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6B_1201/2021 (f) du 09.02.2023 – Violation grave des règles de la circulation routière – 90 al. 2 LCR / Excès de vitesse (77 km/h au lieu de 50 km/h) – Possible défaillance du système de reconnaissance des panneaux équipant le véhicule adaptant la vitesse à celle prescrite par la signalisation

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1201/2021 (f) du 09.02.2023

 

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Violation grave des règles de la circulation routière / 90 al. 2 LCR

Excès de vitesse (77 km/h au lieu de 50 km/h) – Possible défaillance du système de reconnaissance des panneaux équipant le véhicule adaptant la vitesse à celle prescrite par la signalisation

 

A.__, né en 1961, exerce la profession de médecin ORL. Cela l’amène à se rendre sur divers sites hospitaliers. Le 01.11.2019, il circulait au volant d’une Audi e-tron. Le temps était pluvieux et la route mouillée. A 13h11, il a été contrôlé par un radar à une vitesse de 82 km/h (77 km/h marge de sécurité déduite). La vitesse était limitée à 50 km/h.

 

Procédures cantonales

Le Tribunal de police l’a reconnu coupable de violation grave des règles de la circulation routière et l’a condamné à 20 jours-amende à 1’200 fr. le jour, avec sursis pendant 2 ans, ainsi qu’à une amende de 2’000 fr. (peine de substitution de 20 jours de privation de liberté).

Par jugement du 26.08.2021, la Cour pénale du Tribunal cantonal neuchâtelois l’a partiellement admis et a réformé la décision de première instance en ce sens que la valeur du jour-amende a été réduite à 900 fr., avec suite de frais et indemnités.

En bref, la cour cantonale a retenu que A.__, après avoir emprunté l’autoroute reliant le haut au bas du canton, avait pris la bretelle menant au village de U.__. Il s’était alors trouvé sur une voie bidirectionnelle limitée à 80 km/h, avec interdiction de dépasser. Les signaux indiquant le début de la localité et la limitation de vitesse à 50 km/h étaient visibles depuis une distance de 126 m, à tout le moins par bonnes conditions. On était en novembre, en milieu de journée et le temps était pluvieux, mais l’intéressé avait expliqué connaître parfaitement les lieux pour effectuer régulièrement le trajet et avoir vu le signal de limitation de vitesse. Celle-ci avait été établie en novembre 2011. Écartant la version du recourant, ainsi que l’hypothèse (avancée en première instance puis en appel) d’une accélération brusque et inopinée du véhicule, la cour cantonale a également retenu que le radar se trouvait à 88 m du panneau de limitation de vitesse (et non 51 m comme allégué tardivement dans la réplique en appel), que l’hypothèse la plus vraisemblable était que le système de reconnaissance équipant le véhicule n’avait pas détecté en temps utile cette limitation et que le recourant roulait (version la plus favorable à l’intéressé) à 80 km/h au moment où il avait passé le signal précité. Si, comme il le prétendait, l’omission de réduire sa vitesse de 30 km/h à l’entrée en localité avait résulté d’une défaillance de son dispositif de lecture automatique des panneaux et de réglage de la vitesse, il aurait dû s’apercevoir de ce dysfonctionnement durant les 126 m séparant la fin de la bretelle et l’entrée de la localité. Il aurait ainsi eu largement le temps de réduire sa vitesse à la valeur légale, même en tenant compte du temps nécessaire à décélérer après le temps de réaction. La cour cantonale en a conclu que sa faute était grave.

 

TF

Consid. 2.1
Conformément à l’art. 90 al. 2 LCR, celui qui, par une violation grave d’une règle de la circulation, crée un sérieux danger pour la sécurité d’autrui ou en prend le risque est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Consid. 2.2
Pour déterminer si la violation d’une règle de la circulation doit être qualifiée de grave au sens de l’art. 90 al. 2 LCR, il faut procéder à une appréciation aussi bien objective que subjective.

En l’espèce, dès lors que le recourant conteste exclusivement avoir réalisé l’élément subjectif d’une telle infraction, on peut se limiter à rappeler brièvement que dans le domaine des excès de vitesse, les éléments objectif – et en principe subjectif – du cas grave au sens de l’art. 90 al. 2 LCR sont réalisés, sans égard aux circonstances concrètes, notamment en cas de dépassement de la vitesse autorisée de 25 km/h ou plus à l’intérieur des localités (arrêts 6B_1039/2021 du 14 janvier 2022 consid. 1.3.1; 6B_973/2020 du 25 février 2021 consid. 2.1). Cependant, la jurisprudence admet que dans des circonstances exceptionnelles, il y a lieu d’exclure l’application du cas grave alors même que le seuil de l’excès de vitesse fixé a été atteint (ATF 143 IV 508 consid. 1.3 p. 512 et les références citées).

Consid. 2.3
Le recourant soutient que le système de lecture automatique des panneaux de signalisation routière et d’adaptation de la vitesse à celle prescrite par cette signalisation dont est équipé son véhicule aurait dysfonctionné. Sa voiture n’aurait pas ralenti au moment d’aborder le secteur limité à 50 km/h. Il aurait ignoré l’existence d’un tel défaut au préalable et s’en serait ensuite plaint auprès de son concessionnaire, qui aurait opéré une « remise à niveau et un contrôle » en indiquant que tout fonctionnerait normalement à l’avenir. Il en conclut que ce problème technique et son ignorance de l’existence de celui-ci, que l’on ne pourrait lui reprocher, excluraient l’élément subjectif de la violation grave des règles de la circulation routière au sens de l’art. 90 al. 2 LCR. Dans la suite, il expose encore que, totalement surpris par « l’avarie » de son véhicule, il aurait mis quelques instants à réagir, sans toutefois que le fonctionnement incorrect l’eût conduit à effectuer un mouvement réflexe comparable à un freinage d’urgence en cas de survenue d’un risque imminent de collision, réaction qui aurait du reste été inopportune puisqu’il avait constaté qu’aucun obstacle ne se trouvait devant lui mais qu’il ignorait si une autre voiture le suivait. Il aurait donc décéléré graduellement, ce qui aurait ralenti ce processus et expliquerait qu’il avait été mesuré à 77 km/h peu après le début de la zone 50 km/h, le radar étant positionné 88 mètres après le panneau de signalisation. Il n’aurait ainsi disposé que de 3,5 à 4 secondes pour réagir, freiner et passer devant le radar à la vitesse prescrite. En tenant compte de 1 à 1,5 seconde de décélération, il n’aurait dès lors hésité que 2 à 3 secondes, ce manque de réaction n’apparaissant pas grave. Dans ces circonstances particulières, son comportement « irréprochable » exclurait toute gravité au plan subjectif et pourrait tout au plus conduire à ne retenir qu’une simple faute de circulation.

Consid. 2.4
Le recourant fait fausse route. En avançant la survenance d’une « avarie », tout en reconnaissant n’être pas en mesure d’en apporter la preuve, il s’écarte de manière inadmissible des constatations de fait de la décision querellée qui retient tout au plus que l’hypothèse la plus vraisemblable était que le système d’adaptation de la vitesse n’avait pas détecté en temps utile le changement de limitation de vitesse. Du reste, pour écarter l’hypothèse alléguée par le recourant que son véhicule aurait brusquement accéléré à la hauteur du panneau de signalisation 50 km/h, la cour cantonale a retenu qu’un dysfonctionnement pouvant se révéler dangereux l’aurait conduit à s’adresser immédiatement à un garagiste ou à ne plus employer le dispositif supposé défaillant, ce qu’il n’avait pas fait. Or, le recourant ne critique pas ces considérations. On comprend par ailleurs aisément de la motivation de la décision querellée que la cour cantonale a jugé que l’éventuelle cause technique de la non-détection en temps utile de la limitation n’était pas déterminante. Dans cette hypothèse, compte tenu de l’obligation de respecter la vitesse indiquée dès l’emplacement du signal (ATF 128 IV 30 consid. 2), le recourant aurait en effet dû s’apercevoir de ce dysfonctionnement déjà en parcourant les 126 m précédant le panneau de signalisation qui était visible sur cette distance et qu’il savait présent, pour connaître « parfaitement » les lieux. Les calculs de temps de réaction et de freinage proposés par le recourant sur les seuls 88 m séparant le panneau de signalisation du radar, ignorent ainsi qu’il lui a été reproché de ne pas avoir réagi déjà plusieurs secondes avant d’entrer sur le tronçon limité à 50 km/h. Ces développements, repris de manière quasi littérale du mémoire d’appel, reposent, partant, sur une autre hypothèse factuelle que celle sur laquelle la cour cantonale a développé son raisonnement et le recourant n’expose d’aucune manière en quoi il serait insoutenable de retenir que le panneau de signalisation était visible à la distance constatée par la cour cantonale, que le conducteur aurait dû remarquer dès ce moment-là un éventuel dysfonctionnement et donc réagir de toute manière plus rapidement. Le recourant se borne ainsi, sans discuter précisément la motivation de la décision querellée, à opposer sa propre appréciation du cours des événements à celle de la cour cantonale. Cet argumentaire peu pertinent est au mieux appellatoire. Il est irrecevable dans cette mesure. Supposé recevable, il n’imposerait, de toute manière, pas de s’écarter de l’appréciation de la cour cantonale selon laquelle il n’y avait pas lieu en l’espèce, en l’absence de circonstances exceptionnelles, d’exclure la réalisation du cas grave visé par l’art. 90 al. 2 LCR sous l’angle subjectif. La décision entreprise n’apparaît dès lors pas contraire au droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours du conducteur.

 

Arrêt 6B_1201/2021 consultable ici

 

6B_1360/2021 (f) du 07.04.2022, destiné à la publication – Confirmation de l’acquittement du détenteur d’un compte Facebook pour des commentaires racistes de tiers publiés sur son mur

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1360/2021 (f) du 07.04.2022, destiné à la publication

 

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Communiqué de presse du TF du 07.04.2022 disponible ici

 

Confirmation de l’acquittement du détenteur d’un compte Facebook pour des commentaires racistes de tiers publiés sur son mur

 

Le Tribunal fédéral rejette le recours du Ministère public neuchâtelois qui sollicitait la condamnation, pour discrimination raciale, du détenteur d’un compte Facebook à raison des commentaires racistes publiés par des tiers sur son «mur». Le défaut de connaissance, par le détenteur du compte en question, des commentaires litigieux exclut sa responsabilité pénale, en l’absence de base légale spécifique.

Une personnalité publique engagée politiquement a partagé sur son compte Facebook, ouvert à tous, un article de journal qui a suscité des commentaires inappropriés sur le mur de son compte. Une association a dénoncé ces agissements. Plusieurs personnes ayant rédigé ces commentaires ont été identifiées par la Police et sanctionnées pour discrimination raciale (art. 261bis CP). Le détenteur du compte Facebook a quant à lui été libéré de ce chef par le Tribunal de police du Littoral et du Val-de-Travers. La Cour pénale du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel (la Cour cantonale) a confirmé l’acquittement en 2021.

Le Ministère public neuchâtelois a saisi le Tribunal fédéral, qui rejette le recours dans la mesure où il est recevable et confirme la décision de la Cour cantonale. Était litigieuse la question de savoir si le détenteur du compte se rend punissable de discrimination raciale, parce qu’il n’a pas effacé de son «mur» virtuel dans Facebook les commentaires de tiers appelant à la haine et à des actes de violence contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse. Le droit suisse actuellement en vigueur ne prévoit pas de norme régissant spécifiquement la responsabilité pénale des prestataires de services internet tels que Facebook, ni des utilisateurs de ces réseaux. Le Ministère public faisait cependant valoir que la responsabilité pénale du détenteur du compte pouvait se déduire des principes existants du droit pénal suisse.

Le Tribunal fédéral constate tout d’abord que l’intimé utilisait sa page Facebook comme un forum de discussion. En rendant son mur accessible à tout public et en y abordant des thèmes de nature politique, de surcroît sensibles et sujets aux amalgames, le détenteur du compte a créé un risque que des contenus illégaux y soient déposés. Toutefois, ce danger ne dépasse ce qui peut être socialement admis que si l’intéressé a connaissance du contenu problématique qui a été ajouté sur sa page. Or, en l’espèce, le détenteur ignorait la présence de contenu litigieux publié par des tiers sur son compte avant l’ouverture de la procédure pénale.

Par ailleurs, le détenteur du compte Facebook ne répond pas d’un comportement passif contraire à une obligation d’agir (art. 11 CP) pour avoir omis de modérer le contenu de son mur. En effet, il n’est pas question de faire dépendre l’existence d’une obligation de surveillance et de modération du détenteur d’un compte sur un réseau social de circonstances telles que celles mises en exergue par le recourant, comme la sensibilité des sujets abordés, le cercle de potentiels destinataires des publications, ou encore le nombre ou le caractère frappant des commentaires «postés» en réaction à la publication originelle. Cette obligation reposerait intégralement sur une évaluation délicate à opérer, difficilement prévisible et manifestement subjective. Il en résulterait de surcroît un devoir de vigilance très lourd, puisque permanent et exhaustif, et cela alors qu’aucune norme ne le prévoit expressément, ce qui serait contraire au principe de la légalité («pas de peine sans loi»).

 

 

Arrêt 6B_1360/2021 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 07.04.2022 disponible ici

 

6B_1082/2021 (f) du 18.03.2022 – Commandement de payer abusif – Tentative de contrainte – 181 CP

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1082/2021 (f) du 18.03.2022

 

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Commandement de payer abusif – Tentative de contrainte / 181 CP

 

C.__ SA et B.__ Sàrl ont débuté une relation d’affaires en mai 2014, concluant un contrat oral portant sur la fourniture de poissons et de produits de la mer. C.__ SA ne s’est pas acquittée du prix de six commandes livrées entre le 08.08.2014 et le 23.09.2014, alors qu’elle avait payé les commandes précédentes. Les factures impayées s’élevaient à 29’894 fr. 64. B.__ Sàrl lui a adressé de nombreux rappels, de même qu’une sommation.

Le 20.11.2014, D.__, associé et gérant avec signature individuelle de B.__ Sàrl, s’est rendu au magasin de X.__ de C.__ SA afin d’exiger de A.__ le paiement des six factures en souffrance, dont ce dernier refusait de s’acquitter au motif que B.__ Sàrl avait augmenté de 28% ses tarifs.

Le 25.11.2014, A.__ a fait notifier un commandement de payer pour C.__ SA à B.__ Sàrl pour un montant de 50’000 fr. pour « dommages et intérêts ».

 

Procédures cantonales

Par jugement du 07.06.2019, le juge du district a reconnu A.__ coupable de tentative de contrainte et l’a condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, le montant du jour-amende étant fixé à 20 fr., avec sursis pendant deux ans, et à une amende additionnelle de 500 fr., la peine privative de liberté de substitution étant fixée à 5 jours en cas de non-paiement fautif. Il a en outre rejeté les prétentions civiles de B.__ Sàrl.

Statuant le 17.08.2021, la Cour pénale du Tribunal cantonal a rejeté l’appel formé par A.__ contre ce jugement. La cour cantonale n’a pas méconnu la relation d’affaires qui liait C.__ SA et B.__ Sàrl dès mai 2014, ni que cette dernière société avait continué à livrer le recourant jusqu’en septembre 2014, alors que des factures étaient déjà en souffrance. Elle a également relevé qu’en date du 20.11.2014, D.__, associé-gérant de B.__ Sàrl, s’était rendu au magasin de X.__ de C.__ SA en se montrant insultant afin d’exiger de A.__ le paiement des six factures en souffrance. La cour cantonale a retenu que l’objectif poursuivi par A.__ en requérant la poursuite contre B.__ Sàrl était de l’inciter à revoir ses prix et d’obtenir les excuses de son associé-gérant.

 

TF

Tentative de contrainte

Consid. 2.1
Se rend coupable de contrainte au sens de l’art. 181 CP, celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte. Une personne morale qui est atteinte dans la libre formation ou le libre exercice de la volonté – biens juridiquement protégés par l’art. 181 CP (ATF 137 IV 326 consid. 3.6 p. 332; 134 IV 216 consid. 4.4.3 p. 221) – doit être considérée comme lésée par l’infraction de contrainte et peut ainsi revêtir la qualité de partie plaignante si elle a expressément déclaré vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (ATF 141 IV 1 consid. 3.3.2 p. 8 s.; 6B_256/2018 du 13 août 2018 consid. 2.4.3).

Cette disposition protège la liberté d’action et de décision (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440). La contrainte est une infraction de résultat. Pour qu’elle soit consommée, il faut que la victime, sous l’effet de moyens de contrainte illicites, commence à modifier son comportement, subissant ainsi l’influence voulue par l’auteur (arrêts 6B_367/2020 du 17 janvier 2022 consid. 13.3.1; 6B_358/2021 du 15 septembre 2021 consid. 3.1; 6B_559/2020 du 23 septembre 2020 consid. 1.1). Lorsque la victime ne se laisse pas intimider et n’adopte pas le comportement voulu par l’auteur, ce dernier est punissable de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP; ATF 129 IV 262 consid. 2.7 p. 270; 106 IV 125 consid. 2b p. 12).

Alors que la violence consiste dans l’emploi d’une force physique d’une certaine intensité à l’encontre de la victime (ATF 101 IV 42 consid. 3a p. 44; plus récemment 6B_367/2020 précité consid. 13.3.1), la menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l’auteur, sans toutefois qu’il soit nécessaire que cette dépendance soit effective (ATF 117 IV 445 consid. 2b p. 448; 106 IV 125 consid. 2a p. 128) ni que l’auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 122 IV 322 consid. 1a p. 324). La loi exige un dommage sérieux, c’est-à-dire que la perspective de l’inconvénient présenté comme dépendant de la volonté de l’auteur soit propre à entraver le destinataire dans sa liberté de décision ou d’action (ATF 120 IV 17 consid. 2a/aa p. 19). La question doit être tranchée en fonction de critères objectifs, en se plaçant du point de vue d’une personne de sensibilité moyenne (ATF 122 IV 322 consid. 1a p. 325; 120 IV 17 consid. 2a/aa p. 19).

Il peut également y avoir contrainte lorsque l’auteur entrave sa victime « de quelque autre manière ». Cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive. N’importe quelle pression de peu d’importance ne suffit pas. Il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d’un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l’entraver d’une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d’action. Il s’agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440 s.).

La contrainte est illicite lorsque le moyen ou le but est contraire au droit ou encore lorsque le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu’un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux moeurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440 s.; 137 IV 326 consid. 3.3.1 p. 328).

Pour une personne de sensibilité moyenne, faire l’objet d’un commandement de payer d’une importante somme d’argent est, à l’instar d’une plainte pénale, une source de tourments et de poids psychologique, en raison des inconvénients découlant de la procédure de poursuite elle-même et de la perspective de devoir peut-être payer le montant en question. Un tel commandement de payer est ainsi propre à inciter une personne de sensibilité moyenne à céder à la pression subie, donc à l’entraver d’une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d’action (arrêt 6B_1100/2018 du 17 décembre 2018 consid. 3.3). Certes, faire notifier un commandement de payer lorsqu’on est fondé à réclamer une somme est licite. En revanche, utiliser un tel procédé comme moyen de pression est clairement abusif, donc illicite (cf. ATF 115 III 18 consid. 3, 81 consid. 3b; arrêt 6B_1100/2018 précité consid. 3.3).

Sur le plan subjectif, il faut que l’auteur ait agi intentionnellement, c’est-à-dire qu’il ait voulu contraindre la victime à adopter le comportement visé en étant conscient de l’illicéité de son comportement; le dol éventuel suffit (ATF 120 IV 17 consid. 2c p. 22).

 

Comportement abusif ou illicite

Consid. 2.2.2
Il ne ressort pas du jugement attaqué que le commandement de payer aurait reposé sur une quelconque créance dont aurait pu se prévaloir le recourant. Par ce moyen, le recourant voulait inciter D.__ à se mettre à table pour discuter des six factures impayées, régler le problème d’une prétendue surfacturation, l’inciter à revoir ses prix, et obtenir des excuses de sa part pour son comportement insultant lors de leur rencontre le 20.11.2014, ce qu’il avait d’ailleurs admis à plusieurs reprises en cours de procédure, faisant ainsi clairement apparaître son action comme constituant un acte de représailles pour la prétendue augmentation des prix des produits vendus par B.__ Sàrl et pour le comportement insultant de son associé-gérant à son égard. L’acte de poursuite portait d’ailleurs la mention « dommages et intérêts » comme cause de l’obligation. Le recours à l’envoi d’un commandement de payer constituait ainsi manifestement un moyen de pression. Par ailleurs, le recourant méconnaît que même dans un contexte de relations commerciales, faire notifier un commandement de payer à une personne contre laquelle l’on n’est pas fondé à réclamer quoi que ce soit, cela dans le seul but de renforcer sa position à la table des négociations, respectivement d’affaiblir celle de l’autre, est une démarche clairement illicite. En définitive, le recourant a détourné l’institution du commandement de payer de son but légitime, puisque la créance ainsi réclamée était dénuée de fondement, et l’a utilisée comme moyen de pression abusif, réalisant un acte de contrainte au sens de l’art. 181 CP.

Par ailleurs, l’entrave à la liberté que constitue le procédé utilisé est, d’un point de vue objectif, loin d’être légère. La notification d’un commandement de payer est propre en effet, pour un destinataire raisonnable, à l’amener à adopter un comportement qu’il n’aurait pas eu s’il avait eu toute sa liberté de décision ou d’action. Puisqu’il s’agit de prendre comme critère une personne de sensibilité moyenne, peu importe que B.__ Sàrl ait été ou non impressionnée par la démarche du recourant, notamment au regard du montant de son capital-actions, l’aptitude subjective à résister à une telle démarche ne constituant pas un critère dont il convient de tenir compte (cf. arrêt 6B_70/2016 du 2 juin 2016 consid. 4.4 non publié in ATF 142 IV 315). Du reste, la jurisprudence a admis qu’une personne morale atteinte dans la libre formation ou le libre exercice de la volonté puisse être considérée comme lésée par l’infraction de contrainte, de sorte le fait que B.__ Sàrl soit une société n’exclut en rien de retenir cette infraction. Dans la mesure où B.__ Sàrl ne s’est effectivement pas laissée intimider par la démarche du recourant, puisqu’elle a fait opposition au commandement de payer, c’est à juste titre que les juridictions cantonales ont retenu que seule la tentative de contrainte entrait en considération. Les éléments constitutifs objectifs de l’infraction sont ici réalisés.

 

Avoir agi intentionnellement

Consid. 2.3.1
En l’espèce, la cour cantonale a retenu que le recourant connaissait les risques de sa démarche. Il avait déclaré en procédure que le montant réclamé par voie de poursuite, avec la mention dommages et intérêts, à la société de D.__ avait pour but de le faire réagir. Le recourant avait agi principalement dans le but de sanctionner le comportement de D.__ et nuire à sa société. Il avait voulu se venger de l’augmentation des prix des produits de B.__ Sàrl. Il avait indiqué avoir fait opposition à l’ordonnance pénale initiale du 21.09.2017, car les démêlés avec la justice lui avaient permis de se rendre compte du fonctionnement des commandements de payer et que, dans une autre affaire à X.__, il avait fait notifier un commandement de payer à un avocat et que sa condamnation pour tentative de contrainte avait été annulée; il s’agissait du même cas de figure que la présente affaire. La cour cantonale en a conclu que le recourant avait ainsi connaissance de l’illégalité de son comportement; ce n’était pas la première fois qu’il agissait de la sorte. Partant, le recourant avait agi de manière intentionnelle; le dol éventuel n’entrait pas en considération.

Consid. 2.3.2
Le raisonnement de la cour cantonale ne prête pas le flanc à la critique. Du propre aveu du recourant, il a notifié à B.__ Sàrl un commandement de payer afin de l’inciter à discuter des six factures impayées, à régler le problème de la surfacturation, à revoir ses prix et à s’excuser de son comportement insultant le 20.11.2014. C’est donc sans arbitraire que la cour cantonale a retenu que le recourant a fait notifier un commandement de payer alors qu’il savait qu’il ne disposait d’aucune créance contre B.__ Sàrl, mais voulait faire pression sur elle afin de la contraindre à adopter un certain comportement. Du reste, le recourant ne fait qu’opposer sa propre interprétation des faits à celle de la cour cantonale. Il procède ainsi de manière appellatoire, partant irrecevable.

La cour cantonale pouvait ainsi, sans violer le droit fédéral, considérer que le recourant avait agi intentionnellement.

 

Consid. 2.4
Dans ces circonstances, la cour cantonale pouvait, sans arbitraire ni violation du droit fédéral, admettre que le recourant avait volontairement et consciemment fait usage d’un moyen de pression abusif et que, partant, les conditions d’une tentative de contrainte au sens de l’art. 181 CP étaient données. Pour le surplus, le recourant ne motive pas à satisfaction de droit un éventuel grief fondé sur l’erreur sur l’illicéité (cf. art. 21 CP cum 42 al. 2 LTF).

 

Le TF rejette le recours.

 

 

Arrêt 6B_1082/2021 consultable ici

 

 

6B_1247/2020 (f) du 07.10.2021, destiné à la publication – Tardiveté du dépôt du recours au niveau cantonal – Admissibilité de la preuve du respect du délai par vidéo

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1247/2020 (f) du 07.10.2021, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.11.2021 disponible ici

 

Un enregistrement vidéo peut en principe apporter la preuve qu’un acte judiciaire a été déposé dans une boîte aux lettres de La Poste Suisse en temps utile. Le Tribunal fédéral admet le recours contre la décision du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Un homme avait recouru en 2020 contre le classement d’une procédure pénale auprès du Tribunal cantonal valaisan. Son avocat a déposé le pli contenant le recours dans une boîte aux lettres de La Poste Suisse à 22h05 le soir du dernier jour du délai de dix jours. Dans le pli lui-même, il a informé le Tribunal que le cachet postal figurant sur l’enveloppe expédiée pouvait indiquer la date du jour suivant et qu’il produirait donc un enregistrement vidéo comme preuve du dépôt du recours en temps utile. Le lendemain, le Tribunal cantonal a reçu une clé USB contenant un enregistrement vidéo. Le Tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours, qui portait le cachet postal du lendemain, le jugeant hors délai et considérant que l’enregistrement vidéo ne constituait pas une preuve effective du dépôt du recours en temps utile.

Le Tribunal fédéral admet le recours de l’intéressé. Selon le Code de procédure pénale (CPP), le délai est sauvegardé notamment si l’acte de procédure est remis à La Poste Suisse le dernier jour du délai (à minuit) (article 91 CPP). La date du dépôt est présumée coïncider avec celle du sceau postal. Cette présomption peut cependant être renversée. On peut toutefois attendre de l’expéditeur qu’il produise la preuve du dépôt en temps utile avant l’expiration du délai, ou à tout le moins qu’il fasse référence à ce moyen de preuve dans l’envoi lui-même. L’avocat de l’intéressé a dûment procédé de la sorte dans le cas d’espèce. Contrairement à l’avis du Tribunal cantonal, l’enregistrement vidéo peut alors servir de preuve de la remise en temps utile à la poste. Il est vrai, comme l’a retenu le Tribunal cantonal, que les enregistrements audiovisuels sont relativement faciles à manipuler. Toutefois, un avocat commettrait un grave manquement à ses obligations professionnelles s’il falsifiait un moyen de preuve afin d’établir le dépôt en temps utile de son acte. En l’absence d’indices d’une falsification, il ne se justifie pas de douter de l’authenticité d’un enregistrement. La séquence audiovisuelle doit naturellement contenir tous les éléments nécessaires à la preuve, notamment la date et l’heure du dépôt de l’acte ainsi que l’identification du pli contenant le recours. Le Tribunal cantonal valaisan devra ainsi examiner si le contenu de la vidéo apporte la preuve du respect du délai.

Enfin, il convient de relever que le visionnage d’une preuve vidéo peut entraîner un effort supplémentaire et que les coûts correspondants peuvent être mis par le tribunal à la charge de l’expéditeur, c’est-à-dire, par exemple, de l’avocat responsable.

 

 

Arrêt 6B_1247/2020 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.11.2021 disponible ici

Version italienne: Prova video ammissibile per dimostrare il rispetto del termine

Version allemande : Videobeweis für Fristwahrung zulässig

 

 

6B_451/2019 (f) du 18.06.2019, publié 145 IV 206 – Conduite d’un cyclomoteur en état d’ébriété qualifiée – Cyclomotoriste appréhendé en tant que conducteur d’un véhicule automobile, selon son état d’ébriété ou son état d’incapacité de conduire / Conduite d’un cyclomoteur malgré un retrait de permis / Remarque concernant les vélos électriques « rapides » (jusqu’à 45 km/h)

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_451/2019 (f) du 18.06.2019, publié 145 IV 206

 

Consultable ici

ATF 145 IV 206 consultable ici

 

Conduite d’un cyclomoteur en état d’ébriété qualifiée – Cyclomotoriste appréhendé en tant que conducteur d’un véhicule automobile, selon son état d’ébriété ou son état d’incapacité de conduire

Conduite d’un cyclomoteur malgré un retrait de permis

Remarque concernant les vélos électriques « rapides » (jusqu’à 45 km/h)

 

A Oron-la-Ville, le 8 février 2018, vers 2h15, X.__ a circulé au guidon de son cyclomoteur alors qu’il se trouvait fortement sous l’influence de l’alcool (1,2 mg/l) et sous le coup d’une mesure de retrait de permis de conduire pour toutes catégories depuis 2011. De plus, les plaques d’immatriculation (hors circulation depuis 2011) ne correspondaient pas à ce cyclomoteur, lequel n’était par ailleurs pas couvert par une assurance responsabilité civile.

Le 8 juin 2018, X.__ a circulé au guidon d’un autre cyclomoteur alors qu’il était sous le coup d’une mesure de retrait de son permis de conduire pour toutes catégories depuis 2011, que les plaques d’immatriculation ne correspondaient pas à ce cyclomoteur, lequel n’était par ailleurs pas couvert par une assurance responsabilité civile.

Le casier judiciaire de X.__ fait état de seize condamnations entre mars 2011 et juillet 2018, dont quatorze concernent notamment des infractions en matière de circulation routière. Quinze mesures administratives ont également été prononcées, telles que des avertissements, des retraits de permis et un cours d’éducation.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 20 novembre 2018, le Tribunal de police a libéré X.__ des infractions de conduite en présence d’un taux d’alcool qualifié, de conduite d’un véhicule automobile sans autorisation, de circulation sans permis de circulation ou de plaques de contrôle, de circulation sans assurance responsabilité civile et d’usage abusif de permis et/ou de plaques de contrôle, l’a déclaré coupable de violations simples des règles de la circulation routière et l’a condamné à une amende de 2’500 francs.

Par jugement du 18 février 2019 (PE18.005892), la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a admis l’appel formé par le ministère public contre le jugement de première instance. Elle a reconnu X.__ coupable de conduite en présence d’un taux d’alcool qualifié (art. 91 al. 2 let. a LCR), conduite d’un véhicule sans autorisation (art. 95 al. 1 let. b LCR), conduite sans permis de circulation ou plaques de contrôle et sans assurance responsabilité civile (art. 96 al. 1 let. a et al. 2 LCR) et usage abusif d’un permis ou de plaques de contrôle (art. 97 al. 1 let. a LCR). Elle a condamné X.__ à une peine privative de liberté de 6 mois, cette peine étant partiellement complémentaire à celle prononcée le 6 juillet 2018 par le ministère public fribourgeois ainsi qu’à une amende de 300 francs.

 

TF

Conduite d’un véhicule sous l’influence de l’alcool (consid. 1.1-1.2)

A teneur de l’art. 31 al. 2 LCR, toute personne qui n’a pas les capacités physiques et psychiques nécessaires pour conduire un véhicule parce qu’elle est sous l’influence de l’alcool, de stupéfiants, de médicaments ou pour d’autres raisons, est réputée incapable de conduire pendant cette période et doit s’en abstenir.

L’art. 91 LCR fixe les conséquences pénales de la conduite malgré une incapacité de conduire et distingue notamment les véhicules automobiles des véhicules sans moteur.

Alors que la conduite d’un véhicule sans moteur en état d’incapacité de conduire constitue une contravention en vertu de l’art. 91 al. 1 let. c LCR, quel que soit le degré d’incapacité, l’art. 91 al. 2 let. a LCR punit d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire celui qui conduit un véhicule automobile en état d’ébriété et présente un taux d’alcool qualifié dans le sang ou dans l’haleine.

 

Conduite d’un cyclomoteur en état d’ébriété qualifiée (consid. 1.3-1.5)

Il s’agit de déterminer en l’espèce si le cyclomotoriste qui présente un taux d’alcool qualifié commet une contravention au sens de l’art. 91 al. 1 let. c LCR ou un délit au sens de l’art. 91 al. 2 let. a LCR.

A teneur de l’art. 7 al. 1 LCR, est réputé véhicule automobile au sens de la présente loi tout véhicule pourvu d’un propre dispositif de propulsion lui permettant de circuler sur terre sans devoir suivre une voie ferrée.

L’art. 25 al. 1 LCR autorise le Conseil fédéral à soustraire totalement ou partiellement à l’application des dispositions du titre 2 [véhicules et conducteurs], certaines catégories de véhicules (énumérées aux let. a à d) dont ne font pas partie expressément les cyclomoteurs.

Le titre deuxième de l’OETV (ordonnance du 19 juin 1995 concernant les exigences techniques requises pour les véhicules routiers; RS 741.41) présente une « classification des véhicules ». Alors que le chapitre 2 définit les voitures automobiles (art. 10 à 13 OETV), le chapitre 3 (art. 14 à 18 OETV) concerne les « autres véhicules automobiles ». A teneur de l’art. 18 let. a OETV sont réputés «cyclomoteurs» les véhicules monoplaces, à roues placées l’une derrière l’autre, pouvant atteindre une vitesse de 30 km/h au maximum de par leur construction, dont la puissance du ou des moteurs n’excède pas 1,00 kW au total et équipés: d’un moteur à combustion dont la cylindrée n’est pas supérieure à 50 cm 3 (ch. 1), ou d’un système de propulsion électrique et d’une éventuelle assistance au pédalage jusqu’à 45 km/h (ch. 2). L’art. 18 let. b à d OETV donne la définition d’autres engins équipés d’un système à propulsion tels que les cyclomoteurs légers (let. b), les fauteuils roulants motorisés (let. c) et les gyropodes électriques (let. d). Intitulé « véhicules sans moteur », le chapitre 4 de l’OETV (art. 19 à 24) définit les différents types de véhicules dépourvus de moteur, dont font partie les cycles (art. 24 OETV).

A teneur de l’art. 90 OAC (ordonnance du 27 octobre 1976 réglant l’admission des personnes et des véhicules à la circulation routière; RS 741.51), les cyclomoteurs sont admis à circuler s’ils sont munis du permis de circulation pour cyclomoteurs, de la plaque de contrôle mentionnée dans celui-ci et d’une vignette d’assurance valable.

Sous le titre marginal « motocycles, cyclomoteurs et cycles; généralités », l’art. 42 al. 4 OCR (ordonnance du 13 novembre 1962 sur les règles de la circulation routière; RS 741.11) prévoit que les conducteurs de cyclomoteurs doivent se conformer aux prescriptions concernant les cyclistes.

 

La jurisprudence n’a pas développé la question des conséquences pénales de la conduite d’un cyclomoteur en état d’ébriété qualifiée, à l’aune de la législation actuelle.

Les aspects pénaux liés à la conduite d’un cyclomoteur ont toutefois été abordés par le Tribunal fédéral avant la modification de la LCR (cf. Message du 31 mars 1999 concernant la modification de la LCR; FF 1999 4106; ci-après: le Message). Dans un arrêt publié aux ATF en 1964, le Tribunal fédéral a retenu que les cyclomoteurs ne devaient pas être considérés comme des véhicules automobiles au sens de l’art. 7 al. 1 LCR et devaient être assimilés aux cycles. Aussi, celui qui conduisait un cyclomoteur en état d’ébriété se rendait coupable d’une contravention et non d’un délit (ATF 90 IV 83 consid. 1 p. 84 s.). Cet arrêt se fonde sur l’ancien arrêté du Conseil fédéral du 15 novembre 1960 sur les cyclomoteurs et les motocycles légers (en vertu de la délégation de compétence prévue à l’art. 25 LCR), lequel prévoyait que les cyclomoteurs tombaient sous le coup des prescriptions relatives aux cycles. Depuis lors, l’arrêté du Conseil fédéral a été abrogé et remplacé par l’ordonnance du 28 août 1969 sur les constructions et l’équipement des véhicules routiers (ancienne OCE; ancien RS 741.41), laquelle a été, à son tour, abrogée et remplacée par l’actuelle OETV. Dans un arrêt ultérieur de 1992, portant sur l’obligation des cyclomotoristes de porter un casque, le Tribunal fédéral a relativisé l’assimilation des cyclomoteurs aux cycles en précisant que celle-ci n’était jamais totale (ATF 118 IV 192 consid. 2f p. 195).

Récemment, dans un arrêt rendu en matière de droit administratif, le Tribunal fédéral a retenu qu’un conducteur de cyclomoteur présentant un taux d’alcool qualifié commettait une infraction grave aux règles de la circulation au sens de l’art. 16c LCR et non une infraction moyennement grave au sens de l’art. 16b LCR (arrêt 1C_766/2013 du 1er mai 2014 consid. 4.6). Il ressort de cet arrêt que des violations graves des règles de la circulation routière au guidon de cyclomoteurs peuvent causer de graves dangers tant pour le conducteur que pour les autres usagers de la route, à l’instar des motocycles légers (cf. art. 14 let. b OETV; cf. consid. 4.4). Dans son analyse, tout en rappelant que les cyclomoteurs étaient en principe assimilés aux véhicules automobiles (art. 7 al. 1 LCR), la Ière Cour de droit public s’est penchée sur l’aspect pénal d’un tel comportement, considérant qu’il était constitutif d’une simple contravention au sens de l’art. 91 al. 1 let. c LCR par renvoi de l’art. 42 al. 4 OCR (consid. 4.1). Cette analyse – qui n’était pas pertinente pour l’issue du litige de droit administratif – avait ainsi valeur d’  obiter dictum. Elle avait d’ailleurs essentiellement pour but de mettre en évidence une prétendue incohérence entre les conséquences pénales et administratives de la conduite en état d’ébriété d’un cyclomoteur (consid. 4.4).

Selon la majorité des auteurs de doctrine contemporaine, les cyclomoteurs ne sauraient être qualifiés de véhicules sans moteur au sens de l’art. 91 al. 1 let. c LCR (PHILIPPE WEISSENBERGER, Kommentar Strassenverkehrsgesetz und Ordnungsbussengesetz, 2 e éd. 2015, n° 36 et 42 ad art. 91 LCR; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, Code suisse de la circulation routière commenté, 4 e éd. 2015, n° 7.5 ad art. 10 LCR et n° 3.4.2 ad art. 18 LCR; FAHRNI/HEIMGARTNER, in Basler Kommentar, Strassenverkehrsgesetz, 2014, n° 12 ad art. 91 LCR; QUELOZ/ZIEGLER, La conduite en état d’incapacité: une cible d’action prioritaire pour la sécurité routière, in Journées du droit de la circulation routière 7-8 juin 2010, p. 125; YVAN JEANNERET, Les dispositions pénales de la Loi sur la circulation routière, 2007, n° 13 ad art. 91 LCR et n° 83 ss ad définitions; voir cependant: BERNARD CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3 e éd. 2010, n° 10 ad art. 91 LCR en référence notamment aux art. 42 al. 4 OCR, ancien art. 175 al. 1 OETV et ancien art. 90 al. 1 OAC). JEANNERET motive en détails sa position, ce notamment au regard du libellé de la loi (le cyclomoteur est intrinsèquement un véhicule à moteur) et de l’évolution des normes relatives aux cyclomoteurs (nécessité d’un permis de conduire, abolition du régime particulier de permis de conduire, retrait du permis M en cas de conduite en état d’incapacité).

A rigueur de texte, force est de constater qu’un cyclomoteur est un véhicule automobile au sens de l’art. 7 al. 1 LCR, dès lors qu’il est, par définition, équipé d’un moteur (cf. art. 18 let. a OETV). En cela, il se distingue des véhicules sans moteur et en particulier des cycles (cf. art. 19 ss OETV).

On ne saurait déduire le contraire du Message, en tant qu’il mentionne que les conducteurs de véhicules à moteur « de faible puissance » sont punis de l’amende (cf. FF 1999 4142 ad art. 91 LCR). En effet, contrairement à certains engins équipés de moteurs à plus faible puissance (cf. notamment les cyclomoteurs légers dont la puissance du moteur n’excède pas 0.50 kW au total [art. 18 let. b OETV]), le cyclomoteur, tel que celui conduit par le recourant, fait l’objet de prescriptions spéciales, notamment en matière de permis de conduire (permis « M »), de permis de circulation et de plaques (cf. art. 90 al. 1 OAC) et de port du casque (cf. art. 3b OCR). Aussi, rien dans le Message ne permet de traiter les cyclomoteurs comme des cycles, s’agissant de la répression de la conduite en état d’incapacité.

La mise en perspective des dispositions topiques des différentes ordonnances d’exécution de la LCR conduit au même résultat. Si, dans leur ancienne teneur, les art. 90 al. 1 OAC (nouvelle teneur selon le ch. I de l’ordonnance du 12 octobre 2011, en vigueur depuis le 1 er janvier 2012; RO 2011 4941), 175 al. 1 OETV (nouvelle teneur selon le ch. 1 de l’ordonnance du 2 mars 2012, en vigueur depuis le 1er mai 2012; RO 2012 1825) et 38 al. 1 OAV (ordonnance du 20 novembre 1959 sur l’assurance des véhicules; RS 741.31) prévoyaient que les cyclomoteurs étaient soumis aux prescriptions concernant les cycles, ce n’est plus le cas dans leur nouvelle teneur. Ainsi, le raisonnement opéré dans l’arrêt publié aux ATF 90 IV 83 ne saurait être transposé au régime légal actuel.

Par ailleurs, si l’art. 42 al. 4 OCR fait obligation aux conducteurs de cyclomoteurs de se conformer aux prescriptions concernant les cycles, cette disposition n’a pas la portée que semblait lui prêter, dans un obiter dictum et sans autre approfondissement, l’arrêt 1C_766/2013. Dans la mesure où cette disposition concerne uniquement certaines prescriptions de la LCR (cf. notamment art. 46 al. 4 LCR: interdiction d’être remorqué par des véhicules ou des animaux), on ne saurait en inférer une assimilation systématique des cyclomoteurs aux cycles. On ne peut pas davantage déduire de l’art. 42 al. 4 OCR que les cyclomoteurs échapperaient à la qualification de « véhicules automobiles » au sens de l’art. 7 al. 1 LCR, faute de référence en ce sens (cf. art. 25 LCR).

 

Il résulte de ce qui précède que, au regard de la législation en vigueur (LCR et ordonnances d’exécution), les cyclomoteurs (cf. art. 18 let. a OETV) ne peuvent être assimilés sans réserve aux véhicules sans moteur.

En tant que le Tribunal fédéral a, d’une part, relativisé l’assimilation des cyclomoteurs aux cycles en matière pénale (cf. ATF 118 IV 192 consid. 2f p. 195) et d’autre part, traité, sous l’angle administratif, la conduite d’un cyclomoteur en état d’ivresse qualifiée comme une infraction grave (arrêt 1C_766/2013 du 1er mai 2014), force est de constater que l’évolution de la jurisprudence abonde dans le même sens. Il en va de même de la doctrine contemporaine (étant relevé que CORBOZ se fondait sur les dispositions qui sont, depuis lors, abrogées ou modifiées).

Par conséquent, le conducteur d’un cyclomoteur, tel que défini à l’art. 18 let. a OETV, ne saurait bénéficier de la forme privilégiée de l’infraction de conduite en état d’incapacité au sens de l’art. 91 al. 1 let. c LCR. Le cyclomotoriste doit être appréhendé en tant que conducteur d’un véhicule automobile, en fonction de son état d’ébriété, respectivement de son état d’incapacité de conduire, ce sur la base des al. 1 et 2 de l’art. 91 LCR.

En l’occurrence, compte tenu du taux d’alcool que présentait le recourant au guidon de son cyclomoteur, c’est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale l’a reconnu coupable de conduite en état d’ébriété qualifiée au sens de l’art. 91 al. 2 let. a LCR.

 

Conduite d’un cyclomoteur malgré un retrait de permis (consid. 2)

A teneur de l’art. 95 al. 1 let. b LCR, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque conduit un véhicule automobile alors que le permis d’élève conducteur ou le permis de conduire lui a été refusé, retiré ou qu’il lui a été interdit d’en faire usage. Selon l’art. 95 al. 4 let. a LCR, est puni de l’amende quiconque conduit un cycle alors que la conduite lui en a été interdite.

L’art. 3 al. 3 OAC prévoit que le permis de conduire « M » est établi pour la catégorie spéciale des cyclomoteurs. Les anciens ch. 1 et 2 de l’art. 145 OAC punissaient des arrêts ou de l’amende, celui qui conduisait un cyclomoteur sans être en possession d’un permis de conduire ou malgré un refus ou un retrait du permis de conduire pour cyclomoteur ou à qui l’usage d’un tel véhicule avait été interdit. Ces dispositions ont été abrogées par le ch. I de l’ordonnance du 3 juillet 2002, avec effet au 1 er avril 2003 (RO 2002 3259).

L’art. 19 LCR prévoit la possibilité d’interdire de conduite les personnes conduisant un cycle qui souffrent d’une maladie physique ou mentale ou d’une forme de dépendance qui les rend inaptes à conduire un véhicule de ce type en toute sécurité (al. 2) ou les personnes qui ont mis en danger la circulation de façon grave ou à plusieurs reprises, ou encore qui ont circulé en étant prises de boisson (al. 3).

Associant les cyclomoteurs aux cycles de manière générale, le tribunal de première instance a retenu que la conduite par le recourant d’un cyclomoteur, alors qu’il se savait sous une mesure de retrait, était appréhendée par l’art. 95 al. 4 let. a LCR. La cour cantonale a, quant à elle, considéré que le comportement du recourant tombait sous le coup de l’art. 95 al. 1 let. b LCR.

Dans sa teneur actuelle, la législation ne prévoit pas de régime spécial pour la conduite d’un cyclomoteur sans autorisation ou malgré un retrait. Au contraire, l’abrogation des anciens art. 145 ch. 1 et 2 OAC, qui réprimaient la conduite d’un cyclomoteur sans permis de conduire ou malgré un retrait, implique que désormais, un tel comportement tombe dans le champ d’application de l’art. 95 al. 1 LCR.

Dès lors que l’interdiction de conduire au sens de l’art. 19 LCR vise exclusivement les cycles, dont la conduite ne nécessite pas de permis, la contravention régie par l’art. 95 al. 4 let. a LCR s’applique uniquement et expressément aux conducteurs de ceux-ci (cf. également HANS MAURER, in Kommentar StGB/JStG, mit weiteren Erlassen und Kommentar zu den Strafbestimmungen des SVG, BetmG und AuG/AIG, 20 e éd. 2018, n° 4 ad art. 95 LCR; WEISSENBERGER, op. cit., n° 4 ad art. 7 LCR et n° 15 ad art. 95 LCR; ADRIAN BUSSMANN, in Basler Kommentar, op. cit., n° 93 ad art. 95 LCR; JEANNERET, op. cit., n° 90 ad définitions; n° 5 et n° 99 ss ad art. 95 LCR et n° 154 ad art. 103 LCR), à l’exclusion des cyclomotoristes.

Il est établi et incontesté que le recourant a circulé, les 8 février et 8 juin 2018, au guidon d’un cyclomoteur alors qu’il était sous le coup d’une mesure de retrait de son permis de conduire pour toutes catégories. Il n’est pas question de conduite d’un cycle malgré une interdiction au sens de l’art. 19 LCR. Aussi, c’est en conformité avec le droit fédéral que la cour cantonale a reconnu le recourant coupable d’infraction à l’art. 95 al. 1 let. b LCR.

 

Conduite d’un cyclomoteur sans plaques de contrôle (consid. 3)

A teneur de l’art. 96 al. 1 let. a LCR, est puni de l’amende quiconque conduit un véhicule automobile avec ou sans remorque sans le permis de circulation ou les plaques de contrôle requis. L’al. 2 punit d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque conduit un véhicule automobile en sachant qu’il n’est pas couvert par l’assurance responsabilité civile prescrite ou qui devrait le savoir s’il avait prêté toute l’attention commandée par les circonstances. La peine privative de liberté est assortie d’une peine pécuniaire. Dans les cas de peu de gravité, la sanction est la peine pécuniaire.

A teneur de l’art. 97 al. 1 let. a LCR, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque fait usage d’un permis ou de plaques de contrôle qui n’étaient destinés ni à lui-même, ni à son véhicule.

Selon l’art. 145 ch. 3 OAC, sera puni de l’amende, celui qui aura conduit un cyclomoteur sans le permis de circulation ou la plaque nécessaires (al. 1) et celui qui aura fait usage d’un cyclomoteur muni illégalement d’un permis de circulation (al. 3). L’art. 145 ch. 4 OAC punit de l’amende celui qui aura conduit un cyclomoteur non couvert par l’assurance-responsabilité civile prescrite (al. 1).

L’admission à la circulation des cyclomoteurs et les conditions de délivrance du permis de circulation les concernant sont régies par les art. 90 ss OAC. Les permis de circulation sont généralement remis par l’autorité aux fabricants et importateurs pour chaque cyclomoteur (cf. art. 92 al. 3 OAC), alors que les plaques sont délivrées directement par l’autorité cantonale au détenteur du cyclomoteur, sur présentation notamment de l’attestation d’assurance exigée (cf. art. 94 al. 1 et 2 OAC). Les permis de circulation des autres véhicules automobiles (cf. art. 71 s. OAC) sont quant à eux délivrés par le canton au détenteur sur présentation notamment de l’attestation d’assurance (art. 74 OAC).

Les art. 34 OAV régissent les questions de responsabilité civile et d’assurance des cyclomoteurs. L’annexe 1 de l’ordonnance du 4 mars 1996 sur les amendes d’ordre (OAO; RS 741.031) prévoit expressément que l’utilisation d’un cyclomoteur qui n’est pas assuré est punie d’une amende de 120 fr. (ch. 700.1.4).

Alors que le premier juge a fait application de l’art. 145 ch. 3 et 4 OAC, la cour cantonale a reconnu le recourant coupable de circulation sans permis de circulation ou plaques de contrôle et sans assurance responsabilité civile (art. 96 al. 1 et 2 LCR) ainsi que d’usage abusif de permis et/ou de plaques (art. 97 al. 1 let. a LCR), au motif que le cyclomoteur est un véhicule automobile et non un cycle.

Il y a lieu de distinguer les infractions reprochées en l’espèce.

S’agissant de la conduite d’un cyclomoteur sans plaques et assurance responsabilité civile nécessaires, force est de relever que l’art. 145 OAC aménage un régime pénal applicable expressément et exclusivement aux conducteurs de cyclomoteurs, en conformité avec la délégation de compétence prévue à l’art. 103 al. 1 LCR. Aussi, en tant que lex specialis, l’art. 145 ch. 3 et 4 OAC l’emporte sur l’art. 96 al. 1 et 2 LCR (cf. MAURER, op. cit., n° 3 ad art. 96 LCR; JEANNERET, op. cit., n° 65 s. ad art. 96 LCR). Contrairement à ce que suggère la cour cantonale, ces dispositions ne s’appliquent pas aux cycles, lesquels ne nécessitent pas de permis de circulation ou de plaques de contrôle (cf. art. 71 et 90 OAC a contrario).

En tant que la cour cantonale a appliqué l’art. 96 al. 1 et 2 LCR pour sanctionner la conduite d’un cyclomoteur sans les plaques nécessaires et sans couverture par l’assurance responsabilité civile, elle a violé le droit fédéral. Compte tenu du véhicule en cause, ces infractions constituent des contraventions, lesquelles sont appréhendées par l’art. 145 ch. 3 et 4 OAC et sanctionnées d’une amende. Le recours doit être admis sur ce point, le jugement entrepris doit être annulé en tant qu’il reconnaît le recourant coupable de violation de l’art. 96 al. 1 et 2 LCR, et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu’elle fasse application de l’art. 145 ch. 4 OAC et fixe une peine en conséquence.

 

Conduite de cyclomoteurs munis de plaques d’immatriculation qui ne correspondaient pas à ces véhicules (consid. 3.3.2)

Quant à la conduite de cyclomoteurs munis de plaques d’immatriculation qui ne correspondaient pas à ces véhicules, elle n’est pas visée par l’art. 145 ch. 3 al. 3 OAC, contrairement à ce que prétend le recourant. Cette disposition ne concerne que l’usage d’un cyclomoteur muni illégalement d’un permis de circulation.

Le recourant dénonce une différence de traitement entre, d’une part, le cyclomotoriste pour lequel la sanction de l’usage abusif de plaques serait plus grave que l’usage abusif de permis, et d’autre part, l’automobiliste pour lequel ces deux comportements sont d’égale gravité (cf. art. 97 al. 1 let. a LCR). Selon lui, il serait logique d’assimiler une plaque de contrôle à un permis de circulation, les deux allant de pair lorsqu’un véhicule circule. Or le recourant semble perdre de vue que les systèmes de délivrance de permis de circulation sont différents selon qu’il s’agit d’une voiture automobile (cf. art. 74 OAC) ou d’un cyclomoteur (cf. art. 90 ss OAC). Cela explique la précaution particulière de l’art. 145 ch. 3 OAC à l’égard des permis de circulation des cyclomoteurs, étant relevé que la remise du permis au détenteur échappe au contrôle de l’administration, à la différence des plaques qui sont délivrées à chaque détenteur, directement par l’autorité (cf. supra consid. 3.1; JEANNERET, op. cit., n° 157 ad art. 103 LCR).

Si le véhicule conduit porte des plaques de contrôle qui ne lui sont pas destinées et n’est en outre pas couvert par une assurance responsabilité civile, l’art. 145 ch. 4 OAC est applicable en concours parfait avec l’art. 97 al. 1 let. a LCR, dans la mesure où il s’agit de comportements clairement distincts (cf. JEANNERET, op. cit., n° 38 ad art. 97 LCR, s’agissant du concours entre les art. 96 al. 2 et 97 al. 1 let. a LCR).

Il en résulte que la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en reconnaissant le recourant coupable d’usage abusif de plaques au sens de l’art. 97 al. 1 let. a LCR.

 

Le recours est partiellement admis, le jugement attaqué annulé s’agissant de la conduite sans permis de circulation ou plaques de contrôle et sans assurance responsabilité civile, et la cause renvoyée à l’autorité cantonale pour nouvelle décision. Pour le surplus, le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.

 

 

Arrêt 6B_451/2019 consultable ici, ATF 145 IV 206 consultable ici

 

 

Remarque concernant les vélos électriques « rapides » (jusqu’à 45 km/h) :

La catégorie «vélos électriques rapides» appelée « cyclomoteur électrique », concerne les autres vélos électriques, dont le moteur ne dépasse pas 1000 W avec une assistance au pédalage jusqu’à 45 km/h. (Tout véhicule qui se déplace plus rapidement et / ou dispose d’une plus grande puissance est considéré une moto.)

 

Règles:

  • Plaque de contrôle jaune requise / assurance responsabilité civile obligatoire
  • Assistance au pédalage autorisé jusqu’à 30 km/h
  • Port du casque obligatoire
  • Permis de conduire M (14 ans)
  • Autorisé de passer les sens interdits pour « motocycles légers » avec le moteur éteint
  • Autorisé de circuler sur les espaces piétons avec (vélo autorisé), moteur éteint.

Cf. également la page « En route avec l’e-bike » de l’Association des Services Automobiles et le document de l’OFROU « Prescriptions concernant l’admission et l’utilisation des cyclomoteurs, vélos électriques lents, trottinettes électriques et vélos-taxis électriques »

 

Au vu des similarités entre un vélo électrique rapide (jusqu’à 45 km/h) et un cyclomoteur (tel que définit dans l’ATF 145 IV 206), en cas d’infraction, les conducteurs de vélos électriques rapides seront sanctionnés comme des conducteurs ordinaires.

 

6B_440/2019 (d) du 18.11.2020, destiné à la publication – Partager sur Facebook un contenu attentatoire à l’honneur émanant d’un tiers : pas d’application du « privilège des médias »

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_440/2019 (d) du 18.11.2020, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 15.12.2020 disponible ici

 

Celui qui partage sur Facebook un contenu déjà publié et attentatoire à l’honneur émanant d’un tiers ne peut pas se prévaloir du « privilège des médias », aux termes duquel l’auteur est seul punissable. Le Tribunal fédéral rejette sur ce point le recours d’un utilisateur de Facebook

Le prévenu, utilisateur de Facebook, a partagé en 2015 un contenu émanant d’un tiers, dans lequel un protecteur des animaux avait été décrit comme un « antisémite maintes fois condamné » et l’association qu’il présidait comme une « organisation antisémite » et comme une « association de protection des animaux néonazie ». L’utilisateur de Facebook avait rédigé un commentaire intégrant un lien vers le contenu visé. Le texte partagé et le commentaire avaient été lus et discutés par des amis de l’intéressé. En 2019, la Cour suprême du canton de Berne l’a reconnu coupable de diffamation pour avoir propagé les accusations portées contre le protecteur des animaux et l’association et l’a condamné à une peine pécuniaire avec sursis.

Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours de l’utilisateur de Facebook, annule le jugement de la Cour suprême et lui renvoie la cause pour nouvelle décision sur un point du jugement. Il a en revanche rejeté le recours en tant que l’intéressé se prévalait du régime de responsabilité privilégié propre au droit pénal des médias prévu par l’article 28 du Code pénal (CP). D’après cette disposition, lorsqu’une infraction a été commise sous forme de publication par un média, l’auteur est en principe seul punissable. Cette disposition se fonde sur une conception large de la notion de média. Dans le contexte visé, Facebook doit certes être qualifié de média. Toutefois, le régime de responsabilité privilégié ne concerne que les personnes qui interviennent au sein de la chaîne de production et de diffusion typique du média concerné et cette question doit être examinée dans chaque cas particulier. En l’espèce, la contribution du recourant ne s’insérait plus dans la chaîne de production et de diffusion du contenu partagé. L’article en cause avait été publié par son auteur au travers d’un « post » et celui-ci n’en avait plus la maîtrise. En le partageant ultérieurement, le recourant avait mis en lien un article déjà publié. L’application du régime de responsabilité privilégié du droit pénal des médias n’entrait donc pas en ligne de compte.

Le Tribunal fédéral a en revanche admis les griefs du recourant au sujet de sa condamnation pour avoir propagé les propos selon lesquels le protecteur des animaux était un « antisémite maintes fois condamné ». Compte tenu de propos récents tenus par le protecteur des animaux, il y avait lieu d’admettre que la preuve d’une attitude antisémite au moment des faits avait été rapportée. L’allégation faisant état de condamnations répétées était certes inexacte d’un point de vue factuel. Le protecteur des animaux avait toutefois lui-même prétendu dans un article de journal en 2014 qu’il avait été condamné à plusieurs reprises. Il était donc permis au recourant de propager les propos en question. La cause est en revanche renvoyée à la Cour suprême en ce qui concerne les accusations portées à l’encontre de l’association. Il lui appartiendra de déterminer si, et le cas échéant, quels propos du protecteur des animaux sont imputables à l’association ou si l’association a, d’une autre manière, prêté le flanc aux accusations portées à son encontre.

Le Tribunal fédéral s’est déjà prononcé, récemment, sur le caractère potentiellement punissable du comportement consistant, pour un utilisateur de Facebook, à faire usage des fonctions « partager » ou « j’aime » en rapport avec un contenu attentatoire à l’honneur émanant d’un tiers (ATF 146 IV 23). Il a considéré qu’un tel comportement, consistant à propager des propos attentatoires à l’honneur, pouvait réaliser l’infraction de diffamation (article 173 CP), en précisant qu’une appréciation au cas par cas s’imposait. La propagation de tels propos est punissable lorsque ceux-ci sont, par l’utilisation des fonctions « j’aime » ou « partager », rendus accessibles à des tiers, qui en prennent connaissance.

 

 

Arrêt 6B_440/2019 consultable ici

 

 

6B_376/2020 (f) du 17.09.2020 – Dispositions pénales de la LAVS / Obligation de renseigner, au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS, d’une société anonyme qui n’a jamais eu d’employé

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_376/2020 (f) du 17.09.2020

 

Consultable ici

 

Dispositions pénales de la LAVS

Obligation de renseigner, au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS, d’une société anonyme qui n’a jamais eu d’employé

 

A.__ est administrateur secrétaire, avec signature individuelle, de B.__ SA, inscrite au Registre du commerce le 14.02.2011, dont le siège se trouve à Genève depuis le 29.05.2012.

L’Office cantonal des assurances sociales (ci-après : OCAS) lui a adressé tous les courriers et actes qui suivent à son siège genevois.

Le 18.02.2011, l’OCAS a envoyé à B.__ SA le formulaire à remplir pour son affiliation à une caisse de compensation. Aucune suite n’a été donnée à cette demande, malgré quatre relances. Il était mentionné dans ces envois que le questionnaire devait être renvoyé à l’OCAS même en l’absence de personnel ou d’administrateur rémunéré.

Le 31.03.2014, l’OCAS a notifié à B.__ SA une amende d’ordre de 100 fr., en application de l’art. 91 LAVS. Il s’agit du seul envoi fait en recommandé.

Ensuite de nouveaux rappels puis d’une sommation en février 2015, B.__ SA a été affiliée d’office, en qualité d’employeur, par décision de l’OCAS du 25.07.2016, avec effet rétroactif au 01.02.2011. Cette décision n’a fait l’objet d’aucune opposition.

Le 25.07.2016, l’OCAS a adressé à B.__ SA cinq factures de 100 fr. chacune à titre d’émoluments concernant les années 2011 à 2015.

Par courrier du 07.03.2017, l’OCAS a sommé B.__ SA de lui faire parvenir l’attestation de salaires pour l’année 2016.

En l’absence de réponse dans le délai imparti, l’OCAS lui a infligé – le 09.06.2017 – une amende d’ordre de 250 fr. en application de l’art. 91 LAVS et a attiré son attention sur les conséquences pénales d’un refus de transmettre les informations demandées.

B.__ SA n’a pas donné suite au courrier de l’OCAS du 01.09.2017 qui lui fixait un nouveau délai avant dénonciation pénale.

Le 09.11.2017, l’OCAS a déposé plainte à l’encontre de A.__, administrateur de la société.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 24.09.2019, le Tribunal de police a condamné A.__ pour infraction à la LAVS, l’a exempté de peine mais l’a condamné à payer les frais de procédure.

Par arrêt du 17.02.2020, la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice a rejeté l’appel formé par A.__ contre ce jugement et a confirmé celui-ci. L’autorité cantonale a considéré qu’en s’abstenant de donner la suite requise aux termes des courriers de l’OCAS des 07.03.2017, 09.06.2017 et 01.09.2017, A.__ avait sciemment violé l’art. 88 al. 1 LAVS.

 

TF

Aux termes de l’art. 88 al. 1 LAVS, sera puni d’une amende, à moins qu’il ne s’agisse d’un cas prévu à l’art. 87 LAVS, celui qui viole son obligation de renseigner en donnant sciemment des renseignements inexacts ou refuse d’en donner.

Selon l’art. 89 al. 1 LAVS, si l’infraction est commise dans la gestion d’une personne morale, d’une société de personnes ou d’une maison à raison commerciale individuelle, les dispositions pénales des art. 87 et 88 LAVS sont applicables aux personnes qui ont agi ou auraient dû agir en son nom. En règle générale, la personne morale, la société de personnes ou le titulaire de la maison à raison commerciale individuelle sont toutefois tenus solidairement du paiement de l’amende et des frais.

L’art. 91 al. 1 LAVS dispose que celui qui se rend coupable d’une infraction aux prescriptions d’ordre et de contrôle sans que cette infraction soit punissable conformément aux art. 87 et 88 LAVS, sera, après avertissement, puni par la caisse de compensation d’une amende d’ordre de 1’000 fr. au plus. En cas de récidive dans les deux ans, une amende allant jusqu’à 5’000 fr. pourra être prononcée.

A.__ se réfère aux art. 34a et 36 RAVS, qui s’adressent aux « personnes tenues de payer des cotisations », respectivement aux employeurs. Selon lui, dès lors que B.__ SA ne déployait aucune activité ni n’avait d’employé, la société n’aurait eu aucune obligation de fournir un décompte relatif aux salaires. 

L’obligation de renseigner, au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS – disposition sur la base de laquelle A.__ a été condamné -, est celle visée par l’art. 209 al. 2 et 3RAVS (cf. GABRIELLE WEISSBRODT, Les dispositions pénales LAVS, in Panorama III en droit du travail, 2017, 407 ss, 433; cf. aussi Directives de l’OFAS sur la perception des cotisations [DP] dans l’AVS, AI et APG, état : 1er janvier 2020, no 9010). Aux termes de l’art. 209 RAVS, les personnes exerçant une activité lucrative indépendante, les personnes n’exerçant aucune activité lucrative et les salariés dont l’employeur n’est pas tenu de payer des cotisations doivent fournir aux caisses de compensation des renseignements conformes à la vérité, dans la mesure où ces renseignements sont nécessaires à l’application de l’assurance-vieillesse et survivants (al. 2). Les caisses de compensation, les employeurs et tous les autres organes et personnes chargés de l’exécution de la LAVS ou du contrôle de cette exécution, ainsi que les assurés, sont tenus de donner à l’OFAS tous les renseignements et de lui communiquer toutes les pièces dont il a besoin dans l’exercice de sa surveillance (al. 3).

Au vu de ce qui précède, on ne voit pas que l’art. 209 al. 2 et 3 RAVS aurait pu fonder, pour B.__ SA – donc pour A.__ –, une obligation de renseigner au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS. Dans l’arrêt attaqué, la cour cantonale a évoqué les art. 63 al. 2 LAVS – selon lequel les caisses cantonales de compensation doivent veiller à l’affiliation de toutes les personnes tenues de payer des cotisations – et 64 al. 5 LAVS, selon lequel les employeurs, les personnes ayant une activité lucrative indépendante, les personnes sans activité lucrative et les assurés salariés dont l’employeur n’est pas tenu de payer des cotisations doivent, s’ils ne sont pas déjà affiliés, s’annoncer auprès de la caisse de compensation cantonale. On ne voit pas davantage en quoi l’une ou l’autre de ces dispositions aurait pu fonder, pour B.__ SA, une obligation de renseigner au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS.

Pour le reste, on ignore quelle disposition aurait pu fonder une obligation de renseigner au sens de cette dernière disposition, étant précisé que l’ordonnance pénale du 11.12.2017, tenant lieu d’acte d’accusation, ne contient aucune information à ce sujet.

Partant, B.__ SA, qui n’était pas employeur – puisqu’il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que celle-ci aurait jamais eu d’employé -, n’avait pas d’obligation de renseigner au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS. A.__ ne pouvait donc être condamné sur la base de cette disposition.

 

Le TF admet le recours de A.__, annule l’arrêt cantonal et renvoie la cause à l’autorité cantonale afin que celle-ci libère A.__ du chef de prévention de contravention au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS.

 

 

Arrêt 6B_376/2020 consultable ici

 

 

6B_71/2020 (f) du 12.06.2020 – Collision entre un piéton cheminant sur une route principale, de nuit, vêtu d’habits sombres, et une automobile – Homicide par négligence – 117 CP / Rappel de la notion de négligence / Rupture du lien de causalité adéquate en matière de circulation routière – Rappel jurisprudentiel

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_71/2020 (f) du 12.06.2020

 

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Collision entre un piéton cheminant sur une route principale, de nuit, vêtu d’habits sombres, et une automobile – Homicide par négligence / 117 CP

Rappel de la notion de négligence

Rupture du lien de causalité adéquate en matière de circulation routière – Rappel jurisprudentiel – Pas d’interruption du lien de causalité adéquate in casu

 

Le 31.12.2016 au soir, D.B.__, né en 1995, a quitté son domicile à Pully et s’est rendu en bus à F.__, pour y passer le réveillon avec des amis chez E.__. Lors de cette soirée, il a consommé de l’alcool. Vers 3h30, D.B.__, qui présentait alors un taux d’alcool compris entre 1.99 g/kg et 2.86 g/kg a quitté le domicile de E.__ pour rentrer chez lui à pied, en traversant un bois sur quelque 100 mètres pour rejoindre la route principale de Lausanne à Bulle.

A.__ a terminé son service en qualité de maître d’hôtel à Lausanne le 01.01.2017 vers 2h00, puis il a fêté la nouvelle année avec son équipe. Peu avant 3h30, il s’est mis au volant de son véhicule automobile pour rentrer chez lui.

A Savigny, sur la route principale de Lausanne à Bulle, le 01.01.2017, vers 3h45, après un panneau indiquant la fin de la limitation de vitesse à 60 km/h, alors qu’il circulait au volant de sa voiture à une vitesse comprise entre 70 et 75 km/h, feux de croisement enclenchés, sur un tronçon rectiligne et humide qui était dépourvu d’éclairage public, A.__ a aperçu seulement tardivement D.B.__, qui portait des vêtements sombres et qui se trouvait debout sur la partie gauche de sa voie de circulation. A.__ a alors freiné, heurtant quasiment simultanément D.B.__ – qui était de dos – à la face postérieure de la jambe droite. Ce dernier a chuté sur le véhicule et a été emporté sur une distance de 27 mètres, avant d’être projeté au sol. A.__ a immobilisé sa voiture sur la partie droite de la chaussée et s’est immédiatement rendu auprès de D.B.__ pour lui porter secours.

Cette nuit-là, des nappes de brouillard étaient présentes par intermittence. Au moment des faits, la visibilité était bonne et il n’y avait pas de brouillard à l’endroit où l’accident s’est produit.

Après l’intervention des secours, D.B.__ a été acheminé au CHUV où sa mort cérébrale a été constatée le 02.01.2017. Dans son rapport, le Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après: CURML) a conclu que le décès de D.B.__ était la conséquence d’un traumatisme cranio-cérébral sévère. L’analyse de l’ensemble des données a permis au CURML de conclure que la collision s’était probablement produite entre l’avant gauche de la voiture et l’arrière de la victime, laquelle était debout lors de l’accident.

La police a établi un rapport préalable le 01.01.2017 puis un autre rapport le 07.04.2017. Durant l’intervention de la police sur les lieux de l’accident, le brouillard était présent par intermittence. La police cantonale a établi un cahier technique contenant notamment un cahier de photographies de la route sur laquelle circulait A.__, du lieu de l’accident et de la voiture du prénommé, des vues scanner 3D et des relevés techniques. Les photographies montrent une route cantonale rectiligne dépourvue d’éclairage public, de trottoir et de passage piéton, bordée d’un côté par une forêt la surplombant et de l’autre par une zone industrielle située en contrebas d’un talus et délimitée par une barrière.

Le casier judiciaire suisse de A.__ fait état d’une condamnation à une peine pécuniaire de 25 jours-amende avec sursis et à une amende, prononcée le 28.03.2013 par le ministère public de l’arrondissement de Lausanne, pour conduite en état d’incapacité de conduire (taux d’alcool qualifié). Selon l’extrait de son fichier ADMAS, A.__ a fait l’objet de sept mesures administratives en matière de circulation routière entre 2002 et 2013, à savoir deux avertissements pour vitesse excessive, deux avertissements pour conduite en état d’ébriété, deux retraits de permis de conduire d’une durée d’un mois pour vitesse excessive et un retrait de permis de conduire d’une durée de quatre mois pour conduite en état d’ébriété qualifié.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 01.02.2019, le Tribunal de police a reconnu A.__ coupable d’homicide par négligence et l’a condamné à une peine pécuniaire de 75 jours-amende à 50 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans. A.__ a été condamné à verser aux parents de D.B.__ des indemnités à titre de dommages et intérêts ainsi qu’en réparation du tort moral subi.

Par jugement du 02.10.2019 (arrêt 328 [PE17.000001-MRN/AWL]), admission partielle de l’appel formé par A.__ par la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal, concernant la quotité de la peine, qu’elle a ramenée à 30 jours-amende à 50 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans. Elle l’a rejeté pour le surplus. Les appels joints des parents de D.B.__ ont été rejetés.

La Cour d’appel pénale a retenu que A.__ a fait preuve d’une inattention de plusieurs secondes contraire aux art. 31 al. 1 LCR et 3 al. 1 OCR. S’il avait voué toute l’attention que l’on pouvait attendre de lui à la route, il aurait pu voir suffisamment tôt la victime qui se trouvait debout, ce qui lui aurait permis de freiner et de dévier sa trajectoire pour tenter d’éviter le choc. En définitive, elle a retenu que A.__ n’est pas resté constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence et qu’il a fait preuve d’une inattention fautive. La cour cantonale a admis la causalité naturelle et adéquate et a exclu une rupture de cette dernière, relevant que la présence d’un piéton au milieu d’une route cantonale, à un endroit qui n’est ni désert ni isolé, n’est pas à ce point insolite et imprévisible qu’elle relègue à l’arrière-plan la faute du conducteur qui l’a heurté.

 

TF

Aux termes de l’art. 117 CP, celui qui, par négligence, aura causé la mort d’une personne sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Selon l’art. 12 al. 3 CP, agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L’imprévoyance est coupable quand l’auteur n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle.

Une condamnation pour homicide par négligence nécessite la réalisation de trois éléments constitutifs, à savoir le décès d’une personne, une négligence, ainsi qu’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre les deux premiers éléments (ATF 122 IV 145 consid. 3 p. 147; cf. arrêt 6B_704/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.1).

 

 

Négligence

Deux conditions doivent être remplies pour qu’il y ait négligence :

  • En premier lieu, il faut que l’auteur viole les règles de la prudence, c’est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d’autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s’il apparaît qu’au moment des faits, son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d’autrui. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut donc se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d’associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence.
  • En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1 p. 158; 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64 et références citées).

S’agissant d’un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140; 122 IV 133 consid. 2a p. 135).

L’art. 31 al. 1 LCR prescrit que le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence. Cela signifie qu’il doit être à tout moment en mesure de réagir utilement aux circonstances (arrêts 6B_1300/2019 du 11 février 2020 consid. 1.3; 6B_221/2018 du 7 décembre 2018 consid. 2.2). L’art. 3 al. 1 de l’ordonnance sur les règles de la circulation routière (OCR; RS 741.11) précise notamment que le conducteur vouera son attention à la route et à la circulation. Le degré de l’attention requise par l’art. 3 al. 1 OCR s’apprécie au regard des circonstances d’espèce, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l’heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles (ATF 137 IV 290 consid. 3.6 p. 295 et les références citées; arrêt 6B_1300/2019 du 11 février 2020 consid. 1.3).

Compte tenu des circonstances du cas d’espèce, dont l’arbitraire n’a pas été démontré, impliquant un véhicule sur un tronçon rectiligne à la sortie d’une zone limitée à 60 km/h, la nuit du réveillon, la visibilité étant bonne, il pouvait être attendu de A.__ – qui avait travaillé de nuit et rentrait à une heure tardive –, qu’il voue toute son attention à la route et garde la maîtrise de son véhicule de sorte à éviter un obstacle sur sa propre voie de circulation.

En tant que A.__ conteste avoir fait preuve d’inattention, son grief repose sur son appréciation des faits tels qu’ils auraient dû être retenus, selon lui, par la cour cantonale. Dans cette mesure, sa critique est vaine, les circonstances de l’accident ayant été établies sans arbitraire. La cour cantonale pouvait, sans violer le droit fédéral, retenir qu’en vouant toute l’attention que l’on pouvait attendre de lui à la route, A.__ aurait pu apercevoir la victime et freiner ou dévier sa trajectoire pour tenter d’éviter le choc.

A.__ ne saurait rien déduire en sa faveur de la règle selon laquelle le conducteur doit avant tout porter attention, outre sur sa propre voie de circulation, sur les dangers auxquels on doit s’attendre et peut ne prêter qu’une attention secondaire à d’éventuels comportements inhabituels ou aberrants (cf. ATF 122 IV 225 consid. 2c p. 228; arrêt 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.2.1), dans la mesure où, en l’espèce, le danger se présentait précisément sur sa propre voie et dans son sens de circulation, sur lesquels il devait porter toute son attention.

Pour le surplus, c’est en vain que A.__ prétend avoir fait preuve de toute la prudence recommandée en roulant entre 70 et 75 km/h sur un tronçon limité à 80 km/h, dès lors qu’aucun excès de vitesse ne lui est reproché, et étant établi que la visibilité était bonne, sans que l’usage des feux de croisement ne remette en cause cet aspect d’après les constatations cantonales.

 

Rupture du lien de causalité

Un comportement est la cause naturelle d’un résultat s’il en constitue l’une des conditions sine qua non, c’est-à-dire si, sans lui, le résultat ne se serait pas produit; il s’agit là d’une question de fait (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61; 138 IV 1 consid. 4.2.3.3 p. 9). Lorsque la causalité naturelle est établie, il faut encore rechercher si le comportement incriminé est la cause adéquate du résultat. Tel est le cas lorsque, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s’est produit. Il s’agit d’une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61; 133 IV 158 consid. 6.1 p. 168). Selon la jurisprudence, la causalité adéquate sera admise même si le comportement de l’auteur n’est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le résultat soit dû à d’autres causes, notamment à l’état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers (ATF 131 IV 145 consid. 5.2 p. 148). Il y a en revanche rupture de ce lien de causalité adéquate, l’enchaînement des faits perdant sa portée juridique, si une autre cause concomitante – par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou celui d’un tiers – propre au cas d’espèce constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. Cependant, cette imprévisibilité de l’acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l’auteur (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 p. 265 s.; 133 IV 158 consid. 6.1 p. 168).

En matière de circulation routière, le Tribunal fédéral a jugé que la présence inattendue d’un piéton traversant une autoroute n’était pas plus imprévisible que celle d’animaux errants ou blessés, de victimes d’accidents, d’objets tombés sur la chaussée ou de véhicules immobilisés, de tels obstacles n’étant pas considérés si rares qu’on puisse en faire abstraction sur une autoroute (ATF 100 IV 279 consid. 3d p. 284). Dans un arrêt concernant un piéton cheminant sur une route cantonale vers 22h30, ce comportement n’a pas été considéré comme étant exceptionnel au point d’interrompre le lien de causalité entre le comportement fautif du conducteur automobile et le décès de la victime (arrêt 6B_1023/2010 du 3 mars 2011 consid. 3.2).

En l’espèce, le lien de causalité naturelle n’est pas discuté.

Une inattention fautive de plusieurs secondes au volant d’un véhicule automobile circulant entre 70 et 75 km/h, à la sortie d’une zone limitée à 60 km/h, sur une route principale qui longe une zone industrielle, de nuit, favorise l’avènement d’un accident.

Si la présence d’un piéton au milieu d’une route principale en pleine nuit est inhabituelle, elle n’est pas extraordinaire, le soir du réveillon, connu comme étant un événement festif impliquant notamment de la consommation d’alcool et des comportements inattendus sur les routes, en particulier au moment du retour au domicile. Aussi, le comportement de la victime portant des vêtements sombres et se tenant debout au milieu de la chaussée, est certes dangereux, il n’apparaît toutefois pas extraordinaire au point de reléguer à l’arrière-plan le comportement fautif de l’auteur.

La cour cantonale n’a pas ignoré le comportement dangereux de la victime mais a considéré qu’il s’agissait d’une faute concomitante qui n’était pas insolite et imprévisible au point de reléguer à l’arrière-plan la faute de A.__ et d’interrompre le lien de causalité. Ce raisonnement ne souffre aucune contradiction, contrairement à ce que suggère A.__. Partant, la faute de la victime, autant qu’elle n’est pas interruptive du lien de causalité, est sans pertinence dès lors qu’il n’existe pas de compensation des fautes en droit pénal (ATF 122 IV 17 consid. 2c/cc p. 24; arrêt 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.3.2).

La présente affaire se distingue de celles dont se prévaut A.__, dans lesquelles une rupture du lien de causalité a été retenue au motif que la victime s’était soudainement élancée sur la chaussée lors du passage de la voiture (arrêt 6S.287/2004 du 24 septembre 2004 consid. 2.5), ou la victime s’était couchée sans raison sur les voies d’une autoroute (arrêt 6B_291/2015 du 18 janvier 2016 consid. 3.2, qui distingue expressément ce comportement de celui d’une personne qui déambule de manière inconsciente sur la route). Aussi, A.__ ne saurait rien en déduire en sa faveur.

En définitive, c’est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale a admis la causalité naturelle et adéquate entre la négligence fautive de A.__ et le décès de la victime et a exclu la rupture du lien de causalité.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 6B_71/2020 consultable ici

 

 

6B_613/2020 (f) du 17.09.2020 – Falsification de certificats médicaux d’arrêt de travail – Perception d’indemnités journalières LAA / Faux dans les titres – 251 ch. 1 CP / Escroquerie – 146 al. 1 CP / Concours (parfait) d’infractions

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_613/2020 (f) du 17.09.2020

 

Consultable ici

 

Falsification de certificats médicaux d’arrêt de travail – Perception d’indemnités journalières LAA

Faux dans les titres – Falsification d’un titre (faux matériel) / 251 ch. 1 CP

Escroquerie – Utilisation d’un titre falsifié conduit en principe à admettre l’existence d’une tromperie astucieuse / 146 al. 1 CP

Concours (parfait) d’infractions – Concours parfait entre escroquerie et faux dans les titres lorsque l’auteur utilise un faux pour commettre une escroquerie

 

[Faits s’agissant des infractions encore contestées devant le Tribunal fédéral]

A.__ est né en 1985 en Macédoine, pays dont il est ressortissant. Son casier judiciaire fait état d’une condamnation, en 2010, pour séjour illégal, d’une condamnation, en 2011, pour entrée illégale, d’une condamnation, en 2012, pour entrée illégale et séjour illégal, d’une condamnation, en 2013, pour accomplissement non autorisé d’une course d’apprentissage, d’une condamnation, en 2014, pour vol, ainsi que d’une condamnation, la même année, pour vol, circulation sans assurance-responsabilité civile, emploi d’étranger sans autorisation, infractions d’importance mineure à la législation sur les étrangers.

Le 27.10.2014, A.__ a été impliqué dans un accident de la circulation sans gravité, dans lequel il n’a, selon ses propres déclarations à la police, pas été blessé. L’intéressé s’est pourtant rendu à l’hôpital afin de se faire examiner et obtenir un certificat d’arrêt de travail. Ce document ne valait que pour la journée. A.__ a falsifié celui-ci, indiquant faussement que son interruption de travail durerait du 27.10.2014 au 24.11.2014.

Le 03.11.2014, A.__ a annoncé le sinistre à l’assurance-accidents, déclarant faussement souffrir de douleurs au niveau de la nuque et du dos, et se trouver en incapacité de travail supérieure à un mois, à partir du 27.10.2014. Sur la base de ces informations, l’assurance-accidents a accordé au prénommé le droit à une indemnité journalière de 213 fr. 70 dès le 30 octobre 2014.

Après avoir été questionné par l’assurance-accidents sur son état de santé, A.__ a renvoyé un formulaire daté du 13.01.2015, dans lequel il indiquait reprendre son activité professionnelle à 100% dès le 12.01.2015. Il y a joint un certificat médical – falsifié par ses soins – indiquant faussement une interruption de travail totale entre le 27.10.2014 et le 11.01.2015.

Ainsi, entre le 30.10.2014 et le 11.01.2015, A.__ a indûment perçu des indemnités journalières de l’assurance-accidents, à hauteur de 15’813 fr. 80 au total.

 

 

Procédures cantonales

Par jugement du 19.08.2019, le Tribunal correctionnel a condamné A.__, pour abus de confiance, gestion déloyale, violation de l’obligation de tenir une comptabilité, détournement de valeurs mises sous main de justice, tentative d’escroquerie, escroquerie, faux dans les titres, induction de la justice en erreur, emploi répété d’étranger sans autorisation, infraction à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS), infraction à la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP), et circulation sans assurance-responsabilité civile, à une peine privative de liberté de 30 mois, dont 15 mois avec sursis durant cinq ans, ainsi qu’à une peine pécuniaire – partiellement complémentaire à celles prononcées les 19.08.2014 et 12.11.2014 – de 45 jours-amende à 70 fr. le jour, avec sursis durant cinq ans.

Par jugement du 03.03.2020 (arrêt n° 35 PE14.006615-HNI/ACP), la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l’appel formé par A.__ contre ce jugement et a confirmé celui-ci.

 

TF

Faux dans les titres

Selon l’art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre.

Sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait (art. 110 al. 4 CP).

L’art. 251 ch. 1 CP vise notamment le titre faux ou la falsification d’un titre, soit le faux matériel. Il y a faux matériel lorsque l’auteur réel du document ne correspond pas à l’auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité. Un simple mensonge écrit ne constitue cependant pas un faux intellectuel. Le document doit revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s’y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration (arrêt 6B_1406/2019 du 19 mai 2020 consid. 1.1 destiné à la publication; ATF 144 IV 13 consid. 2.2.2 p. 14 s.).

A.__ ne conteste pas que le certificat médical établi le 27.10.2014 – lequel a par la suite été falsifié – dût être qualifié de titre. Il soutient que les deux copies de ce document – après falsification – ne revêtiraient en revanche pas cette qualité, car il s’agirait de « faux grossiers, aisément reconnaissables ». Or, l’intéressé perd de vue que l’infraction de faux dans les titres peut être réalisée même par une falsification maladroite, facilement reconnaissable (cf. ATF 137 IV 167 consid. 2.4 p. 171; arrêts 6B_273/2019 du 9 octobre 2019 consid. 1.3; 6B_980/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3.3.1). Le faux matériel ne peut être exclu que lorsqu’il n’existe aucun danger de confusion quant à l’identité de son auteur réel (cf. arrêt 6B_980/2018 précité consid. 3.3.1). Tel n’est pas le cas en l’espèce, la falsification n’étant pas grossière, ainsi que l’a constaté la cour cantonale dans le jugement attaqué. Les différences d’écritures pointées par A.__, non plus que le caractère « inhabituel » des informations comprises dans les documents falsifiés, ne sauraient modifier cette appréciation.

La cour cantonale n’a donc pas violé le droit fédéral en condamnant A.__ pour faux dans les titres en raison de ces faits.

 

Escroquerie

Aux termes de l’art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d’escroquerie celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l’aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

L’escroquerie consiste à tromper la dupe. Pour qu’il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas; il faut qu’elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l’art. 146 CP, lorsque l’auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu’il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible, ne l’est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l’auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu’elle renoncera à le faire en raison d’un rapport de confiance particulier (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 154 s.; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 79 s.). L’astuce n’est pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d’attention ou éviter l’erreur avec le minimum de prudence que l’on pouvait attendre d’elle. Il n’est cependant pas nécessaire qu’elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu’elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d’être trompée. L’astuce n’est exclue que si elle n’a pas procédé aux vérifications élémentaires que l’on pouvait attendre d’elle au vu des circonstances. Une co-responsabilité de la dupe n’exclut toutefois l’astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 155; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 81).

La définition générale de l’astuce est également applicable à l’escroquerie en matière d’assurances et d’aide sociale. L’autorité agit de manière légère lorsqu’elle n’examine pas les pièces produites ou néglige de demander à celui qui requiert des prestations les documents nécessaires afin d’établir ses revenus et sa fortune, comme par exemple sa déclaration fiscale, une décision de taxation ou des extraits de ses comptes bancaires. En revanche, compte tenu du nombre de demandes d’aide sociale, une négligence ne peut être reprochée à l’autorité lorsque les pièces ne contiennent pas d’indice quant à des revenus ou à des éléments de fortune non déclarés ou qu’il est prévisible qu’elles n’en contiennent pas. En l’absence d’indice lui permettant de suspecter une modification du droit du bénéficiaire à bénéficier des prestations servies, l’autorité d’assistance n’a pas à procéder à des vérifications particulières (arrêts 6B_488/2020 du 3 septembre 2020 consid. 1.1; 6B_346/2020 du 21 juillet 2020 consid. 1.2; 6B_152/2020 du 1er avril 2020 consid. 3.2).

A.__ conteste le caractère astucieux de la tromperie. Son argumentation est sans objet dans la mesure où elle repose sur la prémisse selon laquelle les copies du certificat médical falsifié – adressées à la l’assurance-accidents – auraient constitué des faux grossiers (cf. consid. 1.2.1 supra).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’utilisation d’un titre falsifié doit en principe conduire à admettre l’existence d’une tromperie astucieuse (cf. ATF 128 IV 18 consid. 3a p. 20 et les références citées; arrêt 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 6.5.5.3). En l’occurrence, l’annonce d’une fausse incapacité de travail appuyée par des photocopies d’un certificat médical falsifié constituait une tromperie astucieuse. On ne voit pas en quoi la transmission de photocopies d’un certificat médical aurait dû attirer particulièrement l’attention de la SUVA ni pousser celle-ci à procéder à des vérifications supplémentaires.

L’autorité précédente pouvait donc, sans violer le droit fédéral, condamner A.__ pour escroquerie s’agissant des événements en question.

 

Concours d’infraction

A.__ soutient qu’il aurait dû uniquement être condamné pour escroquerie à raison de ces faits, un concours d’infraction étant, selon lui, exclu.

Comme le Tribunal fédéral a eu l’occasion de le rappeler encore récemment (cf. arrêt 6B_1086/2019 du 6 mai 2020 consid. 7.12), il y a – selon sa jurisprudence et la doctrine dominante – concours parfait entre l’escroquerie et le faux dans les titres lorsque l’auteur utilise un faux pour commettre une escroquerie, puisque les biens juridiquement protégés sont différents. En effet, l’art. 146 CP protège le patrimoine, alors que l’art. 251 CP protège la confiance placée dans la validité des pièces (cf. ATF 138 IV 209 consid. 5.5 p. 213; 129 IV 53 consid. 3 p. 56 ss). Cela vaut même si le faux dans les titres n’a été commis que dans le but de réaliser l’escroquerie (cf. ATF 138 IV 209 consid. 5.5 p. 213; arrêt 6B_772/2011 du 26 mars 2012 consid. 1.3 et la référence citée).

A.__ se borne à affirmer qu’il conviendrait de renverser cette jurisprudence, sans même mentionner, à l’appui de son argumentation, l’avis d’auteurs soutenant une telle position (cf. sur ce point l’arrêt 6B_1086/2019 précité consid. 7.12). On ne voit pas pour quels motifs il conviendrait de s’écarter des principes précités. En indiquant que « retenir l’usage de faux en concours réel revient à punir un même comportement blâmable deux fois », A.__ énonce précisément le principe du concours (parfait) d’infractions, dont on voit mal en quoi il pourrait contrevenir au droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 6B_613/2020 consultable ici

 

 

6B_533/2020 (f) du 16.09.2020 – Conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) – Procédure pour le contrôle de l’alcool dans l’air expiré – 10a OCCR / Différence entre éthylotest et éthylomètre / Maintien de la qualité de mesure de l’éthylomètre – Aspects techniques et sécurité métrologique

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_533/2020 (f) du 16.09.2020

 

Consultable ici

 

Conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) – Procédure pour le contrôle de l’alcool dans l’air expiré / 10a OCCR

Différence entre éthylotest et éthylomètre

Maintien de la qualité de mesure de l’éthylomètre – Aspects techniques et sécurité métrologique

 

Le 15.07.2017, vers 2h35, alors qu’il circulait au volant d’un véhicule automobile, A.__ a été interpellé par la police dans le cadre d’un contrôle de routine. Un premier examen à l’éthylotest a été effectué sur place. Les agents ont relevé un taux d’alcool de 0,45 mg/l d’air expiré à 2h42. A.__ a ensuite été soumis à l’éthylomètre, qui a indiqué un taux de 0,46 mg/l à 3h02. Son permis de conduire a été immédiatement saisi et transmis à l’Office des véhicules cantonal.

Par ordonnance pénale du 18.09.2017, l’automobiliste a été déclaré coupable de conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) et condamné à 12 jours-amende à 30 fr. le jour, ainsi qu’aux frais de procédure. Ensuite de son opposition à l’ordonnance pénale, de son défaut à l’audience de première instance du 15.02.2018, puis de son recours à la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal contre la décision constatant le retrait de l’opposition et rayant la cause du rôle, l’affaire a été renvoyée en première instance.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 07.06.2019, la Juge pénale du Tribunal de première instance a notamment reconnu l’automobiliste coupable de conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié). Elle l’a condamné à 22 jours-amende à 30 fr. le jour.

Ensuite de l’appel interjeté par l’automobiliste contre ce jugement, la Cour pénale du Tribunal cantonal, par jugement du 25.02.2020, a confirmé le jugement de première instance, reconnaissant l’intéressé coupable d’avoir conduit un véhicule automobile en état d’ébriété (taux qualifié ; 0,46 mg/l). La cour cantonale a prononcé la même peine que l’autorité de première instance.

 

TF

La cour cantonale a considéré qu’elle pouvait apprécier librement les éléments de preuve dont elle disposait (art. 10 al. 2 CPP; v. aussi sur ce principe en matière d’établissement de l’ébriété : ATF 129 IV 290 consid. 2.7 p. 295; 127 IV 172 consid. 3 p. 173 ss; 123 II 97 consid. 3c/bb p. 104 ss), cependant que l’automobiliste considère que ces preuves techniques ont été administrées en violation de règles de validité et ne seraient donc pas exploitables (art. 141 al. 2 CPP). Dès lors que le juge ne peut apprécier librement que le résultat de preuves exploitables juridiquement (ATF 133 I 33 consid. 2.1 p. 36 p. s.; THOMAS HOFER, in Basler Kommentar, Strafprozessordnung, 2e éd. 2014, nos 42 et 63 ad art. 10 CPP), il convient d’examiner tout d’abord si tel était bien le cas des preuves sur lesquelles la cour cantonale a fondé sa conviction.

 

Aux termes de l’art. 141 al. 2 CPP, les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves. L’art. 141 al. 3 CPP prévoit en revanche que les preuves administrées en violation de prescriptions d’ordre sont exploitables. Lorsque la loi ne qualifie pas elle-même une disposition de règle de validité, la distinction entre une telle règle et une prescription d’ordre s’opère en prenant principalement pour critère l’objectif de protection auquel est censée ou non répondre la norme. Si la disposition de procédure en cause revêt une importance telle pour la sauvegarde des intérêts légitimes de la personne concernée qu’elle ne peut atteindre son but que moyennant l’invalidation de l’acte de procédure accompli en violation de cette disposition, on a affaire à une règle de validité (ATF 144 IV 302 consid 3.4.3 p. 310; 139 IV 128 consid. 1.6 p. 134; Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1163).

Il convient donc de déterminer la portée des règles dont l’automobiliste critique le non-respect.

Selon l’art. 91 LCR, est puni de l’amende quiconque conduit un véhicule automobile en état d’ébriété (al. 1 let. a). Est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque conduit un véhicule automobile en état d’ébriété et présente un taux d’alcool qualifié dans le sang ou dans l’haleine (al. 2 let. a).

L’ordonnance de l’Assemblée fédérale concernant les taux limites d’alcool admis en matière de circulation routière dispose, à son article premier, qu’un conducteur est réputé incapable de conduire pour cause d’alcool (état d’ébriété) lorsqu’il présente un taux d’alcool dans le sang de 0,5 gramme pour mille ou plus (let. a), ou un taux d’alcool dans l’haleine de 0,25 milligramme ou plus par litre d’air expiré (let. b). Selon l’art. 2 de cette ordonnance, sont considérés comme qualifiés un taux d’alcool dans le sang de 0,8 gramme pour mille ou plus (let. a), ou un taux d’alcool dans l’haleine de 0,4 milligramme ou plus par litre d’air expiré (let. b). L’art. 55 LCR prescrit que les conducteurs de véhicules, de même que les autres usagers de la route impliqués dans un accident, peuvent être soumis à un alcootest (al. 1). Une prise de sang doit être ordonnée si la personne concernée présente des indices laissant présumer une incapacité de conduire qui n’est pas imputable à l’alcool (let. a), s’oppose ou se dérobe à l’alcootest ou fait en sorte que cette mesure ne puisse atteindre son but (let. b) ou exige une analyse de l’alcool dans le sang (let. c). Une prise de sang peut être ordonnée si le contrôle au moyen de l’éthylomètre est impossible ou s’il est inapproprié pour constater l’infraction (al. 3bis). Ce dernier alinéa, entré en vigueur le 1er octobre 2016, crée la base légale permettant de reconnaître force probante à la constatation de l’ébriété par la mesure du taux d’alcool dans l’air expiré, au moyen d’un éthylomètre (Message du Conseil fédéral concernant Via sicura, le programme d’action de la Confédération visant à renforcer la sécurité routière, du 20 octobre 2010, FF 2010 7703 ss, ch. 1.3.2.16). Cela a mis fin au système de la « primauté de la prise de sang » (v. ATF 129 IV 290 consid. 2.7 p. 295).

Aux termes de l’art. 10a al. 1 OCCR, le contrôle de l’alcool dans l’air expiré peut être effectué au moyen d’un éthylotest au sens de l’art. 11 (let. a) ou d’un éthylomètre au sens de l’art. 11a (let. b). Dans cette teneur de la norme, le vocable « éthylotest », désigne ce que le texte dénommait antérieurement « éthylomètre », à la différence que cet appareil affichait, après conversion à l’aide d’un facteur 2000, l’alcoolémie exprimée en g/kg (pour-mille) de sang et non le taux d’alcool dans l’haleine exprimé en g/l d’air expiré. Selon la terminologie actuelle, l’éthylotest est un instrument de mesure qui détermine la concentration massique d’alcool dans l’air expiré et l’éthylomètre celui qui détermine et affiche, de manière redondante et dans des conditions d’échantillonnage contrôlées, la concentration massique d’alcool dans l’air expiré (art. 3 let. c et d de l’ordonnance du DFJP du 30 janvier 2015 sur les instruments de mesure d’alcool dans l’air expiré; OIAA; RS 941.210.4; v. aussi THOMAS BRIELLMANN, Atemalkoholmessung aus rechtsmedizinischer Sicht, Jahrbuch zum Strassenverkehrsrecht 2018, p. 274 ss). En cas de recours à l’éthylotest, l’art. 11 OCCR précise que le contrôle peut avoir lieu au plus tôt après un délai d’attente de 20 minutes (al. 1 let. a), ou après que la personne contrôlée s’est rincé la bouche, conformément aux indications éventuelles du fabricant de l’appareil (al. 1 let. b). Il y a lieu d’effectuer deux mesures. Si elles divergent de plus de 0,05 mg/l, il faut procéder à deux nouvelles mesures. Si la différence dépasse de nouveau 0,05 mg/l et s’il y a des indices de consommation d’alcool, il y a lieu d’effectuer un contrôle au moyen d’un éthylomètre ou d’ordonner une prise de sang (al. 2). Le résultat inférieur des deux mesures est déterminant. La personne concernée peut reconnaître celui-ci par sa signature, notamment s’il correspond, pour les personnes qui conduisaient un véhicule automobile, à 0,25 mg/l ou plus, mais moins de 0,40 mg/l (al. 3 let. a). Conformément à l’art. 11a OCCR, le contrôle effectué au moyen d’un éthylomètre peut avoir lieu au plus tôt après un délai d’attente de dix minutes (al. 1). Si l’éthylomètre décèle la présence d’alcool dans la bouche, il faut attendre au moins cinq minutes supplémentaires pour effectuer le contrôle (al. 2). Les éthylotests et éthylomètres doivent répondre aux exigences de l’Ordonnance du 15 février 2006 sur les instruments de mesure (OIMes; RS 941.210) et des prescriptions d’exécution du Département fédéral de justice et police (art. 11 al. 4 et 11a al. 3 OCCR). L’OFROU en règle le maniement (art. 11 al. 5 et 11a al. 4 OCCR).

En application de cette délégation de compétence, l’OFROU a précisé, s’il en était besoin, que les éthylotests et les éthylomètres doivent être utilisés conformément à la notice d’emploi du fabricant (art. 19 Ordonnance de l’OFROU concernant l’ordonnance sur le contrôle de la circulation routière [OOCCR-OFROU] du 22 mai 2008). Aucune déduction n’est appliquée aux valeurs affichées par ces deux types d’appareils (art. 20 OOCCR-OFROU).

Les instruments de mesure destinés à la détermination officielle de faits matériels pour lesquels le Département fédéral de justice et police a édicté dans une ordonnance les prescriptions nécessaires spécifiques (cf. OIAA précitée), sont également soumis à l’OIMes (art. 3 al. 1 let. a ch. 5 et let. b OIMes). Dite ordonnance règle, outre la mise sur le marché, les contrôles ultérieurs permettant de garantir que ces appareils continuent à répondre aux exigences fixées initialement pendant toute la durée de leur utilisation (art. 20 OIMes), soit le contrôle ultérieur de la stabilité (art. 24 OIMes). Les procédures destinées à maintenir la stabilité de mesure sont décrites dans l’Annexe 7 à l’OIMes, soit en particulier la vérification ultérieure, avec, au besoin délivrance d’un certificat de vérification ou de conformité (Annexe 7 OIMes ch. 1.3) et l’étalonnage, avec contrôle du respect des erreurs maximales tolérées et délivrance d’un certificat d’étalonnage (Annexe 7 OIMes ch. 6.3).

L’OOCCR-OFROU, de même que l’OCCR (art. 11 al. 4 et 11a al. 3 OCCR), renvoient en outre aux règles de l’OIAA, qui déterminent notamment les exigences spécifiques afférentes aux instruments de mesure d’alcool dans l’air expiré et les procédures destinées à maintenir la stabilité de mesure de ces instruments (art. 1 let. a et c OIAA). Conformément à ces règles, les éthylomètres doivent répondre aux exigences essentielles fixées à l’annexe 1 de l’OIMes et à l’annexe 3 OIAA (art. 8 OIAA), qui concernent en particulier l’étendue des mesures, les conditions de fonctionnement nominales ainsi que les erreurs maximales tolérées. Ces instruments doivent être soumis à diverses procédures destinées à assurer le maintien de la stabilité de mesure. Sur ce point, l’art. 10 OIAA renvoie également à l’OIMes et l’art. 24 al. 3 de cette dernière ordonnance réserve les règles ressortant des ordonnances sur les instruments de mesure spécifiques quant aux procédures applicables à chaque instrument de mesure ainsi que la fréquence des contrôles (art. 24 al. 3 OIMes). S’agissant des éthylomètres, en particulier, l’art. 10 OIAA soumet ces appareils à la vérification ultérieure conformément à l’annexe 7 ch. 1 OIMes (v. aussi l’annexe 4 ch. 1 OIAA), effectuée chaque année par METAS ou par un laboratoire de vérification habilité (let. a), à l’entretien (annexe 7 ch. 7 OIMes) ainsi qu’à l’ajustage (annexe 7 ch. 8 OIMes), réalisés au minimum une fois par an par une personne compétente (let. b et c). Quant au ch. 1 de l’Annexe 4 OIAA (Vérifications initiale et ultérieure), il dispose que les éthylomètres sont vérifiés dans des conditions de laboratoire. Les erreurs maximales tolérées lors de la vérification ultérieure équivalent aux deux tiers des erreurs maximales tolérées dans les conditions de fonctionnement nominales définies à l’annexe 3 ch. 4. Cette norme réserve toutefois à METAS de déterminer la procédure de vérification ultérieure au cas par cas selon le type d’instrument mesureur (ch. 1.1). La méthode de Dubowski telle qu’elle est décrite dans la recommandation OIML R 126 doit être employée pour créer des mélanges d’alcool (ch. 1.2). En cas de dysfonctionnement de l’appareil ou de doutes quant à la précision des mesures, les éthylotests et les éthylomètres ne peuvent être réutilisés qu’après avoir subi une procédure de maintien de la stabilité de mesure conformément à l’OIAA, soit un entretien au sens de l’art. 6, let. b, OIAA et un ajustage au sens de l’art. 6, let. c, OIAA pour les éthylotests (let. a), une vérification ultérieure au sens de l’art. 10, let. a, OIAA, un entretien au sens de l’art. 10, let. b, OIAA et un ajustage au sens de l’art. 10, let. c, OIAA pour les éthylomètres (let. b).

On retiendra de ce dispositif réglementaire complexe et tout au moins partiellement redondant, que l’éthylomètre doit, en plus de l’entretien et de l’ajustage, faire l’objet d’une vérification annuelle, qui doit être effectuée par METAS ou un laboratoire habilité et qu’il incombe à METAS de déterminer la procédure de vérification ultérieure des éthylomètres, au cas par cas.

 

En ce qui concerne tout d’abord l’éthylotest, l’automobiliste souligne, en particulier, qu’une seule mesure du taux d’alcool dans son haleine a été réalisée à l’aide de cet instrument, et que celui-ci avait été contrôlé le 13.07.2016 par METAS, soit plus d’une année avant la date du contrôle routier du 15.07.2017. Il en conclut que l’appareil n’aurait plus respecté les exigences réglementaires à cette date.

 

Ces développements de l’automobiliste ne convainquent pas. En effet, que l’art. 6 let. a OIAA prescrive qu’il soit procédé annuellement à un contrôle par METAS ou un laboratoire de vérification habilité ne signifie pas que cet intervalle doive impérativement être computé de quantième à quantième des mois correspondants de deux années consécutives. L’exigence d’annualité du contrôle ne serait pas manifestement méconnue si la durée de validité du certificat s’étendait à la fin du dernier mois de validité, comme cela paraît être la pratique de METAS (v. le certificat de vérification No 232-25694 du 13.07.2016, « valable jusqu’au 31 juillet 2017 »).

Quoi qu’il en soit, dès lors qu’une seule mesure a été effectuée au moyen de l’éthylotest et que le résultat était, de surcroît, supérieur à la limite au-delà de laquelle le conducteur ne peut plus reconnaître le résultat du test (cf. art. 11 al. 3 OCCR), cette question souffre de demeurer indécise, pour les motifs qui suivent.

 

La seconde mesure a été réalisée à l’aide d’un éthylomètre. Pour répondre aux critiques de l’automobiliste, la cour cantonale a constaté que l’appareil « Lion intoxilyzer®9000 », utilisé lors du contrôle du 15.07.2017, avait été étalonné le 07.03.2017 dans le laboratoire du fabricant. Elle en a conclu que la procédure suivie pour assurer le maintien de la stabilité de mesure de cet appareil répondait aux exigences fixées par l’art. 10 OIAA.

Il est, tout d’abord, constant qu’aucun certificat n’établit que l’éthylomètre utilisé lors du contrôle de l’automobiliste a fait l’objet d’un contrôle ultérieur annuel par METAS dans l’année précédant le 15.07.2017. On ignore, du reste, si une année s’était écoulée depuis la vérification initiale de cet appareil et seul figure au dossier le certificat de calibrage établi ensuite d’une réparation par le fabriquant. On ignore toutefois aussi si le laboratoire de cette entreprise britannique est habilité et si ce calibrage répond aux exigences d’un contrôle ultérieur au sens du ch. 1.1 de l’annexe 4 à l’OIAA.

La mesure effectuée à l’aide de l’éthylomètre a force probante, même pour établir un taux d’alcool qualifié, si le conducteur contrôlé ne demande pas une prise de sang. Cette conséquence doit être mise en relation avec la fiabilité des mesures offerte par l’appareil, qui découle du contrôle effectué par la machine des conditions de l’analyse (température, pression, présence d’alcool dans la bouche) et du caractère redondant de la mesure, effectuée selon deux procédés indépendants l’un de l’autre : une analyse électrochimique et une mesure optique dans l’infrarouge. Du point de vue toxicologico-forensique, le fait qu’un appareil de ce type mesure correctement l’alcool dans l’haleine et fournisse des valeurs correctes ne soulève guère de doute (BEAT HAURI, Atemalkoholbestimmung aus juristicher Sicht, Jahrbuch zum Strassenverkehrsrecht 2018, p. 260). Le résultat fourni par un éthylotest, qui n’offre pas les mêmes garanties, n’a quant à lui jamais force probante à lui seul. La valeur la plus faible de deux mesures convergentes ne peut, dans une plage de résultats déterminée (notamment pour des valeurs comprises entre 0,25 et 0,39 mg/l d’air expiré s’agissant de la conduite d’un véhicule automobile), constituer la preuve d’une infraction que si elle a été reconnue par le conducteur. A défaut, et en particulier sitôt franchi le seuil de 0,4 mg/l, il doit être fait usage de l’éthylomètre et, subsidiairement, de la prise de sang (cf. art. 11 et 12 al. 1 let. a ch. 1 et 2 OCCR; v. aussi BRIELLMANN, op. cit. p. 274).

Il faut ainsi considérer que l’introduction du contrôle de l’air expiré à titre d’élément de preuve, à laquelle les instituts de médecine légale se sont opposés (moins en raison de la fiabilité des résultats des mesures des taux d’alcool que des problèmes de corrélation entre taux d’alcool dans l’haleine et dans le sang; BRIELLMANN, op. cit., p. 274), implique l’utilisation d’appareils de mesure techniquement très développés, mesurant le taux d’alcool dans l’air expiré avec deux méthodes fondamentalement différentes, qui garantissent que le résultat soit automatiquement corrigé de l’influence de facteurs tels que la température du corps, la température ambiante et la quantité d’air expiré. La force probante du contrôle au moyen de l’éthylomètre fonde le constat officiel des faits matériels (FF 2010 p. 7733 s. ch. 1.3.2.16; v. aussi supra consid. 3.2). Cette dimension métrologique revêt ainsi une importance particulière et est en lien immédiat avec le caractère scientifique de la preuve et la fiabilité des résultats obtenus. Ce sont en effet les contrôles et calibrages réguliers par METAS qui doivent garantir la qualité des appareils et la précision des mesures (BRIELLMANN, op. cit. p. 275). Le respect des règles relatives au contrôle de la stabilité de mesure des appareils, joue ainsi un rôle matériel central et déploie ses effets en procédure pénale dès lors qu’il s’agit de garantir la force probante du résultat de l’analyse. Contrairement aux exigences relatives, par exemple, à l’établissement d’un rapport sur le déroulement du contrôle de la capacité de conduire, qui peuvent en fonction des circonstances concrètes être appréhendées comme de simples exigences de forme (cf. arrêt 6B_571/2019 du 17 juillet 2019 consid. 1.4), celles ayant trait au contrôle du maintien de la stabilité des instruments de mesure tendent notamment à créer les conditions nécessaires pour garantir la sécurité métrologique lors de la détermination de grandeurs mesurables (art. 1 let. a OIMes). La portée de telles règles excède celle de simples prescriptions d’ordre et touche à la validité même de la preuve administrée.

De manière générale, l’infraction en cause, tenant à avoir conduit un véhicule en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) revêt une certaine gravité. La répression de ce délit de mise en danger abstraite protège la sécurité routière et indirectement la vie et l’intégrité physique (cf. ATF 138 IV 258 consid. 3 p. 264 ss). Elle peut être punie de la privation de liberté jusqu’à trois ans ou d’une peine pécuniaire (art. 91 al. 2 LCR). Elle n’atteint donc pas le niveau de gravité d’un crime et ne constitue donc pas, de manière abstraite, une infraction grave au sens de l’art. 141 al. 2 in fine CPP (cf. arrêt 6B_1468/2019 du 1er septembre 2020 consid. 1.3.1 destiné à la publication; ATF 137 I 218 consid. 2.3.5.2). De surcroît, dans une perspective plus concrète, le taux d’alcool mesuré dans l’haleine (0,45 g/l) était, en l’espèce, encore relativement proche de la limite du cas qualifié (0,4 g/l) et la peine infligée (22 jours-amende), nonobstant le concours avec d’autres infractions, est demeurée dans les premiers degrés de l’échelle des peines pécuniaire. Cette appréciation des circonstances de l’espèce conduit ainsi également à exclure l’usage de la preuve obtenue au mépris des règles de validité.

 

La conclusion qui précède s’impose, d’une part, en ce qui concerne la mesure effectuée par éthylomètre, le maintien de la qualité de mesure de cet appareil n’étant pas démontré. Elle s’impose également quant au résultat fourni par la mesure à l’éthylotest, qui n’a été ni répétée ni reconnue par l’automobiliste et qui, de toute manière, ne constitue pas une preuve recevable au-delà du seuil du taux d’alcool qualifié dans l’haleine (cf. art. 11 al. 3 OCCR). Enfin, la réglementation relative aux appareils de mesure ne prévoit pas non plus qu’une mesure effectuée par un éthylomètre puisse être « vérifiée » par une autre mesure à l’aide d’un éthylotest et moins encore que le maintien de la qualité de mesure d’un éthylomètre puisse être contrôlé par un simple utilisateur au moyen d’un éthylotest dans les conditions d’un contrôle de police, qui ne sont pas comparables à celles d’un laboratoire de mesure. Nonobstant sa liberté d’appréciation en la matière, la cour cantonale ne pouvait ainsi appuyer son constat d’un taux d’alcool qualifié dans l’haleine de l’automobiliste, fondé sur les éléments dont elle disposait, par la constatation que les deux appareils avaient donné « un résultat peu ou prou identique ». La cour ne disposait pas non plus d’autres indices extérieurs.

Il est vrai que les éléments relevés par la cour cantonale (existence d’un certificat de calibration récent de l’éthylomètre et cohérence des mesures effectuées au moyen des deux appareils) ne parlent pas en faveur de mesures erronées, lors mêmes qu’elles ne répondent pas aux exigences réglementaires permettant de leur reconnaître force probante. En particulier, le certificat établi par le fabriquant de l’appareil après une réparation suggère que l’appareil a été calibré à cette occasion. Toutefois, savoir si ce certificat atteste bien de la conformité du maintien de la qualité de mesure avec les exigences légales suisses est une question essentiellement technique que le juge ne peut résoudre par lui-même, mais qui relève de la compétence de METAS, à qui il incombe de fixer les exigences du contrôle ultérieur des éthylomètres, qui peut reconnaître des contrôles de maintien de la stabilité de mesure effectués à l’étranger (art. 24 al. 4 OIMes) et qui peut être interpellé en cas de contestation de résultats de mesures (art. 29 OIMes). La cause n’est, dès lors, pas en état d’être jugée. Il convient de la renvoyer à la cour cantonale afin qu’elle complète l’instruction en interpellant METAS sur la question du respect des prescriptions pertinentes en matière de maintien de la qualité de la mesure de l’éthylomètre utilisé en l’espèce et l’éventuelle reconnaissance du certificat de calibrage délivré par le constructeur.

 

Le TF admet le recours de l’automobiliste (sur ce point), annule la décision cantonale en tant qu’elle déclare l’automobiliste coupable d’infraction à la LCR pour avoir conduit un véhicule automobile en état d’ébriété (taux qualifié) le 15.07.2017 et renvoie la cause à la cour cantonale afin qu’elle complète l’instruction, qu’elle se prononce à nouveau sur ce point et fixe à nouveau la peine pécuniaire.

 

 

Arrêt 6B_533/2020 consultable ici