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5A_907/2021 (f) du 20.04.2022, publié 148 III 232 – Séquestre des avoirs de prévoyance – 92 al. 1 LP – 275 LP – 4 LFLP – 5 LFLP – 16 OLP

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_907/2021 (f) du 20.04.2022, publié 148 III 232

 

Arrêt 5A_907/2021 consultable ici, résumé du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 160 du 10.11.2022 disponible ici

ATF 148 III 232 consultable ici

 

Séquestre des avoirs de prévoyance – Condition de l’exigibilité du droit aux prestations / 92 al. 1 LP – 275 LP – 4 LFLP – 5 LFLP – 16 OLP

 

L’avoir de prévoyance ne peut faire l’objet d’un séquestre que si la personne assurée a fait une demande de versement. Ce principe vaut pour les avoirs de prévoyance du 2e pilier, y compris les comptes et polices de libre passage, ainsi que pour les avoir de prévoyance individuelle liée (pilier 3a). Une demande de transfert dans une institution de libre passage ne suffit pas pour rendre séquestrable l’avoir de prévoyance.

Dans cet arrêt, le TF a examiné la question de savoir s’il pouvait y avoir séquestre de la prestation de sortie de l’intimé qui était détenue par son ancienne institution de prévoyance à laquelle il avait cessé d’être affilié facultativement comme indépendant et à qui il avait donné l’ordre de transférer sa prestation de sortie à une institution de libre passage. Selon l’art. 275 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), les art. 91 à 109 LP relatifs à la saisie s’appliquent par analogie à l’exécution du séquestre. L’art. 92 LP, al. 1, ch. 10 LP, déclare insaisissables « les droits aux prestations de prévoyance et de libre passage non encore exigibles à l’égard d’une institution de prévoyance professionnelle ».

Le TF a déjà jugé, au sujet du paiement en espèces de la prestation de sortie en cas de libre passage (art. 5 LFLP), que la simple possibilité de demander le paiement ne provoque pas l’exigibilité de la prestation. La demande de paiement en espèces de la prestation de sortie en cas de libre passage est une condition dont dépend l’exigibilité du droit au paiement. Aussi longtemps qu’une telle demande n’est pas déposée, la prestation de libre passage doit rester affectée au maintien de la prévoyance et ne peut donc être ni saisie, ni séquestrée. Le TF a déjà également considéré qu’il n’y a rien d’abusif de se conformer aux règles qui permettent de maintenir l’affectation de la prestation de sortie au but de prévoyance, même lorsque les conditions pour obtenir un versement sont remplies.

En l’espèce, le TF a jugé que la prestation de libre passage n’était pas exigible et donc pas séquestrable, car l’intimé avait demandé à son ancienne institution de prévoyance le transfert de celle-ci sur un compte auprès d’une institution de libre passage afin de maintenir sa prévoyance sur la base de l’art. 4 LFLP.

 

Arrêt 5A_907/2021 consultable ici

ATF 148 III 232 consultable ici

Résumé in Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 160 du 10.11.2022 disponible ici

 

6B_1082/2021 (f) du 18.03.2022 – Commandement de payer abusif – Tentative de contrainte – 181 CP

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1082/2021 (f) du 18.03.2022

 

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Commandement de payer abusif – Tentative de contrainte / 181 CP

 

C.__ SA et B.__ Sàrl ont débuté une relation d’affaires en mai 2014, concluant un contrat oral portant sur la fourniture de poissons et de produits de la mer. C.__ SA ne s’est pas acquittée du prix de six commandes livrées entre le 08.08.2014 et le 23.09.2014, alors qu’elle avait payé les commandes précédentes. Les factures impayées s’élevaient à 29’894 fr. 64. B.__ Sàrl lui a adressé de nombreux rappels, de même qu’une sommation.

Le 20.11.2014, D.__, associé et gérant avec signature individuelle de B.__ Sàrl, s’est rendu au magasin de X.__ de C.__ SA afin d’exiger de A.__ le paiement des six factures en souffrance, dont ce dernier refusait de s’acquitter au motif que B.__ Sàrl avait augmenté de 28% ses tarifs.

Le 25.11.2014, A.__ a fait notifier un commandement de payer pour C.__ SA à B.__ Sàrl pour un montant de 50’000 fr. pour « dommages et intérêts ».

 

Procédures cantonales

Par jugement du 07.06.2019, le juge du district a reconnu A.__ coupable de tentative de contrainte et l’a condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende, le montant du jour-amende étant fixé à 20 fr., avec sursis pendant deux ans, et à une amende additionnelle de 500 fr., la peine privative de liberté de substitution étant fixée à 5 jours en cas de non-paiement fautif. Il a en outre rejeté les prétentions civiles de B.__ Sàrl.

Statuant le 17.08.2021, la Cour pénale du Tribunal cantonal a rejeté l’appel formé par A.__ contre ce jugement. La cour cantonale n’a pas méconnu la relation d’affaires qui liait C.__ SA et B.__ Sàrl dès mai 2014, ni que cette dernière société avait continué à livrer le recourant jusqu’en septembre 2014, alors que des factures étaient déjà en souffrance. Elle a également relevé qu’en date du 20.11.2014, D.__, associé-gérant de B.__ Sàrl, s’était rendu au magasin de X.__ de C.__ SA en se montrant insultant afin d’exiger de A.__ le paiement des six factures en souffrance. La cour cantonale a retenu que l’objectif poursuivi par A.__ en requérant la poursuite contre B.__ Sàrl était de l’inciter à revoir ses prix et d’obtenir les excuses de son associé-gérant.

 

TF

Tentative de contrainte

Consid. 2.1
Se rend coupable de contrainte au sens de l’art. 181 CP, celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte. Une personne morale qui est atteinte dans la libre formation ou le libre exercice de la volonté – biens juridiquement protégés par l’art. 181 CP (ATF 137 IV 326 consid. 3.6 p. 332; 134 IV 216 consid. 4.4.3 p. 221) – doit être considérée comme lésée par l’infraction de contrainte et peut ainsi revêtir la qualité de partie plaignante si elle a expressément déclaré vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (ATF 141 IV 1 consid. 3.3.2 p. 8 s.; 6B_256/2018 du 13 août 2018 consid. 2.4.3).

Cette disposition protège la liberté d’action et de décision (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440). La contrainte est une infraction de résultat. Pour qu’elle soit consommée, il faut que la victime, sous l’effet de moyens de contrainte illicites, commence à modifier son comportement, subissant ainsi l’influence voulue par l’auteur (arrêts 6B_367/2020 du 17 janvier 2022 consid. 13.3.1; 6B_358/2021 du 15 septembre 2021 consid. 3.1; 6B_559/2020 du 23 septembre 2020 consid. 1.1). Lorsque la victime ne se laisse pas intimider et n’adopte pas le comportement voulu par l’auteur, ce dernier est punissable de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP; ATF 129 IV 262 consid. 2.7 p. 270; 106 IV 125 consid. 2b p. 12).

Alors que la violence consiste dans l’emploi d’une force physique d’une certaine intensité à l’encontre de la victime (ATF 101 IV 42 consid. 3a p. 44; plus récemment 6B_367/2020 précité consid. 13.3.1), la menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l’auteur, sans toutefois qu’il soit nécessaire que cette dépendance soit effective (ATF 117 IV 445 consid. 2b p. 448; 106 IV 125 consid. 2a p. 128) ni que l’auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace (ATF 122 IV 322 consid. 1a p. 324). La loi exige un dommage sérieux, c’est-à-dire que la perspective de l’inconvénient présenté comme dépendant de la volonté de l’auteur soit propre à entraver le destinataire dans sa liberté de décision ou d’action (ATF 120 IV 17 consid. 2a/aa p. 19). La question doit être tranchée en fonction de critères objectifs, en se plaçant du point de vue d’une personne de sensibilité moyenne (ATF 122 IV 322 consid. 1a p. 325; 120 IV 17 consid. 2a/aa p. 19).

Il peut également y avoir contrainte lorsque l’auteur entrave sa victime « de quelque autre manière ». Cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive. N’importe quelle pression de peu d’importance ne suffit pas. Il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d’un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l’entraver d’une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d’action. Il s’agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440 s.).

La contrainte est illicite lorsque le moyen ou le but est contraire au droit ou encore lorsque le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu’un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux moeurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1 p. 440 s.; 137 IV 326 consid. 3.3.1 p. 328).

Pour une personne de sensibilité moyenne, faire l’objet d’un commandement de payer d’une importante somme d’argent est, à l’instar d’une plainte pénale, une source de tourments et de poids psychologique, en raison des inconvénients découlant de la procédure de poursuite elle-même et de la perspective de devoir peut-être payer le montant en question. Un tel commandement de payer est ainsi propre à inciter une personne de sensibilité moyenne à céder à la pression subie, donc à l’entraver d’une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d’action (arrêt 6B_1100/2018 du 17 décembre 2018 consid. 3.3). Certes, faire notifier un commandement de payer lorsqu’on est fondé à réclamer une somme est licite. En revanche, utiliser un tel procédé comme moyen de pression est clairement abusif, donc illicite (cf. ATF 115 III 18 consid. 3, 81 consid. 3b; arrêt 6B_1100/2018 précité consid. 3.3).

Sur le plan subjectif, il faut que l’auteur ait agi intentionnellement, c’est-à-dire qu’il ait voulu contraindre la victime à adopter le comportement visé en étant conscient de l’illicéité de son comportement; le dol éventuel suffit (ATF 120 IV 17 consid. 2c p. 22).

 

Comportement abusif ou illicite

Consid. 2.2.2
Il ne ressort pas du jugement attaqué que le commandement de payer aurait reposé sur une quelconque créance dont aurait pu se prévaloir le recourant. Par ce moyen, le recourant voulait inciter D.__ à se mettre à table pour discuter des six factures impayées, régler le problème d’une prétendue surfacturation, l’inciter à revoir ses prix, et obtenir des excuses de sa part pour son comportement insultant lors de leur rencontre le 20.11.2014, ce qu’il avait d’ailleurs admis à plusieurs reprises en cours de procédure, faisant ainsi clairement apparaître son action comme constituant un acte de représailles pour la prétendue augmentation des prix des produits vendus par B.__ Sàrl et pour le comportement insultant de son associé-gérant à son égard. L’acte de poursuite portait d’ailleurs la mention « dommages et intérêts » comme cause de l’obligation. Le recours à l’envoi d’un commandement de payer constituait ainsi manifestement un moyen de pression. Par ailleurs, le recourant méconnaît que même dans un contexte de relations commerciales, faire notifier un commandement de payer à une personne contre laquelle l’on n’est pas fondé à réclamer quoi que ce soit, cela dans le seul but de renforcer sa position à la table des négociations, respectivement d’affaiblir celle de l’autre, est une démarche clairement illicite. En définitive, le recourant a détourné l’institution du commandement de payer de son but légitime, puisque la créance ainsi réclamée était dénuée de fondement, et l’a utilisée comme moyen de pression abusif, réalisant un acte de contrainte au sens de l’art. 181 CP.

Par ailleurs, l’entrave à la liberté que constitue le procédé utilisé est, d’un point de vue objectif, loin d’être légère. La notification d’un commandement de payer est propre en effet, pour un destinataire raisonnable, à l’amener à adopter un comportement qu’il n’aurait pas eu s’il avait eu toute sa liberté de décision ou d’action. Puisqu’il s’agit de prendre comme critère une personne de sensibilité moyenne, peu importe que B.__ Sàrl ait été ou non impressionnée par la démarche du recourant, notamment au regard du montant de son capital-actions, l’aptitude subjective à résister à une telle démarche ne constituant pas un critère dont il convient de tenir compte (cf. arrêt 6B_70/2016 du 2 juin 2016 consid. 4.4 non publié in ATF 142 IV 315). Du reste, la jurisprudence a admis qu’une personne morale atteinte dans la libre formation ou le libre exercice de la volonté puisse être considérée comme lésée par l’infraction de contrainte, de sorte le fait que B.__ Sàrl soit une société n’exclut en rien de retenir cette infraction. Dans la mesure où B.__ Sàrl ne s’est effectivement pas laissée intimider par la démarche du recourant, puisqu’elle a fait opposition au commandement de payer, c’est à juste titre que les juridictions cantonales ont retenu que seule la tentative de contrainte entrait en considération. Les éléments constitutifs objectifs de l’infraction sont ici réalisés.

 

Avoir agi intentionnellement

Consid. 2.3.1
En l’espèce, la cour cantonale a retenu que le recourant connaissait les risques de sa démarche. Il avait déclaré en procédure que le montant réclamé par voie de poursuite, avec la mention dommages et intérêts, à la société de D.__ avait pour but de le faire réagir. Le recourant avait agi principalement dans le but de sanctionner le comportement de D.__ et nuire à sa société. Il avait voulu se venger de l’augmentation des prix des produits de B.__ Sàrl. Il avait indiqué avoir fait opposition à l’ordonnance pénale initiale du 21.09.2017, car les démêlés avec la justice lui avaient permis de se rendre compte du fonctionnement des commandements de payer et que, dans une autre affaire à X.__, il avait fait notifier un commandement de payer à un avocat et que sa condamnation pour tentative de contrainte avait été annulée; il s’agissait du même cas de figure que la présente affaire. La cour cantonale en a conclu que le recourant avait ainsi connaissance de l’illégalité de son comportement; ce n’était pas la première fois qu’il agissait de la sorte. Partant, le recourant avait agi de manière intentionnelle; le dol éventuel n’entrait pas en considération.

Consid. 2.3.2
Le raisonnement de la cour cantonale ne prête pas le flanc à la critique. Du propre aveu du recourant, il a notifié à B.__ Sàrl un commandement de payer afin de l’inciter à discuter des six factures impayées, à régler le problème de la surfacturation, à revoir ses prix et à s’excuser de son comportement insultant le 20.11.2014. C’est donc sans arbitraire que la cour cantonale a retenu que le recourant a fait notifier un commandement de payer alors qu’il savait qu’il ne disposait d’aucune créance contre B.__ Sàrl, mais voulait faire pression sur elle afin de la contraindre à adopter un certain comportement. Du reste, le recourant ne fait qu’opposer sa propre interprétation des faits à celle de la cour cantonale. Il procède ainsi de manière appellatoire, partant irrecevable.

La cour cantonale pouvait ainsi, sans violer le droit fédéral, considérer que le recourant avait agi intentionnellement.

 

Consid. 2.4
Dans ces circonstances, la cour cantonale pouvait, sans arbitraire ni violation du droit fédéral, admettre que le recourant avait volontairement et consciemment fait usage d’un moyen de pression abusif et que, partant, les conditions d’une tentative de contrainte au sens de l’art. 181 CP étaient données. Pour le surplus, le recourant ne motive pas à satisfaction de droit un éventuel grief fondé sur l’erreur sur l’illicéité (cf. art. 21 CP cum 42 al. 2 LTF).

 

Le TF rejette le recours.

 

 

Arrêt 6B_1082/2021 consultable ici

 

 

9C_203/2021 (f) du 02.02.2022 – Changement de caisse-maladie en cas de retard de paiement / Non-paiement des primes et des participations aux coûts / Compensation entre dette et dommage / Responsabilité de la caisse-maladie / Violation du devoir d’information de la caisse-maladie

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_203/2021 (f) du 02.02.2022

 

Consultable ici

 

Changement de caisse-maladie en cas de retard de paiement / 7 LAMal – 105l OAMal

Non-paiement des primes et des participations aux coûts – Procédure de sommation / 64a LAMal – 105b OAMal

Compensation entre la dette des assurés et l’éventuel dommage causé à ceux-ci par la caisse-maladie / 120 al. 1 CO

Responsabilité de la caisse-maladie ayant empêché le changement d’assureur – Dommage / 78 LPGA – 7 al. 6 LAMal – LRCF

Violation du devoir d’information de la caisse-maladie de chiffrer concrètement le montant des arriérés

 

Affiliés à Helsana Assurances SA (ci-après: Helsana) pour l’assurance obligatoire des soins depuis le 01.01.2012, les conjoints A.__ et B.__ ont reçu différents rappels de paiement de primes arriérées en 2014. Ils ont résilié leur contrat respectif pour le 31.12.2014 (lettres du 25.11.2014). Helsana a pris acte de ces résiliations et informé les assurés que celles-ci ne seraient effectives que si elle était en possession d’une attestation d’assurance du nouvel assureur et s’il ne subsistait aucun arriéré de paiement au moment de la fin des contrats (lettres du 03.12.2014).

Le nouvel assureur, Assura-Basis SA (ci-après: Assura) a communiqué à Helsana qu’il acceptait A.__ et B.__ comme nouveaux assurés. Helsana a toutefois refusé les résiliations dans la mesure où les assurés ne s’étaient pas acquittés de toutes les factures émises en 2014; elle leur a indiqué que la résiliation n’était pas valable et qu’ils ne pouvaient changer d’assureur qu’à la condition d’une nouvelle lettre de résiliation pour la prochaine échéance (courrier du 09.01.2015 à chacun des assurés). Elle en a informé Assura (lettre du 09.01.2015), qui a annulé les contrats d’A.__ et de B.__ (lettres du 03.02.2015, dont copies ont été adressées aux assurés). Par la suite, Helsana a indiqué aux intéressés qu’elle acceptait leur résiliation rétroactive avec effet au 31.12.2014 dès réception de l’attestation du nouvel assureur (lettre du 02.06.2015). Sans nouvelle de la part des assurés avant le mois de mars 2017, Helsana a alors demandé à Assura de « réactiver » les contrats mentionnés (lettre du 15.03.2017). Cette dernière n’a cependant pas donné suite à cette demande (lettre du 18.04.2017 dont copie a été adressée à A.__). Le changement d’assureur n’a pas eu lieu.

A l’issue de procédures de poursuites relatives à des primes impayées par A.__ ou B.__ entre novembre 2016 et janvier 2019, Helsana a singulièrement levé leurs oppositions formées dans les poursuites nos xxx (décision du 25.10.2018), yyy (décision du 28.01.2019) et yyy (décision du 20.08.2019). Ces décisions ont dans une large mesure été confirmées sur opposition le 13.11.2019. L’assureur-maladie a encore formellement refusé de résilier les contrats des assurés avec effet au 31.12.2014 (décisions du 21.06.2019, confirmées sur opposition le 28.02.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/126/2021 – consultable ici)

A.__ et B.__ ont déféré les trois premières décisions évoquées au tribunal cantonal. Trois causes ont été enregistrées. Les assurés ont aussi recouru contre les deux dernières décisions mentionnées. Deux nouvelles causes ont été enregistrées.

La juridiction cantonale a considéré que Helsana avait indûment refusé le changement d’assureur voulu par les assurés pour le 01.01.2015. A cet égard, elle a relevé que ceux-ci avaient par lettre du 25.11.2014 valablement manifesté leur volonté de changer d’assureur, en agissant dans les délais et en produisant les attestations d’un nouvel assureur. Elle a également constaté qu’on ne pouvait pas reprocher aux assurés un retard de paiement au 31.12.2014 dès lors que, même s’ils n’avaient pas acquitté toutes les primes dues jusqu’alors, la caisse-maladie n’avait pas pu prouver l’envoi d’une sommation de paiement valable au sens de la loi. Elle a encore retenu que la caisse-maladie avait violé son devoir d’information, en n’indiquant pas aux assurés le montant de l’arriéré de primes, et avait ainsi rendu impossible le changement d’assurance. Par ailleurs, elle a considéré que le refus de la résiliation de leurs contrats était injustifié et avait causé aux assurés un dommage que la caisse-maladie était tenue de réparer. Constatant toutefois qu’elle ne disposait d’aucun élément pour évaluer le montant du dommage, elle a annulé les décisions des 13.11.2019 ainsi que 28.02.2020 et renvoyé la cause à la caisse-maladie pour qu’elle complète l’instruction sur ce point (notamment pour qu’elle établisse la différence entre le montant des primes facturées et celui dû si la résiliation des contrats des assurés avait été acceptée) et rende une ou des nouvelles décisions.

Par jugement du 16.02.2021, le tribunal cantonal a joint les cinq causes, admis les recours, annulé les décisions sur opposition des 13.11.2019 et 28.02.2020 et renvoyé la cause à Helsana pour instruction puis nouvelle(s) décision(s) dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 5
L’obligation faite à toute personne domiciliée en Suisse – comme les assurés en l’espèce – de s’assurer pour les soins en cas de maladie (art. 3 al. 1 LAMal) implique l’obligation de payer des primes (art. 61 al. 1 LAMal). Les personnes tenues de s’assurer sont libres de choisir leur assureur (art. 4 LAMal) et d’en changer (art. 7 LAMal). Lorsque la volonté de changer d’assureur résulte de la communication de la nouvelle prime, comme en l’espèce, les assurés doivent respecter un délai de résiliation de leur contrat d’un mois (art. 7 al. 2 LAMal), ne pas être en retard dans le paiement des primes, des participations aux coûts, des intérêts moratoires ainsi que des frais de poursuites (art. 64a al. 6 LAMal) et être affilié à un nouvel assureur qui en a fait la communication à l’ancien assureur (art. 7 al. 5 première phrase LAMal). Le retard de paiement survient lors de la notification de la sommation visée aux art. 64a al. 1 LAMal et 105b al. 1 OAMal (art. 105l al. 1 OAMal). L’assureur doit d’une part informer l’assuré des conséquences d’un retard de paiement sur la possibilité de changer d’assureur (art. 105l al. 2 OAMal). Il doit d’autre part informer l’assuré et le nouvel assureur du maintien de l’affiliation en cas de non-paiement de l’arriéré avant l’expiration du délai pour changer d’assureur (art. 105l al. 3 OAMal). Si le changement d’assureur est impossible du fait de l’ancien assureur, celui-ci doit réparer le dommage qui en résulte, en particulier la différence de prime (art. 7 al. 6 LAMal).

 

Consid. 6.2.1
Il est exact qu’en considérant que l’autorité administrative avait rendu impossible le changement d’assureur voulu par les assurés pour le 01.01.2015, notamment en raison d’une violation de son devoir d’information, et en la condamnant à réparer le préjudice en résultant, la juridiction cantonale a implicitement retenu que les assurés étaient restés affiliés à la caisse-maladie à compter de la date indiquée.

En effet, toute autre interprétation serait contraire au droit dans la mesure où les différentes modalités prévues par l’art. 7 LAMal excluent que le candidat au changement d’assureur puisse se trouver sans couverture d’assurance ou subir une interruption de sa couverture d’assurance: le refus – bien fondé ou pas – opposé par un assureur à un candidat au changement d’assureur n’entraîne dès lors pas une interruption de la protection d’assurance, mais le maintien de la couverture d’assurance auprès de l’ancien assureur (cf. ATF 128 V 263 consid. 3b). Ce maintien est du reste conforme à l’obligation de s’assurer prévue par l’art. 3 al. 1 LAMal. Les assurés ne contestent en outre pas le maintien de leur affiliation à la caisse-maladie ni leur obligation de payer les primes, puisqu’ils admettent en instance fédérale qu’ils restaient, et sont toujours, affiliés à la caisse-maladie, puisqu’elle n’avait pas accepté le changement d’assureur au 01.01.2015 (ni au début 2015, ni à un moment ultérieur).

Consid. 6.2.2
Dans la mesure où, en conséquence, les assurés sont restés affiliés à la caisse-maladie postérieurement au 31.12.2014, cette dernière avait l’obligation de percevoir des primes et, en cas de non-paiement, de procéder à leur recouvrement par voie de poursuites (art. 64a LAMal). Or l’assureur n’est pas libre de fixer le montant des primes. Il doit notamment prélever des primes égales auprès de ses assurés (art. 61 al. 1 seconde phrase LAMal), échelonner les montants des primes selon les différences des coûts cantonaux (art. 61 al. 2 première phrase LAMal) ou fixer des primes plus basses pour les enfants et les jeunes adultes (art. 61 al. 3 LAMal). Il peut aussi réduire les primes d’assurances impliquant un choix limité de fournisseurs de prestations (art. 62 al. 1 LAMal) ou pratiquer d’autres formes d’assurances, mais doit s’en tenir aux formes autorisées et réglementées par le Conseil fédéral (art. 62 al. 2 et 3 LAMal). Dans ces circonstances, l’autorité administrative n’avait pas le choix du montant – du reste non contesté – des primes dues par les assurés. Elle n’avait donc ni à réduire les primes ni à renoncer à les réclamer dans le cadre des poursuites intentées sous peine de violer le droit fédéral. Les considérations contraires de la juridiction cantonale sur ce point ne peuvent être suivies.

Consid. 6.3
Le tribunal cantonal ne pouvait dès lors pas annuler les décisions du 13.11.2019 concernant les mainlevées d’opposition formées dans les poursuites nos xxx, yyy et yyy, même s’il semble qu’il n’entendait pas nier l’existence de la dette des assurés, mais obliger la caisse-maladie à recalculer le montant de cette dette en tenant compte du dommage causé par la caisse-maladie aux assurés lors du changement d’assureur. C’est le lieu de préciser à cet égard que la compensation (au sens de l’art. 120 al. 1 CO) entre la dette des assurés et l’éventuel dommage causé à ceux-ci par la caisse-maladie suppose notamment une déclaration du débiteur (art. 124 al. 1 CO) et que les deux dettes soient exigibles. Malgré le texte de l’art. 120 al. 1 CO, la condition d’exigibilité ne concerne pas les deux créances, mais uniquement la créance compensante, soit la créance de celui qui exerce la compensation. Celui-ci ne peut en effet compenser sa dette qu’avec une créance dont il pourrait réclamer le paiement de l’autre partie. Il suffit en revanche que la créance compensée, soit la dette du compensant et créance de l’autre partie, soit exécutable (arrêt 2C_451/2018 du 27 septembre 2019 consid. 7.4.1 et les références; ATF 132 V 127 consid. 6.4.3.1). Or tel n’est pas le cas en l’occurrence dans la mesure où le montant du dommage doit encore être déterminé. De plus, la compensation ne peut être un motif permettant de s’opposer valablement au prononcé d’une mainlevée définitive à une opposition formée dans le cadre d’une poursuite que si la créance en compensation est prouvée par un jugement au sens de l’art. 81 al. 1 LP ou par une reconnaissance inconditionnelle (ATF 115 III 100 consid. 4); ces exigences font défaut en l’espèce, alors qu’il aurait été au demeurant loisible aux débiteurs d’invoquer non seulement des moyens de fond mais également les exceptions propres au droit des poursuites en instance cantonale (ANDRÉ SCHMIDT, in: Commentaire romand, LP, 2005, n° 29 ad art. 79 LP). Il convient dès lors d’admettre le recours sur ce point et d’annuler le ch. 4 du dispositif de l’arrêt attaqué en tant qu’il porte sur l’annulation des décisions du 13.11.2019. Celles-ci doivent être confirmées.

 

Consid. 7.2.1
Si l’ancien assureur est responsable de l’impossibilité de changer d’assureur, il doit réparer le dommage subi par l’assuré, en particulier compenser la différence de prime (cf. art. 7 al. 6 LAMal). Il s’agit d’une disposition légale spéciale relative à l’obligation de l’assureur-maladie de réparer le dommage conforme à la loi fédérale du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires (LRCF; RS 170.32; arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 86/01 du 17 juillet 2003 consid. 4.1, non publié in: ATF 129 V 394, mais in: SVR 2004 KV n° 1 p. 1; cf. aussi ATF 139 V 127 consid. 3.2 et 5.1) et, en principe, à l’art. 78 LPGA (arrêt 9C_367/2017 du 10 novembre 2017 consid. 5.2.1; Gebhard Eugster, Krankenversicherung, in: Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 462 n° 194).

Consid. 7.2.2
La conséquence légale de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur n’est pas la reconnaissance rétroactive du changement d’assureur, mais le devoir de l’ancien assureur de verser des dommages-intérêts conformément aux principes généraux du droit de la responsabilité civile. Elle suppose donc un acte ou une omission illicite, un dommage, un lien de causalité entre l’acte ou l’omission d’une part et le dommage d’autre part, ainsi qu’une faute (cf. art. 41 CO; ATF 130 V 448 consid. 5.2). Selon l’art. 7 al. 6 LAMal, l’assureur répond du dommage qui est la conséquence d’un comportement fautif de ses collaborateurs, d’une organisation d’entreprise inadéquate ou d’un autre manquement relevant de sa responsabilité dans l’application de l’assurance obligatoire des soins. Tout dommage effectif et ayant un lien de causalité adéquat avec le comportement de l’assureur est déterminant pour l’évaluation de l’obligation de réparer. L’assureur fautif doit en particulier rembourser la différence par rapport à une prime plus basse du nouvel assureur (art. 7 al. 6 in fine LAMal; ATF 129 V 394 consid. 5.2 in fine; arrêt 9C_367/2017 cité consid. 5.2.2; Eugster, op. cit., p. 463 n° 193).

Consid. 7.3
Il n’est en l’occurrence pas contesté qu’au moment de la résiliation de leur contrat le 25.11.2014, soit dans le délai prévu par l’art. 7 al. 2 LAMal, les assurés ne s’étaient pas acquittés de toutes les factures émises en 2014. Il n’est pas davantage contesté qu’au moment indiqué, un nouvel assureur avait accepté l’affiliation des assurés pour le début de l’année 2015, qu’il avait cependant annulée quelque temps plus tard après avoir été informé par la caisse-maladie que les assurés devaient rester assurés auprès d’elle (cf. art. 105l al. 3 LAMal). Dans ces circonstances, l’autorité administrative était tenue d’informer les assurés que leurs résiliations ne déploieraient aucun effet si les primes, les participations aux coûts et les intérêts moratoires ayant fait l’objet d’un rappel jusqu’à un mois avant l’expiration du délai de changement ou si les frais de poursuite en cours jusqu’à ce moment n’avaient pas été intégralement payés avant l’expiration de ce délai (art. 105l al. 2 OAMal). Elle l’a certes fait d’une manière générale (courriers du 03.12.2014), ce qui ne suffisait cependant pas pour satisfaire à son devoir d’information. En effet, selon la jurisprudence, le devoir d’information implique de chiffrer concrètement le montant des arriérés dû par les candidats au changement d’assureur et de les en informer suffisamment tôt pour qu’ils soient en mesure de régler leurs dettes avant l’expiration du délai de résiliation (cf. arrêt 9C_367/2017 cité consid. 5.4). En ne chiffrant pas le montant des arriérés avant le 02.06.2015, la caisse-maladie a donc violé son obligation d’informer.

Consid. 7.4
Cette constatation suffit à démontrer qu’en violant son obligation d’informer, l’autorité administrative a rendu impossible le changement d’assureur en raison d’un comportement fautif de sa part (respectivement de ses collaborateurs) et est susceptible d’avoir causé aux assurés un dommage pouvant résulter d’une différence de primes favorable à ces derniers que, faute d’éléments d’évaluation disponibles, il convenait d’instruire. Il y a dès lors lieu de rejeter le recours sur ce point. Les ch. 4 et 5 de l’arrêt cantonal en tant qu’ils annulent les décisions du 28.02.2020 – dans la mesure où la caisse-maladie y niait implicitement toute faute de sa part – et renvoient la cause à l’autorité administrative pour instruction puis nouvelle (s) décision (s) au sens des considérants sont conformes au droit.

 

 

Le TF admet partiellement le recours de la caisse-maladie.

 

 

Arrêt 9C_203/2021 consultable ici

 

 

5A_547/2015 (d) du 04.07.2016 – destiné à la publication – LAMal – Envoyer des lettres de poursuite en courrier A Plus

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_547/2015 (d) du 04.07.2016, destiné à la publication

 

Consultable ici : http://bit.ly/2azVulY

Résumé paru in : Assurance Sociale Actualités 16/16 du 02.08.2016

 

LAMal – Envoyer des lettres de poursuite en courrier A Plus

 

Ceux qui protestent contre une poursuite pour primes d’assurance-maladie impayées devront regarder plus attentivement les lettres reçues par la suite en courrier A Plus. Le Tribunal fédéral a en effet décidé que les assureurs-maladie n’avaient pas obligation d’envoyer leurs décisions en recommandé. Un office des poursuites doit vérifier si la décision qui a levé l’opposition a été envoyée au débiteur. Si un assureur présente à l’office le justificatif «Track & Trace», cela est suffisant pour que l’envoi soit conforme.

 

 

Arrêt 5A_547/2015 consultable ici : http://bit.ly/2azVulY