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Arrêt CrEDH 57020/18, Aff. Reyes Jimenez c. Espagne, du 08.03.2022 – L’absence de consentement écrit avant une intervention chirurgicale, exigé par le droit espagnol, a conduit à violer la Convention

Arrêt CrEDH 57020/18, Aff. Reyes Jimenez c. Espagne, du 08.03.2022

 

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme consultable ici

Communiqué de presse de la greffière de la Cour du 08.03.2022 disponible ici

 

L’absence de consentement écrit avant une intervention chirurgicale, exigé par le droit espagnol, a conduit à violer la Convention / Violation de l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée)

 

Principaux faits

Le requérant, M. Luis Reyes Jimenez est un ressortissant espagnol, né en 2002 et résidant à Los Dolores, Carthagène (Murcie). La requête a été introduite en son nom par son père, Francisco Reyes Sánchez.

Alors qu’il était âgé de six ans, M. Luis Reyes Jimenez fut à plusieurs reprises examiné à l’hôpital public universitaire Virgen de l’Arrixaca de Murcie. Il fit l’objet d’un scanner crânien qui permit de déceler une tumeur cérébrale. Le 18 janvier 2009 il fut admis aux urgences de l’hôpital public dans un état très grave. Après l’admission, une intervention chirurgicale eut lieu le 20 janvier, une deuxième intervention le 24 février 2009 et une troisième intervention d’urgence le même jour que la deuxième. L’état de santé physique et neurologique du patient connut une forte dégradation, de nature irrémédiable. M. Luis Reyes Jimenez se trouve actuellement dans un état de dépendance et d’incapacité totales : il souffre d’une paralysie générale qui l’empêche de bouger, de communiquer, de parler, de voir, de mâcher et de déglutir. Il est alité, incapable de se lever et de se tenir assis.

Le 24 février 2010, estimant qu’il y avait eu en l’espèce des fautes professionnelles de la part des médecins, ainsi que des manquements quant au consentement éclairé concernant, en particulier, la deuxième intervention chirurgicale, les parents du requérant entamèrent une procédure administrative devant le département de santé et politique sociale de la région de Murcie afin d’engager la responsabilité patrimoniale de l’État pour mauvais fonctionnement des services médicaux de l’administration publique. Ils réclamèrent la somme de 2 350 000 euros (EUR).

Face à l’absence de réponse à leur recours administratif, le 28 octobre 2011 les parents formèrent un recours contentieux-administratif.

Par un jugement rendu le 20 mars 2015, le Tribunal supérieur de justice de Murcie rejeta leur recours. Les parents se pourvurent en cassation. Par un arrêt du Tribunal suprême du 9 mai 2017, les parents du requérant furent déboutés. Ils formèrent alors un recours d’amparo mais le Tribunal Constitutionnel les débouta au motif que leur recours était sans pertinence constitutionnelle.

 

Griefs

Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), les parents du requérant soutiennent qu’ils n’ont pas reçu d’informations complètes et adéquates concernant les interventions chirurgicales pratiquées sur leur fils et qu’ils n’ont donc pas pu y donner leur consentement libre et éclairé, par écrit.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 23 novembre 2018.

 

Décision de la Cour

Article 8 CEDH

La Cour relève que les dispositions du droit espagnol sur l´autonomie du patient et les droits et obligations en matière d´information, telles qu’elles sont soutenues par la pratique interne, obligent en termes explicites les médecins à fournir aux patients des informations préliminaires suffisantes et pertinentes pour un consentement éclairé à une telle intervention et devant comporter des informations suffisantes sur ses risques.

Ceci est pleinement conforme à la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (Convention d’Oviedo). En outre, les dispositions légales nationales précisent que pour chacune des actions indiquées par la loi, ce consentement doit nécessairement être donné par écrit, avec des exceptions très étroitement définies, notamment concernant l’existence d’un danger immédiat et grave pour la vie de la personne et lorsque le patient ou ses proches ne seraient pas en mesure de donner ce consentement.

En l’espèce, les parents du requérant ont porté leurs griefs devant les juridictions internes, en insistant, entre autres, sur le fait qu’aucun consentement valable n’avait été obtenu avant la seconde opération.

La Cour observe que les juridictions internes ont fourni un certain nombre d’arguments selon lesquels la seconde intervention était étroitement liée à la première et que les parents étaient en contact avec les médecins entre les deux interventions. La Cour relève en particulier qu’aucune raison n’a été donnée par les juridictions internes sur la question de savoir pourquoi la prestation du consentement pour la deuxième intervention n’a pas satisfait à la condition fixée par la loi espagnole, selon laquelle chaque acte chirurgical nécessite un consentement écrit. Si les deux interventions avaient pour même but de retirer la tumeur cérébrale, la deuxième a eu lieu à une date ultérieure, après qu’une partie de la tumeur avait déjà été enlevée et alors que l’état de santé de l’enfant mineur n’était plus le même que lors de la première intervention. La Cour relève que les juridictions internes ont alors conclu que le consentement qui aurait été donné verbalement pour la deuxième intervention – qui consistait en l’ablation du reste de la tumeur cérébrale – était suffisant, sans tenir compte des conséquences de la première intervention et sans avoir précisé pourquoi il ne s’agissait pas d’une intervention distincte, qui aurait nécessité le consentement écrit séparé exigé par la législation espagnole. La Cour observe que la seconde opération n’est pas intervenue précipitamment et qu’elle a eu lieu près d’un mois après la première. Il convient de noter aussi que la troisième intervention sur l’enfant mineur s’est avérée nécessaire pour des motifs d’urgence, à la suite de complications survenues lors de la deuxième intervention. Le consentement des parents a été alors recueilli par écrit, ce qui fait contraste avec l’absence de consentement écrit en ce qui concerne la deuxième intervention.

La Cour a déjà mis en exergue l’importance du consentement des patients et le fait que l’absence de consentement peut s’analyser en une atteinte à l’intégrité physique de l’intéressé. Toute méconnaissance par le personnel médical du droit du patient à être dûment informé peut engager la responsabilité de l’État en la matière. En l’espèce, la Cour considère que les questions soulevées par les parents du requérant, concernant d’importantes questions relatives au consentement et à la responsabilité éventuelle des professionnels de santé, n’ont pas été traitées de manière appropriée au cours de la procédure interne, ce qui amène la Cour à conclure que cette procédure n’était pas suffisamment efficace.

La Cour conclut que les jugements internes prononcés par les tribunaux, du Tribunal supérieur de justice de Murcie jusqu’au Tribunal suprême, n’ont pas donné de réponse suffisante concernant l’exigence du droit espagnol d’obtenir un consentement écrit dans des circonstances telles qu’en l’espèce. Si la Convention n’impose en aucune manière que le consentement éclairé soit donné par écrit tant qu’il est fait sans équivoque, la loi espagnole exigeait bien un tel consentement écrit et les tribunaux n’ont pas suffisamment expliqué pourquoi ils ont estimé que l’absence d’un tel consentement écrit n’avait pas enfreint le droit du requérant.

La Cour conclut que le système national n’a pas apporté une réponse adéquate à la question de savoir si les parents du requérant ont effectivement donné leur consentement éclairé à chaque intervention chirurgicale, conformément au droit interne.

Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de l’ingérence dans la vie privée du requérant.

Satisfaction équitable (art. 41 CEDH)

La Cour dit que l’Espagne doit verser au requérant 24 000 euros (EUR) pour dommage moral.

 

 

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme consultable ici

Communiqué de presse de la greffière de la Cour du 08.03.2022 disponible ici

 

4A_547/2019 (f) du 09.07.2020 – Responsabilité des collectivités publiques cantonales – Responsabilité médicale – 61 al. 1 CO / Illicéité – Consentement éclairé du patient – Absence de certitude scientifique et devoir d’information du médecin

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_547/2019 (f) du 09.07.2020

 

Consultable ici

 

Responsabilité des collectivités publiques cantonales – Responsabilité médicale / 61 al. 1 CO

Illicéité – Consentement éclairé du patient – Absence de certitude scientifique et devoir d’information du médecin

 

Depuis son enfance, A.__ (ci-après : le lésé ou le patient), né en 1966, titulaire d’un CFC de mécanicien-électricien et d’un diplôme d’ingénieur ETS, souffre d’une épilepsie temporale gauche résistante aux traitements médicamenteux. Ce trouble se manifestait par des crises invalidantes avec des pertes de conscience à une fréquence de trois à quatre fois par mois. Le lésé avait toutefois toujours effectué son activité professionnelle normalement.

A partir de 1997, le lésé, qui était suivi par le Prof. D.__ de l’Hôpital X.__, a souhaité se soumettre à une évaluation pré-chirurgicale. Celle-ci a eu lieu lors d’une hospitalisation à l’hôpital Z.__et le Prof. E.__, alors neurochirurgien à l’hôpital X.__ comptant parmi les spécialistes mondiaux du traitement de l’épilepsie, y a collaboré. Les examens neuropsychologiques réalisés dans ce cadre révèlent notamment des troubles mnésiques en modalité verbale, un défaut du mot ponctuel, une difficulté de calculation et des troubles mnésiques sur matériel verbal fluctuant.

Le lésé a fait une crise d’épilepsie ayant nécessité une brève hospitalisation aux urgences du de l’hôpital X.__ le 03.07.1998.

Entre juillet et septembre 1998, deux entretiens ont eu lieu avec le lésé : lors du premier, qui réunissait le lésé, son amie et le Prof. D.__, le lésé a pu poser des questions sur l’indication d’une intervention chirurgicale; les risques opératoires lui ont été exposés; le lésé a déclaré comprendre la nécessité d’une intervention, mais a préféré l’envisager fin 1998 ou début 1999; lors du second entretien, qui s’est tenu avec le lésé, sa compagne, ses parents et les Prof. D.__ et E.__, le lésé a souhaité une intervention plus précoce en raison de la survenue récente de crises épileptiques avec chutes.

S’agissant des risques de l’opération, les informations suivantes lui ont été communiquées: en principe, 1% de risque d’infection, 1% de risque d’hémorragie et 2% de risque de complications neurologiques, le risque minimal étant dès lors de 4%. Il s’agissait d’une évaluation globale, fondée sur les statistiques des grandes études mondiales de l’époque, qui tenait compte tant des risques vitaux que des risques à la santé.

Le lésé a finalement opté pour l’opération en raison de la récidive de ses crises d’épilepsie.

Il est établi que le lésé n’a pas été informé spécifiquement d’ un risque de séquelles cognitives et neuropsychologiques (soit des atteintes qui entravent les fonctions courantes du cerveau, comme les troubles de la mémoire, de la concentration et de l’acquisition).

Ayant pris connaissance du résultat des évaluations pré-chirurgicales et, après les entretiens menés avec ses médecins, le lésé a pris la décision de se soumettre à l’amygdalo-hippocampectomie sélective gauche qui lui avait été proposée.

Le 02.10.1998, le lésé a été opéré par le Prof. E.__.

Durant les premières années qui ont suivi l’opération, le lésé n’a plus eu de crises d’épilepsie et il a cessé de prendre son traitement épileptique le 22.10.2001. L’opération a par contre été suivie de troubles au niveau du langage et de la compréhension, d’une certaine faiblesse de l’hémicorps droit ainsi que d’une amputation du champ visuel vers la partie supérieure droite.

Depuis l’opération, le lésé a été en incapacité totale de travail, notamment en raison de difficultés de concentration et de mémorisation, de troubles d’organisation et de planification, de troubles de compréhension orale et de difficultés de rédaction en français.

Par décision du 09.08.2000, l’office AI a admis un degré d’invalidité du lésé de 80% dès le 01.09.1999, relevant notamment que celui-ci présentait de graves troubles mnésiques, des difficultés de compréhension et une importante fatigabilité. Il a également été observé que le lésé avait changé de personnalité depuis l’opération : il ne parvenait plus à maîtriser ses émotions, paniquait devant tout imprévu et se distinguait par une émotivité à fleur de peau; dans les contacts avec les tiers, il devait faire de gros efforts de concentration, il n’arrivait plus à suivre une conversation à plusieurs et se mettait à l’écart, donnant l’impression d’être de trop.

 

Procédures cantonales

Le lésé et la Fondation B.__ (ci-après : la fondation) ont ouvert action contre l’Etat de Vaud (le lésé ayant été opéré par le Prof. E.__, alors neurochirurgien à l’hôpital X.__) le 11.06.2006.

Deux expertises ont été mises en œuvre (Prof. F.__, médecin-chef en neurochirurgie à l’Hôpital universitaire de Bâle, rapport du 28.03.2011 et Prof. G.__, neurologue à l’Hôpital d’instruction des Armées du Val de Grâce à Paris, rapport du 10.12.2012). Par jugement du 28.05.2018, rejet des conclusions des demandeurs par la Cour civile.

 

Par arrêt du 26.09.2019 (consultable ici), rejet par la Cour d’appel civile des appels interjetés par chacun des demandeurs et confirmation du jugement entrepris.

 

TF

Responsabilité des collectivités publiques cantonales

La responsabilité des collectivités publiques cantonales, des fonctionnaires et des employés publics des cantons à l’égard des particuliers pour le dommage qu’ils causent dans l’exercice de leur charge est en principe régie par les art. 41 ss CO, mais les cantons sont libres de la soumettre au droit public cantonal en vertu des art. 59 al. 1 CC et 61 al. 1 CO (ATF 128 III 76 consid. 1a; 127 III 248 consid. 1b).

Lorsque le canton adopte une réglementation, la responsabilité de la collectivité publique et de ses agents est donc soumise au droit public cantonal. Si celle-ci renvoie aux dispositions du Code des obligations, celui-ci s’applique à titre de droit cantonal supplétif (ATF 126 III 370 consid. 5).

Le canton de Vaud a fait usage de cette faculté en édictant la loi du 16 mai 1961 sur la responsabilité de l’État, des communes et de leurs agents (ci-après: LRECA/VD; RS 170.11). Cette loi règle la réparation des dommages causés illicitement ou en violation de devoirs de service dans l’exercice de la fonction publique cantonale ou communale (art. 1, 3 et 4 LRECA/VD). A la différence du droit privé qui subordonne la responsabilité aquilienne à une faute (art. 41 CO), le texte de l’art. 4 LRECA/VD n’exige, pour engager la responsabilité de l’État, qu’un acte objectivement illicite, un dommage et un lien de causalité entre l’un et l’autre (arrêt 4A_132/2014 du 2 juin 2014 consid. 2.1 et les arrêts cités). L’art. 8 LRECA/VD prévoit, en outre, que les dispositions du Code des obligations relatives aux obligations résultant d’actes illicites sont, au surplus, applicables par analogie à titre de droit cantonal supplétif.

Il en résulte que le Tribunal fédéral n’examine la question de l’illicéité de l’intervention chirurgicale que sous l’angle de l’arbitraire (art. 106 al. 2 LTF; arrêt 4A_453/2014 du 23 février 2015 consid. 3.1 et les arrêts cités).

 

Illicéité

En matière de responsabilité médicale, l’illicéité peut reposer sur deux sources distinctes :

  • la violation des règles de l’art, d’une part, et
  • la violation du devoir de recueillir le consentement éclairé du patient, d’autre part.

Devant le Tribunal fédéral, les recourants ne contestent pas que l’opération a été menée selon les règles de l’art et il n’y a donc pas lieu de s’y arrêter. Ils reprochent par contre aux juges cantonaux d’avoir retenu que le lésé avait donné son consentement éclairé à l’amygdalo-hippocampectomie qu’il a subie le 02.10.1998.

 

Consentement éclairé du patient

L’exigence d’un consentement éclairé se déduit directement du droit du patient à la liberté personnelle et à l’intégrité corporelle, qui est un bien protégé par un droit absolu (ATF 133 III 121 consid. 4.1.1 p. 128 et les arrêts cités). Le médecin qui fait une opération sans informer son patient ni en obtenir l’accord commet un acte contraire au droit et répond du dommage causé, que l’on voie dans son attitude la violation de ses obligations de mandataire ou une atteinte à des droits absolus et, partant, un délit civil. L’illicéité d’un tel comportement affecte l’ensemble de l’intervention et rejaillit de la sorte sur chacun des gestes qu’elle comporte, même s’ils ont été exécutés conformément aux règles de l’art (ATF 133 III 121 consid. 4.1.1 p. 128 et les arrêts cités).

Une atteinte à l’intégrité corporelle, à l’exemple d’une intervention chirurgicale, est illicite à moins qu’il n’existe un fait justificatif (ATF 133 III 121 consid. 4.1.1 p. 128 et les arrêts cités). Dans le domaine médical, la justification de l’atteinte réside le plus souvent dans le consentement du patient; pour être efficace, le consentement doit être éclairé, ce qui suppose de la part du praticien de renseigner suffisamment le malade pour que celui-ci donne son accord en connaissance de cause (ATF 133 III 121 consid. 4.1.1 p. 129 et les arrêts cités).

Le devoir d’information du médecin résulte également de ses obligations contractuelles, comme le confirment la doctrine et une jurisprudence constante (ATF 133 III 121 consid. 4.1.2 p. 129 et les arrêts cités).

Le médecin doit donner au patient, en termes clairs, intelligibles et aussi complets que possible, une information sur le diagnostic, la thérapie, le pronostic, les alternatives au traitement proposé, les risques de l’opération, les chances de guérison, éventuellement sur l’évolution spontanée de la maladie et les questions financières, notamment relatives à l’assurance (ATF 133 III 121 consid. 4.1.2 p. 129 et les arrêts cités). Des limitations voire des exceptions au devoir d’information du médecin ne sont admises que dans des cas très précis, par exemple lorsqu’il s’agit d’actes courants sans danger particulier et n’entraînant pas d’atteinte définitive ou durable à l’intégrité corporelle, s’il y a une urgence confinant à l’état de nécessité ou si, dans le cadre d’une opération en cours, il y a une nécessité évidente d’en effectuer une autre (ATF 133 III 121 consid. 4.1.2 p. 129 et les arrêts cités).

La portée du devoir d’information du médecin (y compris sur les risques de l’opération) est fonction de l’état de la science médicale. On ne saurait (logiquement) imposer au médecin de donner au patient des renseignements qui ne sont pas encore compris dans cet état (sur ce critère généralement utilisé en lien avec le devoir de diligence du médecin, cf. arrêt 4C.345/1998 du 29 mars 1999 consid. 4b; ATF 120 II 248 consid. 2c et les références; 93 II 19 consid. 2).

C’est au médecin qu’il appartient d’établir qu’il a suffisamment renseigné le patient et obtenu le consentement éclairé de ce dernier préalablement à l’intervention (ATF 133 III 121 consid. 4.1.3 p. 129 et les arrêts cités; sur le consentement hypothétique du patient, cf. ATF 133 III 121 consid. 4.1.3 p. 130 et les arrêts cités).

 

Dans le cas d’espèce, on ne peut suivre les recourants lorsqu’ils affirment que la cour cantonale a sombré dans l’arbitraire en refusant d’admettre un risque spécifique de séquelles neuropsychologiques en 1998. La décision prise par les juges précédents sur ce point s’appuie sur les deux expertises judiciaires : en effet, tant l’expert suisse (Prof. F.__ de Bâle) que l’expert français (Prof. G.__ de Paris) ont confirmé qu’un tel risque spécifique n’avait pas encore été retenu par la science médicale à la fin des années nonante.

L’expert suisse a implicitement admis que le risque de provoquer une atteinte comme celle survenue chez le patient se situait « autour de 1-2% (…) en accord avec les données de la littérature scientifique et l’expérience de [son] centre », étant ici précisé que le pourcentage évoqué vise les risques généraux, alors identifiés, d’infection, d’hémorragie et de complications neurologiques.

Quant à l’expert français, il n’a pas non plus individualisé le risque neuropsychologique, mais a considéré qu’il était englobé dans le pourcentage des séquelles majeures alors connues. Il a explicitement relevé que les publications scientifiques évoquant le risque spécifique et significatif de troubles neuropsychologiques, notamment la diminution des performances mnésiques post-opératoires, étaient postérieures à l’opération litigieuse.

On ne peut même pas dire, comme le font les recourants, qu’à la fin des années 1990 le risque spécifique était « identifié » (ce qui sous-entend que seul le degré exact du risque restait à discuter). Selon les constatations cantonales, le débat était en effet beaucoup plus large (et son issue incertaine) puisque, pour certains scientifiques, il n’y avait « pas de séquelles possibles » si l’hippocampe était atrophié, alors que pour d’autres, « c’était possible ».

 

Absence de certitude scientifique et devoir d’information du médecin

Au moment de procéder à la subsomption, les recourants reviennent – au moins implicitement – sur l’application des conditions fondant le consentement éclairé du patient. Renvoyant à l’ATF 132 II 305, ils insistent sur le fait que l’ « absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives ». Ils tentent ainsi de dresser un parallèle entre ce précédent publié (qui avait pour objet la concrétisation, par les autorités compétentes, du principe de précaution dans le cadre de la gestion de la crise dite de « la vache folle ») et le devoir d’information du médecin (préalable nécessaire au consentement du patient) pour en inférer que, le risque lié aux atteintes neuropsychologiques étant déjà débattu en 1998, le médecin devait en informer son patient.

Il n’y a pas lieu d’examiner la légitimité du parallèle préconisé par les recourants puisque, même si on l’admettait (par hypothèse), ceux-ci ne pourraient rien en tirer : dans le précédent auquel ils renvoient, le Tribunal fédéral a certes rappelé le devoir des autorités compétentes d’agir « même en cas d’incertitude scientifique », mais il a ajouté que cela ne valait que pour les mesures qui « paraiss[ai]ent propres » à prévenir la propagation de l’épizootie « d’après l’état de la science et de l’expérience » (ATF 132 II 305 consid. 4.3 p. 321). Si on tente un parallèle avec le cas d’espèce, force est de constater que, à la fin des années 1990, le milieu médical n’avait pas encore les connaissances,  » d’après l’état de la science et de l’expérience « , pour prescrire aux chirurgiens de fournir aux patients (qui projetaient de se soumettre à une intervention chirurgicale du type amygdalo-hippocampectomie) une information sur le risque spécifique d’atteintes neuropsychologiques (ce risque n’étant pas identifié spécifiquement). Partant, le renvoi à ce précédent n’est d’aucun secours aux recourants.

 

L’absence d’acte illicite scelle le sort du recours, l’illicéité étant une condition nécessaire de la responsabilité médicale.

 

Le TF rejette les recours du lésé et de la Fondation.

 

 

Arrêt 4A_547/2019 consultable ici

 

 

4A_65/2019 (f) du 18.02.2020 – Responsabilité d’une permanence – 394 CO / Atteinte du nerf sciatique lors d’une opération (prothèse totale de hanche), nécessitée par la nécrose aseptique de la tête fémorale imputable au mauvais diagnostic posé initialement / Lien de causalité naturelle et adéquate entre le diagnostic erroné et le dommage admis

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_65/2019 (f) du 18.02.2020

 

Consultable ici

 

Responsabilité d’une permanence / 394 CO

Fracture du col fémoral (type Garden I) non diagnostiquée

Atteinte du nerf sciatique lors d’une opération (prothèse totale de hanche), nécessitée par la nécrose aseptique de la tête fémorale imputable au mauvais diagnostic posé initialement

Lien de causalité naturelle et adéquate entre le diagnostic erroné et le dommage admis

 

A la suite d’une chute survenue le 09.10.2003 aux environs de 21 30, B.___ s’est rendu à la permanence A.___ SA où il a été examiné par le Dr M.___. Celui-ci a diagnostiqué une « contusion à la hanche gauche », sans effectuer de radiographie. Le patient en est sorti aux alentours de 00h30, sans béquilles et après avoir reçu une piqûre antalgique ainsi que des médicaments anti-inflammatoires. Aucun arrêt de travail n’ayant été prescrit, il a repris son activité professionnelle de cuisinier le même jour.

Le 10.10.2003 en fin de journée, devant la persistance des douleurs, il s’est rendu aux urgences des Etablissements C.___ qui ont diagnostiqué, sur radiographies, une « fracture de type Garden I du col fémoral gauche ». Le 11.10.2003 à 00h35, les Etablissements C.___ ont procédé à une première opération lors de laquelle le col du fémur gauche a été stabilisé par triple vissage. Le même jour dans l’après-midi, ils ont effectué une deuxième opération, après avoir constaté que les vis utilisées étaient trop longues. A l’issue d’un contrôle effectué trois mois après, le patient a été autorisé à reprendre son travail.

Au mois d’août 2004, en raison d’une recrudescence des douleurs, le patient a été examiné par les Etablissements C.___, lesquels ont diagnostiqué une « nécrose aseptique de la tête fémorale gauche ». Le 04.01.2005, il a subi une troisième opération visant à mettre en place une prothèse totale de la hanche gauche. Le 10.01.2005, un examen neurologique a mis en évidence une neurapraxie du nerf sciatique poplité externe gauche.

Confronté à des troubles moteurs du pied gauche et à des douleurs neurogènes, le patient a formé une demande de prestations d’invalidité. Dans le cadre de celle-ci, son état a été jugé stabilisé trois ans après la lésion, une amélioration n’étant plus probable ; l’exercice de l’activité de cuisinier lui était devenu impossible, mais il subsistait une capacité résiduelle de 50% en qualité de réceptionniste. Il a été mis au bénéfice d’une demi-rente d’invalidité dès le 01.04.2008.

 

Procédures cantonales

Le 31.10.2012, B.___ a ouvert action devant le Tribunal de première instance du canton de Genève contre la permanence A.___ SA et les Etablissements C.___.

De l’expertise judiciaire, il ressort que la prise en charge du patient par la permanence n’a pas été faite dans les règles de l’art, le diagnostic posé étant faux, voire ridicule. Quant à savoir si le risque de nécrose était accru en fonction du délai s’écoulant entre la fracture et l’opération, les études cliniques rétrospectives n’étaient pas probantes. L’attitude générale des orthopédistes en Suisse était de traiter une telle fracture sur une base urgente.Un diagnostic correct de la fracture de type « Garden I » du col fémoral aurait permis de diminuer ou de pallier le risque de nécrose aseptique de la tête fémorale gauche.

Quant à l’ostéosynthèse par triple vissage et la mise en place d’une prothèse totale de hanche, elles avaient été effectuées dans les règles de l’art. L’atteinte au nerf sciatique faisait partie des risques rares inhérents à la pose d’une prothèse totale de hanche, qui avait en l’occurrence été rendue nécessaire par la nécrose aseptique de la tête fémorale gauche. Il y avait dès lors un lien de causalité entre cette atteinte et l’erreur de diagnostic de la permanence.

A l’audience des débats principaux, l’expert judiciaire a précisé que la fracture était peu déplacée, de sorte qu’il n’y avait probablement pas de lésion vasculaire. L’accident avait provoqué des saignements qui avaient causé une pression dans l’articulation, ce qui avait interrompu la circulation sanguine. Si l’on intervenait dans un intervalle de 6 à 8 heures pour diminuer cette pression, on avait une meilleure chance de sauver la tête fémorale. Il était clair que si l’intervention s’était déroulée tout de suite après la lésion, les risques d’une nécrose auraient été minimisés. Le fait que les Etablissements C.___ aient utilisé des vis trop longues n’avait strictement aucune importance et n’avait rien à voir avec la nécrose.

Par jugement du 10.10.2017, le Tribunal de première instance a condamné la permanence à payer au patient un total de 39’662 fr. 60, portant intérêts.

Le patient a appelé de ce jugement. La permanence en a fait de même. La Cour de justice a jugé que la permanence avait violé son obligation de diligence en s’abstenant de procéder à un examen clinique correct et en posant un faux diagnostic : elle aurait dû constater une fracture de type « Garden I » du col fémoral gauche, alors qu’elle avait décelé uniquement une « contusion à la hanche gauche ». Pour tout traitement, elle avait prescrit une piqûre antalgique et des médicaments anti-inflammatoires, alors qu’elle aurait dû immédiatement diriger le patient vers un chirurgien, la règle étant d’opérer par vissage en urgence, si possible dans les 6 heures consécutives au traumatisme. Elle avait ainsi retardé la prise en charge chirurgicale du patient. En raison de ce retard, la tête fémorale gauche s’était nécrosée, ce qui avait ultérieurement nécessité une nouvelle intervention chirurgicale destinée à la pose d’une prothèse de la hanche. L’atteinte au nerf sciatique s’était produite durant cette opération. Celle-ci avait été effectuée dans les règles de l’art, mais ce risque était inhérent. Il y avait un lien de causalité tant naturelle qu’adéquate entre ce délai et l’atteinte en question. La permanence était dès lors responsable du dommage subi par le patient ensuite de son incapacité de travail et de l’atteinte portée à son avenir économique.

Par arrêt du 29.11.2018, la Cour de justice a réformé cette décision en ce sens qu’elle a condamné la permanence à payer au patient un total de 325’721 fr., intérêts en sus.

 

TF

Le patient a chargé le Dr. M.___, œuvrant au sein de la permanence (recourante) en qualité de médecin, d’examiner son état et de prendre les mesures thérapeutiques adéquates. Il s’agit d’un contrat de mandat au sens de l’art. 394 al. 1 CO (ATF 132 III 359 consid. 3.1 p. 362) et la responsabilité de la permanence s’analyse sous l’angle de l’art. 398 al. 1 CO, lequel renvoie aux règles régissant la responsabilité du travailleur dans les rapports de travail (art. 321e CO).

 

Lien de causalité naturelle entre le diagnostic erroné et le dommage

En matière de causalité hypothétique, la jurisprudence se satisfait du degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 132 III 715 consid. 3.2 p. 720; 124 III 155 consid. 3d p. 165). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 89; 132 III 715 consid. 3.1 p. 720). Or, on peut inférer des explications de l’expert judiciaire qu’il n’existait certes pas d’absolue certitude, mais bel et bien une vraisemblance prépondérante selon laquelle la tête fémorale ne se serait pas nécrosée si l’intervention chirurgicale avait eu lieu sans tarder. La permanence ne convainc pas en proposant une autre lecture. L’appréciation des preuves à laquelle s’est livrée la cour cantonale n’a rien d’arbitraire.

Le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral n’est pas illimité en cette matière. Certes, le Tribunal fédéral a coutume de préciser qu’il est lié, au sens de l’art. 105 al. 1 LTF, par les constatations concernant la causalité hypothétique lorsqu’elles reposent sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves ; en revanche, si la causalité hypothétique est déduite exclusivement de l’expérience de la vie, il revoit librement cette question de droit (ATF 132 III 305 consid. 3.5 p. 311; 115 II 440 consid. 5b; arrêts 4A_403/2016 du 18 avril 2017 consid. 3.2, 4A_543/2016 du 1 er novembre 2016 consid. 3.2.3). En l’espèce, l’appréciation des juges cantonaux s’est fondée sur une expertise judiciaire définissant les standards de diligence que l’on pouvait attendre et les conséquences des manquements constatés. Il se justifie ainsi de restreindre à l’arbitraire le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral. Cela étant, il est entendu que l’examen de la causalité adéquate, dans la mesure où il conserve un objet (cf. arrêt 4A_464/2008 du 22 décembre 2008 consid. 3.3.1), se fait avec un pouvoir d’examen libre (ATF 143 III 242 consid. 3.7  in fine; cf. consid. 5 infra).

La permanence affirme encore qu’un certain type de fracture favoriserait l’apparition d’une nécrose sans égard au délai de prise en charge. Certes, le Dr O.___, chef de clinique aux Etablissements C.___, a déclaré qu’il n’y avait dans la littérature aucune preuve formelle qu’un retard de 24 à 36 heures dans la prise en charge chirurgicale augmentait le risque de nécrose aseptique. Ce risque était à son avis lié au type de fracture et non pas à un délai de prise en charge chirurgicale. Toutefois, ce praticien a confirmé, comme deux autres médecins en sus de l’expert, qu’une prise en charge en urgence était indispensable. Au surplus, il n’y a rien à redire, sous l’angle de l’arbitraire, au fait que la cour cantonale ait accordé la préséance aux constatations de l’expert judiciaire, qui a – selon ses termes – poussé son analyse plus loin pour répondre à la question posée.

 

Lien de causalité adéquate entre l’erreur de diagnostic et le dommage

La permanence fait valoir que la lésion du nerf sciatique pendant l’opération de pose de prothèse de la hanche est exceptionnelle et imprévisible, ce qui ne permettrait pas d’admettre que cette opération était, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, propre à entraîner une telle lésion. Certes, il ressort du jugement cantonal que cette lésion survient dans un nombre très restreint de cas (1 à 2%). Cela étant, le caractère adéquat d’une cause ne suppose pas que l’effet considéré se produise généralement, ni même qu’il soit courant. Il suffit qu’il s’inscrive dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles (ATF 143 III 242 consid. 3.7 p. 250; 139 V 176 consid. 8.4.2; 96 II 392 consid. 2). Tel est bien le cas ici. Il n’y a dès lors nulle violation du droit dont la permanence serait fondée à se plaindre.

La permanence soutient également que la troisième opération chirurgicale, lors de laquelle le nerf sciatique de le patient a été endommagé, a interrompu le lien de causalité adéquate. Certes, une telle interruption peut se concevoir en présence d’un événement extraordinaire ou exceptionnel auquel on ne pouvait s’attendre (force naturelle, fait du lésé ou d’un tiers) qui revêt une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus immédiate du dommage et relègue à l’arrière-plan les autres facteurs ayant contribué à le provoquer – y compris le fait imputable à la partie recherchée. Toutefois, il n’y a ici nulle faute des Etablissements C.___ susceptible d’intervenir à ce titre, ni intervention d’un élément naturel en tant que tel. De l’avis de l’expert, il s’agit d’un risque inhérent à l’opération, qui entre dans le champ du possible, mais se produit rarement ; or, l’opération comportant ce risque a été provoquée par la nécrose elle-même imputable au mauvais diagnostic de la permanence. Ce grief doit pareillement être rejeté.

 

 

Le TF rejette le recours de la permanence.

 

 

Arrêt 4A_65/2019 consultable ici

 

 

Le National veut des mesures pour mieux protéger les patients

Le National veut des mesures pour mieux protéger les patients

 

Communiqué de presse du Parlement du 19.09.2018 consultable ici

 

Les patients devraient être mieux protégés, notamment contre les erreurs médicales. Le National a accepté mercredi par 178 voix contre 1 une motion de sa commission de la santé publique en ce sens. La Chambre des cantons doit encore se prononcer.

Le texte charge le Conseil fédéral de renforcer la protection des dommages. Il demande l’introduction d’une culture constructive en matière de sécurité et de traitement des erreurs médicales, l’amélioration de la responsabilité civile médicale, ainsi que l’établissement d’un état des lieux s’agissant de cette dernière.

Le droit de la responsabilité civile vise à compenser, dans des cas spécifiques, les dommages subis par un patient suite à une erreur médicale. Dans une telle situation, le fardeau de la preuve incombe au patient lésé.

 

Démarches déjà en cours

Il s’agit d’un dossier fondamental pour le Conseil fédéral, a souligné le ministre de la santé Alain Berset. La Confédération collabore déjà avec les cantons et les acteurs clés du domaine. Plusieurs démarches fédérales sont déjà en cours pour atteindre les objectifs du texte.

La Confédération soutient, à des fins préventives, les fournisseurs de prestations pour qu’ils prennent des mesures centrales de sécurités et se dotent de systèmes de gestion des risques. Elle entend en outre mettre en place des indicateurs de qualité médicaux pour favoriser la transparence, améliorer la situation en continu et évaluer le système dans son ensemble.

Il n’est pas pertinent de combiner les mesures générales pour le renforcement de la qualité et une simplification de la procédure juridique. Le rapport sur les droits des patients de juin 2015 préconise déjà de renforcer les offres de conseil et de soutien des patients.

 

 

Communiqué de presse du Parlement du 19.09.2018 consultable ici

Bulletin officiel, Conseil national Session d’automne 2018, Séance du 19.09.2018 (texte provisoire) consultable ici

Motion CSSS-CN 17.3974 « Prévention et gestion des dommages lors de traitements médicaux » consultable ici

 

 

6B_390/2018 (f) du 25.07.2018 – Lésions corporelles graves par négligence – 125 al. 1 CP / Lésion de la verge de type amputation du gland survenue au cours d’une circoncision – Imprévoyance coupable niée – 12 al. 3 CP / Lien de causalité naturelle et adéquat entre les actes post amputation et les lésions

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_390/2018 (f) du 25.07.2018

 

Consultable ici

 

Lésions corporelles graves par négligence / 125 al. 1 CP

Lésion de la verge de type amputation du gland survenue au cours d’une circoncision – Imprévoyance coupable niée / 12 al. 3 CP

Lien de causalité naturelle et adéquat entre les actes post amputation et les lésions

 

Faits

Le 24.02.2014, X.___ et son fils C.___ ont rencontré A.___, spécialiste FMH en urologie exerçant en qualité de médecin indépendant à la Permanence D.___ (ci-après: la Permanence), lors d’un rendez-vous d’information au sujet d’une circoncision rituelle.

Le 31.07.2014, vers 20h00, A.___ et une infirmière au sein de la Permanence ont reçu X.___ et son fils en vue de procéder à l’opération de circoncision prévue sur ce dernier, alors âgé de quatre ans. Ils leur ont rappelé les étapes de l’opération et le fait qu’il était préférable que X.___ maintienne son garçon des deux mains, reste assis près de lui pour le rassurer et s’abstienne de prendre des photos lors de l’incision, l’enfant n’étant que localement anesthésié. Ce nonobstant, X.___ a pris de nombreux selfies avec son fils et immortalisé la plupart des étapes de la circoncision, sur lesquels l’enfant apparaît toujours calme et immobile. Au moment précis où, tenant le bistouri de la main droite, A.___ a initié le geste chirurgical, qui n’a duré qu’une ou deux secondes, l’enfant a bougé son bassin, de sorte que le gland a échappé à la prise gauche du médecin, qui l’a lâché, le coupant complètement de la main droite. Le gland et le prépuce sectionnés sont restés attachés à la pince Kocher utilisée par le médecin pour tenir le prépuce.

L’urologue a immédiatement entrepris une chirurgie reconstructive. Il a effectué une anastomose circonférentielle de l’urètre aux quatre points cardinaux, avant de procéder à la suture du gland lui-même. Ne disposant pas de sonde urinaire Foley de taille adaptée, la Permanence étant en rupture de stock, A.___ l’a remplacée par un fin tuyau Butterfly, qu’il a temporairement inséré dans l’extrémité du pénis pour servir de tuteur lors de la reconstruction. Après avoir suturé, il a expliqué au père qu’une complication était survenue et qu’il fallait transporter l’enfant à l’Hôpital, afin de poser la sonde servant à drainer l’urine, ce que X.___ n’a pas voulu, préférant attendre l’arrivée de son épouse. Dans l’intervalle, l’urologue a pratiqué une autre circoncision pendant 30 minutes dans la salle attenante. La mère de l’enfant n’arrivant pas, l’urologue s’est rendu aux urgences pédiatriques de l’Hôpital afin d’obtenir la sonde adéquate, en vain, la recommandation lui ayant été faite de venir avec l’enfant. Ce matériel n’étant pas disponible à la pharmacie, l’urologue est retourné à la Permanence vers 22h00 et a finalement convaincu X.___ de se rendre à l’Hôpital, où l’enfant a été hospitalisé le 01.08.2014 peu après minuit.

L’enfant est resté hospitalisé du 01.08.2014 au 27.08.2014. Selon l’avis et la lettre de sortie de l’Hôpital, des points de suture séparés sur tout le périmètre de ce qui semblait être la base du gland étaient observés au status d’entrée. Le diagnostic principal était une lésion de la verge de type amputation du gland avec suture directe survenue au cours d’une circoncision. Le patient avait présenté des complications, soit une fistule urétrale au niveau du sillon balanopréputial, face ventrale de la verge, ligne médiane, ainsi qu’une suspicion de sténose du méat avec jet urinaire bifide, voire trifide. C.___ avait subi quatre interventions. Au status de sortie, les médecins notaient une verge avec une impression de saut de calibre au niveau de l’ancien sillon balanopréputial, avec un gland réépithélialisé, rosé, comportant quelques traces de fibrine. La plaie circonférentielle des sutures ne suintait pas. Le méat à l’apex était difficilement visualisable, compte tenu de la présence de deux orifices millimétriques donnant l’impression d’une sténose secondaire du méat. La fistule n’était pas visible en dehors des mictions.

S’agissant du suivi postopératoire, les médecins ont confirmé, à l’automne 2014, que l’évolution de la cicatrisation était satisfaisante. A l’examen clinique, le gland était parfaitement coloré, mais il existait une fistule punctiforme. Par ailleurs, l’enfant présentait un rythme mictionnel de type pollakiurie (une quinzaine de mictions par jour) et avait du mal à uriner debout.

Environ 16 mois après l’amputation, l’évolution était stable. La vascularisation du gland était satisfaisante. Le déficit volumique du membre sur le côté latéral droit n’évoluerait certainement plus. La fistule située au niveau du sillon balanopréputial persistait. L’enfant avait pris des habitudes mictionnelles favorables.

L’enfant a été hospitalisé du 28.10.2016 au 03.11.2016 à la suite d’une intervention chirurgicale visant à fermer la fistule urétro-cutanée post amputation du gland. D’un point de vue urologique, l’évolution était favorable, dès lorsqu’il n’y avait plus de fistule et que l’enfant avait un bon jet urinaire, ce qui signifiait qu’il n’y avait pas de sténose. Il n’était pas encore possible de quantifier précisément une éventuelle perte de sensibilité du gland. S’agissant de la forme générale de son pénis, il y avait une petite perte de substance latérale du gland qui donnait une forme un peu « carré-bossue » à celui-ci, mais l’aspect était globalement satisfaisant et le problème était relativement discret. Quant à l’évolution future des lésions physiologiques, la réapparition de fistules était possible, le risque de récidive étant usuellement de 5 à 10%, voire moins. Le problème de sténose devrait être suivi tout au long de la croissance et de la puberté car, le tissu cicatriciel n’étant pas de même nature, il y avait un risque de resserrement.

Par ailleurs, l’enfant a fait l’objet d’un suivi psychologique. L’évolution psychologique de l’enfant était positive, dans la mesure où la thérapeute avait pu distinguer une diminution de la symptomatologie, soit des troubles du sommeil et du comportement, ainsi que de l’anxiété. La poursuite du suivi était nécessaire car la santé psychologique de C.___ restait fragile et la symptomatologie réapparaissait ponctuellement.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 13.04.2017 (JTDP/401/2017), le Tribunal de police du canton de Genève a acquitté l’urologue du chef de lésions corporelles graves par négligence et a débouté X.___ de ses conclusions civiles.

Par arrêt du 26.02.2018 (AARP/58/2018), la Chambre pénale d’appel et de révision a rejeté l’appel de X.___ contre ce jugement.

 

TF

Lien de causalité naturelle et adéquat entre les actes post amputation et les lésions

L’infraction de lésions corporelles par négligence, sanctionnée par l’art. 125 CP, suppose la réalisation de trois conditions: une négligence, une atteinte à l’intégrité physique et un lien de causalité naturelle et adéquate entre ces deux éléments. Les interventions médicales réalisent les éléments constitutifs objectifs d’une lésion corporelle en tout cas si elles touchent à une partie du corps (par exemple lors d’une amputation) ou si elles lèsent ou diminuent, de manière non négligeable et au moins temporairement, les aptitudes ou le bien-être physiques du patient. Cela vaut même si ces interventions étaient médicalement indiquées et ont été pratiquées dans les règles de l’art (ATF 124 IV 258 consid. 2 p. 260 s.).

Toute atteinte à l’intégrité corporelle, même causée par une intervention chirurgicale, est ainsi illicite à moins qu’il n’existe un fait justificatif. Dans le domaine médical, la justification de l’atteinte ne peut en principe venir que du consentement du patient, exprès ou que l’on peut présumer (ATF 124 IV 258 consid. 2 p. 260). L’exigence de ce consentement découle ainsi du droit à la liberté personnelle et à l’intégrité corporelle. Il suppose, d’une part, que le patient ait reçu du médecin, en termes clairs, intelligibles et aussi complets que possible, une information sur le diagnostic, la thérapie, le pronostic, les alternatives au traitement proposé, les risques de l’opération, les chances de guérison, éventuellement sur l’évolution spontanée de la maladie et les questions financières, notamment relatives à l’assurance (ATF 133 III 121 consid. 4.1.2 p. 129). Il faut, d’autre part, que la capacité de discernement du patient lui permette de se déterminer sur la base des informations reçues (ATF 134 II 235 consid. 4.1 p. 237).

En procédure pénale, il incombe à l’accusation de prouver une violation du devoir d’information du médecin. Le fardeau de la preuve du consentement éclairé du patient, en tant qu’il constitue un fait objectif justificatif, incombe au prévenu, qui y satisfait déjà en rendant vraisemblables ses allégations (arrêt 6B_910/2013 du 20 janvier 2014 consid. 3.3 et les arrêts cités).

La cour cantonale a distingué la circoncision du prépuce de la prise en charge subséquente. Elle a retenu que les atteintes subies par C.___ (amputation du gland, fistule, risque de sténose, hospitalisation et soins nécessités pour la santé physique et psychique de l’enfant) ne résultaient pas des actes du médecin pratiqués post amputation, mais de la circoncision qui ne s’était pas déroulée comme prévu. Dans la mesure où le lien de causalité naturelle et adéquat entre les actes du médecin pratiqués post amputation et les atteintes à la santé du patient faisait défaut, la question de savoir si le recourant avait donné son accord à l’anastomose, ou, en l’absence d’un tel consentement, s’il aurait accepté l’opération en ayant été dûment informé, pouvait souffrir de rester indécise. Il n’était pas davantage nécessaire de déterminer si ces divers actes étaient constitutifs d’imprévoyances coupables.

C’est en se fondant sur une appréciation des moyens de preuve dénuée d’arbitraire que la cour cantonale a conclu à l’absence de lien de causalité naturelle entre les lésions de l’enfant et les actes du médecin pratiqués post amputation. Etant établi que seule la circoncision est en lien de causalité avec les atteintes subies, c’est à raison que la cour cantonale a considéré que la question de savoir s’il existait un fait justificatif n’était pertinente qu’en ce qui concernait cette seule intervention. A cet égard, l’intervention de circoncision a fait l’objet d’un consentement éclairé. Il s’ensuit, d’une part, que l’acte qui a atteint l’intégrité physique et psychique de C.___ repose bien sur un fait justificatif ; d’autre part, qu’il est sans objet de savoir si X.___ a consenti à l’anastomose pratiquée par A.___ sur son fils, ou encore de déterminer si les gestes post ablation relèvent d’une imprévoyance coupable, puisqu’ils n’ont pas causé l’atteinte à l’intégrité corporelle.

 

 

Imprévoyance coupable lors de la circoncision

Selon l’art. 12 al. 3 CP, agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L’imprévoyance est coupable quand l’auteur n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle. Un comportement viole le devoir de prudence lorsque l’auteur, au moment des faits, aurait pu et dû, au vu des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte qu’il mettait en danger des biens juridiquement protégés de la victime et qu’il excédait les limites du risque admissible (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140; 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64 et les références citées).

La cour cantonale a constaté que X.___ avait pris beaucoup de photographies et qu’il semblait que ce soit le geste de son bras, à l’évidence pour prendre un cliché, qui avait causé le mouvement de bassin de son fils. Cela étant, A.___ avait d’emblée déclaré que s’il permettait aux parents de photographier l’avant et l’après d’une circoncision rituelle, il leur interdisait expressément de le faire durant la phase délicate de l’incision, ce qu’il avait clairement expliqué au père, qui l’avait bien compris. Dans la mesure où l’attention du père avait été spécifiquement attirée sur la nécessaire immobilité du patient durant l’excision, à réitérées reprises par l’urologue et son assistante, l’anesthésie n’étant que locale, il n’apparaissait pas que le médecin avait violé les règles de la prudence en décidant de pratiquer son acte nonobstant l’excitation du père, étant rappelé qu’il s’agissait d’un acte hautement symbolique aux yeux de ce dernier. Aussi, le bon sens pouvait raisonnablement suffire à donner au médecin l’assurance que l’intéressé allait se plier à ses instructions, dans l’intérêt de son fils, et cesser, ne fût-ce que l’espace d’une seconde, de prendre des clichés. La cour cantonale d’en conclure que l’amputation du gland était le résultat fortuit – bien qu’hautement regrettable – d’une conjonction de facteurs, qui ne pouvait être mise en relation avec aucune violation des règles de l’art ou d’un devoir de prudence du médecin.

Le père fait valoir que le médecin aurait dû stopper l’intervention dès lors qu’il voyait qu’il continuait de prendre des photos et que la sécurité de l’opération était dès lors compromise. Il ne conteste cependant pas que l’urologue et son assistante lui avaient demandé à plusieurs reprises de ne pas prendre de photos lors de l’incision, et qu’il avait bien compris ces consignes. Dans ces circonstances, la cour cantonale pouvait retenir que le risque que l’enfant bouge au moment de l’incision était imprévisible pour l’urologue, qui ne pouvait pas s’attendre à ce que le père prenne une photo au moment même de l’incision. La cour cantonale n’a dès lors pas violé le droit fédéral en excluant une imprévoyance coupable.

Dans la mesure où les griefs soulevés à l’encontre de l’acquittement de l’intimé sont rejetés, les prétentions civiles du recourant doivent également être écartées. Le recourant ne saurait en particulier y voir un déni de justice de la cour cantonale.

 

Le TF rejette les griefs soulevés par X.___ à l’encontre de l’acquittement de l’urologue et écarte les prétentions civiles de X.___.

 

 

Arrêt 6B_390/2018 consultable ici

 

 

6B_999/2015+6B_1003/2015 (f) du 28.09.2016 – Homicide par négligence – 117 CP – Méningite chez un enfant / Règles de l’art médical – Violation du devoir de diligence du médecin

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_999/2015+6B_1003/2015 (f) du 28.09.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2tYvddX

 

Homicide par négligence – 117 CP – Méningite chez un enfant

Règles de l’art médical – Violation du devoir de diligence du médecin

Négligence – 12 al. 3 CP – Causalité naturelle et adéquate

 

Le dimanche 10.05.2009, l’enfant D.__, née en 2008, a commencé à avoir de la fièvre dans le courant de la journée. Son état fébrile a perduré. Le lendemain (11.05.2009) vers 9h00, auscultation par son pédiatre : diagnostic d’infection des voies respiratoires supérieures avec début de laryngite et prescription d’un humidificateur pour la gorge et, en cas de fièvre, la prise de « méfenacid » et de « dafalgan ».

L’état fébrile a perduré. Le mercredi 13.05.2009, vers 9h15, l’enfant D.__ a eu des convulsions et a vomi ; elle a été amenée en urgence au cabinet du pédiatre où elle présentait un état hautement fébrile (40 °C), un état général diminué, des mouvements spastiques de l’hémiface gauche, avec des clignements de paupières à l’œil gauche, des mouvements tonico-cloniques des membres inférieur et supérieur gauches. Après de nouvelles convulsions, le pédiatre a fait appeler le Service mobile d’urgence et de réanimation (ci-après: SMUR). Dans son dossier, le pédiatre a indiqué les diagnostics d’otite moyenne aiguë gauche et de convulsions focales atypiques secondaires à une infection bactérienne. Il a également porté en marge de ces diagnostics les mentions « Méningite ? » « Abcès ? », sans néanmoins en faire part ni aux parents, ni au SMUR.

Admission le 13.05.2009 à 10h32 au service des urgences de l’hôpital. Aucun autre examen particulier complémentaire n’a été ordonné. Lors de son admission aux urgences, l’enfant D.__ était endormie. Sa fièvre était tombée à 38.5 °C. Quand elle s’est réveillée, environ 15 minutes plus tard, une paralysie de la commissure labiale gauche subsistait mais l’enfant bougeait le front et clignait les yeux. Le test de Glasgow était à 14.

L’enfant a été admise à 11h40 au Service de pédiatrie de l’hôpital, successivement sous la responsabilité de la Dresse Y.__, médecin cadre et superviseur, responsable des urgences pédiatriques, de la pédiatrie, de la salle d’accouchement et de la maternité, et Dresse X.__, médecin cheffe de clinique adjointe, ainsi que de trois médecins assistantes. Son hospitalisation dans le Service de pédiatrie a été décidée avec, comme diagnostic, « convulsions fébriles complètes avec récupération neurologique prolongée mais totale » et, comme soins, une surveillance de type « soins continus » (monitoring cardiaque et saturation de l’oxygène dans le sang) et un contrôle des paramètres vitaux « aux heures ».

Un avis au service de neuropédiatrie du CHUV a été demandé lors de deux contacts téléphoniques avec le chef de clinique au service de neuropédiatrie. Ce dernier a envisagé le diagnostic différentiel suivant: méningite, hémorragie intracrânienne, convulsions fébriles complexes sur infection extra neurologique et convulsion sur une malformation cérébrale décompensée par une infection extra neurologique. Il a recommandé, sur la base des éléments qui lui avaient été communiqués oralement, une surveillance de l’enfant et, en cas de crise ou de modification de son état, une alerte au service de neuropédiatrie du CHUV, ainsi qu’une consultation au CHUV dans un délai de 24 à 48 heures. Entendu par le procureur, ce médecin a déclaré qu’au vu de la lecture qui lui était faite du « dossier patient ambulatoire », postérieur aux deux entretiens téléphoniques, la récupération n’était pas totale mais montrait en plus une aggravation nette par rapport à l’état qui lui avait été décrit précédemment. Si on avait pris la peine de le rappeler, deux heures plus tard, la situation aurait selon lui été différente et il aurait fallu reconsidérer le diagnostic du matin. L’enfant aurait dû pouvoir bénéficier d’un transfert en soins intensifs de pédiatrie et d’une antibiothérapie.

A 15h30, l’enfant D.__ a vomi un biberon de lait. La Dresse X.__ a procédé à ce moment-là à un examen clinique neurologique complet de l’enfant, qu’elle a jugé rassurant. L’enfant ne présentait pas de signes focaux, pas d’asymétrie. L’état de conscience était maximal (Glasgow 15). Il n’y avait pas de signes méningés. La poursuite de la surveillance telle que précédemment a été prévue. A 16h30, l’enfant D.__ a encore vomi. La température corporelle de l’enfant était de 36 °C à 18h30.

Le jeudi 14.05.2009 vers 2h00, l’enfant D.__ a une nouvelle fois présenté des convulsions avec une asymétrie des mouvements et un hémicorps gauche inerte. La Dresse Y.__ a réalisé un examen neurologique qui a révélé des signes d’asymétrie pupillaire, des mouvements saccadés du membre supérieur droit, l’absence de mouvements à gauche et un trouble de l’état de conscience (Glasgow à 9/10). Un scanner cérébral, qui a pu être effectué vers 4h45, a mis en évidence des lésions cérébrales. Entre 5h30 et 6h00, la Dresse Y.__ a ordonné une nouvelle prise de sang et l’administration d’antibiotiques (Rocephin) à dose méningée.

Le jeudi 14.05.2009 vers 7h00, l’enfant D.__ a été transportée au CHUV. Dans la matinée, une craniectomie de décompression a été pratiquée, qui a permis de constater la présence d’une méningite importante avec la présence d’abcès. D.__ est décédée au CHUV dans la soirée du vendredi 15.05.2009 d’une méningo-encéphalite à pneumocoques.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 06.12.2013, le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de La Côte a libéré les Dresses X.__ et Y.__ du chef d’accusation d’homicide par négligence.

Statuant le 09.03.2015 sur appel des parents ainsi que du Ministère public, la Cour d’appel du Tribunal cantonal du canton de Vaud a modifié le jugement précité et reconnu X.__ et Y.__ coupables d’homicide par négligence. Elle les a condamnées à une peine de 30 jours-amende avec sursis pendant deux ans – le montant du jour-amende étant fixé à 70 fr. pour X.__ et 100 fr. pour Y.__ – ainsi que, solidairement entre elles, au versement d’une indemnité pour tort moral de 30’000 fr. à chacun des deux parents.

 

 

TF

Règles de l’art médical

Le médecin ne viole son devoir de diligence que lorsqu’il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre méthode qui, selon l’état général des connaissances professionnelles, n’apparaît plus défendable et ne satisfait ainsi pas aux exigences objectives de l’art médical (ATF 134 IV 175 consid. 3.2 p. 177; 130 IV 7 consid. 3.3 p. 12).

Les règles de l’art médical constituent des principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens (ATF 133 III 121 consid. 3.1 p. 124).

Savoir si le médecin a violé son devoir de diligence est une question de droit; dire s’il existe une règle professionnelle communément admise, quel était l’état du patient et comment l’acte médical s’est déroulé relève du fait (ATF 133 III 121 consid. 3.1 p. 124).

Selon la jurisprudence, le juge apprécie en principe librement une expertise et n’est pas lié par les conclusions de l’expert. Toutefois, il ne peut s’en écarter que lorsque des circonstances ou des indices importants et bien établis en ébranlent sérieusement la crédibilité; il est alors tenu de motiver sa décision de ne pas suivre le rapport d’expertise. Inversement, si les conclusions d’une expertise judiciaire apparaissent douteuses sur des points essentiels, le juge doit recueillir des preuves complémentaires pour tenter de dissiper ses doutes. A défaut, en se fondant sur une expertise non concluante, il pourrait commettre une appréciation arbitraire des preuves et violer l’art. 9 Cst. (ATF 141 IV 369 consid. 6.1 p. 372 s.; 133 II 384 consid. 4.2.3 p. 391). La crédibilité d’une expertise est notamment ébranlée si l’expert ne répond pas aux questions qui lui sont posées, s’il ne motive pas ses conclusions, si ces dernières sont contradictoires ou si l’expertise est entachée de lacunes telles qu’elles sont reconnaissables sans connaissance spécifique (ATF 141 IV 369 consid. 6.1 p. 372 s.).

S’agissant des règles de l’art médical, à savoir les principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens, il ressort du jugement entrepris que l’expert et les médecins ont relevé ce qui suit.

Selon l’expertise judiciaire, l’exclusion d’une méningite bactérienne dans le cadre de la médecine d’urgence pédiatrique relève de la plus grande priorité, elle est enseignée dans les universités ainsi que dans le cadre de la formation du médecin visant à devenir spécialiste en pédiatrie et est généralement reconnue nécessaire, comme mentionné dans la littérature. L’expert indique qu’un comportement prudent, visant la sécurité et cherchant à éviter le pire aurait exigé la prise des mesures d’urgence (formule sanguine, CRP, hémoculture, antibiotiques empiriques, CT/MR, éventuellement une ponction lombaire). Il ajoute qu’en cas de doute, un médecin expérimenté prend en considération le diagnostic le moins favorable, à savoir, in casu, la possibilité d’une méningite bactérienne. Compte tenu des paramètres vitaux anormaux, un monitoring continu au moyen d’un IMC ou un suivi en soins intensifs aurait été indiqué. L’expert ajoute qu’au plus tard après le deuxième épisode épileptique (à savoir le 14.05.2009 à 2h00), il aurait été urgemment indiqué de répéter les analyses de laboratoire, d’administrer immédiatement un antibiotique par intraveineuse. Il relève qu’en présence des résultats sanguins (leucocytes et CRP), l’administration empirique d’un antibiotique i.v. aurait dû avoir lieu. Aux débats, l’expert a précisé que c’était l’analyse de l’ensemble des symptômes qui donnait une indication à une thérapie empirique par antibiotiques, à quoi s’ajoutait encore l’âge du patient, ceux âgés de moins de 24 mois ayant un risque beaucoup plus élevé pour des infections bactériennes invasives. Pour cette raison, un traitement empirique était très important avant de poser un diagnostic précis et définitif.

D’après l’expertise, les mesures nécessaires ont été prises avec du retard et, dans la perspective de la prévention du « worst case scenario », pas dans le bon ordre. Il précise que l’antibiothérapie aurait dû intervenir plus tôt (que le 14.05.2009 vers 6h00), au plus tard après la prise de connaissance des résultats d’analyse de laboratoire du 13.05.2009. A la question de savoir si les réponses précédentes données conduisent à conclure qu’un devoir de diligence/des règles de l’art médical ont été violés, respectivement si cette violation a provoqué le décès de D.__, l’expert répond qu’une antibiothérapie i.v. se serait imposée dans le cas de D.__ compte tenu du fait que l’examen sanguin avait révélé des signes d’infection et d’un état de pré-choc, et cela même si elle n’avait pas eu de fièvre complexe. Selon lui, il y avait eu violation d’un devoir de diligence individuelle, compte tenu du fait que le diagnostic correct avait été évoqué a priori, mais n’avait finalement pas été investigué de manière conséquente, respectivement n’avait finalement pas été exclu. A la question de savoir par qui un devoir de diligence/des règles de l’art médical ont été violés, l’expert répond qu’on peut reprocher aux Dresses X.__ et Y.__ une violation du devoir de diligence compte tenu du fait qu’elles n’ont pas immédiatement investigué respectivement exclu la méningite bactérienne dont fait état le diagnostic différentiel.

Constatant que le diagnostic initial et différentiel était correct, l’expert a relevé une mésestimation de la gravité de la situation, ce qui a entraîné un retard dans la mise en route d’un traitement curatif.

En définitive, c’est sans arbitraire que la cour cantonale a retenu que les Dresses X.__ et Y.__ ne s’étaient pas conformées aux règles médicales.

 

Négligence – 12 al. 3 CP

L’art. 117 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura causé la mort d’une personne. La réalisation de cette infraction suppose ainsi la réunion de trois conditions: le décès d’une personne, une négligence et un lien de causalité naturel et adéquat entre la négligence et la mort (cf. ATF 122 IV 145 consid. 3 p. 147).

Selon la jurisprudence, la particularité de l’art médical réside dans le fait que le médecin doit, avec ses connaissances et ses capacités, tendre vers le résultat désiré, mais n’a pas l’obligation de l’atteindre ou même de le garantir. Les exigences que le devoir de prudence impose au médecin sont fonction des circonstances du cas d’espèce, notamment du genre d’intervention ou de traitement, des risques qui y sont liés, du pouvoir de jugement ou d’appréciation laissé au médecin, des moyens à disposition et de l’urgence de l’acte médical. La responsabilité pénale du médecin n’est pas limitée à la violation grave des règles de l’art médical. Il doit au contraire toujours soigner ses malades de façon appropriée et, en particulier observer la prudence imposée par les circonstances pour protéger leur vie ou leur santé. Par conséquent, le médecin répond en principe de tout manquement à ses devoirs (ATF 130 IV 7 consid. 3.3 p. 11 s. et les références citées).

La notion de manquement à ses devoirs ne doit cependant pas être comprise de telle manière que chaque acte ou omission qui, par un jugement a posteriori, aurait provoqué le dommage ou l’aurait évité, entrerait dans cette définition. Le médecin ne doit en principe pas répondre des dangers et des risques qui sont inhérents à tout acte médical ainsi qu’à toute maladie. Par ailleurs, l’état de la science médicale confère souvent une latitude de jugement au médecin, tant en ce qui concerne le diagnostic que les mesures thérapeutiques ou autres, ce qui permet de faire un choix parmi les différentes possibilités qui entrent en considération. Le médecin ne viole son devoir de diligence que lorsqu’il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre méthode qui, selon l’état général des connaissances professionnelles, n’apparaît plus défendable et ne satisfait ainsi pas aux exigences objectives de l’art médical (ATF 134 IV 175 consid. 3.2 p. 177 s.; 130 IV 7 consid. 3.3 p. 12).

Même si le médecin dispose d’une grande latitude pour décider ce qu’il doit faire ou pas dans un cas particulier, les Dresses X.__ et Y.__ ont ici outrepassé leur marge d’appréciation en ne faisant pas tout ce qui était en leur pouvoir pour exclure le risque d’une méningite bactérienne, ce qui, dans un cas d’urgence pédiatrique comme en l’espèce, relevait de la plus grande priorité. Ainsi que le retient la cour cantonale, cela constitue une négligence fautive : le choix de l’inaction était indéfendable dès lors que les Dresses X.__ et Y.__ ne pouvaient ignorer que la méningite peut évoluer de manière foudroyante d’une part et que, d’autre part, les gestes salvateurs étaient faciles et sûrs (traitement par antibiotiques et/ou examens complémentaires).

Dans le cas d’espèce, compte tenu de l’expérience et des statuts de médecins-cadres des Dresses X.__ et Y.__, la cour cantonale n’a pas procédé à une mauvaise application du droit fédéral en considérant qu’elles avaient violé leur devoir de diligence, prenant un risque inexcusable, en attendant sans investiguer plus avant ou en n’administrant pas d’antibiotiques à D.__ lors de son admission au service pédiatrique.

 

Causalité

En cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée. Pour l’analyse des conséquences de l’acte supposé, il faut appliquer les concepts généraux de la causalité naturelle et de la causalité adéquate (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.1 p. 265 et les arrêts cités). L’existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance; autrement dit, elle n’est réalisée que lorsque l’acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat (ATF 116 IV 182 consid. 4a p. 185). La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l’acte attendu n’aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu’il serait simplement possible qu’il l’eût empêché (arrêt 6B_1165/2015 du 20 avril 2016 consid. 2.2.1 et les références citées).

L’expert judiciaire a relevé qu’il était plus que probable qu’en cas de diagnostic rapide de méningite bactérienne, le décès aurait pu être évité. Il apparaît que, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, dans l’hypothèse où les Dresses X.__ et Y.__ avaient administré d’emblée des antibiotiques à l’enfant D.__, il est très vraisemblable qu’elle n’aurait pas succombé à la méningite; de même, si une surveillance suffisante avait été mise en place dans l’après-midi et en soirée, cela aurait permis de procéder à des vérifications, d’administrer des antibiotiques, et d’éviter ainsi l’issue fatale. Le lien de causalité a dès lors été établi à satisfaction de droit.

 

Le TF rejette le recours des Dresses X.__ et Y.__.

 

 

Arrêt 6B_999/2015+6B_1003/2015 consultable ici : http://bit.ly/2tYvddX

 

 

4A_66/2015 + 4A_82/2015 (f) du 22.09.2015 – RC médicale – Responsabilité d’un chirurgien – 398 CO / Calcul du dommage subi par un indépendant

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_66/2015 + 4A_82/2015 (f) du 22.09.2015

 

Consultable ici : http://bit.ly/1LIamj0

 

RC médicale – Responsabilité d’un chirurgien – 398 CO

Calcul du dommage subi par un indépendant

 

Indépendant, au bénéfice d’une formation de peintre-décorateur, exploitant sa propre entreprise de peinture, spécialisée notamment dans le stucco vénitien. Le 21.05.2000, il se déchirure le ligament croisé antérieur au football. Il subit une plastie ligamentaire du genou gauche le 13.02.2001. A son réveil vers 14h00, il a ressenti de violentes douleurs dans le genou opéré et n’avait plus de sensibilité en dessous de celui-ci. A partir de 16h45, l’anesthésiste a alors pratiqué de nouvelles anesthésies, qui n’ont permis d’atténuer que temporairement les douleurs. Le 19.02.2001, un spécialiste FMH en neurologie a conclu à une lésion bitronculaire du nerf sciatique au niveau du creux poplité, expliquant l’insensibilité ainsi que l’impossibilité pour le lésé d’opérer une flexion dorsoplantaire active du pied et des orteils. Deux experts, mandatés par le lésé, ont indiqué que l’opération avait été pratiquée dans les règles de l’art, mais que le suivi postopératoire dans les vingt-quatre premières heures avait été en partie délégué et que le diagnostic d’une complication postopératoire avait été tardif.

Au niveau AI, l’office AI a octroyé au lésé une rente entière avec effet rétroactif au 01.02.2002.

 

Procédure cantonale

Sur appel du lésé, la Cour de justice a, par arrêt du 22.10.2010 (ACJC/1220/2010) , a annulé le jugement de la première instance, a constaté que la responsabilité des deux médecins était engagée (à l’exclusion de celle de la clinique) et a renvoyé la cause au premier juge.

Par arrêt du 17.12.2014 (arrêt ACJC/1606/2014), la Cour de justice, sur appel des deux médecins, a condamné les deux médecins à payer au lésé la somme de 61’085 fr., intérêts en sus, à titre d’indemnisation du gain manqué subi durant les années 2001 à 2003, le montant de 18’275 fr., intérêts en sus, à titre d’indemnisation du préjudice ménager subi durant la même période, s’est prononcée à nouveau sur les frais et dépens de première instance et a confirmé le jugement pour le surplus (frais consécutifs aux lésions corporelles).

 

TF

S’agissant de la faute du chirurgien

Selon le recourant, tout chirurgien exerçant en clinique privée aurait délégué le suivi postopératoire à un anesthésiste puisqu’il s’agit d’une pratique courante. La critique est sans consistance. Le fait que la délégation du suivi à l’anesthésiste soit couramment pratiquée en clinique privée ne change en rien la responsabilité du chirurgien, puisque cela ne signifie pas que cette pratique soit conforme dans le cas particulier aux règles de l’art médical. La cour cantonale constate d’ailleurs que cette pratique résulte plutôt d’une mauvaise organisation entre spécialistes et on peut en inférer qu’un chirurgien raisonnable placé dans les mêmes circonstances n’aurait pas délégué le suivi opératoire à un anesthésiste.

L’existence d’une lésion bitronculaire, complication rare, est en l’espèce totalement impropre à écarter le lien de causalité. Le chirurgien confond la conséquence de son inaction avec la complication, dont il aurait pu discerner l’existence et qui nécessitait une intervention rapide. En effet, si le chirurgien avait entrepris le contrôle qui lui incombait en vertu des règles de l’art, il aurait pu constater l’existence d’une complication et poser le diagnostic de la compression du nerf sciatique dans le creux poplité, complication décrite par la littérature médicale qui, à défaut d’une intervention rapide, risque de causer une lésion tronculaire (lésion d’un seul nerf décrite par la littérature médicale)  ; il aurait ainsi pu procéder à la décompression du nerf sciatique, ce qui aurait permis d’éviter aussi bien cette dernière lésion (plus connue), qu’une lésion bitronculaire (non mentionnée par la littérature médicale).

 

Dommage subi par le lésé, indépendant

Dans la détermination du revenu hypothétique, le revenu que réalisait le lésé au moment de l’événement dommageable constitue la référence ; le juge ne doit toutefois pas se limiter à constater le revenu réalisé jusqu’alors, car l’élément déterminant repose bien davantage sur ce que la victime aurait gagné annuellement dans le futur. Ce calcul nécessite une importante abstraction (arrêt 4A_239/2011 du 22 novembre 2011 consid. 3.1.1 et les références citées).

Il incombe au demandeur (lésé) d’établir les circonstances de fait – à l’instar des augmentations futures probables du revenu durant la période considérée – dont le juge peut inférer, selon le degré de la vraisemblance prépondérante, les éléments pertinents pour établir le revenu que le lésé aurait réalisé sans l’événement dommageable (arrêt 4A_239/2011 ibidem).

De manière générale, l’estimation du revenu d’un indépendant pose plus de problèmes que celle du gain d’un salarié. Chaque cas est particulier et il n’existe pas de méthode unique pour calculer le revenu hypothétique dans cette hypothèse. Une expertise peut fournir des renseignements sur les gains passés et sur les revenus futurs que l’indépendant aurait pu escompter sans l’événement dommageable (arrêt 4A_239/2011 ibidem).

On rappellera que la perte de gain (actuelle) indemnisable correspond à la différence entre les revenus nets indexés (à la date du prononcé du jugement cantonal) de valide et d’invalide du lésé (ATF 136 III 222 consid. 4.1.1 ; arrêt 4A_481/2009 déjà cité consid. 4.2.5). Afin d’éviter que la réparation de ce préjudice ne conduise à un enrichissement de la victime, il faut imputer sur ce montant les avantages constitués par toutes les prestations allouées au lésé par les assureurs sociaux (compensatio lucri cum damno) (sur l’ensemble de la question : ATF 134 III 489 consid. 4.2 p. 491 s. et l’arrêt cité; 130 III 12 consid. 7.1 p. 16; arrêt 4A_481/2009 déjà cité consid. 4.2.1 et 4.2.6).

 

 

Arrêt 4A_66/2015 + 4A_82/2015 consultable ici : http://bit.ly/1LIamj0

 

 

4A_329/2012 + 4A_333/2012 (f) du 04.12.2012 – Responsabilité de l’établissement hospitalier / Responsabilité médical – Responsabilité de droit public 61 CO – LREC (RS/GE A 2.40) – Examen de l’arbitraire dans le cas de l’erreur médicale – 9 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_329/2012 + 4A_333/2012 (f) du 04.12.2012

 

Consultable ici : http://bit.ly/23U0bOd

 

Responsabilité de l’établissement hospitalier / Responsabilité médical

Responsabilité de droit public 61 CO – LREC (RS/GE A 2.40)

Examen de l’arbitraire dans le cas de l’erreur médicale – 9 Cst.

 

Faits

Afin d’exclure ou de confirmer une suspicion d’une tumeur, X., né le 9 septembre 1949, a été adressé en novembre 1998 aux HUG. Il a été décidé de procéder à une biopsie, c’est-à-dire au prélèvement d’un fragment de tissu en vue de son examen.

Première biopsie, de la 9ème côte gauche, réalisée par le chirurgien thoracique A., des HUG. L’analyse du fragment prélevé n’a pas révélé la présence d’un cancer. Trois jours après cette biopsie, soit le 19 novembre 1998, X. s’est plaint de douleurs au bras gauche.

Après divers examens, il s’est révélé que la zone suspecte ne se trouvait, en réalité, non pas sur la 9ème côte gauche, mais sur la 10ème côte. Une nouvelle biopsie a été effectuée, cette fois sur la 10ème côte, le 30 novembre 1998. L’analyse du fragment prélevé a permis d’exclure une pathologie cancéreuse.

Les douleurs ressenties par X. à son bras gauche ont persisté. Selon un certificat établi par son médecin traitant le 19 janvier 2007, ce bras est non fonctionnel. Ce médecin a déclaré que la possibilité d’utiliser ce bras est limitée à environ 5% et que seul le suivi physiothérapeutique permet d’espérer le maintien de cette faculté.

Responsabilité des HUG admise par jugement du 22 septembre 2011 du Tribunal de première instance, puis confirmée par arrêt du 27 avril 2012 de la Cour de justice.

 

Droit applicable – Droit public cantonal – Responsabilité pour faute

Les cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la responsabilité du personnel médical travaillant dans un hôpital public pour le dommage ou le tort moral qu’il cause dans l’exercice de sa charge (ATF 133 III 462 consid. 2.1 p. 465).

Le canton de Genève a fait usage de cette possibilité. La loi genevoise du 24 février 1989 sur la responsabilité de l’Etat et des communes (LREC; RS/GE A 2 40), applicable aux HUG en vertu de l’art. 5 al. 2 de la loi genevoise du 19 septembre 1980 sur les établissements publics médicaux (LEPM; RS/GE K 2 05), prévoit que les corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité juridique répondent du dommage résultant pour les tiers d’actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l’exercice de leur travail (art. 2 al. 1 et 9); contrairement à d’autres cantons, tels Fribourg (ATF 133 III 462 consid. 4.1) et Neuchâtel (arrêt 4P.283/2004 du 12 avril 2005 consid. 4.1 publié in RDAF 2005 I p. 375), elle n’institue pas une responsabilité de type objectif ou causal, mais une responsabilité pour faute, ce qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes: un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci, un dommage subi par un tiers et un lien de causalité (naturelle et adéquate entre l’acte illicite et le dommage) (arrêt 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 2.1).

Ces conditions correspondent à celles qui figurent à l’art. 41 CO. Cependant, l’art. 6 LREC précise que le droit civil fédéral est appliqué ici à titre de droit cantonal supplétif. Par conséquent, le Tribunal fédéral ne peut en contrôler l’application que sous l’angle restreint de l’arbitraire ou d’autres droits constitutionnels, en fonction des seuls griefs invoqués et motivés (art. 106 al. 2 LTF; arrêt 4A_315/2011 déjà cité consid. 2.1; arrêt 4A_679/2010 du 11 avril 2011 consid. 3).

 

Pouvoir d’examen du TF

L’art. 8 CC (qui ne concerne que les prétentions fondées sur le droit fédéral: ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24; 127 III 519 consid. 2a p. 522), les art. 41, 42, 44 et 46 CO, tous invoqués par les parties, ne sont pas applicables en tant que droit fédéral. Ils ne peuvent être invoqués qu’en tant que règle de droit cantonal supplétif. Comme le recours en matière civile n’est pas ouvert pour violation du droit cantonal (art. 95 et 96 LTF), les parties ne peuvent s’en plaindre qu’en invoquant la violation d’un droit constitutionnel; or, le seul droit constitutionnel qui puisse entrer en considération en l’espèce est l’interdiction de l’arbitraire fondée sur l’art. 9 Cst. (arrêt 4P.265/2002 du 28 avril 2003 consid. 2.1 et 2.2).

 

Examen de l’arbitraire – 9 Cst. – dans le cas de l’erreur médicale

Il a été constaté en fait que la première biopsie (après laquelle le patient s’est plaint pour la première fois d’avoir mal au bras gauche) était inutile, parce que la zone suspecte se trouvait sur la dixième côte, et non sur la neuvième.

Le chirurgien a admis qu’il y avait eu une « erreur ». Il n’y a rien d’arbitraire à croire le chirurgien qui a pratiqué l’intervention lorsqu’il admet qu’il y a eu une erreur. Il a été constaté que les foyers hypercaptants au niveau des huitième et dixième côtes étaient déjà visibles sur la scintigraphie alors disponible. Ainsi, soit la scintigraphie disponible n’avait pas été étudiée avec une attention suffisante, soit les examens préalables nécessaires n’avaient pas été pratiqués pour en comprendre avec précision la portée. La cour cantonale, sur ces bases, n’est pas tombée dans l’arbitraire en retenant que l’acte illicite était fautif.

Selon le rapport d’expertise, les complications présentées par le patient sont déclenchées, dans 13% des cas, par une opération chirurgicale. Certes, ce pourcentage ne permet pas à lui seul d’établir un rapport de causalité naturelle. Néanmoins, il a été établi que le patient s’est plaint pour la première fois de douleurs dans le bras gauche trois jours après cette intervention. La coïncidence de dates liée au fait qu’une opération chirurgicale est une cause connue pour de telles complications a permis à la cour cantonale de se convaincre que la biopsie était bien la cause de ces complications. On ne voit pas que ce raisonnement puisse être qualifié d’arbitraire.

Rien ne permet d’affirmer que si la biopsie avait porté immédiatement sur la côte exacte (la dixième), les complications seraient apparues de toute manière. En effet, la seconde biopsie, portant sur la dixième côte, n’a eu aucun effet sur le bras du patient.

Une intervention chirurgicale était propre, d’après l’expérience médicale, à entraîner des complications du genre de celles qui se sont produites.

Ainsi, la cour cantonale n’a pas apprécié les preuves de manière arbitraire en retenant que la causalité naturelle était établie et elle n’a pas violé arbitrairement le droit cantonal en concluant qu’il y avait eu un acte illicite et fautif qui avait causé de manière adéquate la perte d’usage du bras gauche dont se plaint le patient.

Dommages-intérêts, en ce qui concerne la franchise et la quote-part 10% de la caisse-maladie – faits pas allégués pendant la procédure cantonale

Les HUG soutiennent que le patient aurait dû de toute manière assumer la franchise de la caisse-maladie et la quote-part de 10% jusqu’à concurrence d’un plafond en raison d’autres frais médicaux indépendants des faits de la cause. L’hôpital public voudrait tirer profit du fait que le patient était malade par ailleurs, afin d’appliquer la franchise et la quote-part de 10% sur les autres frais médicaux assumés par le patient.

Le TF n’est pas entré en matière au sujet de ce grief (art. 99 al. 1 LTF), ces éléments ne ressortant pas des constatations cantonales qui lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF).

 

 

Arrêt 4A_329/2012 + 4A_333/2012 consultable ici : http://bit.ly/23U0bOd

 

 

4A_696/2012 (f) du 19.02.2013 – Responsabilité civile du médecin chirurgien – 398 CO / Règles de l’art médical et « échappée instrumentale » – Violation des règles de l’art niée

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_696/2012 (f) du 19.02.2013

 

Consultable ici : http://bit.ly/1Xf2RkU

 

Responsabilité civile du médecin chirurgien – 398 CO

Règles de l’art médical et « échappée instrumentale » – Violation des règles de l’art niée

Dommage suite au déplacement incontrôlé et imprévu d’une broche

 

Faits

X., 30 ans, a subi le 1er avril 1998 un accident professionnel. Diagnostic : distorsion du genou droit entraînant des douleurs et une sensation d’instabilité. Le docteur Y., spécialiste en chirurgie orthopédique, lui a proposé une ligamentoplastie comportant le prélèvement d’un greffon et sa fixation dans l’articulation. Il lui a signalé que l’opération devrait être suivie d’une rééducation, que le port d’une attelle serait nécessaire durant quarante-cinq jours et que des douleurs se prolongeraient durant environ un an à l’endroit du prélèvement. En rapport avec l’intervention chirurgicale, il a mentionné les risques habituels d’infection, d’hémorragie et de thrombose.

Assisté d’un autre médecin, le docteur Y. a exécuté l’opération le 18 septembre 1998. Elle comportait notamment le percement d’un tunnel à travers l’os, destiné au passage du greffon. Les instruments comprenaient une tarière et sa broche de guidage. Selon le rapport opératoire du docteur Y., une « échappée instrumentale » s’est produite pendant le percement : la tarière a exercé une poussée sur la broche au lieu de coulisser correctement; la broche a quitté sa position et elle est sortie de la jambe du patient là où le chirurgien la tenait, provoquant une blessure à son doigt. Il a décidé de terminer rapidement l’intervention en fixant le greffon d’une manière différente de celle initialement prévue. Il a ensuite constaté que la jambe paraissait n’être plus irriguée au-dessous du genou. De fait, l’artère fémorale était lésée; le docteur Z., spécialiste en chirurgie cardiaque et vasculaire, a alors effectué en urgence une longue intervention destinée à réparer cette lésion.

L’intervention du spécialiste en chirurgie cardiaque et vasculaire a réussi en ce sens que le patient ne présente pas d’insuffisance artérielle ni veineuse résiduelle. En revanche, la ligamentoplastie du docteur Y. n’a pas apporté l’amélioration attendue car la fixation du greffon n’a pas tenu. Depuis ces opérations, le patient souffre de douleurs importantes dans toute la jambe droite, en particulier autour du genou; elles sont imputées à des séquelles neurologiques de la réparation vasculaire. Le patient est tombé dans un état dépressif chronique avec sentiments de dévalorisation et de révolte. Avec effet dès le 1er septembre 1999, l’office compétent lui a alloué une rente entière de l’assurance-invalidité.

En instance cantonale, une expertise a été réalisée par le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la Fédération des médecins suisses (FMH). Sur appel, la Cour de justice a considéré que le rapport était inutilisable et qu’il s’imposait d’ordonner une expertise judiciaire.

Désignée en qualité d’expert, la doctoresse Brigitte Jolles-Haeberli a déposé un rapport le 6 mai 2010 puis un rapport complémentaire le 19 mai 2011. A son avis, les règles de l’art médical ont été respectées au cours de la ligamentoplastie. En particulier, « l’échappée instrumentale » ne constituait pas une violation des règles de l’art parce que toutes les précautions habituelles destinées à empêcher le déplacement de la broche de guidage avaient été appliquées et décrites par le chirurgien. La broche s’est déplacée « à l’insu » du chirurgien et de son assistant, en dépit de ces précautions.

Les instances cantonales ont rejeté l’action du patient.

 

TF

Au consid. 2, le TF rappelle la notion du contrat de mandat et la responsabilité du mandataire (398 al. 2 CO) ainsi que celle, particulière, du médecin.

Le TF ne suit pas le raisonnement du patient quand ce dernier estime que le médecin est responsable du déplacement de la broche de guidage effectivement survenu, incontrôlé et dommageable, parce que ce déplacement n’aurait pas dû se produire. Le TF n’adhère pas à cette approche – extraordinairement sévère – qui diverge de la jurisprudence concernant la responsabilité du médecin ou, plus généralement, du mandataire.

Ainsi, c’est à bon droit que les instances inférieures ont rejeté l’action du patient, fondée sur l’art. 398 al. 2 CO, le médecin n’ayant méconnu aucune des règles de l’art médical.

 

 

Arrêt 4A_696/2012 consultable ici : http://bit.ly/1Xf2RkU