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6B_71/2020 (f) du 12.06.2020 – Collision entre un piéton cheminant sur une route principale, de nuit, vêtu d’habits sombres, et une automobile – Homicide par négligence – 117 CP / Rappel de la notion de négligence / Rupture du lien de causalité adéquate en matière de circulation routière – Rappel jurisprudentiel

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_71/2020 (f) du 12.06.2020

 

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Collision entre un piéton cheminant sur une route principale, de nuit, vêtu d’habits sombres, et une automobile – Homicide par négligence / 117 CP

Rappel de la notion de négligence

Rupture du lien de causalité adéquate en matière de circulation routière – Rappel jurisprudentiel – Pas d’interruption du lien de causalité adéquate in casu

 

Le 31.12.2016 au soir, D.B.__, né en 1995, a quitté son domicile à Pully et s’est rendu en bus à F.__, pour y passer le réveillon avec des amis chez E.__. Lors de cette soirée, il a consommé de l’alcool. Vers 3h30, D.B.__, qui présentait alors un taux d’alcool compris entre 1.99 g/kg et 2.86 g/kg a quitté le domicile de E.__ pour rentrer chez lui à pied, en traversant un bois sur quelque 100 mètres pour rejoindre la route principale de Lausanne à Bulle.

A.__ a terminé son service en qualité de maître d’hôtel à Lausanne le 01.01.2017 vers 2h00, puis il a fêté la nouvelle année avec son équipe. Peu avant 3h30, il s’est mis au volant de son véhicule automobile pour rentrer chez lui.

A Savigny, sur la route principale de Lausanne à Bulle, le 01.01.2017, vers 3h45, après un panneau indiquant la fin de la limitation de vitesse à 60 km/h, alors qu’il circulait au volant de sa voiture à une vitesse comprise entre 70 et 75 km/h, feux de croisement enclenchés, sur un tronçon rectiligne et humide qui était dépourvu d’éclairage public, A.__ a aperçu seulement tardivement D.B.__, qui portait des vêtements sombres et qui se trouvait debout sur la partie gauche de sa voie de circulation. A.__ a alors freiné, heurtant quasiment simultanément D.B.__ – qui était de dos – à la face postérieure de la jambe droite. Ce dernier a chuté sur le véhicule et a été emporté sur une distance de 27 mètres, avant d’être projeté au sol. A.__ a immobilisé sa voiture sur la partie droite de la chaussée et s’est immédiatement rendu auprès de D.B.__ pour lui porter secours.

Cette nuit-là, des nappes de brouillard étaient présentes par intermittence. Au moment des faits, la visibilité était bonne et il n’y avait pas de brouillard à l’endroit où l’accident s’est produit.

Après l’intervention des secours, D.B.__ a été acheminé au CHUV où sa mort cérébrale a été constatée le 02.01.2017. Dans son rapport, le Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après: CURML) a conclu que le décès de D.B.__ était la conséquence d’un traumatisme cranio-cérébral sévère. L’analyse de l’ensemble des données a permis au CURML de conclure que la collision s’était probablement produite entre l’avant gauche de la voiture et l’arrière de la victime, laquelle était debout lors de l’accident.

La police a établi un rapport préalable le 01.01.2017 puis un autre rapport le 07.04.2017. Durant l’intervention de la police sur les lieux de l’accident, le brouillard était présent par intermittence. La police cantonale a établi un cahier technique contenant notamment un cahier de photographies de la route sur laquelle circulait A.__, du lieu de l’accident et de la voiture du prénommé, des vues scanner 3D et des relevés techniques. Les photographies montrent une route cantonale rectiligne dépourvue d’éclairage public, de trottoir et de passage piéton, bordée d’un côté par une forêt la surplombant et de l’autre par une zone industrielle située en contrebas d’un talus et délimitée par une barrière.

Le casier judiciaire suisse de A.__ fait état d’une condamnation à une peine pécuniaire de 25 jours-amende avec sursis et à une amende, prononcée le 28.03.2013 par le ministère public de l’arrondissement de Lausanne, pour conduite en état d’incapacité de conduire (taux d’alcool qualifié). Selon l’extrait de son fichier ADMAS, A.__ a fait l’objet de sept mesures administratives en matière de circulation routière entre 2002 et 2013, à savoir deux avertissements pour vitesse excessive, deux avertissements pour conduite en état d’ébriété, deux retraits de permis de conduire d’une durée d’un mois pour vitesse excessive et un retrait de permis de conduire d’une durée de quatre mois pour conduite en état d’ébriété qualifié.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 01.02.2019, le Tribunal de police a reconnu A.__ coupable d’homicide par négligence et l’a condamné à une peine pécuniaire de 75 jours-amende à 50 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans. A.__ a été condamné à verser aux parents de D.B.__ des indemnités à titre de dommages et intérêts ainsi qu’en réparation du tort moral subi.

Par jugement du 02.10.2019 (arrêt 328 [PE17.000001-MRN/AWL]), admission partielle de l’appel formé par A.__ par la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal, concernant la quotité de la peine, qu’elle a ramenée à 30 jours-amende à 50 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans. Elle l’a rejeté pour le surplus. Les appels joints des parents de D.B.__ ont été rejetés.

La Cour d’appel pénale a retenu que A.__ a fait preuve d’une inattention de plusieurs secondes contraire aux art. 31 al. 1 LCR et 3 al. 1 OCR. S’il avait voué toute l’attention que l’on pouvait attendre de lui à la route, il aurait pu voir suffisamment tôt la victime qui se trouvait debout, ce qui lui aurait permis de freiner et de dévier sa trajectoire pour tenter d’éviter le choc. En définitive, elle a retenu que A.__ n’est pas resté constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence et qu’il a fait preuve d’une inattention fautive. La cour cantonale a admis la causalité naturelle et adéquate et a exclu une rupture de cette dernière, relevant que la présence d’un piéton au milieu d’une route cantonale, à un endroit qui n’est ni désert ni isolé, n’est pas à ce point insolite et imprévisible qu’elle relègue à l’arrière-plan la faute du conducteur qui l’a heurté.

 

TF

Aux termes de l’art. 117 CP, celui qui, par négligence, aura causé la mort d’une personne sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Selon l’art. 12 al. 3 CP, agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L’imprévoyance est coupable quand l’auteur n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle.

Une condamnation pour homicide par négligence nécessite la réalisation de trois éléments constitutifs, à savoir le décès d’une personne, une négligence, ainsi qu’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre les deux premiers éléments (ATF 122 IV 145 consid. 3 p. 147; cf. arrêt 6B_704/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.1).

 

 

Négligence

Deux conditions doivent être remplies pour qu’il y ait négligence :

  • En premier lieu, il faut que l’auteur viole les règles de la prudence, c’est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d’autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s’il apparaît qu’au moment des faits, son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d’autrui. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut donc se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d’associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence.
  • En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1 p. 158; 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64 et références citées).

S’agissant d’un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140; 122 IV 133 consid. 2a p. 135).

L’art. 31 al. 1 LCR prescrit que le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence. Cela signifie qu’il doit être à tout moment en mesure de réagir utilement aux circonstances (arrêts 6B_1300/2019 du 11 février 2020 consid. 1.3; 6B_221/2018 du 7 décembre 2018 consid. 2.2). L’art. 3 al. 1 de l’ordonnance sur les règles de la circulation routière (OCR; RS 741.11) précise notamment que le conducteur vouera son attention à la route et à la circulation. Le degré de l’attention requise par l’art. 3 al. 1 OCR s’apprécie au regard des circonstances d’espèce, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l’heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles (ATF 137 IV 290 consid. 3.6 p. 295 et les références citées; arrêt 6B_1300/2019 du 11 février 2020 consid. 1.3).

Compte tenu des circonstances du cas d’espèce, dont l’arbitraire n’a pas été démontré, impliquant un véhicule sur un tronçon rectiligne à la sortie d’une zone limitée à 60 km/h, la nuit du réveillon, la visibilité étant bonne, il pouvait être attendu de A.__ – qui avait travaillé de nuit et rentrait à une heure tardive –, qu’il voue toute son attention à la route et garde la maîtrise de son véhicule de sorte à éviter un obstacle sur sa propre voie de circulation.

En tant que A.__ conteste avoir fait preuve d’inattention, son grief repose sur son appréciation des faits tels qu’ils auraient dû être retenus, selon lui, par la cour cantonale. Dans cette mesure, sa critique est vaine, les circonstances de l’accident ayant été établies sans arbitraire. La cour cantonale pouvait, sans violer le droit fédéral, retenir qu’en vouant toute l’attention que l’on pouvait attendre de lui à la route, A.__ aurait pu apercevoir la victime et freiner ou dévier sa trajectoire pour tenter d’éviter le choc.

A.__ ne saurait rien déduire en sa faveur de la règle selon laquelle le conducteur doit avant tout porter attention, outre sur sa propre voie de circulation, sur les dangers auxquels on doit s’attendre et peut ne prêter qu’une attention secondaire à d’éventuels comportements inhabituels ou aberrants (cf. ATF 122 IV 225 consid. 2c p. 228; arrêt 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.2.1), dans la mesure où, en l’espèce, le danger se présentait précisément sur sa propre voie et dans son sens de circulation, sur lesquels il devait porter toute son attention.

Pour le surplus, c’est en vain que A.__ prétend avoir fait preuve de toute la prudence recommandée en roulant entre 70 et 75 km/h sur un tronçon limité à 80 km/h, dès lors qu’aucun excès de vitesse ne lui est reproché, et étant établi que la visibilité était bonne, sans que l’usage des feux de croisement ne remette en cause cet aspect d’après les constatations cantonales.

 

Rupture du lien de causalité

Un comportement est la cause naturelle d’un résultat s’il en constitue l’une des conditions sine qua non, c’est-à-dire si, sans lui, le résultat ne se serait pas produit; il s’agit là d’une question de fait (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61; 138 IV 1 consid. 4.2.3.3 p. 9). Lorsque la causalité naturelle est établie, il faut encore rechercher si le comportement incriminé est la cause adéquate du résultat. Tel est le cas lorsque, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s’est produit. Il s’agit d’une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61; 133 IV 158 consid. 6.1 p. 168). Selon la jurisprudence, la causalité adéquate sera admise même si le comportement de l’auteur n’est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le résultat soit dû à d’autres causes, notamment à l’état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers (ATF 131 IV 145 consid. 5.2 p. 148). Il y a en revanche rupture de ce lien de causalité adéquate, l’enchaînement des faits perdant sa portée juridique, si une autre cause concomitante – par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou celui d’un tiers – propre au cas d’espèce constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. Cependant, cette imprévisibilité de l’acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l’auteur (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 p. 265 s.; 133 IV 158 consid. 6.1 p. 168).

En matière de circulation routière, le Tribunal fédéral a jugé que la présence inattendue d’un piéton traversant une autoroute n’était pas plus imprévisible que celle d’animaux errants ou blessés, de victimes d’accidents, d’objets tombés sur la chaussée ou de véhicules immobilisés, de tels obstacles n’étant pas considérés si rares qu’on puisse en faire abstraction sur une autoroute (ATF 100 IV 279 consid. 3d p. 284). Dans un arrêt concernant un piéton cheminant sur une route cantonale vers 22h30, ce comportement n’a pas été considéré comme étant exceptionnel au point d’interrompre le lien de causalité entre le comportement fautif du conducteur automobile et le décès de la victime (arrêt 6B_1023/2010 du 3 mars 2011 consid. 3.2).

En l’espèce, le lien de causalité naturelle n’est pas discuté.

Une inattention fautive de plusieurs secondes au volant d’un véhicule automobile circulant entre 70 et 75 km/h, à la sortie d’une zone limitée à 60 km/h, sur une route principale qui longe une zone industrielle, de nuit, favorise l’avènement d’un accident.

Si la présence d’un piéton au milieu d’une route principale en pleine nuit est inhabituelle, elle n’est pas extraordinaire, le soir du réveillon, connu comme étant un événement festif impliquant notamment de la consommation d’alcool et des comportements inattendus sur les routes, en particulier au moment du retour au domicile. Aussi, le comportement de la victime portant des vêtements sombres et se tenant debout au milieu de la chaussée, est certes dangereux, il n’apparaît toutefois pas extraordinaire au point de reléguer à l’arrière-plan le comportement fautif de l’auteur.

La cour cantonale n’a pas ignoré le comportement dangereux de la victime mais a considéré qu’il s’agissait d’une faute concomitante qui n’était pas insolite et imprévisible au point de reléguer à l’arrière-plan la faute de A.__ et d’interrompre le lien de causalité. Ce raisonnement ne souffre aucune contradiction, contrairement à ce que suggère A.__. Partant, la faute de la victime, autant qu’elle n’est pas interruptive du lien de causalité, est sans pertinence dès lors qu’il n’existe pas de compensation des fautes en droit pénal (ATF 122 IV 17 consid. 2c/cc p. 24; arrêt 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.3.2).

La présente affaire se distingue de celles dont se prévaut A.__, dans lesquelles une rupture du lien de causalité a été retenue au motif que la victime s’était soudainement élancée sur la chaussée lors du passage de la voiture (arrêt 6S.287/2004 du 24 septembre 2004 consid. 2.5), ou la victime s’était couchée sans raison sur les voies d’une autoroute (arrêt 6B_291/2015 du 18 janvier 2016 consid. 3.2, qui distingue expressément ce comportement de celui d’une personne qui déambule de manière inconsciente sur la route). Aussi, A.__ ne saurait rien en déduire en sa faveur.

En définitive, c’est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale a admis la causalité naturelle et adéquate entre la négligence fautive de A.__ et le décès de la victime et a exclu la rupture du lien de causalité.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 6B_71/2020 consultable ici

 

 

6B_259/2019+6B_286/2019 (f) du 02.04.2019 – Homicide par négligence – Commande sur un site internet en conduisant une automobile / 111 CP – 90 al. 2 LCR – 31 al. 1 LCR

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_259/2019+6B_286/2019 (f) du 02.04.2019

 

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Homicide par négligence – Commande sur un site internet en conduisant une automobile / 111 CP – 90 al. 2 LCR – 31 al. 1 LCR

Homicide par négligence vs Meurtre par dol éventuel

 

X.__ est né en 1990, sans inscription au casier judiciaire. Du registre administratif, il ressort qu’il a conduit un cyclomoteur à l’âge de 16 ans, alors qu’il n’avait pas de permis de conduire et qu’il a été sanctionné en 2011 par un avertissement pour un excès de vitesse et a subi un retrait de permis de conduire d’un mois pour un nouvel excès de vitesse.

Le 01.09.2016, sur une route cantonale, X.__ se rendait à son travail au volant de sa voiture. Durant ce trajet, il a manipulé à diverses reprises son téléphone portable. Lorsqu’il a bifurqué à gauche afin de gagner le parking d’une entreprise, il n’a pas accordé la priorité à G.__, qui circulait en sens inverse au guidon de son scooter. Ce dernier a freiné énergiquement et a chuté sur la chaussée. Il a glissé sur plusieurs mètres pour venir heurter, avec l’avant de son motocycle, la roue avant droite et l’angle du pare-chocs de l’automobile. Le scootériste s’est trouvé coincé sous l’avant de l’automobile, laquelle lui a passé sur le corps et l’a traîné sur une longueur de plus de 16 m avant de s’immobiliser contre la bordure sise à droite du parking de l’entreprise. Le scootériste est décédé sur place.

De l’expertise de la police scientifique, l’écran tactile du téléphone portable ne pouvait être activé que par un élément électriquement conducteur d’électricité, comme le corps humain, un objet métallique ou de l’eau, que les intervalles entre les requêtes des différentes pages Internet étaient « humainement cohérents » et que la phase de recherche sur le site Internet « H.________ » et la phase de commande avaient été entrecoupées par l’envoi de deux sms à la compagne de l’automobiliste, si bien qu’il avait été nécessaire d’ouvrir à nouveau le navigateur afin d’afficher le site précité.

Le rapport de la police scientifique permettait d’exclure une activité « spontanée » du téléphone portable, qui aurait passé les commandes auprès du site d’achat par frottement de l’appareil sans intervention de l’automobiliste. Un autre rapport décrivait dans le détail l’activité de l’intéressé et les nombreuses manipulations du téléphone portable accomplies pour se connecter au site Internet, choisir un article et procéder au paiement par le site « I.________ ». L’extraction des données avait révélé que la connexion avec le site « H.________ » avait eu lieu à 07:14:33, soit 2 minutes et 4 secondes avant l’accident. La dernière connexion au site précité avait eu lieu à 07:16:22 et le choc s’était produit au plus tard à 07:16:37. Selon la cour cantonale, de nombreuses manipulations étaient nécessaires pour effectuer une commande sur le site concerné puis payer celle-ci. Par ailleurs, le fait que l’automobiliste eût parcouru, après le choc, une distance de 16,8 m avant de s’immobiliser constituait un indice supplémentaire de son manque d’attention dans la circulation.

Lorsqu’il lui a été demandé à quels risques il avait exposé sa fille et les autres usagers de la voie publique en conduisant tout en manipulant son téléphone, l’intéressé a répondu ce qui suit : « Je me rendais bien compte que c’était dangereux. Je ne me suis pas rendu compte sur le moment des risques que je prenais. Je n’étais pas à mon affaire ce jour-là. » Ensuite, l’automobiliste a ajouté ce qui suit : « J’avais bien conscience du risque de causer un accident mortel en utilisant un téléphone tout en conduisant. Cela étant, le jour de l’accident, je n’étais vraiment pas à mon affaire au vu des soucis que j’avais. »

Par jugement du 08.11.2017, le Tribunal criminel des Montagnes et du Val-de-Ruz a condamné X.__, pour infractions à l’art. 90 al. 2 LCR en lien avec l’art. 31 al. 1 LCR et pour homicide par négligence, à une peine privative de liberté de 14 mois, avec sursis durant deux ans.

Par jugement du 13.11.2018, la Cour pénale du Tribunal cantonal, statuant sur l’appel du ministère public et sur l’appel joint formé par X.__ contre ce jugement, a réformé celui-ci en ce sens que le prénommé est condamné à une peine privative de liberté de deux ans, avec sursis durant deux ans. La cour cantonale a considéré que les éléments au dossier permettaient de retenir que X.__ avait alors bien utilisé son téléphone, sans qu’il soit besoin de mettre en œuvre une expertise visant à déterminer si un tel appareil était susceptible, sans intervention humaine, d’afficher la succession de pages concernées.

 

TF

L’art. 111 CP punit d’une peine privative de liberté de cinq ans au moins celui qui aura intentionnellement tué une personne. Selon l’art. 12 al. 2 CP, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L’auteur agit déjà avec intention, sous la forme du dol éventuel, lorsqu’il tient pour possible la réalisation de l’infraction et l’accepte pour le cas où celle-ci se produirait.

Déterminer ce qu’une personne a su, envisagé, voulu ou accepté relève du contenu de sa pensée, à savoir de faits « internes », partant, des constatations de fait (ATF 142 IV 137 consid. 12 p. 152; 141 IV 369 consid. 6.3 p. 375). Est en revanche une question de droit celle de savoir si l’autorité cantonale s’est fondée sur une juste conception de la notion de dol éventuel et si elle l’a correctement appliquée au vu des éléments retenus (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 p. 4 s.). Il y a dol éventuel lorsque l’auteur envisage le résultat dommageable et agit, même s’il ne le souhaite pas, parce qu’il s’en accommode pour le cas où il se produirait (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 p. 4). Parmi les éléments extérieurs permettant de conclure que l’auteur s’est accommodé du résultat dommageable pour le cas où il se produirait figurent notamment la probabilité, connue par l’auteur, de la réalisation du risque et l’importance de la violation du devoir de prudence. Plus celle-ci est grande, plus sera fondée la conclusion que l’auteur, malgré d’éventuelles dénégations, a accepté l’éventualité de la réalisation du résultat dommageable (ATF 138 V 74 consid. 8.4.1 p. 84; 135 IV 12 consid. 2.3.3 p. 18). Ainsi, le dol éventuel peut notamment être retenu lorsque la réalisation du résultat devait paraître suffisamment vraisemblable à l’auteur pour que son comportement ne puisse raisonnablement être interprété que comme une acceptation de ce risque (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 p. 4; 133 IV 222 consid. 5.3 p. 226).

En cas d’accidents de la circulation routière ayant entraîné des lésions corporelles et la mort, le dol éventuel ne doit être admis qu’avec retenue, dans les cas flagrants pour lesquels il résulte de l’ensemble des circonstances que le conducteur s’est décidé en défaveur du bien juridiquement protégé. Par expérience, on sait que les conducteurs sont enclins, d’une part, à sous-estimer les dangers et, d’autre part, à surestimer leurs capacités, raison pour laquelle ils ne sont pas conscients, le cas échéant, de l’étendue du risque de réalisation de l’état de fait (ATF 133 IV 9 consid. 4.4 p. 20; arrêt 6B_987/2017 du 12 février 2018 consid. 3.1 et les références citées). En outre, par sa manière risquée de conduire, un conducteur peut devenir sa propre victime. C’est pourquoi, en cas de conduite dangereuse, par exemple en cas de manœuvre de dépassement téméraire, on admet en principe qu’un automobiliste, même s’il est conscient des conséquences possibles et qu’il y a été rendu formellement attentif, pourra naïvement envisager – souvent de façon irrationnelle – qu’aucun accident ne se produira. L’hypothèse selon laquelle le conducteur se serait décidé en défaveur du bien juridiquement protégé et n’envisagerait plus une issue positive au sens de la négligence consciente ne doit par conséquent pas être admise à la légère (ATF 130 IV 58 consid. 9.1.1 p. 64 s.; arrêt 6B_987/2017 précité consid. 3.1 et les références citées).

La cour cantonale a considéré qu’il était impossible de retenir que l’automobiliste se serait décidé en faveur d’une issue fatale, qu’il aurait envisagé le résultat de son acte comme possible et l’aurait accepté pour le cas où il se produirait. La faute commise était certes grave puisque l’intéressé avait circulé entre 07:14:33 et 07:16:37 en faisant usage de son téléphone portable, à une heure où la circulation pouvait être importante. L’automobiliste connaissait bien les lieux et le trajet qu’il empruntait quotidiennement depuis six années. La visibilité était bonne et le trafic dense mais fluide. La vitesse de son véhicule était plutôt lente au moment où l’automobiliste avait obliqué à gauche et le clignoteur avait été enclenché. L’intéressé avait en outre bien dû regarder devant lui pour savoir à quelle hauteur il convenait de bifurquer à gauche, de sorte qu’il n’avait pas circulé totalement « à l’aveugle ». L’inattention dont avait fait preuve l’automobiliste relevait donc de la négligence et il ne pouvait être retenu qu’une tournure fatale des événements devait s’imposer à ce dernier avec une vraisemblance telle que son comportement ne pouvait être raisonnablement interprété que comme l’acceptation de ce résultat.

Le raisonnement de la cour cantonale ne prête pas le flanc à la critique. Il ne ressort pas du jugement attaqué que l’automobiliste aurait conduit « quasiment à l’aveugle » durant le trajet ayant précédé l’accident, mais seulement qu’il a été distrait par l’utilisation de son téléphone portable et qu’il n’a pas aperçu G.__ car son attention n’était pas entièrement consacrée au trafic. Malgré cette distraction, l’automobiliste a réduit sa vitesse à 20 km/h en approchant de l’entreprise et a enclenché son indicateur de direction. Il a en outre observé le trafic – à tout le moins brièvement – et remarqué les voitures qui suivaient directement le scooter. Il n’apparaît donc pas que l’automobiliste aurait obliqué à gauche « à l’aveugle » (cf. arrêt 6B_411/2012 du 8 avril 2013), en laissant dépendre du hasard la survenance d’un usager de la circulation en sens inverse et une éventuelle collision. Ainsi, malgré le comportement négligent de l’automobiliste, on ne saurait considérer que la perspective d’une collision devait lui paraître suffisamment vraisemblable pour que la manœuvre de changement de direction litigieuse dût être interprétée comme une acceptation de ce risque.

En conséquence, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en refusant de condamner l’automobiliste pour meurtre par dol éventuel.

 

Le TF rejette le recours du ministère public (6B_259/2019) et celui de X.__ (6B_286/2019).

 

 

Arrêt 6B_259/2019+6B_286/2019 consultable ici

 

 

6B_999/2015+6B_1003/2015 (f) du 28.09.2016 – Homicide par négligence – 117 CP – Méningite chez un enfant / Règles de l’art médical – Violation du devoir de diligence du médecin

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_999/2015+6B_1003/2015 (f) du 28.09.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2tYvddX

 

Homicide par négligence – 117 CP – Méningite chez un enfant

Règles de l’art médical – Violation du devoir de diligence du médecin

Négligence – 12 al. 3 CP – Causalité naturelle et adéquate

 

Le dimanche 10.05.2009, l’enfant D.__, née en 2008, a commencé à avoir de la fièvre dans le courant de la journée. Son état fébrile a perduré. Le lendemain (11.05.2009) vers 9h00, auscultation par son pédiatre : diagnostic d’infection des voies respiratoires supérieures avec début de laryngite et prescription d’un humidificateur pour la gorge et, en cas de fièvre, la prise de « méfenacid » et de « dafalgan ».

L’état fébrile a perduré. Le mercredi 13.05.2009, vers 9h15, l’enfant D.__ a eu des convulsions et a vomi ; elle a été amenée en urgence au cabinet du pédiatre où elle présentait un état hautement fébrile (40 °C), un état général diminué, des mouvements spastiques de l’hémiface gauche, avec des clignements de paupières à l’œil gauche, des mouvements tonico-cloniques des membres inférieur et supérieur gauches. Après de nouvelles convulsions, le pédiatre a fait appeler le Service mobile d’urgence et de réanimation (ci-après: SMUR). Dans son dossier, le pédiatre a indiqué les diagnostics d’otite moyenne aiguë gauche et de convulsions focales atypiques secondaires à une infection bactérienne. Il a également porté en marge de ces diagnostics les mentions « Méningite ? » « Abcès ? », sans néanmoins en faire part ni aux parents, ni au SMUR.

Admission le 13.05.2009 à 10h32 au service des urgences de l’hôpital. Aucun autre examen particulier complémentaire n’a été ordonné. Lors de son admission aux urgences, l’enfant D.__ était endormie. Sa fièvre était tombée à 38.5 °C. Quand elle s’est réveillée, environ 15 minutes plus tard, une paralysie de la commissure labiale gauche subsistait mais l’enfant bougeait le front et clignait les yeux. Le test de Glasgow était à 14.

L’enfant a été admise à 11h40 au Service de pédiatrie de l’hôpital, successivement sous la responsabilité de la Dresse Y.__, médecin cadre et superviseur, responsable des urgences pédiatriques, de la pédiatrie, de la salle d’accouchement et de la maternité, et Dresse X.__, médecin cheffe de clinique adjointe, ainsi que de trois médecins assistantes. Son hospitalisation dans le Service de pédiatrie a été décidée avec, comme diagnostic, « convulsions fébriles complètes avec récupération neurologique prolongée mais totale » et, comme soins, une surveillance de type « soins continus » (monitoring cardiaque et saturation de l’oxygène dans le sang) et un contrôle des paramètres vitaux « aux heures ».

Un avis au service de neuropédiatrie du CHUV a été demandé lors de deux contacts téléphoniques avec le chef de clinique au service de neuropédiatrie. Ce dernier a envisagé le diagnostic différentiel suivant: méningite, hémorragie intracrânienne, convulsions fébriles complexes sur infection extra neurologique et convulsion sur une malformation cérébrale décompensée par une infection extra neurologique. Il a recommandé, sur la base des éléments qui lui avaient été communiqués oralement, une surveillance de l’enfant et, en cas de crise ou de modification de son état, une alerte au service de neuropédiatrie du CHUV, ainsi qu’une consultation au CHUV dans un délai de 24 à 48 heures. Entendu par le procureur, ce médecin a déclaré qu’au vu de la lecture qui lui était faite du « dossier patient ambulatoire », postérieur aux deux entretiens téléphoniques, la récupération n’était pas totale mais montrait en plus une aggravation nette par rapport à l’état qui lui avait été décrit précédemment. Si on avait pris la peine de le rappeler, deux heures plus tard, la situation aurait selon lui été différente et il aurait fallu reconsidérer le diagnostic du matin. L’enfant aurait dû pouvoir bénéficier d’un transfert en soins intensifs de pédiatrie et d’une antibiothérapie.

A 15h30, l’enfant D.__ a vomi un biberon de lait. La Dresse X.__ a procédé à ce moment-là à un examen clinique neurologique complet de l’enfant, qu’elle a jugé rassurant. L’enfant ne présentait pas de signes focaux, pas d’asymétrie. L’état de conscience était maximal (Glasgow 15). Il n’y avait pas de signes méningés. La poursuite de la surveillance telle que précédemment a été prévue. A 16h30, l’enfant D.__ a encore vomi. La température corporelle de l’enfant était de 36 °C à 18h30.

Le jeudi 14.05.2009 vers 2h00, l’enfant D.__ a une nouvelle fois présenté des convulsions avec une asymétrie des mouvements et un hémicorps gauche inerte. La Dresse Y.__ a réalisé un examen neurologique qui a révélé des signes d’asymétrie pupillaire, des mouvements saccadés du membre supérieur droit, l’absence de mouvements à gauche et un trouble de l’état de conscience (Glasgow à 9/10). Un scanner cérébral, qui a pu être effectué vers 4h45, a mis en évidence des lésions cérébrales. Entre 5h30 et 6h00, la Dresse Y.__ a ordonné une nouvelle prise de sang et l’administration d’antibiotiques (Rocephin) à dose méningée.

Le jeudi 14.05.2009 vers 7h00, l’enfant D.__ a été transportée au CHUV. Dans la matinée, une craniectomie de décompression a été pratiquée, qui a permis de constater la présence d’une méningite importante avec la présence d’abcès. D.__ est décédée au CHUV dans la soirée du vendredi 15.05.2009 d’une méningo-encéphalite à pneumocoques.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 06.12.2013, le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de La Côte a libéré les Dresses X.__ et Y.__ du chef d’accusation d’homicide par négligence.

Statuant le 09.03.2015 sur appel des parents ainsi que du Ministère public, la Cour d’appel du Tribunal cantonal du canton de Vaud a modifié le jugement précité et reconnu X.__ et Y.__ coupables d’homicide par négligence. Elle les a condamnées à une peine de 30 jours-amende avec sursis pendant deux ans – le montant du jour-amende étant fixé à 70 fr. pour X.__ et 100 fr. pour Y.__ – ainsi que, solidairement entre elles, au versement d’une indemnité pour tort moral de 30’000 fr. à chacun des deux parents.

 

 

TF

Règles de l’art médical

Le médecin ne viole son devoir de diligence que lorsqu’il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre méthode qui, selon l’état général des connaissances professionnelles, n’apparaît plus défendable et ne satisfait ainsi pas aux exigences objectives de l’art médical (ATF 134 IV 175 consid. 3.2 p. 177; 130 IV 7 consid. 3.3 p. 12).

Les règles de l’art médical constituent des principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens (ATF 133 III 121 consid. 3.1 p. 124).

Savoir si le médecin a violé son devoir de diligence est une question de droit; dire s’il existe une règle professionnelle communément admise, quel était l’état du patient et comment l’acte médical s’est déroulé relève du fait (ATF 133 III 121 consid. 3.1 p. 124).

Selon la jurisprudence, le juge apprécie en principe librement une expertise et n’est pas lié par les conclusions de l’expert. Toutefois, il ne peut s’en écarter que lorsque des circonstances ou des indices importants et bien établis en ébranlent sérieusement la crédibilité; il est alors tenu de motiver sa décision de ne pas suivre le rapport d’expertise. Inversement, si les conclusions d’une expertise judiciaire apparaissent douteuses sur des points essentiels, le juge doit recueillir des preuves complémentaires pour tenter de dissiper ses doutes. A défaut, en se fondant sur une expertise non concluante, il pourrait commettre une appréciation arbitraire des preuves et violer l’art. 9 Cst. (ATF 141 IV 369 consid. 6.1 p. 372 s.; 133 II 384 consid. 4.2.3 p. 391). La crédibilité d’une expertise est notamment ébranlée si l’expert ne répond pas aux questions qui lui sont posées, s’il ne motive pas ses conclusions, si ces dernières sont contradictoires ou si l’expertise est entachée de lacunes telles qu’elles sont reconnaissables sans connaissance spécifique (ATF 141 IV 369 consid. 6.1 p. 372 s.).

S’agissant des règles de l’art médical, à savoir les principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens, il ressort du jugement entrepris que l’expert et les médecins ont relevé ce qui suit.

Selon l’expertise judiciaire, l’exclusion d’une méningite bactérienne dans le cadre de la médecine d’urgence pédiatrique relève de la plus grande priorité, elle est enseignée dans les universités ainsi que dans le cadre de la formation du médecin visant à devenir spécialiste en pédiatrie et est généralement reconnue nécessaire, comme mentionné dans la littérature. L’expert indique qu’un comportement prudent, visant la sécurité et cherchant à éviter le pire aurait exigé la prise des mesures d’urgence (formule sanguine, CRP, hémoculture, antibiotiques empiriques, CT/MR, éventuellement une ponction lombaire). Il ajoute qu’en cas de doute, un médecin expérimenté prend en considération le diagnostic le moins favorable, à savoir, in casu, la possibilité d’une méningite bactérienne. Compte tenu des paramètres vitaux anormaux, un monitoring continu au moyen d’un IMC ou un suivi en soins intensifs aurait été indiqué. L’expert ajoute qu’au plus tard après le deuxième épisode épileptique (à savoir le 14.05.2009 à 2h00), il aurait été urgemment indiqué de répéter les analyses de laboratoire, d’administrer immédiatement un antibiotique par intraveineuse. Il relève qu’en présence des résultats sanguins (leucocytes et CRP), l’administration empirique d’un antibiotique i.v. aurait dû avoir lieu. Aux débats, l’expert a précisé que c’était l’analyse de l’ensemble des symptômes qui donnait une indication à une thérapie empirique par antibiotiques, à quoi s’ajoutait encore l’âge du patient, ceux âgés de moins de 24 mois ayant un risque beaucoup plus élevé pour des infections bactériennes invasives. Pour cette raison, un traitement empirique était très important avant de poser un diagnostic précis et définitif.

D’après l’expertise, les mesures nécessaires ont été prises avec du retard et, dans la perspective de la prévention du « worst case scenario », pas dans le bon ordre. Il précise que l’antibiothérapie aurait dû intervenir plus tôt (que le 14.05.2009 vers 6h00), au plus tard après la prise de connaissance des résultats d’analyse de laboratoire du 13.05.2009. A la question de savoir si les réponses précédentes données conduisent à conclure qu’un devoir de diligence/des règles de l’art médical ont été violés, respectivement si cette violation a provoqué le décès de D.__, l’expert répond qu’une antibiothérapie i.v. se serait imposée dans le cas de D.__ compte tenu du fait que l’examen sanguin avait révélé des signes d’infection et d’un état de pré-choc, et cela même si elle n’avait pas eu de fièvre complexe. Selon lui, il y avait eu violation d’un devoir de diligence individuelle, compte tenu du fait que le diagnostic correct avait été évoqué a priori, mais n’avait finalement pas été investigué de manière conséquente, respectivement n’avait finalement pas été exclu. A la question de savoir par qui un devoir de diligence/des règles de l’art médical ont été violés, l’expert répond qu’on peut reprocher aux Dresses X.__ et Y.__ une violation du devoir de diligence compte tenu du fait qu’elles n’ont pas immédiatement investigué respectivement exclu la méningite bactérienne dont fait état le diagnostic différentiel.

Constatant que le diagnostic initial et différentiel était correct, l’expert a relevé une mésestimation de la gravité de la situation, ce qui a entraîné un retard dans la mise en route d’un traitement curatif.

En définitive, c’est sans arbitraire que la cour cantonale a retenu que les Dresses X.__ et Y.__ ne s’étaient pas conformées aux règles médicales.

 

Négligence – 12 al. 3 CP

L’art. 117 CP réprime le comportement de celui qui, par négligence, aura causé la mort d’une personne. La réalisation de cette infraction suppose ainsi la réunion de trois conditions: le décès d’une personne, une négligence et un lien de causalité naturel et adéquat entre la négligence et la mort (cf. ATF 122 IV 145 consid. 3 p. 147).

Selon la jurisprudence, la particularité de l’art médical réside dans le fait que le médecin doit, avec ses connaissances et ses capacités, tendre vers le résultat désiré, mais n’a pas l’obligation de l’atteindre ou même de le garantir. Les exigences que le devoir de prudence impose au médecin sont fonction des circonstances du cas d’espèce, notamment du genre d’intervention ou de traitement, des risques qui y sont liés, du pouvoir de jugement ou d’appréciation laissé au médecin, des moyens à disposition et de l’urgence de l’acte médical. La responsabilité pénale du médecin n’est pas limitée à la violation grave des règles de l’art médical. Il doit au contraire toujours soigner ses malades de façon appropriée et, en particulier observer la prudence imposée par les circonstances pour protéger leur vie ou leur santé. Par conséquent, le médecin répond en principe de tout manquement à ses devoirs (ATF 130 IV 7 consid. 3.3 p. 11 s. et les références citées).

La notion de manquement à ses devoirs ne doit cependant pas être comprise de telle manière que chaque acte ou omission qui, par un jugement a posteriori, aurait provoqué le dommage ou l’aurait évité, entrerait dans cette définition. Le médecin ne doit en principe pas répondre des dangers et des risques qui sont inhérents à tout acte médical ainsi qu’à toute maladie. Par ailleurs, l’état de la science médicale confère souvent une latitude de jugement au médecin, tant en ce qui concerne le diagnostic que les mesures thérapeutiques ou autres, ce qui permet de faire un choix parmi les différentes possibilités qui entrent en considération. Le médecin ne viole son devoir de diligence que lorsqu’il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre méthode qui, selon l’état général des connaissances professionnelles, n’apparaît plus défendable et ne satisfait ainsi pas aux exigences objectives de l’art médical (ATF 134 IV 175 consid. 3.2 p. 177 s.; 130 IV 7 consid. 3.3 p. 12).

Même si le médecin dispose d’une grande latitude pour décider ce qu’il doit faire ou pas dans un cas particulier, les Dresses X.__ et Y.__ ont ici outrepassé leur marge d’appréciation en ne faisant pas tout ce qui était en leur pouvoir pour exclure le risque d’une méningite bactérienne, ce qui, dans un cas d’urgence pédiatrique comme en l’espèce, relevait de la plus grande priorité. Ainsi que le retient la cour cantonale, cela constitue une négligence fautive : le choix de l’inaction était indéfendable dès lors que les Dresses X.__ et Y.__ ne pouvaient ignorer que la méningite peut évoluer de manière foudroyante d’une part et que, d’autre part, les gestes salvateurs étaient faciles et sûrs (traitement par antibiotiques et/ou examens complémentaires).

Dans le cas d’espèce, compte tenu de l’expérience et des statuts de médecins-cadres des Dresses X.__ et Y.__, la cour cantonale n’a pas procédé à une mauvaise application du droit fédéral en considérant qu’elles avaient violé leur devoir de diligence, prenant un risque inexcusable, en attendant sans investiguer plus avant ou en n’administrant pas d’antibiotiques à D.__ lors de son admission au service pédiatrique.

 

Causalité

En cas de violation du devoir de prudence par omission, il faut procéder par hypothèse et se demander si l’accomplissement de l’acte omis aurait, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, évité la survenance du résultat qui s’est produit, pour des raisons en rapport avec le but protecteur de la règle de prudence violée. Pour l’analyse des conséquences de l’acte supposé, il faut appliquer les concepts généraux de la causalité naturelle et de la causalité adéquate (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.1 p. 265 et les arrêts cités). L’existence de cette causalité dite hypothétique suppose une très grande vraisemblance; autrement dit, elle n’est réalisée que lorsque l’acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat (ATF 116 IV 182 consid. 4a p. 185). La causalité adéquate est ainsi exclue lorsque l’acte attendu n’aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu’il serait simplement possible qu’il l’eût empêché (arrêt 6B_1165/2015 du 20 avril 2016 consid. 2.2.1 et les références citées).

L’expert judiciaire a relevé qu’il était plus que probable qu’en cas de diagnostic rapide de méningite bactérienne, le décès aurait pu être évité. Il apparaît que, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, dans l’hypothèse où les Dresses X.__ et Y.__ avaient administré d’emblée des antibiotiques à l’enfant D.__, il est très vraisemblable qu’elle n’aurait pas succombé à la méningite; de même, si une surveillance suffisante avait été mise en place dans l’après-midi et en soirée, cela aurait permis de procéder à des vérifications, d’administrer des antibiotiques, et d’éviter ainsi l’issue fatale. Le lien de causalité a dès lors été établi à satisfaction de droit.

 

Le TF rejette le recours des Dresses X.__ et Y.__.

 

 

Arrêt 6B_999/2015+6B_1003/2015 consultable ici : http://bit.ly/2tYvddX