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8C_156/2022 (d) du 29.06.2022 – Revenu d’invalide selon ESS – un assuré titulaire d’un CFC ne justifie pas automatique le niveau de compétences 2 de la ligne Total – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_156/2022 (d) du 29.06.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide selon ESS – un assuré titulaire d’un CFC ne justifie pas automatique le niveau de compétences 2 de la ligne Total / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1966, installateur sanitaire, s’est blessé au genou gauche les 28.01.1989 et 19.02.1989, subissant une rupture du LCA. Plusieurs interventions chirurgicales ont eu lieu jusqu’en 1991. En novembre 2009, une première rechute a été annoncée à l’assurance-accidents et a donné lieu à un traitement conservateur.

Une nouvelle rechute est annoncée le 14.11.2018. Les 18.12.2018 et 05.05.2020, l’assuré a été opéré du genou gauche. Par décision du 21.10.2020, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité à compter du 01.10.2020 fondée sur un taux d’invalidité de 20% et une IPAI de 25%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 31.01.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal concernant l’IPAI (renvoi à l’assurance-accidents) et a rejeté le recours pour le surplus.

 

TF

Consid. 6.1
Lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 143 V 295 consid. 2.2). En règle générale, la ligne Total est appliquée. Dans la pratique, la comparaison des revenus effectuée à l’aide de l’ESS doit se baser sur le groupe de tableaux A (salaires bruts standardisés), en se référant généralement au tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé. Ce principe n’est toutefois pas absolu, mais connaît des exceptions.

Conformément à la jurisprudence, il peut être tout à fait justifié de se baser sur le tableau TA7 ou T17 (à partir de 2012) si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et si le secteur public est également ouvert à la personne assurée. Lors de l’utilisation des salaires bruts standardisés, il convient, selon la jurisprudence, de partir à chaque fois de la valeur dite centrale (médiane) (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 126 V 75 consid. 3b/bb). Cet arrêt s’applique également au domaine de l’assurance-accidents (arrêt 8C_541/2021 du 18 mai 2022 consid. 5.2.1).

L’application correcte des données statistiques de l’ESS, notamment le choix de la table et du niveau de compétences applicable, est une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement, sans limitation de son pouvoir de cognition (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 6.2
Si le revenu d’invalide est déterminé sur la base de données statistiques, comme notamment l’ESS, la valeur de départ ainsi fixée doit, selon la jurisprudence actuelle, être éventuellement réduite. Il s’agit ainsi de tenir compte du fait que des caractéristiques personnelles et professionnelles telles que les limitations liées au handicap, l’âge, les années de service, la nationalité ou la catégorie d’autorisation de séjour et le taux d’occupation peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire et que, selon les caractéristiques, la personne assurée ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail équilibré qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne. Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement. Elle doit être évaluée globalement, en tenant compte des circonstances du cas d’espèce et selon une appréciation conforme au devoir, et ne doit pas dépasser 25%. La jurisprudence actuelle accorde notamment un abattement sur le revenu d’invalide lorsqu’une personne assurée est limitée dans ses capacités, même dans le cadre d’une activité non qualifiée physiquement légère. D’éventuelles limitations liées à la santé déjà comprises dans l’évaluation médicale de la capacité de travail ne doivent pas être prises en compte une seconde fois dans l’appréciation de l’abattement, conduisant sinon à une double prise en compte du même facteur (ATF 148 V 174 consid. 6.3 ; 146 V 16 consid. 4.1).

Sur le plan procédural, le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral ; en revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif («Ermessensüberschreitung») ou négatif («Ermessensunterschreitung») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé («Ermessensmissbrauch»)

 

Consid. 7.1
L’instance cantonale a considéré que l’assurance-accidents s’était basée sur la valeur centrale (médiane) des salaires mensuels bruts de la main-d’œuvre masculine dans le secteur privé pour des activités de niveau de compétences 2 selon le tableau TA1 de l’ESS 2018, total de toutes les branches économiques, soit CHF 5’649. Elle a converti ce salaire, basé sur une semaine de 40 heures, en un temps de travail hebdomadaire moyen de 41,7 heures et l’a adapté à l’indexation jusqu’en 2020. Elle a en outre procédé à un abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles. Sur l’année (x 12) et en tenant compte du taux d’activité exigible de 100%, le revenu d’invalide a été fixé à CHF 64’688. Le niveau de compétences 1, le plus bas, comprend des « tâches physiques ou manuelles simples », le niveau 2, immédiatement supérieur, des « tâches pratiques telles que la vente/les soins/le traitement de données et les tâches administratives/l’utilisation de machines et d’appareils électroniques/les services de sécurité/la conduite de véhicules ». L’assuré possède un CFC d’installateur sanitaire et d’une longue expérience dans ce métier. Certes, il ne peut plus l’exercer en raison de son état de santé. On ne comprend toutefois pas pourquoi, en tant que professionnel expérimenté, il ne pourrait pas exercer les activités pratiques décrites dans le niveau de compétence 2. Pour ce large éventail d’activités entrant en ligne de compte, il n’est pas nécessaire d’avoir des capacités et des connaissances particulières ou une formation complémentaire, ni d’avoir exercé des activités dans l’administration ou dans des fonctions de direction ou de formation. Ensuite, le fait d’avoir obtenu un CFC justifierait tout à fait la conclusion de ressources intellectuelles supérieures à celles d’une personne qui, faute de formation professionnelle, n’entrerait en ligne de compte que pour des activités simples au sens du niveau de compétences 1. De plus, les limitations dues à l’accident ne sont pas telles que l’assuré ne puisse pas exercer les activités pratiques du niveau de compétences 2.

Consid. 7.2
Si, après la survenance de l’invalidité, la personne assurée ne peut pas exercer son activité professionnelle habituelle, l’utilisation du niveau de compétences 2 de l’ESS ne se justifie, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, que si elle dispose de compétences et de connaissances particulières (cf. entre autres : arrêts 8C_250/2021 du 31 mars 2022 consid. 4.2.1 et les références ; 8C_276/2021 du 2 novembre 2021 consid. 5.4.1 et les références).

Consid. 7.3
Le 18 juillet 2019, l’assuré a indiqué à l’assurance-accidents qu’il avait achevé avec succès son apprentissage de trois ans d’installateur sanitaire. Après avoir travaillé quelques années dans cette profession pour différentes entreprises, il serait entré en 1993 dans celle de son frère. Hormis la rédaction de ses rapports et de quelques commandes, il n’a effectué aucun travail administratif. Il n’aurait travaillé que manuellement en tant qu’installateur sanitaire. Ces informations ne sont pas remises en cause par les parties.

Les aptitudes et connaissances particulières exigées par la jurisprudence, qui justifieraient l’application du niveau de compétences 2 de l’ESS, ne sont donc pas démontrées. Le fait que l’assuré ait par exemple une expérience de direction ou qu’il ait exercé avec succès une activité indépendante, ce qui plaiderait en faveur de l’application du niveau de compétences 2, n’est pas établi (cf. arrêt 8C_737/2020 du 23 juillet 2021 consid. 5.2 et la référence). On ne sait rien d’éventuelles formations continues supplémentaires ou d’autres qualifications particulières acquises durant l’exercice de la profession. Par conséquent, la longue expérience professionnelle de l’assuré ne saurait justifier à elle seule le classement dans le niveau de compétences 2 (arrêt 8C_728/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3). Dans l’ensemble, il n’est pas suffisamment démontré qu’il serait en mesure de travailler de manière profitable dans différents domaines d’activité en dehors du métier d’installateur sanitaire qu’il a appris (cf. arrêt 8C_737/2020 du 23 juillet 2021 consid. 5.2).

Dans ces circonstances, il convient d’admettre avec l’assuré que l’instance cantonale a violé le droit fédéral en se basant sur le niveau de compétences 2 de l’ESS au lieu du niveau 1 pour déterminer son revenu d’invalide. Il se justifie au contraire de se fonder sur le niveau de compétence 1 de l’ESS.

 

Consid. 8
Selon le tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, valeur centrale des salaires mensuels bruts des hommes dans le domaine « Total » du secteur privé, niveau de compétence 1 (activités simples de nature physique ou artisanale), le revenu mensuel brut s’élevait à CHF 5’417 pour un temps de travail hebdomadaire de 40 heures. Avec un temps de travail habituel dans l’entreprise de 41,7 heures par semaine dans le « Total » (Office fédéral de la statistique, tableau T03.02.03.01.04.01, Temps de travail habituel dans l’entreprise par division économique, en heures par semaine) et adapté à l’évolution des salaires nominaux dans le secteur économique « Total » (en 2018, 101.5 points, 2020 103.2 points ; Office fédéral de la statistique, tableau T1.1.15, indice des salaires nominaux, hommes, 2016-2020), il en résulte pour l’année 2020 un revenu d’invalide de CHF 5’742 par mois ou de CHF 68’904 par an.

L’instance cantonale a appliqué sur ce salaire statistique un abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles, ce qui n’est pas contesté. Il en résulte un revenu d’invalide de CHF 62’014. La comparaison avec le revenu sans invalidité – non contesté – de CHF 81’341 en 2020 aboutit à un degré d’invalidité arrondi à 24% (pour l’arrondi, cf. ATF 130 V 121), resp. le droit à une rente d’invalidité correspondante.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_156/2022 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_156/2022 (d) du 29.06.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/02/8c_156-2022)

8C_507/2022 (f) du 28.11.2022 – Revenu d’invalide d’un assuré d’un âge avancé (63 ans et 10 mois) / 16 LPGA – 28 al. 4 OLAA / Abus du pouvoir d’appréciation de la cour cantonale

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_507/2022 (f) du 28.11.2022

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide d’un assuré d’un âge avancé (63 ans et 10 mois) / 16 LPGA – 28 al. 4 OLAA

Pas d’abattement en raison de l’âge lors de l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA

Abus du pouvoir d’appréciation de la cour cantonale

 

Assuré, né en 1956, délégué commercial jusqu’au 31.01.2017. Depuis février 2017, il s’est retrouvé au chômage. Le 20.06.2017, il a glissé sur un sol mouillé et est tombé dans les escaliers. Cette chute a provoqué une fracture du pied droit et a nécessité une intervention chirurgicale sous forme d’ostéosynthèse du Lisfranc. Les suites postopératoires se sont compliquées par une infection entrainant une persistance de la douleur à la marche.

Examen par le médecin-conseil le 08.01.2020 : l’état de santé de l’assuré était actuellement stabilisé. Par rapport à la capacité de travail, il a retenu que le travail antérieurement exercé n’était plus exigible, la conduite automobile étant très limitée et peu sûre. L’exigibilité se ferait par contre à temps complet sur un travail exercé essentiellement en position assise, activité sédentaire avec peu de phases debout, peu de phases nécessitant de la marche, sans montée ni descente d’escaliers, sans terrain accidenté.

Par décision du 10.06.2020, confirmée sur opposition le 12.11.2020, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, le taux d’invalidité ne s’élevant qu’à 3%, mais lui a alloué une IPAI de 20%.

Parallèlement à la procédure devant l’assurance-accidents, l’assuré a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité. Par décision du 20.10.2020, l’Office de l’assurance-invalidité (ci-après: l’Office AI) lui a octroyé une rente entière dès le 01.08.2019 sur la base d’un taux d’invalidité de 100%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/590/2022 – consultable ici)

A l’instar de l’assurance-accidents, la cour cantonale s’est fondée sur le salaire annuel de 69’600 fr. réalisé en dernier lieu par l’assuré dans son activité habituelle de délégué commercial, qu’elle a indexé à 2020 pour retenir au final un revenu de valide de 70’438 fr. Quant au revenu d’invalide, la cour cantonale s’est fondée sur le salaire statistique de l’ESS pour l’année 2018, indexé à 2020, pour un homme exerçant une activité de niveau de compétence 1, soit 68’446 fr. Ces valeurs ne sont pas remises en cause.

La cour cantonale s’est écartée de la décision sur opposition en opérant un abattement de 10% sur le revenu d’invalide, pour prendre en compte les limitations fonctionnelles que présente l’assuré ainsi que son âge de 63 ans et 10 mois au moment de la naissance du droit à la rente (soit le 01.06.2020). Elle a notamment considéré que les limitations fonctionnelles de l’assuré combinées à sa situation personnelle concrète auraient des effets pénalisants au niveau salarial aux yeux d’un potentiel employeur. Ce dernier devrait accepter d’engager un homme se trouvant à moins d’un an et demi de la retraite et souffrant d’atteintes à la santé ayant pour conséquence diverses limitations fonctionnelles. Rien dans le cas présent ne pourrait par ailleurs compenser les effets particulièrement pénalisants de l’état de santé et de l’âge de l’assuré aux yeux d’un potentiel employeur.

Par jugement du 21.06.2022, admission du recours par le tribunal cantonal réformant la décision litigieuse en ce sens que l’assuré avait droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 13% dès le 01.06.2020.

 

TF

Consid. 5
Vu l’âge avancé de l’assuré, il convient d’abord d’examiner si l’art. 28 al. 4 OLAA est applicable en l’espèce.

Consid. 5.1
Sur la base de la délégation législative de l’art. 18 al. 2 LAA, le Conseil fédéral a édicté l’art. 28 OLAA, qui contient des prescriptions particulières pour l’évaluation de l’invalidité dans des cas spéciaux. L’art. 28 al. 4 OLAA dispose que si, en raison de son âge, l’assuré ne reprend pas d’activité lucrative après l’accident ou si la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus de l’activité lucrative déterminants pour l’évaluation du degré d’invalidité sont ceux qu’un assuré d’âge moyen dont la santé a subi une atteinte de même gravité pourrait réaliser.

Consid. 5.1.1
Cette disposition vise deux situations :

  • Premièrement, elle s’applique si l’assuré, en raison de son âge, ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident (variante I). Les conditions de cette variante sont remplies lorsque l’assuré dispose, au terme du traitement médical, d’une capacité de travail résiduelle au moins partielle, mais ne la met plus en valeur à cause de son âge. C’est notamment le cas si l’assuré atteint l’âge légal de la retraite (arrêts 8C_209/2012 du 12 juillet 2012 consid. 5.3; 8C_452/2011 du 12 mars 2012 consid. 4.1) pendant la période entre l’accident et la fin du traitement médical (THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, N. 83 ad art. 18 LAA; MARC HÜRZELER/CLAUDIA CADERAS, in Marc Hürzeler/Ueli Kieser [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, N. 41 ad art. 18 LAA; les deux avec références).
  • La deuxième situation est celle où l’atteinte à la capacité de gain a principalement pour origine l’âge avancé de l’assuré (variante II). Cette variante est également applicable lorsque l’âge avancé n’est pas un facteur qui a une incidence sur l’exigibilité, mais qu’il est malgré tout un obstacle à la mise en valeur de la capacité résiduelle de gain, notamment parce qu’aucun employeur n’est disposé à engager un employé présentant des atteintes à la santé pour un laps de temps très court avant l’ouverture de son droit à une rente de l’AVS (arrêts 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2, destiné à la publication; 8C_799/2019 du 17 mars 2020 consid. 3.3.2; 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.2.2; 8C_346/2013 du 10 septembre 2013 consid. 4.2; 8C_806/2012 du 12 février 2013 consid. 5.2.2; HÜRZELER/CADERAS, op. cit., N. 42 ad art. 18 LAA).

Consid. 5.1.2
L’assuré qui remplit l’un ou l’autre cas de figure ne touchera alors une rente d’invalidité que dans la mesure où une telle rente serait octroyée dans les mêmes conditions à un assuré d’âge moyen présentant les mêmes capacités professionnelles et les mêmes aptitudes personnelles. Ce système repose sur la considération qu’une même atteinte à la santé peut entraîner chez une personne âgée des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain que chez une personne d’âge moyen pour diverses raisons (difficultés de reclassement ou de reconversion professionnels, diminution des capacités d’adaptation et d’apprentissage), alors que l’âge en tant que tel n’est pas une atteinte à la santé dont l’assureur-accidents doit répondre (ATF 122 V 418 consid. 3a; arrêt 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.1; voir également PETER OMLIN, Die Invalidität in der obligatorischen Unfallversicherung, 1995, p. 235 ss.; ANDRÉ GHÉLEW/OLIVIER RAMELET/JEAN-BABTISTE RITTER, Commentaire de la loi sur l’assurance-accidents [LAA], 1992, p. 103). Il s’agit d’empêcher l’octroi de rentes d’invalidité qui comporteraient, en fait, une composante de prestation de vieillesse (cf. OMLIN, op. cit., p. 249 avec les références). On rappellera que les rentes ont un caractère viager (cf. toutefois le nouvel art. 20 al. 2ter LAA, en vigueur depuis le 1er janvier 2017). L’âge moyen est de 42 ans ou, du moins, se situe entre 40 et 45 ans, tandis que l’âge avancé est d’environ 60 ans; il ne s’agit toutefois que d’un ordre de grandeur et non d’une limite absolue (ATF 122 V 418 consid. 1b; arrêts 8C_205/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.4; U 106/89 du 13 août 1990 consid. 4d et e, in RAMA 1990 n° U 115 p. 389). La comparaison des revenus d’un assuré d’âge moyen comprend aussi bien le revenu sans invalidité que le revenu d’invalide (ATF 114 V 310 consid. 2 in fine; arrêt 8C_554/2017 du 4 juillet 2018 consid. 3.3.1; OMLIN, op. cit., p. 256; voir également arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2, destiné à la publication).

Consid. 5.1.3
Selon la jurisprudence mentionnée ci-dessus, il faut prendre en considération l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA si l’assuré a environ 60 ans. Toutefois, cela ne signifie pas que cette disposition soit applicable dans tous les cas où l’assuré a atteint cet âge avancé. Elle s’applique seulement lorsqu’il y a des indices concrets que l’âge de l’assuré revêt une importance prépondérante par rapport aux autres facteurs à l’origine de l’incapacité de gain (cf. ATF 122 V 418 consid. 4c; arrêts 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.2.2; 8C_205/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.4; 8C_517/2016 du 8 mai 2017 consid. 5.3).

 

Consid. 5.2.1
Dans le cadre de l’analyse qu’il a faite en matière d’assurance-invalidité, l’Office AI s’est basé sur le fait que des mesures de réadaptation professionnelles auraient pu être mises en œuvre pour l’assuré, mais qu’elles n’étaient ni simples ni adéquates, de sorte que le critère de la proportionnalité n’était pas respecté dans le cas d’une réadaptation et qu’on peinait à imaginer qu’un employeur consentirait à engager l’assuré qui se trouvait à un âge proche de la retraite. C’est également en raison de l’âge de l’assuré et de l’absence de temps de formation que lui consacrerait un employeur que l’Office AI a retenu que sa capacité de travail résiduelle n’était pas exploitable. Ainsi, des mesures professionnelles ne permettraient pas d’atteindre le but visé, à savoir une amélioration de la capacité de gain.

Consid. 5.2.2
Il s’ensuit que, l’assuré ayant 63 ans et 10 mois au moment de l’ouverture du droit éventuel à une rente d’invalidité de l’assurance-accidents, l’absence de reprise de travail résulte principalement de son âge avancé. Force est donc de constater que l’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA, cette disposition s’appliquant également lorsqu’un employeur n’est pas disposé à engager un employé pour un laps de temps très court avant l’ouverture de son droit à une rente de l’AVS.

 

Consid. 6.1
L’application de l’art. 28 al. 4 OLAA étant admise, il sied d’examiner les revenus avec et sans invalidité devant être pris en compte pour fixer le taux d’invalidité. On rappellera que selon cette disposition, sont déterminants les revenus qu’un assuré d’âge moyen dont la santé a subi une atteinte de même gravité pourrait réaliser et que la comparaison des revenus d’un assuré d’âge moyen comprend aussi bien le revenu sans invalidité que le revenu d’invalide (ATF 114 V 310 consid. 2 et 4a; cf. consid. 5.1.2 supra, arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2 destiné à la publication).

Consid. 6.2
Le revenu sans invalidité retenu par la cour cantonale est incontesté, de sorte qu’il n’y a pas lieu de s’en écarter et de le remplacer – au détriment de l’assuré – par le revenu d’un assuré d’âge moyen.

En ce qui concerne le revenu avec invalidité, la cour cantonale l’a déterminé en appliquant les valeurs statistiques de l’ESS, ce qui n’est pas contesté non plus. Il sied toutefois d’examiner si la cour cantonale a opéré à juste titre un abattement de 10% à cause des limitations fonctionnelles ainsi que de l’âge de l’assuré.

Consid. 6.3
Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/ catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêts 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.3.1; 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 3.1).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.4
Une réduction au titre du handicap dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.1; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1; 8C_118/2021 du 21 décembre 2021 consid. 6.3.1).

En l’occurrence, force est de constater que les limitations fonctionnelles présentées par l’assuré (activité exercée essentiellement en position assise, activité sédentaire avec peu de phases debout, peu de phases nécessitant de la marche, sans montée ni descente d’escaliers, sans terrain accidenté) ne sont pas inhabituelles et ne requièrent pas des concessions irréalistes de la part d’un employeur. Au regard des activités physiques ou manuelles simples que recouvrent les secteurs de la production et des services (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, niveau de compétence 1), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux légers respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré. A cela s’ajoute que l’assuré a exercé divers métiers comme directeur, gérant/associé et responsable commercial et délégué commercial dans divers domaines ce qui montre un potentiel d’adaptation à différents postes, et qu’il a acquis des compétences en lien avec le contact à la clientèle. Au vu de ces qualités il n’y a aucune raison d’inférer qu’il ne pourrait pas répondre aux exigences d’une activité issue du secteur de la production et des services. Une déduction sur le salaire statistique ne se justifie donc pas pour tenir compte des circonstances liées à son handicap.

Consid. 6.5
Par rapport à la question de l’abattement à cause de l’âge, le Tribunal fédéral a retenu dans un arrêt récent que l’art. 28 al. 4 OLAA commande, pour atteindre son objectif, qu’on calcule le taux d’invalidité sur la base des revenus (sans et avec invalidité) hypothétiques que pourrait obtenir un assuré d’âge moyen, et que – contrairement à l’art. 16 LPGA – l’on fasse ainsi abstraction de l’incapacité de travail due à l’âge avancé de l’assuré (arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2 et 8.5 destiné à la publication; consid. 6.2 supra). Or, dès lors que l’on doit s’appuyer sur les valeurs salariales d’un assuré d’âge moyen, une influence pénalisante de l’âge avancé sur le salaire ne peut par définition pas entrer en ligne de compte. Il s’ensuit qu’un abattement à cause de l’âge avancé d’un assuré ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA (arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 8.5 destiné à la publication).

Il sied de préciser qu’en dehors du champ d’application de cette disposition, le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, l’âge avancé peut constituer un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA, n’a pas encore été tranché par le Tribunal fédéral (cf. arrêt 8C_186/2022 du 3 novembre 2022 consid. 6.2.2, où l’art. 28 al. 4 OLAA n’a pas été appliqué à un assuré de 63 ans; voir également arrêts 8C_219/2022 du 2 juin 2022, consid. 6.7.2; 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 8C_597/2020 du 16 juin 2021 consid. 5.2.5; 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5, in: SVR 2018 UV n° 40 p. 145).

En l’espèce, comme l’art. 28 al. 4 OLAA s’applique, la cour cantonale n’était pas fondée à prendre en compte l’âge avancé de l’assuré dans la fixation de l’étendue de l’abattement.

Consid. 6.6
Pour autant que l’assuré invoque d’autres critères justifiant selon lui un abattement, notamment le manque de formation, les effets secondaires liés à la prise régulière d’antalgiques et un état dépressif, on retiendra que la cour cantonale les a écartés à juste titre. Par ailleurs, même si l’on admettait le droit à une rente, l’art. 20 al. 2ter LAA ne serait pas applicable en l’espèce, contrairement à ce que soutient l’assuré (cf. al. 2 des dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015; arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 8.4, destiné à la publication; DAVID IONTA, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in Jusletter 21 novembre 2022, ch. 231 ss.). Finalement, il convient de rappeler que l’évaluation de l’invalidité par les organes de l’assurance-invalidité n’a pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (et vice-versa, cf. ATF 133 V 549 et 131 V 362 consid. 2.3; arrêt 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 5.6), de sorte que l’assuré ne saurait rien déduire en sa faveur du fait que l’Office AI lui a octroyé une rente entière.

Consid. 6.7
Il s’ensuit que la juridiction cantonale a opéré à tort un abattement de 10% sur le revenu d’invalide. Le recours se révèle dès lors bien fondé. Par conséquent, l’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens que la décision sur opposition du 12 novembre 2020 est confirmée.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_507/2022 consultable ici

 

8C_129/2022 (f) du 25.11.2022 – Revenu d’invalide – Abus du pouvoir d’appréciation de la cour cantonale – Abattement en raison des années de service ne se justifie pas dans le cadre du choix du niveau de compétence 1

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_129/2022 (f) du 25.11.2022

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – Abattement sur le salaire statistique ESS / 16 LPGA

Abattement en raison des années de service ne se justifie pas dans le cadre du choix du niveau de compétence 1

Abus du pouvoir d’appréciation de la cour cantonale

 

Assuré né en 1975, établi en Suisse en 1992. Il a travaillé pour plusieurs employeurs en tant que monteur-électricien et a obtenu un CFC dans ce métier en 2010.

Le 06.10.2017, l’assuré est tombé d’une échelle sur son lieu de travail, entraînant un traumatisme cranio-cérébral mineur et des fractures des poignets ont été diagnostiqués. Il a subi une osthéosynthèse de l’extrémité distale du radius gauche le 10.10.2017.

Examen par le médecin-conseil le 08.11.2019 : l’ancienne activité de monteur-électricien n’est plus exigible compte tenu des douleurs aux deux poignets; l’on pouvait en revanche s’attendre à la reprise d’une activité professionnelle adaptée exercée indifféremment en position assise ou debout, avec un port de charges ponctuel limité à deux kilos sur les deux poignets et la possibilité de conserver un bracelet de soutien pour les deux poignets, à la journée entière et sans baisse de rendement.

Par décision du 08.05.2020, confirmée sur opposition le 10.11.2020, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une IPAI. S’agissant de l’invalidité, elle est arrivée à la conclusion que l’assuré présentait un taux d’invalidité de 7%, après avoir comparé le revenu sans invalidité qu’il aurait perçu sans l’accident selon les renseignements de son ancien employeur, soit 72’780 fr., et le revenu d’invalide établi sur la base des statistiques (niveau de compétence 2) résultant de l’ESS, compte tenu d’un abattement de 5% pour les limitations fonctionnelles, soit 67’809 fr.

Par décision du 18.02.2020, l’Office de l’assurance-invalidité (ci-après: l’OAI) a rejeté la demande de prestations de l’assuré; il a retenu que ce dernier disposait d’une capacité de travail dans une activité adaptée depuis le mois de février 2018 et présentait un taux d’invalidité de 6,94% à cette date. Cette décision a fait l’objet d’un recours auprès de la juridiction cantonale.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/30/2022 – consultable ici)

Les juges cantonaux se sont écartés du montant retenu par l’assurance-accidents au titre du revenu avec invalidité; ils ont calculé ce dernier en se fondant sur le salaire statistique tiré d’activités simples et répétitives pour un homme, soit 68’448 fr. (ESS 2018; TA1_tirage_skill_level, ligne total, niveau de compétence 1) et en admettant un abattement de 15% sur ce revenu statistique, établi dès lors à 58’179 fr. 10 fr. Après comparaison avec le revenu sans invalidité de 72’780 fr., l’on obtenait un taux d’invalidité de 20,06%.

Par jugement du 21.01.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision litigieuse en ce sens que l’assuré avait droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 20% dès le 01.05.2020.

 

TF

Consid. 4.1
Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, les salaires fixés sur la base des données statistiques peuvent à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement, mais seulement lorsqu’il existe des indices qu’en raison d’un ou de plusieurs facteurs, l’intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne (ATF 146 V 16 consid. 4.1; 126 V 75 consid. 5b/aa). Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation; cf. ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêt 8C_732/2019 du 19 octobre 2020 consid. 3.4).

Consid. 4.2
Alors que le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral, l’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 137 V 71 consid. 5.2). Il y a abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d’appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 116 V 307 consid. 2 et les références).

Consid. 4.3
Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 126 V 75 consid. 6).

 

Consid. 4.4.1
La cour cantonale a appliqué un taux d’abattement de 15%, en lieu et place du taux de 5% retenu par l’assurance-accidents. Elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de celui qu’elle avait retenu dans la procédure opposant l’assuré à l’OAI (voir l’arrêt de la Chambre des assurances sociales du 22 juin 2021 [ATAS/646/2021]), étant précisé que l’OAI n’avait pour sa part admis aucune réduction sur le revenu statistique dans la décision querellée. La cour cantonale a précisé que si la détermination du taux d’invalidité par l’assurance-invalidité n’avait certes pas nécessairement d’effet contraignant pour l’assureur-accidents, une évaluation divergente devait reposer sur des motifs suffisants lorsque l’assureur-accidents répondait, comme c’était le cas en l’occurrence, des mêmes atteintes que l’assurance-invalidité. En tout état de cause, les premiers juges ont considéré qu’au vu des limitations fonctionnelles significatives de l’assuré et de la jurisprudence, une réduction de 15% reflétait sa situation de manière plus adéquate que l’abattement de 5% consenti par l’assurance-accidents.

Consid. 4.4.2
Dans la procédure cantonale en matière d’assurance-invalidité, la Chambre des assurances sociales a tout d’abord admis un abattement sur le salaire statistique puis a fixé son taux à 15% pour tenir compte de deux critères, à savoir les limitations fonctionnelles de l’assuré et les années de service. Le cas d’espèce se présente différemment, puisqu’un abattement avait déjà été admis par l’assurance-accidents. Par ailleurs, celle-ci relève à raison que la prise en compte d’un abattement en raison des années de service ne se justifie pas dans le cadre du choix du niveau de compétence 1, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 et la référence). Il n’y a donc pas lieu d’admettre que l’assuré subit un désavantage salarial par rapport aux autres employés du niveau de compétence 1 et un abattement à ce titre n’apparaît dès lors pas approprié. En augmentant de 5% à 15% le taux d’abattement retenu par l’assurance-accidents sur le salaire statistique en se fondant sur un critère supplémentaire non pertinent en l’espèce, la cour cantonale a abusé de son pouvoir d’appréciation.

Consid. 4.4.3
En l’occurrence, force est de constater que seules les limitations fonctionnelles que présente l’assuré – port de charges ponctuel limité à deux kilos sur les deux poignets, avec la possibilité de conserver un bracelet de soutien pour les deux poignets – ont une incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Dès lors que l’assurance-accidents avait tenu compte desdites limitations pour réduire le salaire statistique de 5%, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de s’en écarter. Par conséquent, le taux d’invalidité de l’assuré s’élève à 11% (revenu sans invalidité de 72’780 fr. comparé au revenu avec invalidité de 65’025 fr. 60 [68’448 – 5%]). L’arrêt attaqué sera réformé en ce sens, en admission des conclusions principales du recours.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_129/2022 consultable ici

 

8C_118/2021 (f) du 21.12.2021 – Pas de délai d’adaptation lors du passage des indemnités journalières à la rente / Abattement sur le salaire statistique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_118/2021 (f) du 21.12.2021

 

Consultable ici

 

Pas de délai d’adaptation lors du passage des indemnités journalières à la rente / 19 LAA

Abattement sur le salaire statistique / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1969, travaillait comme maçon depuis 2011. Le 23.08.2016, il a été victime d’un accident de travail, se blessant au bras gauche en tentant de se retenir lors d’une glissade sur le pont d’un échafaudage. Le 02.05.2017, l’assuré a subi une arthroscopie diagnostique avec réinsertion du tendon du sus-épineux de l’épaule gauche.

A l’issue d’un séjour à la CRR, du 04.09.2018 au 03.10.2018, il a été constaté que la situation n’était pas encore stabilisée du point de vue médical et des aptitudes fonctionnelles mais qu’une telle stabilisation était attendue dans un délai de six mois environ. Par ailleurs, les médecins de la CRR ont conclu que l’activité de maçon ne pourrait vraisemblablement pas être reprise; en revanche, le pronostic de réinsertion dans une activité adaptée respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré (pas de port de charges supérieures à 10-15 kilos de manière prolongée et/ou répétitive avec le membre supérieur gauche, pas de travail prolongé et/ou répétitif au-dessus du plan des épaules, pas d’activité avec le membre supérieur gauche maintenu en porte-à-faux) était en théorie favorable.

Dans une notice téléphonique du 06.11.2018, le « case manager » de l’assurance-accidents a résumé le point de la situation fait avec l’assuré: ce dernier l’informait être conscient qu’il ne pourrait plus reprendre son activité de maçon mais à ce jour, il n’avait aucun projet concret par rapport à son avenir professionnel et n’avait pas commencé à rechercher une autre activité; le but fixé à l’assuré au cours de l’entretien était de rechercher une nouvelle activité professionnelle.

Un nouveau point de la situation entre la « case manager » de l’assurance-accidents et l’assuré a été fait le 12.02.2019; le but fixé à l’assuré au cours de l’entretien était de se projeter dans son avenir et de rechercher une nouvelle activité professionnelle.

Se fondant sur les conclusions du rapport d’examen final de son médecin-conseil du 26.04.2019, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré, par décision du 21.05.2019, une rente d’invalidité fondée sur un taux de 12% dès le 01.07.2019, ainsi qu’une IPAI au taux de 20%. Ensuite de l’opposition de l’assuré contre cette décision, l’assurance-accidents a fixé, dans sa décision sur opposition, le taux de l’IPAI à 25%, confirmant pour le surplus sa décision initiale.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a tout d’abord constaté qu’il n’était pas nécessaire de trancher la question de savoir si l’état de santé de l’assuré s’était stabilisé à fin avril 2019 (comme l’avait retenu l’assurance-accidents) ou à fin juin 2019 (comme le soutenait l’assuré), dès lors que l’assurance-accidents avait versé des indemnités journalières jusqu’au 30.06.2019 et qu’il n’y avait pas lieu d’accorder à l’assuré un délai d’adaptation – durant lequel des indemnités journalières continueraient de lui être versées – à compter de la stabilisation de son état de santé pour lui permettre de se réadapter dans une nouvelle profession. Elle a ensuite entièrement confirmé le taux d’invalidité de 12%, en particulier le revenu avec invalidité calculé sans tenir compte d’un abattement.

Par jugement du 15.12.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’assuré a droit au traitement médical approprié des lésions résultant de l’accident (art. 10 al. 1 LAA). S’il est totalement ou partiellement incapable de travailler (art. 6 LPGA), il a droit à une indemnité journalière (art. 16 al. 1 LAA). Selon l’art. 6 LPGA, est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique; en cas d’incapacité de travail de longue durée, l’activité qui peut être exigée de lui peut aussi relever d’une autre profession ou d’un autre domaine d’activité.

Le droit à l’indemnité journalière naît le troisième jour qui suit celui de l’accident et s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail, dès qu’une rente est versée ou dès que l’assuré décède (art. 16 al. 2 LAA). Si l’assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins par suite de l’accident, il a droit à une rente d’invalidité (art. 18 al. 1 LAA). En vertu de l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente. Pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA).

 

Délai convenable pour chercher un emploi adapté

Consid. 4.
L’assuré demande le versement d’indemnités journalières – sur la base d’une incapacité de travail de 100% – et la prise en charge du traitement médical jusqu’au 31.10.2019.

Consid. 4.1
A l’appui de ses conclusions, il soutient que si, après la stabilisation de son état de santé, l’assuré doit se réadapter dans une autre profession que son activité habituelle, l’art. 19 al. 1 LAA n’empêcherait pas l’octroi d’un délai de trois à cinq mois pendant lequel le droit à l’indemnité journalière et au traitement médical continueraient d’être assurés. Selon l’assuré, si le droit à la rente LAA est différé lorsque des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité sont en cours (cf. art. 19 al. 1 LAA), il devrait en aller de même en cas de réadaptation spontanée, soit lorsque la personne assurée ne bénéficie pas de mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité mais qu’elle doit chercher par elle-même un nouvel emploi. Dans ce cas, il devrait lui être octroyé un délai d’adaptation pendant lequel les traitements médicaux et l’indemnité journalière devraient continuer à lui être alloués avant le passage à la rente. A cet égard, l’assuré invoque une prétendue contradiction dans la jurisprudence entre l’arrêt 8C_310/2019 du 14 avril 2020, sur lequel s’est fondée la juridiction cantonale pour nier l’octroi d’un délai d’adaptation supplémentaire depuis la stabilisation de son état de santé, et les arrêts 8C_251/2012 du 27 août 2012 et 8C_876/2013 du 15 octobre 2014, dans lesquels un délai de trois à cinq mois aurait été octroyé à la personne assurée avant la suppression des indemnités journalières de l’assurance-accidents pour lui permettre de retrouver une activité adaptée.

Consid. 4.2
Contrairement à ce qu’affirme l’assuré, il n’y a pas de contradiction dans la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de délai d’adaptation en cas d’incapacité de travail de longue durée (art. 6, deuxième phrase, LPGA).

Consid. 4.2.1
Dans l’arrêt 8C_251/2012 du 27 août 2012, le litige ne portait pas, quoi qu’en dise l’assuré, sur l’octroi ou non d’un délai d’adaptation puisque l’assuré pouvait reprendre son activité habituelle de peintre en bâtiment et que la question d’un changement de profession ne se posait pas. Alors que l’état de l’assuré était stabilisé, une instruction complémentaire sur le plan médical s’imposait afin de déterminer l’étendue de l’incapacité de travail de l’assuré dans sa profession habituelle. Le Tribunal fédéral a dès lors renvoyé la cause à l’assureur pour qu’il mettre en œuvre une expertise et rende une nouvelle décision sur le droit aux prestations de l’assuré.

Consid. 4.2.2
Quant à l’arrêt 8C_876/2013 du 15 octobre 2014 également invoqué par l’assuré, il traite d’un cas où une personne assurée avait été reconnue médicalement apte à reprendre son activité habituelle d’employée de commerce à plein temps dès le 31.07.2012, raison pour laquelle l’assureur-accidents avait supprimé le versement de l’indemnité journalière à compter du 01.08.2012. Le Tribunal fédéral a rejeté l’argument de l’assurée selon lequel un laps de temps plus long, pendant lequel elle aurait encore dû bénéficier des indemnités journalières, aurait dû lui être imparti pour lui permettre de retrouver un emploi. Là non plus, on ne voit pas que ce cas traiterait du versement de l’indemnité journalière pendant un certain délai en cas de changement de profession.

Consid. 4.2.3
Dans le cas ayant donné lieu à l’arrêt 8C_310/2019 du 14 avril 2020, l’assurance-accidents avait mis fin aux indemnités journalières et au traitement médical de la personne assurée au 31.05.2017 et lui avait alloué une rente fondée sur un taux d’invalidité de 21% à partir du 01.06.2017, compte tenu de la stabilisation de son état de santé et d’une reprise du travail dans une activité adaptée autre que la profession habituelle à 50% à partir du 22.05.2017. La juridiction cantonale avait partiellement admis le recours de l’assuré contre la décision de l’assurance-accidents, qu’elle avait réformée en ce sens que le droit à la rente d’invalidité prenait naissance le 01.10.2017, les indemnités journalières étant allouées jusque-là. Saisi d’un recours de la personne assurée et de l’assurance-accidents, le Tribunal fédéral a considéré que l’octroi d’un délai convenable pour chercher un emploi adapté, pendant lequel le traitement médical et l’indemnité journalière devraient continuer à être alloués à la personne assurée avant le passage à la rente, ne valait que lorsque les indemnités journalières étaient supprimées en application de l’art. 6, seconde phrase, LPGA, mais pas lorsqu’elle prenaient fin sur la base de l’art. 19 al. 1 LAA, comme c’était le cas ici.

Consid. 4.2.4
Il en va de même dans le cas d’espèce qui est similaire à celui ayant fait l’objet de l’arrêt 8C_310/2019 précité et auquel il peut être renvoyé (en particulier le considérant 6.1.2).

Consid. 4.3
On ajoutera que dans l’hypothèse invoquée par l’assuré où l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré (la première condition de l’art. 19 al. 1, première phrase, LAA étant ainsi remplie) mais où des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité sont encore en cours ou sont imminentes (la seconde condition de l’art. 19 al. 1, première phrase, LAA n’étant ainsi pas remplie), le taux d’invalidité, et par conséquent le droit à la rente, ne peuvent certes pas être fixés. Dans ce cas toutefois, la personne assurée a droit à des indemnités journalières de l’assurance-invalidité (art. 22 ss LAI) et l’indemnité journalière de l’assurance-accidents n’est, quoi qu’en dise l’assuré, pas allouée (art. 16 al. 3 LAA).

En l’espèce, dès lors qu’ il n’y avait plus lieu d’attendre d’une poursuite du traitement médical au-delà du 30.06.2019 une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré et que des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité n’étaient pas prévues, l’instance précédente pouvait confirmer la fin de l’octroi des indemnités journalières et du traitement médical avec effet au 30.06.2019, sans impartir à l’assuré un délai pour s’adapter aux nouvelles circonstances et lui verser les indemnités journalières pendant cette période. Dans une telle constellation, l’assureur-accidents doit clore le cas et la rente est versée dès la date où a pris fin le droit à l’indemnité journalière (qui correspond également à celle de la fin du droit à la prise en charge du traitement médical selon l’art. 10 al. 1 LAA). L’art. 19 al. 1 LAA délimite ainsi du point de vue temporel le droit à ces deux prestations temporaires et le droit à la rente.

 

Délai d’adaptation lors du passage des indemnités journalières à la rente

Consid. 4.4.1
Dans le cas ayant donné lieu à l’arrêt 8C_173/2008 du 20 août 2008, l’assureur-accidents avait réduit les indemnités journalières à 50% à partir du 01.11.2005 puis les avait supprimées à partir du 01.12.2005. Sur recours de l’assurée, le Tribunal fédéral a tout d’abord constaté que l’état de santé de l’assurée n’était pas stabilisé au 01.11.2005 et qu’il y avait lieu d’attendre de la continuation du traitement médical au-delà du 01.11.2005 une sensible amélioration de son état de santé. Se posait donc encore la question de savoir dans quelle mesure l’assurée avait été incapable de travailler entre le 01.11.2005 et le 04.04.2006. Le Tribunal fédéral a constaté que selon les renseignements médicaux concordants au dossier, l’assurée ne pouvait plus exercer son ancienne activité d’infirmière mais pourrait exercer une activité adaptée à 100% avec un rendement de 75%. Dès lors que l’assureur ne l’avait pas invitée à rechercher une activité adaptée avant de rendre sa décision du 03.10.2005, les conditions développées par la jurisprudence pour appliquer l’art. 6, seconde phrase, LPGA n’étaient pas remplies en l’espèce; l’incapacité de travail de l’assurée devait donc être déterminée sur la base de l’art. 6, première phrase, LPGA, soit dans son activité habituelle. Dans la mesure où l’assurée présentait une incapacité de travail de 100% dans son activité habituelle d’infirmière au-delà du 01.11.2005, elle avait encore droit à des indemnités journalières à 100%. En revanche, le Tribunal fédéral ne s’est pas prononcé sur la question de savoir comment l’état de santé de l’assurée avait évolué après le 04.04.2006, date de la décision sur opposition litigieuse, et à partir de quel moment le cas d’assurance pouvait être liquidé au sens de l’art. 19 al. 1 LAA.

Dans ce cas, on voit clairement que l’assureur-accidents aurait dû impartir à l’assurée un délai de trois à cinq mois depuis le 26.09.2005, respectivement depuis le 31.01.2006 pour lui permettre de retrouver un emploi adapté dans une nouvelle profession, ce qu’il n’avait pas fait avant de rendre sa décision du 03.10.2005, confirmée sur opposition le 04.04.2006. A ce moment-là, il n’était pas encore question d’une liquidation du cas au sens de l’art. 19 al. 1 LAA.

Consid. 4.4.2
Dans le cas d’espèce, on relèvera qu’il ressort du rapport de la CRR du 26.09.2018 que bien que l’état de l’assuré ne fût pas encore stabilisé, il apparaissait hautement vraisemblable qu’il ne pourrait plus exercer son ancienne activité de maçon; en revanche, une activité adaptée respectant certaines limitations fonctionnelles était raisonnablement exigible. Il ressort en outre du dossier que le 06.11.2018, l’assurance-accidents avait invité l’assuré à rechercher une nouvelle activité professionnelle. Elle avait réitéré son invitation le 12.02.2019. Aussi, dès l’automne 2018, mais au plus tard dès le mois de février 2019, il apparaissait clairement que l’assuré ne serait plus en mesure de recouvrer sa capacité de travail dans sa profession habituelle de maçon et qu’un changement de profession était raisonnablement exigible de sa part. L’assuré a donc bel et bien été invité à rechercher une activité raisonnablement exigible dans une autre profession plusieurs mois avant la décision du 21.05.2019. L’assuré a continué de percevoir des indemnités journalières à 100% jusqu’au 30.06.2019, soit pendant une période de sept mois depuis l’automne 2018, respectivement de plus de quatre mois depuis février 2019. Il a ainsi bénéficié d’un délai d’adaptation dès le moment où il est apparu qu’il ne serait plus en mesure de reprendre sa profession de maçon et qu’une activité dans un autre domaine pouvait raisonnablement être exigée de lui (art. 6, seconde phrase, LPGA; voir aussi MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 36 ad art. 6 LPGA).

 

Abattement sur le salaire statistique

Consid. 6.3.1
En l’occurrence, on a vu que l’assuré est en mesure d’exercer une activité à plein temps sans diminution de rendement si l’activité respecte ses limitations fonctionnelles. Il convient donc d’examiner si celles-ci sont susceptibles d’influencer les perspectives salariales de l’assuré. Les limitations fonctionnelles de l’assuré portent sur le port de charges supérieures à 10-15 kilos de manière prolongée et/ou répétitive avec le membre supérieur gauche, le travail prolongé et/ou répétitif au-dessus du plan des épaules et les activités avec le membre supérieur gauche maintenu en porte-à-faux. Cela dit, au regard des activités physiques ou manuelles simples que recouvrent les secteurs de la production et des services (ESS 2016, tableau TA1_skill_level, niveau de compétence 1), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux légers respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré. Une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie donc pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap de l’assuré. En effet, un abattement n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêt 8C_122/2019 du 10 septembre 2019 consid. 4.3.1.4).

Consid. 6.3.2
En ce qui concerne le critère de l’âge, l’assuré n’expose pas en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré à raison de son âge. En outre, il était âgé de 50 ans au moment de la clôture du cas d’assurance, soit un âge encore relativement éloigné de celui de la retraite. Quant à l’absence d’expérience et de formation, elle ne joue pas de rôle lorsque le revenu d’invalide est déterminé en référence au salaire statistique auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives de niveau de compétence 1, comme c’est le cas en l’espèce. En effet, ce niveau de compétence de l’ESS concerne une catégorie d’emplois ne nécessitant ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2 et la référence citée).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_118/2021 consultable ici

 

Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour

Vous trouverez dans l’édition de Jusletter du 21 novembre 2022 ma contribution « Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour ».

Depuis mon précédent article (Fixation du revenu d’invalide selon l’ESS), par dans la Jusletter du 22 octobre 2018, le thème du revenu d’invalide s’est invité dans les débats parlementaires. Quant au Développement continu de l’assurance-invalidité, il a suscité de vives critiques. Rarement une révision de l’AI, voire d’une assurance sociale, a laissé un tel sentiment d’inachevé.

Bien que non exhaustive, cette contribution aborde sous différents angles la notion du revenu d’invalide selon l’ESS. Les récents développements de la doctrine sont également abordés, tout comme l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 du 9 mars 2022, publié aux ATF 148 V 174. Le Développement continu de l’AI est, quant à lui, analysé avec une réflexion de coordination intersystémique (avec l’assurance-accidents en particulier).

L’article se veut complet mais surtout une aide pour la praticienne et le praticien, confronté-e quotidiennement à la notion d’invalidité et à la détermination du revenu d’invalide.

 

Résumé :

Le revenu d’invalide déterminé selon les données statistiques est au cœur de nombreuses discussions dans le domaine des assurances sociales, tant en doctrine qu’aux niveaux judiciaire et législatif. En particulier, le Développement continu de l’assurance-invalidité n’a pas apaisé les esprits, suscitant de nombreuses critiques. Il était nécessaire de procéder à une mise à jour de l’article paru en octobre 2018. La présente contribution passe en revue les récents développements, tout en restant ancré dans la pratique.

 

Publication : David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022

 

 

8C_39/2022 (f) du 13.10.2022 – Revenu sans invalidité d’un associé gérant d’une Sàrl – Pseudo-indépendant / Accident survenu peu de temps après la création de la Sàrl – Revenu sans invalidité fixé selon l’ESS confirmé

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_39/2022 (f) du 13.10.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité d’un associé gérant d’une Sàrl – Pseudo-indépendant / 16 LPGA

Accident survenu peu de temps après la création de la Sàrl – Revenu sans invalidité fixé selon l’ESS confirmé

Pas de prise en compte du revenu provenant de l’activité salariée auprès d’un autre employeur avant la création de la Sàrl

Ne pas confondre gain assuré (15 LAA) et revenu sans invalidité (16 LPGA)

Assureur LAA pas lié par l’évaluation de l’invalidité de l’AI

Revenu d’invalide selon ESS – Pas de corrélation entre taux IPAI et taux abattement

 

Assuré, né en 1965, a travaillé du 01.08.1994 au 31.05.2017 comme maçon au service de l’entreprise B.__ SA. Depuis le 01.06.2017, il a travaillé comme maçon pour le compte de C.__ Sàrl. Cette société a été inscrite au registre du commerce en juin 2017. L’assuré a été inscrit comme gérant au bénéfice de la signature individuelle de juin 201 7au 25.09.2017. Depuis lors, l’unique associée gérante au bénéfice de la signature individuelle est la fille de l’assuré.

Le 28.07.2017, lors de ses vacances au Portugal, l’assuré a été victime d’un accident de la route. Le même jour, une ostéosynthèse de la fracture du tibia-péroné gauche a été réalisée. De retour en Suisse, l’assuré a subi deux opérations les 13.10.2017 et 16.10.2017 en raison d’une infection à staphylocoque doré au niveau du tibia gauche. A partir du 07.05.2018, il a repris son activité de maçon à 50%.

Le 04.12.2019, l’assuré a été examiné par le médecin-conseil de l’assurance-accidents. Dans son rapport, celui-ci a indiqué que l’état de santé était stabilisé et que l’exigibilité en tant que maçon n’était plus donnée en pleine capacité et de plein rendement; toutefois, une activité sédentaire était possible sans limitation de temps ni de rendement.

Par décision du 20.02.2020, confirmée sur opposition le 15.05.2020, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité de 13% dès le 01.02.2020. Dans le cadre de la fixation du taux d’invalidité, elle s’est fondée non sur le revenu annuel de 91’000 fr. communiqué par C.__ Sàrl, mais sur les chiffres de l’ESS 2016 pour évaluer le revenu sans invalidité. Ainsi, elle a retenu à ce titre un gain annuel de 74’633 fr., en se fondant sur le tableau TA1, niveau de compétence 2, branche Construction 43. S’agissant du revenu avec invalidité, elle l’a fixé à 64’678 fr. sur la base de l’ESS 2016 TA1, niveau de compétence 1, sur lequel elle a appliqué un abattement de 5% pour tenir compte des limitations fonctionnelles. En outre, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 7%.

Parallèlement, l’assuré a déposé une demande AI. Par décision du 11.02.2021, l’office AI lui a reconnu le droit à une demi-rente d’invalidité pour la période du 01.02.2019 au 29.02.2020. Une activité adaptée étant exigible à 100% dès le 04.12.2019, l’office AI a retenu comme revenu sans invalidité le salaire de 91’000 fr. communiqué par le dernier employeur, un revenu avec invalidité de 61’273 fr. 54 (établi sur la base de l’ESS et en opérant un abattement de 10%) et a ainsi fixé le taux d’invalidité à 33%; par conséquent, le droit à la rente s’éteignait au 29.02.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 62/20 – 106/2021 – consultable ici)

Par jugement du 07.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir quel salaire l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2).

Pour les personnes de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’AVS (arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.2.2, 9C_771/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.6). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (cf. ATF 133 V 549 consid. 6.1).

A ce sujet, on rappellera que, selon la jurisprudence, le revenu réalisé avant l’atteinte à la santé ne pourra pas être considéré comme une donnée fiable lorsque l’activité antérieure était si courte qu’elle ne saurait constituer une base suffisante pour la détermination du revenu sans invalidité. En effet, les bénéfices d’exploitation sont généralement faibles au cours des premières années d’exercice d’une activité indépendante, pour diverses raisons (taux d’amortissement élevé sur les nouveaux investissements etc.), et les personnes qui se mettent à leur propre compte ne réalisent pas, au début de leur activité, des revenus équivalents à ceux des entreprises établies depuis de nombreuses années, les entreprises nouvelles devant consentir à des sacrifices importants notamment au niveau du salaire de leurs patrons (cf. ATF 135 V 59 consid. 3.4.6; arrêts 9C_153/2020 du 9 octobre 2020 consid. 2; 8C_450/2016 du 6 octobre 2016 consid. 3.2.2; 9C_658/2015 du 9 mai 2016 consid. 5.1.1; 8C_567/2013 du 30 décembre 2013 consid. 2.2.2). Le cas échéant, on pourra se fonder sur le revenu moyen d’entreprises similaires (cf. arrêt 9C_474/2016 du 8 février 2017 consid. 4) ou sur les statistiques de l’ESS (cf. arrêts 9C_308/2021 du 7 mars 2022 consid. 4.2.2; 9C_153/2020 du 9 octobre 2020 consid. 2; 9C_111/2009 du 21 juillet 2009 consid. 3.1).

 

Consid. 4.1
En l’espèce, il est incontesté que l’assuré est le patron de la société C.__ Sàrl (dont il était le gérant et seul bénéficiaire de la signature individuelle avant l’accident), même s’il est formellement employé par cette société, inscrite au nom de sa fille, et qu’il exerçait par conséquent une activité indépendante depuis le 01.06.2017, lorsqu’il a été victime d’un accident le 28.07.2017.

Consid. 4.2
Les juges cantonaux ont confirmé le revenu sans invalidité établi par l’assurance-accidents sur la base des valeurs statistiques. A ce propos, ils ont considéré que la période de l’exercice de l’activité indépendante allant du 01.06.2017 au 28.07.2017 était trop courte pour servir de base suffisante pour le calcul du revenu sans invalidité. De surcroît, il ne ressortait pas du dossier que l’assuré se serait versé un salaire avant la survenance de l’évènement accidentel. Même s’il avait produit ses fiches de salaire pour une période subséquente, soit l’année 2019, il n’existait pas de preuves qu’il ait effectivement touché les montants invoqués, lesquels devaient être assimilés plutôt à des déclarations d’intention ne constituant pas une base suffisante pour arrêter le revenu sans invalidité. Compte tenu du fait que l’exploitation de la société de l’assuré venait à peine de débuter, on pouvait légitimement douter que son activité lui aurait permis de toucher immédiatement les montants invoqués. L’intéressé n’avait d’ailleurs pas prouvé, au degré de la vraisemblance prépondérante, que la société était immédiatement rentable et aurait permis de verser un salaire de l’ordre de 7000 fr. par mois dès ses premières semaines d’activité.

Les juges cantonaux ont ensuite apprécié les documents produits dans la procédure cantonale – à savoir l’attestation émanant de C.__ Sàrl établie le 06.03.2021 sur la base de celle établie par G.__ le 05.03.2021 ainsi que l’avis de crédit de l’ordre de G.__ en faveur du compte bancaire UBS du 22.07.2017, pour un montant de 50’000 fr. – par lesquels l’assuré entendait démontrer que le salaire d’un montant mensuel de 7000 fr. aurait pu être maintenu pendant deux ans grâce à une confirmation de travaux de chantier obtenue de G.__ pour un montant de 320’000 fr. Ils les ont écartés en considérant que la chronologie de l’établissement de ces documents interrogeait. De plus, il était étonnant que l’assuré, représenté par un mandataire professionnel, n’ait pas fait état d’un tel contrat dès la survenance de l’accident ou au stade de l’opposition, respectivement du dépôt du recours. Il était par ailleurs peu vraisemblable que C.__ Sàrl n’ait pas conclu ce contrat par écrit et n’ait pas fixé précisément les délais d’exécution voire de paiement par exemple, et qu’il n’ait pas été concrétisé par une garantie bancaire. Par appréciation anticipée des preuves, les juges cantonaux ont également renoncé à la réquisition de l’assuré de produire le dossier de C.__ Sàrl. De surcroît, l’avis de crédit pour un montant de 50’000 fr. ne permettait pas de déterminer dans quel contexte ce montant aurait été versé.

Consid. 5.1
[…] L’assuré fait d’abord référence aux salaires annuels qu’il réalisait en tant que salarié (figurant dans l’extrait de son compte individuel), qui avoisinaient les 91’000 fr. et qui constitueraient son revenu de valide. Toutefois, comme il avait quitté son emploi auprès de l’entreprise B.__ SA avant l’accident, pour des motifs étrangers à son état de santé, il ne saurait prétendre à ce qu’on prenne en considération le revenu qu’il réaliserait actuellement auprès de cet ancien employeur (cf. arrêt 9C_500/2020 du 1er mars 2021 consid. 4.1 et les références). Par ailleurs, la très courte durée de l’activité indépendante s’oppose en règle générale à ce que le revenu sans invalidité soit fixé sur le fondement des revenus figurant dans l’extrait du compte individuel.

 

Consid. 5.2
[…] Dans le domaine des assurances sociales, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’autorité (cf. art. 43 LPGA). Cette règle n’est toutefois pas absolue. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire (ATF 138 V 86 consid. 5.2.3). Cela comporte en particulier l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi la partie concernée s’expose à devoir supporter les conséquences de l’absence de preuve (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références; arrêts 8C_693/2020 du 26 juillet 2021 consid. 4.1; 8C_747/2018 du 20 mars 2019 consid. 2.2). Au surplus, la portée du principe inquisitoire est restreinte lorsque l’assuré est assisté d’un mandataire professionnel (ATF 138 V 86 consid. 5.2.3).

En l’occurrence, l’assurance-accidents n’a certes pas demandé les informations ou documents mentionnés par l’assuré. Toutefois, celui-ci était assisté d’un mandataire professionnel dès son opposition contre la décision du 20.02.2020 de l’assurance-accidents, dans laquelle il contestait déjà le revenu de valide. Or, il a omis de soulever ce grief voire de présenter les fiches salariales à l’appui de sa position dans la procédure d’opposition ainsi que devant l’instance cantonale. Dans de telles circonstances, le grief tiré d’une prétendue violation du devoir d’instruction s’avère mal fondé.

Pour ce qui est des fiches salariales de l’année 2019, la cour cantonale a retenu à juste titre qu’elles ne sont pas pertinentes pour la détermination du revenu sans invalidité dans le cas d’espèce.

 

Consid. 5.4
L’assuré invoque ensuite le principe de l’équivalence. Ce principe concerne le calcul des rentes et des indemnités journalières et prévoit que ce calcul doit partir du même revenu que celui sur la base duquel les primes sont prélevées (ATF 139 V 28 consid. 4.3.1 et les références). Selon l’art. 15 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1); est réputé gain assuré pour le calcul des indemnités journalières le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident, et est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (al. 2). Le gain assuré selon l’art. 15 LAA ne doit pas être confondu avec le revenu sans invalidité: tandis que le premier concerne le gain déterminant pour le calcul des rentes ou indemnités journalières et est établi sur la base du salaire concret que l’assuré a gagné avant l’accident, le deuxième est décisif pour le calcul du taux d’invalidité selon l’art. 16 LPGA et est un revenu purement hypothétique (cf. arrêt 8C_841/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.1.1; DORIS VOLLENWEIDER/ANDREAS BRUNNER, in: Basler Kommentar Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 7 ad art. 15 LAA), même s’il est évalué, autant que possible, sur la base des circonstances concrètes (cf. consid. 3.2 supra).

En l’espèce, la cour cantonale a retenu à juste titre que le principe d’équivalence n’était pas remis en cause, l’assuré ayant changé de statut seulement deux mois avant l’accident, de sorte qu’il n’avait pas eu le temps de percevoir le revenu qu’il avait projeté d’avoir. L’assuré ne peut rien déduire non plus en sa faveur du fait que l’assurance-accidents s’était basée, pour le calcul des indemnités journalières, sur le gain assuré de 91’000 fr. Au demeurant, contrairement à ce que semble soutenir l’assuré, il ne ressort nullement de l’arrêt 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 que le gain assuré serait déterminant pour fixer le revenu sans invalidité, le Tribunal fédéral s’y étant référé (au consid. 3.2) aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’AVS, conformément à la jurisprudence (cf. consid. 3.2 supra).

Consid. 5.5
En ce qui concerne enfin l’argument selon lequel l’OAI avait retenu, dans sa décision du 11.02.2021, un revenu sans invalidité de 91’000 fr., il convient de rappeler que bien que la notion d’invalidité soit en principe identique en matière d’assurance-invalidité et d’assurance-accidents, il n’en demeure pas moins que l’évaluation de l’invalidité par l’assurance-accidents n’a pas de force contraignante pour l’assurance-invalidité (ATF 133 V 549), tout comme l’assureur-accidents n’est pas lié par l’évaluation de l’invalidité de l’assurance-invalidité (ATF 131 V 362 consid. 2.3; arrêt 8C_66/2022 du 11 août 2022 consid. 4.3).

 

Consid. 6.2 (revenu d’invalide)
L’assuré conteste uniquement l’étendue de l’abattement opéré sur le salaire statistique. A titre d’exemple, il cite divers arrêts du Tribunal fédéral (8C_401/2018 du 16 mai 2019, 8C_311/2015 du 22 janvier 2016, 8C_823/2019 du 9 septembre 2020) et en déduit qu’un abattement de 10% apparaîtrait être la norme pour des assurés présentant des taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité entre 5 et 25% et étant en mesure d’assumer une activité à 100% dans un emploi adapté. Un tel abattement serait donc approprié à sa situation, vu qu’il présente un taux d’atteinte à l’intégrité de 7%, qu’il n’aurait exercé que des activités dans le domaine de la construction, qu’il serait sans formation et que sa maîtrise de la langue française serait limitée. Au surplus, l’office AI aurait également opéré un abattement de 10% sur le revenu d’invalide.

Consid. 6.3
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1; 132 V 393 consid. 3.3; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 6.4
On ne peut pas tirer une règle générale de quelques précédents en matière d’abattement sur le salaire statistique, ne serait-ce que parce que cette question doit être tranchée en fonction du cas particulier. En tout état de cause, l’assuré ne démontre pas en quoi l’existence d’une atteinte à l’intégrité de 7% devrait conduire à un abattement supérieur à 5%. Une telle réduction au titre du handicap dépend de la nature des limitations fonctionnelles et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (arrêt 8C_289/2021 du 3 février 2022 consid. 4.4). Concernant les limitations fonctionnelles, le médecin-conseil a indiqué que celles-ci étaient liées à la symptomatologie exacerbée lors des surcharges mécaniques du membre inférieur gauche, ce qui excluait les surcharges mécaniques, le port de charge régulière légère, le port de charge moyenne et lourde occasionnelle, le travail en terrain accidenté, le travail sur échafaudage, les montées et descentes d’escaliers et d’échelles régulières. Tandis que l’exigibilité en tant que maçon n’était plus donnée en pleine capacité et avec un plein rendement, une activité sédentaire était possible sans limitation de temps ni de rendement. Si de telles limitations excluent les travaux lourds, on ne voit pas qu’elles restreindraient de manière significative les activités légères, en tout cas pas dans une mesure qui justifierait un abattement supérieur à 5%. Quant à l’absence d’expérience et de formation et au fait que l’assuré avait travaillé pendant 28 ans pour le même employeur, ces facteurs ne jouent pas de rôle lorsque le revenu d’invalide a été déterminé en référence au salaire statistique auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives (arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.4; 8C_289/2021 du 3 février 2022 consid. 4.4; les deux avec références). Pour le surplus, l’assuré n’établit pas, ni même n’allègue, que la cour cantonale aurait omis de considérer les autres facteurs cités par la jurisprudence. Finalement, l’abattement de 10% opéré par l’office AI ne saurait lier l’assureur-accidents (cf. consid. 5.6 supra). Par conséquent, il n’y a pas lieu de revenir sur l’abattement de 5% opéré par l’assurance-accidents et confirmé par la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_39/2022 consultable ici

 

8C_716/2021 (f) du 12.10.2022, destiné à la publication – Abattement en raison de l’âge – Rappel de la jurisprudence – Pas d’abattement en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA (question enfin tranchée) / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_716/2021 (f) du 12.10.2022, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon ESS, niveau de compétences 2 – Absence d’abattement pour les limitations fonctionnelles dans le cas concret / 16 LPGA

Age avancé de l’assuré en LAA (64 ans et 8 mois in casu) / 28 al. 4 OLAA

Abattement en raison de l’âge – Rappel de la jurisprudence – Pas d’abattement en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA (question enfin tranchée)

Question de l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA et de l’art. 20 al. 2ter LAA (réduction de la rente à l’âge de la retraite) laissée ouverte

 

Assuré, né en 1955, titulaire d’un CAP en menuiserie du bâtiment et monteur de faux-planchers indépendant, a chuté à VTT le 15.06.2019, s’est réceptionné sur sa jambe droite et s’est blessé au genou droit. Par la suite, l’assuré a bénéficié de la pose d’une prothèse totale du genou droit. Après un examen du 22.05.2020, le médecin-conseil a considéré que l’état de santé était stabilisé et a précisé que l’exigibilité actuelle était de 80% et serait de 100% sans perte de rendement dans deux mois. Il a retenu les limitations fonctionnelles suivantes: pas de position à genoux, pas d’accroupissements-relèvements fréquents, pas de travail sur des échelles, pas de montée et descente d’escaliers, pas de soulèvement de charges supérieures à 30 kg. De plus, il a évalué l’atteinte à l’intégrité à 30%.

Par décision du 31.07.2020, confirmée sur opposition le 28.09.2020, la CNA a reconnu à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 30%. En revanche, elle a nié un droit à une rente d’invalidité, le taux d’invalidité de 4% résultant de la comparaison des revenus étant insuffisant pour ouvrir le droit à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1041/2021 – consultable ici)

Pour déterminer le revenu d’invalide, les juges cantonaux se sont référés aux données statistiques de l’ESS 2018 en prenant pour base le salaire versé à un homme dans le secteur privé avec un niveau de compétences 2. Ils ont constaté que l’assuré était âgé de 64 ans et huit mois au moment où l’assurance-accidents avait cessé de verser les indemnités journalières et qu’il lui restait donc quatre mois avant d’arriver à l’âge de la retraite AVS. Un engagement limité à une période aussi courte paraissait peu compatible avec les activités du niveau de compétence 2, auquel l’assuré avait été rattaché, qui impliquaient que l’employeur octroie une certaine formation à l’assuré. Par ailleurs, on ne voyait pas quels éléments personnels ou professionnels seraient de nature à compenser le critère de l’âge combiné avec les limitations fonctionnelles que présentait l’assuré. En tenant compte de ces deux facteurs, il y avait lieu d’appliquer un abattement de 10%, qui, au vu de l’ensemble des circonstances, était une appréciation plus appropriée que celle retenue par l’assurance-accidents. Il en résultait un revenu d’invalide de 64’751 fr., et la comparaison avec le salaire sans invalidité (repris de la décision sur opposition) de 75’000 fr. menait à un taux d’invalidité arrondi de 14%, ouvrant le droit à une rente d’invalidité.

Par jugement du 07.10.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 14%.

 

TF

Consid. 5.2
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 5.3
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêts 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 3.3; 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.3.1, in: SVR 2019 UV n° 5 p. 18).

Consid. 5.4
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 5.5
Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le tribunal des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 précité consid. 5.2 et l’arrêt cité).

Consid. 6
Concernant l’abattement pour les limitations fonctionnelles, on rappellera qu’une réduction au titre du handicap dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêts 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1; 8C_118/2021 du 21 décembre 2021 consid. 6.3.1). En l’espèce, force est de constater – avec l’assurance-accidents – que l’assuré n’est pas restreint, par ses limitations fonctionnelles, aux activités légères ni même moyennes; il peut travailler tant en position assise que debout, se déplacer librement et ne souffre d’aucune restriction au niveau des membres supérieurs. Les activités pratiques ressortant du niveau de compétence 2, qui restent exigibles de sa part, sont ainsi compatibles avec son état de santé. Au demeurant, la juridiction cantonale ne démontre pas que l’assuré ne pourrait mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché équilibré de travail qu’avec un résultat inférieur à la moyenne. Or, dès lors que le type d’activités adaptées entrant en ligne de compte respecte les restrictions physiques de l’assuré, une déduction sur le salaire statistique ne se justifie pas pour tenir compte des circonstances liées à son handicap.

 

Consid. 7.1
La cour cantonale ayant motivé l’abattement non seulement par les limitations fonctionnelles, mais également par l’âge avancé de l’assuré, il convient d’examiner si l’art. 28 al. 4 OLAA est applicable et quel serait le rapport de cette disposition avec un abattement à cause de l’âge. Les juges cantonaux ont certes évoqué cette disposition, mais ne se sont pas prononcés sur son application et n’ont pas spécifié les conclusions éventuelles devant en être tirées.

Consid. 7.2
Sur la base de la délégation législative de l’art. 18 al. 2 LAA, le Conseil fédéral a édicté l’art. 28 OLAA, qui contient des prescriptions particulières pour l’évaluation de l’invalidité dans des cas spéciaux. L’art. 28 al. 4 OLAA dispose que si, en raison de son âge, l’assuré ne reprend pas d’activité lucrative après l’accident ou si la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus de l’activité lucrative déterminants pour l’évaluation du degré d’invalidité sont ceux d’un assuré d’âge moyen dont la santé a subi une atteinte de même gravité pourrait réaliser.

Cette disposition vise deux situations: celle où l’assuré, en raison de son âge, ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident (variante I) et celle où l’atteinte à la capacité de gain a principalement pour origine l’âge avancé de l’assuré (variante II). L’assuré qui remplit l’un ou l’autre cas de figure ne touchera alors une rente d’invalidité que dans la mesure où une telle rente serait octroyée dans les mêmes conditions à un assuré d’âge moyen présentant les mêmes capacités professionnelles et les mêmes aptitudes personnelles. Ce système repose sur la considération qu’une même atteinte à la santé peut entraîner chez une personne âgée des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain que chez une personne d’âge moyen pour diverses raisons (difficultés de reclassement ou de reconversion professionnels, diminution des capacités d’adaptation et d’apprentissage), alors que l’âge en tant que tel n’est pas une atteinte à la santé dont l’assureur-accidents doit répondre (ATF 122 V 418 consid. 3a; arrêt 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.1; voir également PETER OMLIN, Die Invalidität in der obligatorischen Unfallversicherung, 1995, p. 235 ss.; ANDRÉ GHÉLEW/OLIVIER RAMELET/JEAN-BABTISTE RITTER, Commentaire de la loi sur l’assurance-accidents [LAA], 1992, p. 103).

La deuxième variante est également applicable lorsque l’âge avancé n’est pas un facteur qui a une incidence sur l’exigibilité, mais qu’il est malgré tout un obstacle à la mise en valeur de la capacité résiduelle de gain, notamment parce qu’aucun employeur n’est disposé à engager un employé présentant des atteintes à la santé pour un laps de temps très court avant l’ouverture de son droit à une rente de l’AVS (arrêts 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.2.2; 8C_346/2013 du 10 septembre 2013 consid. 4.2; 8C_806/2012 du 12 février 2013 consid. 5.2.2; MARC HÜRZELER/CLAUDIA CADERAS, in: Marc Hürzeler/Ueli Kieser [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, N. 42 ad art. 18 LAA). Il s’agit d’empêcher l’octroi de rentes d’invalidité qui comporteraient, en fait, une composante de prestation de vieillesse (cf. OMLIN, op. cit., p. 249 avec les références). On rappellera que les rentes ont un caractère viager (cf. toutefois le nouvel art. 20 al. 2ter LAA, en vigueur depuis le 1er janvier 2017; cf. consid. 8.4 infra). L’âge moyen est de 42 ans ou, du moins, se situe entre 40 et 45 ans, tandis que l’âge avancé est d’environ 60 ans; il ne s’agit toutefois que d’un ordre de grandeur et non d’une limite absolue (ATF 122 V 418 consid. 1b; arrêts 8C_205/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.4; U 106/89 du 13 août 1990 consid. 4d et e, in: RAMA 1990 n° U 115 p. 389). La comparaison des revenus d’un assuré d’âge moyen comprend aussi bien le revenu sans invalidité que le revenu d’invalide (ATF 114 V 310 consid. 2 in fine; arrêt 8C_554/2017 du 4 juillet 2018 consid. 3.3.1; OMLIN, op. cit., p. 256).

Consid. 7.3
En l’espèce, l’assuré était âgé de 64 ans et huit mois au moment de l’ouverture du droit à la rente, et il ne lui restait que quatre mois d’activité professionnelle jusqu’à l’âge de la retraite AVS. Il ressort des constatations de l’arrêt attaqué qu’il s’était opposé à la décision initiale de l’assurance-accidents pour le motif principal qu’il n’envisageait pas de pouvoir se former et reprendre une nouvelle activité pour seulement quelques mois. En outre, il demandait (à tort) l’octroi d’une rente d’invalidité de l’assurance-accidents jusqu’au 31.12.2020 uniquement, soit jusqu’au moment où il aurait atteint l’âge de retraite. Par ailleurs, la cour cantonale a retenu qu’il paraissait peu compatible avec un engagement limité à une période de quatre mois qu’un employeur octroie une certaine formation – impliquée par les activités du niveau de compétence 2 – à l’assuré. Ainsi, la conclusion s’impose que l’assuré n’a pas repris d’activité lucrative principalement à cause de son âge avancé. On est donc de toute évidence en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA.

 

Consid. 8.1
L’application de l’art. 28 al. 4 OLAA étant admise, il sied d’examiner son rapport avec l’abattement à cause de l’âge.

Consid. 8.2
A ce propos, on rappellera d’abord que, selon la jurisprudence, l’âge d’un assuré ne constitue pas en soi un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Le Tribunal fédéral a insisté sur ce point et a affirmé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels tels que la formation et l’expérience professionnelles de l’assuré concerné (voir l’arrêt 8C_439/2017 du 6 octobre 2017, dans lequel il a été jugé, à propos d’un assuré ayant atteint 62 ans à la naissance du droit à la rente, qu’il n’y avait pas d’indices suffisants pour retenir qu’un tel âge représentait un facteur pénalisant par rapport aux autres travailleurs valides de la même catégorie d’âge, eu égard aux bonnes qualifications professionnelles de celui-ci; arrêt 8C_405/2021 du 9 novembre 2021 consid. 6.4.1).

Consid. 8.3
On soulignera également que l’âge avancé d’un assuré – comme facteur prépondérant à son empêchement de maintenir sa capacité de gain – n’est pas pris en considération de la même manière en assurance-invalidité et en assurance accidents, dans laquelle l’art. 28 al. 4 OLAA, en lien avec l’art. 18 al. 2 LAA, commande de faire abstraction du facteur de l’âge pour les deux termes de la comparaison des revenus, et que l’art. 28 al. 4 OLAA vise à empêcher l’octroi de rentes d’invalidité de l’assurance-accidents qui comporteraient, en fait, une composante de prestation de vieillesse (arrêt 8C_37/2017 du 15 septembre 2017 consid. 6.1, cf. consid. 7.2 supra). Le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, l’âge avancé constitue un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA (cf. arrêts 8C_219/2022 du 2 juin 2022, consid. 6.7.2; 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 8C_597/2020 du 16 juin 2021 consid. 5.2.5; 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5, in: SVR 2018 UV n° 40 p. 145).

Consid. 8.4
Dans le cadre de la révision de la LAA du 25 septembre 2015 (Assurance-accidents et prévention des accidents, en vigueur depuis le 1er janvier 2017 [RO 2016 4375; FF 2008 4877, FF 2014 7691]), le législateur a introduit un nouvel art. 20 al. 2ter LAA, dont la teneur est la suivante: « Lorsque l’assuré atteint l’âge ordinaire de la retraite, la rente d’invalidité visée à l’al. 1 et la rente complémentaire visée à l’al. 2, allocations de renchérissement comprises, sont réduites comme suit, en dérogation à l’art. 69 LPGA, pour chaque année entière comprise entre le jour où il a eu 45 ans et le jour où l’accident est survenu: (a) pour un taux d’invalidité de 40% ou plus: de 2 points de pourcentage, mais de 40% au plus; (b) pour un taux d’invalidité inférieur à 40%: de 1 point de pourcentage, mais de 20% au plus. »

Selon le message du Conseil fédéral, les règles de réduction de l’art. 20 al. 2ter LAA devraient s’ajouter au correctif prévu à l’art. 28 al. 4 OLAA (message additionnel relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-accidents [Assurance-accidents et prévention des accidents; organisation et activités accessoires de la CNA] du 19 septembre 2014, FF 2014 p. 7716). Comme les deux règles poursuivent en principe le même but, soit d’éviter une surindemnisation à cause de l’âge avancé de l’assuré, et que la loi a été modifiée ultérieurement, certains auteurs suggèrent d’examiner si, et dans quelle mesure, la disposition contenue dans l’ordonnance serait toujours nécessaire pour atteindre ce but (THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 83 ad art. 18 LAA; PHILIPP GEERTSEN, Das Komplementärrentensystem der Unfallversicherung zur Koordination von UVG-Invalidenrenten mit Rentenleistungen der I. Säule [Art. 20 Abs. 2 UVG], 2011, p. 340; MARC HÜRZELER/CLAUDIA CADERAS, in: Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, n° 38 ad art. 18 LAA). La question n’a pas à être examinée en l’espèce, la rente de l’assuré ne pouvant pas être réduite selon l’art. 20 al. 2ter LAA (cf. al. 2 des dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015). On retiendra néanmoins que, par cette disposition, le législateur a réitéré sa volonté d’éviter une surindemnisation à cause de l’âge avancé de l’assuré.

Consid. 8.5
Pour atteindre son objectif, l’art. 28 al. 4 OLAA commande qu’on calcule le taux d’invalidité sur la base des revenus (sans et avec invalidité) hypothétiques que pourrait obtenir un assuré d’âge moyen, et que – contrairement à l’art. 16 LPGA – on fasse ainsi abstraction de l’incapacité de travail due à l’âge avancé de l’assuré (cf. ATF 114 V 310 consid. 3b; arrêt U 60/87 du 12 avril 1988 consid. 2; OMLIN, op. cit., p. 255 et 257; cf. consid. 7.2 supra). Or, dès lors que l’on doit s’appuyer sur les valeurs salariales d’un assuré d’âge moyen, une influence pénalisante de l’âge avancé sur le salaire ne peut par définition pas entrer en ligne de compte. Il s’ensuit qu’un abattement à cause de l’âge avancé d’un assuré ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA.

 

Consid. 9.1
Finalement, il sied d’examiner les revenus (avec et sans invalidité) devant être pris en compte en l’espèce. Dans le cadre de l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA, la comparaison des revenus pour l’évaluation du taux d’invalidité doit être établie avec une personne d’âge moyen ayant les mêmes capacités professionnelles et aptitudes personnelles que l’assuré. Est déterminant, pour fixer (de manière hypothétique) le revenu réalisable sans invalidité et le revenu d’invalide, le gain que cette personne pourrait obtenir en exerçant une activité raisonnablement exigible, compte tenu des possibilités que lui offre un marché du travail équilibré (ATF 114 V 310 consid. 4a; cf. consid. 7.2 et 8.5 supra).

Consid. 9.2
A l’instar de l’assurance-accidents, la juridiction cantonale a déterminé le revenu avec invalidité en appliquant les valeurs statistiques de l’ESS. Il a déjà été retenu que l’abattement de 10% opéré par la cour cantonale à cause de l’âge et des limitations fonctionnelles ne peut pas être confirmé, de sorte qu’il en résulte un revenu avec invalidité de 71’946 fr.

Consid. 9.3
En ce qui concerne le revenu sans invalidité, la cour cantonale a suivi l’assurance-accidents, qui a fixé le revenu sans invalidité à 75’000 fr. sur la base du « contrat AFC », ce que l’assuré n’a pas remis en question. Or les pièces au dossier ne permettent pas de vérifier si ce revenu équivaut à un salaire que pourrait réaliser un assuré d’âge moyen étant dans la même situation professionnelle (soit travaillant comme monteur de faux-planchers indépendant) et disposant des mêmes qualifications (soit principalement d’un CAP en menuiserie de bâtiment). Il s’ensuit que le recours doit être partiellement admis, l’arrêt cantonal annulé et la cause renvoyée à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire sur la question du revenu hypothétique sans invalidité qui doit être pris en considération. Après quoi, l’assurance-accidents rendra une nouvelle décision sur le droit à la rente de l’assuré.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_716/2021 consultable ici

 

9C_42/2022 (d) du 12.07.2022 – Revenu d’invalide selon ESS – Rappel de la jurisprudence relative aux absences non prévisibles et difficilement calculables en raison d’une maladie

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_42/2022 (d) du 12.07.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Révision de la rente d’invalidité – Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA – 17 LPGA

Rappel de la jurisprudence relative aux absences non prévisibles et difficilement calculables en raison d’une maladie – Abattement de 10% admis pour une maladie de Crohn

 

Assurée, née en 1983, au bénéfice d’un quart de rente AI (taux d’invalidité 47%) depuis le 01.06.2016 (arrêt du TF 9C_578/2017 du 31.10.2017).

Procédure de révision d’office initiée en juillet 2019. Expertise médicale pluridisciplinaire mise en œuvre (rapport du 31.12.2020). Sur la base de cette expertise, l’office a fixé le taux d’invalidité à 57% et a octroyé une demi-rente d’invalidité à compter du 01.07.2019.

 

Procédure cantonale (IV.2021.109 – consultable ici)

Le tribunal cantonal est arrivé à la conclusion qu’il fallait considérer que l’assurée ne pouvait plus exercer qu’à hauteur de 40% une activité adaptée à son état de santé (tâches physiquement légères ou tout au plus occasionnellement moyennement lourdes avec manipulation de charges de 5 à 7 kg, tout au plus occasionnellement jusqu’à 12 kg, sans activité impliquant de s’accroupir ou de s’agenouiller de manière répétée, sans travail nécessitant l’utilisation répétée d’échelles, d’escaliers ou d’échafaudages, sans travail impliquant des mouvements répétitifs pour les bras ainsi que sans activité nécessitant de marcher fréquemment sur un sol inégal) depuis fin 2018/début 2019. Le revenu d’invalide a été fixé à CHF 19’832, après prise en compte d’un abattement de 10% (contrairement à l’approche de l’office AI). Après comparaison avec le revenu sans invalidité de CHF 52’135, il en résultait un taux d’invalidité de 62%.

Par jugement du 20.10.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, octroyant un trois-quarts de rente AI dès le 01.07.2019.

 

TF

Consid. 4.2
[…] La jurisprudence accorde notamment un abattement sur le revenu d’invalide lorsqu’une personne assurée est limitée dans ses capacités, même dans le cadre d’une activité d’auxiliaire physiquement légère (ATF 126 V 75 consid. 5a/bb). Il convient toutefois de noter que d’éventuelles restrictions liées à la santé déjà incluses dans l’évaluation de la capacité de travail médicale ne doivent pas être prises en compte en plus dans l’appréciation de l’abattement et ainsi conduire à une double prise en compte du même point de vue (ATF 146 V 16 consid. 4.1 et la référence).

Consid. 4.4.1
La cour cantonale a motivé sa décision de procéder à un abattement par le fait que l’état de santé de l’assurée, en particulier en ce qui concerne la maladie de Crohn, s’était incontestablement détérioré depuis la dernière évaluation, ce qui, dans le sens d’interactions, influençait également le tableau psychique (trouble dépressif). Le droit à la rente – et donc la question de l’abattement – peut donc être réexaminé de manière globale (« allseitig »), sans être lié aux évaluations précédentes de l’invalidité. Le fait que, dans le cadre du jugement précédant, un abattement ait été considérée comme non indiqué ne s’oppose donc pas à une réévaluation à cet égard. Etant donné qu’en raison de la maladie de Crohn diagnostiquée chez l’assurée, il faut s’attendre à des arrêts de travail imprévisibles et donc non planifiables en raison de la nécessité d’aller de plus en plus souvent aux toilettes, une déduction de 10% semble appropriée, compte tenu de la jurisprudence en la matière.

Consid. 4.4.2
L’office AI rétorque en substance qu’il ne ressort pas du dossier disponible que les poussées de la maladie de Crohn auraient déjà entraîné ou pourraient continuer à entraîner des absences au travail imprévisibles et donc pertinentes pour l’abattement. La possibilité d’un abattement n’existe que dans les cas où des absences imprévisibles dues à des poussées d’une maladie se sont déjà produites concrètement et où il faut s’attendre à des absences répétées pour cause de maladie. Un simple risque d’absence ne justifie pas encore un abattement sur le salaire statistique. En outre, les restrictions de santé causées par la maladie de Crohn et les interactions entre celles-ci et le trouble dépressif ont déjà été prises en compte dans l’évaluation consensuelle de l’assurée par les experts, à savoir une incapacité de travail de 60%. Tous les facteurs limitatifs liés à la santé ont ainsi été pris en compte. Vouloir les prendre en compte dans le cadre de la discussion sur l’abattement reviendrait à les prendre en compte deux fois, ce qui n’est pas admissible selon la jurisprudence.

Consid. 4.5
Les absences régulières du poste de travail pour cause de maladie doivent en principe être prises en compte lors de la détermination de l’étendue de la capacité de travail raisonnablement exigible (arrêts 8C_179/2018 du 22 mai 2018 consid. 4.2, 8C_631/2017 du 23 janvier 2018 consid. 4.4.1, 9C_414/2017 du 21 septembre 2017 consid. 4.3 et 9C_462/2007 du 25 janvier 2008 consid. 3.2.2). En revanche, des absences non prévisibles et difficilement calculables, telles que celles causées par des poussées de maladie, peuvent justifier un abattement sur le salaire statistique (cf. notamment l’arrêt 9C_439/2020 du 18 août 2020 consid. 4.5.2 et les références).

Consid. 4.5.1
Une telle constellation a par exemple été admise en cas de crises psychotiques aiguës (arrêt 9C_439/2020 du 18 août 2020 consid. 4.5.2 s.), en cas de douleurs abdominales récurrentes (arrêt 8C_179/2018 du 22 mai 2018 consid. 4.2), en cas de troubles respiratoires survenant par poussées à la suite d’un asthme (arrêt 9C_728/2009 du 21 septembre 2010 consid. 4.3.1, in : SVR 2011 IV no 31 p. 90) ainsi qu’en cas d’attaques de panique (arrêt 9C_462/2007 du 25 janvier 2008 consid. 3.2.2). Le Tribunal fédéral a également considéré comme justifié un abattement le fait qu’un assuré devait utiliser plusieurs fois par jour un cathéter pour évacuer l’urine accumulée dans sa vessie en raison d’un dysfonctionnement de la vessie (auto-sondage [arrêt 9C_368/2009 du 17 juillet 2009 consid. 2.3.2 s.]).

En revanche, le Tribunal fédéral a nié l’application d’un abattement dans le cas d’une maladie du côlon sous traitement médicamenteux sous forme de colite ulcéreuse, qui était paucisymptomatiques (avec peu de symptômes) et ne présentait que de rares poussées (arrêt 9C_414/2017 du 21.09.2017 consid. 4.3), ni d’une cachexie pulmonaire, sur la base desquelles on ne pouvait pas considérer au degré de la vraisemblance prépondérante que la personne assurée devait actuellement s’attendre à des interruptions de travail (arrêt 9C_200/2017 du 14 novembre 2017 consid. 4.4).

Consid. 4.5.2
En résumé, pour qu’une déduction puisse être accordée sous ce titre – absences pour raisons de santé non prévisibles et difficilement calculables – il doit exister des circonstances qui augmentent très concrètement le risque d’absences au travail pour cause de maladie (maladie à poussées, auto-sondage plusieurs fois par jour, etc.)

Consid. 4.6
Les documents démontrent qu’il y a déjà eu par le passé des poussées de la maladie de Crohn au sens de crises de diarrhée survenant pendant la journée. On peut en déduire que l’assurée, en exerçant une activité à 40%, ce qui est en principe raisonnablement exigible, devra se rendre fréquemment et soudainement aux toilettes en raison de sa maladie. Une occupation professionnelle appropriée dans le cadre de l’exigibilité est donc conditionnée au fait qu’il y ait des toilettes à proximité immédiate du lieu de travail et que l’assurée puisse les utiliser à tout moment en cas de besoin. Cette circonstance représente un désavantage évident par rapport aux personnes qui peuvent régulièrement mettre en œuvre leur capacité de travail dans la même mesure temporelle, par exemple à mi-temps avec un rendement à 100% ou à plein temps à rendement réduit, et exige de la part d’un employeur une complaisance correspondante ou éventuellement une diminution du salaire.

Le fait qu’il n’y ait pas eu jusqu’à présent d’arrêts de travail de longue durée ne change rien à ce résultat. Il ne s’agit pas de simples absences hypothétiques au travail (« simple risque d’absence »), mais d’interruptions nécessaires et établies du travail quotidien, dont la durée et l’intensité ne sont pas prévisibles. Cet aspect n’a pas non plus été pris en compte dans l’expertise, puisque seule la limitation due à une fatigue prononcée et (par conséquent) à une capacité de travail réduite y est mentionnée en rapport avec la capacité de travail.

Dans ce contexte, un abattement de 10% se justifie et une telle déduction ne s’avère pas contraire au droit fédéral. Il convient donc de s’en tenir à l’arrêt attaqué.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_42/2022 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 9C_42/2022 (d) du 12.07.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/09/9c_42-2022)

 

8C_167/2022 (d) du 18.08.2022 – Maladie professionnelle – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Absences non prévisibles et difficilement calculables – Abattement de 10%

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_167/2022 (d) du 18.08.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Maladie professionnelle – Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Absences non prévisibles et difficilement calculables – Abattement de 10%

Arrondissement du taux d’invalide – Rappel de la jurisprudence

 

Assurée, née en 1967, travaillait depuis le 01.04.2004 comme cheffe du service de nettoyage pour un hôpital. En août 2012, des éruptions cutanées sont apparues pour la première fois sur le cou, le décolleté et le front. Le 17.03.2014, la dermatologue traitant a indiqué à l’employeur qu’un test épicutané avait révélé une sensibilisation à certains produits. L’assurance-accidents a reconnu la sensibilisation aux produits de nettoyage incriminés comme maladie professionnelle. L’assurance-accidents a rendu une décision d’inaptitude pour les activités dans le service de nettoyage. Elle a en outre versé les prestations légales (traitement médical, indemnités journalières, indemnités journalières de transition et indemnités pour changement d’occupation).

Se fondant sur une expertise dermatologique du 01.03.2018 demandée par l’assurance-invalidité, l’assurance-accidents a refusé le droit à une rente d’invalidité (taux d’invalidité de 7,52%) et à une indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2021.15)

Il ressort de l’expertise dermatologique que l’assurée est sensible, entre autres, à la colophane, au mélange de parabènes, à la tertiobutylhydroquinone, au gallate d’octyle, à la cocamidopropylbétaïne et aux produits de nettoyage (Sani Clonet W4f et Jontec 300). Se fondant sur les documents médicaux, le tribunal cantonal a estimé que seule la sensibilisation aux produits de nettoyage pouvait être reconnue comme maladie professionnelle, au degré de la vraisemblance prépondérante. Une capacité de travail de 100% a été retenue dans une activité adaptée, à savoir dans celle dans laquelle une éviction systématique des allergènes pouvait être prise en compte. Le tribunal cantonal a ensuite fixé le revenu d’invalide à CHF 49’212, sur la base de l’ESS 2018 (tableau TA1, niveau de compétence 1, femmes). Contrairement à l’assurance-accidents, l’instance cantonale a tenu compte d’un abattement de 10%. Comparé au revenu sans invalidité de CHF 59’558 – non contesté –, il subsistait un taux d’invalidité de 17.4%.

Par jugement du 20.10.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, octroyant à l’assurée une rente d’invalidité basée sur un taux d’invalidité de 17.4% à compter du 01.02.2018.

 

TF

Consid. 5.3.1
Selon la jurisprudence, des absences non prévisibles et difficilement calculables, telles que celles provoquées par des poussées de la maladie, peuvent justifier un abattement sur le salaire statistique. Il faut pour cela qu’il existe des circonstances qui augmentent très concrètement le risque d’absences au travail pour cause de maladie (arrêt 9C_42/2022 du 12 juillet 2022 consid. 4.5 et consid. 4.5.2 ; cf. également la casuistique du consid. 4.5.1 de l’arrêt précité). Les experts dermatologues sont certes partis du principe que l’on pouvait s’attendre à une bonne situation cutanée constante grâce à une éviction systématique des allergènes, au respect des mesures de protection énumérées et à une application régulière et constante de crème émolliente. Les experts ont en outre constaté que l’assurée devait en principe être considérée comme pleinement apte au travail dans des activités qui tiennent compte de l’exigence d’une éviction des allergènes. Toutefois, les experts considèrent – outre la sensibilisation aux produits de nettoyage – qu’une diminution de la capacité de travail, en termes de temps ou de performance [rendement], est également possible en raison de la sensibilisation aux autres substances, si le contact avec les allergènes provoque une recrudescence des troubles. L’expertise ne précise pas à quelle fréquence ni comment il faut s’attendre concrètement à ce que cela se produise. Il ressort du dossier médical que l’assurée a continué à présenter des troubles allergiques après avoir cessé son activité de nettoyage : Dans son rapport d’évolution du 09.03.2016, la dermatologue traitante a décrit que l’assurée, après avoir commencé en février 2016 un stage de vente initié par l’assurance-chômage, s’était présentée les 01.03.2016 et 04.03.2016 avec des lésions cutanées érythémateuses squameuses prononcées au niveau du visage et du cou au sens d’une dermatite exacerbée. Ces troubles ont entraîné une incapacité de travail de dix jours. Le 30.10.2018, la dermatologue traitante a ensuite indiqué que des exacerbations d’eczéma se produisaient régulièrement au contact de substances odorantes dans les lieux publics, lors d’achats ou dans les transports en commun, lors de travaux humides, au contact de la poussière et de la vapeur, parfois aussi dans l’environnement domestique. Selon la décision sur opposition, les substances allergènes sont également présentes – en partie « cachées » – dans de « nombreux matériaux utilisés quotidiennement », des médicaments, des cosmétiques et des denrées alimentaires. Dans ce contexte, la conclusion de l’instance cantonale, selon laquelle l’assurée – que ce soit en raison d’un contact avec des allergènes sur son lieu de travail ou dans sa vie privée – pourrait à nouveau, avec un certain risque, être absente dans le cadre d’un nouvel emploi (adapté), n’apparaît en tout cas pas contraire au droit fédéral. Il en va de même pour la prise en compte de cette circonstance dans la question de l’abattement sur le salaire statistique.

Consid. 5.3.2
On peut laisser ouverte la question de savoir si l’instance cantonale a tenu compte à tort des autres caractéristiques dans son estimation globale de l’abattement. Même si cela devait être le cas, il ne faudrait pas se baser sur l’abattement de la cour cantonale et la réduire. Le Tribunal fédéral devrait plutôt procéder à une nouvelle estimation globale de l’abattement sur la base des critères retenus à juste titre (arrêt 9C_14/2022 du 21 juillet 2022 consid. 5.3.1). Dans les cas où la jurisprudence a retenu un abattement en raison d’absences non prévisibles et difficilement calculables, celle-ci s’élevait à chaque fois à 10% (arrêts 9C_42/2022 du 12 juillet 2022 consid. 4.6 ; 9C_439/2020 du 18 août 2020 consid. 4.5.4 ; 8C_179/2018 du 22 mai 2018 consid. 4.2). Cela semble en fin de compte également approprié en l’espèce, de sorte que l’abattement retenu par le tribunal cantonal et le revenu d’invalide de CHF 49’212 qui en résulte s’avèrent en fin de compte conformes au droit fédéral. Le taux d’invalidité est de 17.4%.

Consid. 5.4
Le degré d’invalidité doit être arrondi au pourcentage supérieur ou inférieur selon les règles mathématiques reconnues. Pour un résultat jusqu’à x.49… %, il faut donc arrondir à x % (ATF 130 V 121 consid. 3.2). Cela vaut également dans l’assurance-accidents, même si l’arrondi à l’unité supérieure ou inférieure (hormis la valeur de référence de 10% [cf. art. 18 al. 1 LAA]) représente une perte ou un gain de quelques francs sur le montant mensuel de la rente en raison de l’arrondissement (ATF 130 V 121 consid. 3.3). En n’arrondissant pas le degré d’invalidité à 17%, mais en accordant à l’assurée une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 17.4%, l’instance cantonale a violé le droit fédéral. Par conséquent, l’assurée a droit à une rente d’invalidité basée sur un taux d’invalidité de 17% à partir du 01.02.2018.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_167/2022 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_167/2022 (d) du 18.08.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/09/8c_167-2022)

 

8C_679/2020 (f) du 01.07.2021 – Détermination du revenu sans invalidité et du nombre d’heures hebdomadaires de travail (selon CCT) / Revenu d’invalide selon ESS –Abattement 0% – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_679/2020 (f) du 01.07.2021

 

Consultable ici

 

Détermination du revenu sans invalidité et du nombre d’heures hebdomadaires de travail (selon CCT) / 16 LPGA

Revenu d’invalide selon ESS –Abattement 0% / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1960, isoleur, a reçu le 15.11.2017 un paquet d’isolation sur le dos. Les examens d’imagerie de la colonne dorsale réalisés le jour même ont mis en évidence une fracture comminutive peu déplacée du processus épineux de la vertèbre C7, une fracture non déplacée de la 1e côte à gauche, un tassement cunéiforme de la vertèbre D5 et un bon alignement vertébral. Un traitement conservateur a été instauré.

La tentative de reprise de l’activité professionnelle ayant échoué, le médecin d’arrondissement a considéré, au vu de l’aspect physique de la profession d’isoleur et des douleurs persistantes, qu’un changement d’activité professionnelle était à envisager. Le 10.04.2019, ce même médecin a précisé qu’il n’y avait plus de capacité de travail dans la profession d’isoleur; l’assuré était par contre à même d’exercer une activité professionnelle adaptée, à la journée entière et sans baisse de rendement.

Les mesures d’ordre professionnel de l’assurance-invalidité ont pris fin le 28.07.2019, avec un résultat d’exigibilité totale dans une activité adaptée respectant les limitations fonctionnelles. Par décision du 17.12.2019, l’office AI a refusé d’accorder une rente d’invalidité à l’assuré au motif que celui-ci ne présentait qu’un taux d’invalidité de 8%.

Par décision du 15.10.2019, confirmée sur opposition le 18.11.2019, l’assurance-accidents a nié tout droit à une rente d’invalidité dans la mesure où l’assuré ne subissait aucune perte de gain, le revenu d’invalide de 67’743 fr. dépassant le revenu de 63’514 fr. qu’il réaliserait sans l’accident. Par la même décision, elle lui a accordé une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 5%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/814/2020 – consultable ici)

Par jugement du 29.09.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité basée sur un taux d’invalidité de 11% à partir du 01.08.2019.

 

TF

Consid. 5.1
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il convient d’établir ce que l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. Partant de la présomption que l’assuré aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité, ce revenu se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en prenant en compte également l’évolution des salaires jusqu’au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 135 V 297 consid. 5.1; 134 V 322 consid. 4.1; 129 V 222 consid. 4.3.1). Le salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré comprend tous les revenus d’une activité lucrative (y compris les gains accessoires et la rémunération des heures supplémentaires effectuées de manière régulière) soumis aux cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants (AVS; arrêt 8C_574/2019 du 28 février 2020 consid. 3 et la référence). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (ATF 133 V 549 consid. 6.1; arrêt 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.2.2). On rappellera cependant que l’évaluation de l’invalidité par l’assurance-invalidité n’a pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (ATF 131 V 362 consid. 2.3); de même, l’assurance-invalidité n’est pas liée par l’évaluation de l’invalidité de l’assurance-accidents au sens de l’ATF 126 V 288 (ATF 133 V 549; arrêt 8C_239/2020 du 19 avril 2021 consid. 8.2).

Pour établir le salaire réalisé en dernier lieu et son évolution subséquente, on se fondera en premier lieu sur les renseignements fournis par l’employeur (arrêt 8C_443/2018 du 30 janvier 2019 consid. 2.1; THOMAS FLÜCKIGER, Basler Kommentar UVG, 2019, n° 21 ad art. 18 LAA). Tant pour les personnes salariées que pour celles de condition indépendante, on peut également se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’AVS (arrêt 8C_443/2018 du 30 janvier 2019 consid. 2.1; FLÜCKIGER, loc. cit.; cf. arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.2.2; 8C_9/2009 du 10 novembre 2009, in SVR 2010 IV n° 26 p. 79).

Consid. 5.2.1
L’assurance-accidents avait établi le revenu sans invalidité (63’514 fr.) sur la base de la déclaration de sinistre, soit une durée de travail hebdomadaire de 41 heures à 26 fr. bruts l’heure, pour 52 semaines par an, part au 13e salaire en sus, et sur la base des renseignements de l’ancien employeur concernant les augmentations de 0.89 fr. par heure pour l’année 2018 et 0.61 fr. par heure pour 2019.

Consid. 5.2.2
Les juges cantonaux ont considéré que, par ce calcul, l’assurance-accidents paraissait sous-évaluer le revenu sans invalidité, puisqu’elle ne tenait pas compte de toutes les composantes du salaire, par exemple des heures supplémentaires et d’autres éléments de rémunération. De là, les juges cantonaux ont considéré que le revenu sans invalidité devait être fixé en prenant comme point de départ le revenu figurant dans l’extrait de compte individuel AVS, soit 65’277 fr. en 2016, et en tenant compte des augmentations de salaire attestées par l’ex-employeur. Ils ont ajouté que même à reprendre le calcul de l’assurance-accidents, et évoquant une « légère incertitude au sujet de l’horaire hebdomadaire de travail », il y aurait eu lieu de tenir compte d’un horaire de travail de 45 heures conformément au contrat de travail conclu le 20 juillet 2015.

Consid. 5.3
Les fiches de salaire pour les mois de novembre 2016 à octobre 2017, sur lesquelles l’assurance-accidents s’est appuyée, attestent un salaire horaire de 26 fr., les heures mensuelles effectuées ainsi qu’un montant forfaitaire de 150 fr. pour « Déplacement et Panier ». N’étant pas soumis aux cotisations AVS, ce montant n’a – à juste titre – pas été pris en compte dans le calcul du salaire, ni par l’assurance-accidents ni par la cour cantonale. En outre, l’assurance-accidents relève à raison que les fiches de salaire ne démontrent aucune heure supplémentaire, mais qu’il en ressort un nombre d’heures de 2053 pour un revenu brut de 57’824 fr. 39, part au 13e salaire incluse sur une période d’une année. Or ce nombre est inférieur au nombre d’heures annualisé retenu par l’assurance-accidents dans le cadre de l’estimation du gain présumable perdu, soit 2132 heures (52 semaines à 41 heures) et d’autant plus inférieur au nombre d’heures annualisé de 2340 qui résulte de l’hypothèse des juges cantonaux d’un horaire de 45 heures par semaine. A ce propos, il convient de retenir, avec l’assurance-accidents, que le nombre de 2340 heures de travail effectuées n’est pas documenté, et que même si un horaire de 45 heures par semaine peut apparaître certains mois, il n’est de loin pas constant et résulte des fluctuations de mois en mois en raison des périodes de travail. De surcroît, selon le contrat de travail, auquel les juges cantonaux font référence, l’assuré pouvait être amené à accomplir des heures supplémentaires « sans rémunération ou compensation ». Partant, les juges cantonaux ne peuvent pas être suivis dans leur conclusion que l’assurance-accidents n’aurait pas tenu compte de tous les éléments pertinents du salaire, aucun élément au dossier ne justifiant de s’écarter du revenu sans invalidité de 63’514 fr. retenu dans la décision du 18.11.2019.

 

Consid. 6.1
Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, les salaires fixés sur la base des données statistiques peuvent à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement, mais seulement lorsqu’il existe des indices qu’en raison d’un ou de plusieurs facteurs, l’intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne (ATF 146 V 16 consid. 4.1; 126 V 75 consid. 5b/aa). Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation; cf. ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêt 8C_732/2019 du 19 octobre 2020 consid. 3.4).

Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement, tandis que l’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.2
La cour cantonale a appliqué un taux d’abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles de l’assuré, lesquelles excluaient les travaux lourds et restreignaient le spectre des activités – même légères – susceptibles d’être exercées. Elle a en revanche écarté ses difficultés linguistiques, sa nationalité étrangère et son âge comme circonstances ayant une influence négative sur sa capacité de gain dans la catégorie de salaire retenue.

Consid. 6.2.1
Le point de savoir s’il se justifie de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des limitations fonctionnelles dépend de la nature de celles-ci; une réduction à ce titre n’entre en considération que si, dans un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (arrêts 8C_732/2019 du 19 octobre 2020 consid. 4.5; 8C_549/2019 du 26 novembre 2019 consid. 7.7; 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.3.4.3). Aussi y a-t-il lieu de déterminer si les limitations fonctionnelles constituent un facteur qui obligerait l’assuré à mettre en valeur sa capacité de travail résiduelle sur le marché du travail à des conditions économiques plus défavorables que la moyenne, soit entraînant un désavantage salarial (arrêt 8C_860/2018 du 6 septembre 2019 consid. 6.3.3).

Consid. 6.2.2
En l’occurrence, force est de constater que les limitations fonctionnelles que présente l’assuré – pas de port de charges supérieures à 10 kg des deux côtés, alternance des positions assise et debout, sans sollicitation de la nuque en hyperextension/ hyperflexion – n’ont pas d’incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Au demeurant, les juges cantonaux ont eux-mêmes retenu dans le cadre de l’examen de l’exigibilité que l’activité de chauffeur-livreur était reconnue comme médicalement adaptée, sans contre-indication particulière et qu’il demeure, sur le marché du travail, un éventail suffisamment large d’activités simples et légères, ne nécessitant aucune formation particulière et dont un certain nombre sont adaptées aux troubles cervico-dorsaux de l’assuré. Il s’ensuit qu’un abattement sur le revenu d’invalide ne se justifie pas en l’espèce.

 

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_679/2020 consultable ici