Arrêt du Tribunal fédéral 4A_417/2023 (f) du 01.10.2024
IJ maladie LCA – Personne assurée licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé) – Preuve du dommage / 8 CC
Indemnités journalières calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage et non sur l’ancien salaire
Le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie
Indemnité de départ, prévue contractuellement, couvre la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports – Indemnité de départ prise en considération par la caisse de chômage et non par l’assurance perte de gain maladie
Assuré engagé le 01.06.2008 par la société C.__ SA. Son contrat de travail prévoyait qu’en cas de licenciement, l’employeuse verserait une indemnité unique correspondant à six mois de salaire de base.
L’employeuse a souscrit une assurance perte de gain collective auprès d’une compagnie d’assurances, effective dès le 01.01.2020. Cette assurance couvrait 90% du salaire assuré pendant 730 jours, après un délai d’attente de 60 jours, en cas d’incapacité de travail due à une maladie. Les CGA prévoient notamment qu’est réputée incapacité de travail toute perte de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une maladie.
Par courrier du 22.01.2021, l’employeuse a licencié l’assuré pour le 31.07.2021 et l’a libéré de son obligation de travailler.
En août 2021, l’employeuse a transmis à l’assureur une déclaration de maladie indiquant que l’assuré se trouvait en incapacité totale de travail depuis le 21.06.2021.
Le 07.09.2021, l’assureur a informé l’assuré qu’il le considérait apte à reprendre son activité chez un autre employeur et a clos le dossier. L’assuré a contesté cette décision. Il s’est inscrit au chômage le 07.11.2021.
Procédure cantonale (arrêt ATAS/494/2023 – consultable ici)
Par arrêt du 26.06.2023, la cour cantonale a partiellement admis la demande, condamnant l’assureur à verser CHF 191’576.25 plus intérêts à l’assuré pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. Se basant sur une expertise judiciaire, la cour a établi que l’assuré était en incapacité de travail totale jusqu’au 30.11.2021, puis à 50% du 01.12.2021 au 31.01.2022. La cour a retenu que l’assuré avait perçu son salaire jusqu’au 31.07.2021 et qu’il était toujours sous contrat de travail pendant la période litigieuse, durant laquelle il a subi une perte de gain due à son incapacité de travail. Les indemnités journalières ont été calculées sur la base de 90% de l’ancien salaire de l’assuré, soit CHF 565’287.85.
TF
Consid. 3
En l’espèce, il est établi et non contesté que l’employé a été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et libéré de l’obligation de travailler jusqu’à cette échéance; il a perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire.
Il s’est trouvé en incapacité totale de travailler dès le 21.06.2021. Selon l’expertise, cette incapacité s’est prolongée jusqu’au 31.01.2022, d’abord à 100% puis à 50%. Compte tenu du délai d’attente de 60 jours prévu par la police d’assurance, le droit aux prestations de l’assurance perte de gain ne pouvait débuter que le 20.08.2021, point de départ qui n’est pas contesté.
La cour cantonale a admis l’incapacité de travailler sur la base de l’expertise et, partant, la perte de gain de l’employé. Elle l’a calculée en se fondant sur un salaire annuel de CHF 565’287.85 (90% de ce montant, conformément aux CGA).
Consid. 6.1
S’agissant d’une assurance de dommages, conformément à l’art. 8 CC, la personne assurée doit établir au degré de la vraisemblance prépondérante que son incapacité de travailler pour cause de maladie lui a causé une perte de gain, c’est-à-dire un dommage. Autrement dit, elle doit établir avec vraisemblance prépondérante que si elle n’était pas malade, elle exercerait une activité lucrative. Cela implique donc de se poser, dans chaque cas d’espèce, la question suivante: le travailleur exercerait-il ou non une activité lucrative s’il n’était pas malade? Ce n’est en effet que dans l’affirmative que tant l’assurance d’indemnités journalières pour cause de maladie que l’assurance-chômage allouent des prestations.
Il ressort de la jurisprudence qu’il faut distinguer deux cas de figure, en fonction du moment auquel intervient la résiliation du contrat de travail (signification du congé) :
- Si la personne assurée était déjà malade au moment où son contrat de travail a été résilié, après la période de protection contre les congés, il est présumé (présomption de fait) que, sans la maladie qui l’affecte, elle exercerait non seulement une activité lucrative, mais elle aurait continué à travailler pour son employeur, et donc à percevoir le même salaire pendant toute la durée de son incapacité de travail. Dans ce cas de figure, la perte de gain correspond à sa perte de salaire (ATF 147 III 73 consid. 3.2 et 3.3).
- Si la personne assurée a été licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé), elle doit établir avec une vraisemblance prépondérante qu’elle exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade, et qu’elle aurait eu droit aux indemnités de l’assurance-chômage. Dans ce cas de figure, il ne peut pas être présumé qu’elle percevrait le même salaire que précédemment et les indemnités journalières doivent être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage (ATF 147 III 73 consid. 3.3; cf. toutefois consid. 4 non publié de cet ATF s’agissant d’un nouvel emploi concret [ » konkret bezeichnete Stelle « ], avec des indications sur le nouveau salaire possible).
Lorsqu’elle est en incapacité de travail, la personne qui exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade n’est pas apte au travail et ne peut donc pas percevoir de prestations de l’assurance-chômage. En revanche, puisqu’elle est malade, elle a droit aux prestations de l’assurance-maladie collective, calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage.
Consid. 6.2
Selon la cour cantonale, pour déterminer si l’assuré avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, il convenait de définir s’il était encore lié par son contrat de travail avec son ancienne employeuse. Il avait été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et s’était retrouvé en incapacité de travail dès le 21.06.2021. Se fondant sur les dispositions légales applicables au contrat de travail, la cour cantonale a retenu que le terme des rapports de travail était reporté au 31.01.2022 au vu de la période de protection contre les congés dont bénéficiait l’assuré (art. 336c al. 1 let. b CO; art. 336c al. 2 et 3). Ce dernier avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il n’avait reçu aucun revenu alors qu’il était encore sous contrat de travail et se trouvait en incapacité de travailler. La cour cantonale a ensuite calculé le montant des indemnités journalières sur la base de l’ancien salaire de l’assuré.
Consid. 6.3
En l’espèce, il est établi que la résiliation des rapports de travail a été communiquée par courrier du 22.01.2021, et que l’employé est tombé en incapacité de travailler le 21.06.2021, soit pendant le délai de congé. Au vu du délai d’attente de l’assurance de 60 jours, le droit aux prestations de l’assurance n’a commencé que le 20.08.2021. L’assureur ne conteste pas le report du terme des rapports de travail au 31.01.2022.
Ces faits réalisent les conditions du second cas de figure sus-exposé. Les prestations de l’assureur perte de gain doivent donc être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage. C’est ainsi à tort que la cour cantonale a tablé sur la fin des rapports de travail au 31.01.2022 pour admettre que l’employé a droit à des prestations de l’assureur perte de gain fondées sur son ancien salaire de CHF 565’287.85 pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. En effet, puisque le contrat de travail a été résilié avant que l’employé ne tombe malade, il est évident que les rapports de travail n’auraient pas été poursuivis, même sans la maladie.
Dans sa réponse, l’assuré soutient que l’arrêt 4A_424/2020 – soit l’ATF 147 III 73 – dans lequel les indemnités perte de gain litigieuses ont été calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage, concernait des prestations qui devaient être versées une fois que le travailleur ne pouvait plus prétendre à recevoir son salaire et émargeait à l’assurance-chômage. Selon l’assuré, il en allait différemment dans son cas, puisqu’il disposait d’un droit à recevoir son salaire jusqu’au 31.01.2022. L’assuré se méprend. L’ATF 147 III 73 concerne le même cas de figure que la présente affaire: les rapports de travail, débutés en 2008, ont été résiliés le 12.02.2018 pour le 31.08.2018; la personne assurée est devenue incapable de travailler dès le 27.07.2018. Les indemnités litigieuses ont été versées après le délai d’attente de 90 jours de l’assurance perte de gain dès l’incapacité de travail. Contrairement à ce qu’allègue l’assuré, elles n’ont pas été payées après que le contrat de travail ait pris fin; il omet le report du terme des rapports de travail dû à la période de protection contre les congés. Cet ATF ne lui est donc d’aucun secours.
Ainsi, il appartiendra à la cour cantonale de calculer le montant des indemnités journalières de l’assurance perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022 en se fondant sur les indemnités de chômage auxquelles l’assuré aurait pu prétendre s’il n’avait pas été malade. Il incombera également à l’autorité précédente de statuer à nouveau sur les dépens de la procédure cantonale; elle n’a à juste titre pas perçu de frais judiciaires (cf. art. 114 let. e CPC).
Consid. 7.1.1
Sous le grief lié à l’incapacité de travail de l’assuré, l’assureur soutient que celle-ci ne devrait pas être appréciée par rapport à l’activité qu’il exerçait précédemment pour son employeur. Selon l’assureur, l’expertise est théorique puisqu’elle apprécie l’incapacité par rapport à une situation hypothétique, soit celle d’une activité de cadre supérieur d’une entreprise multinationale, alors que l’assuré n’exerce plus cette activité depuis qu’il a été libéré de son obligation de travailler. Elle se fonde sur le ch. D2 CGA, qu’elle rapproche de l’art. 6 LPGA (poste de travail habituel), et en déduit que depuis son licenciement, avec libération de l’obligation de travailler, l’assuré a eu une activité de recherche d’emploi, qu’il s’agit de son activité habituelle et que c’est sur cette base que devait s’apprécier sa capacité de travail. Il se plaint d’arbitraire et de violation des dispositions légales et contractuelles applicables.
Cette critique est infondée. La jurisprudence n’a jamais déduit du fait que l’employé a été libéré de l’obligation de travailler que désormais, sa capacité de travail devait être appréciée en fonction de sa recherche d’un emploi.
Consid. 7.2
L’assureur avance encore que, puisque l’assuré a été libéré de son obligation de travailler, il n’y avait pas de lien de causalité entre son incapacité de travail et l’éventuelle perte de gain, de sorte que l’assuré n’avait pas droit aux indemnités litigieuses.
Toutefois, le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie.
Consid. 7.4.1
A titre complémentaire, l’assureur soutient que l’assuré n’a de toute façon pas subi de perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il avait perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire. La volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer cette indemnité comme du salaire pour cette période, ce qu’avait également retenu la caisse de chômage. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont constaté de manière arbitraire que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Ils ne pouvaient pas reporter cette indemnité sur la période postérieure au 31.01.2022.
Consid. 7.4.2
La cour cantonale a relevé que l’indemnité de départ, prévue contractuellement, couvrait à la fin des rapports de travail la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports, et non de l’incapacité de travail. Puisque le terme du délai de congé avait été reporté au 31.01.2022 en raison de l’incapacité de travail de l’assuré, l’indemnité de départ serait prise en considération par la caisse de chômage dès le 01.02.2022. Certes, il ressortait de la décision de la caisse de chômage qu’elle avait tenu compte de cette indemnité dès le mois d’août 2021; cependant, elle avait précisé que sa décision revêtait un caractère provisoire et pourrait être revue en cas de décision judiciaire tranchant différemment la question de la fin des rapports de travail. Partant, durant la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, l’assuré, qui était alors sous contrat de travail, se trouvait en incapacité de travail et n’avait pas perçu de revenu, de sorte qu’il avait subi une perte de gain.
Consid. 7.4.3
L’assureur fait valoir que dans le cadre d’un litige aux prud’hommes, la volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer l’indemnité versée comme du salaire pour la période litigieuse, de sorte qu’il n’y avait aucune perte de gain. Ce faisant, l’assureur se fonde sur des éléments non constatés, sans requérir valablement un complètement de l’état de fait à cet égard. Cela n’est pas suffisant. Par ailleurs, contrairement à ce qu’il soutient, les juges cantonaux ont basé leur appréciation sur un élément concret. En effet, le contrat de travail prévoyait lui-même le versement d’une indemnité en cas de licenciement. Ainsi, cette indemnité aurait de toute évidence été payée même sans l’incapacité de travail de l’assuré et n’était donc pas en lien avec cette dernière. Pour le surplus, lorsque l’assureur allègue que la caisse de chômage avait elle-même retenu que l’assuré n’avait subi aucun dommage pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, il ne discute pas valablement l’argumentation de la cour cantonale relative à la décision de la caisse de chômage.
En définitive, l’assureur ne parvient pas à démontrer que les juges cantonaux auraient retenu de manière arbitraire que l’indemnité de départ était destinée à couvrir une éventuelle perte de gain dès le 31.01.2022, et que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Le grief doit donc être rejeté.
Le TF admet partiellement le recours de l’assureur, annule l’arrêt cantonal et renvoie la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
Arrêt 4A_417/2023 consultable ici