Archives par mot-clé : Preuve du dommage

9C_46/2024 (f) du 31.10.2024 – Changement de caisse-maladie d’assureur en cas de non-paiement des primes et des participations aux coûts ou de retard de paiement / Réparation du dommage résultant de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_46/2024 (f) du 31.10.2024

 

Consultable ici

 

Changement de caisse-maladie d’assureur en cas de non-paiement des primes et des participations aux coûts ou de retard de paiement / 7 LAMal – 64a LAMal – 105l OAMal

Réparation du dommage résultant de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur / 7 al. 6 LAMal

Indemnité pour tort moral / 49 CO – 78 LPGA

Frais de défense engagés par les assurés comme un élément du dommage

 

Affiliés à Helsana pour l’assurance obligatoire des soins depuis le 01.01.2012, les conjoints A.__ et B.__ ont résilié leurs contrats pour le 31.12.2014 par courriers du 25.11.2014.

Le 09.01.2015, Helsana a d’abord refusé ces résiliations (au motif que toutes les factures qu’elle avait émises en 2014 n’avaient pas été payées), puis les a acceptées par courrier du 02.06.2015, sous réserve du paiement des primes échues et du dépôt d’une attestation d’affiliation à un autre assureur-maladie depuis le 01.01.2015. Faute pour les assurés d’avoir présenté l’attestation requise, le changement d’assureur-maladie n’a pas eu lieu.

Helsana a poursuivi les assurés pour des primes impayées entre novembre 2016 et janvier 2019, et a prononcé des mainlevées d’opposition. L’assureur a également refusé de résilier rétroactivement les contrats au 31.12.2014. Le tribunal cantonal, saisi de recours contre ces décisions, a annulé celles-ci et renvoyé l’affaire à Helsana pour qu’elle évalue le dommage causé aux assurés par le refus injustifié de résiliation. Le Tribunal fédéral, sur recours d’Helsana, a partiellement admis ce dernier, par arrêt 9C_203/2021 du 02.02.2022; il a annulé l’arrêt du 13.02.2021, en tant qu’il portait sur l’annulation des décisions sur opposition du 13.11.2019, et a rejeté le recours pour le surplus.

Helsana a ensuite évalué le dommage causé aux assurés à 1’983 fr. 60 pour A.__ et 1’618 fr. 80 pour B.__, correspondant à la différence entre les primes qu’ils auraient payées au nouvel assureur-maladie (soit Assura en l’occurrence) et celles d’Helsana en 2015. Après compensation avec les arriérés de primes dus par les assurés (29’172 fr. 50), Helsana a conclu n’avoir rien à leur verser.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/940/2023 – consultable ici)

Par jugement du 05.12.2023, admission partielle des recours par le tribunal cantonal, reformant les décisions sur opposition en ce sens que Helsana devait payer, à titre de dommage résultant de l’empêchement de changer d’assureur-maladie au 01.01.2015, les sommes de 10’071 fr. 40 à l’assuré et de 9’161 fr. 80 à l’assurée, avec intérêts à 5% l’an dès le 01.01.2019.

 

TF

Consid. 4
L’arrêt attaqué expose les normes et la jurisprudence nécessaires à la résolution du cas, plus particulièrement celles relatives au changement d’assureur (art. 7 LAMal) en cas de non-paiement des primes et des participations aux coûts (art. 64a LAMal) ou de retard de paiement (art. 105l OAMal) et à la réparation du dommage résultant de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur (art. 7 al. 6 LAMal; cf. arrêt 9C_203/2021 du 2 février 2022 consid. 7.2). Il cite en outre la jurisprudence portant sur le niveau de vraisemblance qu’un fait doit atteindre pour être considéré comme établi (ATF 144 V 427 consid. 3.2) et l’appréciation anticipée des preuves (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Il expose encore les dispositions légales et la jurisprudence concernant le principe de la bonne foi en relation avec la transmission de renseignements erronés (ATF 131 II 627 consid. 6), le droit à une réparation morale en relation avec une atteinte à la personnalité (art. 49 CO et 78 LPGA) et les frais de défense en tant que poste du dommage en matière de responsabilité civile (ATF 131 II 121 consid. 2.1; arrêt 4A_346/2023 du 13 juin 2024 consid. 5.1.3). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 5.1.1 [résumé]
La cour cantonale a estimé que l’assureur avait violé son devoir d’information en ne communiquant pas le montant des arriérés dus avant le 02.06.2015. Cette violation engendrait une obligation de réparation du dommage pour l’année 2015, mais pas pour les années suivantes, car les assurés restaient tenus de payer leurs primes malgré l’empêchement fautif de changer d’assureur. Cependant, la responsabilité de l’assureur concernant l’impossibilité de changer de caisse-maladie et le dommage en résultant s’étendait jusqu’au 31.12.2017. Cette extension de responsabilité était due à des courriers équivoques de l’assureur qui, jusqu’en 2017, avaient laissé croire aux assurés qu’une résiliation rétroactive de leurs contrats au 31.12.2014 était encore possible.

Consid. 5.1.2 [résumé]
Les recourants contestent la limitation de la période d’indemnisation au 31.12.2017, affirmant que le lien de causalité entre le comportement de leur caisse d’assurance-maladie et l’impossibilité de changer d’assureur s’étendait au-delà de cette date. Les recourants retracent la chronologie des événements, du refus d’Assura d’accepter leur affiliation rétroactive en avril 2017 jusqu’à l’arrêt du Tribunal fédéral en février 2022. Ils soutiennent que l’assureur n’a pas modifié son comportement, qualifié de fautif et manquant de transparence, jusqu’à la confirmation par le Tribunal fédéral en 2022. Par conséquent, ils estiment que la période d’indemnisation devrait être étendue jusqu’au 31.12.2022. Les recourants affirment également n’avoir jamais reçu le courrier d’Assura du 18.04.2017, remettant ainsi en question un élément clé de la chronologie établie par l’autorité cantonale.

Consid. 5.1.3
L’argumentation des assurés est infondée. Comme l’ont dûment indiqué les juges cantonaux, la conséquence légale de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur ne consiste pas en une reconnaissance du changement d’assureur avec effet rétroactif, mais en l’obligation de l’ancien assureur de verser des dommages-intérêts conformément aux principes généraux du droit de la responsabilité civile. Elle suppose ainsi un acte ou une omission illicite, un dommage, un lien de causalité entre l’acte ou l’omission d’une part et le dommage d’autre part, ainsi qu’une faute (cf. art. 41 CO en lien avec l’art. 7 al. 6 LAMal; ATF 130 V 448 consid. 5.2). Or, en l’occurrence, la juridiction cantonale a considéré que le fait pour la caisse-maladie intimée de ne pas avoir chiffré le montant des arriérés de primes avant le 02.06.2015 constituait une violation de son obligation d’informer qui avait empêché les recourants de changer d’assureur et leur avait causé un dommage dû notamment à la différence entre les primes qu’ils auraient payées à Assura et celles qu’ils ont payées à l’assureur intimé en 2015. Elle a relevé que ce dernier avait du reste admis ce poste du dommage. Elle a en outre retenu que le fait pour la caisse-maladie intimée d’avoir laissé entendre aux assurés dans ses courriers des 02.06.2015 et 15.03.2017 que leurs contrats pourraient sous conditions particulières être résiliés de manière rétroactive au 31.12.2014 constituait une violation du principe de la bonne foi en lien avec la communication d’informations erronées, qui avait empêché les recourants de changer d’assureur et prolongé la période au cours de laquelle ils avaient subi un dommage jusqu’au mois de mai 2017.

On relèvera toutefois que, contrairement à ce que les recourants soutiennent, ils ne pouvaient plus dès le mois de mai 2017 se prévaloir d’un comportement fautif de la part de la caisse-maladie intimée ni de la communication de la part de celle-ci de renseignements erronés justifiant l’impossibilité de changer d’assureur et la persistance d’un dommage au-delà du 31 décembre 2017. En effet, par courrier du 18.04.2017, Assura avait clairement indiqué qu’elle avait annulé les contrats initialement conclus avec les assurés conformément à la loi (compte tenu de l’annonce de l’assureur intimé du 09.01.2015 relative au maintien de l’affiliation) et qu’elle n’entendait pas accéder à une demande d’affiliation rétroactive mais restait à disposition des assurés pour leur adresser une offre d’affiliation valable dès le 01.01.2018. Ce courrier avait été adressé au recourant qui gérait aussi les affaires de son épouse. Ces différents éléments avaient également été communiqués directement au mandataire (à l’époque) des assurés par courrier de l’assureur intimé du 15.05.2017, qui évoquait expressément le maintien de l’affiliation. Dans ces circonstances, les juges cantonaux n’ont pas fait preuve d’arbitraire ni violé le droit fédéral en excluant l’existence d’un dommage causé par un comportement fautif de la caisse-maladie intimée au-delà du 31.12.2017 et, partant, une obligation de le réparer.

Consid. 5.2.1 [résumé]
La juridiction cantonale a examiné les différents éléments du dommage subi par les recourants, en se concentrant particulièrement sur la différence de primes entre leur assureur actuel et Assura, l’assureur qu’ils auraient choisi.

Pour 2015, le tribunal a calculé un dommage de 1’983 fr. 60 pour le recourant et 1’618 fr. 80 pour la recourante, basé sur la différence entre les primes mensuelles payées à l’assureur actuel et celles qui auraient été payées à Assura.

Le calcul a été étendu aux années 2016 et 2017, en utilisant les mêmes modèles d’assurance choisis par les recourants auprès d’Assura et conclus avec l’assureur intimé. Le dommage total a été fixé à 4’108 fr. 80 pour le recourant et 3’564 fr. pour la recourante.

La cour a exclu du calcul la redistribution de la taxe environnementale et les subsides, considérant qu’ils ne variaient pas selon l’assureur. Elle a également rejeté l’hypothèse d’un modèle d’assurance plus avantageux à partir de 2016, estimant que cette possibilité n’était pas suffisamment établie. Cependant, elle a pris en compte l’absence de couverture du risque accident pour l’assurée en 2017.

Consid. 5.2.2
Les recourants contestent uniquement les montants retenus par le tribunal cantonal au titre des primes qu’ils auraient payées s’ils avaient pu changer d’assureur. Ils soutiennent en substance que, vu leur situation financière, rien ne démontre que les montants à prendre en compte seraient ceux figurant dans le contrat d’assurance conclu avec Assura, ni qu’ils n’auraient pas cherché à minimiser leurs coûts en renonçant à couvrir le risque accident dès 2015, comme l’art. 9 LAMal en lien avec l’art. 8 al. 1 LAMal le leur permettait, et en optant pour le modèle « médecin de famille » dès 2016.

Consid. 5.2.3
Cette argumentation n’est pas fondée. On rappellera que les juges cantonaux ont fixé le montant des primes 2015 en fonction de la police d’assurance conclue avec Assura. Or une police d’assurance est un certificat qui atteste le contrat passé entre l’assuré et sa caisse-maladie. Contrairement à ce qu’allèguent les assurés, il ne s’agit pas seulement d’un document démontrant la continuité de la couverture d’assurance obligatoire mais d’un véritable contrat décrivant précisément les conditions auxquelles la couverture d’assurance est accordée ou reprise. Il n’était dès lors pas arbitraire de la part de la juridiction cantonale de reprendre le montant des primes indiqué dans les polices d’assurance signées par les recourants.

On précisera que si l’art. 8 al. 1 LAMal permet à l’assuré de demander la suspension de la couverture du risque accident, cette suspension n’est qu’une possibilité et ne découle pas automatiquement de l’existence d’une couverture d’assurance au sens de la LAA. Elle est conditionnée notamment par une demande dont le dépôt éventuel en 2015 ou plus tard n’a en l’occurrence pas été rendu vraisemblable.

Une situation financière précaire ne suffit pas davantage à établir qu’une telle demande aurait été immanquablement déposée par les recourants. Le fait que la juridiction cantonale a admis que l’assurée aurait présenté une telle demande en 2017 en raison de la circonstance particulière d’une reprise d’une activité professionnelle cette année-là et qu’elle n’a pas pris en considération une telle éventualité pour le recourant dès 2015 n’apparaît pas arbitraire. Celui-ci était en effet déjà actif en 2015 et avait alors opté pour le modèle d’assurance pris en compte dans le calcul du dommage. On ajoutera par ailleurs que les considérations développées par les assurés à propos du choix du modèle « médecin de famille » dès 2016 ne sont que des éventualités qui, comme le tribunal cantonal l’a retenu à bon droit, n’ont pas été rendues suffisamment vraisemblables et qui, au demeurant, peuvent dépendre d’autres circonstances qu’une situation financière précaire.

Consid. 5.3.1
Les juges cantonaux ont encore examiné si les recourants avaient droit à une indemnité pour tort moral au sens de l’art. 49 CO que ceux-ci réclamaient en raison du stress, de la honte, du dépit et du désespoir ressentis face à la multiplication des poursuites et aux difficultés à éclaircir leur situation suscités par le comportement contraire au droit de l’assureur intimé. Ils ont laissé ouverte la question de savoir si le droit à une indemnité pour tort moral, constitutive du dommage dans le cadre général de l’art. 78 LPGA, existait également dans le cadre plus spécifique de l’art. 7 al. 6 LAMal. En effet, d’après eux, le comportement illicite et fautif de la caisse intimée n’était pas de nature à léser les assurés dans leurs droits de la personnalité mais seulement dans leurs intérêts pécuniaires, quand bien même ce comportement avait entraîné des difficultés et des souffrances réelles pour ceux-ci.

Consid. 5.3.2
Les recourants font grief au tribunal cantonal d’avoir fait montre d’arbitraire en reconnaissant que le comportement fautif de l’assureur intimé avait entraîné chez eux des difficultés et des souffrances réelles mais en rejetant leur droit à une réparation morale au motif qu’ils n’auraient été atteints que dans leurs intérêts patrimoniaux et pas dans leurs droits de la personnalité. Ils soutiennent que ce raisonnement est contradictoire, d’autant plus que les juges cantonaux n’ont pas donné suite à leur offre de preuve sur ce point.

Consid. 5.3.3
Cette argumentation n’est pas fondée. En effet, l’allocation d’une indemnité pour tort moral fondée sur l’art. 49 al. 1 CO suppose que l’atteinte présente une certaine gravité objective et qu’elle ait été ressentie par la victime comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime qu’une personne dans ces circonstances s’adresse au juge pour obtenir réparation (cf. p. ex. arrêt 6B_1196/2022 du 26 janvier 2023 consid. 2.2 et les références). Pour admettre le droit à une indemnité pour tort moral, il faut donc que l’atteinte subie soit exceptionnelle aux yeux de tiers et pas seulement ressentie comme tel par la personne concernée (cf. p. ex. arrêt 8C_539/2015 du 13 novembre 2015 consid. 2.2). Or le fait d’être poursuivi en raison du non paiement de primes de l’assurance-maladie obligatoire ne saurait objectivement constituer une grave atteinte à la personnalité des recourants. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant l’intensité de la douleur ressentie par ceux-ci. On ne saurait dès lors valablement reprocher aux juges cantonaux d’avoir violé le droit fédéral ou fait preuve d’arbitraire en niant le droit des recourants à une indemnité pour tort moral.

Consid. 5.4.1 [résumé]
La juridiction cantonale a examiné les frais de défense engagés par les assurés comme un élément du dommage. Elle a précisé que seuls les frais liés à l’obtention du changement d’assureur au 01.01.2015 et à la réparation du dommage causé par l’empêchement de ce changement pouvaient être pris en compte. Les frais relatifs au refus de payer les primes et aux poursuites en découlant ont été exclus.

Les assurés ont allégué des « frais juridiques nécessaires » non couverts par les indemnités de dépens, s’élevant à 14’036 fr. 10 pour le mandataire actuel et 940 fr. pour les anciens mandataires. Après examen, la cour cantonale a estimé que seule la moitié du montant facturé par le nouveau mandataire et la totalité du montant facturé par les anciens mandataires étaient en lien avec la question du changement d’assureur. Cette répartition correspondait à celle adoptée par le Tribunal fédéral dans l’arrêt 9C_203/2021 cité.

En conséquence, la juridiction cantonale a fixé le montant de ce poste du dommage à 3’979 fr. pour chacun des recourants.

Consid. 5.4.2
Les recourants semblent faire grief à la juridiction cantonale d’avoir divisé par deux le montant des honoraires que pouvait encore prétendre leur nouveau mandataire dans la mesure où elle avait limité la période d’indemnisation au 31.12.2017. Ils soutiennent en substance que, comme leur recours démontre la persistance du lien de causalité entre le comportement de l’assureur intimé et le dommage jusqu’au 31.12.2022, il n’y avait pas de raison de diviser par deux le montant des honoraires. Ils prétendent en outre que l’examen des notes de frais produites en première instance établit que seul un montant anecdotique correspond aux frais relatifs aux démarches entreprises dans le cadre de poursuites.

Consid. 5.4.3
Cette argumentation est mal fondée. Contrairement à ce que les assurés allèguent, les frais et honoraires pris en compte par le tribunal cantonal au titre du dommage couvrent les activités déployées par leur conseil actuel en lien avec le changement d’assureur et le dommage causé par l’empêchement de changer d’assureur jusqu’au 12.12.2022. Ils ont été divisés en deux par rapport au montant total réclamé (et répartis par moitié sur chacun des recourants) au motif que seule la moitié de ce montant devait être considérée comme « pertinent[e], justifié[e], nécessaires et adéquat[e] ». La prise en compte seulement de la moitié du montant réclamé n’a donc rien à voir avec la durée de la période d’indemnisation.

On ajoutera que, comme l’a relevé la juridiction cantonale, on ne peut pas aisément distinguer dans les notes de frais et d’honoraires produites pour quel type d’activité déployée des honoraires ont été réclamés. Ainsi, les intitulés « entretien (téléphonique) avec le client », « étude du dossier », « lettre à…/reçue et lue », « e-mail à…/reçu et lu », etc. ne permettent pas de déterminer si les démarches facturées sont plutôt liées à l’impossibilité de changer d’assureur qu’aux poursuites résultant du non paiement des primes de l’assurance obligatoire des soins. Dans ces circonstances, il n’apparaît pas arbitraire pour le tribunal cantonal de n’avoir pris en compte que la moitié des honoraires facturés au titre de réparation du dommage. On précisera que, quoi qu’en disent les assurés, il leur appartenait de produire d’emblée des notes d’honoraires suffisamment détaillées pour en déduire la légitimité des montants qu’ils réclamaient, une audition a posteriori de leur conseil n’étant plus susceptible d’objectiver les motifs des activités déployées.

 

Le TF rejette le recours des assurés.

 

Arrêt 9C_46/2024 consultable ici

 

4A_417/2023 (f) du 01.10.2024 – IJ maladie LCA – Personne assurée licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé) – Preuve du dommage / 8 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_417/2023 (f) du 01.10.2024

 

Consultable ici

 

IJ maladie LCA – Personne assurée licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé) – Preuve du dommage / 8 CC

Indemnités journalières calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage et non sur l’ancien salaire

Le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie

Indemnité de départ, prévue contractuellement, couvre la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports – Indemnité de départ prise en considération par la caisse de chômage et non par l’assurance perte de gain maladie

 

Assuré engagé le 01.06.2008 par la société C.__ SA. Son contrat de travail prévoyait qu’en cas de licenciement, l’employeuse verserait une indemnité unique correspondant à six mois de salaire de base.

L’employeuse a souscrit une assurance perte de gain collective auprès d’une compagnie d’assurances, effective dès le 01.01.2020. Cette assurance couvrait 90% du salaire assuré pendant 730 jours, après un délai d’attente de 60 jours, en cas d’incapacité de travail due à une maladie. Les CGA prévoient notamment qu’est réputée incapacité de travail toute perte de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une maladie.

Par courrier du 22.01.2021, l’employeuse a licencié l’assuré pour le 31.07.2021 et l’a libéré de son obligation de travailler.

En août 2021, l’employeuse a transmis à l’assureur une déclaration de maladie indiquant que l’assuré se trouvait en incapacité totale de travail depuis le 21.06.2021.

Le 07.09.2021, l’assureur a informé l’assuré qu’il le considérait apte à reprendre son activité chez un autre employeur et a clos le dossier. L’assuré a contesté cette décision. Il s’est inscrit au chômage le 07.11.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/494/2023 – consultable ici)

Par arrêt du 26.06.2023, la cour cantonale a partiellement admis la demande, condamnant l’assureur à verser CHF 191’576.25 plus intérêts à l’assuré pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. Se basant sur une expertise judiciaire, la cour a établi que l’assuré était en incapacité de travail totale jusqu’au 30.11.2021, puis à 50% du 01.12.2021 au 31.01.2022. La cour a retenu que l’assuré avait perçu son salaire jusqu’au 31.07.2021 et qu’il était toujours sous contrat de travail pendant la période litigieuse, durant laquelle il a subi une perte de gain due à son incapacité de travail. Les indemnités journalières ont été calculées sur la base de 90% de l’ancien salaire de l’assuré, soit CHF 565’287.85.

 

TF

Consid. 3
En l’espèce, il est établi et non contesté que l’employé a été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et libéré de l’obligation de travailler jusqu’à cette échéance; il a perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire.

Il s’est trouvé en incapacité totale de travailler dès le 21.06.2021. Selon l’expertise, cette incapacité s’est prolongée jusqu’au 31.01.2022, d’abord à 100% puis à 50%. Compte tenu du délai d’attente de 60 jours prévu par la police d’assurance, le droit aux prestations de l’assurance perte de gain ne pouvait débuter que le 20.08.2021, point de départ qui n’est pas contesté.

La cour cantonale a admis l’incapacité de travailler sur la base de l’expertise et, partant, la perte de gain de l’employé. Elle l’a calculée en se fondant sur un salaire annuel de CHF 565’287.85 (90% de ce montant, conformément aux CGA).

Consid. 6.1
S’agissant d’une assurance de dommages, conformément à l’art. 8 CC, la personne assurée doit établir au degré de la vraisemblance prépondérante que son incapacité de travailler pour cause de maladie lui a causé une perte de gain, c’est-à-dire un dommage. Autrement dit, elle doit établir avec vraisemblance prépondérante que si elle n’était pas malade, elle exercerait une activité lucrative. Cela implique donc de se poser, dans chaque cas d’espèce, la question suivante: le travailleur exercerait-il ou non une activité lucrative s’il n’était pas malade? Ce n’est en effet que dans l’affirmative que tant l’assurance d’indemnités journalières pour cause de maladie que l’assurance-chômage allouent des prestations.

Il ressort de la jurisprudence qu’il faut distinguer deux cas de figure, en fonction du moment auquel intervient la résiliation du contrat de travail (signification du congé) :

  • Si la personne assurée était déjà malade au moment où son contrat de travail a été résilié, après la période de protection contre les congés, il est présumé (présomption de fait) que, sans la maladie qui l’affecte, elle exercerait non seulement une activité lucrative, mais elle aurait continué à travailler pour son employeur, et donc à percevoir le même salaire pendant toute la durée de son incapacité de travail. Dans ce cas de figure, la perte de gain correspond à sa perte de salaire (ATF 147 III 73 consid. 3.2 et 3.3).
  • Si la personne assurée a été licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé), elle doit établir avec une vraisemblance prépondérante qu’elle exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade, et qu’elle aurait eu droit aux indemnités de l’assurance-chômage. Dans ce cas de figure, il ne peut pas être présumé qu’elle percevrait le même salaire que précédemment et les indemnités journalières doivent être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage (ATF 147 III 73 consid. 3.3; cf. toutefois consid. 4 non publié de cet ATF s’agissant d’un nouvel emploi concret [ » konkret bezeichnete Stelle « ], avec des indications sur le nouveau salaire possible).

Lorsqu’elle est en incapacité de travail, la personne qui exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade n’est pas apte au travail et ne peut donc pas percevoir de prestations de l’assurance-chômage. En revanche, puisqu’elle est malade, elle a droit aux prestations de l’assurance-maladie collective, calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage.

Consid. 6.2
Selon la cour cantonale, pour déterminer si l’assuré avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, il convenait de définir s’il était encore lié par son contrat de travail avec son ancienne employeuse. Il avait été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et s’était retrouvé en incapacité de travail dès le 21.06.2021. Se fondant sur les dispositions légales applicables au contrat de travail, la cour cantonale a retenu que le terme des rapports de travail était reporté au 31.01.2022 au vu de la période de protection contre les congés dont bénéficiait l’assuré (art. 336c al. 1 let. b CO; art. 336c al. 2 et 3). Ce dernier avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il n’avait reçu aucun revenu alors qu’il était encore sous contrat de travail et se trouvait en incapacité de travailler. La cour cantonale a ensuite calculé le montant des indemnités journalières sur la base de l’ancien salaire de l’assuré.

Consid. 6.3
En l’espèce, il est établi que la résiliation des rapports de travail a été communiquée par courrier du 22.01.2021, et que l’employé est tombé en incapacité de travailler le 21.06.2021, soit pendant le délai de congé. Au vu du délai d’attente de l’assurance de 60 jours, le droit aux prestations de l’assurance n’a commencé que le 20.08.2021. L’assureur ne conteste pas le report du terme des rapports de travail au 31.01.2022.

Ces faits réalisent les conditions du second cas de figure sus-exposé. Les prestations de l’assureur perte de gain doivent donc être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage. C’est ainsi à tort que la cour cantonale a tablé sur la fin des rapports de travail au 31.01.2022 pour admettre que l’employé a droit à des prestations de l’assureur perte de gain fondées sur son ancien salaire de CHF 565’287.85 pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. En effet, puisque le contrat de travail a été résilié avant que l’employé ne tombe malade, il est évident que les rapports de travail n’auraient pas été poursuivis, même sans la maladie.

Dans sa réponse, l’assuré soutient que l’arrêt 4A_424/2020 – soit l’ATF 147 III 73 – dans lequel les indemnités perte de gain litigieuses ont été calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage, concernait des prestations qui devaient être versées une fois que le travailleur ne pouvait plus prétendre à recevoir son salaire et émargeait à l’assurance-chômage. Selon l’assuré, il en allait différemment dans son cas, puisqu’il disposait d’un droit à recevoir son salaire jusqu’au 31.01.2022. L’assuré se méprend. L’ATF 147 III 73 concerne le même cas de figure que la présente affaire: les rapports de travail, débutés en 2008, ont été résiliés le 12.02.2018 pour le 31.08.2018; la personne assurée est devenue incapable de travailler dès le 27.07.2018. Les indemnités litigieuses ont été versées après le délai d’attente de 90 jours de l’assurance perte de gain dès l’incapacité de travail. Contrairement à ce qu’allègue l’assuré, elles n’ont pas été payées après que le contrat de travail ait pris fin; il omet le report du terme des rapports de travail dû à la période de protection contre les congés. Cet ATF ne lui est donc d’aucun secours.

Ainsi, il appartiendra à la cour cantonale de calculer le montant des indemnités journalières de l’assurance perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022 en se fondant sur les indemnités de chômage auxquelles l’assuré aurait pu prétendre s’il n’avait pas été malade. Il incombera également à l’autorité précédente de statuer à nouveau sur les dépens de la procédure cantonale; elle n’a à juste titre pas perçu de frais judiciaires (cf. art. 114 let. e CPC).

 

Consid. 7.1.1
Sous le grief lié à l’incapacité de travail de l’assuré, l’assureur soutient que celle-ci ne devrait pas être appréciée par rapport à l’activité qu’il exerçait précédemment pour son employeur. Selon l’assureur, l’expertise est théorique puisqu’elle apprécie l’incapacité par rapport à une situation hypothétique, soit celle d’une activité de cadre supérieur d’une entreprise multinationale, alors que l’assuré n’exerce plus cette activité depuis qu’il a été libéré de son obligation de travailler. Elle se fonde sur le ch. D2 CGA, qu’elle rapproche de l’art. 6 LPGA (poste de travail habituel), et en déduit que depuis son licenciement, avec libération de l’obligation de travailler, l’assuré a eu une activité de recherche d’emploi, qu’il s’agit de son activité habituelle et que c’est sur cette base que devait s’apprécier sa capacité de travail. Il se plaint d’arbitraire et de violation des dispositions légales et contractuelles applicables.

Cette critique est infondée. La jurisprudence n’a jamais déduit du fait que l’employé a été libéré de l’obligation de travailler que désormais, sa capacité de travail devait être appréciée en fonction de sa recherche d’un emploi.

 

Consid. 7.2
L’assureur avance encore que, puisque l’assuré a été libéré de son obligation de travailler, il n’y avait pas de lien de causalité entre son incapacité de travail et l’éventuelle perte de gain, de sorte que l’assuré n’avait pas droit aux indemnités litigieuses.

Toutefois, le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie.

 

Consid. 7.4.1
A titre complémentaire, l’assureur soutient que l’assuré n’a de toute façon pas subi de perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il avait perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire. La volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer cette indemnité comme du salaire pour cette période, ce qu’avait également retenu la caisse de chômage. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont constaté de manière arbitraire que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Ils ne pouvaient pas reporter cette indemnité sur la période postérieure au 31.01.2022.

Consid. 7.4.2
La cour cantonale a relevé que l’indemnité de départ, prévue contractuellement, couvrait à la fin des rapports de travail la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports, et non de l’incapacité de travail. Puisque le terme du délai de congé avait été reporté au 31.01.2022 en raison de l’incapacité de travail de l’assuré, l’indemnité de départ serait prise en considération par la caisse de chômage dès le 01.02.2022. Certes, il ressortait de la décision de la caisse de chômage qu’elle avait tenu compte de cette indemnité dès le mois d’août 2021; cependant, elle avait précisé que sa décision revêtait un caractère provisoire et pourrait être revue en cas de décision judiciaire tranchant différemment la question de la fin des rapports de travail. Partant, durant la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, l’assuré, qui était alors sous contrat de travail, se trouvait en incapacité de travail et n’avait pas perçu de revenu, de sorte qu’il avait subi une perte de gain.

Consid. 7.4.3
L’assureur fait valoir que dans le cadre d’un litige aux prud’hommes, la volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer l’indemnité versée comme du salaire pour la période litigieuse, de sorte qu’il n’y avait aucune perte de gain. Ce faisant, l’assureur se fonde sur des éléments non constatés, sans requérir valablement un complètement de l’état de fait à cet égard. Cela n’est pas suffisant. Par ailleurs, contrairement à ce qu’il soutient, les juges cantonaux ont basé leur appréciation sur un élément concret. En effet, le contrat de travail prévoyait lui-même le versement d’une indemnité en cas de licenciement. Ainsi, cette indemnité aurait de toute évidence été payée même sans l’incapacité de travail de l’assuré et n’était donc pas en lien avec cette dernière. Pour le surplus, lorsque l’assureur allègue que la caisse de chômage avait elle-même retenu que l’assuré n’avait subi aucun dommage pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, il ne discute pas valablement l’argumentation de la cour cantonale relative à la décision de la caisse de chômage.

En définitive, l’assureur ne parvient pas à démontrer que les juges cantonaux auraient retenu de manière arbitraire que l’indemnité de départ était destinée à couvrir une éventuelle perte de gain dès le 31.01.2022, et que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Le grief doit donc être rejeté.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assureur, annule l’arrêt cantonal et renvoie la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.

 

Arrêt 4A_417/2023 consultable ici

 

4A_431/2021 (i) du 21.04.2022 – Responsabilité civile – Incendie – 41 CO / Notion de dommage – Plus-value de la rénovation lors de la détermination du dommage – 42 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_431/2021 (i) du 21.04.2022

 

Consultable ici

NB : Traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Responsabilité civile – Incendie / 41 CO

Notion de dommage – Plus-value de la rénovation lors de la détermination du dommage / 42 CO

 

B.__ est propriétaire d’une maison mitoyenne. Depuis le 01.10.2010, il loue l’appartement situé au premier étage de l’immeuble à A.__ (ci-après : la locataire [recourante]).

Le 10.02.2012, l’appartement occupé par la locataire a été entièrement détruit par un incendie qui a également endommagé l’appartement du rez-de-chaussée occupé par le propriétaire.

B.__ a conclu, entre mars et décembre 2012, trois conventions d’indemnisation avec sa compagnie d’assurance: l’une portant sur le versement de 37’000 fr. à titre d’indemnité pour les dommages causés au mobilier, une autre relative à la reconnaissance d’un montant de 12’320 fr. pour la location d’un appartement pendant la période où le bâtiment était inhabitable, et une troisième concernant une indemnité de 485’000 fr. pour les frais de reconstruction et de 47’556 fr. 20 pour ceux de déblaiement et de sécurisation du bâtiment.

Dans un jugement du 29.01.2014, le juge du tribunal pénal a condamné la locataire pour incendie volontaire. Le 23.10.2014, la Cour pénale d’appel a confirmé cette décision.

 

Procédures cantonales

Le 11.12.2015, B.__ a assigné la locataire devant le Tribunal d’instance, en vue d’obtenir la condamnation au paiement d’une somme totale de 218’260 fr. 65, majorée des intérêts à 6% dès le 10.02.2012, pour des dépenses engagées par lui et non couvertes par l’assurance (100’000 fr. pour l’indemnisation des frais de rénovation, 20’930 fr. pour la location d’un logement pendant la remise en état de l’immeuble, 67’500 fr. pour la non-location de l’appartement endommagé, 15’000 fr. pour les désagréments supplémentaires subis, 14’831 fr. 65 pour les frais d’assistance judiciaire avant le procès) et le rejet définitif de l’opposition formée contre le commandement de payer émis à son encontre. Ultérieurement, B.__ a précisé sa prétention en chiffrant l’indemnité totale à 211 278 fr. 34 (dont 85’000 fr. pour le remboursement des frais de remise en état). Par un arrêt du 07.02.2020, rejet de l’action dans son intégralité.

B.__ a interjeté appel en demandant que le jugement attaqué soit réformé de manière à faire droit à la requête et à condamner la locataire à lui verser 211’278 fr. 34, plus les intérêts demandés dans les conclusions. Par jugement du 05.07.2021, la Cour d’appel civile a partiellement admis le recours et réformé le jugement précédant, condamnant la locataire à payer à payer à la demanderesse 85’000 fr. plus les intérêts de 5% dès le 11.12.2015 et rejetant définitivement l’opposition de la locataire au commandement de payer correspondant limité à ce montant. Le demandeur avait certes procédé à des améliorations, mais il serait erroné ainsi qu’injuste – ont estimé les juges cantonaux – de compenser la plus-value résultant des travaux qu’il avait financés par la diminution de la fortune causée par l’incendie.

 

TF

Consid. 3
La cour cantonale a jugé qu’en fait seule une partie des travaux de reconstruction était strictement nécessaire à la remise en état du bâtiment existant, que leur valeur totale s’élevait à 565’000 fr., auxquels s’ajoutent 5’000 fr. d’impôts et frais divers et 47’556 fr. 20 de travaux de sécurité et de couverture provisoire, et que la compagnie d’assurances avait versé à B.__ 485’000 fr. pour les dommages au bâtiment et 47’556 fr. 20 pour le déblaiement des gravats (soit un total de 532’556 fr. 20). C’est donc à juste titre que le demandeur a réclamé une indemnité pour le découvert de 85’000 fr. à la locataire (565’000 + 5000./. 485’000). La thèse de la Cour d’appel civile selon laquelle, nonobstant les dommages subis, B.__ aurait dû se laisser imputer la plus-value de l’immeuble découlant du sinistre, reposait sur une déformation de la « Differenztheorie » et n’était pas soutenable. Enfin, la valeur des améliorations n’avait pas été prise en compte par l’expert « pour déterminer les débours jugés indispensables ». Ainsi, il n’était pas possible de compenser la plus-value résultant des travaux financés par B.__ par la diminution des actifs causée par l’incendie.

Pour le reste, le dommage était suffisamment allégué et prouvé : il était précisé dans les annexes de B.__ et ressortait des factures du dossier et du rapport de l’expert, sommé de « constater le montant du dommage ». Le fait que les factures « n’étaient pas toujours » claires et suffisamment détaillées – pour les juges cantonaux, un événement « certainement pas inhabituel pour des travaux de cette taille et de cette ampleur » – n’avait pas entamé la fiabilité du rapport d’expertise (dont la locataire a demandé et obtenu la clarification et le complément), ni empêché la détermination du dommage.

 

Consid. 4.1 [résumé]
La locataire se plaint d’une application erronée des art. 8 CC et 42 CO.

Consid. 4.2 [résumé]
Les art. 8 CC et 42 al. 1 CO définissent notamment le degré de preuve requis, que le Tribunal fédéral examine – en toute connaissance de cause (ATF 130 III 321 consid. 5). En revanche, la question de la nature des preuves est tout à fait différente : elle peut être directe ou indirecte (LARDELLI/VETTER, in : Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, 6e ed. 2018, n° 85 à l’art. 8 CC), notamment circonstancielle (MAX KUMMER, Grundriss des Zivilprozessrechts, 4e ed. 1984, p. 123 ss), et concerne le thème de la libre appréciation des preuves, qui doit être réexaminé à la lumière de l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) et échappe donc entièrement au champ d’application de l’art. 8 CC (voir en particulier en ce qui concerne l’appréciation des preuves indirectes, ATF 128 III 22 consid. 2d ; arrêt 4A_346/2012 du 31 octobre 2012 consid. 3.3).

Il ressort clairement de la lecture de l’arrêt attaqué que la Cour d’appel a apprécié justement les faits, tant sur la base des pièces du dossier que sur celle du rapport d’expertise et des éclaircissements visant à déterminer le dommage. Les éléments de preuve considérés par la Cour d’appel dans leur ensemble constituaient un faisceau d’indices suffisamment solide pour permettre de conclure à l’existence d’un dommage spécifique. Cette approche est conforme aux art. 8 CC et 42 al. 1 CO. La critique est donc infondée.

 

Consid. 5.1
Dans sa requête, B.__ a indiqué des travaux de sécurisation de l’immeuble et des travaux de rénovation et de reconstruction de l’immeuble pour un montant de 725’631 fr. 35 en se référant à un extrait du compte de construction et en offrant comme preuve le rapport de l’expert. La locataire a contesté les coûts indiqués par B.__ et la valeur probante du décompte de construction. Dans sa réponse, B.__ a réitéré la pertinence du décompte de construction et produit les factures de la rénovation et de la reconstruction, reprenant le rapport de l’expert comme moyen de preuve. Le 2 mai 2016, la locataire a contesté que les factures qui concernaient les travaux nécessaires pour rétablir « la situation antérieure à l’incendie » et a ajouté que l’instruction du dossier « montrera que l’extension et la remise en état de l’ensemble du bâtiment du demandeur ne sont ni minimes ni nécessaires pour rétablir la situation antérieure à l’incendie ». L’expert a ensuite déterminé les coûts présumés nécessaires à la remise en état des parties endommagées à 565’000 fr., somme qu’il a également confirmée dans le rapport d’expertise, avec lequel il a répondu à plusieurs questions de la locataire

Consid. 5.2
Il résulte tout d’abord de ce qui précède que la partie lésée a suffisamment expliqué et documenté le dommage subi et la prétention invoquée, en offrant en même temps le rapport d’expertise comme preuve adéquate pour prouver ses prétentions (preuve que le juge a admise précisément à cette fin). Il apparaît également que la locataire a été en mesure de comprendre suffisamment la demande d’indemnisation des frais de reconstruction des biens endommagés non couverts par l’assurance formulée par B.__ et de la contester. La cour cantonale a finalement admis la preuve du rapport d’expertise pour la constatation du dommage, qu’elle a considéré comme un fait litigieux (art. 150 al. 1 CPC), et a également accepté les demandes d’éclaircissement de la locataire, par lesquelles elle a cherché à prouver que la lésée ne pouvait prétendre à aucun dommage, puisqu’elle avait déjà été entièrement indemnisée. Dans ces conditions, les juridictions cantonales pouvaient fort bien conclure que les allégations de la partie adverse concernant le dommage pour les frais de rénovation du bâtiment étaient suffisantes. À cet égard, le recours est sans fondement.

 

Consid. 6.1
Selon le principe de la réparation intégrale, qui s’inscrit dans la fonction indemnitaire du droit de la responsabilité civile, l’auteur doit réparer l’entier du dommage (c’est-à-dire l’atteinte causée au patrimoine) subi par le lésé en lien avec le fait générateur de responsabilité qui lui est imputable (ATF 118 II 176 consid. 4b ; arrêt 4A_61/2015 du 25 juin 2015 consid. 3.1, reproduit dans SJ 2016 I p. 25, et les références).

Consid. 6.1.1
Le dommage juridiquement reconnu réside dans la diminution involontaire de la fortune nette; il correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant qu’aurait ce même patrimoine si l’événement dommageable ne s’était pas produit (ATF 147 III 463 consid. 4.2.1 ; 127 III 73 consid. 4a ; 126 III 388 consid. 11a et la référence; arrêt 4A_61/2015 précité consid. 3.1).

Consid. 6.1.2
On distingue traditionnellement deux catégories de dommage matériel.

Si la chose est totalement détruite, perdue ou que les frais de réparation sont disproportionnés par rapport à la valeur vénale au moment de l’endommagement, le dommage matériel correspond à la valeur de remplacement de cette chose (arrêt 4A_61/2015 précité consid. 3.1 avec références).

Le dommage matériel est partiel lorsque l’atteinte à la chose peut être réparée, de sorte que celle-ci peut ensuite à nouveau remplir sa fonction d’origine (ROLAND BREHM, Berner Kommentar, 5e ed. 2021, n° 21i ss. à l’art. 42 CO). Le dommage comprend alors les frais de réparation et la dépréciation due au fait que l’objet, même réparé, n’a plus la même valeur qu’un objet resté intact (arrêt 4A_61/2015 précité, consid. 3.1). Si un objet endommagé est réparé, les frais de réparation doivent être remboursés, pour autant qu’ils ne dépassent pas la valeur de l’objet avant la survenance du sinistre (« Zeitwert » ; arrêt 6B_535/2019 du 13 novembre 2019 consid. 2.2 ; ROLAND BREHM, op. cit., n° 21i-22 à l’art. 42 CO).

Consid. 6.1.3
Que le dommage soit total ou partiel, il convient, dans la détermination de son montant (cf. art. 42 CO), de procéder à l’imputation des avantages (en faveur du lésé) générés par l’événement dommageable (sur cette question : BREHM, op. cit., n° 27 ss à l’art. 42 CO), par exemple la valeur résiduelle d’un objet totalement détruit représente en principe un avantage financier à imputer (arrêt 4A_61/2015 précité, consid. 3.2).

 

L’existence d’avantages financiers devant être imputés sur le montant du dommage est un fait dirimant qui doit être prouvé par l’auteur du dommage (voir arrêts 4A_61/2015 précités consid. 3.1 ; 4A_307/2008 du 27 novembre 2008 consid. 3.1.4).

Consid. 6.2
Selon le requérant, les juridictions cantonales ont fait une interprétation erronée de la définition du dommage et ont ignoré la valeur ajoutée de la restauration lors de l’évaluation du préjudice.

Consid. 6.2.1
En prétendant que le dommage fixé à 617’556 fr. 20 par la cour cantonale est inexact parce qu’il résulte d’une estimation et que l’autorité précédente n’a pas tenu compte de la dévaluation de l’immeuble au moment de l’incendie, le recourant formule une critique d’appel du jugement attaqué, dont les faits ont été constatés de manière non arbitraire. Il convient donc de relever que le montant de 617’556 fr. 20 comprend trois postes de dommages : les travaux strictement nécessaires à la remise en état des parties endommagées et à l’habitabilité de l’immeuble (565’000 fr.) ; les taxes et frais divers (5’000 fr.) ; les frais de sécurisation et de couverture provisoire (47’556 fr. 20).

S’agissant de la remise en état, la somme de 565’000 fr. comprend des postes pour lesquels la question d’une réduction de l’indemnité à la valeur du bien avant l’incendie [valeur vénale] ne se pose pas, par exemple pour ceux de la direction de la conception et de la construction (45’000 fr.) et de l’ingénieur civil (9’680 fr.), d’autant plus que la partie lésée ne peut en tirer aucun avantage (arrêt 6B_535/2019 du 13 novembre 2019 consid. 2.2).

Sans ces postes d’un total de 54’880 fr., les coûts nécessaires à la reconstruction du bâtiment s’élèveraient à environ 510’320 fr. De l’aveu même de la locataire, la valeur du bâtiment avant l’incendie, compte tenu de sa vétusté, était de 525’000 fr. Cela étant, il n’apparaît pas que B.__ ait subi une perte totale par rapport à l’immeuble, puisque le coût nécessaire à sa réparation ne dépasse pas la valeur de l’immeuble avant l’incendie et n’apparaît pas si disproportionné (cf. consid. 6.1.2 supra). Par conséquent, les juridictions cantonales ont correctement appliqué le droit et, sur ce point, le recours est voué à l’échec.

Consid. 6.2.2
Selon la locataire, le lésé n’aurait droit à aucune indemnisation, car la somme de 532’556 fr. 20 reçue de la compagnie d’assurance dépasserait la valeur du bien avant l’incendie. Elle passe toutefois sous silence le fait que, sur ce montant, seuls 485’000 fr. compensaient les dommages causés au bâtiment : 47’556 fr. 20 concernaient en effet les frais de sécurisation du bâtiment, de couverture temporaire et de déblaiement. La partie adverse était donc en droit de réclamer le montant de 85’000 fr., puisque le montant de 485’000 fr. qui lui a été versé par la compagnie d’assurance ne couvrait pas tous les frais de remise en état, dans lesquels, comme on l’a vu, des éléments non pertinents ont été inclus pour une réduction de l’indemnité à la valeur vénale. Sur ce point également, l’arrêt attaqué résiste à la critique.

Consid. 6.2.3
Selon la locataire, le lésé doit se laisser imputer la plus-value qu’il retire de la chose réparée. Il rappelle que, selon l’expert, le bâtiment dans son état avant l’incendie avait une valeur totale de 706’000 fr. contre une dépréciation de 115’000 fr. Le bâtiment rénové aurait donc aujourd’hui une valeur plus élevée d’au moins 115’000 fr., ce qui est causal et en adéquation avec l’événement dommageable, puisqu’il est le résultat de la reconstruction nécessaire supportée par la partie adverse pour rétablir la situation antérieure à l’incendie.

Le grief n’est pas soutenable. Par ailleurs, la valeur de l’immeuble de 706’000 fr. sur laquelle la locataire fonde son raisonnement ne ressort pas de l’arrêt attaqué ; il n’a pas non plus mentionné cette valeur devant les juges d’appel, de sorte que le fait doit être considéré comme nouveau et irrecevable. Dans son recours, il a d’ailleurs admis que la valeur de l’immeuble avant l’incendie était de 525’000 fr. : dans la mesure où il affirme maintenant une valeur différente sans offrir aucun raisonnement à l’appui de cette nouvelle estimation, la critique trahit toute son incohérence. Quoi qu’il en soit, le montant de 706’000 fr. tient également compte de la valeur du terrain non touché par l’incendie, ce qui ne semble pas pertinent pour déterminer une éventuelle valeur supérieure du bâtiment.

Consid. 6.2.4
En déduisant des frais de réparation de 617’556 fr. 20 la vétusté (115’000 fr.) et le montant reçu de la compagnie d’assurance (532’556 fr. 20), la locataire fait valoir que B.__ se trouverait de toute façon enrichie de 30’000 fr. On arriverait aussi à ce résultat en calculant le dommage à partir de la valeur par mètre cube du bien et en la multipliant par le volume précédent.

Le recours est également vain à cet égard. Le prétendu enrichissement de 30’000 fr. est insoutenable, puisque les 532’556 fr. 20 comprennent 47’556 fr. 20 pour la sécurisation et le déblaiement, qui n’ont rien à voir avec la rénovation du bâtiment. Quant à la valeur au mètre cube du bâtiment à l’état neuf et à la prétendue plus-value de pas moins de 417’500 fr., il s’agit de faits non établis par la cour cantonale. La locataire souhaite compléter le dossier, mais dans son recours, elle n’explique ni ne démontre, par des références précises au dossier, qu’elle a déjà soumis les faits juridiquement pertinents et les preuves appropriées aux instances inférieures, conformément aux règles de procédure. Insuffisamment motivé, le recours est irrecevable à cet égard.

 

Le TF rejette le recours de la locataire.

 

 

Arrêt 4A_431/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 4A_431/2021 (i) du 21.04.2022 – Notion de dommage – Plus-value de la rénovation lors de la détermination du dommage, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/07/4a_431-2021)

 

Voir également notre résumé paru dans la newsletter de juillet 2022 de RC&Assurances.ch (disponible ici)

 

4A_333/2021 (f) du 08.02.2022 – Prescription de la créance – 46 aLCA / Interruption de la prescription par réquisition de poursuite – Preuve stricte de la date d’envoi de l’acte non apportée – 135 CO / Absence de preuve suffisante du vol déclaré

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_333/2021 (f) du 08.02.2022

 

Consultable ici

 

Assurance contre le vol – Prescription de la créance / 46 aLCA (dans sa version antérieure au 01.01.2022)

Interruption de la prescription par réquisition de poursuite – Preuve stricte de la date d’envoi de l’acte non apportée / 135 CO

Absence de preuve suffisante du vol déclaré

 

A.__ était propriétaire d’une importante collection d’art dont les pièces majeures étaient exposées dans sa maison à Genève, sous alarme, et dans le jardin. Une partie était stockée dans une remise dépourvue d’alarme jouxtant le garage. Un grand portail haut d’un mètre huitante permettait d’accéder à la propriété; il était surplombé par une caméra de surveillance.

Le 28.06.2005, le prénommé (l’assuré) a souscrit auprès d’une assurance (ci-après: la compagnie d’assurances) une police d’assurance « Art privé » couvrant le vol jusqu’à 5’000’000 fr. par événement. Les objets d’art assurés étaient recensés dans une liste précisant pour chacun d’eux la « valeur agréée » qui devait être remboursée à l’assuré en cas de sinistre.

Le 05.04.2007, l’assuré est parti en vacances à Palma de Majorque en Espagne. Il devait y séjourner jusqu’au 21.04.2007. Son majordome qui logeait habituellement dans la propriété était en congé du 04.04.2007 au 16.04.2007. L’entreprise de surveillance S.__ SA devait effectuer des rondes de nuit.

Le 12.04.2007, l’assuré a demandé à sa secrétaire de contrôler la remise. Elle a constaté que la porte avait été fracturée, qu’un des deux cylindres manquait et que l’autre avait été endommagé. Les étagères censées contenir la collection d’art africain avaient été vidées. Il subsistait un carton vide portant l’inscription « photos « .

L’assuré a porté plainte pénale le 12.04.2007 et annoncé le vol à la compagnie d’assurances le jour suivant, en déplorant la disparition d’une centaine de statuettes d’art africain.

L’affaire a connu plusieurs rebondissements sur le plan pénal [cf. Faits, let. A.d. à A.h.].

La compagnie d’assurances a refusé d’indemniser l’assuré, qui avait compris dès septembre 2007 qu’elle le soupçonnait d’être à l’origine du sinistre.

Le 14.04.2009, l’Office des poursuites du canton de Genève a reçu une réquisition de poursuite émanant de l’assuré, datée du 08.04.2009, réclamant 1’000’000 fr. à la compagnie d’assurances. Celle-ci a reçu un commandement de payer le 14.05.2009, dressé par l’Office des poursuites du canton de Zurich. Elle y a fait opposition.

Par courrier du 25.05.2009, la compagnie d’assurances a maintenu son refus d’indemniser l’assuré et déclaré, au surplus, que la créance était prescrite depuis le 13.04.2009.

 

Procédure cantonale

Le 12.10.2010, l’assuré a assigné la compagnie d’assurances en conciliation devant le Tribunal de première instance du canton de Genève. Il a ensuite déposé une demande en paiement dont les conclusions s’élevaient en dernier lieu à 895’000 fr. La défenderesse a soulevé l’exception de prescription. Le Tribunal a entendu les parties et des témoins, organisé un transport sur place et ordonné l’apport des procédures pénales suisses. La procédure pénale française a été versée au dossier par l’assuré. Le 26.06.2018, le Tribunal a rejeté la demande en paiement en reprochant à son auteur de ne pas avoir rapporté la preuve du sinistre. L’assuré est mort le 20.07.2018.

Ses héritiers, soit ses fils B.__, C.__et D.__, ont interjeté appel auprès de la Cour de justice, sans succès (arrêt ACJC/612/2021 du 04.05.2021 de la Chambre civile de la Cour de justice.)

 

TF

Consid. 3
La Cour de justice a discerné deux raisons indépendantes de rejeter la demande en paiement:

  • d’une part, la prescription de l’obligation de verser les prestations convenues à raison de l’événement assuré;
  • d’autre part, l’absence de preuve suffisante du vol déclaré.

 

Prescription – 46 aLCA

Consid. 4.1
Dans sa teneur antérieure au 01.01.2022, l’art. 46 al. 1 aLCA contenait la règle suivante sur la prescription: « Les créances qui dérivent du contrat d’assurance se prescrivent par deux ans à dater du fait d’où naît l’obligation. […] »

Le système de la LCA a ceci de particulier que la créance peut se prescrire avant d’être exigible (cf. art. 41 al. 1 LCA; ATF 139 III 263 consid. 1.2 p. 265).

En matière d’assurance contre le vol, le délai de prescription commence à courir dès la survenance du sinistre (ATF 126 III 278 consid. 7b i.f. p. 281). Il peut être interrompu aux conditions de l’art. 135 CO (applicable par renvoi de l’art. 100 al. 1 LCA; ATF 133 III 675 consid. 2.3.1), soit notamment « lorsque le créancier fait valoir ses droits par des poursuites » (art. 135 ch. 2 ab initio CO, dont la formulation précitée n’a pas été modifiée par la novelle de 2011).

Une réquisition de poursuite conforme à l’art. 67 LP interrompt la prescription dès sa remise à la poste ou sa transmission électronique (ATF 114 II 261 consid. a p. 262; 104 III 20 consid. 2; 101 II 77 consid. 2c i.f.; arrêts 5D_101/2020 du 28 mai 2020 consid. 3 et 5P.339/2000 du 13 novembre 2000 consid. 3c; PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, n° 12 ad art. 135 CO; SABINE KOFMEL EHRENZELLER, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, 3e éd. 2021, n° 48 ad art. 67 LP; ROBERT DÄPPEN, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 7e éd. 2020, nos 5d et 6 ad art. 135 CO; DANIEL WUFFLI, Verjährungsunterbrechung durch Betreibung, in Die Verjährung […], [REAS/Krauskopf éd.] 2018, p. 170 s.; GEORGES VONDER MÜHLL, Verjährungsunterbrechung durch Schuldbetreibung und Konkurs, in BlSchK 1991 2 s. et 4 i.f. -5). Une réquisition adressée à un office incompétent ratione loci interrompt aussi la prescription, pour autant que le commandement de payer soit finalement notifié au débiteur et ne soit pas annulé sur plainte (ATF 83 II 41 consid. 5 et 69 II 162 consid. 2b spéc. p. 175, contra ATF 57 II 462 consid. 4 i.f. p. 465; PICHONNAZ, op. cit., n° 12b ad art. 135 CO; KOFMEL EHRENZELLER, op. cit., nos 6 et 48 ad art. 67 LP; DÄPPEN, op. cit., n° 6a ad art. 135 CO; WUFFLI, op. cit., p. 173 s.; VONDER MÜHLL, op. cit., p. 3 i.f. -4 et sous-note 11).

La prescription est interrompue à concurrence de la somme réclamée en poursuite (ATF 144 III 277 consid. 3.3.3 p. 283; 119 II 339 consid. 1c).

Consid. 4.2
Les juges genevois ont fait les réflexions suivantes:

  • La date du vol remontait au 09.04.2007. Le délai de prescription avait ainsi commencé à courir le 10.04.2007 pour expirer le 09.04.2009 (cf. art. 132 CO) – sauf à avoir été valablement interrompu.
  • L’assuré avait formé une réquisition de poursuite contre la compagnie d’assurances. Il importait peu qu’il l’eût adressée à un office incompétent ratione loci (Genève, alors que la compagnie d’assurances était sise à Zurich), puisque l’acte avait manifestement été transmis à l’office compétent, qui avait finalement notifié un commandement de payer à la compagnie sans que cet acte ne fût ensuite annulé.

L’assuré affirmait avoir posté cette réquisition le 08.04.2009, alors que le délai de prescription courait toujours. Il devait apporter la preuve stricte d’un tel fait. Or, il n’y était pas parvenu. Ni la date apposée sur la réquisition (08.04.2009), ni les deux mémos et le courrier qu’avait établis l’avocat de l’assuré en les datant de ce jour-là, ni les témoignages des deux collaborateurs dudit conseil n’attestaient du fait allégué. Etait tout au plus avérée la date de réception de la réquisition par l’office genevois, soit le 14.04.2009.

Partant, la prescription était acquise.

Consid. 4.4
On relèvera au préalable que la cour cantonale était fondée à exiger le degré de preuve stricte quant à la date d’envoi de l’acte, émanant au demeurant d’un avocat qu’elle disait conscient du risque de prescription proche.

La preuve stricte suppose que le juge soit convaincu d’un fait sans aucun doute sérieux; tout au plus de légers doutes peuvent-ils subsister (cf. par ex. ATF 141 III 569 consid. 2.2.1 p. 573).

Lorsqu’elle concerne un envoi postal, ladite preuve résulte en général de preuves « préconstituées » telles que le sceau postal, le récépissé d’un envoi recommandé ou l’accusé de réception en cas de dépôt pendant les heures de bureau. En revanche, la date d’affranchissement ou le code-barres pour lettres imprimés au moyen d’une machine privée ne prouvent pas la date de remise de l’envoi à la poste. D’autres modes de preuves sont admissibles, en particulier l’attestation de la date de l’envoi par un ou plusieurs témoins mentionnés sur l’enveloppe. L’apposition de signature(s) sur l’enveloppe n’établit pas encore le dépôt en temps utile, la preuve résidant dans le témoignage du ou des signataires; aussi l’intéressé doit-il offrir cette preuve dans un délai adapté aux circonstances, en indiquant l’identité et l’adresse du ou des témoins (cf. arrêts 5A_965/2020 du 11 janvier 2021 consid. 4.2.3; 5A_972/2018 du 5 février 2019 consid. 4.1).

Consid. 4.5
En l’espèce, il faut bien admettre que les recourants n’ont produit aucune preuve de cet ordre.

Certes, l’avocat de l’assuré avait daté la réquisition du 08.04.2009 et, à en croire ses deux collaborateurs, l’étude avait pour règle d’indiquer dans ses correspondances la date d’expédition effective, quitte à modifier la date de la missive lorsqu’elle ne pouvait être postée que le lendemain.

En outre, l’avocat avait rédigé deux mémos et un courrier destiné à la compagnie d’assurances, datés du 08.04.2009 et qui mentionnaient tous l’envoi d’une réquisition de poursuite ce jour-là.

Ceci dit, la cour cantonale pouvait conclure sans arbitraire que ces éléments n’apportaient pas la preuve stricte d’une remise à la poste le 08.04.2009 – ni même le 11.04.2009. En effet, les événements s’inscrivaient dans un week-end pascal, le Vendredi Saint 10.04.2009, le dimanche de Pâques 12.04.2009 et le lundi de Pâques 13.04.2009 étant des jours fériés dans le canton de Genève notamment. Un courrier posté le mercredi 08.04.2009 avec un affranchissement prioritaire (courrier A) – qu’utilisait l’étude en règle générale, selon la secrétaire de l’avocat – aurait déjà pu parvenir à l’office des poursuites le jeudi 09.04.2009 ou le samedi 11.04.2009 (étant entendu que l’office était très vraisemblablement fermé ce jour-là). En effet, le courrier A doit normalement être distribué le jour ouvrable suivant (plus récemment, cf. art. 29 al. 1 let. a ch. 1 de l’Ordonnance du 29 août 2012 sur la poste [OPO; RS 783.01]). On ne peut exclure que le courrier ait été déposé dans une boîte aux lettres le dimanche 12.04.2009 ou lundi 13.04.2009 – alors que la prescription était déjà échue, même en épousant la thèse des recourants -, dès lors qu’il pouvait parvenir à l’office le mardi 14.04.2009. Il importe peu qu’une autre appréciation des preuves eût été possible, voire préférable, puisque la jurisprudence constante n’y voit pas matière à retenir un arbitraire.

Consid. 4.8
En définitive, la Cour de justice n’a pas enfreint le droit fédéral en considérant que la prétention de l’assuré en paiement de la prestation d’assurance était prescrite. Le sort du recours s’en trouve déjà scellé. L’autorité précédente a cependant fourni une motivation alternative qui préserve l’ancien avocat de l’assuré du risque d’une action en responsabilité civile. C’est le lieu de l’examiner.

 

Absence de preuve suffisante du vol déclaré

Consid. 5.1
Les juges d’appel ont reproché à l’assuré de n’avoir pas établi la thèse du vol au degré de la vraisemblance prépondérante: il était tout aussi vraisemblable qu’il ait lui-même commandité le vol. A défaut de preuve du sinistre, la compagnie d’assurances n’avait pas à entrer en matière. Qui plus est, l’assuré ne s’était pas montré des plus coopératifs durant la procédure, tant avec la compagnie d’assurances qu’avec les autorités.

Consid. 5.2
Les juges genevois se sont conformés au droit fédéral en considérant que la preuve du vol devait être apportée au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 88; 130 III 321 consid. 3.2 i.f. p. 325; arrêt 4A_327/2018 du 23 mai 2019 consid. 3.1 et 3.3.2). Celle-ci suppose que des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération. Pour ébranler la preuve principale, il suffit à la partie adverse de démontrer que les allégations principales n’apparaissent pas comme les plus vraisemblables (cf. par ex. ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 89). Savoir si une telle preuve a été fournie relève de l’appréciation, que la cour de céans contrôle sous le prisme très restreint de l’arbitraire.

Or, il faut bien admettre que les recourants échouent à insuffler le moindre sentiment d’arbitraire. […]

Quant à savoir si l’assuré avait ou non des difficultés financières, il ne s’agit pas là d’un élément crucial, n’en déplaise aux recourants. Car un autre mobile indépendant pouvait aussi animer l’assuré. Comme l’a expliqué l’expert E2.__, les objets prétendument volés à l’assuré avaient été payés beaucoup trop cher, au contraire des autres pièces qui étaient d’une valeur avérée. Que le vol ait précisément porté sur ces objets-là ne peut que laisser songeur. D’autant que, selon ce même expert, le vol de collections entières d’ethnologie est très rare. Il s’agit le plus souvent de vols ou de destructions maquillés, notamment par des personnes ayant collectionné des objets de piètre qualité ou les ayant acquis à un prix surfait. A l’évidence, on ne saurait minimiser le poids de ces explications.

Les recourants jugent naturel que les voleurs se soient attachés à couvrir leurs traces et qu’ils aient pris le temps de remettre en place les sacs de jardinage qui obstruaient la porte de la remise dévalisée. Mais quel voleur prendrait la peine de ranger les lieux après son forfait, surtout si l’endroit n’est pas visible de l’extérieur de la propriété, comme l’a constaté l’autorité précédente? Et comment les recourants expliquent-ils qu’un carton vide portant l’inscription « photos » avait été laissé dans la remise après avoir été vidé de son contenu? A moins qu’il ne se soit agi d’attirer l’attention de l’assureur sur le fait que lesdites photos avaient également été volées… Toutes ces incongruités sont en tout cas de nature à mettre en doute la thèse d’un vol sans pour autant verser dans l’arbitraire.

Consid. 5.6
En bref, on ne discerne nulle once d’arbitraire dans le constat selon lequel les recourants n’ont pas prouvé avec une vraisemblance prépondérante le déroulement de l’événement assuré tel qu’ils l’avaient allégué. La Cour de justice tenait effectivement là un second motif de rejeter la demande.

 

Le TF rejette le recours des héritiers.

 

 

Arrêt 4A_333/2021 consultable ici

 

4A_367/2016 (f) du 20.03.2017 – Assurance perte de gain – Assurances de sommes vs de dommage / Notion de l’incapacité de gain / Fardeau de la preuve – Preuve de la perte de gain – 8 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2016 (f) du 20.03.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2t1LDSu

 

Assurance perte de gain – Assurances de sommes vs de dommage

Notion de l’incapacité de gain

Fardeau de la preuve – Preuve de la perte de gain – 8 CC

 

Assuré propriétaire, administrateur ou employé de nombreuses sociétés en Suisse et au Liechtenstein. Depuis 1992, il était au bénéfice d’une assurance perte de gain, lui garantissant une rente annuelle en cas d’invalidité. En 1998, il avait également conclu une assurance perte de gain relative à un capital invalidité.

Le 30.11.1998, A.________ Sàrl (preneur d’assurance) a souscrit une assurance invalidité en faveur de l’assuré auprès d’une compagnie d’assurance.

Le 17.09.1999, l’assuré a été victime d’un accident, à la suite duquel il s’est trouvé en incapacité de travail (à 100% jusqu’au 31.01.2000, puis à 75% jusqu’au 08.10.2000, puis à nouveau à 100% jusqu’au 20.10.2000). Un spécialiste FMH en psychiatrie et en neurologie s’est prononcé sur l’état de santé de l’assuré et a conclu qu’en raison des séquelles de l’accident, l’assuré était dans l’incapacité prononcée (80%), voire complète (100%) d’exercer son métier.

Le 16.03.2001, la compagnie d’assurance a invité le preneur d’assurance à lui adresser les documents relatifs à la perte de gain consécutive à l’accident de l’assuré. Sans réponse, elle l’a relancée le 11.06.2001. En été 2001, la compagnie d’assurance a demandé à deux reprises au preneur d’assurance de lui fournir les taxations fiscales pour les périodes 1997-1998 et 1999-2000, la déclaration fiscale 2001 relative aux revenus 1999-2000, ainsi que la comptabilité de la société pour les mêmes années. Ni le preneur d’assurance, ni l’assuré n’ont donné suite à ces demandes. La compagnie d’assurance n’a versé aucune rente à l’assuré depuis le 17.09.2001.

En juillet 2003, l’assurance-invalidité de la Principauté du Liechtenstein a reconnu à l’assuré le droit à une rente entière depuis le 01.10.2001 et fixé le degré d’invalidité à 100%. En août 2003, l’assurance-invalidité fédérale (AI) a alloué à l’assuré une rente entière depuis le 01.09.2000, le degré d’invalidité étant fixé à 90%.

Le 23.12.2003, l’assuré a déposé une demande dirigée contre la compagnie d’assurance. En cours d’instruction, une expertise médicale et une expertise comptable ont été ordonnées. Selon le spécialiste en neurologie et psychiatrie, l’assuré présente toujours des éléments déficitaires sur le plan neuropsychologique et sa capacité de travail résiduelle n’est pas supérieure à 25%. L’expert-comptable a relevé que les revenus déclarés au fisc par l’assuré ont diminué de 79% en dix ans, à partir de 2001, et que ceux déclarés à l’AVS du Liechtenstein ont diminué de 98% en onze ans, à partir de 2000; il apparaît également que le preneur d’assurance a réalisé un chiffre d’affaires de 85’950 fr. en 1997 et de 76’000 fr. en 1998, l’expert ne disposant d’aucunes données comptables relatives à cette société pour les exercices 1999 et suivants (société déclarée en faillite en septembre 2010).

Par jugement du 04.03.2015, la Cour civile a condamné la compagnie à verser à l’assuré le montant de 3’094 fr.20, toutes autres ou plus amples conclusions étant rejetées (jugement 15/2015/SNR – http://bit.ly/2s1Vhjv ). Par arrêt du 05.04.2016, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l’appel et confirmé le jugement attaqué (arrêt 205 – http://bit.ly/2rIOBar).

 

TF

Assurance de sommes vs de dommage

En droit des assurances privées, la LCA distingue l’assurance contre les dommages (art. 48 à 72) de l’assurance de personnes (art. 73 à 96). Par rapport à l’assurance contre les dommages, l’assurance de personnes, conçue comme une assurance de sommes, se caractérise par sa nature non indemnitaire; elle est une promesse de capital, indépendante du montant effectif du préjudice subi par le preneur ou l’ayant droit (cf. ATF 133 III 527 consid. 3.2.4 p. 532). Cependant, même dans le cas d’une assurance qui a pour objet une personne physique, on est en présence d’une assurance de personnes uniquement lorsque les parties au contrat d’assurance n’ont subordonné la prestation de l’assureur, dont elles ont fixé le montant lors de la conclusion du contrat, qu’à la survenance de l’événement assuré, sans égard à ses conséquences pécuniaires. En revanche, l’assurance sera qualifiée d’assurance contre les dommages lorsque les parties au contrat font de la perte patrimoniale effective une condition autonome du droit aux prestations (ATF 119 II 361 consid. 4 p. 364 s.).

Selon la police d’assurance ici en cause, dont la teneur n’est pas contestée (cf. art. 11 et 12 LCA), la prestation assurée est une rente annuelle de 75’000 fr. versée en cas d’incapacité de gain. Dans son sens courant, l’incapacité de gain (Erwerbsunfähigkeit) consiste en la diminution concrète de la possibilité d’acquérir un revenu, synonyme de perte économique (cf. arrêt 4A_451/2015 du 26 février 2016 consid. 2.3). En l’espèce, la police renvoie expressément aux CGA, lesquelles, sous le ch. 3.1 définissant l’incapacité de gain, exigent bel et bien « une perte de gain ou un autre préjudice pécuniaire équivalent » en relation avec l’incapacité d’exercer une activité professionnelle appropriée pour cause de maladie ou d’accident.

La prestation de l’assureur étant subordonnée à l’existence d’une perte patrimoniale effective, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en rangeant l’assurance litigieuse parmi les assurances contre les dommages, soumises au principe indemnitaire, comme le Tribunal fédéral a du reste déjà eu l’occasion de le juger en présence de clauses semblables à celles ici en cause (cf. arrêt précité du 26 février 2016 consid. 2.3; arrêt 5C.21/2007 du 20 avril 2007 consid. 3.1 et 3.2).

Selon l’arrêt attaqué, la perte de gain à prouver par le recourant devait l’être en relation avec l’activité qu’il exerçait au service du preneur d’assurance. Or, l’assuré n’a pas rapporté la preuve de l’étendue de la perte de gain qu’il aurait subie au sein de l’entreprise A.________.

 

Fardeau de la preuve

Conformément à la règle générale posée par l’art. 8 CC, la personne titulaire de la prétention – ici l’assuré – doit prouver les faits propres à la justification de ses prétentions, à savoir notamment la réalisation du risque assuré et l’étendue de la prétention (ATF 130 III 321 consid. 3.1 p. 323).

Une perte de gain effective constitue en l’espèce une condition à l’octroi des prestations d’assurance; dans le système adopté dans le contrat litigieux, elle exerce une incidence indirecte sur le montant de la prestation d’assurance, fixé forfaitairement mais susceptible de varier en fonction du degré d’incapacité de gain (cf. ATF 139 III 263 consid. 1.3.1 p. 266 et consid. 1.3.4 p. 267; arrêt précité du 26 février 2016 consid. 3.1.2; arrêt 4A_134/2015 du 14 septembre 2015 consid. 4). Une perte de gain doit donc être prouvée. Soit l’assuré démontre qu’en raison de l’incapacité de travail constatée médicalement, il ne réalise plus aucun revenu et n’est plus en mesure d’en acquérir; son incapacité de gain est alors totale et lui donne droit à la rente annuelle fixée dans le contrat d’assurance. Soit l’assuré établit un revenu inférieur à celui qu’il aurait pu réaliser sans l’incapacité de travail; son incapacité de gain est alors partielle et le montant de la rente éventuelle dépendra du degré d’incapacité de gain, correspondant à la différence, exprimée en pour-cent, entre le revenu que l’assuré aurait vraisemblablement pu acquérir et le revenu qu’il a effectivement acquis (cf. arrêt précité du 26 février 2016 consid. 3.1).

Le risque assuré correspond à l’événement redouté en vue duquel le contrat a été conclu (cf. ATF 136 III 334 consid. 3 p. 339). En l’espèce, il s’agit de l’incapacité de gain de l’assuré, due à une maladie ou à un accident.

Il ne ressort pas des constatations de l’arrêt attaqué que ce risque se serait entièrement réalisé, en ce sens que l’assuré n’aurait plus rien gagné, ni été en mesure d’acquérir un revenu à la suite de l’accident du 17.09.1999. Pour justifier sa prétention à une rente annuelle de 75’000 fr., l’assuré devait établir que le degré de son incapacité de gain atteignait au moins 662 /3%, une rente d’un montant inférieur supposant pour sa part un taux d’incapacité de gain d’au moins 25%. La détermination du degré d’incapacité de gain, pertinent pour fixer le montant de la rente, implique une comparaison entre le revenu que l’assuré aurait pu réaliser sans l’accident et le gain acquis malgré l’accident. Comme la prestation assurée tendait indirectement à compenser un manque à gagner de l’assuré en tant qu’employé du preneur d’assurance, cette opération nécessitait d’établir les revenus réalisés, avant l’accident, ainsi que ceux acquis après l’accident grâce à cette activité, voire l’absence de tels revenus. Or, l’assuré, qui avait la charge de la preuve, n’a pas fourni les moyens de preuve permettant d’apprécier ces éléments. Faute d’avoir disposé des données comptables du preneur d’assurance pour les exercices 1999 et suivants, l’expert n’a en effet pas été en mesure de comparer les revenus d’honoraires perçus par le recourant avant et après l’accident de septembre 1999.

 

En jugeant que l’assuré n’avait ainsi pas démontré un taux d’incapacité de gain suffisant pour justifier une rente, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_367/2016 consultable ici : http://bit.ly/2t1LDSu

 

 

4A_66/2015 + 4A_82/2015 (f) du 22.09.2015 – RC médicale – Responsabilité d’un chirurgien – 398 CO / Calcul du dommage subi par un indépendant

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_66/2015 + 4A_82/2015 (f) du 22.09.2015

 

Consultable ici : http://bit.ly/1LIamj0

 

RC médicale – Responsabilité d’un chirurgien – 398 CO

Calcul du dommage subi par un indépendant

 

Indépendant, au bénéfice d’une formation de peintre-décorateur, exploitant sa propre entreprise de peinture, spécialisée notamment dans le stucco vénitien. Le 21.05.2000, il se déchirure le ligament croisé antérieur au football. Il subit une plastie ligamentaire du genou gauche le 13.02.2001. A son réveil vers 14h00, il a ressenti de violentes douleurs dans le genou opéré et n’avait plus de sensibilité en dessous de celui-ci. A partir de 16h45, l’anesthésiste a alors pratiqué de nouvelles anesthésies, qui n’ont permis d’atténuer que temporairement les douleurs. Le 19.02.2001, un spécialiste FMH en neurologie a conclu à une lésion bitronculaire du nerf sciatique au niveau du creux poplité, expliquant l’insensibilité ainsi que l’impossibilité pour le lésé d’opérer une flexion dorsoplantaire active du pied et des orteils. Deux experts, mandatés par le lésé, ont indiqué que l’opération avait été pratiquée dans les règles de l’art, mais que le suivi postopératoire dans les vingt-quatre premières heures avait été en partie délégué et que le diagnostic d’une complication postopératoire avait été tardif.

Au niveau AI, l’office AI a octroyé au lésé une rente entière avec effet rétroactif au 01.02.2002.

 

Procédure cantonale

Sur appel du lésé, la Cour de justice a, par arrêt du 22.10.2010 (ACJC/1220/2010) , a annulé le jugement de la première instance, a constaté que la responsabilité des deux médecins était engagée (à l’exclusion de celle de la clinique) et a renvoyé la cause au premier juge.

Par arrêt du 17.12.2014 (arrêt ACJC/1606/2014), la Cour de justice, sur appel des deux médecins, a condamné les deux médecins à payer au lésé la somme de 61’085 fr., intérêts en sus, à titre d’indemnisation du gain manqué subi durant les années 2001 à 2003, le montant de 18’275 fr., intérêts en sus, à titre d’indemnisation du préjudice ménager subi durant la même période, s’est prononcée à nouveau sur les frais et dépens de première instance et a confirmé le jugement pour le surplus (frais consécutifs aux lésions corporelles).

 

TF

S’agissant de la faute du chirurgien

Selon le recourant, tout chirurgien exerçant en clinique privée aurait délégué le suivi postopératoire à un anesthésiste puisqu’il s’agit d’une pratique courante. La critique est sans consistance. Le fait que la délégation du suivi à l’anesthésiste soit couramment pratiquée en clinique privée ne change en rien la responsabilité du chirurgien, puisque cela ne signifie pas que cette pratique soit conforme dans le cas particulier aux règles de l’art médical. La cour cantonale constate d’ailleurs que cette pratique résulte plutôt d’une mauvaise organisation entre spécialistes et on peut en inférer qu’un chirurgien raisonnable placé dans les mêmes circonstances n’aurait pas délégué le suivi opératoire à un anesthésiste.

L’existence d’une lésion bitronculaire, complication rare, est en l’espèce totalement impropre à écarter le lien de causalité. Le chirurgien confond la conséquence de son inaction avec la complication, dont il aurait pu discerner l’existence et qui nécessitait une intervention rapide. En effet, si le chirurgien avait entrepris le contrôle qui lui incombait en vertu des règles de l’art, il aurait pu constater l’existence d’une complication et poser le diagnostic de la compression du nerf sciatique dans le creux poplité, complication décrite par la littérature médicale qui, à défaut d’une intervention rapide, risque de causer une lésion tronculaire (lésion d’un seul nerf décrite par la littérature médicale)  ; il aurait ainsi pu procéder à la décompression du nerf sciatique, ce qui aurait permis d’éviter aussi bien cette dernière lésion (plus connue), qu’une lésion bitronculaire (non mentionnée par la littérature médicale).

 

Dommage subi par le lésé, indépendant

Dans la détermination du revenu hypothétique, le revenu que réalisait le lésé au moment de l’événement dommageable constitue la référence ; le juge ne doit toutefois pas se limiter à constater le revenu réalisé jusqu’alors, car l’élément déterminant repose bien davantage sur ce que la victime aurait gagné annuellement dans le futur. Ce calcul nécessite une importante abstraction (arrêt 4A_239/2011 du 22 novembre 2011 consid. 3.1.1 et les références citées).

Il incombe au demandeur (lésé) d’établir les circonstances de fait – à l’instar des augmentations futures probables du revenu durant la période considérée – dont le juge peut inférer, selon le degré de la vraisemblance prépondérante, les éléments pertinents pour établir le revenu que le lésé aurait réalisé sans l’événement dommageable (arrêt 4A_239/2011 ibidem).

De manière générale, l’estimation du revenu d’un indépendant pose plus de problèmes que celle du gain d’un salarié. Chaque cas est particulier et il n’existe pas de méthode unique pour calculer le revenu hypothétique dans cette hypothèse. Une expertise peut fournir des renseignements sur les gains passés et sur les revenus futurs que l’indépendant aurait pu escompter sans l’événement dommageable (arrêt 4A_239/2011 ibidem).

On rappellera que la perte de gain (actuelle) indemnisable correspond à la différence entre les revenus nets indexés (à la date du prononcé du jugement cantonal) de valide et d’invalide du lésé (ATF 136 III 222 consid. 4.1.1 ; arrêt 4A_481/2009 déjà cité consid. 4.2.5). Afin d’éviter que la réparation de ce préjudice ne conduise à un enrichissement de la victime, il faut imputer sur ce montant les avantages constitués par toutes les prestations allouées au lésé par les assureurs sociaux (compensatio lucri cum damno) (sur l’ensemble de la question : ATF 134 III 489 consid. 4.2 p. 491 s. et l’arrêt cité; 130 III 12 consid. 7.1 p. 16; arrêt 4A_481/2009 déjà cité consid. 4.2.1 et 4.2.6).

 

 

Arrêt 4A_66/2015 + 4A_82/2015 consultable ici : http://bit.ly/1LIamj0

 

 

4A_399/2012 (f) du 03.12.2012 – Acte illicite – 41 CO / Rappel de la notion du dommage et de sa preuve – 8 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_399/2012 (f) du 03.12.2012

 

Consultable ici : http://bit.ly/1T9S1xx

 

Acte illicite – 41 CO

Rappel de la notion du dommage et de sa preuve – 8 CC

 

Faits

H.Z. était directeur de X SA, société anonyme ayant son siège à Genève et pour but social d’effectuer toutes sortes d’opérations financières, en particulier procéder à des transactions, vendre, acheter et gérer des titres, prêter ses services et donner des consultations. Il en était également, par société interposée, l’actionnaire unique, sous réserve d’une action détenue par l’avocat B., qui avait la qualité d’administrateur.

H.Z. est décédé le 7 avril 2007.

Examinant les comptes à la suite de ce décès, C., propriétaire économique de X SA, a considéré que H.Z. avait commis des malversations au préjudice de la société depuis 1997. Il lui reproche d’avoir mis à la charge de la société des dépenses qui n’étaient pas justifiées par l’activité sociale.

Par jugement du 31 octobre 2011, le Tribunal de première instance a débouté X SA de toutes ses conclusions avec suite de dépens.

Saisie d’un appel, la Cour de justice, par arrêt du 25 mai 2012, a confirmé le jugement attaqué avec suite de frais et dépens.

 

Dommage et sa preuve

Au sens juridique, le dommage est une diminution involontaire de la fortune nette (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471; 132 III 186 consid. 8.1 p. 205, 321 consid. 2.2.1 p. 323, 359 consid. 4 p. 366, 564 consid. 6.2 p. 575). Le dommage correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant qu’aurait ce même patrimoine si l’événement dommageable ne s’était pas produit (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471; 132 III 186 consid. 8.1 p. 205, 321 consid. 2.2.1 p. 324, 359 consid. 4 p. 366, 564 consid. 6.2 p. 575 s.). Il peut se présenter sous la forme d’une diminution de l’actif, d’une augmentation du passif, d’une non-augmentation de l’actif ou d’une non-diminution du passif (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471; 129 III 18 consid. 2.4 p. 23).

Savoir s’il y a eu un dommage et quel en est la quotité est une question de fait (ATF 132 III 564 consid. 6.2 p. 576; 129 III 8 consid. 2.4 p. 23).

En conséquence, il appartient à la partie demanderesse d’alléguer et de prouver les faits permettant de constater le dommage (art. 8 CC; art. 42 al. 1 CO; ATF 136 III 322 consid. 3.4.2 p. 328).

Lorsqu’une preuve stricte est impossible ou lorsque le montant du dommage ne peut pas être établi de manière précise, le juge statue en équité en se fondant sur l’art. 42 al. 2 CO; pour que cette disposition soit applicable, il faut que la partie qui avait le fardeau de la preuve ait apporté tous les éléments que l’on pouvait attendre d’elle et que le juge puisse se convaincre qu’un dommage est effectivement survenu (cf. ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471; 132 III 379 consid. 3.1 p. 381).

En l’absence d’une disposition spéciale instituant une présomption, l’art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve pour toutes les prétentions fondées sur le droit fédéral et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l’échec de la preuve (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24; 127 III 519 consid. 2a p. 522). Il en résulte que la partie demanderesse doit prouver les faits qui fondent sa prétention, tandis que sa partie adverse doit prouver les faits qui entraînent l’extinction ou la perte du droit (ATF 130 III 321 consid. 3.1 p. 323). L’art. 8 CC ne prescrit cependant pas comment les preuves doivent être appréciées et sur quelles bases le juge peut forger sa conviction (ATF 128 III 22 consid. 2d; 127 III 248 consid. 3a p. 253).

 

TF

La cour cantonale n’a pas violé l’art. 8 CC en considérant qu’il incombait à la recourante, en sa qualité de partie demanderesse, de prouver la survenance d’un dommage, qui est un élément nécessaire pour que sa créance en dommages-intérêts existe. Ce principe est expressément rappelé à l’art. 42 al. 1 CO, qui est également applicable dans le domaine contractuel (art. 99 al. 3 CO). Contrairement à ce que soutient la recourante, elle n’est au bénéfice d’aucune présomption. Il lui appartenait donc de prouver que ses actifs avaient diminué ou que son passif avait augmenté.

 

 

Arrêt 4A_399/2012 consultable ici : http://bit.ly/1T9S1xx