, qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut pas, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, l’office de l’assurance-invalidité doit vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si celui-ci a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste.

Consid. 4.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont estimé que la jurisprudence précitée (cf. consid. 4.1.2 supra) invoquée par l’assuré ne s’appliquait pas à l’assurance-accidents, car celle-ci ne prévoit pas de mesures d’ordre professionnel parmi ses prestations. De plus, cette jurisprudence concerne la réduction ou suppression de rentes d’invalidité, ce qui n’était pas pertinent dans le cas présent. La fin du versement des indemnités journalières de l’assurance-accidents ne pouvait pas être assimilée à une réduction ou suppression de rente AI. L’office AI avait considéré que la réinsertion professionnelle de l’assuré était irréaliste et avait donc immédiatement octroyé une rente, d’autant plus que l’assuré souffrait de troubles non couverts par l’assurance-accidents. Par ailleurs, l’assuré avait demandé une retraite anticipée à l’âge de 60 ans (01.12.2021), rendant toute reconversion professionnelle improbable. Dès lors, il ne pouvait pas invoquer les dispositions relatives à la rente transitoire, qui visent à soutenir une reconversion professionnelle. Le fait que l’office AI n’avait pas encore statué sur les mesures de réadaptation n’empêchait pas l’assurance-accidents de clore le dossier.

Consid. 4.4
La relation entre la fixation de la rente d’invalidité par l’assureur-accidents et la réadaptation professionnelle en matière d’assurance-invalidité est exhaustivement réglée aux art. 19 al. 3 LAA et 30 OLAA. En l’espèce, rien n’indique que des mesures d’ordre professionnel aient été en cours d’examen par l’office AI au moment de la décision sur opposition du 22.04.2022. L’assuré, qui avait pris sa retraite anticipée au moment où cette décision sur opposition a été rendue, n’expose d’ailleurs pas quelle mesure aurait été concrètement envisagée et dans quel but, que ce fût antérieurement ou postérieurement à cette décision. Il ne soutient même pas avoir sollicité la moindre mesure. On notera qu’aucune des situations visées par la jurisprudence susmentionnée en matière d’assurance-invalidité (cf. consid. 4.1.2 supra) – en particulier la réduction ou la suppression du droit à la rente de l’assurance-invalidité – n’étaient données, de sorte que l’office AI n’avait pas à faire application de cette jurisprudence. On ne voit donc pas qu’au moment où l’assurance-accidents a rendu sa décision sur opposition, elle devait compter avec une future décision de l’office AI portant sur des mesures de réadaptation professionnelle ayant une potentielle incidence sur le taux de la rente d’invalidité en assurance-accidents, qui devait être fixé en tenant compte des seuls troubles en lien de causalité avec l’accident du 02.05.2018, à savoir les atteintes orthopédiques et neurologiques, à l’exclusion des affections psychiques, urologiques et érectiles.

En tout état de cause, l’assuré perd de vue que la rente provisoire doit aussi être fixée d’après la méthode de comparaison des revenus et que dans ce cadre, l’activité raisonnablement exigible ne correspond pas forcément à l’activité habituelle (arrêt 8C_99/2023 du 7 août 2023 consid. 4.2 et les arrêts cités). En l’espèce, au moment de la décision sur opposition, l’assuré bénéficiait selon l’assurance-accidents et la cour cantonale d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses restrictions fonctionnelles. À ce propos, l’assuré n’émet aucune critique à l’encontre de l’appréciation du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents. Il n’y a donc pas de raison de s’en écarter. En outre, contrairement à ce qu’il affirme, l’office AI ne lui a pas accordé une rente entière d’invalidité en prenant en considération les seuls troubles causés par l’accident du 02.05.2018. Il a fondé sa décision sur une incapacité de travail totale dans toute activité, en soulignant que l’assurance-accidents avait, pour sa part, tenu compte des seules séquelles de l’accident pour retenir une pleine capacité de travail dans une activité adaptée. Au demeurant, l’assureur-accidents n’est pas lié par l’évaluation de l’invalidité de l’assurance-invalidité (ATF 131 V 362 consid. 2.3; arrêt 8C_493/2022 du 8 mars 2023 consid. 4.5), tout comme l’évaluation de l’invalidité par l’assurance-accidents n’a pas de force contraignante pour l’assurance-invalidité (ATF 133 V 549). L’assuré ne peut donc pas prétendre à une rente – qu’elle soit provisoire ou définitive – fondée sur un taux d’invalidité de 100% du fait de son incapacité de travail dans son activité habituelle d’ouvrier dans la construction.

Pour le reste, on ne voit pas ce que pourrait tirer l’assuré de la jurisprudence en matière d’assurance-invalidité dont il se prévaut. Celle-ci ne s’adresse pas aux assureurs-accidents, lesquels ne sont pas compétents pour octroyer des mesures de réadaptation professionnelle. Aussi, la fin du versement de l’indemnité journalière par l’assureur-accidents ne peut aucunement être corrélée à une quelconque obligation de sa part découlant de cette jurisprudence. Il s’ensuit que le grief du recourant est mal fondé.

 

Consid. 5.1.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 5.1.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_682/2023 du 24 avril 2024 consid. 4.1.2.2 et l’arrêt cité).

Consid. 5.1.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

 

Consid. 5.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont confirmé l’abattement de 10% appliqué par l’assurance-accidents. Ils ont refusé d’augmenter ce taux en raison de sa qualité d’étranger. Les lacunes linguistiques en français et le manque de formation professionnelle avaient déjà été intégrés, l’assurance-accidents ayant utilisé le niveau de compétence 1 de l’ESS (activités ne nécessitant ni formation ni expérience professionnelle) pour calculer le revenu d’invalide.

Consid. 5.4
Le raisonnement de la cour cantonale échappe à la critique. L’assuré, au bénéfice d’un permis d’établissement et vivant en Suisse depuis de nombreuses années au moment de la décision sur opposition de l’assurance-accidents, n’est pas prétérité par rapport à une personne de nationalité suisse (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêts 8C_454/2023 du 19 décembre 2023 consid. 5.4; 8C_883/2015 du 21 octobre 2016 consid. 6.3.2; 8C_738/2012 du 20 décembre 2012 consid. 6.2). Par ailleurs, sa mauvaise maîtrise du français et des autres langues nationales ainsi que son manque de formation professionnelle ne sont pas déterminants dans le contexte d’activités du niveau de compétence 1, qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifiques (cf. arrêts 8C_454/2023 précité consid. 5.4; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 9C_550/2019 du 19 février 2020 consid. 4.3; 9C_898/2017 du 25 octobre 2018 consid. 3.4). En confirmant le taux d’abattement de 10% retenu par l’assurance-accidents, le tribunal cantonal n’a commis ni excès ni abus de son pouvoir d’appréciation.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_90/2024 consultable ici

 

LCAI no 445 – Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 : Détermination du revenu avec invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS

Lettre circulaire AI no 445 – Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 : Détermination du revenu avec invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS

 

Lettre circulaire AI no 445 du 26.08.2024 consultable ici

 

Le 23 juillet 2024, le Tribunal fédéral a publié son arrêt 8C_823/2023 du 8 juillet 2024, ainsi que le communiqué de presse correspondant. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral parvient à la conclusion que l’art. 26bis al. 3 RAI, dans sa version en vigueur entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, se révèle trop restrictif dans certaines situations. Pour cette raison, il convient de faire appel, en complément de l’art. 26bis al. 3 RAI, à la jurisprudence appliquée par le Tribunal fédéral concernant l’abattement dû à l’atteinte à la santé (ATF 126 V 75 ; ATF 134 V 322).

L’arrêt du Tribunal fédéral est entré en force le 8 juillet 2024, le jour où il a été prononcé, et s’applique dès lors avec effet immédiat. Concernant le droit à la rente, les répercussions sont les suivantes

  1. Droits à la rente nés avant le 1er janvier 2022, pour lesquels la décision n’a pas encore été rendue : aucune conséquence

Pour les droits à la rente qui doivent être évalués pour la période avant le 1er janvier 2022, il convient de faire appel aux dispositions en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, ainsi qu’à la jurisprudence correspondante (y compris l’abattement dû à l’atteinte à la santé), raison pour laquelle l’arrêt du Tribunal fédéral reste ici sans conséquence (sous réserve d’une adaptation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 suite à une révision ; cf. plus bas, ch. 2).

Les droits à la rente en cours le 1er janvier 2024 doivent être examinés au sens de l’al. 1 de la disposition transitoire du RAI relative à la modification du 18 octobre 2023. Si les conditions correspondantes sont remplies, seule la déduction forfaitaire est applicable (cf. ch. 3) et le droit à la rente doit, le cas échéant, être relevé avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2024.

 

  1. Droits à la rente nés entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, pour lesquels la décision n’a pas encore été rendue : application éventuelle d’un abattement dû à l’atteinte à la santé

Pour les droits à la rente qui prennent naissance entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, il convient de tenir compte de l’arrêt du Tribunal fédéral, ce qui signifie que lors de la détermination du revenu avec invalidité sur la base de données statistiques, il faut également examiner la pertinence de l’application d’un éventuel abattement dû à l’atteinte à la santé conformément à la jurisprudence en vigueur avant le 1er janvier 2022. Cela signifie qu’en plus de la déduction de 10% pour le travail à temps partiel, il faut procéder à un éventuel abattement dû à l’atteinte à la santé, qui tient compte des autres caractéristiques, telles que les limitations qualitatives qui n’ont pas déjà pu être prise en compte lors de la détermination de la capacité fonctionnelle ou les années de service. La déduction pour travail à temps partiel doit être déterminée sur la base de l’art. 26bis al. 3 RAI et ne doit pas être prise en compte pour déterminer un éventuel abattement dû à l’atteinte à la santé (pas de double prise en compte du même facteur). L’abattement peut s’élever tout au plus à 25% (y compris une éventuelle déduction de 10% pour le travail à temps partiel) (ATF 126 V 75).

Il convient également de préciser que la mise en parallèle et la détermination de la capacité fonctionnelle doivent être réalisées conformément aux art. 26 al. 2 et 3 et 49 al. 1bis RAI (dans sa version en vigueur à partir du 1er janvier 2022).

Les mêmes règles s’appliquent aux droits à la rente qui ont dû être adaptés entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 suite à une révision ou à un octroi échelonné avec effet rétroactif. Il convient alors de tenir compte du droit intertemporel (cf. les lettres b et c des dispositions transitoires de la LAI relatives à la modification du 19 juin 2020 ; cf. aussi le chap. 9 «Dispositions transitoires» de la CIRAI).

Les droits à la rente en cours le 1er janvier 2024 doivent être examinés au sens de l’al. 1 de la disposition transitoire du RAI relative à la modification du 18 octobre 2023. Si les conditions correspondantes sont remplies, seule la déduction forfaitaire est applicable (cf. ch. 3) et le droit à la rente doit, le cas échéant, être relevé avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2024.

 

  1. Droits à la rente nés à partir du 1er janvier 2024, pour lesquels la décision n’a pas encore été rendue : aucune conséquence

Concernant les droits à la rente qui prennent naissance à compter du 1er janvier 2024, il convient de faire appel aux dispositions en vigueur à partir de cette même date. L’arrêt du Tribunal fédéral ne s’exprime qu’au sujet de l’art. 26bis, al. 3, RAI dans sa version en vigueur entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 et ne concerne donc pas la version en vigueur à partir du 1er janvier 2024. Lors de la détermination du revenu avec invalidité sur la base de valeurs statistiques, seule la déduction forfaitaire de 20% au maximum est prise en compte.

 

  1. Cas concernés par une décision entrée en force : pas de nécessité d’agir

Lorsqu’une décision concernant un droit à la rente est déjà entrée en force avant le 8 juillet 2024, l’arrêt du Tribunal fédéral n’oblige pas à revenir d’office sur la décision en question. Il ne constitue pas non plus un motif suffisant pour une nouvelle demande de rente ou pour une demande de révision du droit à la rente (art. 87 al. 2 et 3 RAI).

 

 

Lettre circulaire AI no 445 du 26.08.2024 « Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 : Détermination du revenu avec invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS » consultable ici

IV-Rundschreiben Nr. 445 «Auswirkungen des Bundesgerichtsurteils 8C_823/2023 – Festlegung des Einkommens mit Invalidität anhand statistischer Einkommen der LSE» hier abrufbar

Lettera circolare AI n. 445 “Ripercussioni della sentenza del Tribunale federale 8C_823/2023 – Determinazione del reddito con invalidità in base ai salari statistici della RSS” disponibile qui

 

Cf. également la traduction par mes soins de l’arrêt 8C_823/2023 disponible ici.

 

 

8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication – Abattement sur le salaire statistique selon l’art. 26bis RAI (dans sa teneur dès le 01.01.2022 [DCAI]) / Interprétation par le TF des art. 28a al. 1 LAI et 26bis RAI (dans leur teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Abattement sur le salaire statistique selon l’art. 26bis RAI (dans sa teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Interprétation par le TF des art. 28a al. 1 LAI et 26bis RAI (dans leur teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Début du droit à la rente d’invalidité et mesures de réinsertion / 28 al. 1 let. a LAI – 14a LAI

 

L’assuré, né en 1974, est arrivé en Suisse en décembre 1992 et a travaillé dans le secteur de la construction, en dernier lieu comme manœuvre depuis septembre 2006. Après un accident au genou en février 2018, il a déposé une demande AI en août 2018.

Une mesure d’intégration prévue en mai 2019 a été interrompue pour des raisons de santé. L’assuré a commencé un traitement psychiatrique fin mai 2019. Le contrat de travail a pris fin le 31.12.2019.

Une expertise pluridisciplinaire (médecine interne générale, pneumologie, psychiatrie et rhumatologie), réalisée le 10.06.2022, a conduit l’office AI, le 28.07.2022, à octroyer une rente entière à partir de février 2019 et une rente de 54% à partir de juin 2022. Après contestation, le projet de décision a été confirmée le 09.11.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2022.120 – consultable ici)

Par jugement du 31.08.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, accordant à l’assuré une rente entière dès février 2019 et une rente de 59% d’une rente entière dès juin 2022.

 

TF

L’OFAS forme un recours contre ce jugement en demandant qu’une rente entière soit accordée à l’assuré à partir de juin 2019 et qu’une rente correspondant à 57% d’une rente AI entière soit accordée à partir de mai 2022.

Consid. 4 – Droit applicable
Dans le cadre du « développement continu de l’AI » (DCAI), la LAI, le RAI et la LPGA – notamment – ont été modifiés avec effet au 1er janvier 2022 (RO 2021 705 ; FF 2017 2535). La décision sur laquelle se fonde l’arrêt attaqué ici a été rendue après le 1er janvier 2022. Compte tenu du principe de droit intertemporel (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), il convient de déterminer, selon la situation juridique en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si un droit à la rente a pris naissance jusqu’à cette date.

Selon la let. b des dispositions transitoires, les bénéficiaires de rente dont le droit à la rente est né avant l’entrée en vigueur de la présente modification et qui n’avaient pas encore 55 ans à l’entrée en vigueur de cette modification, la quotité de la rente ne change pas tant que leur taux d’invalidité ne subit pas de modification au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA. L’assuré, âgé de moins de 55 ans au 1er janvier 2022, tombe sous le coup de cette disposition. Il ne fait aucun doute que son état de santé psychique s’est considérablement amélioré après 2022 et qu’il y a donc lieu d’adapter sa rente. A cet égard, c’est donc le nouveau droit, en vigueur à partir du 1er janvier 2022, qui s’applique, comme l’a reconnu le tribunal cantonal en se référant à l’arrêt 8C_644/2022 du 8 février 2023 (consid. 2.2.3) ainsi qu’à la pratique administrative (ch. 9102 de la Circulaire sur l’invalidité et les rentes dans l’assurance-invalidité [CIRAI], valable à partir du 1er janvier 2022, état au 1er juillet 2022).

Consid. 5.1 (résumé)
Le tribunal cantonal a détaillé les bases juridiques concernant le début du droit à la rente en 2019 (art. 28 al. 1 let. b et c LAI, version jusqu’au 31.12.2021). Les constatations médicales de l’instance précédente ne sont pas contestées, notamment concernant les atteintes somatiques et psychiatriques de l’assuré. Le tribunal cantonal a accordé une valeur probante au rapport d’expertise pluridisciplinaire et s’est basé sur ses indications concernant la capacité de travail (cf. toutefois consid. 5.3 infra).

 

Consid. 5.2.1 (résumé) – Début du droit à la rente
L’OFAS conteste le début de la rente fixé à février 2019, arguant que le tribunal cantonal a violé le principe « la réadaptation prime la rente » (art. 28 al. 1 let. a LAI). L’office fédéral souligne qu’une mesure de réinsertion (art. 14a LAI) a été octroyée à l’assuré du 06.05.2019 au 02.08.2019, accompagnée d’une indemnité journalière versée à l’employeur. Selon l’OFAS, cela aurait dû être pris en compte pour déterminer le début du droit à la rente.

Consid. 5.2.2
C’est à juste titre que l’OFAS renvoie dans ce contexte à la jurisprudence selon laquelle une rente de l’AI ne peut être octroyée avant la mise en œuvre de mesures de réadaptation que si la personne assurée n’est pas ou pas encore apte à la réadaptation en raison de son état de santé, ce qui vaut également pour les mesures de réinsertion. Tant que de telles mesures peuvent être envisagées, le droit à une rente ne doit donc pas être examiné et une rente ne peut pas être accordée. Le fait que le droit à la rente ne puisse en principe naître qu’après la fin des mesures de réadaptation s’applique même si celles-ci n’ont eu qu’un succès partiel ou ont échoué. Il en va autrement après des mesures d’instruction qui doivent montrer si l’assuré est apte à la réadaptation et qui révèlent que ce n’est pas le cas ; dans ce cas, une rente peut être octroyée avec effet rétroactif (cf. ATF 148 V 397 consid. 6.2.4 et les références).

Tel est le cas en l’espèce. La mesure de réinsertion a été interrompue fin mai 2019 après seulement trois jours de présence de l’assuré, pour cause de maladie (arrêt à 100%). La raison pour laquelle aucune rente rétroactive n’aurait dû être accordée le 09.11.2022 dans ce contexte n’est pas claire, notamment au vu de l’expertise pluridisciplinaire sur la capacité de travail. La perception d’indemnités journalières n’y change rien. En effet, dans le cas présent, les indemnités journalières, versées par l’assurance-accidents et non par l’AI, ne s’opposent pas au droit à la rente selon l’art. 68 LPGA.

Consid. 5.3 (résumé)
L’OFAS conteste l’évaluation de l’évolution de la capacité de travail par l’instance cantonale, arguant qu’elle contredit l’expertise, notamment concernant l’amélioration constatée dès février 2022. Cependant, le tribunal cantonal a correctement noté l’absence de capacité de travail résiduelle de février 2018 à février 2022, suivie d’une capacité de 50% dans une activité adaptée. Bien que le tribunal ait fixé l’amélioration à mars 2022 plutôt qu’à février, cette décision, bien que potentiellement moins précise, reste défendable et non arbitraire.

Consid. 5.4 (résumé)
On peut ainsi considérer que l’assuré est, selon l’expertise pluridisciplinaire, en incapacité de travail à 100% depuis février 2018 dans son activité habituelle de manœuvre. Jusqu’en février 2022 inclus, il était également en incapacité totale de travail dans une activité adaptée. Et à partir de mars 2022, il dispose d’une capacité de travail de 50%.

Le tribunal cantonal a constaté les limitations fonctionnelles suivantes. En raison d’altérations dégénératives de la coiffe des rotateurs des deux épaules, l’assuré ne peut plus soulever, porter ou pousser des charges de plus de 5 kg, travailler au-dessus de la tête, ni effectuer des mouvements répétitifs des bras et des mains. En raison d’une pangonarthrose bilatérale, il lui est impossible de travailler principalement debout ou en marchant plus de 30 minutes consécutives, de se pencher en avant, de s’agenouiller ou de s’accroupir, ainsi que d’exercer des activités sur un terrain accidenté ou nécessitant de monter des escaliers ou des échelles. Seules les activités physiques légères, avec alternance des positions, sont exigibles. Les troubles dégénératifs des poignets et de la cheville droite n’entraînent pas de limitation significative. L’exposition à la poussière doit être évitée en raison de l’asthme bronchique, et une fatigue accrue limite l’exercice d’activités à risque de chute ou sur des machines dangereuses. D’un point de vue psychiatrique, l’assuré présente des limitations graves dans la flexibilité, l’adaptation et la capacité à travailler en groupe. Des limitations de degré moyen concernent l’adaptation aux règles, la planification des tâches, l’application des compétences, ainsi que les relations avec des tiers. L’assuré est légèrement limité dans ses activités spontanées.

 

Consid. 6.1
Après avoir écarté les griefs relatifs au début du droit à la rente et la date de l’amélioration de la capacité de travail (passant de 0% à 50% en mars 2022), il reste à examiner les conséquences professionnelles de cette évolution. Le point de litige principal concerne le droit à la rente à partir de juin 2022. Cette évaluation, dans le cadre d’une révision (cf. sur l’importance du droit de révision de l’octroi rétroactif d’une rente échelonnée : ATF 145 V 209 consid. 5.3 ; 133 V 263 consid. 6.1), doit se faire selon le droit en vigueur depuis janvier 2022, à savoir les dispositions légales du 19 juin 2020 et du 3 novembre 2021.

Consid. 6.2
Selon l’art. 28a al. 1, première phrase, LAI, l’évaluation du taux d’invalidité des assurés exerçant une activité lucrative est régie par l’art. 16 LPGA. Selon ce dernier article, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. Aux termes de l’art. 28 al. 1, deuxième phrase, LAI, le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables.

Sous le titre «Détermination de la quotité de la rente», l’art. 28b LAI a la teneur suivante : La quotité de la rente est fixée en pourcentage d’une rente entière (al. 1). Pour un taux d’invalidité compris entre 50 et 69%, la quotité de la rente correspond au taux d’invalidité (al. 2). Pour un taux d’invalidité supérieur ou égal à 70%, l’assuré a droit à une rente entière (al. 3). Pour un taux d’invalidité inférieur à 50%, la quotité de la rente est la suivante (al. 4) :

Taux d’invalidité Quotité de la rente
49% 47.5%
48% 45%
47% 42.5%
46% 40%
45% 37.5%
44% 35%
43% 32.5%
42% 30%
41% 27.5%
40% 25%

Consid. 6.3.1
Par délégation de compétence (art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI), le Conseil fédéral a édicté les art. 25, 26 et 26bis RAI, dans leur version du 3 novembre 2021, en vigueur depuis le 1er janvier 2022 (RO 2021 706).

Consid. 6.3.2
Selon l’art. 25 al. 1 RAI, est réputé revenu au sens de l’art. 16 LPGA le revenu annuel présumable sur lequel les cotisations seraient perçues en vertu de la LAVS, à l’exclusion toutefois des prestations accordées par l’employeur pour compenser des pertes de salaire par suite d’accident ou de maladie entraînant une incapacité de travail dûment prouvée (let. a) et des indemnités de chômage, des allocations pour perte de gain au sens de la LAPG et des indemnités journalières de l’assurance-invalidité (let. b).

L’al. 2 de l’art. 25 RAI précise que les revenus déterminants au sens de l’art. 16 LPGA sont établis sur la base de la même période et au regard du marché du travail suisse. Selon l’al. 3, si les revenus déterminants sont fixés sur la base de valeurs statistiques, les valeurs médianes de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) de l’Office fédéral de la statistique font foi. D’autres valeurs statistiques peuvent être utilisées, pour autant que le revenu en question ne soit pas représenté dans l’ESS. Les valeurs utilisées sont indépendantes de l’âge et tiennent compte du sexe. Enfin, l’al. 4 prescrit que les valeurs statistiques visées à l’al. 3 sont adaptées au temps de travail usuel au sein de l’entreprise selon la division économique ainsi qu’à l’évolution des salaires nominaux.

Consid. 6.3.3
Selon l’art. 26 RAI, le revenu sans invalidité (art. 16 LPGA) est déterminé en fonction du dernier revenu de l’activité lucrative effectivement réalisé avant la survenance de l’invalidité. Si le revenu réalisé au cours des dernières années précédant la survenance de l’invalidité a subi de fortes variations, il convient de se baser sur un revenu moyen équitable (al. 1). Si le revenu effectivement réalisé est inférieur d’au moins 5% aux valeurs médianes usuelles dans la branche selon l’ESS au sens de l’art. 25 al. 3 [RAI], le revenu sans invalidité correspond à 95% de ces valeurs médianes (al. 2). Conformément à l’art. 26 al. 3 RAI, l’al. 2 ne s’applique pas lorsque le revenu avec invalidité visé à l’art. 26bis al. 1 RAI est également inférieur d’au moins 5% aux valeurs médianes usuelles dans la branche selon l’ESS au sens de l’art. 25 al. 3 RAI (let. a) ou lorsque l’assuré exerçait une activité lucrative indépendante (let. b). Au sens de l’al. 4 de l’art. 26 RAI, si le revenu effectivement réalisé ne peut pas être déterminé ou ne peut pas l’être avec suffisamment de précision, le revenu sans invalidité est déterminé sur la base des valeurs statistiques visées à l’art. 25 al. 3 RAI pour une personne ayant la même formation et une situation professionnelle correspondante.

Consid. 6.3.4
Enfin, au centre du litige se trouve l’art. 26bis RAI concernant le revenu avec invalidité, dont la teneur est la suivante. Si l’assuré réalise un revenu après la survenance de l’invalidité, le revenu avec invalidité (art. 16 LPGA) correspond à ce revenu, à condition que l’assuré exploite autant que possible sa capacité fonctionnelle résiduelle en exerçant une activité qui peut raisonnablement être exigée de lui (al. 1). Si l’assuré ne réalise pas de revenu déterminant, le revenu avec invalidité est déterminé en fonction des valeurs statistiques visées à l’art. 25 al. 3 [RAI]. Pour les assurés visés à l’art. 26 al. 6 [RAI], des valeurs indépendantes du sexe sont utilisées, en dérogation à l’art. 25 al. 3 [RAI] (al. 2). Si, du fait de l’invalidité, les capacités fonctionnelles de l’assuré au sens de l’art. 49 al. 1bis [RAI] ne lui permettent de travailler qu’à un taux d’occupation de 50% ou moins, une déduction de 10% pour le travail à temps partiel est opérée sur la valeur statistique (al. 3).

 

Consid. 7.1 (résumé)
Le tribunal cantonal a déterminé le revenu sans invalidité pour 2022 à CHF 68’640, en se basant sur les données salariales de 2019 du dernier employeur et en les indexant selon l’évolution des salaires et la convention nationale du secteur de la construction. Il a renoncé à une parallélisation selon l’art. 26 al. 2 RAI, le revenu statistique n’étant que 3,48% supérieur au salaire effectif. Cette approche n’est pas contestée par les parties.

Consid. 7.2 (résumé)
Le tribunal cantonal a calculé le revenu d’invalide de l’assuré en utilisant les données statistiques de l’ESS 2020. Après correction de la durée de travail et de l’évolution des salaires, il a obtenu un revenu annuel hypothétique de CHF 66’073.30, soit CHF 33’036.65 pour une capacité de travail de 50%. Un abattement de 15% a été appliqué en raison des aspects «limitations liées au handicap», «travail à temps partiel» et «catégorie de séjour», portant le revenu d’invalide à CHF 28’080. Le taux d’invalidité est ainsi de 59%. Conformément à l’art. 88a al. 1 RAI, la rente entière a été réduite à 59% à partir de juin 2022.

Consid. 7.3 (résumé)
Dans cette évaluation du revenu d’invalide, qui est au cœur de la présente procédure de recours, le tribunal cantonal a accordé un abattement sur le salaire statistique conformément à la jurisprudence relative à l’ancien droit (en vigueur jusqu’à fin 2021), c’est-à-dire sans appliquer l’art. 26bis al. 3 RAI.

Le tribunal cantonal a justifié sa décision en examinant le matériel législatif, la jurisprudence actuelle et la pratique administrative (ch. 3414 CIRAI). Il a conclu que l’art. 26bis al. 3 RAI révisé ne respectait pas l’intention du législateur. Contrairement à l’avis de l’OFAS, le tribunal cantonal estime que la capacité de travail déterminée médicalement (cf. art. 54 al. 3 LAI concernant les SMR ; art. 49 al. 1bis RAI) ne peut pas évaluer l’exploitabilité de cette capacité sur le marché du travail équilibré. De même, la parallélisation (selon l’art. 26 al. 2 et 3 RAI) ne tient pas compte des facteurs économiques spécifiques à la maladie, et l’assuré n’en bénéficie d’ailleurs pas en l’espèce. Par conséquent, le tribunal cantonal a jugé que l’art. 26bis al. 3 RAI dépassait le cadre formel de la délégation légale. Il a donc choisi de suivre les directives de la jurisprudence actuelle, ce qui l’a conduit à appliquer un abattement de 15% sur le salaire statistique.

 

Consid. 8.1
L’OFAS conteste cet abattement et reproche au tribunal cantonal une violation de l’art. 26bis al. 3 RAI en relation avec l’art. 28a al. 1 LAI, étant donné que, selon ces dispositions, seule une déduction de 10% peut être accordée.

Consid. 8.2 (résumé)
L’OFAS soutient que le Conseil fédéral a établi dans le RAI une règle exhaustive concernant les facteurs de correction. Il n’y a pas d’indication que le Conseil fédéral était obligé de reprendre intégralement les règles de la jurisprudence actuelle sans les examiner. Les facteurs de correction créés par le Conseil fédéral sont considérés comme étant dans le cadre de la norme de délégation au sens large, qui n’a pas été remise en question lors du processus législatif parlementaire. Pour appuyer son argument, l’OFAS cite un arrêt du tribunal cantonal bernois (200 23 389 IV) du 5 septembre 2023, qui a pris une décision contraire à celle du tribunal cantonal de Bâle-Ville sur cette question.

Consid. 8.3.1 (résumé)
L’OFAS souligne que la codification de l’évaluation de l’invalidité est complexe et ne peut pas simplement transposer la jurisprudence actuelle dans une ordonnance générale. Des adaptations étaient nécessaires. Les nouvelles dispositions apportent des améliorations pour les assurés, comme une simplification du parallélisme et l’abandon de la réduction du revenu sans invalidité par tranches d’âge pour les invalides de naissance et précoces avant 30 ans. L’art. 49 al. 1bis RAI exige désormais une prise en compte médicale de toutes les restrictions fonctionnelles. L’OFAS estime que la jurisprudence actuelle laissait une marge d’appréciation trop large, ce qui pouvait augmenter les recours à la suite de l’introduction du droit à la rente linéaire.

Consid. 8.3.2 (résumé)
Selon l’OFAS, les facteurs «âge» et «années de service», jusqu’ici considérés par la jurisprudence, peut être supprimés à l’avenir, comme le suggèrent le tableau T17 de l’ESS et certains arrêts du Tribunal fédéral. Dans l’ensemble, le Conseil fédéral a pris en compte la jurisprudence actuelle dans sa nouvelle réglementation, intégrant la plupart de ses éléments, bien que parfois de manière différente ou à un autre endroit dans le processus d’évaluation.

Consid. 8.3.3 (résumé)
Les solutions forfaitaires ne sont pas inadmissibles en soi et le législateur n’est pas tenu de corriger toute inégalité de fait. L’abattement forfaitaire pour temps partiel de l’art. 26bis al. 3 RAI doit être considéré en lien avec les règles sur le parallélisme (art. 26 al. 2 et 3 RAI) et la prise en compte des limitations dues à l’état de santé dans le cadre de l’évaluation des capacités fonctionnelles (art. 49 al. 1bis RAI). Cette dernière permet une approche spécifique à chaque cas. Ainsi, la schématisation de l’abattement pour temps partiel peut être maintenue dans le respect de l’égalité de traitement constitutionnelle, l’office fédéral citant à nouveau l’arrêt du tribunal cantonal bernois [cf. consid. 8.2 supra].

Consid. 8.3.4
Pour compléter, l’OFAS renvoie enfin à l’adaptation de l’art. 26bis al. 3 RAI au 1er janvier 2024, en application de la motion 22.3377 «Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité». Celui-ci a la teneur suivante : « Une déduction de 10% est opérée sur la valeur statistique visée à l’al. 2. Si, du fait de l’invalidité, l’assuré ne peut travailler qu’avec une capacité fonctionnelle au sens de l’art. 49, al. 1bis, de 50% ou moins, une déduction de 20% est opérée. Aucune déduction supplémentaire n’est possible.»

Par le biais de la motion, le législateur aurait confirmé qu’il souhaitait que le cadre de délégation soit lui-même interprété de manière large et que l’art. 26bis al. 3 RAI, tant dans sa version à partir de janvier 2022 que dans celle à partir de janvier 2024, s’avérerait conforme à la Constitution et à la loi. Les critiques formulées avec véhémence et légèreté à l’encontre de la nouvelle réglementation étonnent, de même que l’opinion que l’on entend régulièrement selon laquelle la jurisprudence actuelle relative à l’abattement reste applicable. Pour dissiper toute doute, le Conseil fédéral a explicitement précisé dans la modification entrée en vigueur le 1er janvier 2024 qu’aucune autre déduction n’était autorisée.

Consid. 8.3.5
L’office fédéral applique strictement l’art. 26bis al. 3 RAI, n’accordant qu’un abattement de 10% pour le travail à temps partiel. Cette réglementation est considérée comme exhaustive et positive, excluant toute autre déduction sur le revenu d’invalide. En conséquence, le revenu d’invalide de l’assuré est fixé à CHF 29’732.85. Il en résulte un degré d’invalidité de 57%.

 

Consid. 8.4 (résumé)
L’assuré conteste la suppression de l’abattement pour les «limitations liées au handicap» par le Conseil fédéral, estimant qu’elle dépasse le cadre de la délégation. Il argue que l’art. 49 al. 1bis RAI n’apporte rien de nouveau et que l’évaluation de l’exploitabilité de la capacité de travail relève du droit, non de la médecine. Il illustre son point de vue avec son cas, où les experts ont estimé sa capacité de travail à 50% sans considérer d’autres facteurs. L’assuré critique la schématisation du RAI comme trop générale face à la diversité des situations des assurés et affirme que la nouvelle réglementation du parallélisme ne compense pas la suppression de l’abattement.

 

Consid. 9.1
En ce qui concerne l’art. 26bis al. 3 RAI dans sa version du 3 novembre 2021, qui est seul en cause en l’espèce, édicté sur la base de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI – comme les art. 25 ss. et art. 49 RAI –, il s’agit d’un droit d’ordonnance dépendant, et ce non pas de nature exécutive, mais de nature législative (cf. ATF 145 V 278 concernant l’art. 39a RAI ainsi que, sur cette notion : Pierre Tschannen, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgen, 5e éd. 2021, p. 613 ss. N. 1662 ss. et 1669 ss. ; Häfelin/Müller/Uhlmann, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8e éd. 2020, p. 22 ss. n. 93 ss., p. 25 n. 110). Dans le cadre du pouvoir d’examen des normes qui lui revient à cet égard, le Tribunal fédéral doit notamment analyser si l’ordonnance reste dans les limites des pouvoirs conférés par la loi au Conseil fédéral (ATF 144 II 454 consid. 3.2 et 3.3 ; 143 V 208 consid. 4.3 ; 138 II 281 consid. 5.4 ; 137 III 217 consid. 2.3 et les références). Dans la mesure où la loi n’autorise pas le Conseil fédéral à déroger à la Constitution, le tribunal se prononce également sur la constitutionnalité de l’ordonnance dépendante.

Si la délégation légale confère au Conseil fédéral une très large marge de manœuvre pour la réglementation au niveau de l’ordonnance, cette marge de manœuvre est contraignante pour le Tribunal fédéral en vertu de l’art. 190 Cst. Dans un tel cas, le Tribunal fédéral doit se borner à examiner si les dispositions incriminées sortent manifestement du cadre de la délégation de compétence donnée par le législateur à l’autorité exécutive ou si, pour d’autres motifs, elles sont contraires à la loi ou à la Constitution ; il n’est pas habilité à substituer sa propre appréciation à celle du Conseil fédéral. Il peut notamment vérifier si une disposition de l’ordonnance peut être fondée sur des motifs sérieux ou si elle est contraire à l’art. 9 Cst. parce qu’elle est dépourvue de sens et de but, qu’elle établit des distinctions juridiques pour lesquelles aucun motif raisonnable n’apparaît dans les circonstances de fait ou qu’elle omet des distinctions qui auraient dû être faites à juste titre. Le Conseil fédéral est responsable de l’opportunité de la mesure ordonnée ; il ne revient pas au Tribunal fédéral de prendre position au sujet de l’adéquation économique ou politique (ATF 150 V 73 consid. 6.2 ; 146 V 271 consid. 5.2 ; 143 V 208 consid. 4.3 ; 140 II 194 consid. 5.8 ; 136 II 337 consid. 5.1 et les références; cf. aussi arrêt 9C_531/2020 du 17 décembre 2020 consid. 3.2.2.2, non publié in : ATF 147 V 70, mais in : SVR 2021 AVS n° 13 p. 39).

 

Consid. 9.2
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si celle-ci est claire, c’est-à-dire dépourvue de toute ambiguïté, on ne peut s’en écarter que s’il existe une raison valable de supposer que le texte ne vise pas le «sens véritable» – le sens juridique – de la norme. La genèse de la disposition (historique), son but (téléologique) ou sa relation avec d’autres dispositions légales (systématique) peuvent donner lieu à une telle interprétation, notamment lorsque l’interprétation grammaticale conduit à un résultat que le législateur n’a pas pu vouloir ainsi (ATF 149 V 129 consid. 4.1 avec renvois).

En revanche, si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en tenant compte de tous les éléments d’interprétation (pluralisme pragmatique). Le but de la règle, les valeurs sur lesquelles elle repose ainsi que l’intérêt protégé dans lequel la norme s’inscrit sont déterminants. La genèse n’est certes pas directement déterminante, mais elle sert d’outil pour identifier le sens de la norme. Les matériaux revêtent une importance particulière, notamment pour l’interprétation de textes récents, qui se heurtent encore à des circonstances et à une compréhension du droit peu modifiées. Il est possible de s’écarter du texte lorsqu’il existe des raisons valables de penser qu’il ne reflète pas le véritable sens de la norme. Si plusieurs interprétations sont possibles, il faut choisir celle qui correspond le mieux à la Constitution. Toutefois, même une interprétation conforme à la Constitution trouve ses limites dans la clarté du texte et du sens d’une disposition légale (ATF 148 V 385 consid. 5.1 et les références ; 141 V 221 consid. 5.2.1 et les références ; 140 V 449 consid. 4.2 et les références).

Consid. 9.3
Le libellé de la norme de délégation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI dont il est question ici semble d’emblée clair. Sous le titre «Évaluation du taux d’invalidité» et après le renvoi à l’art. 16 LPGA contenu dans la première phrase, il est précisé : «Le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables» («Der Bundesrat umschreibt die zur Bemessung des Invaliditätsgrades massgebenden Erwerbseinkommen sowie die anwendbaren Korrekturfaktoren» ; «Il Consiglio federale definisce i redditi lavorativi determinanti per la valutazione del grado d’invalidità e i fattori di correzione applicabili »).

Par rapport à la version en vigueur jusqu’à fin 2021, la nouvelle norme légale formelle est plus concrète dans la mesure où l’ancien droit se contentait de dire que le Conseil fédéral fixait «le revenu déterminant pour l’évaluation de l’invalidité» («das zur Bemessung der Invalidität massgebende Erwerbseinkommen»; “il reddito lavorativo determinante per la valutazione dell’invalidità”). Il n’était pas question de facteurs de correction. Ceux-ci existaient toutefois déjà depuis longtemps sur la base de la jurisprudence et ce sous deux formes : d’une part, en tant qu’abattement sur le salaire statistique en vue de corriger les valeurs statistiques utilisées notamment pour le calcul du revenu d’invalide depuis 1988 (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/aa avec référence au consid. 4b non publié de l’ATF 114 V 310). Il s’agissait ainsi de tenir compte du fait que d’autres caractéristiques personnelles et professionnelles d’une personne assurée, telles que l’âge, l’ancienneté dans l’entreprise, la nationalité ou la catégorie de séjour ou le taux d’occupation – comme le documentent les ESS – peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire, ce qui s’est consolidé en tant que jurisprudence, notamment à partir de l’année 2000 (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc et la référence à l’ATF 124 V 321 consid. 3b/aa ; sur la genèse de la jurisprudence, cf. également Meyer/Reichmuth, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 4e éd. 2022, n. 104 ss. ad Art. 28a IVG). D’autre part, la jurisprudence a également établi la correction sous forme de parallélisme, qui doit notamment entrer en ligne de compte lorsque le revenu sans invalidité est nettement inférieur aux valeurs statistiques (ATF 134 V 322 consid. 4.1 ; 135 V 58 consid. 3.4.3, 135 V 297 consid. 5.1 ; sur les deux instruments de correction : ATF 148 V 174 consid. 6.3, 6.4 et 9.2.2 et sur le rapport entre les deux : ATF 146 V 16).

Consid. 9.4
Toutefois, considéré de manière précise, il ne peut être question d’un texte clair que pour le principe, mais pas pour le «comment». Le fait que le Conseil fédéral doive, selon l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, décrire «les facteurs de correction applicables» et non pas simplement «les facteurs de correction» permettrait certes de comprendre que, selon le texte de la loi déjà, il s’agit de s’en tenir à ce qui était en vigueur selon la jurisprudence antérieure. Une telle continuité ne peut toutefois résulter que de la prise en compte du contexte et des antécédents et non de la formulation de la loi elle-même. Comme il s’agit ici d’un droit très récent, l’intention du législateur revêt une importance particulière (cf. consid. 9.2 supra). Cela rend indispensable la consultation des documents législatifs.

Consid. 9.4.1.1
L’un des éléments centraux du développement continu de l’AI est l’introduction d’un système de rentes linéaire, c’est-à-dire la suppression de l’échelonnement actuel, tout en conservant la valeur la plus basse (40%), le tout dans le but d’éliminer les incitations insuffisantes à l’exercice d’une activité lucrative pour les bénéficiaires de rentes assurés, afin de favoriser la réadaptation (cf. en détail le Message du 15 février 2017 relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [développement de l’AI], BBI 2017 2616 ss. ch. 1.2.4.6, 2638 ss. ch. 1.3.2 [en français : FF 2017 2442 ss ch. 1.2.4.6 et 2461 ss ch. 1.3.2]).

Concernant concrètement le projet de l’art. 28a al. 1 LAI, le message précise que la norme de délégation au Conseil fédéral apporte des précisions s’agissant de la fixation du revenu déterminant : le terme de «revenu déterminant» est employé au pluriel, puisqu’il englobe à la fois le revenu d’invalide et le revenu sans invalidité, dont la comparaison permet de calculer le taux d’invalidité au sens de l’art. 16 LPGA. La pratique définie dans la jurisprudence est inscrite dans le règlement (par ex. cas dans lesquels s’appuyer sur les valeurs effectives et ceux pour lesquels se référer aux barèmes de salaires, et barèmes à appliquer). Par ailleurs, le Conseil fédéral doit procéder aux corrections découlant de la jurisprudence pour ces revenus (par ex. critères à prendre en compte pour une déduction en raison du handicap et montant de la déduction correspondante) (en français : FF 2017 2493 ; en allemand : BBI 2017 2668 ; en italien : FF 2017 2324).

A un autre endroit, le message précise que le Conseil fédéral se voit attribuer la compétence d’introduire au niveau du RAI des règles et des critères élaborés par le Tribunal fédéral et qui sont nécessaires à l’évaluation du revenu d’invalide et du revenu sans invalidité (art. 28a, al. 1, P-LAI). Cette disposition a pour objectif de limiter la marge d’interprétation des offices AI et des tribunaux cantonaux dans la mise en œuvre. Elle doit permettre, d’une part, de garantir une unité de doctrine dans toute la Suisse et, d’autre part, d’éviter autant que possible les litiges portés devant les tribunaux à propos de l’évaluation de l’invalidité, d’autant qu’avec le système de rentes linéaire, chaque point de taux d’invalidité supplémentaire donne droit à une rente différente (en français : FF 2017 2549 ; en allemand : BBI 2017 2725 ; en italien : FF 2017 2382).

 

Consid. 9.4.1.2
Le texte de l’art. 28a al. 1 LAI présenté avec le projet de loi (en français : FF 2017 2570 ; en allemand : BBI 2017 2747 ; en italien : FF 2017 2405/i) correspondait déjà entièrement à celui qui est finalement devenu loi (cf. consid. 6.2 supra).

Dans les commissions comme dans les débats du Parlement, la question de principe de l’introduction – politiquement controversée – du système de rentes linéaire a été au centre des discussions (passage au système de rentes linéaire en tant que tel ; niveau des seuils, notamment pour la rente entière à 70% ou à 80% ; droits acquis pour les bénéficiaires de rentes actuels à 55 ou 60 ans). Aucune intervention n’a été faite sur la norme de délégation qui nous intéresse ici et sur les lignes directrices à respecter. Il convient toutefois de mentionner deux interventions : Le 19 septembre 2019, le conseiller aux Etats Joachim Eder a déclaré en tant que porte-parole de la commission : «Die Bemessung des Invaliditätsgrades bleibt grundsätzlich unverändert » [ndt : L’ évaluation du taux d’invalidité reste en principe inchangée] (BO 2019 p. 798). Lors de la même séance, le chef du département responsable, le conseiller fédéral Alain Berset, s’est également exprimé le même jour (BO 2019 p. 800) : « Cela dit, sur le principe, nous sommes convaincus que le pas vers un système de rentes linéaires est un pas qu’il faut faire pour créer un effet incitatif via la suppression des effets des seuils. Aussi, c’est un pas qu’il faut faire pour faire correspondre, dans la mesure du possible, le taux d’invalidité et la quotité de la rente, et rendre ainsi le système plus proche de la réalité, et plus compréhensible également, ainsi que (…) plus correct, plus juste, pour les assurés. Ce qu’il faut dire dans ce cadre, c’est que, sur le principe, l’évaluation du taux d’invalidité ne change pas. »

Consid. 9.4.2
Malgré l’article défini (« les […] facteurs de correction ») utilisé à l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, il ne fait aucun doute que la mise en œuvre sous la forme de l’art. 26bis al. 3 RAI en relation avec l’art. 26 al. 2 et 3 RAI se situe, du seul point de vue du libellé de la loi, dans le cadre de la délégation ainsi définie.

Comme déjà indiqué, celui-ci est un peu plus restreint que dans la version précédente, sans toutefois préciser en quoi pourraient consister les facteurs de correction, étant entendu qu’il n’y a pas lieu de se prononcer ici sur la constitutionnalité de la norme légale en question (art. 190 Cst. ; ATF 145 V 129 consid. 4.4). En ce qui concerne le contenu ainsi ouvert, le matériel législatif ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit pour l’essentiel de reprendre la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral. Cette intention de réglementation ne découle certes que du message du Conseil fédéral – à l’exception des avis singuliers cités. Cela ne diminue en rien la portée des déclarations répétées (cf. consid. 9.4.1.1 supra). En effet, d’une part, le projet de norme de délégation dont il est question dans le message est devenu loi sans discussion et sans modification. D’autre part, les déclarations contenues dans le message semblent d’autant plus importantes que c’est précisément le futur législateur qui s’est exprimé. Le «message» ainsi transmis, à savoir que l’évaluation de l’invalidité elle-même restait inchangée, a peut-être aussi été la raison pour laquelle aucune discussion n’a eu lieu sur ce point au sein des commissions et des Chambres.

Consid. 9.4.3
Par rapport aux possibilités de correction existantes (cf. consid. 9.3 supra), que le Tribunal fédéral a à nouveau appréciées en détail dans l’ATF 148 V 174 et dont il a souligné l’importance, l’auteur de l’ordonnance a choisi une autre voie avec la disposition dont il est question ici. Même si cela ne s’impose pas d’emblée au vu du libellé, l’intention réglementaire affichée par l’auteur de l’ordonnance ne laisse aucun doute (cf. consid. 9.5.3 supra) : Au lieu de l’abattement à accorder sur la base d’une multitude de critères ou de caractéristiques différentes, qui ne devait pas être appliquée de manière schématique, qui ne devait pas être additionner en fonction de chaque caractéristique, mais fixée de manière globale et dont le taux était limité à 25% (ATF 148 V 174 consid. 6. 3, 419 consid. 5.3 ; 146 V 16 consid. 4.1 ; 134 V 322 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. b), il ne doit plus subsister qu’un seul critère avec la «déduction pour temps partiel», qui est accordée à partir d’une capacité de rendement de 50% ou moins et qui reste limitée à 10% (cf. art. 26bis al. 3 RAI). Cela représente une restriction considérable par rapport à l’éventail utilisé auparavant et existant pour l’essentiel depuis l’ATF 126 V 75 consid. 5a/cc, dont l’utilisation pratiquée au fil du temps a certes été critiquée dans la doctrine comme étant excessive et incohérente (Egli/Filippo/Gächter/Meier, Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung, Zurich 2021, p. 236 ss. N. 688 ss. ont identifié 17 caractéristiques dans la jurisprudence ; cf. également David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, Jusletter 21 novembre 2022 N. 104 ss). Cette constatation n’a certainement pas facilité la tâche du législateur et lui a laissé une marge de manœuvre pour une certaine schématisation et simplification. Lors de l’examen suivant, il convient donc, dans le sens d’une vue d’ensemble, de tenir compte du fait, souligné par le recours, que le Conseil fédéral a ancré d’autres «facteurs de correction» en plus de l’art. 26bis al. 3 RAI. Mais il convient tout autant de rappeler l’art. 16 LPGA, sur la base duquel (resp. déjà sur la base des normes précédentes dans les lois spéciales) s’est développée au fil des ans une jurisprudence abondante concernant différents aspects partiels (ATF 148 V 174 consid. 9.2 en relation avec consid. 6.2 – 6. 5 ; Margit Moser-Szeless, in : Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, N. 1 ad art. 16 LPGA), qui doit être attribuée au contenu normatif fixe de cette disposition et qui n’a en tout cas pas été supplantée dans tous ses éléments par la révision dont il est question ici (cf. Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 1 concernant l’art. 28a LAI in fine).

Consid. 9.5.1
En tant qu’assurance populaire, l’assurance-invalidité protège notamment contre les conséquences économiques de l’invalidité (cf. art. 41 al. 2 et 112 Cst.). En cas de survenue d’un cas d’assurance, c’est la ou les personnes assurées qui sont au centre des préoccupations : conformément à l’art. 43 LPGA, il s’agit de déterminer d’office (avec sa collaboration) son état de santé avec ses répercussions fonctionnelles et ses conséquences sur l’activité lucrative de la manière la plus précise possible, au degré de la vraisemblance prépondérante. Dans cette optique, le principe selon lequel, lors de la comparaison des revenus (art. 16 LPGA), la détermination du revenu sans invalidité et avec invalidité doit être aussi concrète que possible s’est établi dans la jurisprudence depuis de nombreuses années (ATF 148 V 419 consid. 5.2, ATF 148 V 174 consid. 6.2 et 9.2.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 et 4.2.1 ; 135 V 297 consid. 5.2 ; 134 V 322 consid. 4.1 ; arrêts 8C_346/2022 du 14 février 2023 consid. 4.2 ; 8C_738/2021 du 8 février 2023 consid. 3.4.2.1 ; cf. en outre Meyer/Reichmuth, op. cit, n. 32 concernant l’art. 28a LAI, n. 49 et n. 81 ainsi que, explicitement, n. 93, tous concernant l’art. 28a LAI, chacun avec des références à la jurisprudence ; Moser-Szeless, op. cit., n. 17 et n. 30 concernant l’art. 16 LPGA). On ne peut se baser sur des valeurs empiriques et moyennes qu’en tenant compte des facteurs personnels et professionnels pertinents pour la rémunération dans le cas d’espèce (ATF 144 I 103 consid. 5.3 et les références ; 139 V 28 consid. 3.3.2 et les références). Dans la doctrine, il est également question dans ce contexte de détermination proche de la réalité et individuelle (cf. Egli/Filippo/Gächter/Meier, op. cit., p. 4, no 10 et les références).

Consid. 9.5.2
On ne voit pas pourquoi le droit révisé devrait s’écarter de ces prescriptions ; au contraire, l’art. 26 al. 1 ainsi que l’art. 26bis al. 1 RAI témoignent du fait qu’il faut continuer à se référer en priorité aux conditions concrètes d’emploi. Nonobstant, l’utilisation de données statistiques sur les salaires constitue dans le quotidien juridique, désormais ancrée dans le droit positif, un moyen auxiliaire indispensable pour l’évaluation de l’invalidité (art. 25 al. 3, 26 al. 4 ainsi que art. 26bis al. 2 RAI), et ce d’autant plus depuis que la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (Suva) a abandonné sa documentation des postes de travail (DPT) sans la remplacer (cf. concernant la DPT : ATF 139 V 592 ; 129 V 472), sans que l’on ait connaissance d’efforts visant à la poursuivre de la part d’autres parties. L’ordre de priorité figurant dans les dispositions citées ci-dessus précise également que, conformément à la jurisprudence, les statistiques sur les salaires doivent être utilisées à titre subsidiaire en tant qu‘ultima ratio lorsqu’il n’est pas possible de déterminer le revenu sans et/ou avec invalidité sur la base et en fonction des circonstances concrètes du cas d’espèce (ATF 142 V 178 consid. 2.5.7 et les références). Avec l’introduction du système de rentes linéaire, l’évaluation du degré d’invalidité au pourcentage près a pris une importance accrue par rapport aux échelonnements de rentes qui étaient déterminants auparavant (ATF 148 V 174 consid. 6.6). En conséquence, les facteurs de correction selon l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI revêtent une grande importance dans les cas d’espèce.

Consid. 9.5.3
En ce qui concerne les différents «facteurs de correction», il convient de constater ce qui suit.

Consid. 9.5.3.1
La position de l’OFAS, également défendue dans la présente procédure, est déjà illustrée dans son «rapport explicatif» après la procédure de consultation sur les dispositions d’exécution de la modification de la LAI (développement de l’AI) du 3 novembre 2021 (ci-après : OFAS, rapport explicatif). L’office y indique (en français : cf. p. 52 s. ; en allemand : p. 53 s.) que les limitations strictement dues au handicap (restrictions médicales à l’exercice d’une activité lucrative de nature quantitative et qualitative) doivent systématiquement être prises en compte pour l’appréciation de la capacité fonctionnelle de l’assuré (cf. art. 49 al. 1bis RAI). Par rapport à la solution actuelle, cette approche se révèle plus avantageuse pour les assurés puisque la limitation de l’abattement sur le salaire statistique en raison d’une atteinte à la santé à 25% est ainsi supprimée. Cette procédure tient davantage compte des restrictions dans la réalité de l’activité professionnelle que l’ancienne procédure avec une déduction forfaitaire en pourcentage («liée à l’affection») sur le revenu d’invalide (cf. feuille d’information du 4 avril 2022 «Calcul du degré d’invalidité dans le cadre du développement de l’AI», p. 3).

Consid. 9.5.3.2
On ne voit pas en quoi cela aurait créé une nouveauté par rapport à la situation antérieure. Le libellé de l’art. 49 al. 1bis RAI dans toutes les versions linguistiques (cf. consid. 6.3.4 supra) ainsi que les explications mentionnées en introduction se réfèrent clairement et exclusivement à la capacité de travail attestée médicalement et aux restrictions y relatives. Les médecins (du SMR) n’ont d’ailleurs pas à se prononcer sur d’autres points (cf. art. 54a al. 2 et 3 LAI), ce qui irait à l’encontre de la répartition des tâches entre les praticiens du droit et les médecins, soulignée depuis toujours par la jurisprudence (cf. ATF 140 V 193 concernant la capacité de travail ; arrêt 8C_809/2021 du 24 mai 2022 consid. 5.4 concernant l’exploitabilité de la capacité de travail résiduelle sur un marché du travail équilibré). Ainsi, il appartient au médecin de définir, outre la capacité de travail médico-théorique, un profil d’exigibilité et d’attester, par exemple, d’un rendement réduit, d’absences dues à la thérapie ou d’un besoin accru de pauses, et d’estimer ces derniers aspects – quantifiables – lors de l’estimation de la capacité de travail (cf. arrêt 9C_356/2018 du 12 octobre 2018 consid. 5, où cela a été pris en compte dans l’abattement).

En revanche, il échappe au domaine de compétence du médecin, défini tant sur le plan technique que légal (cf. art. 54a al. 2 et 3 LAI), de déterminer, en raison par exemple d’un profil d’exigibilité très restrictif, s’il en résulte, pour un potentiel de ressources en soi intact, une perte économique – du point de vue de l’aptitude à l’emploi – par rapport au salaire statistique de référence (cf. par exemple les arrêts 8C_683/2023 du 18 avril 2023 consid. 5.4 concernant la limitation à des activités légères avec diverses autres restrictions et – entre autres – des absences non prévisibles ; 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.2.3 concernant un monomanuel avec d’autres restrictions qualitatives, mais avec un rendement complet ; 8C_297/2018 du 6 juillet 2018 consid. 4.3 se référant à un QI total de 73 ; 8C_19/2016 du 4 avril 2016 consid. 5.5.2 concernant le non-exercice de longue date de l’activité habituelle ; cf. également l’arrêt 9C_549/2012 du 7 mars 2013 consid. 3.3.2 ainsi que Meyer/Reichmuth, op. cit, n. 107 concernant l’art. 28a LAI avec d’autres références ; Kaspar Gerber, in : Thomas Gächter [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, IVG, Berne 2022, n. 153 s. concernant l’art. 28a LAI semble voir implicitement dans ce contexte des restrictions exclusivement justifiées par des raisons médicales). Ce genre de situation n’est pas rare dans la pratique. Rappelons à titre d’exemple les cas d’assurés manchots ou monomanuels dont le rendement n’est pas limité, mais dont le profil d’activité n’est plus utilisable que de manière restreinte et qui doivent de ce fait s’attendre à des pertes de salaire. Ce dernier cas relève du domaine des faits d’expérience juridiques et non de celui de la nécessité médico-théorique, raison pour laquelle il n’est pas possible d’en tenir compte par le biais de l’art. 49 al. 1bis RAI et qu’il convient plutôt de procéder à une correction normative (cf. sur la délimitation des compétences et sur l’ensemble : Gächter/Meier, Dichtung und Wahrheit im Umgang mit LSE-Tabellenlöhnen, Jusletter 4 juillet 2022 n. 58 ss, 62 ; cf. également Gabriel Hüni, Der Abzug vom tabellarischen Invalideneinkommen, Jahrbuch zum Sozialversicherungsrecht [JaSo] 2024 p. 78 ss, en particulier sur la répartition des tâches et les assurés monomanuels, p. 80).

Consid. 9.5.3.3
L’Office fédéral reconnaît un autre facteur de correction dans la parallélisation. Celle-ci vise le revenu de valide et, par rapport à la jurisprudence en vigueur jusqu’ici (cf. ATF 135 V 58 et 135 V 297), elle est désormais admise plus facilement (cf. art. 26 al. 2 et 3 RAI et consid. 6.3.3 supra), en ce sens que le motif de la réalisation d’un revenu modeste n’a plus d’importance. Dans la doctrine, cette nouveauté est saluée comme étant appropriée et la jurisprudence actuelle est considérée comme étant devenue sans objet (Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 127 ad art. 28a LAI avec renvois). Ces mêmes auteurs s’opposent en revanche – entre autres – au point de vue défendu dans le recours ainsi que dans la pratique administrative selon le ch. 3414 CIRAI [ndt : dans la version antérieure au 1er janvier 2024 ; dès cette date : ch. 3418 CIRAI], selon lequel les facteurs économiques qui existaient avant la survenance de l’atteinte à la santé (statut de séjour, nationalité, absence de formation, âge, nombre d’années de service, par ex.) sont pris en compte lors de la mise en parallèle du revenu sans invalidité (Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 129 ad art. 28a LAI).

En réalité, il arrive souvent que les facteurs en question, sans avoir eu auparavant – notamment en période de plein emploi – une influence significative sur le revenu sans invalidité, ne se traduisent par une diminution du salaire qu’en cas d’invalidité. Dans ce cas, conformément à l’art. 26 al. 2 RAI, la possibilité d’un parallélisme est supprimée (faute d’une différence de salaire d’au moins 5%), ce qui ne peut plus être compensé par un abattement sur le salaire statistique, conformément à la novelle contestée ici. C’est précisément sur ces fonctions différentes des deux facteurs de correction que le Tribunal fédéral a déjà attiré l’attention dans l’ATF 146 V 16 consid. 6.2.1, en ce sens que dans le cas de la parallélisation, il faut toujours examiner les aspects liés à la personne – déjà présents dans le cas en question – alors que, dans le cas de l’abattement en raison des limitations liées au handicap, ce sont les aspects liés à l’état de santé qui ne prennent effet qu’en présence de troubles à la santé qui sont au premier plan (cf. Gächter/Meier, op. cit., ch. 54 ss ainsi que Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 3 concernant l’art. 28a LAI).

Dans ce contexte, la précision, dans le recours, qu’il s’agirait de toute façon d’aspects étrangers à l’invalidité n’est pas non plus pertinente. Ce qui est déterminant, c’est plutôt le fait qu’ils ne se manifestent souvent qu’en cas d’atteinte à la santé et qu’ils sont donc bel et bien liés à l’invalidité (cf. Gächter/Meier, op. cit., n. 55 concernant le manque de formation et d’expérience). Ainsi, l’art. 26 al. 2 RAI peut certes avoir un effet correctif là – et seulement là – où la personne assurée était déjà désavantagée par les facteurs mentionnés avant la survenance de l’atteinte à la santé, mais pas précisément dans les cas où elle est tenue de changer d’activité en raison de son état de santé et où ce n’est qu’après qu’elle subit des désavantages salariaux par rapport aux personnes en bonne santé.

Consid. 9.5.3.4.1
De l’avis de l’office fédéral recourant, les facteurs «âge» et «années de service» ne sont plus importants. Se référant au tableau T17 de l’ESS (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les groupes de professions, l’âge et le sexe), il estime que le facteur de l’âge n’a dans aucune catégorie un effet réducteur sur le salaire. Selon la jurisprudence, l’importance du facteur de l’ancienneté diminue également dans le secteur privé, plus le profil d’exigences est faible et des rapports de travail prolongés avec un même employeur peuvent aussi avoir un impact positif sur le salaire initial auprès du nouvel employeur (cf. OFAS, rapport explicatif [p. 52 en français ; p. 54 en allemand]). Il est en revanche admis que le facteur de l’âge peut être pris en compte lors de l’examen de la mise en œuvre de la capacité de travail résiduelle sur un marché du travail équilibré (ibid., note 89 [ndt : dans la version allemande ; en français, la nbp 88 ne cite que l’arrêt du TF]).

Consid. 9.5.3.4.2
En ce qui concerne ce dernier point, la position de l’office fédéral, bien que justifiée sur le fond, ne semble finalement pas cohérente, bien qu’il faille séparer les deux aspects, ici l’inaptitude à l’emploi en raison de l’âge, là la perte de salaire (cf. à ce sujet Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 114 ad art. 28a LAI ; Ionta, op. cit., n. 203 p. 49). D’autre part, il est vrai que la jurisprudence a souligné dans un grand nombre de cas que l’importance des années de service dans le secteur privé diminue à mesure que le profil d’exigences est moins élevé (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc et la référence ; cf. p. ex. arrêt 8C_438/2022 du 26 mai 2023 consid. 4.3.5). De même, de nombreux arrêts considèrent que, notamment dans le domaine des travaux auxiliaires sur un marché du travail hypothétiquement équilibré, un âge avancé n’a pas nécessairement d’effet sur le salaire, d’autant plus que ce type de travaux est justement demandé indépendamment de l’âge (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 et les références ; arrêts 8C_215/2023 du 1er février 2024 consid. 5.2.2.2 ; 8C_375/2023 du 12 décembre 2023 consid. 7.4).

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral n’argumente plus depuis longtemps sur la base des statistiques salariales citées dans le recours (TA9 et T17), qui font état d’une augmentation de revenu à un âge avancé (cf. à ce sujet Ionta, op. cit. p. 50 n. 207 ss.). Il a plutôt laissé explicitement ouverte la question de savoir si et dans quelle mesure ces valeurs statistiques, obtenues pour l’essentiel à partir de rapports de travail stables et de longue durée, notamment dans la tranche d’âge supérieure, s’appliquent également aux assurés qui, en raison de leur invalidité, doivent se réorienter à un âge avancé (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Il a toutefois reconnu dans le même temps que les données statistiques disponibles ne permettaient pas non plus d’étayer de manière générale le contraire – à savoir un revenu inférieur à la moyenne pour les assurés dont la durée d’activité jusqu’à la retraite est courte (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Dans la doctrine, on fait remarquer à ce sujet qu’en raison de l’âge avancé, la flexibilité pour apprendre une nouvelle activité diminue fortement. En outre, les travailleurs âgés doivent supporter des charges salariales accessoires plus élevées sous la forme de cotisations patronales plus importantes, ce qui rend plus difficile pour eux de réaliser des salaires (médians) initiaux élevés dans un nouvel emploi (Gächter/Meier, op. cit., p. 19 n. 56). La jurisprudence n’a pas admis cet argument en invoquant l’absence de preuves statistiques de pertes correspondantes (cf. arrêts 8C_627/2021 du 25 novembre 2021 consid. 6.2 ; 8C_841/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.2.2.3 ; 8C_439/2017 du 6 octobre 2017 consid. 5.6.4 et les références). Tout cela ne change toutefois rien au fait qu’il existe bel et bien des exemples dans la pratique où le facteur de l’âge a été pris en compte dans le cadre d’une appréciation globale et a conduit à l’octroi ou à la confirmation d’un abattement sur le salaire statistique (arrêts 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.3.3 ; 9C_470/2017 du 29 juin 2018 consid. 4.2 ; 9C_242/2012 du 13 août 2012 consid. 3 ; 9C_390/2011 du 2 mars 2012 consid. 3 ; 9C_1030/2008 du 4 juin 2009 consid. 3 ; autres exemples chez Egli/Filippo/Gächter/Meier, op. cit. n. 502-528). Ce que la jurisprudence rejette, c’est un automatisme selon lequel une déduction est accordée sans autre à partir d’une certaine limite d’âge (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 ; cf. également SVR 2021 IV no 77, 9C_497/2020 consid. 5.2.2). En ce qui concerne le critère en question, ce sont toujours les circonstances concrètes du cas qui sont déterminantes et qui doivent être prises en compte dans l’appréciation (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1).

Consid. 9.5.3.4.3
Le Tribunal fédéral s’est prononcé dans le même sens en ce qui concerne l’ancienneté dans l’entreprise : un salaire inférieur au salaire médian en raison de l’absence d’années de service ou d’ancienneté dans l’entreprise n’est pas pris en compte. Il ne faut pas tenir compte sans autre d’un revenu brut inférieur à la valeur médiane pour le taux de l’abattement sur le salaire statistique, mais il faut également tenir compte dans de tels cas de la durée d’activité restante jusqu’à l’âge de la retraite AVS (arrêt 9C_339/2021 du 27 juillet 2022 consid. 4.5.4.3 ; Andreas Traub, Auslaufmodell « leidensbedingter Abzug », SZS 2022 p. 320 s.).

Consid. 9.5.3.4.4
Dans ce contexte, il n’est pas convaincant que l’office fédéral nie d’emblée toute pertinence aux aspects liés à l’âge ainsi qu’à ceux de l’ancienneté dans l’entreprise.

Consid. 9.5.3.5
Dans la mesure où l’office recourant se réfère ensuite à l’adaptation de l’art. 26bis al. 3 RAI intervenue à la suite de la motion 22.3377 (cf. consid. 8.3.4 supra), par laquelle le législateur aurait pour sa part montré qu’il souhaitait que le cadre de délégation de l’art. 28a al. 1 LAI soit interprété de manière large, il en résulte ce qui suit.

Consid. 9.5.3.5.1
L’application de cette disposition, adoptée le 18 octobre 2023, n’est pas en cause en l’espèce en raison de son entrée en vigueur le 1er janvier 2024 (RO 2023 635). Néanmoins, elle ne peut pas être ignorée ici. En effet, il est vrai que la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national, en tant qu’auteur de cette motion 22.3377 déposée le 6 avril 2022, se réfère à l’art. 28a al. 1 LAI ainsi qu’à l’art. 26bis RAI. Il n’est cependant pas approprié d’y voir une interprétation authentique du cadre de délégation, ni même une approbation juridiquement significative de la mise en œuvre par le Conseil fédéral.

Au contraire, il est frappant de constater que le texte de la motion contient une critique rarement vue dans sa clarté à l’égard de l’auteur de l’ordonnance, qui, malgré les avertissements de la jurisprudence (cf. ATF 142 V 178 consid. 2.5.8 ; 139 V 592 consid. 7.4) et de la doctrine, et contrairement à l’appel lancé par la motionnaire elle-même pour développer une nouvelle base d’évaluation, a «scellé cette pratique contestée» avec l’art. 25 al. 3 RAI. L’objectif principal de la motion était donc de demander le développement de bases de calcul spécifiquement adaptées aux besoins de l’évaluation de l’invalidité, en tenant compte de la proposition de la Prof. Em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler (cf. «Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn», SZS 2021 p. 287 ss), après que l’OFAS et le Conseil fédéral ont laissé entrevoir des résultats sur la faisabilité et des propositions concrètes au plus tôt pour 2025 (cf. la prise de position du Conseil fédéral du 25 mai 2022 ainsi que celle du 16 février 2022 en réponse à l’interpellation 21.4522 du CE Hannes Germann « Pourquoi le Conseil fédéral n’a-t-il pas tenu compte des avis exprimés lors de la procédure de consultation sur les barèmes de salaires utilisés par l’AI?»). Après l’adoption de la motion le 1er juin 2022, le Conseil national a suivi le Conseil des Etats le 14 décembre 2022 et a repris la version modifiée par ce dernier le 26 septembre 2022 : le Conseil fédéral a donc reçu le mandat de « mettre en œuvre, d’ici au 31 décembre 2023, une base de calcul qui, lors de la détermination du revenu avec invalidité au moyen de valeurs statistiques, tient compte des possibilités de revenu réalistes des personnes atteintes dans leur santé » (BO 2022 p. 922 s. ; BO 2022 p. 2366 ss).

Consid. 9.5.3.5.2
Dans l’ATF 148 V 174 [cf. ma traduction ici], le Tribunal fédéral a lui aussi reconnu que le Conseil fédéral devait prendre des mesures pour développer des salaires de référence conformes à l’invalidité et qu’il avait entrepris des démarches dans ce sens (cf. consid. 9. 2), ceci après avoir pris connaissance des études BASS AG du 8 janvier 2021 (auteurs : ürg Guggisberg, Markus Schärrer, Céline Gerber et Severin Bischof), de l’avis de droit «Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» du 22 janvier 2021 et des conclusions qui en découlent «akten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten ‘Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» du 27 janvier 2021 (tous deux de Gächter/Egli/Meier/Filippo) ainsi qu’avec la contribution précitée de Riemer-Kafka/Schwegler. Dans ce contexte, il a rejeté une modification de sa jurisprudence relative à l’utilisation des salaires statistiques, notamment au motif que les instruments de correction utilisés jusqu’à présent (en particulier un abattement sur les salaires statistiques pouvant aller jusqu’à 25%) permettaient également de tenir compte des écarts relevés au moyen des statistiques corrigées (loc. cit.). Et pour finir, il a explicitement considéré qu’une modification de la jurisprudence ne serait pas opportune, précisément dans la perspective du droit révisé en vigueur depuis le 1er janvier 2022. Même si la situation juridique concernant la détermination du revenu d’invalide des personnes atteintes dans leur santé n’est pas entièrement satisfaisante, il convient de retenir – selon le Tribunal fédéral – que la critique fondamentale formulée dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 et dans les conclusions du 27 janvier 2021 vise essentiellement des parties de la révision dans le domaine du DCAI (ATF 148 V 174 consid. 9.3).

Consid. 9.5.3.6
Pour conclure, il convient d’attirer l’attention sur deux autres aspects qui ne sont mentionnés ni dans l’arrêt attaqué ni dans le recours, mais qui ne sauraient être passés sous silence ici.

Consid. 9.5.3.6.1
Concernant le revenu d’invalide déterminé sur la base des statistiques, le seul facteur de déduction «travail à temps partiel» de 10% qui subsiste selon l’art. 26bis al. 3 RAI, dans la version applicable en l’espèce, ne fait pas de différence selon qu’il s’agit d’une personne exerçant une activité lucrative à plein temps ou seulement à temps partiel. Dans les deux cas, la comparaison des revenus doit être effectuée par rapport à une activité à plein temps. C’est l’évaluation de la capacité fonctionnelle qui est déterminante. Si celle-ci est de 50% ou moins pour une activité à plein temps, la déduction est accordée sans tenir compte du taux d’occupation (cf. ch. 3418 CIRAI [ndt : dans sa version antérieure au 01.01.2024] ; OFAS, rapport explicatif [ndt : p. 52 en français ; p. 54 en allemand]). Dans son commentaire, Kaspar Gerber (op. cit., n. 151 concernant l’art. 28a LAI) indique que cette déduction forfaitaire ne peut pas, dans certains cas, s’appuyer sur la table T18 de l’ESS, déterminante à cet égard, et qu’une solution plus différenciée, avec davantage d’échelons séparés par sexe, aurait été indiquée. De plus, l’abattement pour travail à temps partiel dissocie la capacité de travail partielle encore raisonnablement exigible de la présence temporelle, bien que les configurations (travail à temps partiel pour des raisons de santé et activité à temps plein avec une capacité de rendement réduite) ne soient pas comparables (cf. arrêt 9C_708/2009 du 19 novembre 2009, consid. 2.5.1 et les références).

Consid. 9.5.3.6.2
D’un point de vue fondamental, les éléments suivants sont en outre importants. Le législateur lui-même n’a pas abordé la thématique dont il est question ici de manière générale, mais dans une loi spéciale, et ce exclusivement dans le cadre de la LAI. Cela est surprenant dans la mesure où il s’agit de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA (cf. art. 28a al. 1, première phrase, LAI), qui s’applique non seulement directement à l’assurance-invalidité, mais également au domaine de l’assurance-accidents sociale ainsi qu’à l’assurance militaire et – indirectement via l’art. 23 LPP – aussi à celui de la prévoyance professionnelle (cf. à ce sujet de manière générale : Moser-Szeless, op. cit., N. 7 ss ad art. 16 LPGA; Frey/Lang, in: Basler Kommentar zum Allgemeinen Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 2 zu Art. 16 ATSG; avec référence à la situation juridique avant la LPGA : Ueli Kieser, ATSG-Kommentar, 4. Aufl. 2020, N. 10 zu Art. 16 ATSG; cf. ensuite N. 133 ss, 156 concernant l’uniformité du degré d’invalidité). Du point de vue de l’unité nécessaire de l’ordre juridique, à laquelle il convient d’accorder de l’importance dans le cadre d’une interprétation systématique (ATF 147 V 114 consid. 3.3.1.4 ; 143 II 8 consid. 7.3 et les références), cela soulève des questions de grande portée et très pertinentes pour la pratique. En particulier dans le domaine du droit de l’assurance-accidents, les principes connus du droit de l’assurance-invalidité sont appliqués quotidiennement par analogie lors de l’évaluation de l’invalidité (cf. parmi d’autres : ATF 148 V 419 consid. 5.2). La question de savoir comment cela doit être traité sous le régime du RAI révisé (et en l’absence d’équivalent au niveau de l’OLAA) reste ouverte. Dans le même temps, la question se pose de savoir ce que cela signifie pour l’interprétation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI qui fait l’objet du présent litige.

 

Consid. 10
Après cet état des lieux, il faut procéder à une évaluation et à une synthèse finales.

Consid. 10.1
Au regard des principes établis par la jurisprudence antérieure, notamment depuis l’ATF 126 V 75, l’art. 26bis al. 3 RAI (dans sa version du 3 novembre 2021), qui est le seul à être examiné ici, ne pourrait pas être maintenu selon l’interprétation défendue par l’OFAS, car cela abandonnerait largement la possibilité d’abattement sur le salaire statistique qui existait jusqu’ici. Toutefois, rien dans le texte de la loi n’empêche formellement le législateur d’édicter une telle ordonnance. En effet, malgré le texte de l’art. 28a al. 1 LAI («les facteurs de correction»), le Conseil fédéral conserve une large marge de manœuvre dans la mise en œuvre et sa concrétisation. Dans ce contexte, les documents législatifs, et en particulier le «message» littéralement transmis par le Conseil fédéral avec le projet de loi (cf. consid. 9.4.1.1 supra) ainsi que les rares interventions pertinentes lors des débats parlementaires (cf. consid. 9.4.1.2 supra), revêtent une importance particulière. Les références à la jurisprudence et au Tribunal fédéral, ainsi que l’indication que la méthode de détermination du degré d’invalidité resterait fondamentalement inchangée, suggèrent que le législateur avait et pouvait avoir d’autres attentes quant à la mise en œuvre dans le RAI de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI.

Consid. 10.2
Les efforts visant à obtenir un résultat aussi concret possible dans l’évaluation de l’invalidité en fonction du cas d’espèce, tels que reflétés dans la jurisprudence relative à l’art. 16 LPGA (cf. consid. 9.5.1 supra), n’ont pas été restreints par la récente révision de la LAI. De même, la nécessité des facteurs de correction, confirmée par le législateur formel et sous-tendant la jurisprudence antérieure, n’est pas remise en question. Cela s’explique par le fait que les valeurs centrales saisies dans les statistiques salariales ne peuvent pas être utilisées « telles quelles » [ndt : en français dans l’arrêt] comme revenu d’invalidité, c’est-à-dire sans correction et sans tenir compte des circonstances concrètes du cas (cf. déjà BBI 2017 2668 ; cf. également FF 2017 2493/f et FF 2017 2324/i ; consid. 9.3, 9.4.3 et 9.5.3.5.2 supra). C’est ce que confirme notamment de manière marquante l’adaptation de l’art. 26bis al. 3, première phrase, RAI, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, à la suite de la motion 22.3377 (cf. consid. 9.5.3.5.1 supra).

Consid. 10.3
Un autre élément d’interprétation important est l’unité de l’ordre juridique à laquelle il faut aspirer (cf. consid. 9.5.3.6.2 supra), qui revêt ici une importance particulière, car il s’agit de l’application d’une norme fédérale qui vise l’harmonisation (art. 16 LPGA) et qu’il s’agit de conséquences dans un contexte matériel étroit (en matière de droit des assurances sociales). En effet, parce que le législateur a placé la délégation pour l’adoption de règlements supplétifs au niveau de la loi spéciale, dans le domaine de l’évaluation de l’invalidité qui doit être réalisée selon des règles uniformes entre les différentes branches (cf. art. 16 LPGA, auquel renvoie précisément l’art. 28a al. 1, première phrase, LAI), des limites sont fixées au pouvoir réglementaire. Il ne peut ainsi pas légiférer d’une manière qui, par rapport à l’ordre existant et a fortiori par rapport aux autres branches (non incluses dans la révision), présente des différences importantes et injustifiables sur le fond. Selon l’interprétation de l’art. 26bis al. 3 RAI telle que défendue par l’autorité de surveillance, c’est-à-dire comme une réglementation exhaustive concernant l’abattement proprement dit sur le salaire statistique (ch. 3414 CIRAI), l’invalidité ne pourrait plus être évaluée de manière identique dans le domaine de l’assurance-accidents et de l’assurance militaire (également fondé sur un système de rente linéaire [ndt : au pour-cent près]). Il est difficile d’imaginer que l’on puisse remédier à cela par voie de jurisprudence praeter legem («en dehors de la loi») en appliquant par analogie l’art. 26bis al. 3 RAI. Une telle coexistence de différentes méthodes de correction conduirait, selon la branche, à des résultats divergents dans un nombre non négligeable de cas, sans qu’aucune raison objective ne puisse être identifiée.

 

Consid. 10.4
D’autres réflexions, notamment sur le contenu et le but, viennent s’y ajouter. A cet égard, on peut noter d’emblée que l’OFAS semble également s’orienter de son côté vers un critère d’évaluation de l’«adéquation» [« Sachgerechtigkeit »] (cf. consid. 8.3.3 supra).

Consid. 10.4.1
Il convient tout d’abord de préciser qu’il ne s’agit pas de questions d’équité économique ou politique, sur lesquelles le Tribunal fédéral n’a pas à se prononcer (cf. consid. 9.1 supra). Il s’agit plutôt du sens et de l’objectif des dispositions concernées, à savoir l’art. 28a LAI en lien avec l’art. 16 LPGA, ainsi que de la pratique établie par la concrétisation judiciaire des normes (cf. Meyer/Reichmuth, N. 16 ad Art. 28a IVG). En d’autres termes, l’art. 26bis al. 3 RAI doit être examiné non seulement pour vérifier s’il s’inscrit dans le cadre de la délégation et s’il ne viole pas le droit constitutionnel fédéral (notamment l’art. 8 al. 1 et l’art. 9 Cst.), mais aussi pour sa compatibilité avec d’autres dispositions (légales) fédérales (cf. consid. 9.1 supra).

Consid. 10.4.2
Le Tribunal fédéral ne méconnaît pas que le passage au système de rente linéaire a fondamentalement transformé le droit des rentes de l’AI. Cependant, cela n’implique pas un véritable changement de paradigme, comme le montre le fait que ce même système fonctionne depuis longtemps dans d’autres branches de l’assurance sociale. Il n’est donc pas justifié de motiver la suppression quasi totale de l’abattement sur le salaire statistique par ce changement de système (cf. consid. 9.5.2 supra). En particulier, le système de rente linéaire ne rend pas obsolète la nécessité de facteurs de correction efficaces. D’une part, un seuil d’accès inchangé de 40%, qui reste élevé, pour le droit à la rente AI nécessite des bases de calcul précises. D’autre part, des données statistiques sur les salaires insuffisamment corrigées ne permettent pas non plus d’atteindre la précision recherchée par le système de rente linéaire. Enfin, vouloir limiter le nombre de litiges par le biais d’une réglementation uniforme ne s’avère pas réaliste non plus. De nouvelles réglementations conduisent inévitablement à l’émergence de nouveaux domaines de conflit et de litiges correspondants, sans qu’il soit possible de prévoir de manière fiable leur ampleur.

Il est toutefois compréhensible de vouloir délimiter au niveau réglementaire le large pouvoir d’appréciation de l’utilisateur du droit. Cela nécessite une certaine schématisation et standardisation. Cela porte atteinte à l’objectif de l’art. 16 LPGA, qui vise une évaluation aussi précise que possible des revenus à comparer, mais doit être accepté pour éviter également une application inégale du droit dans un cadre approprié.

Consid. 10.4.3
Dans le présent contexte, des limites s’imposent nécessairement à l’auteur de l’ordonnance, en dehors de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement déjà interdits, lorsque ses dispositions contreviennent à des buts légaux. C’est le cas en l’occurrence de l’art. 26bis al. 3 RAI critiqué par l’instance précédente. La vue d’ensemble défendue par l’office recourant n’y change rien. En effet, il méconnaît que l’instrument composé de divers facteurs de correction n’est pas conçu et harmonisé de manière à répondre suffisamment, dans tous les cas, au besoin incontesté de correction lors de l’utilisation des revenus issus de la statistique des salaires. En d’autres termes, la suppression des facteurs d’abattement, à l’exception d’un seul, n’est pas suffisamment compensée dans le large éventail de constellations possibles. Comme exposé (cf. consid. 9.5.3.3 supra), une correction fait défaut lorsque la parallélisation ne peut s’appliquer, car le revenu sans invalidité est inférieur de moins de 5% à la valeur centrale de l’ESS (art. 26 al. 2 RAI) et qu’en même temps, aucun abattement ne doit être effectuée sur le revenu invalide, car une capacité de travail de plus de 50% est reconnue (art. 26bis al. 3 RAI). L’art. 49 al. 1bis RAI n’apporte pas non plus de solution ici (cf. consid. 9.5.3.2 supra), car cette disposition – déjà par son libellé, mais aussi par sa nature – ne permet pas d’intégrer des aspects économiques liés au marché du travail dans l’évaluation médicale. S’il existe des motifs médicaux de réduction, ceux-ci doivent bien entendu être intégrés dans l’évaluation correspondante, sans qu’il faille ensuite en tenir compte une nouvelle fois dans le cadre de l’abattement (ATF 148 V 174 V consid. 6.3; 146 V 16 consid. 4.1 s.; arrêt 9C_339/2021 du 27 juillet 2022 consid. 4.5.2 in fine ; vgl. auch Traub, a.a.O., S. 322 am Ende). Il en est de même entre les motifs de parallélisation et d’abattement (ATF 134 V 322 consid. 5.2 et 6.2 ; Meyer/Reichmuth, op. cit., N. 129 zu Art. 28a IVG).

Consid. 10.5
Le jugement du Tribunal administratif bernois, présenté par l’OFAS, ne parvient pas à réfuter le résultat d’interprétation soutenu ici. Dans ce jugement, les informations contenues dans le message concernant l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI sont interprétées de manière plus réservée qu’ici, sans qu’il soit nécessaire d’approfondir davantage. Surtout, il n’y a pas d’examen approfondi des éléments d’interprétation utilisés dans le cas présent, ni des autres dispositions légales (art. 16 LPGA). En fait, le Tribunal administratif bernois s’est essentiellement limité, après avoir rejeté une lacune véritable ou de politique juridique, à un examen de l’arbitraire et de la violation de l’égalité de droit, ce qu’il a nié.

Consid. 10.6
En résumé, il résulte de l’interprétation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, en tenant compte de l’art. 16 LPGA et d’éléments historiques, grammaticaux, systématiques et téléologiques, que l’art. 26 bis al. 3 RAI ne résiste pas au droit fédéral en ce qui concerne le caractère exhaustif qu’il entend donner à l’abattement sur le salaire statistique. Le point de vue défendu par l’OFAS dans son recours doit donc être rejeté dans la mesure où, sur la base des circonstances du cas d’espèce, en tenant compte de l’art. 26 al. 2 et de l’art. 26bis al. 3 RAI ainsi que de la capacité fonctionnelle qualitative et quantitative déterminée médicalement au sens de l’art. 49 al. 1bis RAI, il existe un besoin de correction supplémentaire. Dans ce cas, il convient, en ce qui concerne les facteurs à prendre en compte et leur pondération, de recourir à titre complémentaire aux principes jurisprudentiels actuels, et ce, faute d’alternative disponible sous forme de salaires de référence corrigés (cf. ég. les éléments discutés dans l’arrêt 8C_182/2023 du 17 avril 2024 consid. 4.3.2.3). De cette manière, l’art. 26bis al. 3 RAI, dans la version examinée ici, en vigueur jusqu’à fin 2023 et déjà à nouveau modifiée à partir de janvier 2024 (cf. consid. 10.2 supra), peut être appliqué conformément à la loi, sans que cela ne contrevienne à son libellé.

En conséquence, on ne saurait critiquer le fait que l’instance cantonale ait utilisé, en plus de l’art. 26bis al. 3 RAI, le correctif traditionnel de l’abattement sur le salaire statistique conformément à la jurisprudence actuelle. Hormis les réserves juridiques de principe que nous venons d’évoquer, le recours ne soulève aucune objection concrète à l’encontre du calcul de cet abattement (15%). Cela n’est pas non plus manifeste, raison pour laquelle il faut s’en tenir là et les autres étapes de calcul restent inchangées. Le droit de l’assuré à une rente entière (dès février 2019) et à une rente de 59% d’une rente entière (dès juin 2022) est donc maintenu.

Le TF rejette le recours de l’OFAS.

 

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

 

Commentaires et remarques

Ce long arrêt du Tribunal fédéral doit être salué à plus d’un titre. Je relèverai ces quelques points.

Notre Haute Cour rappelle de grandes notions relatives à la détermination des revenus à comparer (avec et sans invalidité) ainsi que sur le but et le sens de l’assurance-invalidité. A titre personnel, je note, au consid. 9.5.1, cette évidence : « Im Versicherungsfall steht der oder die einzelne versicherte Person im Fokus » (En cas de survenue d’un cas d’assurance, c’est la ou les personnes assurées qui sont au centre des préoccupations).

Concernant les tâches ressortant – ou non – de la compétence des médecins du SMR, je relevais en 2022 qu’il ne revient pas au médecin de procéder à des corrections sur le salaire réalisable (et donc en finalité sur le revenu d’invalide) par le biais d’une adaptation de l’évaluation médico-théorique de l’incapacité de travail (David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, n. 300).

Un autre élément qui ressort clairement est que les données de l’ESS ne suffisent pas à elles seules et que l’application de facteurs de correction est indispensable. A ce sujet, le Tribunal fédéral souligne que le législateur avait et pouvait avoir d’autres attentes quant à la mise en œuvre dans le RAI de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI. Il rappelle que l’instrument composé de divers facteurs de correction n’est pas conçu de manière à répondre suffisamment, dans tous les cas, au besoin incontesté de correction lors de l’utilisation des revenus issus de la statistique des salaires.

Le Tribunal fédéral a, à juste titre, rappelé le contexte du DCAI. En suivant l’interprétation faite par l’OFAS, l’évaluation de l’invalidité par l’AI pouvait produire des résultats très différents de ceux de l’assurance-accidents pour les mêmes conséquences d’un accident (David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, n. 377).

Les deux principaux domaines touchés par l’art. 16 LPGA sont l’assurance-invalidité et l’assurance-accidents. Il est essentiel que l’OFAS, qui supervise l’assurance-invalidité, et l’OFSP, qui gère l’assurance-accidents, entament un dialogue pour parvenir à une solution satisfaisante pour toutes les parties concernées, principalement les personnes assurées et les assureurs sociaux. Ces offices seraient bien avisés de reprendre leur réflexion à partir des points soulevés par Gabriela Riemer-Kafka et Urban Schwegler (Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn, in RSAS 6/2021, p. 287 ss).

 

 

Proposition de citation : 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/08/8c_823-2023)

 

 

8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication – DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici

 

DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants / 26bis RAI

 

La réglementation, introduite début 2022 et en vigueur jusqu’à fin 2023, concernant l’évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS est en partie contraire au droit fédéral. Les instruments pour corriger le salaire statistique de l’ESS déterminant dans un cas concret, afin de tenir compte de la situation de la personne assurée, sont insuffisants. Si nécessaire, il convient donc de recourir en complément à la pratique du Tribunal fédéral en la matière appliquée jusqu’à présent.

En 2023, le Tribunal des assurances sociales du canton de Bâle-Ville a octroyé à un assuré une rente fondée sur un taux d’invalidité de 59% à partir de juin 2022. Une révision de la loi fédérale et du règlement sur l’assurance-invalidité (LAI, RAI) était alors entrée en vigueur au 1er janvier 2022. Pour évaluer le taux d’invalidité, le tribunal a procédé à une comparaison des revenus, comme la loi le prévoit: le salaire que l’assuré pourrait obtenir après la survenance de l’invalidité en exerçant une activité que l’on peut raisonnablement exiger de sa part (revenu d’invalide) est comparé au salaire qu’il aurait pu réaliser s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité). Le tribunal a déterminé le revenu d’invalide de l’assuré sur la base des salaires statistiques de l’ESS (enquête bisannuelle sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique). Compte tenu de la situation particulière de l’assuré, il a appliqué une déduction de 15% sur le salaire de référence de l’ESS.

L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a recouru contre le jugement cantonal auprès du Tribunal fédéral. Il a conclu à l’allocation d’une rente fondée sur un taux d’invalidité de 57% seulement, au motif que l’art. 26bis RAI, dans sa version modifiée entrée en vigueur début 2022 (cette disposition a de nouveau été modifiée au 1er janvier 2024), autorisait une déduction de maximum 10% sur le salaire statistique de l’ESS (dans le cas où la personne invalide ne pouvait travailler qu’à un taux de 50% ou moins).

Le Tribunal fédéral rejette le recours de l’OFAS. Pour les cas antérieurs à la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2022, il a développé une jurisprudence relative à la détermination du revenu d’invalide sur la base des salaires statistiques de l’ESS. Afin de tenir compte de la situation particulière des personnes invalides, les salaires de référence de l’ESS pouvaient être corrigés. Une déduction maximale de 25% pouvait être opérée; une correction additionnelle était envisageable uniquement si la personne assurée percevait déjà avant la survenance de l’invalidité, sans le vouloir, un revenu nettement inférieur à la moyenne en raison de facteurs étrangers à l’invalidité (« parallélisme »).

En adoptant l’art. 26bis RAI, le Conseil fédéral a exclu dans une large mesure les possibilités de déduction fondées sur cette jurisprudence. Après une analyse globale, le Tribunal fédéral estime que le régime de déduction sur le salaire statistique de l’ESS, tel que prévu de manière exhaustive dans le RAI, n’est pas compatible avec le droit fédéral. Il ressort notamment des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LAI que la jurisprudence du Tribunal fédéral appliquée jusqu’à présent devait être pour l’essentiel reprise au niveau réglementaire et que la méthode d’évaluation du taux d’invalidité devait en principe rester inchangée. En tant qu’auteur du règlement, le Conseil fédéral a toutefois choisi une autre voie. Il y a des raisons de penser que le législateur avait et était en droit d’avoir d’autres attentes concernant la mise en œuvre de la LAI dans le RAI. Dans la mesure où, en raison des circonstances du cas d’espèce, il y a un besoin d’adapter le salaire statistique de l’ESS au-delà de ce qu’offrent les instruments de correction du RAI, il convient de faire appel, en complément, à la jurisprudence appliquée jusqu’à présent par le Tribunal fédéral. L’arrêt attaqué n’est donc pas critiquable dans son résultat.

 

NB : l’arrêt sera traduit par mes soins prochainement, avec probablement quelques commentaires personnels.

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici

 

8C_682/2023+8C_695/2023 (f) du 24.04.2024 – Stabilisation de l’état de santé / Pas d’abattement pour un ressortissant étranger, avec un permis C, en Suisse depuis 36 ans, maîtrisant mal le français – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2023+8C_695/2023 (f) du 24.04.2024

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Abattement sur le revenu d’invalide / 16 LPGA

Pas d’abattement pour un ressortissant étranger, avec un permis C, en Suisse depuis 36 ans, maîtrisant mal le français

 

A.__, né en 1961, ressortissant italien installé en Suisse depuis 1984, a travaillé depuis avril 2016 en tant que manœuvre de chantier. Le 11.07.2016, il s’est blessé à la cheville droite après avoir sauté d’un échafaudage d’une hauteur d’environ un mètre. Le jour même, il a été transporté à l’hôpital, où une radiographie a mis en évidence une fracture multifragmentaire du calcanéum avec une atteinte intra-articulaire. Le 28.07.2016, l’assuré s’est soumis à une réduction ouverte et ostéosynthèse. Dans le contexte d’une évolution défavorable de son état de santé (douleurs persistantes, arthrose sous-talienne et oedème), il a subi le 07.03.2017 une ablation d’une partie du matériel d’ostéosynthèse, en raison d’une suspicion d’un conflit entre une vis et l’articulation. Le 22.08.2017, une nouvelle ablation du matériel d’ostéosynthèse, avec libération des péroniers, a été pratiquée. En raison de la persistance d’une symptomatologie douloureuse, l’assuré a été adressé à la doctoresse C.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Le 15.11.2019, celle-ci a réalisé une quatrième intervention chirurgicale (névrectomie du nerf sural et arthrodèse sous-talienne droite).

Dans un rapport du 21.12.2020, la médecin-conseil de l’assurance-accidents a estimé que l’état de santé de l’assuré était stabilisé et que celui-ci disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, qu’elle a décrites. Elle a en outre évalué l’IPAI à 15%. Sur cette base, l’assurance-accidents a fait savoir à l’assuré qu’elle mettait un terme au paiement de l’indemnité journalière et des frais médicaux – à l’exception d’un traitement symptomatique en cas de besoin – au 31.01.2021.

Par décision du 11.01.2021, confirmée sur opposition le 31.03.2021, l’assurance-accidents, confirmant la stabilisation de l’état de santé au 31.01.2021, a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a alloué une IPAI de 15%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 27.08.2015, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité fondée sur un taux de 10%.

 

TF

Stabilisation de l’état de santé

Consid. 3.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). Il appartient ainsi à l’assureur-accidents de clore le cas en mettant fin aux frais de traitement ainsi qu’aux indemnités journalières, et en examinant le droit à une rente d’invalidité et à une IPAI (ATF 144 V 354 consid. 4.1; 143 V 148 consid. 3.1.1; 134 V 109 consid. 4.1). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Ni la possibilité lointaine d’un résultat positif de la poursuite d’un traitement médical, ni un progrès thérapeutique mineur à attendre de nouvelles mesures – comme une cure thermale – ne donnent droit à sa mise en œuvre. Il ne suffit pas non plus qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_176/2023 du 6 décembre 2023 consid. 3 et les arrêts cités).

Consid. 3.1.2
Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA (RS 830.1) ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.6 et 4.7; arrêt 8C_816/2021 du 2 mai 2022 consid. 3.2 et l’arrêt cité).

Consid. 3.4
L’assuré a subi quatre opérations, la dernière le 15.11.2019, qui s’est déroulée sans complications. Dans son rapport du 25.06.2020, le premier médecin-conseil a certes constaté le développement d’une hypoanesthésie dans le territoire du nerf sural droit, avec paresthésies relativement gênantes, ainsi que d’une arthrose calcanéo-cuboïdienne droite; dans l’attente des prochaines consultations et d’une éventuelle arthrodèse calcanéo-cuboïdienne qui avait été évoquée, le cas n’était pas encore stabilisé. Ensuite de cette évaluation, ni la chirurgienne traitant ni aucun autre médecin n’ont toutefois proposé de pratiquer une nouvelle intervention ou d’introduire un nouveau traitement médical, en dehors de l’utilisation d’une nouvelle chaussure orthopédique conseillée par la chirurgienne traitant, laquelle a, dans son avis du 12.11.2020, indiqué ne pas envisager d’ablation du matériel d’ostéosynthèse. Cette spécialiste n’a pas non plus fait état de mesures thérapeutiques susceptibles d’améliorer la capacité de travail de sa patiente, ni, plus généralement, d’éléments médicaux qui auraient été ignorés par la seconde médecin-conseil. Celle-ci a du reste rendu un rapport complet et motivé, fondé sur l’ensemble du dossier médical de l’assuré et prenant notamment en compte les avis de la chirurgienne traitant, en particulier celui du 12.11.2020. Contrairement à ce que laisse entendre l’assuré, l’appréciation de la médecin-conseil est cohérente avec celle de son confrère et collègue émise six mois auparavant, celui-ci ayant considéré le cas comme non stabilisé au seul motif d’une éventuelle intervention à venir, laquelle n’a finalement pas été réalisée. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont considéré à juste titre que l’état de santé de l’assuré était stabilisé au 31.01.2021, étant entendu que la prescription de séances de physiothérapie et d’ergothérapie n’était pas suffisante pour admettre la perspective d’une sensible amélioration de la situation médicale de l’intéressé.

 

Revenu d’invalide

Consid. 4.1.2.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 4.1.2.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1.2.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 4.3
L’assurance-accidents estime qu’il n’y aurait pas eu lieu de procéder à un abattement sur le revenu d’invalide.

Consid. 4.3.1
La cour cantonale a considéré que les limitations fonctionnelles de l’assuré étaient assez classiques et qu’elles avaient déjà été prises en considération dans la détermination des activités adaptées. Cela étant, l’assuré, titulaire d’une autorisation d’établissement (permis C), était de nationalité italienne et était âgé de 59 ans et 10 mois au moment du prononcé de la décision sur opposition du 31.03.2021. Il présentait des lacunes importantes en français, avait été absent du marché du travail depuis son accident de juillet 2016 et ne disposait d’aucune formation particulière ni expérience professionnelle dans un autre domaine que celui du bâtiment, dans lequel il ne pouvait plus exercer. Le tribunal cantonal a estimé que l’interdépendance de ces facteurs personnels et professionnels devaient conduire à retenir un abattement sur le revenu d’invalide. Le profil de l’assuré ne lui permettait pas de compenser son handicap et il était vraisemblable que les circonstances personnelles et professionnelles influassent sur ses perspectives salariales et entraînassent un net désavantage par rapport à des travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels. Aussi, une déduction de 10% sur le revenu d’invalide se justifiait.

L’assurance-accidents, qui se plaint d’une violation de l’art. 16 LPGA, soutient qu’en application de la jurisprudence, aucun critère relevé par les juges cantonaux ne permet d’appliquer le moindre abattement sur le revenu d’invalide.

Consid. 4.3.2
C’est à bon droit que la cour cantonale a exclu tout abattement en raison des restrictions fonctionnelles, qui ont déjà été prises en considération pour déterminer la capacité de travail de l’assuré dans une activité adaptée à son état de santé. Le niveau de compétence 1 de l’ESS contient en effet de nombreux emplois avec des tâches simples et légères compatibles avec ces restrictions, lesquelles n’apparaissent pas particulièrement sévères (pas de marche prolongée ou en terrain irrégulier, pas de port de charges supérieures à 10-15 kilos de manière répétée, pas d’activité à genoux ou en position accroupie et pas d’utilisation du membre inférieur droit en porte-à-faux).

S’agissant du critère de la nationalité, l’assuré, au bénéfice d’un permis d’établissement, vivait en Suisse depuis plus de 36 ans au moment de la décision sur opposition. Au vu des activités simples du niveau de compétence 1, on ne saurait retenir que ses perspectives de gain seraient moindres que celles d’un travailleur ayant la nationalité suisse (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêts 8C_454/2023 du 19 décembre 2023 consid. 5.4; 8C_883/2015 du 21 octobre 2016 consid. 6.3.2; 8C_738/2012 du 20 décembre 2012 consid. 6.2), quand bien même il maîtriserait mal le français et n’aurait pas de formation dans les activités en question, qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifiques (cf. arrêts 8C_454/2023 précité consid. 5.4; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 9C_550/2019 du 19 février 2020 consid. 4.3; 9C_898/2017 du 25 octobre 2018 consid. 3.4).

En ce qui concerne l’âge, le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, ce critère constitue un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA (ATF 148 V 419 consid. 8.3 et les arrêts cités). Autrement dit, le Tribunal fédéral a laissé ouvert le point de savoir si lorsque comme en l’espèce, cette disposition ne trouve pas application, l’âge peut être pris en considération dans la fixation de l’abattement. En l’occurrence, la juridiction cantonale n’a pas exposé – et on ne voit pas – en quoi les perspectives salariales de l’assuré seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge, d’autant moins que les emplois non qualifiés (qui correspondent à ceux du niveau de compétence 1) sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_559/2022 du 21 mars 2023 consid. 4.2.3; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2 et la référence citée).

Enfin, l’éloignement du marché du travail depuis l’accident de 2016 ne suffit pas à justifier une déduction sur le revenu d’invalide, dans la mesure où l’assuré a régulièrement travaillé, auprès de différents employeurs, depuis son arrivée en Suisse en 1984.

Consid. 4.3.3
Au vu de ce qui précède, la cour cantonale a violé le droit en procédant à un abattement sur le revenu d’invalide issu de l’ESS. Le grief de l’assurance-accidents s’avère ainsi bien fondé et le droit de l’assuré à une rente d’invalidité doit être nié.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré (8C_695/2023) et admet le recours de l’assurance-accidents (8C_682/2023).

 

Arrêt 8C_682/2023+8C_695/2023 consultable ici

 

Calcul des rentes d’invalidité : prendre en compte les conditions réelles du marché de l’emploi

Calcul des rentes d’invalidité : prendre en compte les conditions réelles du marché de l’emploi

 

Communiqué de presse du Parlement du 03.05.2024 consultable ici

 

Par 19 voix contre 3 et 1 abstention, la commission a donné suite à l’iv. pa. Kamerzin. Pour une prise en considération des possibilités d’emploi réelles des personnes atteintes dans leur santé (23.448), qui vise à adapter les bases légales pour que le calcul de la rente d’invalidité se rapproche mieux de la situation réelle d’employabilité des personnes en situation de handicap. À ce sujet, la CSSS-N avait déjà déposé une motion (22.3377) qui a ensuite été adoptée par le Parlement. Or, la commission estime insuffisante la solution de mise en œuvre retenue par le Conseil fédéral. Cette dernière consiste en une déduction forfaitaire de 10% sur le calcul du salaire théorique qu’une personne invalide considérée apte au travail pourrait toucher, afin de prendre en compte les différences salariales entre personnes valides et invalides. La commission souligne en outre que le système actuel mène régulièrement à des situations dans lesquelles les personnes sont considérées aptes au travail malgré une atteinte physique ou psychique, mais n’ont en réalité aucune possibilité d’être employées et se retrouvent au bénéfice de rentes réduites ou sans rente d’invalide.

 

Communiqué de presse du Parlement du 03.05.2024 consultable ici

 

Calcolo delle rendite d’invalidità: prendere in considerazione le reali condizioni del mercato dell’impiego, Comunicato stampa del Parlamento del 03.05.2024 disponibile qui

Berechnung der Invalidenrente: Berücksichtigung der realen Beschäftigungsmöglichkeiten auf dem Arbeitsmarkt, Medienmitteilung des Parlaments vom 03.05.2024 hier abrufbar

 

8C_546/2023 (f) du 28.03.2024 – Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Revenu d’invalide / Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_546/2023 (f) du 28.03.2024

 

Consultable ici

 

Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Activité habituelle partiellement adaptée aux limitations fonctionnelles – Revenu d’invalide / 16 LPGA

Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

 

Assuré, né en 1973, travaille depuis 2011 comme opérateur logistique. Le 03.08.2014, il a glissé dans les escaliers à son domicile et ressenti une douleur au genou gauche. Les investigations médicales ont mis en évidence des antécédents opératoires (résection d’un kyste para-méniscal externe) et des troubles dégénératifs débutants. Le spécialiste en chirurgie orthopédique a pratiqué une arthroscopie du genou gauche en mars 2015 puis une arthroscopie et méniscectomie quasi totale du ménisque externe en juin 2017. L’assuré a été en mesure de reprendre son activité à 100% après ces opérations. En octobre 2020, le chirurgien traitant a procédé à l’implantation d’une prothèse unicompartimentale (PUC) externe du genou gauche. A la suite de cette opération, l’assuré a repris progressivement son activité à un taux de 80%. Se fondant sur un rapport de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assurance-accidents a, par décision du 21.02.2022, confirmée sur opposition le 03.10.2022, mis un terme au versement des indemnités journalières et à la prise en charge du traitement médical au 30.04.2022, refusé le droit à une rente d’invalidité et accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI), fondée sur un taux de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 189 – consultable ici)

Par jugement du 01.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1).

Consid. 3.3
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3).

Consid. 3.4
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 5.4
Dans ses réponses apportées le 29.10.2022 à un questionnaire soumis par le mandataire de l’assuré, le spécialiste en médecine interne générale et médecin traitant a indiqué, s’agissant de la pleine capacité de travail exigible retenue par l’assureur-accidents, qu’une reprise à plein temps était illusoire, relevant que l’orthopédiste traitant attestait toujours d’une incapacité de travail de 20%. Malgré des activités déjà allégées par l’employeur, l’assuré était toujours gêné au niveau du genou gauche qui enflait et lâchait surtout en fin de journée. Toutes les limitations fonctionnelles retenues par le médecin-conseil étaient exactes, mais l’expérience à sa place actuelle avait démontré qu’il y avait d’autres limitations tenant essentiellement au temps de travail, le médecin traitant énonçant à cet égard un facteur d’épuisement de « l’organe » handicapé souvent ignoré par les experts. Ce faisant, il se prononce sur l’exigibilité au regard de l’activité actuelle exercée par l’assuré. Ses réponses ne sont pas de nature à mettre en doute les conclusions du médecin-conseil quant à la capacité de travail entière dans une activité adaptée qui ne nécessite pas de position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, de position à genoux ou accroupie, d’utilisation répétée d’escaliers, de déplacements en terrain accidenté ni de port de charges lourdes. La fatigue de l’articulation du genou liée à l’activité physique de l’assuré a été en outre expressément prise en compte par le médecin-conseil. Par ailleurs, rien au dossier ne permet d’attester une adaptation du poste de travail respectivement un allègement des activités par l’employeur. En l’état, l’activité d’opérateur logistique, reprise à 80%, n’est pas adaptée aux séquelles de l’accident. Au regard de la description du poste de travail contenue dans les rapports d’entretien de l’assureur-accidents, il s’agit d’une activité physique avec des ports de charges jusqu’à 30 kg, avec pour tâches principales la manutention de colis, la gestion du stock et le chargement des camions. Compte tenu en particulier du port de charges, cette activité n’est pas raisonnablement exigible.

Consid. 5.5
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’écarter de la capacité de travail de 100% dans une activité adaptée retenue par l’assurance-accidents sur la base de l’appréciation de son médecin-conseil.

 

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3, 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb).

Consid. 6.2.2
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, la prise en compte d’un abattement lié aux années de service n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétences 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.1 et l’arrêt cité).

Pour le surplus, les séquelles de l’accident ne sont pas de nature à justifier un abattement. Les limitations au genou gauche ne restreignent la capacité de l’assuré que dans certaines positions (position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, position à genoux et accroupie) et situations bien particulières (utilisation répétée d’escaliers, déplacement en terrain accidenté, port de charges lourdes). Ces limitations, qui ne sont pas inhabituelles, sont compatibles avec des activités simples et légères, et ne requièrent pas des concessions telles, de la part d’un employeur, qu’un abattement sur le salaire tiré de l’ESS s’imposerait pour en tenir compte.

C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale n’a procédé à aucun abattement.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_546/2023 consultable ici

 

8C_215/2023 (d) du 01.02.2024 – Revenu d’invalide – Abattement nié (longue absence du marché du travail, âge avancé, connaissances linguistiques insuffisantes, permis B, limitations fonctionnelles)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_215/2023 (d) du 01.02.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide – Abattement en raison de la longue absence du marché du travail, de l’âge avancé, de connaissances linguistiques insuffisantes, du permis B et des limitations fonctionnelles (activités légères à moyennement lourdes) nié / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un assuré d’âge moyen (commentaires et remarques personnelles) / 28 al. 4 OLAA

 

Assuré, né en 1960, travaillait depuis le 01.01.2018 en qualité de nettoyeur pour la société B.__ GmbH, qui a entre-temps été déclarée en faillite. Le 23.06.2019, il s’est blessé au genou gauche lors d’une chute.

Stabilisation de l’état de santé décrété le 10.03.2022, avec fin du versement des frais médicaux et des indemnités journalières au 30.04.2022. Décision du 26.04.2022, confirmée sur opposition : octroi d’une IPAI de 20% et droit à une rente d’invalidité nié.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.379 – consultable ici)

Par jugement du 06.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Il n’est pas contesté que tant le revenu d’invalide mais également le revenu sans invalidité – à la suite de la faillite du dernier employeur – doivent être déterminés sur la base de l’ESS 2020. […]

Consid. 4.2
Pour l’année 2022 (début de la rente), l’assurance-accidents a initialement fixé le revenu sans invalidité à CHF 60’558 dans sa décision, en se basant sur le tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, branches économiques 77-82 « Activités de services admin. et de soutien », niveau de compétences 1, hommes. Elle a évalué le revenu d’invalide à CHF 69’061 sur la base du total du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, hommes, ce qui, comparé au revenu valide, a conduit à un taux d’invalidité de 0%. Dans la décision sur opposition, la Suva a en revanche considéré qu’en raison de l’âge avancé de l’assuré, l’art. 28 al. 4 OLAA s’appliquait, raison pour laquelle il fallait se baser « alternativement » sur le tableau T17 de l’ESS, désormais la plus récente, pour les hommes dans la tranche d’âge entre 30 et 49 ans du groupe professionnel 91 (« aides de ménage »). Il en résulte un revenu sans invalidité de CHF 56’258.65 pour l’année 2022. En ce qui concerne le revenu d’invalide, elle a également procédé à un nouveau calcul sur la base de l’ESS 2020 publiée entre-temps. Sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2020, ligne Total, il en résulte un revenu annuel de CHF 66’997.15, et sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020, secteur 9 « Professions élémentaires », un revenu de CHF 66’548. Sur la base de ces chiffres actualisés, le taux d’invalidité était toutefois toujours de 0%.

L’instance cantonale n’est pas parvenue à une conclusion différente, bien qu’elle n’ait pas été d’accord avec l’assurance-accidents sur tous les points. Pour la comparaison des revenus, elle s’est basée sur le revenu sans invalidité fixé par la Suva dans la décision sur opposition sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020 à CHF 56’258.65 et, alternativement, sur un revenu d’invalide de CHF 66’997.15 (sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2020) ou de CHF 66’548.80 (sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020).

Consid. 4.2.1
L’assuré critique les incohérences de l’arrêt cantonal, notamment en ce qui concerne le revenu sans invalidité ; elles sont dues au fait que le tribunal cantonal – contrairement à l’assurance-accidents – a appliqué l’art. 28 al. 4 OLAA dans le cas d’espèce, mais s’est tout de même basé sur un revenu d’un assuré d’âge moyen selon la T17 (alternativement, pour le revenu d’invalide, sur la ligne Total du TA1_tirage_skill_level) pour déterminer les revenus à comparer.

Consid. 4.2.2
La réglementation spéciale de l’art. 28 al. 4 OLAA s’applique dans le domaine de l’assurance-accidents lorsqu’une personne assurée ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident en raison de son âge (variante I) ou lorsque la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé (d’environ 60 ans) (variante II). Selon l’art. 28 al. 4 OLAA, dans un tel cas, les revenus déterminants pour la fixation du degré d’invalidité sont ceux qu’un assuré d’âge moyen pourrait obtenir s’il présentait une atteinte à la santé de même gravité. Il est ainsi tenu compte, lors de l’évaluation de l’invalidité, du fait que, outre l’invalidité due à l’accident – en principe seule assurée –, l’âge avancé peut également entraîner des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain (sur l’ensemble : ATF 148 V 419 consid. 7.2 et les références).

Dans les cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA, un abattement en raison de l’âge avancé de la personne assurée n’entre pas en ligne de compte (ATF 148 V 419 consid. 8). La question de savoir si les conditions d’application de la réglementation spéciale de l’art. 28 al. 4 OLAA sont remplies dans le cas présent (selon l’assurance-accidents) ou si leur présence (selon l’instance cantonale) doit être niée (l’assuré lui-même ne s’exprime pas à ce sujet) peut rester ouverte. En effet, comme on le verra plus loin, il n’en résulte pas, d’une manière ou d’une autre, un taux d’invalidité donnant droit à une rente.

Consid. 5.1
Se référant à l’expertise du Bureau BASS SA « Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung » du 08.01.2021 (ci-après : expertise BASS), l’assuré argue que le revenu d’invalide doit être réduit de 15%. Au vu du profil d’exigibilité défini par le médecin-conseil de l’assurance-accidents et en référence à l’avis de droit du 22.01.2021 (« Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung » [ci-après : avis de droit] et des conclusions in « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten »), il faudrait en outre procéder à un abattement en raison des limitations fonctionnelles. Dans le détail, il en résulterait un abattement de 15% en raison des limitations dues à l’état de santé, de 10% en raison des possibilités de travail limitées et moins bien rémunérées au niveau de compétence 1, de 10% en raison de son âge de 62 ans au moment de la décision, de 5% en raison de la désintégration sur le marché du travail, de 12,4% sur la base de son statut de séjour B, de 10% en raison du manque d’expérience professionnelle en Suisse et dans différentes activités ainsi qu’en raison du manque de connaissances linguistiques. Au total, la déduction maximale possible de 25% devrait donc être accordée.

Consid. 5.2.1
Dans l’ATF 148 V 174, le Tribunal fédéral s’est déjà penché sur les expertises et contributions invoquées par l’assuré et a confirmé la jurisprudence actuelle selon laquelle le revenu d’invalide peut toujours être déterminé à partir de la valeur centrale ou médiane de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 9.2.3 et 9.2.4 ; arrêt 8C_682/2021 du 13 avril 2022 consid. 12.1 s.). Il n’y a pas lieu de revenir en l’espèce sur ce résultat, également important dans le domaine de l’assurance-accidents sociale (arrêt 8C_121/2022 du 27 juin 2022 consid. 5.4.2 in fine et les références). L’assuré ne démontre pas de raisons pour un changement de pratique et de telles raisons ne sont d’ailleurs pas visibles (à ce sujet, cf. ATF 145 V 304 consid. 4.4).

Consid. 5.2.2.1
L’assuré cite ensuite l’éloignement du marché du travail comme l’un des motifs d’abattement sur le revenu d’invalide, n’ayant travaillé en Suisse que pendant huit mois jusqu’à l’accident du 23.06.2019 et n’ayant depuis lors plus exercé d’activité lucrative. La longue absence du marché du travail concerne le critère des années de service, dont l’importance diminue, selon la jurisprudence dans le secteur privé, plus le profil d’exigences à prendre en compte est bas (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc ; arrêt 8C_383/2022 du 10 novembre 2022 consid. 4.2.7 et les références). A cela s’ajoute le fait que, selon la jurisprudence, une longue absence du marché du travail n’a de toute façon pas nécessairement pour effet de diminuer le salaire (cf. arrêt 8C_111/2021 du 30 avril 2021 consid. 4.3.3 et les références). Contrairement aux allégations de l’assuré, on ne peut pas déduire sans autre de la table T15 de l’ESS 2020 que l’ancienneté dans l’entreprise a une influence à la hausse sur le salaire, même pour un travail non qualifié. D’une part, ce tableau ne couvre pas le secteur privé pertinent, mais le secteur privé et le secteur public ensemble, et d’autre part, il ne différencie pas selon le niveau d’exigences (cf. aussi arrêt 8C_361/2011 du 20 juillet 2011 consid. 6.6 concernant le tableau T15 de l’ESS 2008). Dans l’ensemble, l’assuré ne démontre pas et on ne voit pas en quoi un abattement serait néanmoins approprié à cet égard.

Consid. 5.2.2.2
Dans la mesure où l’assuré invoque à nouveau son âge comme facteur d’abattement, la question de savoir si – en dehors du champ d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA – un abattement en raison de l’âge avancé est admissible peut rester ouverte (ATF 148 V 419 consid. 8.3 et les références). A cet égard, il convient de noter avec l’instance cantonale que ce sont précisément les travaux non qualifiés qui sont demandés sur le marché équilibré du travail déterminant, indépendamment de l’âge, et que pour ces activités, un âge avancé n’a pas nécessairement pour effet de diminuer le salaire (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 et les références ; arrêt 8C_128/2022 du 15 décembre 2022 consid. 6.2.3).

De même, des connaissances linguistiques insuffisantes ne justifient pas, en règle générale, un abattement sur le salaire statistique pour le niveau de compétence 1 applicable en l’espèce (arrêt 8C_703/2021 du 28 juin 2022 consid. 5.3 et la référence). L’assuré n’invoque pas de raisons pour une exception à ce principe. En ce qui concerne le statut d’étranger (permis de séjour B), il n’apparaît pas que celui-ci réduirait considérablement la possibilité pour l’assuré de pouvoir obtenir un salaire moyen sur le marché équilibré du travail qui entre en ligne de compte (cf. également les arrêts 8C_339/2022 du 9 novembre 2022 consid. 6.4.2 et 8C_314/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6.2, tous deux avec référence à la table TA12).

Consid. 5.2.2.3
Ce ne sont pas seulement des activités légères qui peuvent être raisonnablement exigées de l’assuré, mais des activités légères à moyennement lourdes, raison pour laquelle aucun abattement sur le revenu statistique n’est en principe justifiée à cet égard (cf. arrêt 9C_449/2015 du 21 octobre 2015 consid. 4.2.4 avec référence). Les limitations qualitatives de la capacité de travail, qui restreignent encore l’éventail des activités pouvant être raisonnablement exigées de lui, ne donnent pas lieu à un abattement de façon systématique (cf. arrêt 9C_312/2022 du 5 janvier 2023 consid. 5.5.2 avec référence à l’ATF 148 V 174). La question de savoir dans quelle mesure les troubles liés à la lésion au genou pourraient avoir des conséquences économiques plus importantes dans le cadre d’une activité adaptée (notamment sans travaux sur terrain accidenté, sur des échelles ou des échafaudages, sans travaux à genoux ou accroupi, sans monter des escaliers de manière répétitive), dans le sens où l’assuré devrait d’emblée s’attendre à une discrimination salariale par rapport à une personne en bonne santé exerçant la même activité, n’est pas exposée de manière substantielle dans le recours et n’est pas non plus facilement identifiable.

Consid. 5.3
En résumé, l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral en refusant une « déduction préalable » forfaitaire et un abattement supplémentaire sur le revenu d’invalide. Si aucun abattement n’entre en ligne de compte pour le revenu d’invalide, la comparaison avec le revenu sans invalidité aboutit, dans toutes les variantes de calcul envisagées jusqu’ici (cf. consid. 4.2 supra), à un taux d’invalidité excluant l’octroi d’une rente.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_215/2023 consultable ici

 

Remarques/Commentaires

S’agissant du revenu sans invalidité d’un assuré d’âge moyen (art. 28 al. 4 OLAA), le recours au tableau T17 semble critiquable. En effet, cette table se rapporte au secteur privé et secteur public ensemble, contrairement à la table TA1_tirage_skill_level (secteur privé uniquement). Puisque le revenu d’invalide est déterminé sur la base du secteur privé uniquement (TA1_tirage_skill_level), il semble plus approprié de recourir au même secteur économique pour évaluer le revenu sans invalidité. Ainsi, à mon sens, le revenu sans invalidité dans la décision initiale me semble moins critiquable (TA1_tirage_skill_level, branches 77-82 « Activités de services admin. et de soutien », niveau de compétences 1). De surcroît, comme le Tribunal fédéral le relève lui-même au consid. 5.2.2.1, seul le secteur privé pertinent.

Dans un souci de cohérence, soit la personne assurée a accès au secteur privé et au secteur public et il convient de déterminer le revenu sans invalidité sur la base de la T17 et le revenu d’invalide sur la base de la T1_tirage_skill_level (secteur privé et secteur public ensemble), soit elle n’a accès qu’au secteur privé et les revenus à comparer sont déterminés sur la base du seul secteur privé (TA1_tirage_skill_level).

On rappellera encore que les revenus statistiques des hommes et des femmes ressortant de la table TA1_tirage_skill_level correspondent à ceux obtenus par l’ensemble des travailleurs, respectivement des travailleuses, quel que soit leur âge. On peut admettre que les revenus par niveau de compétences et branches économiques correspondent à ceux d’un·e travailleur·euse d’âge moyen.

Pour l’abattement sur le revenu d’invalide, le critère de la nationalité et l’autorisation de séjour mériterait à l’occasion une appréciation claire de la part du Tribunal fédéral. Comme l’a encore relevé l’OFS dans son communiqué de presse pour les premiers résultats de l’ESS 2022, les salaires varient fortement selon les permis de séjour. Pour les postes de travail n’exigeant pas de responsabilité hiérarchique, la rémunération des salariés de nationalité suisse (CHF 6’496) est supérieure aux salaires versés à la main-d’œuvre étrangère (CHF 5’300 pour les permis B, CHF 5’787 pour les permis C et CHF 5’859 pour les permis G). La différence atteignant au moins 5% (cf. a contrario l’ATF 146 V 16), cet élément statistique devrait être pris en compte. Cela étant, il est probable que notre Haute Cour rappelle que le permis de séjour et/ou la nationalité de la personne assurée ne constituent pas per se un facteur de réduction du salaire statistique. L’effet du critère «nationalité / autorisation de séjour» doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels, tels que la formation et l’expérience professionnelle de la personne assurée concernée (cf. David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, ch. 255).

 

Proposition de citation : 8C_215/2023 (d) du 01.02.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/03/8c_215-2023)