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8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication – DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici

 

DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants / 26bis RAI

 

La réglementation, introduite début 2022 et en vigueur jusqu’à fin 2023, concernant l’évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS est en partie contraire au droit fédéral. Les instruments pour corriger le salaire statistique de l’ESS déterminant dans un cas concret, afin de tenir compte de la situation de la personne assurée, sont insuffisants. Si nécessaire, il convient donc de recourir en complément à la pratique du Tribunal fédéral en la matière appliquée jusqu’à présent.

En 2023, le Tribunal des assurances sociales du canton de Bâle-Ville a octroyé à un assuré une rente fondée sur un taux d’invalidité de 59% à partir de juin 2022. Une révision de la loi fédérale et du règlement sur l’assurance-invalidité (LAI, RAI) était alors entrée en vigueur au 1er janvier 2022. Pour évaluer le taux d’invalidité, le tribunal a procédé à une comparaison des revenus, comme la loi le prévoit: le salaire que l’assuré pourrait obtenir après la survenance de l’invalidité en exerçant une activité que l’on peut raisonnablement exiger de sa part (revenu d’invalide) est comparé au salaire qu’il aurait pu réaliser s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité). Le tribunal a déterminé le revenu d’invalide de l’assuré sur la base des salaires statistiques de l’ESS (enquête bisannuelle sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique). Compte tenu de la situation particulière de l’assuré, il a appliqué une déduction de 15% sur le salaire de référence de l’ESS.

L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a recouru contre le jugement cantonal auprès du Tribunal fédéral. Il a conclu à l’allocation d’une rente fondée sur un taux d’invalidité de 57% seulement, au motif que l’art. 26bis RAI, dans sa version modifiée entrée en vigueur début 2022 (cette disposition a de nouveau été modifiée au 1er janvier 2024), autorisait une déduction de maximum 10% sur le salaire statistique de l’ESS (dans le cas où la personne invalide ne pouvait travailler qu’à un taux de 50% ou moins).

Le Tribunal fédéral rejette le recours de l’OFAS. Pour les cas antérieurs à la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2022, il a développé une jurisprudence relative à la détermination du revenu d’invalide sur la base des salaires statistiques de l’ESS. Afin de tenir compte de la situation particulière des personnes invalides, les salaires de référence de l’ESS pouvaient être corrigés. Une déduction maximale de 25% pouvait être opérée; une correction additionnelle était envisageable uniquement si la personne assurée percevait déjà avant la survenance de l’invalidité, sans le vouloir, un revenu nettement inférieur à la moyenne en raison de facteurs étrangers à l’invalidité (« parallélisme »).

En adoptant l’art. 26bis RAI, le Conseil fédéral a exclu dans une large mesure les possibilités de déduction fondées sur cette jurisprudence. Après une analyse globale, le Tribunal fédéral estime que le régime de déduction sur le salaire statistique de l’ESS, tel que prévu de manière exhaustive dans le RAI, n’est pas compatible avec le droit fédéral. Il ressort notamment des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LAI que la jurisprudence du Tribunal fédéral appliquée jusqu’à présent devait être pour l’essentiel reprise au niveau réglementaire et que la méthode d’évaluation du taux d’invalidité devait en principe rester inchangée. En tant qu’auteur du règlement, le Conseil fédéral a toutefois choisi une autre voie. Il y a des raisons de penser que le législateur avait et était en droit d’avoir d’autres attentes concernant la mise en œuvre de la LAI dans le RAI. Dans la mesure où, en raison des circonstances du cas d’espèce, il y a un besoin d’adapter le salaire statistique de l’ESS au-delà de ce qu’offrent les instruments de correction du RAI, il convient de faire appel, en complément, à la jurisprudence appliquée jusqu’à présent par le Tribunal fédéral. L’arrêt attaqué n’est donc pas critiquable dans son résultat.

 

NB : l’arrêt sera traduit par mes soins prochainement, avec probablement quelques commentaires personnels.

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici

 

8C_682/2023+8C_695/2023 (f) du 24.04.2024 – Stabilisation de l’état de santé / Pas d’abattement pour un ressortissant étranger, avec un permis C, en Suisse depuis 36 ans, maîtrisant mal le français – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2023+8C_695/2023 (f) du 24.04.2024

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Abattement sur le revenu d’invalide / 16 LPGA

Pas d’abattement pour un ressortissant étranger, avec un permis C, en Suisse depuis 36 ans, maîtrisant mal le français

 

A.__, né en 1961, ressortissant italien installé en Suisse depuis 1984, a travaillé depuis avril 2016 en tant que manœuvre de chantier. Le 11.07.2016, il s’est blessé à la cheville droite après avoir sauté d’un échafaudage d’une hauteur d’environ un mètre. Le jour même, il a été transporté à l’hôpital, où une radiographie a mis en évidence une fracture multifragmentaire du calcanéum avec une atteinte intra-articulaire. Le 28.07.2016, l’assuré s’est soumis à une réduction ouverte et ostéosynthèse. Dans le contexte d’une évolution défavorable de son état de santé (douleurs persistantes, arthrose sous-talienne et oedème), il a subi le 07.03.2017 une ablation d’une partie du matériel d’ostéosynthèse, en raison d’une suspicion d’un conflit entre une vis et l’articulation. Le 22.08.2017, une nouvelle ablation du matériel d’ostéosynthèse, avec libération des péroniers, a été pratiquée. En raison de la persistance d’une symptomatologie douloureuse, l’assuré a été adressé à la doctoresse C.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Le 15.11.2019, celle-ci a réalisé une quatrième intervention chirurgicale (névrectomie du nerf sural et arthrodèse sous-talienne droite).

Dans un rapport du 21.12.2020, la médecin-conseil de l’assurance-accidents a estimé que l’état de santé de l’assuré était stabilisé et que celui-ci disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, qu’elle a décrites. Elle a en outre évalué l’IPAI à 15%. Sur cette base, l’assurance-accidents a fait savoir à l’assuré qu’elle mettait un terme au paiement de l’indemnité journalière et des frais médicaux – à l’exception d’un traitement symptomatique en cas de besoin – au 31.01.2021.

Par décision du 11.01.2021, confirmée sur opposition le 31.03.2021, l’assurance-accidents, confirmant la stabilisation de l’état de santé au 31.01.2021, a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a alloué une IPAI de 15%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 27.08.2015, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité fondée sur un taux de 10%.

 

TF

Stabilisation de l’état de santé

Consid. 3.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). Il appartient ainsi à l’assureur-accidents de clore le cas en mettant fin aux frais de traitement ainsi qu’aux indemnités journalières, et en examinant le droit à une rente d’invalidité et à une IPAI (ATF 144 V 354 consid. 4.1; 143 V 148 consid. 3.1.1; 134 V 109 consid. 4.1). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Ni la possibilité lointaine d’un résultat positif de la poursuite d’un traitement médical, ni un progrès thérapeutique mineur à attendre de nouvelles mesures – comme une cure thermale – ne donnent droit à sa mise en œuvre. Il ne suffit pas non plus qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_176/2023 du 6 décembre 2023 consid. 3 et les arrêts cités).

Consid. 3.1.2
Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA (RS 830.1) ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.6 et 4.7; arrêt 8C_816/2021 du 2 mai 2022 consid. 3.2 et l’arrêt cité).

Consid. 3.4
L’assuré a subi quatre opérations, la dernière le 15.11.2019, qui s’est déroulée sans complications. Dans son rapport du 25.06.2020, le premier médecin-conseil a certes constaté le développement d’une hypoanesthésie dans le territoire du nerf sural droit, avec paresthésies relativement gênantes, ainsi que d’une arthrose calcanéo-cuboïdienne droite; dans l’attente des prochaines consultations et d’une éventuelle arthrodèse calcanéo-cuboïdienne qui avait été évoquée, le cas n’était pas encore stabilisé. Ensuite de cette évaluation, ni la chirurgienne traitant ni aucun autre médecin n’ont toutefois proposé de pratiquer une nouvelle intervention ou d’introduire un nouveau traitement médical, en dehors de l’utilisation d’une nouvelle chaussure orthopédique conseillée par la chirurgienne traitant, laquelle a, dans son avis du 12.11.2020, indiqué ne pas envisager d’ablation du matériel d’ostéosynthèse. Cette spécialiste n’a pas non plus fait état de mesures thérapeutiques susceptibles d’améliorer la capacité de travail de sa patiente, ni, plus généralement, d’éléments médicaux qui auraient été ignorés par la seconde médecin-conseil. Celle-ci a du reste rendu un rapport complet et motivé, fondé sur l’ensemble du dossier médical de l’assuré et prenant notamment en compte les avis de la chirurgienne traitant, en particulier celui du 12.11.2020. Contrairement à ce que laisse entendre l’assuré, l’appréciation de la médecin-conseil est cohérente avec celle de son confrère et collègue émise six mois auparavant, celui-ci ayant considéré le cas comme non stabilisé au seul motif d’une éventuelle intervention à venir, laquelle n’a finalement pas été réalisée. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont considéré à juste titre que l’état de santé de l’assuré était stabilisé au 31.01.2021, étant entendu que la prescription de séances de physiothérapie et d’ergothérapie n’était pas suffisante pour admettre la perspective d’une sensible amélioration de la situation médicale de l’intéressé.

 

Revenu d’invalide

Consid. 4.1.2.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 4.1.2.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1.2.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 4.3
L’assurance-accidents estime qu’il n’y aurait pas eu lieu de procéder à un abattement sur le revenu d’invalide.

Consid. 4.3.1
La cour cantonale a considéré que les limitations fonctionnelles de l’assuré étaient assez classiques et qu’elles avaient déjà été prises en considération dans la détermination des activités adaptées. Cela étant, l’assuré, titulaire d’une autorisation d’établissement (permis C), était de nationalité italienne et était âgé de 59 ans et 10 mois au moment du prononcé de la décision sur opposition du 31.03.2021. Il présentait des lacunes importantes en français, avait été absent du marché du travail depuis son accident de juillet 2016 et ne disposait d’aucune formation particulière ni expérience professionnelle dans un autre domaine que celui du bâtiment, dans lequel il ne pouvait plus exercer. Le tribunal cantonal a estimé que l’interdépendance de ces facteurs personnels et professionnels devaient conduire à retenir un abattement sur le revenu d’invalide. Le profil de l’assuré ne lui permettait pas de compenser son handicap et il était vraisemblable que les circonstances personnelles et professionnelles influassent sur ses perspectives salariales et entraînassent un net désavantage par rapport à des travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels. Aussi, une déduction de 10% sur le revenu d’invalide se justifiait.

L’assurance-accidents, qui se plaint d’une violation de l’art. 16 LPGA, soutient qu’en application de la jurisprudence, aucun critère relevé par les juges cantonaux ne permet d’appliquer le moindre abattement sur le revenu d’invalide.

Consid. 4.3.2
C’est à bon droit que la cour cantonale a exclu tout abattement en raison des restrictions fonctionnelles, qui ont déjà été prises en considération pour déterminer la capacité de travail de l’assuré dans une activité adaptée à son état de santé. Le niveau de compétence 1 de l’ESS contient en effet de nombreux emplois avec des tâches simples et légères compatibles avec ces restrictions, lesquelles n’apparaissent pas particulièrement sévères (pas de marche prolongée ou en terrain irrégulier, pas de port de charges supérieures à 10-15 kilos de manière répétée, pas d’activité à genoux ou en position accroupie et pas d’utilisation du membre inférieur droit en porte-à-faux).

S’agissant du critère de la nationalité, l’assuré, au bénéfice d’un permis d’établissement, vivait en Suisse depuis plus de 36 ans au moment de la décision sur opposition. Au vu des activités simples du niveau de compétence 1, on ne saurait retenir que ses perspectives de gain seraient moindres que celles d’un travailleur ayant la nationalité suisse (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêts 8C_454/2023 du 19 décembre 2023 consid. 5.4; 8C_883/2015 du 21 octobre 2016 consid. 6.3.2; 8C_738/2012 du 20 décembre 2012 consid. 6.2), quand bien même il maîtriserait mal le français et n’aurait pas de formation dans les activités en question, qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifiques (cf. arrêts 8C_454/2023 précité consid. 5.4; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 9C_550/2019 du 19 février 2020 consid. 4.3; 9C_898/2017 du 25 octobre 2018 consid. 3.4).

En ce qui concerne l’âge, le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, ce critère constitue un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA (ATF 148 V 419 consid. 8.3 et les arrêts cités). Autrement dit, le Tribunal fédéral a laissé ouvert le point de savoir si lorsque comme en l’espèce, cette disposition ne trouve pas application, l’âge peut être pris en considération dans la fixation de l’abattement. En l’occurrence, la juridiction cantonale n’a pas exposé – et on ne voit pas – en quoi les perspectives salariales de l’assuré seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge, d’autant moins que les emplois non qualifiés (qui correspondent à ceux du niveau de compétence 1) sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_559/2022 du 21 mars 2023 consid. 4.2.3; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2 et la référence citée).

Enfin, l’éloignement du marché du travail depuis l’accident de 2016 ne suffit pas à justifier une déduction sur le revenu d’invalide, dans la mesure où l’assuré a régulièrement travaillé, auprès de différents employeurs, depuis son arrivée en Suisse en 1984.

Consid. 4.3.3
Au vu de ce qui précède, la cour cantonale a violé le droit en procédant à un abattement sur le revenu d’invalide issu de l’ESS. Le grief de l’assurance-accidents s’avère ainsi bien fondé et le droit de l’assuré à une rente d’invalidité doit être nié.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré (8C_695/2023) et admet le recours de l’assurance-accidents (8C_682/2023).

 

Arrêt 8C_682/2023+8C_695/2023 consultable ici

 

Calcul des rentes d’invalidité : prendre en compte les conditions réelles du marché de l’emploi

Calcul des rentes d’invalidité : prendre en compte les conditions réelles du marché de l’emploi

 

Communiqué de presse du Parlement du 03.05.2024 consultable ici

 

Par 19 voix contre 3 et 1 abstention, la commission a donné suite à l’iv. pa. Kamerzin. Pour une prise en considération des possibilités d’emploi réelles des personnes atteintes dans leur santé (23.448), qui vise à adapter les bases légales pour que le calcul de la rente d’invalidité se rapproche mieux de la situation réelle d’employabilité des personnes en situation de handicap. À ce sujet, la CSSS-N avait déjà déposé une motion (22.3377) qui a ensuite été adoptée par le Parlement. Or, la commission estime insuffisante la solution de mise en œuvre retenue par le Conseil fédéral. Cette dernière consiste en une déduction forfaitaire de 10% sur le calcul du salaire théorique qu’une personne invalide considérée apte au travail pourrait toucher, afin de prendre en compte les différences salariales entre personnes valides et invalides. La commission souligne en outre que le système actuel mène régulièrement à des situations dans lesquelles les personnes sont considérées aptes au travail malgré une atteinte physique ou psychique, mais n’ont en réalité aucune possibilité d’être employées et se retrouvent au bénéfice de rentes réduites ou sans rente d’invalide.

 

Communiqué de presse du Parlement du 03.05.2024 consultable ici

 

Calcolo delle rendite d’invalidità: prendere in considerazione le reali condizioni del mercato dell’impiego, Comunicato stampa del Parlamento del 03.05.2024 disponibile qui

Berechnung der Invalidenrente: Berücksichtigung der realen Beschäftigungsmöglichkeiten auf dem Arbeitsmarkt, Medienmitteilung des Parlaments vom 03.05.2024 hier abrufbar

 

8C_546/2023 (f) du 28.03.2024 – Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Revenu d’invalide / Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_546/2023 (f) du 28.03.2024

 

Consultable ici

 

Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Activité habituelle partiellement adaptée aux limitations fonctionnelles – Revenu d’invalide / 16 LPGA

Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

 

Assuré, né en 1973, travaille depuis 2011 comme opérateur logistique. Le 03.08.2014, il a glissé dans les escaliers à son domicile et ressenti une douleur au genou gauche. Les investigations médicales ont mis en évidence des antécédents opératoires (résection d’un kyste para-méniscal externe) et des troubles dégénératifs débutants. Le spécialiste en chirurgie orthopédique a pratiqué une arthroscopie du genou gauche en mars 2015 puis une arthroscopie et méniscectomie quasi totale du ménisque externe en juin 2017. L’assuré a été en mesure de reprendre son activité à 100% après ces opérations. En octobre 2020, le chirurgien traitant a procédé à l’implantation d’une prothèse unicompartimentale (PUC) externe du genou gauche. A la suite de cette opération, l’assuré a repris progressivement son activité à un taux de 80%. Se fondant sur un rapport de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assurance-accidents a, par décision du 21.02.2022, confirmée sur opposition le 03.10.2022, mis un terme au versement des indemnités journalières et à la prise en charge du traitement médical au 30.04.2022, refusé le droit à une rente d’invalidité et accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI), fondée sur un taux de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 189 – consultable ici)

Par jugement du 01.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1).

Consid. 3.3
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3).

Consid. 3.4
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 5.4
Dans ses réponses apportées le 29.10.2022 à un questionnaire soumis par le mandataire de l’assuré, le spécialiste en médecine interne générale et médecin traitant a indiqué, s’agissant de la pleine capacité de travail exigible retenue par l’assureur-accidents, qu’une reprise à plein temps était illusoire, relevant que l’orthopédiste traitant attestait toujours d’une incapacité de travail de 20%. Malgré des activités déjà allégées par l’employeur, l’assuré était toujours gêné au niveau du genou gauche qui enflait et lâchait surtout en fin de journée. Toutes les limitations fonctionnelles retenues par le médecin-conseil étaient exactes, mais l’expérience à sa place actuelle avait démontré qu’il y avait d’autres limitations tenant essentiellement au temps de travail, le médecin traitant énonçant à cet égard un facteur d’épuisement de « l’organe » handicapé souvent ignoré par les experts. Ce faisant, il se prononce sur l’exigibilité au regard de l’activité actuelle exercée par l’assuré. Ses réponses ne sont pas de nature à mettre en doute les conclusions du médecin-conseil quant à la capacité de travail entière dans une activité adaptée qui ne nécessite pas de position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, de position à genoux ou accroupie, d’utilisation répétée d’escaliers, de déplacements en terrain accidenté ni de port de charges lourdes. La fatigue de l’articulation du genou liée à l’activité physique de l’assuré a été en outre expressément prise en compte par le médecin-conseil. Par ailleurs, rien au dossier ne permet d’attester une adaptation du poste de travail respectivement un allègement des activités par l’employeur. En l’état, l’activité d’opérateur logistique, reprise à 80%, n’est pas adaptée aux séquelles de l’accident. Au regard de la description du poste de travail contenue dans les rapports d’entretien de l’assureur-accidents, il s’agit d’une activité physique avec des ports de charges jusqu’à 30 kg, avec pour tâches principales la manutention de colis, la gestion du stock et le chargement des camions. Compte tenu en particulier du port de charges, cette activité n’est pas raisonnablement exigible.

Consid. 5.5
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’écarter de la capacité de travail de 100% dans une activité adaptée retenue par l’assurance-accidents sur la base de l’appréciation de son médecin-conseil.

 

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3, 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb).

Consid. 6.2.2
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, la prise en compte d’un abattement lié aux années de service n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétences 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.1 et l’arrêt cité).

Pour le surplus, les séquelles de l’accident ne sont pas de nature à justifier un abattement. Les limitations au genou gauche ne restreignent la capacité de l’assuré que dans certaines positions (position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, position à genoux et accroupie) et situations bien particulières (utilisation répétée d’escaliers, déplacement en terrain accidenté, port de charges lourdes). Ces limitations, qui ne sont pas inhabituelles, sont compatibles avec des activités simples et légères, et ne requièrent pas des concessions telles, de la part d’un employeur, qu’un abattement sur le salaire tiré de l’ESS s’imposerait pour en tenir compte.

C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale n’a procédé à aucun abattement.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_546/2023 consultable ici

 

8C_215/2023 (d) du 01.02.2024 – Revenu d’invalide – Abattement nié (longue absence du marché du travail, âge avancé, connaissances linguistiques insuffisantes, permis B, limitations fonctionnelles)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_215/2023 (d) du 01.02.2024

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide – Abattement en raison de la longue absence du marché du travail, de l’âge avancé, de connaissances linguistiques insuffisantes, du permis B et des limitations fonctionnelles (activités légères à moyennement lourdes) nié / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un assuré d’âge moyen (commentaires et remarques personnelles) / 28 al. 4 OLAA

 

Assuré, né en 1960, travaillait depuis le 01.01.2018 en qualité de nettoyeur pour la société B.__ GmbH, qui a entre-temps été déclarée en faillite. Le 23.06.2019, il s’est blessé au genou gauche lors d’une chute.

Stabilisation de l’état de santé décrété le 10.03.2022, avec fin du versement des frais médicaux et des indemnités journalières au 30.04.2022. Décision du 26.04.2022, confirmée sur opposition : octroi d’une IPAI de 20% et droit à une rente d’invalidité nié.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.379 – consultable ici)

Par jugement du 06.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Il n’est pas contesté que tant le revenu d’invalide mais également le revenu sans invalidité – à la suite de la faillite du dernier employeur – doivent être déterminés sur la base de l’ESS 2020. […]

Consid. 4.2
Pour l’année 2022 (début de la rente), l’assurance-accidents a initialement fixé le revenu sans invalidité à CHF 60’558 dans sa décision, en se basant sur le tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, branches économiques 77-82 « Activités de services admin. et de soutien », niveau de compétences 1, hommes. Elle a évalué le revenu d’invalide à CHF 69’061 sur la base du total du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, hommes, ce qui, comparé au revenu valide, a conduit à un taux d’invalidité de 0%. Dans la décision sur opposition, la Suva a en revanche considéré qu’en raison de l’âge avancé de l’assuré, l’art. 28 al. 4 OLAA s’appliquait, raison pour laquelle il fallait se baser « alternativement » sur le tableau T17 de l’ESS, désormais la plus récente, pour les hommes dans la tranche d’âge entre 30 et 49 ans du groupe professionnel 91 (« aides de ménage »). Il en résulte un revenu sans invalidité de CHF 56’258.65 pour l’année 2022. En ce qui concerne le revenu d’invalide, elle a également procédé à un nouveau calcul sur la base de l’ESS 2020 publiée entre-temps. Sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2020, ligne Total, il en résulte un revenu annuel de CHF 66’997.15, et sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020, secteur 9 « Professions élémentaires », un revenu de CHF 66’548. Sur la base de ces chiffres actualisés, le taux d’invalidité était toutefois toujours de 0%.

L’instance cantonale n’est pas parvenue à une conclusion différente, bien qu’elle n’ait pas été d’accord avec l’assurance-accidents sur tous les points. Pour la comparaison des revenus, elle s’est basée sur le revenu sans invalidité fixé par la Suva dans la décision sur opposition sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020 à CHF 56’258.65 et, alternativement, sur un revenu d’invalide de CHF 66’997.15 (sur la base du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2020) ou de CHF 66’548.80 (sur la base du tableau T17 de l’ESS 2020).

Consid. 4.2.1
L’assuré critique les incohérences de l’arrêt cantonal, notamment en ce qui concerne le revenu sans invalidité ; elles sont dues au fait que le tribunal cantonal – contrairement à l’assurance-accidents – a appliqué l’art. 28 al. 4 OLAA dans le cas d’espèce, mais s’est tout de même basé sur un revenu d’un assuré d’âge moyen selon la T17 (alternativement, pour le revenu d’invalide, sur la ligne Total du TA1_tirage_skill_level) pour déterminer les revenus à comparer.

Consid. 4.2.2
La réglementation spéciale de l’art. 28 al. 4 OLAA s’applique dans le domaine de l’assurance-accidents lorsqu’une personne assurée ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident en raison de son âge (variante I) ou lorsque la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé (d’environ 60 ans) (variante II). Selon l’art. 28 al. 4 OLAA, dans un tel cas, les revenus déterminants pour la fixation du degré d’invalidité sont ceux qu’un assuré d’âge moyen pourrait obtenir s’il présentait une atteinte à la santé de même gravité. Il est ainsi tenu compte, lors de l’évaluation de l’invalidité, du fait que, outre l’invalidité due à l’accident – en principe seule assurée –, l’âge avancé peut également entraîner des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain (sur l’ensemble : ATF 148 V 419 consid. 7.2 et les références).

Dans les cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA, un abattement en raison de l’âge avancé de la personne assurée n’entre pas en ligne de compte (ATF 148 V 419 consid. 8). La question de savoir si les conditions d’application de la réglementation spéciale de l’art. 28 al. 4 OLAA sont remplies dans le cas présent (selon l’assurance-accidents) ou si leur présence (selon l’instance cantonale) doit être niée (l’assuré lui-même ne s’exprime pas à ce sujet) peut rester ouverte. En effet, comme on le verra plus loin, il n’en résulte pas, d’une manière ou d’une autre, un taux d’invalidité donnant droit à une rente.

Consid. 5.1
Se référant à l’expertise du Bureau BASS SA « Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung » du 08.01.2021 (ci-après : expertise BASS), l’assuré argue que le revenu d’invalide doit être réduit de 15%. Au vu du profil d’exigibilité défini par le médecin-conseil de l’assurance-accidents et en référence à l’avis de droit du 22.01.2021 (« Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung » [ci-après : avis de droit] et des conclusions in « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten »), il faudrait en outre procéder à un abattement en raison des limitations fonctionnelles. Dans le détail, il en résulterait un abattement de 15% en raison des limitations dues à l’état de santé, de 10% en raison des possibilités de travail limitées et moins bien rémunérées au niveau de compétence 1, de 10% en raison de son âge de 62 ans au moment de la décision, de 5% en raison de la désintégration sur le marché du travail, de 12,4% sur la base de son statut de séjour B, de 10% en raison du manque d’expérience professionnelle en Suisse et dans différentes activités ainsi qu’en raison du manque de connaissances linguistiques. Au total, la déduction maximale possible de 25% devrait donc être accordée.

Consid. 5.2.1
Dans l’ATF 148 V 174, le Tribunal fédéral s’est déjà penché sur les expertises et contributions invoquées par l’assuré et a confirmé la jurisprudence actuelle selon laquelle le revenu d’invalide peut toujours être déterminé à partir de la valeur centrale ou médiane de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 9.2.3 et 9.2.4 ; arrêt 8C_682/2021 du 13 avril 2022 consid. 12.1 s.). Il n’y a pas lieu de revenir en l’espèce sur ce résultat, également important dans le domaine de l’assurance-accidents sociale (arrêt 8C_121/2022 du 27 juin 2022 consid. 5.4.2 in fine et les références). L’assuré ne démontre pas de raisons pour un changement de pratique et de telles raisons ne sont d’ailleurs pas visibles (à ce sujet, cf. ATF 145 V 304 consid. 4.4).

Consid. 5.2.2.1
L’assuré cite ensuite l’éloignement du marché du travail comme l’un des motifs d’abattement sur le revenu d’invalide, n’ayant travaillé en Suisse que pendant huit mois jusqu’à l’accident du 23.06.2019 et n’ayant depuis lors plus exercé d’activité lucrative. La longue absence du marché du travail concerne le critère des années de service, dont l’importance diminue, selon la jurisprudence dans le secteur privé, plus le profil d’exigences à prendre en compte est bas (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc ; arrêt 8C_383/2022 du 10 novembre 2022 consid. 4.2.7 et les références). A cela s’ajoute le fait que, selon la jurisprudence, une longue absence du marché du travail n’a de toute façon pas nécessairement pour effet de diminuer le salaire (cf. arrêt 8C_111/2021 du 30 avril 2021 consid. 4.3.3 et les références). Contrairement aux allégations de l’assuré, on ne peut pas déduire sans autre de la table T15 de l’ESS 2020 que l’ancienneté dans l’entreprise a une influence à la hausse sur le salaire, même pour un travail non qualifié. D’une part, ce tableau ne couvre pas le secteur privé pertinent, mais le secteur privé et le secteur public ensemble, et d’autre part, il ne différencie pas selon le niveau d’exigences (cf. aussi arrêt 8C_361/2011 du 20 juillet 2011 consid. 6.6 concernant le tableau T15 de l’ESS 2008). Dans l’ensemble, l’assuré ne démontre pas et on ne voit pas en quoi un abattement serait néanmoins approprié à cet égard.

Consid. 5.2.2.2
Dans la mesure où l’assuré invoque à nouveau son âge comme facteur d’abattement, la question de savoir si – en dehors du champ d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA – un abattement en raison de l’âge avancé est admissible peut rester ouverte (ATF 148 V 419 consid. 8.3 et les références). A cet égard, il convient de noter avec l’instance cantonale que ce sont précisément les travaux non qualifiés qui sont demandés sur le marché équilibré du travail déterminant, indépendamment de l’âge, et que pour ces activités, un âge avancé n’a pas nécessairement pour effet de diminuer le salaire (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 et les références ; arrêt 8C_128/2022 du 15 décembre 2022 consid. 6.2.3).

De même, des connaissances linguistiques insuffisantes ne justifient pas, en règle générale, un abattement sur le salaire statistique pour le niveau de compétence 1 applicable en l’espèce (arrêt 8C_703/2021 du 28 juin 2022 consid. 5.3 et la référence). L’assuré n’invoque pas de raisons pour une exception à ce principe. En ce qui concerne le statut d’étranger (permis de séjour B), il n’apparaît pas que celui-ci réduirait considérablement la possibilité pour l’assuré de pouvoir obtenir un salaire moyen sur le marché équilibré du travail qui entre en ligne de compte (cf. également les arrêts 8C_339/2022 du 9 novembre 2022 consid. 6.4.2 et 8C_314/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6.2, tous deux avec référence à la table TA12).

Consid. 5.2.2.3
Ce ne sont pas seulement des activités légères qui peuvent être raisonnablement exigées de l’assuré, mais des activités légères à moyennement lourdes, raison pour laquelle aucun abattement sur le revenu statistique n’est en principe justifiée à cet égard (cf. arrêt 9C_449/2015 du 21 octobre 2015 consid. 4.2.4 avec référence). Les limitations qualitatives de la capacité de travail, qui restreignent encore l’éventail des activités pouvant être raisonnablement exigées de lui, ne donnent pas lieu à un abattement de façon systématique (cf. arrêt 9C_312/2022 du 5 janvier 2023 consid. 5.5.2 avec référence à l’ATF 148 V 174). La question de savoir dans quelle mesure les troubles liés à la lésion au genou pourraient avoir des conséquences économiques plus importantes dans le cadre d’une activité adaptée (notamment sans travaux sur terrain accidenté, sur des échelles ou des échafaudages, sans travaux à genoux ou accroupi, sans monter des escaliers de manière répétitive), dans le sens où l’assuré devrait d’emblée s’attendre à une discrimination salariale par rapport à une personne en bonne santé exerçant la même activité, n’est pas exposée de manière substantielle dans le recours et n’est pas non plus facilement identifiable.

Consid. 5.3
En résumé, l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral en refusant une « déduction préalable » forfaitaire et un abattement supplémentaire sur le revenu d’invalide. Si aucun abattement n’entre en ligne de compte pour le revenu d’invalide, la comparaison avec le revenu sans invalidité aboutit, dans toutes les variantes de calcul envisagées jusqu’ici (cf. consid. 4.2 supra), à un taux d’invalidité excluant l’octroi d’une rente.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_215/2023 consultable ici

 

Remarques/Commentaires

S’agissant du revenu sans invalidité d’un assuré d’âge moyen (art. 28 al. 4 OLAA), le recours au tableau T17 semble critiquable. En effet, cette table se rapporte au secteur privé et secteur public ensemble, contrairement à la table TA1_tirage_skill_level (secteur privé uniquement). Puisque le revenu d’invalide est déterminé sur la base du secteur privé uniquement (TA1_tirage_skill_level), il semble plus approprié de recourir au même secteur économique pour évaluer le revenu sans invalidité. Ainsi, à mon sens, le revenu sans invalidité dans la décision initiale me semble moins critiquable (TA1_tirage_skill_level, branches 77-82 « Activités de services admin. et de soutien », niveau de compétences 1). De surcroît, comme le Tribunal fédéral le relève lui-même au consid. 5.2.2.1, seul le secteur privé pertinent.

Dans un souci de cohérence, soit la personne assurée a accès au secteur privé et au secteur public et il convient de déterminer le revenu sans invalidité sur la base de la T17 et le revenu d’invalide sur la base de la T1_tirage_skill_level (secteur privé et secteur public ensemble), soit elle n’a accès qu’au secteur privé et les revenus à comparer sont déterminés sur la base du seul secteur privé (TA1_tirage_skill_level).

On rappellera encore que les revenus statistiques des hommes et des femmes ressortant de la table TA1_tirage_skill_level correspondent à ceux obtenus par l’ensemble des travailleurs, respectivement des travailleuses, quel que soit leur âge. On peut admettre que les revenus par niveau de compétences et branches économiques correspondent à ceux d’un·e travailleur·euse d’âge moyen.

Pour l’abattement sur le revenu d’invalide, le critère de la nationalité et l’autorisation de séjour mériterait à l’occasion une appréciation claire de la part du Tribunal fédéral. Comme l’a encore relevé l’OFS dans son communiqué de presse pour les premiers résultats de l’ESS 2022, les salaires varient fortement selon les permis de séjour. Pour les postes de travail n’exigeant pas de responsabilité hiérarchique, la rémunération des salariés de nationalité suisse (CHF 6’496) est supérieure aux salaires versés à la main-d’œuvre étrangère (CHF 5’300 pour les permis B, CHF 5’787 pour les permis C et CHF 5’859 pour les permis G). La différence atteignant au moins 5% (cf. a contrario l’ATF 146 V 16), cet élément statistique devrait être pris en compte. Cela étant, il est probable que notre Haute Cour rappelle que le permis de séjour et/ou la nationalité de la personne assurée ne constituent pas per se un facteur de réduction du salaire statistique. L’effet du critère «nationalité / autorisation de séjour» doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels, tels que la formation et l’expérience professionnelle de la personne assurée concernée (cf. David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, ch. 255).

 

Proposition de citation : 8C_215/2023 (d) du 01.02.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/03/8c_215-2023)

 

8C_39/2023 (f) du 14.07.2023 – Capacité de travail partielle et baisse de rendement post-TCC sévère – Pas d’abattement pour la capacité partielle ni la baisse de rendement – 19 LAA – 16 LPGA / Prise en charge des frais médicaux après stabilisation de l’état de santé

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_39/2023 (f) du 14.07.2023

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité / 19 LAA – 16 LPGA

Capacité de travail partielle et baisse de rendement post-TCC sévère – Pas d’abattement pour la capacité partielle ni la baisse de rendement

Prise en charge des frais médicaux après stabilisation de l’état de santé / 21 al. 1 LAA

 

Assuré, né en 1990, a débuté un apprentissage de cuisinier le 15.08.2006. Le 03.07.2008, il a été victime d’un accident alors qu’il circulait à scooter. Le diagnostic principal de polytraumatisme avec TCC sévère a été posé.

L’office AI a alloué à l’assuré une rente entière d’invalidité à compter du 01.09.2014.

Après expertise pluridisciplinaire (neurologie, psychiatrie et neuropsychologie), l’assureur-accidents a, par décision du 10.12.2019 confirmée sur opposition, alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 18% à compter du 01.01.2015 et une IPAI de 35%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 09.12.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens qu’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 27% à partir du 01.01.2015 a été octroyée à l’assuré et que le droit au « remboursement des frais médicaux liés à l’accident du 03.07.2008 » (plus précisément, selon les considérants, le droit au remboursement au-delà du 31.08.2015 des frais occasionnés par un traitement psychotrope et un suivi psychiatrique) lui a été reconnu

 

TF

Consid. 3.2
La cour cantonale a constaté que l’expert en neurologie avait indiqué que la seule affection limitant la capacité de travail de l’assuré était un syndrome neuropsychologique en lien avec une contusion cérébrale; dans l’activité habituelle comme dans une activité adaptée, la capacité de travail était de 80% avec une perte de rendement de 20%. Dans le même sens, l’expert en neuropsychologie avait fait état d’une capacité de travail de 80% avec un rendement de 80%, soit une capacité de travail équivalant à 64%. Selon l’experte en psychiatrie, la capacité de travail pouvait être fixée à 80% avec une diminution de rendement de 20 à 25%. L’expert en neurologie avait précisé qu’en consensus, une capacité résiduelle de travail de 60% (80% avec une diminution de rendement de 20 à 25%) avait été retenue. L’instance cantonale a estimé que sur la base de cette appréciation consensuelle, une capacité résiduelle de travail de 60% dans une activité adaptée pouvait être retenue.

Consid. 3.4
Au terme d’une appréciation consensuelle, les experts ont fait état d’une « capacité de travail de 60% (80% de capacité de travail en taux horaire avec une diminution de rendement de 20-25% sur ce 80%) « . Ce taux de 60%, qui correspond à une capacité de travail de 80% avec une diminution de rendement de 25% sur ce 80%, entre bien dans la fourchette d’une baisse de rendement de 20 à 25% évoquée par l’experte en psychiatrie puis reprise en consensus. Il n’y a donc pas lieu de s’en s’écarter, quand bien même les experts n’ont pas exposé pour quelle raison ils ont finalement privilégié – toujours en consensus – une baisse de rendement de 25%.

 

Consid. 4.1.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 4.1.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 4.1.4
Le critère du taux d’occupation réduit peut être pris en compte pour déterminer l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique d’invalide lorsque le travail à temps partiel se révèle proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps. A cet égard, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de constater que le travail à plein temps n’est pas nécessairement proportionnellement mieux rémunéré que le travail à temps partiel; dans certains domaines d’activités, les emplois à temps partiel sont en effet répandus et répondent à un besoin de la part des employeurs, qui sont prêts à les rémunérer en conséquence (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêt 9C_18/2022 du 9 novembre 2022 consid. 3.2 et les arrêts cités). Cela étant, le travail à temps partiel peut, selon les statistiques, être synonyme d’une perte de salaire pour les travailleurs de sexe masculin (arrêt 9C_18/2022 précité consid. 3.2 in fine et les arrêts cités).

Consid. 4.2
La cour cantonale a fixé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS 2014, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes. S’agissant de l’abattement, elle a retenu que les facteurs de la nationalité, de l’âge et des années de service n’entraient pas en ligne de compte. Il en allait de même des limitations fonctionnelles, dont il avait déjà été tenu compte pour déterminer la capacité de travail. En revanche, dès lors que « dans une activité adaptée, non seulement le rendement, mais aussi la capacité de travail […] a[vait] fait l’objet d’une diminution par les médecins-experts », un abattement de 5% était justifié. Compte tenu d’une capacité résiduelle de travail de 60% et d’un abattement de 5%, le revenu d’invalide s’élevait à 37’991 fr. 95. En présence d’un revenu sans invalidité non contesté de 52’074 fr., il en résultait un taux d’invalidité (arrondi) de 27%.

Consid. 4.4
Selon les médecins-experts, l’assuré doit limiter les activités impliquant un rythme de travail soutenu, la gestion du stress et la prise de responsabilités; des activités sans pression temporelle et interactions sociales « confrontantes » doivent également être privilégiées, l’intéressé présentant par ailleurs un besoin d’encadrement, une tendance à la désorganisation, de la fatigabilité et des troubles de l’attention. Ce sont précisément ces limitations fonctionnelles qui ont amené les experts à conclure que l’assuré disposait d’une capacité de travail de 80% avec une baisse de rendement de 25%, soit une capacité équivalant à une activité à 60% (cf. consid. 3.4 supra), de sorte qu’un abattement en raison des limitations fonctionnelles est exclu, comme retenu à juste titre par les juges cantonaux. En revanche, c’est à tort que ceux-ci ont appliqué un abattement de 5% au seul motif que l’assuré ne disposait pas d’une pleine capacité de travail avec un plein rendement. Dès lors que pour calculer le revenu d’invalide, ils ont multiplié par 60% le revenu annuel pour une activité à plein temps issu de l’ESS, le travail à temps partiel ne se révèle pas proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps (cf. consid. 4.1.4 supra). Le revenu d’invalide, qui ne peut faire l’objet d’aucun abattement, doit ainsi être corrigé et s’élève à 39’991 fr. 54. Compte tenu d’un revenu sans invalidité de 52’074 fr., le taux d’invalidité doit être fixé à 23%.

 

Consid. 5.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase).

Aux termes de l’art. 21 al. 1 LAA, lorsque la rente a été fixée, les prestations pour soins et remboursement de frais (art. 10 à 13) sont accordées à son bénéficiaire dans les cas suivants: lorsqu’il souffre d’une maladie professionnelle (let. a); lorsqu’il souffre d’une rechute ou de séquelles tardives et que des mesures médicales amélioreraient notablement sa capacité de gain ou empêcheraient une notable diminution de celle-ci (let. b); lorsqu’il a besoin de manière durable d’un traitement et de soins pour conserver sa capacité résiduelle de gain (let. c); lorsqu’il présente une incapacité de gain et que des mesures médicales amélioreraient notablement son état de santé ou empêcheraient que celui-ci ne subisse une notable détérioration (let. d). Selon la jurisprudence, l’art. 21 al. 1 let. d LAA s’applique uniquement aux bénéficiaires d’une rente d’invalidité qui présentent une incapacité totale de travail (ATF 124 V 52 consid. 4; arrêts 8C_601/2022 du 31 mars 2023 consid. 5.2; 8C_434/2020 du 26 octobre 2020 consid. 4.3 et les arrêts cités).

Consid. 5.2
Les juges cantonaux ont souligné que l’assurance-accidents avait mis un terme au paiement du traitement médical à partir du 01.09.2015. Dans leur rapport, les médecins-experts avaient évoqué l’instauration d’un traitement psychotrope ou d’une thérapie psychiatrique en cas de péjoration de l’état de santé de l’assuré. Dans ces conditions, celui-ci avait droit, en application de l’art. 21 al. 1 let. d LAA, au remboursement des frais médicaux occasionnés par ces traitements au-delà du 31.08.2015.

Consid. 5.3
L’assurance-accidents soutient qu’aucun expert n’aurait estimé que des mesures médicales pourraient améliorer notablement l’état de santé de l’assuré ou empêcher une notable détérioration dudit état de santé. En outre, il ne serait pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante qu’un traitement psychotrope ou un suivi psychiatrique seraient de nature à avoir un impact sur l’état de santé de l’assuré.

Consid. 5.4
Dès lors que l’assuré n’est pas en incapacité totale de travail, l’art. 21 al. 1 let. d LAA ne trouve pas application. Il ne résulte pas non plus des faits constatés par le tribunal cantonal que l’un des autres cas de figure – exhaustifs (arrêt 8C_601/2022 précité consid. 5.1.1 et la référence) – prévus à l’art. 21 al. 1 LAA se présenterait. S’agissant en particulier de l’art. 21 al. 1 let. c LAA, les médecins-experts n’ont pas indiqué que des soins durables étaient nécessaires pour conserver la capacité résiduelle de travail fixée à 60%. L’experte en psychiatrie s’est limitée à relever qu’en cas d’aggravation de l’état de santé, un traitement psychotrope ou un suivi psychologique pouvait être instauré. Par conséquent, c’est à tort que les juges cantonaux ont estimé que l’assuré avait droit au remboursement des frais médicaux postérieurs au 31.08.2015.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_39/2023 consultable ici

 

Abattement forfaitaire : une meilleure comparaison des revenus pour les bénéficiaires de l’AI (selon le Conseil fédéral) – Détails et commentaires

Abattement forfaitaire : une meilleure comparaison des revenus pour les bénéficiaires de l’AI (selon le Conseil fédéral)

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 18.10.2023 [disponible ici]

Pour les assurés dont il est impossible de comparer les revenus effectifs avant et après la survenance de l’invalidité, la méthode d’évaluation du taux d’invalidité doit être améliorée. Les revenus hypothétiques employés jusqu’ici, critiqués parce que trop élevés, seront réduits en appliquant une déduction forfaitaire de 10% afin de tenir compte des limitations des personnes handicapées sur le marché du travail. Cette adaptation devrait conduire à une augmentation des rentes ainsi qu’à un plus grand nombre de reclassements. En réponse à la motion 22.3377, le Conseil fédéral a adopté lors de sa séance du 18 octobre 2023 une modification du règlement sur l’assurance-invalidité (RAI), qui entrera en vigueur le 1er janvier 2024.

Le taux d’invalidité est déterminant pour le montant d’une rente AI. Il est calculé en comparant le revenu qu’une personne réalisait avant la survenance de l’invalidité avec celui qu’elle peut encore réaliser une fois invalide. Exprimée en pourcentage, cette différence donne le taux d’invalidité. Si une personne assurée ne réalise pas de revenu, il faut déterminer quel revenu elle serait théoriquement en mesure d’obtenir compte tenu de sa situation. Pour ce faire, on se base sur les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), qui couvrent de nombreuses professions à différents niveaux de compétence. Ces données reflètent les revenus surtout des personnes sans invalidité, qui ont tendance à être plus élevés que ceux que peuvent obtenir les personnes handicapées.

Or, si la comparaison des revenus est basée sur un revenu hypothétique trop élevé, la différence avec le revenu réalisé avant l’invalidité est plus faible, et le taux d’invalidité, plus bas. La rente sera par conséquent elle aussi plus basse et, dans certains cas limites, l’assuré peut même perdre complètement le droit à une rente. La réforme de l’AI entrée en vigueur en 2022 a déjà permis de remédier en partie à ce problème. Afin de le corriger encore mieux, la modification du RAI adoptée par le Conseil fédéral prévoit que, lors de la comparaison des revenus, une déduction forfaitaire de 10% sera appliquée au revenu hypothétique tiré des données de l’OFS. Ce pourcentage se fonde sur une étude du bureau BASS en 2021. La déduction forfaitaire, qui fait office de facteur de correction, est facile à appliquer, peut être mise en œuvre dès début 2024 sans nécessiter d’adaptations importantes et sera instaurée de manière permanente.

 

Les rentes en cours également concernées

Cette méthode s’appliquera à toute nouvelle rente AI pour laquelle, faute de revenu effectif, un revenu hypothétique doit servir de base de calcul. Les rentes en cours, elles, devront être révisées par les offices AI dans un délai de trois ans. Ce changement concerne les quelque 30’000 bénéficiaires qui ne touchent pas actuellement de rente entière (c’est-à-dire ceux dont le taux d’invalidité est inférieur à 70%).

 

Conséquences financières pour l’AI et les autres assurances sociales

Selon une estimation sommaire, le coût supplémentaire attendu pour l’AI s’élève à 82 millions de francs par an. Étant donné que la même base de calcul est utilisée pour l’examen du droit à un reclassement et à une rente, davantage de personnes auront désormais droit à un reclassement. Le coût supplémentaire est difficile à estimer de manière fiable, mais le Conseil fédéral s’attend à une augmentation de 40 millions de francs.

Pour ce qui est des prestations complémentaires (PC), l’augmentation des rentes AI permettra d’une part de faire des économies. Néanmoins, étant donné qu’un plus grand nombre de personnes auront droit à une rente et donc potentiellement aussi à des PC, ce changement entraînera également des dépenses supplémentaires. Estimé à 14 millions de francs par an, ce coût sera assumé aux 5/8 par la Confédération et aux 3/8 par les cantons.

D’après une estimation approximative, le coût supplémentaire pour la prévoyance professionnelle pourrait s’élever à environ 30 millions de francs par an.

 

Modification du RAI [disponible ici]

Nouvelle teneur de l’art. 26bis al. 3 RAI (dès le 1er janvier 2024) :

Une déduction de 10% est opérée sur la valeur statistique visée à l’al. 2. Si, du fait de l’invalidité, l’assuré ne peut travailler qu’avec une capacité fonctionnelle au sens de l’art. 49, al. 1bis, de 50% ou moins, une déduction de 20% est opérée. Aucune déduction supplémentaire n’est possible.

 

Dispositions transitoires relatives à la modification du …

1 Pour les rentes en cours à l’entrée en vigueur de la modification du … qui correspondent à un taux d’invalidité inférieur à 70% et pour lesquelles le revenu avec invalidité a été déterminé sur la base de valeurs statistiques et n’a pas déjà fait l’objet d’une déduction de 20%, une révision est engagée dans les trois ans qui suivent l’entrée en vigueur de la présente modification. Si la révision devait conduire à une diminution ou à une suppression de la rente, il y sera renoncé. Si elle devait conduire à une augmentation de la rente, celle-ci prendra effet à l’entrée en vigueur de la présente modification.

2 Lorsque l’octroi d’une rente ou d’un reclassement a été refusé avant l’entrée en vigueur de la modification du … parce que le taux d’invalidité était insuffisant, une nouvelle demande n’est examinée que s’il est établi de façon plausible qu’un calcul du taux d’invalidité effectué en application de l’art. 26bis, al. 3, pourrait aboutir cette fois à la reconnaissance d’un droit à la rente ou au reclassement.

 

Rapport explicatif (après la consultation) du 18.10.2023 [disponible ici]

Une base de calcul sera introduite au 1er janvier 2024, sous la forme d’une déduction forfaitaire permettant, lors de la détermination du revenu avec invalidité au moyen de valeurs statistiques, de tenir compte des possibilités de revenu réelles des personnes atteintes dans leur santé. Cette déduction forfaitaire est une mesure permanente.

 

Instauration d’une déduction forfaitaire à long terme

Le projet d’élaboration de barèmes de salaires sur le modèle Riemer-Kafka/Schwegler ne sera pas poursuivi. L’introduction de barèmes ESS éventuellement adaptés aurait pour conséquence d’abolir la déduction forfaitaire ou de la remplacer par ces mêmes barèmes, ce qui entraînerait une nouvelle révision et une adaptation des rentes concernées. Une telle révision pourrait détériorer la situation de certains assurés, étant donné qu’un calcul basé sur des barèmes ESS adaptés peut résulter en un taux d’invalidité inférieur à celui obtenu par déduction forfaitaire. De fait, les offices AI se trouveraient en charge de procédures de révision complexes et parfois longues (y compris les procédures de recours) pendant plusieurs années. On estime qu’ils devraient procéder par deux fois à quelque 30’000 révisions en l’espace de quelques années. Il en résulterait de plus une surcharge de travail pour les experts médicaux et la pénurie de ressources dans ce domaine s’en trouverait augmentée. Pour les personnes concernées, cela entraînerait un allongement des délais d’attente, déjà parfois très longs aujourd’hui. Des adaptations répétées des bases de calcul dans un domaine aussi complexe que celui de l’évaluation du taux d’invalidité génèreraient une grande insécurité. Il faudrait s’attendre à un nombre important de questions et de problèmes imprévisibles dans la mise en œuvre des dispositions du droit fédéral. Pour toutes ces raisons, il conviendra de procéder à une évaluation complète de l’impact de la déduction forfaitaire mais également des conséquences des nouveautés introduites au 1er janvier 2022 par le développement continu l’AI sur le calcul du taux d’invalidité. Cette évaluation sera réalisée par l’OFAS dans le cadre du programme de recherche de l’AI (PR AI). S’appuyant sur les résultats de cette évaluation, le Conseil fédéral décidera s’il y a lieu de modifier une nouvelle fois le calcul du taux d’invalidité, et dans quelle mesure.

 

Pourcentage de la déduction forfaitaire

Les revendications en faveur d’une déduction supérieure à 10% ne seront pas prises en compte.

 

Dispositions transitoires

Les rentes en cours sont adaptées au nouveau droit dans la mesure suivante : toute rente en cours dont le bénéficiaire n’avait pas encore atteint l’âge de 55 ans au 1er janvier 2022 et présente un taux d’invalidité de 40 à 69% est soumise à une révision dans un délai de trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la déduction forfaitaire. Lors de la révision, la situation de l’assuré fait donc en principe l’objet d’un examen complet (sur le plan médical et économique). L’on omettra toutefois de procéder à la révision si celle-ci déboucherait sur une situation moins favorable pour l’assuré du seul fait de cette modification du droit en vigueur.

La demande formulée lors de la consultation de ne pas procéder à des révisions qui nécessiteraient un examen complet de la situation médicale et économique des assurés bénéficiant d’une rente en cours, a été examinée en détail. Or ni la LPGA ni la LAI ne permettent de recalculer purement et simplement le taux d’invalidité d’un assuré. En effet, d’une part, l’introduction d’un tel recalcul au niveau du règlement limiterait la compétence des offices AI de procéder à des révisions des rentes. D’autre part, cette approche constituerait une dérogation au principe de l’instruction de la demande visée à l’art. 43 LPGA. L’introduction d’une telle réglementation n’est pas licite et doit dès lors être rejetée.

Une partie des participants souhaite en outre que les personnes qui se sont vu refuser un reclassement par le passé en raison d’un taux d’invalidité trop bas puissent déposer une nouvelle demande. Les dispositions transitoires ont été adaptées en conséquence. Il faut donc s’attendre à ce que le nombre de reclassements augmente encore à l’avenir, ce qui répond à la demande exprimée dans la motion.

 

Proposition de nouvelle réglementation pour l’évaluation du taux d’invalidité

Concernant la demande, formulée dans le cadre de la consultation, de procéder à des déductions individuelles en plus de la déduction forfaitaire sur le revenu statistique, il faut donc retenir que ces facteurs sont déjà pris en compte, mais à un stade plus précoce de l’évaluation du taux d’invalidité (capacité fonctionnelle individuelle, mise en parallèle) et non plus au moyen de telles déductions. Les éventuelles limitations dues à l’atteinte à la santé déjà incluses dans l’évaluation de la capacité de travail ou de la capacité fonctionnelle ne peuvent pas également entrer dans le calcul de la déduction liée à l’atteinte à la santé, car sinon, elles seraient au final prises en compte à double (ATF 148 V 174, consid. 6.3 ; ATF 146 V 16, consid. 4.1 avec remarques).

Les autres dispositions réglementaires relatives à l’évaluation du taux d’invalidité introduites le 1er janvier 2022 dans le cadre du DC AI demeurent inchangées.

La mise en œuvre de la déduction forfaitaire peut se faire au niveau réglementaire, étant donné qu’en vertu de l’art. 28a al. 1 LAI, le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables. L’introduction d’une déduction forfaitaire est en outre compatible avec l’art. 8 Cst. Le législateur n’est pas tenu de tenir compte de chaque inégalité de fait et de prévoir, à cet égard, des conséquences juridiques différentes. Certaines schématisations et simplifications peuvent se justifier pour des raisons pratiques (notamment de faisabilité en matière d’exécution) et de sécurité juridique, pour autant que ces schématisations ne conduisent pas à des résultats qui ne semblent plus adéquats et raisonnables. Etant donné qu’aucune personne ou groupe de personnes ne seraient d’emblée touchés de manière inacceptable par cette généralisation, la déduction forfaitaire est dans le cas présent justifiée. En particulier, des facteurs tels que le statut de séjour ou la nationalité sont déjà pris en compte lors de la mise en parallèle du revenu sans invalidité.

Cette déduction ne pose aucun problème d’interprétation ni d’application pour la pratique administrative ou la jurisprudence : elle est fondée sur le même principe que les déductions auparavant opérées en raison de l’atteinte à la santé, garantit une égalité de traitement, est compatible avec le système actuel et est aisément compréhensible. Les nouvelles bases de calcul permettront d’octroyer des prestations (reclassements, rentes) conformes à la loi, en augmentant les chances de réussite de la réadaptation et en octroyant des rentes calculées de manière adéquate. Ceci vaut en particulier pour les femmes et les personnes qui exercent des activités dans des secteurs où les salaires sont plutôt bas.

 

Mise en œuvre

Une modification des dispositions légales se répercute en principe aussi sur les prestations en cours, sous réserve de dispositions transitoires contraires (ATF 121 V 157 consid. 4a). Afin de garantir l’égalité de traitement entre tous les assurés, l’adaptation des rentes en cours doit être réglée par une disposition transitoire.

Les bénéficiaires de rentes qui auront atteint l’âge de 55 ans au 1er janvier 2022 ne sont toutefois pas concernés. En effet, dans ce cas, c’est la réglementation des droits acquis figurant à la let. c des dispositions transitoires de la modification de la LAI du 19 juin 2020 qui s’applique. Pour ces personnes, les dispositions légales en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 resteront applicables jusqu’à leur sortie de l’assurance-invalidité.

Les rentes en cours doivent être adaptées au nouveau droit (ATF 121 V 157 consid. 4a). La modification du droit se subroge, en l’occurrence, au motif de la révision. Conformément au principe de l’instruction visé à l’art. 43 al. 1 LPGA, les offices AI sont tenus de prendre d’office les mesures d’instruction nécessaires. Doivent à cet égard être examinés tous les éléments pertinents pour les prestations (tels que les facteurs médicaux et économiques). Les offices AI déterminent eux-mêmes la nature et l’étendue de l’instruction nécessaire (art. 43 al. 1bis LPGA). La disposition transitoire prévoit qu’une révision des rentes en cours concernées doit être entamée dans un délai de trois ans. Pour tous les assurés concernés, l’augmentation de la rente prendra effet à l’entrée en vigueur de la modification réglementaire (à savoir, au 1er janvier 2024), indépendamment de la date à laquelle la révision a été initiée. L’on omettra toutefois de procéder à la révision si celle-ci déboucherait sur une situation moins favorable pour l’assuré du seul fait de cette modification du droit en vigueur (réduction ou suppression de la rente). Par contre, les assurés percevant une rente complète ne feront pas l’objet d’un examen, puisque leur rente ne peut être augmentée.

Les nouveaux taux d’invalidité fixés par l’AI sont repris par la prévoyance professionnelle pour le calcul de ses prestations.

Les personnes dont la demande de rente a déjà été refusée ne feront pas l’objet d’un examen automatique selon les nouvelles dispositions. Les assurés concernés devront eux-mêmes déposer une nouvelle demande conformément aux règles générales.

 

Conséquences pour l’AI

Rentes : En moyenne, il faut s’attendre à des coûts supplémentaires de l’ordre de 40 millions de francs par an pour l’effectif actuel des rentes et de l’ordre de 42 millions de francs par an pour les nouveaux bénéficiaires. Les dépenses de l’AI devraient donc augmenter d’environ 82 millions de francs par année.

Mesures d’ordre professionnel : Le montant actuel versé par l’AI pour ces mesures est d’environ 98 millions de francs, dont 16 millions de frais de déplacement. Il faut y ajouter environ 260 millions de francs pour les indemnités journalières versées aux assurés. Le nombre de personnes présentant un taux d’invalidité inférieur à 20% n’est pas connu. Étant donné que ce taux ne représente qu’une condition parmi d’autres, il n’est possible d’estimer que très approximativement les frais supplémentaires engendrés par l’octroi de nouvelles mesures de reclassement (y c. indemnités journalières accessoires et frais de déplacement). On peut s’attendre à une augmentation des coûts d’environ 40 millions de francs par an.

Office AI : L’introduction de la déduction forfaitaire accroîtra la charge de travail des offices AI. D’une part, pour près de 30’000 assurés, la rente devra être révisée et le taux d’invalidité recalculé en tenant compte de la nouvelle déduction forfaitaire. D’autre part, il faut s’attendre à recevoir de nouvelles demandes de prestations, tant pour les rentes que pour les reclassements. Cette charge supplémentaire devrait perdurer trois à quatre ans après l’entrée en vigueur, raison pour laquelle la durée des nouveaux postes créés est limitée à quatre ans. Il faudra compter deux ans pour le recalcul des taux et trois pour le traitement des nouvelles demandes. Les besoins supplémentaires en personnel s’élèvent à 24 équivalents plein temps environ, ce qui correspond à près de 4,3 millions de francs par an.

 

Conséquences pour les prestations complémentaires

Pour les PC, la déduction forfaitaire proposée engendrera, d’une part, des économies dans les cas où la rente AI augmente et, d’autre part, des frais supplémentaires dans les cas où une nouvelle rente est octroyée.

Les dépenses supplémentaires nettes pour les PC sont donc d’environ 14 millions de francs par an, ce qui engendre pour la Confédération des frais supplémentaires nets de l’ordre de 9 millions de francs par an liés au financement partiel (5/8) des PC (art. 13 al. 1 LPC). Pour les cantons, qui assument aussi le financement partiel des PC (3/8), il en résulte également des dépenses supplémentaires de l’ordre de 5 millions de francs par an.

 

Conséquences pour la prévoyance professionnelle

Les prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle sont calculées sur la base du taux d’invalidité établi par l’AI. Si ces taux deviennent plus élevés, les rentes servies par la prévoyance professionnelle augmenteront en conséquence, ainsi que leur nombre. Il faut cependant rappeler ici que les prestations de la prévoyance professionnelle sont réduites en cas de surindemnisation. En outre, les institutions de prévoyance disposent d’une grande marge de manœuvre dans la partie surobligatoire et peuvent décider dans quelle mesure elles veulent répercuter dans ce domaine une augmentation du taux d’invalidité qui n’est contraignante que pour le régime obligatoire. Les estimations qui suivent ne donnent donc qu’un ordre de grandeur du supplément de coût.

Le montant annuel total des rentes d’invalidité versées par la prévoyance professionnelle (régime surobligatoire compris) s’élevait environ à 1,9 million de francs en 2020 [ndr : il s’agit probablement d’une coquille dans le rapport et qu’il doit s’agir de 1.9 milliard de francs]. Partant de l’hypothèse selon laquelle le taux d’invalidité est basé sur un salaire statistique dans deux tiers des cas, la somme des rentes versées par la prévoyance professionnelle augmenterait d’une valeur estimée à 1,6% avec une déduction forfaitaire du revenu avec invalidité de 10%, ce qui correspond à un montant d’environ 30 millions de francs par an.

 

Conséquences pour l’assurance-accidents et assurance militaire

Seule la législation sur l’AI prévoit une norme de délégation pour l’instauration de la nouvelle déduction forfaitaire. Une telle déduction ne peut donc pas être introduite au niveau réglementaire dans l’assurance-accidents et l’assurance militaire, ce qui signifie qu’elle n’est pas applicable.

Les dispositions censées s’appliquer en dehors de l’AI devraient en principe être inscrites dans la LPGA ou dans l’ordonnance correspondante. On peut aussi se demander si une déduction forfaitaire de 10% dans l’assurance-accidents et l’assurance militaire serait judicieuse. En effet, dans l’assurance-accidents, un taux d’invalidité de 10% donne déjà droit à une rente, alors que dans l’AI, celle-ci n’est accordée qu’à partir d’un taux d’invalidité de 40%. Ainsi, l’introduction d’une déduction forfaitaire dans l’assurance-accidents engendrerait une augmentation du nombre de rentes octroyées et donc une hausse des coûts.

Lorsque l’assuré touche déjà une rente AI, l’assurance-accidents ne verse qu’une rente complémentaire. Si l’AI verse de nouvelles rentes ou des rentes plus élevées, l’assurance-accidents réalisera des économies ; il n’est actuellement pas possible d’estimer leur montant.

 

Conséquences pour l’assurance-chômage

L’assurance-chômage (AC) couvre uniquement la capacité de gain résiduelle (capacité de travail). Si les taux d’invalidité augmentent, le gain assuré des personnes bénéficiant de prestations AI et AC sera revu à la baisse en raison de leur capacité de gain résiduelle plus faible ; les indemnités journalières de l’AC s’en trouveront réduites. Si l’augmentation des rentes AI ou des taux d’invalidité a lieu avec effet rétroactif à la date d’entrée en vigueur de la présente modification (1er janvier 2024), l’AC demandera rétroactivement le remboursement de l’indemnité versée en trop à partir de cette date ou la compensera avec les prestations de l’AI. Pour les bénéficiaires d’indemnités journalières de l’AC qui se sont auparavant vu refuser une rente AI en raison d’un taux d’invalidité trop faible, et qui l’obtiendront désormais après avoir déposé une nouvelle demande, l’AC pourrait exiger un remboursement de l’AI. Les économies supplémentaires réalisées par l’AC ainsi que les éventuels coûts supplémentaires ne peuvent pour l’instant pas être quantifiés.

 

Commentaires et remarques personnelles

Le conseiller fédéral Alain Berset avait déjà évoqué cette possibilité d’un abattement forfaitaire lors de la séance du 14.12.2022 au Conseil national (cf. notre article ici).

Initialement proposée comme une solution provisoire, l’abattement forfaitaire devient donc permanent. La justification pour ne pas procéder à une correcte détermination du revenu avec invalidité, par exemple par l’élaboration de tableaux ESS spécifiques, ne saurait convaincre.

Par ailleurs, le Conseil fédéral mentionne que les éléments qui faisaient auparavant l’objet d’un abattement, en particulier les limitations fonctionnelles (physiques ou psychiques), sont désormais pris en compte par les médecins dans le cadre de la capacité fonctionnelle restante de la personne assurée. Le Conseil fédéral précise que les limitations dues au handicap au sens strict (limitations quantitatives ou qualitatives dans l’exercice de la profession) sont déjà systématiquement prises en compte dans l’évaluation de la capacité fonctionnelle de l’assuré. Par rapport à la pratique actuelle, ce nouveau système améliore la situation des assurés, car la déduction liée à l’atteinte à la santé n’est plus limitée à un maximum de 25% du salaire statistique.

Dans le cadre de ma pratique quotidienne, je n’ai pas vu de franches différences entre l’évaluation de la capacité de travail telle qu’effectuée avant la 7e révision AI (DCAI) et l’évaluation de la capacité fonctionnelle selon le nouveau droit. Bien au contraire, l’impression qui domine est que la personne assurée est doublement pénalisée dans le cadre du nouveau droit : le médecin du SMR n’examine pas la capacité fonctionnelle (mais uniquement la capacité de travail exigible) et l’administration n’octroie plus d’abattement en raison des limitations fonctionnelles. Cette notion de « capacité fonctionnelle » demeure obscure, tant pour les praticiens que pour les médecins. Là où le Tribunal fédéral reconnaissait un abattement en sus d’une baisse de rendement (p. ex. 8C_849/2017 du 5 juin 2018 consid. 3.2 et la référence.), ces situations ne font plus l’objet d’une appréciation différente que celle de la capacité de travail exigible. La situation d’une majorité d’assurés ne se trouve ainsi pas améliorée par le nouveau droit en vigueur.

L’abattement forfaitaire de 10% ne permet pas de réparer les mésestimations de la capacité fonctionnelle des personnes assurées. Il aurait, au contraire, été plus juste de maintenir une appréciation par les médecins de la capacité de travail exigible puis de laisser à l’administration le soin de déterminer le revenu avec invalidité au moyen de données statistiques fiables, cas échéant corrigées par un abattement justifié dans le cas d’espèce. La solution hybride actuelle n’est de loin pas satisfaisante.

Enfin, on ne peut qu’être étonné par l’absence de volonté d’une harmonisation de l’évaluation de l’invalidité. Comme le relève pourtant le Conseil fédéral dans le rapport sur les résultats de la consultation, la Suva et l’ASA ont souligné qu’il faudrait coordonner la déduction forfaitaire avec l’assurance-accidents et l’assurance militaire. L’absence d’une norme de délégation créerait une insécurité juridique indésirable dans ces deux branches d’assurance, de sorte qu’il incomberait aux tribunaux de déterminer si la déduction forfaitaire y est également applicable. Des dossiers resteraient ainsi en suspens pendant de longues années, ce qui est très fâcheux tant pour les assureurs que pour les assurés concernés. En ancrant dans le RAI et non dans l’OPGA l’abattement forfaitaire de 10%, la situation des assurés victime d’un accident ne sera pas harmonisée. Pour le surplus, nous renvoyons la lectrice et le lecteur au ch. 302 ss et 314 ss de notre article « Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour » par in Jusletter 21 novembre 2022.

 

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 18.10.2023 consultable ici

Modification du RAI et rapport explicatif (après la consultation) du 18.10.2023 disponible ici

Fiche d’information « Calcul du taux d’invalidité », 18.10.2023, disponible ici

Rapport sur les résultats de la consultation, octobre 2023, disponible ici

Documents de la consultation et les avis exprimés disponibles ici

Motion CSSS-N 22.3377 « Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité » consultable ici

Cf. également le communiqué de presse du 18.10.2023 d’Inclusion Handicap [en français / en allemand]

 

La deduzione forfettaria migliora il confronto dei salari delle persone con invalidità, Comunicato stampa del Consiglio federale del 18.10.2023 disponibile qui

Pauschalabzug verbessert den Lohnvergleich für Menschen mit Invalidität, Medienmitteilung des Bundesrates vom 18.10.2023 hier abrufbar

 

8C_438/2022 (f) du 26.05.2023 – Stabilisation de l’état de santé – 19 al. 1 LAA / Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_438/2022 (f) du 26.05.2023

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1965, employé depuis le 13.01.1986 en qualité d’ouvrier auprès de l’entreprise B.__. Le 18.05.1986, l’assuré a subi un grave accident de la circulation routière, sa voiture ayant embouti un arbre jouxtant la chaussée alors qu’il cherchait à éviter une collision frontale en raison d’un dépassement téméraire d’un véhicule circulant en sens inverse, ce qui a entraîné le décès de son ami passager; il a lui-même subi plusieurs atteintes, notamment des fractures du fémur droit, du pilon tibial et du tibia droits. Il a subi deux interventions chirurgicales. Après une incapacité totale de travail, l’assuré a repris son activité professionnelle le 24.11.1986. Il a annoncé plusieurs cas de rechutes, notamment en raison des ablations du matériel d’ostéosynthèse (AMO).

Rechute survenue le 2 octobre 2017 (gonalgies droites). L’assurance-accidents a pris en charge ce cas de rechute. L’assuré, qui travaillait entre-temps pour l’entreprise D.__ Sàrl, a été licencié pour la fin du mois d’août 2017.

Examen par le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, en février 2019 : du point de vue somatique, la situation semblait plutôt favorable. Compte tenu des seules suites de l’accident de 1986, une pleine capacité de travail pouvait être reconnue à l’assuré dans une activité parfaitement adaptée, à savoir idéalement réalisée à la guise de l’assuré en position assise ou debout, sans déplacement rapide ou prolongé (max. 15 minutes), ne nécessitant pas l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de charges lourdes ni les positions agenouillées ou accroupies. IPAI globale estimée à 25%.

Par décision du 28.05.2019, confirmée sur opposition le 27.09.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 13% ainsi qu’une IPAI fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 01.06.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Dans un premier grief, l’assuré fait valoir que son état de santé n’était pas stabilisé le 27.09.2019, au moment de la décision sur opposition litigieuse. Il se fonde sur des rapports médicaux évoquant un traitement chirurgical, voire une arthrodèse. Dès lors qu’un traitement – autre que seulement physiothérapeutique et antalgique – était encore envisageable pour améliorer l’état de sa cheville droite et qu’une prothèse avait été posée ultérieurement, l’assuré estime que son état de santé n’était pas stabilisé en date du 27.09.2019.

Dans le premier rapport, le médecin à la Clinique de la douleur a mentionné que l’arthrose de la cheville droite serait imputable à l’accident, son évolution progressive et son pronostic ne pouvant être appréciés qu’avec des contrôles réguliers; l’aggravation de l’arthrose post-traumatique du pied droit nécessitait un traitement intensif de physiothérapie et la poursuite du traitement antalgique. L’hypothèse de la pose d’une prothèse ou d’une arthrodèse a été évoquée mais pas de manière concrète à ce stade. Quant au deuxième rapport, il ne mentionne pas la nécessité d’une intervention chirurgicale mais souligne que si l’assuré devait souffrir de douleurs malgré le traitement conservateur, une intervention pourrait être envisagée, à savoir une arthrodèse (fixation de l’articulation), laquelle apporterait un soulagement comparable à celui escompté après une infiltration. En tout état de cause, il ne ressort pas des rapports médicaux qui précèdent qu’une arthrodèse au niveau de la cheville droite de l’assuré apporterait une sensible amélioration de son état de santé, l’assuré souffrant par ailleurs de problèmes dégénératifs au niveau de plusieurs de ses articulations. Vu ce qui précède, les rapports médicaux dont se prévaut l’assuré ne permettent pas de remettre en cause la date de stabilisation de son état de santé fixée au 27.09.2019.

 

Consid. 4.3.1
L’assuré demande qu’un abattement d’au moins 10% soit effectué sur son revenu d’invalide dès lors qu’il subirait un désavantage salarial dans la recherche d’un nouvel emploi en raison de ses limitations fonctionnelles, de son âge (54 ans) et du fait qu’avant de perdre son dernier emploi, il avait été six ans au service du même employeur et aurait donc perdu la progression salariale y afférente.

Consid. 4.3.2
La cour cantonale a constaté que l’assurance-accidents avait fixé à 74’150 fr. le revenu sans invalidité à prendre en considération pour le calcul de la rente d’invalidité, montant qui n’était pas contesté par l’assuré. Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux données de l’ESS 2016, en prenant pour base le salaire auquel peuvent prétendre les hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé, soit 5’340 fr. par mois pour 40 heures de travail par semaine (tableau TA1_tirage_skill_level). Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale dans les entreprises en 2019 (41,7 heures), il en résultait un montant annuel de 67’743 fr. En outre, la cour cantonale a confirmé l’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour prendre en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré, ce qui portait le revenu d’invalide à 64’355 fr. 85.

Consid. 4.3.3
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1; 132 V 393 consid. 3.3).

Consid. 4.3.4
L’assuré n’expose pas – et on ne voit pas – en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge. En outre, étant âgé de 53 ans au moment de la naissance du droit à la rente, respectivement de 54 ans au moment de la décision sur opposition, l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel le Tribunal fédéral reconnaît généralement que ce facteur peut être déterminant et nécessite une approche particulière (arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4.2). Comme les activités adaptées envisagées du niveau de compétence 1 ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. En outre, il faut rappeler que ces emplois non qualifiés sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.3.4.2; 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2).

Consid. 4.3.5
En ce qui concerne la prise en compte d’un abattement lié aux années de service, elle n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétence 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (voir 8C_103/2018 précité consid. 5.2). Il en irait différemment à partir du niveau de compétence 2, s’agissant d’emplois qualifiés dans lesquels l’expérience professionnelle accumulée auprès d’un même employeur est davantage valorisée.

Consid. 4.3.6
En conclusion, seules les limitations fonctionnelles de l’assuré – prohibant les déplacements rapides ou prolongés au-delà de 15 minutes, l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de lourdes charges ainsi que les positions agenouillées ou accroupies – ont une incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Dès lors que l’assurance-accidents avait tenu compte desdites limitations pour réduire le salaire statistique de 5%, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de s’en écarter.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_438/2022 consultable ici

 

8C_20/2023 (i) du 10.05.2023 – Troubles psychiques déclouant du traitement médical – 6 al. 3 LAA – 10 LAA / Revenu d’invalide selon ESS – Abattement – Travailleur frontalier

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_20/2023 (i) du 10.05.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Lien de causalité adéquate entre troubles psychiques et accident qualifié de bénin / 6 LAA

Troubles psychiques déclouant du traitement médical / 6 al. 3 LAA – 10 LAA

Revenu d’invalide selon ESS – Abattement – Travailleur frontalier

Mesures de réadaptation ne font pas partie du catalogue de prestations de l’assurance-accidents – Rappel

Détermination du taux de l’IPAI / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

 

Le 12.08.2019, l’assuré, né en 1981, ouvrier, a été victime d’un accident en escaladant la rambarde d’un muret, à la suite duquel il a subi une lésion du ligament scapho-lunaire du poignet droit. Le 16.09.2019, les médecins ont diagnostiqué une lésion du ligament scapho-lunaire, une lésion du TFCC, une contusion osseuse du scaphoïde, du semi-lunaire et du radius, ainsi que des formations kystiques de nature dégénérative au niveau du trapèze et du capitatum, et une suspicion de kyste articulaire palmaire au niveau du radio-carpien. Le 23.01.2020, l’assuré a subi une intervention chirurgicale visant à reconstruire le ligament scapho-lunaire. Face aux complications infectieuses et à l’apparition d’une arthrite septique avec ostéomyélite des os du carpe, il a ensuite subi trois autres opérations entre le 13.03.2020 et le 20.03.2020. Une dernière opération a eu lieu en avril 2021.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 13% dès le 01.05.2022 et une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 35.2022.55 – consultable ici)

Par jugement du 28.11.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2.2
S’agissant des circonstances de l’accident, il ressort des éléments du dossier que l’assuré a escaladé la balustrade d’un muret d’environ un mètre de haut, en s’y agrippant de la main droite, et qu’une fois projeté avec son corps, il a partiellement perdu sa prise et a plié sa main droite sous le bord de la balustrade sur lequel se concentrait le poids de son corps. La classification de l’accident devant être déterminée uniquement sur la base du fait accidentel en tant que tel ainsi que des forces générées par celui-ci (ATF 140 V 356 consid. 5.1 ; 117 V 359 consid. 6), la qualification retenue par les instances cantonales doit être confirmée comme étant conforme au droit fédéral. En effet, au vu de la pratique du Tribunal fédéral dans des cas similaires (cf. arrêts 8C_26/2020 du 4 mars 2020 consid. 8 ; 8C_37/2015 du 7 décembre 2015 consid. 6 ; 8C_232/2012 du 27 septembre 2012 consid. 6.2), c’est à juste titre que l’on qualifie l’événement en cause d’accident bénin, car il n’était pas du tout spectaculaire et ne s’accompagnait pas de circonstances particulièrement dramatiques. En outre, la blessure n’a pas affecté directement l’usage de la main, d’autant plus que l’assuré a déclaré avoir bien supporté les douleurs liées à l’événement et avoir déjà repris le travail sept jours plus tard, une fois les vacances terminées. C’est donc à juste titre que les troubles psychiques allégués n’ont pas été pris en compte dans le cadre des prestations d’assurance, puisqu’un événement de peu de gravité ou insignifiant permet a priori de nier le lien de causalité adéquat avec l’accident (ATF 140 V 356 consid. 5.3 ; 115 V 133 consid. 6a). Sur ce point, la critique du recourant n’est donc pas fondée.

 

Consid. 4.2.3.2
En vertu de l’art. 6 al. 3 LAA, l’assureur-accidents est responsable de toute lésion causée par un traitement médical effectué en rapport avec un accident assuré, sans que le fait dommageable doive être un accident ou être nécessairement imputable à une erreur médicale ou à une lésion corporelle punissable. Toutefois, l’assureur n’est tenu de fournir des prestations d’assurance que si les lésions sont en lien de causalité naturelle et adéquate avec le traitement médical effectué à la suite de l’accident (ATF 128 V 169 consid. 1c ; 118 V 286 consid. 3b). Dans ce contexte, le Tribunal fédérale des assurances a déjà jugé dans l’arrêt U 292/05 du 15 mai 2007 (SVR 2007 UV n° 37 p. 125, consid. 3.1) que l’évaluation de l’adéquation ne doit pas être effectuée sur la base de la jurisprudence relative aux conséquences psychologiques des accidents (ATF 115 V 133), mais plutôt selon la formule générale du lien de causalité adéquate. Ainsi, il faut examiner si le traitement médical ou psychothérapeutique, qui n’a pas été effectué selon les règles de l’art, est en soi susceptible, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, d’engendrer un effet tel que celui qui s’est produit ou d’en favoriser généralement la survenance (cf. ATF 129 V 177 consid. 3.2 ; arrêt 8C_123/2007 du 19 février 2008 consid. 4).

Consid. 4.2.3.3
Dans le cas présent, il ressort du dossier que l’évolution de l’intervention chirurgicale de janvier 2020 a été compliquée par l’apparition d’une arthrite septique avec ostéomyélite des os du carpe. Cette dernière a été diagnostiquée à la suite de l’infection résultant de la lacération des tissus causée par les broches de Kirschner au niveau du poignet et de l’infection qui s’en est suivie. Il a donc fallu procéder à trois opérations supplémentaires – non prévues à l’origine à l’issue de la première opération – consistant principalement en des débridements cutanés et osseux, des synovectomies étendues et un recouvrement final du poignet par un lambeau antérolatéral de la cuisse droite. En ce qui concerne l’ampleur des troubles psychiques, le spécialiste en psychiatrie a attesté le 25.08.2022 la présence d’un trouble de l’adaptation avec anxiété mixte persistante-chronique et humeur dépressive (CIM-10 : F43.23) survenant en réaction à l’événement traumatique représenté par les complications infectieuses. Pour sa part, un second spécialiste en psychiatrie a formulé dans un rapport du 24.10.2022 le diagnostic de réaction dépressive prolongée (CIM-10 ; F43.21) découlant notamment du traumatisme résultant des séquelles physiques de l’accident. Au vu de ce qui précède, l’existence d’un préjudice causé à la personne blessée lors du traitement médical ne peut donc être exclue. En effet, ces lésions pourraient avoir un lien de causalité naturelle avec l’opération de janvier 2020. Des mesures d’instruction complémentaires seraient donc indispensables pour clarifier définitivement la question ; on peut toutefois y renoncer (voir SVR 2007 UV n° 37 p. 125, U 292/05, consid. 3.2). En l’espèce, il n’y a en effet pas de lien de causalité adéquate puisque l’apparition d’une arthrite septique avec ostéomyélite des os du carpe suite à une opération de reconstruction du ligament scapho-lunaire, pour laquelle d’autres opérations sont nécessaires, n’est généralement pas susceptible, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, de provoquer des troubles psychiques tels que ceux dont souffre l’assuré. En effet, les complications médicales susmentionnées peuvent être contrecarrées à temps par un traitement approprié – comme ce fut le cas en l’espèce – de sorte que les troubles psychiques susmentionnés sont en quelque sorte atypiques et inadaptés (cf. ATF 115 V 133 consid. 7). La cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral dans la mesure où elle s’est limitée à analyser le lien de causalité adéquate des atteintes psychiques en se référant exclusivement à l’accident d’août 2019.

 

Consid. 5.1
Dans le cadre du calcul de la rente d’invalidité, la cour cantonale a retenu que le revenu réalisé par l’assuré en tant que travailleur à temps partiel (degré d’occupation de 40%) au sein de l’entreprise qui l’employait avant l’accident ne pouvait pas constituer le revenu d’invalidité déterminant, car il n’utilisait pas pleinement sa capacité résiduelle de travail. Le tribunal cantonal a donc fait usage des salaires statistiques et retenu le revenu d’invalidité de CHF 69’061 déterminé par l’assurance-accidents sur la base de l’ESS 2018, tableau TA1, total de la branche économique, niveau de qualification 1, hommes, actualisé à 2022. La cour cantonale a ensuite exclu l’application d’un abattement revenu en raison de l’âge de l’assuré et de son statut de frontalier, non justifié au regard de la jurisprudence fédérale.

 

Consid. 5.3
S’agissant de la qualité de travailleur frontalier, il faut considérer qu’en principe, les personnes ayant la nationalité d’un État de l’UE ne peuvent pas être traitées différemment des travailleurs suisses en termes de salaire (cf. arrêt 8C_610/2017 du 3 avril 2018 consid. 4.4). En outre, l’influence de tous les facteurs sur le revenu (parmi lesquels figure le type d’autorisation de séjour) doit être appréciée globalement en considération de toutes les circonstances concrètes alléguées par l’intéressé et en faisant un usage adéquat du pouvoir d’appréciation (ATF 135 V 297 consid. 6.2 ; 134 V 322 consid. 5.2). En ce sens, il n’est en principe pas possible de revendiquer un abattement sur le revenu statistique sur la base de simples références à des données statistiques (ATF 146 V 16). En outre, le recourant n’indique même pas dans quelle mesure il a été pénalisé jusqu’à présent par rapport à ses collègues résidant en Suisse. En effet, le Tribunal cantonal a constaté que son revenu sans invalidité est supérieur de 8,55% au salaire statistique, de sorte qu’il n’y a aucune raison de supposer qu’il ne serait pas en mesure d’obtenir un salaire similaire au tableau TA1 de l’ESS dans le cadre d’une activité de substitution adaptée. En outre, il n’est pas compréhensible comment l’assuré, né en 1981, pourrait utiliser sa capacité de travail que d’une manière inférieure à la médiane ; rien que pour cette raison, un abattement sur le salaire statistique doit être exclue.

En outre, il ne démontre pas dans quelle mesure il ne pourrait pas, en raison de son âge (encore loin de l’âge de la retraite), utiliser pleinement sa capacité de gain restante. Tout aussi infondé est l’abattement en raison de l’état de santé, car les limitations fonctionnelles déjà prises en compte dans l’examen de la capacité de gain résiduelle ne sauraient avoir une influence supplémentaire sur l’examen de l’abattement (arrêts 8C_805/2016 du 22 mars 2017 consid. 3.1 ; 9C_846/2014 du 22 janvier 2015 consid. 4.1.1 et les références). L’assuré n’épuisant pas la capacité résiduelle de travail, les juges cantonaux n’ont donc pas violé le droit fédéral dans la mesure où, sans appliquer d’abattement, ils ont déterminé le revenu d’invalide sur la base des salaires statistiques.

 

Consid. 5.4
Enfin, il est constaté que l’exécution des mesures de réadaptation ne fait pas l’objet de la décision sur opposition. Dès lors, en l’absence d’un objet de litige valable, le recours doit être déclaré irrecevable sur ce point (cf. ATF 131 V 164 consid. 2.1 ; arrêt 8C_380/2022 du 27 décembre 2022 consid. 3). En outre, l’assurance-accidents obligatoire ne prévoit pas de mesures de réadaptation parmi ses prestations. Le grief tiré de la violation du principe de l’égalité juridique (art. 8 al. 1 Cst.) est également irrecevable, car il ne remplit pas les exigences d’une motivation accrue, qui requiert une explication claire et détaillée, par rapport aux motifs de l’arrêt attaqué, de l’étendue et des raisons pour lesquelles le droit fondamental invoqué a été violé (art. 106 al. 2 de la loi fédérale sur la procédure administrative ; ATF 142 V 577 consid. 3.2).

 

Consid. 6.1
S’agissant de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI), les juges cantonaux ont fondé leur jugement sur la base des rapports du médecin-conseil, en l’absence d’autres avis spécialisés au dossier contredisant son appréciation, dont la fiabilité ne saurait être remise en cause par les rapports médicaux du médecin-traitant. La cour cantonale a retenu que, pour une atteinte concernant la même partie du corps, il n’est en principe pas admissible de prendre en compte les valeurs en pourcentage de l’atteinte à l’intégrité figurant dans deux tables Suva différents. En l’espèce, l’estimation de l’atteinte à l’intégrité ne pouvait être fondée que sur la table Suva n° 5.2, qui inclue l’arthrose modérée (avec un taux de 5 à 10%) et l’arthrose grave (avec un taux de 10 à 25%). Pour justifier le taux de 10%, le médecin-conseil a fondé son appréciation sur la présence d’une arthrose n’atteignant pas un degré avancé et a tenu compte d’une affection dégénérative préexistante du métacarpe non due aux conséquences de l’accident. L’atteinte à l’intégrité pour « arthrodèse radiocarpienne » selon la table Suva n° 1 n’a pas été prise en compte car l’assuré n’avait pas subi une telle opération.

Consid. 6.3
S’agissant de l’état dégénératif du métacarpien avant l’accident on relèvera que le médecin-traitant a également indiqué que « [l]e tableau clinique […] s’est compliqué d’une arthrite septique et d’une ostéomyélite qui ont vraisemblablement entraîné une aggravation du tableau arthrosique préexistant. » L’évaluation du médecin-traitant n’est donc pas en contradiction avec l’avis du médecin-conseil. Par ailleurs, considérant que l’atteinte à l’intégrité doit être établie exclusivement sur la base de constatations médicales et de manière abstraite et égale pour tous, indépendamment des facteurs subjectifs (cf. arrêt 8C_376/2021 du 10 août 2021 consid. 3.1 ; ATF 115 V 147 consid. 1 ; 113 V 218 consid. 4b), on ne peut reprocher à la cour cantonale de ne pas avoir pris en compte l’atteinte due à l’arthrodèse radiocarpienne prévue dans la table Suva n° 1. Cette dernière ne peut en effet pas être prise en compte puisque l’assuré n’a pas subi une telle intervention chirurgicale. Compte tenu de l’absence de troubles psychiques en relation avec l’accident, une atteinte à l’intégrité psychique doit également être exclue.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_20/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_20/2023 (i) du 10.05.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/06/8c_20-2023)

 

8C_580/2022 (f) du 31.03.2023 – Abattement sur le revenu d’invalide ESS – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal / IPAI – Rôle du médecin vs tâches de l’administration et du juge – Appréciation médicale n’est pas du ressort des juges

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_580/2022 (f) du 31.03.2023

 

Consultable ici

 

Abattement sur le revenu d’invalide ESS – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal / 16 LPGA

IPAI – Rôle du médecin vs tâches de l’administration et du juge – Appréciation médicale n’est pas du ressort des juges / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

 

Assuré, né en 1969, a travaillé à plein temps comme maçon à compter du 06.08.2018. Le 04.10.2018, il a été victime d’une chute alors qu’il transportait des panneaux de coffrage, se blessant au membre inférieur gauche et à l’épaule gauche. Le 18.09.2019, l’assuré s’est blessé à l’épaule droite ensuite d’une chute dans les escaliers de son immeuble. Du 12.02.2020 au 11.03.2020, l’intéressé a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (CRR).

Dans son rapport d’examen final du 28.09.2020, le médecin-conseil a estimé que l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (à savoir sans port de charges supérieures à 20 kg, sans port répété de charges supérieures à 10 kg, sans travail avec le membre supérieur gauche au-dessus du plan du thorax avec de façon idéale le coude et l’avant-bras gauche reposant sur un support, sans mouvement de rotation répété du membre supérieur gauche, sans marche en terrain irrégulier, sans déplacement prolongé, sans utilisation d’échelles, sans travail sur les toits ou les échafaudages, sans travail en position accroupie ou à genoux). Ce médecin a évalué l’IPAI à 30% (10% pour l’épaule gauche et 20% pour la cheville gauche).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a alloué une IPAI de 30%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 02.09.2022, admission du recours et réformation de la décision sur opposition en ce sens qu’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 11% dès le 01.09.2020, ainsi qu’une IPAI de 35%, sont octroyées à l’assuré.

 

TF

Consid. 3.1.4
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 3.1.5
Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le tribunal des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 consid. 5.2 et l’arrêt cité).

Consid. 3.2.1
Dans sa décision sur opposition, l’assurance-accidents a fixé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes. Compte tenu d’un abattement de 5% appliqué en raison des limitations fonctionnelles de l’assuré, le revenu d’invalide s’élevait à 65’805 fr. En présence d’un revenu sans invalidité de 69’599 fr., le taux d’invalidité n’était que de 5%.

Consid. 3.2.2
Les juges cantonaux ont retenu que l’assuré présentait des limitations notables des fonctions du membre supérieur gauche, ce qui rendait plus difficile l’exploitation de sa capacité de travail dans des travaux manuels proprement dits, comme ceux prévus au niveau de compétence 1 de l’ESS. Références jurisprudentielles à l’appui, ils ont relevé qu’un abattement de 10 à 15% était en règle générale appliqué lorsque l’assuré était privé de l’usage d’une main, et qu’un abattement de 10% était généralement retenu lorsque celui-ci pouvait exercer certaines activités bimanuelles ponctuelles malgré un usage restreint de la main. Dès lors que les limitations fonctionnelles de l’assuré relatives à son membre supérieur gauche apparaissaient moins graves que celles précitées, un abattement de 10% semblait dans le cas d’espèce quelque peu élevé. Les limitations fonctionnelles touchaient toutefois également le membre inférieur gauche, de sorte qu’un abattement de 10% devait au final être appliqué, ce qui conduisait à un revenu d’invalide de 62’341 fr. 20. Mis en rapport avec le revenu sans invalidité de 69’599 fr., ce revenu d’invalide conduisait à un taux d’invalidité de 10,43%, arrondi par l’instance précédente à 11%.

Consid. 3.2.3
L’assurance-accidents soutient qu’un abattement de 5% prendrait suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré. Au demeurant, dans l’hypothèse d’un taux d’invalidité de 10,43%, la cour cantonale aurait dû, selon la jurisprudence (ATF 130 V 121), arrondir ce taux vers le bas et l’arrêter à 10%.

Consid. 3.2.4
Les limitations fonctionnelles de l’assuré ont été prises en considération pour déterminer sa capacité de travail dans une activité adaptée à son état de santé. Par ailleurs, au regard des nombreuses activités que recouvrent les secteurs de la production et des services (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, niveau de compétence 1), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux respectant lesdites limitations fonctionnelles, lesquelles n’entravent pas l’usage par l’assuré de ses mains et ne l’empêchent pas de se tenir debout, de se déplacer et d’être en position assise. Or, lorsqu’un nombre suffisant d’activités correspondent à des travaux respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré, une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie en principe pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap. En effet, un abattement n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêt 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1 et l’arrêt cité). Un abattement de 5% prend donc suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré.

Consid. 3.2.5
Il s’ensuit que les premiers juges ont opéré à tort un abattement de 10% sur le salaire issu de l’ESS, substituant sans motif pertinent leur propre appréciation à celle de l’assurance-accidents (cf. consid. 3.1.5 supra). S’agissant du revenu d’invalide, le salaire mensuel de référence – part au treizième salaire comprise – pris en compte (ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes) se monte à 5’417 fr. L’assurance-accidents a correctement adapté ce salaire à la durée normale hebdomadaire du travail en Suisse (41,7 heures) et à l’évolution des salaires nominaux pour les hommes (+ 0,9% en 2019, + 0,8% en 2020 et + 0,5% en 2021). Il en résulte un revenu annuel de 69’268 fr. 17, soit 65’804 fr. 77 avec 5% d’abattement. Comparé au revenu sans invalidité de 69’599 fr., ce revenu d’invalide aboutit à un taux d’invalidité de 5,45%, insuffisant au regard de l’art. 18 al. 1 LAA pour ouvrir le droit à une rente. C’est donc à bon droit que l’assurance-accidents a, par décision sur opposition du 10 août 2021, nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA).

Selon l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident.

Consid. 4.1.2
Dans le cadre de l’examen du droit à une IPAI, il appartient au médecin – qui dispose des connaissances spécifiques nécessaires – de procéder aux constatations médicales; telle n’est pas la tâche de l’assureur ou du juge, lesquels se limitent à faire une appréciation des indications données par le médecin. Le fait que l’administration et le juge doivent s’en tenir aux constatations médicales du médecin ne change rien au fait que l’évaluation de l’IPAI – en tant que fondement du droit aux prestations légales – est en fin de compte l’affaire de l’administration ou, en cas de litige, du juge, et non celle du médecin. En contrepartie, l’autorité d’application du droit doit à cet égard respecter certaines limites, dans la mesure où des connaissances médicales – dont elle ne dispose pas – revêtent une importance déterminante pour l’évaluation du droit aux prestations. Si, au terme d’une libre appréciation des preuves, elle arrive à la conclusion que les constatations médicales ne sont pas concluantes, il lui appartient en règle générale d’ordonner un complément d’instruction sur le plan médical. Il n’est en revanche pas admissible que le tribunal ne tienne pas compte des éléments pertinents et qu’il fasse prévaloir d’autres considérations sur les constats médicaux (arrêt 8C_68/2021 du 6 mai 2021 consid. 4.3 et les références).

Consid. 4.2.1
En l’espèce, les juges cantonaux ont relevé que le médecin-conseil avait indiqué que le taux de l’IPAI de 20% correspondant aux atteintes de l’épaule gauche devait être réduit de 50% en raison d’importants troubles dégénératifs préexistants. Il ressortait toutefois d’une arthro-IRM pratiquée le 14.01.2019 que l’articulation acromio-claviculaire apparaissait discrètement dégénérative, avec de petites géodes de la partie distale de la clavicule et un discret épanchement intra-articulaire peu significatif. Il en découlait que les troubles dégénératifs préexistants ne pouvaient pas être considérés comme importants, de sorte qu’une réduction du taux de 25% correspondait mieux aux légers troubles dégénératifs préexistants. Le taux de l’IPAI pour l’épaule gauche devait donc être fixé à 15% et non à 10%. En sus du taux de 20% retenu à juste titre par l’assurance-accidents pour la cheville gauche, l’assuré avait ainsi droit à une IPAI de 35%.

 

Consid. 4.2.2
L’assurance-accidents reproche à l’autorité cantonale d’avoir tiré des conclusions qui seraient du ressort des médecins. L’appréciation du médecin-conseil, qui se serait exprimé en connaissance de l’arthro-IRM du 14.01.2019, n’aurait été remise en cause par aucun autre médecin, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de s’écarter des conclusions de son rapport d’estimation de l’IPAI.

Consid. 4.2.3
Dans le rapport précité, le médecin-conseil a fait état d’une limitation des amplitudes articulaires des deux épaules, lesquelles présentaient des troubles dégénératifs préexistants aux accidents de 2018 et 2019. Les troubles de la mobilité de l’épaule droite étaient d’ordre exclusivement dégénératif, alors que l’accident du 04.10.2018 participait partiellement à la diminution des amplitudes articulaires de l’épaule gauche. Côté gauche, l’assuré n’arrivait pas à lever le bras jusqu’à l’horizontale – comme du côté droit -, mais les amplitudes articulaires étaient meilleures qu’avec une épaule rigide en adduction, ce qui correspondait à un taux d’IPAI de 20%. Ce taux devait être réduit de moitié en raison des troubles dégénératifs importants préexistants, compte tenu également du fait que l’assuré présentait des troubles dégénératifs semblables à l’épaule droite sans traumatisme connu, avec des limitations articulaires même plus importantes que celles constatées du côté gauche. Une IPAI de 10% devait ainsi être retenue pour l’épaule gauche.

Consid. 4.2.4
L’appréciation médicale du médecin-conseil, motivée et convaincante, est basée sur un examen complet du dossier. La cour cantonale s’en est (partiellement) écartée en se focalisant sur un extrait du rapport radiologique (arthro-IRM de l’épaule gauche) du 14.01.2019, où il est relevé que « l’articulation acromio-claviculaire apparaît discrètement dégénérative avec de petites géodes de la partie distale de la clavicule et un discret épanchement intra-articulaire, peu significatif ». En estimant eux-mêmes, sur la seule base de ce bref extrait, que le taux de 20% devait être réduit de seulement 25%, les premiers juges se sont livrés à une appréciation médicale qui n’était pas de leur ressort. En cas d’atteinte à la santé causée par un accident ainsi que par un état dégénératif préexistant, il n’appartient en effet pas au juge, mais au médecin, d’évaluer la mesure dans laquelle les troubles dégénératifs influent sur l’atteinte à la santé.

La juridiction cantonale ne pouvait donc pas, comme elle l’a fait, fixer de son propre chef la réduction du taux de l’IPAI à 25%, sans expliquer de surcroît pour quelle raison le constat effectué dans le rapport radiologique du 14.01.2019 devait prévaloir sur les autres éléments au dossier, en particulier les constatations du médecin-conseil. En tout état de cause, un autre avis médical ne se justifiait pas sur la seule base de l’extrait de ce rapport radiologique mis en exergue par la cour cantonale. Le seul fait que l’articulation acromio-claviculaire gauche ait été qualifiée de « discrètement dégénérative » dans ledit rapport – dont le médecin-conseil a tenu compte dans son évaluation du 06.11.2020 – ne suffit pas à faire douter de la pertinence de l’appréciation de ce médecin, dont il n’y a pas lieu de s’écarter. C’est donc en violation du droit que les juges cantonaux ont octroyé à l’assuré une IPAI de 35% en lieu et place d’une IPAI de 30%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_580/2022 consultable ici