Arrêt du Tribunal fédéral 4A_477/2022 (f) du 06.02.2024
Consultable ici
Tarif des traitements stationnaires – Assurance complémentaire d’hospitalisation – Interprétation des CGA
Fixation par l’assureur des tarifs maximaux lorsqu’il ne reconnaît pas les tarifs d’une division hospitalière et des honoraires médicaux stationnaires privés
L’assurée bénéficie d’une couverture d’assurance maladie obligatoire (LAMal) ainsi que de trois couvertures d’assurances complémentaires (LCA) auprès d’une caisse-maladie (ci-après: l’assureur), dont l’une couvre les prestations d’hospitalisation en division « mi-privée » avec libre choix du médecin et de l’hôpital (ci-après: l’assurance-hospitalisation).
Par courrier du 03.12.2018, l’assureur a fait savoir à l’Association D.__ que les tarifs pratiqués par bon nombre de ses médecins adhérents pour les traitements stationnaires qu’ils prodiguaient à charge de l’assurance complémentaire d’hospitalisation étaient excessifs; il avait tenté de négocier avec l’Association D.__ pour instaurer des tarifs dans le cadre de cette assurance; au vu de l’échec de ces négociations, il en était réduit à faire figurer la « facturation stationnaire » des médecins hospitaliers du canton de Genève (pour les interventions semi-privées et privées effectuées dans les cliniques privées du canton) sur la liste des hôpitaux sans couverture intégrale des frais pour les assurances-hospitalisation. En conséquence, à compter du 01.01.2019, les « prestations LCA » des médecins (salariés ou agréés) pratiquant en division semi-privée et privée dans les cliniques privées du canton pourraient seulement être remboursées à hauteur des tarifs et règles qu’un autre assureur (E.__ SA) avait conclu avec l’Association D.__ (ci-après : la convention D.__-E.__) avec effet au 01.01.2018. En cas de traitement dans l’un des établissements concernés, l’assureur ne pourrait donc pas garantir la prise en charge intégrale des coûts.
L’assurée ayant appris dans le courant du mois d’octobre 2018 qu’elle était enceinte, elle a pris contact avec l’établissement Clinique F.__ SA (ci-après: la clinique) en vue de son accouchement. De son côté, la clinique a fait parvenir à l’assureur, le 28.02.2019, une demande de garantie de paiement en division semi-privée, en prévision du terme qui était prévu le 07.06.2019.
Par pli du 17.05.2019, l’assureur a informé la clinique, avec copie à l’assurée et à son médecin-traitant, qu’il accordait la garantie de paiement demandée avec la restriction suivante: la convention D.__-E.__ servirait de référence tarifaire.
Par courrier séparé du 17.05.2019 à l’assurée, l’assureur s’est dit au regret de lui signaler qu’il se pouvait qu’une partie des coûts de son futur séjour hospitalier ne soit pas couverte : malgré les démarches entreprises, l’assureur n’avait pas été en mesure de trouver un accord avec les médecins de la clinique. Aussi a-t-il recommandé à l’assurée de demander à tous ses médecins traitants de confirmer préalablement par écrit qu’ils respecteraient la convention D.__-E.__. A défaut, il se pouvait qu’elle doive faire face à des coûts non couverts. Des documents étaient joints pour signature par lesdits médecins.
Le 29.05.2019, l’assurée a écrit à l’assureur pour lui faire part de sa surprise de découvrir, à trois semaines du terme prévu de sa grossesse, les restrictions tarifaires évoquées. L’assureur lui a alors répondu qu’il ne pouvait aller au-delà des tarifs en cause, par égard pour l’ensemble des assurés soumis aux mêmes restrictions.
Le 14.06.2019, l’assurée a accouché à la clinique, où elle a séjourné jusqu’au 20.06.2019. Sur l’ensemble des factures remboursées par l’assureur, il subsiste une différence de 1’222 fr. que l’assurée a réglée elle-même.
Procédure cantonale (arrêt ATAS/776/2022 – consultable ici)
Par jugement du 06.09.2022, rejet de la demande par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 4.1
Les dispositions contractuelles et les conditions générales d’assurance expressément incorporées au contrat doivent être interprétées selon les mêmes principes juridiques (ATF 142 III 671 consid. 3.3; 135 III 1 consid. 2, 410 consid. 3.2; 133 III 675 consid. 3.3).
En présence d’un litige sur l’interprétation d’une clause contractuelle, le juge doit tout d’abord s’efforcer de déterminer la réelle et commune intention des parties, sans s’arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO); s’il y parvient, il s’agit d’une constatation de fait qui lie en principe le Tribunal fédéral conformément à l’art. 105 LTF.
Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si leurs volontés intimes divergent, le juge doit interpréter les déclarations faites et les comportements selon la théorie de la confiance; il recherchera ainsi comment une déclaration ou une attitude pouvait et devait être comprise de bonne foi en fonction de l’ensemble des circonstances (ATF 142 III 671 consid. 3.3; 140 III 134 consid. 3.2; 138 III 29 consid. 2.2.3). L’application du principe de la confiance est une question de droit que le Tribunal peut examiner librement (art. 106 al. 1 LTF); cependant, pour trancher cette question, il doit se fonder sur le contenu de la manifestation de volonté et sur les circonstances, dont la constatation relève du fait (ATF 135 III 410 consid. 3.2).
Consid. 4.2
Lorsque l’assureur, au moment de conclure le contrat, présente des conditions générales, il manifeste la volonté de s’engager selon les termes de ces conditions; si une volonté réelle concordante n’a pas été constatée, il faut donc se demander comment le destinataire de cette manifestation de volonté pouvait la comprendre de bonne foi. Cela conduit à une interprétation objective des termes contenus dans les conditions générales, même si elle ne correspond pas à la volonté intime de l’assureur (cf. ATF 136 III 186 consid. 3.2.1; 135 III 295 consid. 5.2).
Si l’interprétation selon le principe de la confiance ne permet pas de dégager le sens de clauses ambiguës, celles-ci sont à interpréter contre l’assureur qui les a rédigées, en vertu de la règle « in dubio contra stipulatorem » (ATF 133 III 61 consid. 2.2.2.3; 126 V 499 consid. 3b; 124 III 155 consid. 1b; 122 III 118 consid. 2a; 119 II 368 consid. 4b). L’art. 33 LCA, en tant qu’il prévoit que les clauses d’exclusion sont opposables à l’assuré uniquement si elles sont rédigées de façon précise et non équivoque, est une concrétisation de ce principe (ATF 115 II 264 consid. 5a; arrêt 5C.134/2002 du 17 septembre 2002 consid. 3.1). Conformément au principe de la confiance, c’est en effet à l’assureur qu’il incombe de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre et le preneur n’a pas à supposer des restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées (ATF 133 III 675 consid. 3.3; sous une forme résumée: ATF 135 III 410 consid. 3.2). Pour que cette règle trouve à s’appliquer, il ne suffit pas que les parties soient en litige sur la signification à donner à une déclaration; encore faut-il que celle-ci puisse de bonne foi être comprise de différentes façons (« zweideutig ») et qu’il soit impossible de lever autrement le doute créé, faute d’autres moyens d’interprétation (ATF 122 III 118 consid. 2d; 118 II 342 consid. 1a; 100 II 144 consid. 4c).
Consid. 4.3
De surcroît, la validité d’une clause contenue dans des conditions générales préformulées est limitée par la règle dite de la clause insolite (ATF 135 III 1 consid. 2.1), laquelle soustrait de l’adhésion censée donnée globalement à des conditions générales, toutes les clauses insolites sur lesquelles l’attention de la partie la plus faible ou la moins expérimentée en affaires n’a pas été spécialement attirée (sur la notion de clause insolite : ATF 138 III 411 consid. 3.1; 135 III 1 consid. 2.1, 225 consid. 1.3). En particulier, la règle de la clause insolite peut trouver application lorsque la clause a pour effet de réduire drastiquement la couverture d’assurance de telle sorte que les risques les plus fréquents ne sont plus couverts (arrêt 4A_152/2017 du 2 novembre 2017 consid. 4.3 et les références).
Consid. 5
La cour cantonale a bâti son raisonnement sur ce canevas.
L’art. 4.6 CCA 2010 était rédigé comme suit: « Lorsqu’un hôpital ne connaît aucun critère de classification pour les divisions hospitalières ou en applique d’autres que ceux mentionnés ci-dessus ou lorsque les tarifs d’une division ne sont pas reconnus par l’assureur, il s’agit alors d’une division privée. L’assureur peut fixer des tarifs maximaux, considérés comme critère pour le classement des divisions assurées. L’assureur tient une liste des hôpitaux qui ne disposent d’aucune division privée, mi-privée ou commune au sens des présentes dispositions. Cette liste est constamment mise à jour et peut être consultée auprès de l’assureur ou un extrait peut en être demandé. ».
Le Tribunal fédéral s’était déjà penché sur le sens de cette disposition contractuelle dans une affaire opposant l’assureur à un autre assuré (cf. arrêt 4A_578/2019 du 16 avril 2020 consid. 4.4 à 4.6.3). Procédant à une interprétation objective, il avait jugé qu’elle constituait un droit formateur contractuellement réservé permettant à l’assureur de fixer des tarifs maximaux s’il ne reconnaissait pas les tarifs d’une division hospitalière.
Contrairement à ce que l’assurée professait, cet article ne visait pas exclusivement les frais de séjour hospitaliers, mais également les honoraires médicaux stationnaires privés (frais de traitement prodigués par les médecins salariés ou agréés par la clinique). Tel était le résultat d’une interprétation selon le principe de la confiance. Il fallait en effet lire l’art. 4.6 CCA 2010 en parallèle de l’art. 36.1 CGA 2007 selon lequel « les honoraires convenus entre l’assuré et le fournisseur de prestations n’engagent pas l’assureur. L’assureur ne s’engage à verser des prestations que dans le cadre des tarifs qu’il reconnaît » et l’art. 7.1 CCA 2010 aux termes duquel « si et aussi longtemps que les conditions relatives à l’octroi des prestations sont remplies, les prestations couvrent tous les frais de séjour et de traitement scientifiquement reconnus, dans un hôpital de soins aigus, ainsi que les frais de traitement des médecins en fonction de l’assurance convenue (division commune, mi-privée ou privée) et selon le tarif reconnu par l’assureur ».
Cette clause n’avait rien d’insolite. Un raisonnement a maiore ad minus fondé sur un arrêt du Tribunal fédéral relatif à une clause plus incisive, puisqu’elle prévoyait que les prestations ne seraient versées qu’en cas de séjour dans un hôpital avec lequel une convention tarifaire avait été conclue (ATF 133 III 607), le mettait en lumière. Par ailleurs, dans le cadre des assurances complémentaires, les restrictions à la couverture d’assurance étaient courantes. L’art. 4.6 CCA 2010 s’inscrivait bien dans cette ligne.
Enfin, cette clause n’était pas contraire au principe de la bonne foi. L’assureur avait averti l’assurée le 17.05.2019 qu’il entendait fixer un plafond correspondant aux tarifs figurant dans la convention D.__-E.__, dans le cadre du séjour que l’assurée entendait faire à la clinique; la garantie de paiement en vue de cette hospitalisation serait octroyée dans la limite de ces tarifs. A quoi s’ajoutait que la convention D.__-E.__ liait une association importante du corps médical local à un acteur majeur de l’assurance-maladie en Suisse; les limites tarifaires prévues dans ce document avaient dès lors une certaine représentativité. Finalement, il existait une différence assez faible entre les frais facturés et ceux pris en charge par l’assureur. Et s’il importait à l’assurée d’être intégralement remboursée, son choix aurait pu se porter sur un autre établissement, dont les tarifs en division semi-privée étaient reconnus par l’assureur.
Pour tous ces motifs, la demande en paiement se révélait mal fondée.
Consid. 6
L’assurée décoche une série de griefs à l’encontre de cette analyse.
Consid. 6.1
En premier lieu, le tarif médical privé pratiqué par ses médecins constituerait, à l’en croire, un « tarif privé usuel » au sens de l’art. 36 al. 2 CGA 2007 lequel dispose : « L’assureur reconnaît les tarifs acceptés par les assurances sociales suisses et les tarifs privés usuels. Les dispositions des Conditions complémentaires d’assurance qui diffèrent de celles-ci demeurent réservées ».
L’assurée ne prétend toutefois avoir allégué quoi que ce soit dans ses écritures à ce sujet, elle ne se réfère à aucun élément de preuve au dossier corroborant son affirmation et l’arrêt attaqué est muet sur cette thématique. Même si le présent différend est régi par la maxime inquisitoire sociale, l’assurée était tenue de soumettre au tribunal la trame factuelle sur laquelle le jugement devait porter. Elle n’affirme pas l’avoir fait sur le point qui l’occupe. Certes, elle soutient que la différence « assez faible » entre les prestations remboursées et celles demeurant à sa charge en serait la démonstration éloquente. Cela étant, cette différence ne lui a pas paru si minime lorsqu’elle a formé recours. Pour finir, l’art. 36 al. 1 CGA 2007 réserve expressément les dispositions contraires des CCA et l’art. 4.6 CCA compte parmi celles-ci. Partant, le grief doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Consid. 6.2
L’assurée fait valoir que l’adaptation du contrat d’assurance aurait nécessité une information préalable, laquelle lui aurait ouvert le droit de résilier ledit contrat pour la prochaine échéance. Elle laisse toutefois le lecteur dans l’expectative sur les conséquences à en tirer, de sorte que cette ébauche de grief s’avère irrecevable.
Consid. 6.4
Dans un grief subsidiaire, l’assurée fait valoir que l’interprétation de l’article querellé selon le principe de la confiance mènerait à un tout autre résultat que celui auquel ont abouti les juges cantonaux.
Sa vision restrictive de l’art. 4.6 CCA 2010 ne convainc toutefois pas. L’art. 36.1 CGA 2007 ainsi que l’art. 7.1 CCA 2010 apportent un éclairage suffisamment révélateur : l’assurée ne pouvait comprendre en toute bonne foi, si elle lisait ces dispositions en parallèle, que seuls les frais de séjour hospitaliers – à l’exclusion des frais de traitement des médecins salariés ou agréés par l’hôpital en cause – étaient susceptibles d’être plafonnés par un tarif. Il ne s’agit pas de deux domaines complètement distincts et l’assureur ne les a pas disséqués de la sorte dans les conditions d’assurance. Certes, pour répondre à un autre argument de l’assurée, l’assureur eût pu être encore plus explicite dans les termes utilisés. Ceci ne change toutefois rien à la rectitude de l’analyse opérée par les juges cantonaux, dans la droite ligne de l’arrêt 4A_578/2019 déjà cité lequel, n’en déplaise à l’assurée, portait non seulement sur des frais de séjour à l’hôpital mais aussi sur des prestations médicales supplémentaires non-couvertes par l’assurance obligatoire.
Consid. 6.5
Dans un baroud d’honneur, l’assurée estime qu’une semblable restriction, larvée dans une clause ambiguë, aurait dû lui être clairement présentée. Elle semble vouloir tirer avantage du principe in dubio contra stipulatorem qui ne trouve pourtant pas vocation à s’appliquer puisque les juges cantonaux ont dégagé le sens de la clause querellée en faisant appel au principe de la confiance. Cet ultime grief doit donc être rejeté, tout comme les précédents.
Le TF rejette le recours de l’assurée.
Arrêt 4A_477/2022 consultable ici