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8C_646/2023 (f) du 08.07.2024 – Manipulation ostéopathique de la colonne cervicale par un physiothérapeute – « Accident médical » / Acouphène (tinnitus) – Valeur probante des rapports des médecins vs du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_646/2023 (f) du 08.07.2024

 

Consultable ici

 

Manipulation ostéopathique de la colonne cervicale par un physiothérapeute – « Accident médical » – Notion d’accident niée / 4 LPGA

Lien de causalité naturelle – Acouphène (tinnitus) – Valeur probante des rapports des médecins vs du médecin-conseil

 

Assurée, née en 1980 employée de bureau, a fait annoncer le 17.09.2020 par son employeur qu’elle avait été victime, le 08.07.2020, de mauvaises manipulations lors d’une consultation au cabinet de physiothérapie C.__ Sàrl, qui lui auraient abîmé les cervicales (contusions). Selon les indications de l’assurée dans un questionnaire du 27.09.2020, le physiothérapeute D.__ avait pratiqué de fortes pressions sur son dos et sa nuque alors qu’elle était allongée sur le ventre ; en sortant du cabinet, des acouphènes étaient apparus. Le docteur E.__, spécialiste en oto-rhino-laryngologie (ORL), a fait état, dans son rapport initial du 27.09.2020, d’une augmentation d’une problématique acouphénique à la suite d’une manœuvre ostéopathique violente et d’une probable atteinte cochléo-vestibulaire ; il a posé le diagnostic d’acouphène droit invalidant et de déficit vestibulaire droit. Un rapport IRM de la colonne cervicale du 10.09.2020 constatait l’absence d’argument pour une autre lésion traumatique à l’étage cervical pouvant expliquer la symptomatologie; il n’y avait notamment pas de dissection des axes carotido-vertébraux.

L’assurance-accidents a requis l’avis de son médecin-conseil, spécialiste ORL. Celui-ci a estimé qu’il n’était pas probable que le massage pratiqué le 08.07.2020 ait déclenché des acouphènes à droite. Par décision du 04.03.2021, confirmée sur opposition le 13.10.2021, l’assurance-accidents a refusé d’allouer des prestations à l’assurée, au motif que son cas ne constituait ni un accident ni une lésion assimilée à un accident.

 

Procédure cantonale

L’assurée a interjeté, le 15.11.2021, un recours contre la décision sur opposition. Elle indiquait avoir introduit, le 02.09.2021, une requête de preuve à futur auprès de la juridiction civile, afin de clarifier les chances de succès d’une action en responsabilité civile contre le physiothérapeute par une expertise médicale. Partant, elle a demandé, à titre préalable, que la cour cantonale suspende la procédure jusqu’à droit connu sur la procédure de preuve à futur. À titre principal, elle a conclu à l’annulation de la décision sur opposition et au renvoi de la cause à l’assurance pour nouvelle instruction du dossier. Par ordonnance du 23.12.2021, la cour cantonale a suspendu la procédure jusqu’à réception du jugement relatif à la requête de preuve à futur ou de l’expertise médicale qui aurait été ordonnée. Constatant que l’assurée était toujours dans l’attente de la confirmation de mandat d’un centre d’expertise, la cour cantonale a informée celle-ci, en juin 2023, que le maintien de la suspension n’était plus concevable. Par arrêt du 07.09.2023, elle a rejeté le recours.

 

TF

Consid. 3.1
L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur; il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221; 129 V 402 consid. 2.1 p. 404 et les références).

Pour admettre la présence d’un accident, il ne suffit pas que l’atteinte à la santé trouve sa cause dans un facteur extérieur. Encore faut-il que ce facteur puisse être qualifié d’extraordinaire. Cette condition est réalisée lorsque le facteur extérieur excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante. Le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même (ATF 134 V 72 consid. 4.1; 129 V 402 consid. 2.1).

Le point de savoir si un acte médical est comme tel un facteur extérieur extraordinaire doit être tranché sur la base de critères médicaux objectifs. Le caractère extraordinaire d’une telle mesure est une exigence dont la réalisation ne saurait être admise que de manière sévère. Il faut que, compte tenu des circonstances du cas concret, l’acte médical s’écarte considérablement de la pratique courante en médecine et qu’il implique de ce fait objectivement de gros risques (ATF 121 V 35 consid. 1b; 118 V 283 consid. 2b; arrêt 8C_418/2018 du 12 juillet 2019 consid. 3.2, in SVR 2020 UV n° 9 p. 32). Le traitement d’une maladie en soi ne donne pas droit au versement de prestations de l’assureur-accidents, mais une erreur de traitement peut, à titre exceptionnel, être constitutive d’un accident, dès lors qu’il s’agit de confusions ou de maladresses grossières et extraordinaires, voire d’un préjudice intentionnel, avec lesquels personne ne comptait ni ne devait compter. La notion d’erreur médicale ne saurait en effet être étendue à toute faute du médecin, au risque de faire jouer à l’assurance-accidents le rôle d’une assurance de la responsabilité civile des fournisseurs de prestations médicales (arrêt 8C_234/2008 du 31 mars 2009 consid. 3.2, in SVR 2009 UV n° 47 p. 166). La question de l’existence d’un accident sera tranchée indépendamment du point de savoir si l’infraction aux règles de l’art dont répond le médecin entraîne une responsabilité (civile ou de droit public). Il en va de même à l’égard d’un jugement pénal éventuel sanctionnant le comportement du médecin (ATF 121 V 35 consid. 1b).

Consid. 3.2
Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose l’existence d’un lien de causalité à la fois naturelle et adéquate entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé (ATF 148 V 138 consid. 5.1.1). L’exigence du lien de causalité naturelle est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé: il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 142 V 435 consid. 1; ATF 129 V 177 consid. 3.1). La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 144 IV 285 consid. 2.8.2; ATF 139 V 176 consid. 8.4.2; ATF 129 V 177 consid. 3.2).

 

Consid. 4.1
L’assurée fait grief aux juges cantonaux d’avoir établi les faits de manière incomplète et erronée en considérant que le dossier était complet et en l’état d’être jugé. En particulier, ils auraient violé son droit d’être entendu en omettant d’ordonner une expertise indépendante ou de poursuivre la suspension jusqu’à droit connu sur sa demande de preuve à futur.

Consid. 4.2
Le droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision soit prise touchant sa situation juridique, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes ou de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 148 II 73 consid. 7.3.1; 145 I 73 consid. 7.2.2.1). Cette garantie constitutionnelle n’empêche pas le juge de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la conviction que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 140 I 285 consid. 6.3.1).

 

Consid. 5.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont examiné si la manipulation physiothérapeutique du 08.07.2020 pouvait être qualifiée d’accident. Ils ont constaté que le traitement effectué par le physiothérapeute, visant à traiter une instabilité ulnaire bilatérale, était conforme aux pratiques médicales normales et ne présentait pas de risques inhabituels. Les juges ont noté qu’il n’y avait pas de preuves d’une erreur de traitement ou d’une force excessive lors des manipulations. De plus, le délai entre l’événement et la première consultation médicale (27.08.2020), ainsi que le fait que l’assurée ait continué à recevoir des traitements et pris des vacances, suggérait que l’événement n’était pas perçu comme significatif. En conséquence, les juges cantonaux ont conclu que l’événement ne remplissait pas les critères pour être qualifié d’accident.

Consid. 5.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont également considéré que le lien de causalité entre la manipulation physiothérapeutique et les acouphènes de l’assurée était douteux. Bien que le premier spécialiste ORL ait suggéré une augmentation des acouphènes après une manœuvre ostéopathique, il n’a pas justifié cette affirmation. De même, la médecin ORL traitante a évoqué un acouphène somatosensoriel lié à une atteinte à la tête et au cou, mais sans établir un lien clair avec la physiothérapie. Les juges ont estimé que cette hypothèse reposait sur un raisonnement post hoc ergo propter hoc, inadmissible selon la jurisprudence (ATF 119 V 335 consid. 2b/bb). Les autres avis médicaux n’apportaient pas non plus de preuve convaincante d’un lien de causalité. En conséquence, le lien de causalité naturelle n’a pas été reconnu.

Consid. 5.3 [résumé]
Les juges cantonaux ont également mis en doute l’existence même d’une atteinte à la santé de l’assurée. Ils ont relevé que tous les examens médicaux effectués étaient normaux et qu’aucun élément objectif ne corroborait les plaintes de l’assurée, lesquelles constituaient la seule base des diagnostics posés. De plus, les plaintes de l’assurée avaient évolué au cours de la procédure, passant d’un acouphène droit à des acouphènes bilatéraux, sans explication, ce qui a contribué à décrédibiliser ses affirmations.

 

Consid. 6.1.1
En ce qui concerne le caractère accidentel de l’événement du 08.07.2020, l’assurée allègue que le médecin-conseil aurait lui-même indiqué que le dossier médical du physiothérapeute ne figurerait pas au dossier, « présageant ainsi un événement inhabituel » dans le traitement dispensé. Il aurait en outre mentionné ne pas être familier avec la pratique consistant à effectuer des massages cervicaux pour traiter une épicondylite. Les médecins de l’assurance-accidents auraient toutefois dû consulter l’intégralité du dossier de physiothérapie pour évaluer correctement la nature extraordinaire de l’acte prodigué par le thérapeute. Au vu des contradictions insurmontables sur cet élément pourtant fondamental, la cour cantonale aurait dû procéder à une instruction complémentaire ou attendre le résultat de la procédure civile visant la preuve à futur.

Le passage de l’appréciation du médecin-conseil, auquel se réfère l’assurée, a la teneur suivante: « In der Aktenlage liegt der Bericht des Physiotherapeuten nicht vor, aus dem etwas Ungewöhnliches bei der Behandlung hervorgehen würde. Wir sind nicht darüber informiert, was der Grund für die Physiotherapie-Behandlung mit Massagen im Halsbereich war. » [traduction personnelle : « Le dossier ne contient pas le rapport du physiothérapeute qui pourrait révéler quelque chose d’inhabituel lors du traitement. Nous ne sommes pas informés des raisons pour lesquelles la physiothérapie avec massages dans la région cervicale a été prescrite. »]

L’interprétation que l’assurée fait de ces phrases est erronée. D’une part, le médecin-conseil souligne simplement par cette phrase qu’il ne dispose pas d’un rapport du physiothérapeute dont il ressortirait que le traitement se serait déroulé de manière anormale. Or, par la suite, le rapport du physiothérapeute a été produit et il n’en ressort en effet pas que le traitement aurait été inhabituel et aurait violé les règles de l’art de manière grossière ou que l’assurée se serait plainte de douleurs durant les manipulations en question. De plus, ce rapport a été soumis au Dr H.__, qui n’y voyait pas un motif pour s’écarter des conclusions du médecin-conseil. D’autre part, le médecin-conseil indique seulement ne pas connaître la raison du traitement par des massages cervicaux; on ne peut pas en conclure qu’un traitement d’une épicondylite par ce type de massage serait insolite, ni que le traitement aurait été effectué d’une manière contraire aux règles de l’art.

 

Consid. 6.2
Par rapport au lien de causalité, l’assurée soutient qu’elle avait consulté plusieurs spécialistes, qui auraient tous énoncé un lien de causalité vraisemblable entre les acouphènes et les manipulations du physiothérapeute. De ce fait, leurs rapports laisseraient subsister d’importants doutes quant à l’objectivité de l’appréciation des médecins internes à l’assurance. En particulier, les juges cantonaux n’auraient pas pris en compte toutes les explications de la médecin traitant, spécialiste ORL. Cette praticienne a notamment précisé que « d’après la littérature », les traumatismes de la tête, par des manipulations dentaires ou cervicales, créeraient des douleurs chroniques « qui redoutent les interactions neurologique[s] entre système auditif et système somatosensoriel, ce qui produit les acouphènes » et que c’était également le cas de l’assurée, les troubles étant apparus au moment de la manipulation. Or, cette brève explication supplémentaire n’apporte pas d’élément décisif nouveau que la cour cantonale aurait ignoré.

Il en va de même pour les avis des autres médecins traitants, qui s’appuyaient d’ailleurs principalement sur les descriptions de la patiente.

Consid. 6.3
En conclusion, on voit mal que l’expertise ordonnée dans le contexte d’une procédure civile, en lien avec une éventuelle responsabilité civile du physiothérapeute, pourrait établir une violation des règles de l’art grossière au point de constituer un accident au sens de l’art. 6 al. 1 LAA. La juridiction cantonale pouvait donc renoncer, sur la base d’une appréciation anticipée des preuves, soit à attendre le résultat de cette procédure soit à mettre en œuvre elle-même une expertise indépendante, sans violer le droit d’être entendu de l’assurée. Le fait qu’une éventuelle demande de révision, à laquelle elle a renvoyé l’assurée, soit soumise à des conditions sévères ne change rien à ce résultat.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_646/2023 consultable ici

 

4A_401/2023 (f) du 15.05.2024 – Responsabilité civile d’un hôpital / Lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage / Degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_401/2023 (f) du 15.05.2024

 

Consultable ici

 

Responsabilité civile d’un hôpital / 61 al. 1 CO – LREC (RS/GE A 2 40)

Analyse du lien de causalité naturelle en cas d’omission – Lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage

Degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante

 

Le 14.05.2011, B.__ (ci-après: la patiente), âgée de 47 ans au moment des faits, a été admise à 13h37 au service des urgences des Établissements A.__, en raison notamment d’un malaise et de vomissements. Elle a été installée en salle d’attente, faute de place ailleurs. Par la suite, elle a été vue à quatre reprises par le personnel soignant, puis à 19h30 par un premier médecin, après que sa famille a alerté le personnel d’une dégradation de son état. Le Dr C.__, chef de clinique des urgences, a suspecté une crise d’hyperventilation liée à des troubles anxieux. Une infirmière a relevé les paramètres vitaux (tension, pouls et température) de la patiente à 22h40, lesquels ne présentaient rien d’anormal.

La patiente a été installée en zone de soins à 1h35. Lors de son transfert, les infirmières ont notamment relevé qu’elle ne parlait plus. Le médecin interne de nuit l’a immédiatement examinée, rejoint par son supérieur. Il a demandé un CT-scan cérébral et a sollicité une consultation auprès de la neurologue de garde, laquelle a examiné la patiente à 4h et notamment préconisé un CT-scan cérébral. Ce dernier, réalisé à 5h, a mis en évidence un possible infarctus récent cérébelleux droit par occlusion du tronc basilaire. Une IRM cérébrale effectuée à 8h a confirmé un accident vasculaire cérébral (AVC) sous la forme d’une occlusion du tronc basilaire. Le même jour, la patiente a subi une thrombectomie du tronc basilaire.

Après plusieurs séjours en soins intensifs, en neurologie, puis en rééducation, la patiente a pu regagner son domicile le 28 novembre 2011 et garde d’importantes séquelles.

 

Procédure cantonale (arrêts ACJC/433/2020 et ACJC/817/2023)

La patiente a intenté une action en justice contre les Établissements A.__ le 13.06.2014, réclamant initialement CHF 2’041’249, montant ultérieurement réduit à CHF 1’026’027, pour des soins prétendument inadéquats reçus en mai 2011. Une expertise judiciaire menée par le Dr D.__, chef du service des Urgences de l’Hôpital X.__, n’a révélé aucune faute médicale, citant la complexité du diagnostic et la surcharge des urgences. Le Tribunal de première instance a rejeté la demande de la patiente le 24.04.2019, tandis que la cour cantonale, le 28.02.2020, a reconnu la responsabilité des Établissements A.__ et renvoyé l’affaire pour évaluation du préjudice.

A la suite de l’arrêt de renvoi, une nouvelle expertise a été ordonnée pour évaluer l’état de la patiente et son incapacité de travail. Réalisée en septembre 2021 par le Prof. F.__ et le Dr G.__, médecin-chef et assistant au H.__, elle a été complétée en janvier 2022.

Le 18 août 2022, le Tribunal a condamné les Établissements A.__ à verser CHF 156’505 à la patiente, estimant leur responsabilité à 15% du préjudice subi.

Les deux parties ont fait appel. Le 08.06.2023, la cour cantonale a largement révisé le jugement, condamnant les Établissements A.__ à verser divers montants à la patiente (CHF 12’655.30 pour frais médicaux ; CHF 264’667 pour dommage ménager ; CHF 69’153 pour perte de gain ; CHF 30’000 pour tort moral).

TF

Les Établissements A.__ (ci-après: les recourants) ont exercé un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre les arrêts des 28.02.2020 et 08.06.2023.

Consid. 2.1
Selon la jurisprudence, les soins dispensés aux malades dans les hôpitaux publics ne se rattachent pas à l’exercice d’une industrie (cf. art. 61 al. 2 CO), mais relèvent de l’exécution d’une tâche publique; en vertu de la réserve facultative prévue à l’art. 61 al. 1 CO, les cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la responsabilité des médecins engagés dans un hôpital public pour le dommage ou le tort moral qu’ils causent dans l’exercice de leur charge (ATF 139 III 252 consid. 1.3; 133 III 462 consid. 2.1; 122 III 101 consid. 2a/aa et bb).

Consid. 2.2
Le canton de Genève a fait usage de cette réserve. La loi genevoise sur la responsabilité de l’État et des communes (LREC; RS/GE A 2 40), applicable aux recourants en tant qu’établissement public médical, prévoit que les institutions, corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité juridique répondent du dommage résultant pour les tiers d’actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l’accomplissement de leur travail (art. 2 al. 1 et 9 LREC). La LREC institue une responsabilité pour faute, ce qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes: un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci (dans le domaine médical, la réalisation de cette condition devra être admise, en règle générale, lorsqu’une violation du devoir de diligence aura été constatée), un dommage subi par un tiers et un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’acte illicite et le dommage (arrêts 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1; 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 2.1 et 3.3).

Ces conditions correspondent à celles qui figurent à l’art. 41 CO. Le droit civil fédéral est appliqué à titre de droit cantonal supplétif (art. 6 LREC).

Consid. 2.3
L’art. 7 al. 2 LREC prévoit que le code de procédure civile suisse est applicable. Les règles du CPC constituent aussi du droit cantonal supplétif (cf. arrêt 2C_96/2023 du 16 février 2023 consid. 6).

 

Consid. 6.1.1
La causalité naturelle entre deux événements est réalisée lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit (ATF 143 III 242 consid. 3.7; 133 III 462 consid. 4.4.2).

En l’occurrence, le manquement reproché aux recourants s’analyse comme une omission. En pareil cas, l’examen du lien de causalité revient à se demander si le dommage serait également survenu si l’acte omis avait été accompli (causalité hypothétique). Une preuve stricte ne peut être exigée en la matière. Il suffit que le cours hypothétique des événements soit établi avec une vraisemblance prépondérante (ATF 132 III 715 consid. 3.2; 124 III 155 consid. 3d). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2; 132 III 715 consid. 3.1). En ce qui concerne le degré de la preuve, le Tribunal fédéral peut contrôler si l’autorité précédente est partie d’une juste conception du degré de la preuve applicable. En revanche, le point de savoir si le degré requis – dont le juge a une juste conception – est atteint dans un cas concret relève de l’appréciation des preuves, que le Tribunal fédéral revoit uniquement sous l’angle de l’arbitraire (ATF 130 III 321 consid. 5).

En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité (ATF 115 II 440 consid. 5a). Ainsi, lorsqu’il s’agit de rechercher l’existence d’un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s’interroger sur le cours hypothétique des événements. Dans ce cas de figure, le Tribunal fédéral, saisi d’un recours en matière civile, est lié, selon l’art. 105 al. 1 LTF, par les constatations cantonales concernant la causalité naturelle, dès lors qu’elles ne reposent pas exclusivement sur l’expérience de la vie, mais sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves (ATF 132 III 305 consid. 3.5 et les références; arrêt 4A_133/2021 du 26 octobre 2021 consid. 9.1.3).

Consid. 6.1.2
Il convient de rappeler que le droit civil fédéral est appliqué ici à titre de droit cantonal supplétif. Il en va également de l’art. 8 CC, lequel ne concerne que les prétentions fondées sur le droit fédéral (ATF 129 III 18 consid. 2.6; 127 III 519 consid. 2a; arrêt 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1). Par conséquent, le Tribunal fédéral ne peut en contrôler l’application que sous l’angle restreint de l’arbitraire ou pour violation d’autres droits constitutionnels.

 

Consid. 6.2 [résumé]
La cour cantonale s’est écartée de l’avis de l’expert D.__ concernant le lien de causalité naturelle. Elle a estimé que si les Établissements A.__ avaient agi avec diligence, notamment en assurant une surveillance adéquate et en réalisant rapidement les examens diagnostiques dès les premiers symptômes, l’atteinte subie par la patiente aurait probablement pu être diagnostiquée et traitée dans le délai adéquat de huit heures. La cour s’est appuyée sur les explications du Dr E.__, indiquant qu’une intervention dans ce délai pouvait réduire les risques de séquelles d’au moins 50%, voire les éliminer complètement dans certains cas.

Selon la cour cantonale, ces propos n’étaient pas contredits par l’expert, lequel avait pour sa part indiqué qu’avec les méthodes de diagnostics et de traitement, 41% des patients avaient des pronostics favorables, ce par quoi il fallait entendre une survie et une bonne évolution neurologique. La cour cantonale a considéré que les statistiques avancées par les deux spécialistes laissaient apparaître qu’une prise en charge rapide était fortement susceptible de diminuer les risques de morbidité (plus de 50%) et procurait des chances non négligeables (plus de 40%) d’obtenir un pronostic favorable avec une bonne évolution.

Bien que la corrélation entre la rapidité d’intervention et le pronostic ne soit pas scientifiquement prouvée, la cour cantonale a considéré qu’il existait une probabilité suffisante pour admettre qu’une prise en charge sans délai aurait eu un impact positif sur l’évolution de l’état de la patiente. Cette conclusion s’appuie sur les statistiques présentées par les spécialistes, l’état clinique initial plutôt favorable de la patiente, et le succès de la procédure de recanalisation. La cour a donc retenu que le lien de causalité entre les retards de diagnostic et de traitement et le préjudice subi par la patiente, ou du moins son aggravation, était suffisamment vraisemblable.

 

Consid. 6.4 [résumé]
La cour cantonale était consciente que le degré de la vraisemblance prépondérante était applicable (cf. consid. 3.1.2 de l’arrêt du 28 février 2020). Or, sa conception du degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante est manifestement erronée.

Pour rappel, la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, que d’autres possibilités existent, mais qu’elles ne semblent pas avoir joué de rôle déterminant ou n’entrent pas raisonnablement en considération (cf. consid. 6.1.1 supra; ATF 130 III 321 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral a précisé que la jurisprudence n’avait pas établi de pourcentages, mais que selon la doctrine, une vraisemblance de 51% ne suffisait pas, un degré de vraisemblance nettement plus élevé devant être appliqué: un degré de 75% était cité (arrêt 4A_424/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.1 non publié in ATF 147 III 73 et les références).

En l’occurrence, il ressort des faits constatés par la cour cantonale que selon l’expert D.__, avec les méthodes de traitement modernes, 41% des patients avaient des pronostics favorables; il ajoutait qu’entre 20% et 44% des patients traités par une recanalisation évoluaient bien. De telles probabilités ne suffisent manifestement pas s’agissant du degré de la vraisemblance prépondérante.

Il est vrai que le Dr E.__ a pour sa part relevé qu’en cas de traitement dans un délai adéquat, le taux de morbidité se réduisait d’en tout cas de moitié, ce qui pourrait être interprété dans le sens que chaque patient voyait ses séquelles diminuer d’en tout cas de moitié. Le Dr E.__ a néanmoins précisé que pour un tiers des patients, l’autonomie n’était pas complète mais permettait à certains de retourner à domicile. Ceci ne permet pas de s’éloigner sans autre des statistiques présentées par l’expert et, s’agissant de la proportion d’un tiers, elle ne suffit quoi qu’il en soit pas au regard du degré de la vraisemblance prépondérante.

La cour cantonale a considéré les statistiques et les facteurs spécifiques à la patiente, comme son état clinique initial favorable et le succès de l’opération tardive. Cependant, l’expert D.__ avait déjà pris en compte ces éléments. Il a maintenu que pour une lésion du tronc basilaire, contrairement à un AVC classique, le lien entre la rapidité d’intervention et le pronostic n’est pas clairement établi. Malgré les facteurs favorables, l’expert a affirmé qu’il était impossible de conclure à une perte de chance liée au délai d’intervention dans ce cas spécifique.

Dans sa réponse, la patiente soutient – à raison – que l’existence du lien de causalité ne doit pas être analysée selon un calcul arithmétique découlant de statistiques, mais au regard de l’ensemble des circonstances du cas particulier. Elle se réfère à l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.3 qui appuie cette approche. Cependant, le problème ici concerne le degré de preuve exigé. La cour cantonale a appliqué des exigences insuffisantes au degré de la vraisemblance prépondérante. Au demeurant, outre les statistiques présentées par les spécialistes, les circonstances entourant le cas ne lui sont d’aucun secours. La cour cantonale a d’ailleurs relevé elle-même à plusieurs reprises de grandes incertitudes s’agissant du pronostic de la patiente, ce qui ne correspond clairement pas aux exigences relatives au degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante.

Ainsi, en partant d’une conception manifestement fausse du degré de la preuve applicable, la cour cantonale a versé dans l’arbitraire dans l’application du droit fédéral à titre de droit cantonal supplétif.

Le degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante n’est à l’évidence pas atteint.

Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs concernant le lien de causalité formulés par les recourants.

 

Le TF admet le recours et réforme les arrêts attaqués en ce sens que l’intimée est déboutée de toutes ses conclusions.

 

Arrêt 4A_401/2023 consultable ici

 

8C_704/2022 (d) du 27.09.2023 – Lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical – 6 al. 3 LAA / Causalité naturelle et adéquate

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_704/2022 (d) du 27.09.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical / 6 al. 3 LAA

Causalité naturelle et adéquate

 

Assurée, née en 1996, employée depuis le 1er octobre 2016 dans le cadre d’un contrat d’apprentissage en tant que cuisinière diététique auprès d’un hôpital. Le 18.09.2017, elle a subi un traumatisme par distorsion du genou droit lors d’un exercice de gymnastique. Le bilan radiologique a mis en évidence une rupture du LCA, qui a fait l’objet d’une intervention chirurgicale le 23.10.2017. Fin décembre 2017, l’assurée a subi un nouveau traumatisme par distorsion. De nouvelles interventions chirurgicales ont eu lieu les 08.03.2018, 30.05.2018, 31.07.2018 et 28.08.2018.

Sur les conseils du médecin-conseil de l’assurance-accidents, l’assurée s’est rendue à la clinique C.__ pour un deuxième avis. Là, un mauvais positionnement de la plastie du ligament croisé a été constaté et une nouvelle opération a été réalisée le 07.12.2018. Malgré un séjour stationnaire du 03.03.2019 au 18.04.2019 au centre de rééducation D.__, des douleurs permanentes, accentuées en fonction de l’effort, ainsi qu’une limitation de l’extension ont toutefois persisté. En raison de l’évolution, des examens neurologiques ont été effectués. Du 06.01.2020 au 27.03.2020, l’assurée a derechef été hospitalisée, cette fois-ci à la clinique E.__, où elle a une nouvelle fois chuté le 06.02.2020. Aucun progrès significatif n’a été réalisé. Après une consultation dans un centre pour la maladie de Parkinson/les troubles de la mobilité, à l’automne 2020, un nouveau séjour de réadaptation à la clinique G.__ a été réalisé du 03.01.2021 au 27.03.2021. Entre-temps, l’assurée se déplaçait en grande partie en fauteuil roulant.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a procédé à la clôture du cas au 30.11.2020.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a confirmé la clôture du cas au 30.11.2020, étant donné qu’à cette date, il n’y avait plus d’amélioration notable à attendre d’un traitement supplémentaire des troubles, dans la mesure où ils étaient d’origine somatique. Le trouble de la marche développé n’avait pas d’explication neurologique et structurelle, aucun substrat organique n’avait pu être trouvé pour les douleurs dont se plaignait l’assurée. Le tribunal cantonal a examiné la question de savoir s’il existait un lien de causalité adéquate entre les troubles organiques non prouvés objectivement et les accidents subis, conformément à la pratique relative aux conséquences psychiques des accidents. Les événements devaient à chaque fois être qualifiés de légers et le lien de causalité adéquate devait donc être niée d’emblée. Tout au plus l’événement de fin décembre 2017, pour lequel on ne dispose toutefois pas de données en temps réel, pourrait, s’il s’agissait d’une chute dans les escaliers, être classé parmi les accidents de gravité moyenne, mais à la limite des accidents légers. Un lien de causalité adéquate avec les plaintes encore existantes le 30.11.2020 devait également être nié. A cet égard, l’instance cantonale a notamment considéré que les troubles ne pouvaient plus être expliqués objectivement sur le plan organique après la rééducation au printemps 2019. Par conséquent, les critères de la durée anormalement longue du traitement médical, des douleurs physiques persistantes et du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques ne sont notamment pas remplis. La cour cantonale a en outre rejeté, faute de lien de causalité adéquate, l’obligation de prestation invoquée par l’assurée sur la base de l’art. 6 al. 3 LAA en raison d’une erreur de traitement médical lors de la plastie ligamentaire du 23.10.2017.

Par jugement du 26.10.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Au sens de l’art. 6 al. 3 LAA, l’assurance alloue en outre ses prestations pour les lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical (art. 10). Le sens et le but de cette disposition est que l’assureur-accidents assume le risque pour les mesures médicales qu’il a prises en charge ; le corollaire de l’obligation de traitement et de la soumission de l’assuré à cette obligation est ainsi établi.

La responsabilité s’étend aux atteintes à la santé imputables à des mesures de traitement prises à la suite d’un accident. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une erreur de traitement, ni que la notion d’accident soit remplie, ni qu’il y ait une faute professionnelle, ni même qu’il y ait objectivement une violation du devoir de diligence du médecin. Ainsi, la complication médicale est également assurée au sens d’une conséquence indirecte de l’accident, et ce même dans le cas des complications les plus rares et les plus graves. L’assureur ne verse pas non plus de dommages-intérêts au sens du droit de la responsabilité civile, mais fournit des prestations d’assurance selon la LAA (ATF 128 V 169 consid. 1c).

Comme il ne s’agit pas de conséquences d’un accident, mais d’un traitement médical, il n’y a pas lieu d’appliquer une évaluation de la causalité adéquate selon la jurisprudence relative aux conséquences psychiques d’un accident en tenant compte de critères liés à l’accident (ATF 115 V 133), mais de recourir à la formule générale d’adéquation. En d’autres termes, il faut se demander si le traitement qui n’a éventuellement pas été effectué lege artis est en soi susceptible, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, de provoquer un résultat du type de celui qui s’est produit, autrement dit si la survenance de ce résultat apparaît généralement comme favorisée par l’événement (ATF 129 V 177 consid. 3 et 4 ; SVR 2007 UV n° 37 p. 125 avec références, U 292/05 consid. 3.1 ; arrêt 8C_288/2007 du 12 mars 2008 consid. 6.1).

Consid. 3.3
Il convient d’ajouter que la preuve du lien de causalité naturelle doit être apportée en premier lieu par les indications des professionnels de la santé (SVR 2016 UV n° 18 p. 55, 8C_331/2015 E. 2.2.3.1 ; arrêt 8C_287/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.1). […]

 

Consid. 5
Le recours est dirigé en premier lieu contre le fait que l’instance cantonale a renoncé à une clarification plus approfondie des douleurs et des limitations de mouvement persistant depuis le premier accident du 18.09.2017 et qu’elle a également nié l’obligation de prester de l’assurance-accidents sur la base de l’art. 6 al. 3 LAA, faute de lien de causalité adéquate.

En examinant le lien de causalité adéquate requis pour l’obligation de verser des prestations selon la pratique relative aux conséquences psychiques d’un accident (ATF 115 V 133), le tribunal cantonal a violé le droit fédéral. Lors de l’évaluation d’une éventuelle responsabilité selon l’art. 6 al. 3 LAA, c’est plutôt la formule générale d’adéquation qui s’applique et il est déterminant de savoir si, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, une mesure médicale qui a échoué est en soi susceptible de provoquer un résultat du genre de celui qui s’est produit (cf. consid. 3.2 supra). Si l’appréciation du lien de causalité adéquate par l’instance cantonale s’avère erronée dans la procédure de recours devant le Tribunal fédéral et que le lien de causalité adéquate devait être retenu, il conviendra, conformément à la pratique, d’ordonner des investigations supplémentaires sur les questions qui se posent du point de vue factuel concernant la nature des troubles (diagnostic, caractère invalidant) ainsi que leur lien de causalité naturelle, avant de se prononcer définitivement à ce stade sur le lien de causalité adéquate (ATF 148 V 138 consid. 5).

La question de savoir si l’assurée a éventuellement subi un dommage dans le cadre de l’intervention chirurgicale du 23.10.2017 n’a pas été clarifiée à ce jour de manière juridiquement satisfaisante, pas plus que la question de savoir si, dans l’affirmative, les troubles persistants par la suite sont en lien de causalité naturelle avec la complication médicale. Même si les troubles ne devaient pas être causés par une lésion lors de l’opération, des investigations supplémentaires sont nécessaires quant à leur étiologie. Certes, des examens approfondis ont été effectués dans des cliniques spécialisées. Cependant, les médecins traitants n’avaient pas besoin d’éclaircissements à ce sujet, mais les évaluations diagnostiques servaient avant tout à évaluer les possibilités thérapeutiques. Pour que l’assureur-accidents soit tenu de verser des prestations – éventuellement au-delà du 30.11.2020 -, il est toutefois indispensable de clarifier la nature des limitations. Compte tenu de la complexité de l’évolution, l’assurance-accidents a notamment renoncé à tort à soumettre le dossier à son médecin-conseil pour un examen plus approfondi.

L’affaire doit être renvoyée à l’assurance-accidents pour un examen complet, également indispensable pour les questions juridiques qui se posent, et pour qu’elle rende une nouvelle décision sur son obligation de prester.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_704/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_704/2022 (d) du 27.09.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_704-2022)

 

4A_65/2019 (f) du 18.02.2020 – Responsabilité d’une permanence – 394 CO / Atteinte du nerf sciatique lors d’une opération (prothèse totale de hanche), nécessitée par la nécrose aseptique de la tête fémorale imputable au mauvais diagnostic posé initialement / Lien de causalité naturelle et adéquate entre le diagnostic erroné et le dommage admis

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_65/2019 (f) du 18.02.2020

 

Consultable ici

 

Responsabilité d’une permanence / 394 CO

Fracture du col fémoral (type Garden I) non diagnostiquée

Atteinte du nerf sciatique lors d’une opération (prothèse totale de hanche), nécessitée par la nécrose aseptique de la tête fémorale imputable au mauvais diagnostic posé initialement

Lien de causalité naturelle et adéquate entre le diagnostic erroné et le dommage admis

 

A la suite d’une chute survenue le 09.10.2003 aux environs de 21 30, B.___ s’est rendu à la permanence A.___ SA où il a été examiné par le Dr M.___. Celui-ci a diagnostiqué une « contusion à la hanche gauche », sans effectuer de radiographie. Le patient en est sorti aux alentours de 00h30, sans béquilles et après avoir reçu une piqûre antalgique ainsi que des médicaments anti-inflammatoires. Aucun arrêt de travail n’ayant été prescrit, il a repris son activité professionnelle de cuisinier le même jour.

Le 10.10.2003 en fin de journée, devant la persistance des douleurs, il s’est rendu aux urgences des Etablissements C.___ qui ont diagnostiqué, sur radiographies, une « fracture de type Garden I du col fémoral gauche ». Le 11.10.2003 à 00h35, les Etablissements C.___ ont procédé à une première opération lors de laquelle le col du fémur gauche a été stabilisé par triple vissage. Le même jour dans l’après-midi, ils ont effectué une deuxième opération, après avoir constaté que les vis utilisées étaient trop longues. A l’issue d’un contrôle effectué trois mois après, le patient a été autorisé à reprendre son travail.

Au mois d’août 2004, en raison d’une recrudescence des douleurs, le patient a été examiné par les Etablissements C.___, lesquels ont diagnostiqué une « nécrose aseptique de la tête fémorale gauche ». Le 04.01.2005, il a subi une troisième opération visant à mettre en place une prothèse totale de la hanche gauche. Le 10.01.2005, un examen neurologique a mis en évidence une neurapraxie du nerf sciatique poplité externe gauche.

Confronté à des troubles moteurs du pied gauche et à des douleurs neurogènes, le patient a formé une demande de prestations d’invalidité. Dans le cadre de celle-ci, son état a été jugé stabilisé trois ans après la lésion, une amélioration n’étant plus probable ; l’exercice de l’activité de cuisinier lui était devenu impossible, mais il subsistait une capacité résiduelle de 50% en qualité de réceptionniste. Il a été mis au bénéfice d’une demi-rente d’invalidité dès le 01.04.2008.

 

Procédures cantonales

Le 31.10.2012, B.___ a ouvert action devant le Tribunal de première instance du canton de Genève contre la permanence A.___ SA et les Etablissements C.___.

De l’expertise judiciaire, il ressort que la prise en charge du patient par la permanence n’a pas été faite dans les règles de l’art, le diagnostic posé étant faux, voire ridicule. Quant à savoir si le risque de nécrose était accru en fonction du délai s’écoulant entre la fracture et l’opération, les études cliniques rétrospectives n’étaient pas probantes. L’attitude générale des orthopédistes en Suisse était de traiter une telle fracture sur une base urgente.Un diagnostic correct de la fracture de type « Garden I » du col fémoral aurait permis de diminuer ou de pallier le risque de nécrose aseptique de la tête fémorale gauche.

Quant à l’ostéosynthèse par triple vissage et la mise en place d’une prothèse totale de hanche, elles avaient été effectuées dans les règles de l’art. L’atteinte au nerf sciatique faisait partie des risques rares inhérents à la pose d’une prothèse totale de hanche, qui avait en l’occurrence été rendue nécessaire par la nécrose aseptique de la tête fémorale gauche. Il y avait dès lors un lien de causalité entre cette atteinte et l’erreur de diagnostic de la permanence.

A l’audience des débats principaux, l’expert judiciaire a précisé que la fracture était peu déplacée, de sorte qu’il n’y avait probablement pas de lésion vasculaire. L’accident avait provoqué des saignements qui avaient causé une pression dans l’articulation, ce qui avait interrompu la circulation sanguine. Si l’on intervenait dans un intervalle de 6 à 8 heures pour diminuer cette pression, on avait une meilleure chance de sauver la tête fémorale. Il était clair que si l’intervention s’était déroulée tout de suite après la lésion, les risques d’une nécrose auraient été minimisés. Le fait que les Etablissements C.___ aient utilisé des vis trop longues n’avait strictement aucune importance et n’avait rien à voir avec la nécrose.

Par jugement du 10.10.2017, le Tribunal de première instance a condamné la permanence à payer au patient un total de 39’662 fr. 60, portant intérêts.

Le patient a appelé de ce jugement. La permanence en a fait de même. La Cour de justice a jugé que la permanence avait violé son obligation de diligence en s’abstenant de procéder à un examen clinique correct et en posant un faux diagnostic : elle aurait dû constater une fracture de type « Garden I » du col fémoral gauche, alors qu’elle avait décelé uniquement une « contusion à la hanche gauche ». Pour tout traitement, elle avait prescrit une piqûre antalgique et des médicaments anti-inflammatoires, alors qu’elle aurait dû immédiatement diriger le patient vers un chirurgien, la règle étant d’opérer par vissage en urgence, si possible dans les 6 heures consécutives au traumatisme. Elle avait ainsi retardé la prise en charge chirurgicale du patient. En raison de ce retard, la tête fémorale gauche s’était nécrosée, ce qui avait ultérieurement nécessité une nouvelle intervention chirurgicale destinée à la pose d’une prothèse de la hanche. L’atteinte au nerf sciatique s’était produite durant cette opération. Celle-ci avait été effectuée dans les règles de l’art, mais ce risque était inhérent. Il y avait un lien de causalité tant naturelle qu’adéquate entre ce délai et l’atteinte en question. La permanence était dès lors responsable du dommage subi par le patient ensuite de son incapacité de travail et de l’atteinte portée à son avenir économique.

Par arrêt du 29.11.2018, la Cour de justice a réformé cette décision en ce sens qu’elle a condamné la permanence à payer au patient un total de 325’721 fr., intérêts en sus.

 

TF

Le patient a chargé le Dr. M.___, œuvrant au sein de la permanence (recourante) en qualité de médecin, d’examiner son état et de prendre les mesures thérapeutiques adéquates. Il s’agit d’un contrat de mandat au sens de l’art. 394 al. 1 CO (ATF 132 III 359 consid. 3.1 p. 362) et la responsabilité de la permanence s’analyse sous l’angle de l’art. 398 al. 1 CO, lequel renvoie aux règles régissant la responsabilité du travailleur dans les rapports de travail (art. 321e CO).

 

Lien de causalité naturelle entre le diagnostic erroné et le dommage

En matière de causalité hypothétique, la jurisprudence se satisfait du degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 132 III 715 consid. 3.2 p. 720; 124 III 155 consid. 3d p. 165). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 89; 132 III 715 consid. 3.1 p. 720). Or, on peut inférer des explications de l’expert judiciaire qu’il n’existait certes pas d’absolue certitude, mais bel et bien une vraisemblance prépondérante selon laquelle la tête fémorale ne se serait pas nécrosée si l’intervention chirurgicale avait eu lieu sans tarder. La permanence ne convainc pas en proposant une autre lecture. L’appréciation des preuves à laquelle s’est livrée la cour cantonale n’a rien d’arbitraire.

Le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral n’est pas illimité en cette matière. Certes, le Tribunal fédéral a coutume de préciser qu’il est lié, au sens de l’art. 105 al. 1 LTF, par les constatations concernant la causalité hypothétique lorsqu’elles reposent sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves ; en revanche, si la causalité hypothétique est déduite exclusivement de l’expérience de la vie, il revoit librement cette question de droit (ATF 132 III 305 consid. 3.5 p. 311; 115 II 440 consid. 5b; arrêts 4A_403/2016 du 18 avril 2017 consid. 3.2, 4A_543/2016 du 1 er novembre 2016 consid. 3.2.3). En l’espèce, l’appréciation des juges cantonaux s’est fondée sur une expertise judiciaire définissant les standards de diligence que l’on pouvait attendre et les conséquences des manquements constatés. Il se justifie ainsi de restreindre à l’arbitraire le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral. Cela étant, il est entendu que l’examen de la causalité adéquate, dans la mesure où il conserve un objet (cf. arrêt 4A_464/2008 du 22 décembre 2008 consid. 3.3.1), se fait avec un pouvoir d’examen libre (ATF 143 III 242 consid. 3.7  in fine; cf. consid. 5 infra).

La permanence affirme encore qu’un certain type de fracture favoriserait l’apparition d’une nécrose sans égard au délai de prise en charge. Certes, le Dr O.___, chef de clinique aux Etablissements C.___, a déclaré qu’il n’y avait dans la littérature aucune preuve formelle qu’un retard de 24 à 36 heures dans la prise en charge chirurgicale augmentait le risque de nécrose aseptique. Ce risque était à son avis lié au type de fracture et non pas à un délai de prise en charge chirurgicale. Toutefois, ce praticien a confirmé, comme deux autres médecins en sus de l’expert, qu’une prise en charge en urgence était indispensable. Au surplus, il n’y a rien à redire, sous l’angle de l’arbitraire, au fait que la cour cantonale ait accordé la préséance aux constatations de l’expert judiciaire, qui a – selon ses termes – poussé son analyse plus loin pour répondre à la question posée.

 

Lien de causalité adéquate entre l’erreur de diagnostic et le dommage

La permanence fait valoir que la lésion du nerf sciatique pendant l’opération de pose de prothèse de la hanche est exceptionnelle et imprévisible, ce qui ne permettrait pas d’admettre que cette opération était, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, propre à entraîner une telle lésion. Certes, il ressort du jugement cantonal que cette lésion survient dans un nombre très restreint de cas (1 à 2%). Cela étant, le caractère adéquat d’une cause ne suppose pas que l’effet considéré se produise généralement, ni même qu’il soit courant. Il suffit qu’il s’inscrive dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles (ATF 143 III 242 consid. 3.7 p. 250; 139 V 176 consid. 8.4.2; 96 II 392 consid. 2). Tel est bien le cas ici. Il n’y a dès lors nulle violation du droit dont la permanence serait fondée à se plaindre.

La permanence soutient également que la troisième opération chirurgicale, lors de laquelle le nerf sciatique de le patient a été endommagé, a interrompu le lien de causalité adéquate. Certes, une telle interruption peut se concevoir en présence d’un événement extraordinaire ou exceptionnel auquel on ne pouvait s’attendre (force naturelle, fait du lésé ou d’un tiers) qui revêt une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus immédiate du dommage et relègue à l’arrière-plan les autres facteurs ayant contribué à le provoquer – y compris le fait imputable à la partie recherchée. Toutefois, il n’y a ici nulle faute des Etablissements C.___ susceptible d’intervenir à ce titre, ni intervention d’un élément naturel en tant que tel. De l’avis de l’expert, il s’agit d’un risque inhérent à l’opération, qui entre dans le champ du possible, mais se produit rarement ; or, l’opération comportant ce risque a été provoquée par la nécrose elle-même imputable au mauvais diagnostic de la permanence. Ce grief doit pareillement être rejeté.

 

 

Le TF rejette le recours de la permanence.

 

 

Arrêt 4A_65/2019 consultable ici

 

 

8C_418/2018 (f) du 12.07.2019 – Notion de l’accident – Critère du facteur extérieur – 4 LPGA / « Accident médical » – Notion d’erreur médical niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_418/2018 (f) du 12.07.2019

 

Consultable ici

 

Notion de l’accident – Critère du facteur extérieur / 4 LPGA

« Accident médical » – Notion d’erreur médical niée

 

Assuré, né en 1986, a subi le 09.01.2013 ostéotomie bi-maxillaire et une génioplastie en raison d’une difformité maxillo-faciale. Cette intervention, prise en charge par l’assurance-maladie, a été effectuée par le docteur C.__, spécialiste en chirurgie maxillo-faciale. Elle a été suivie, dans la nuit du 11.01.2013 au 12.01.2013, d’un arrêt respiratoire qui a nécessité une intubation, un transfert aux soins intensifs puis une mise sous coma barbiturique. A sa sortie de l’hôpital, le 12.04.2013, les médecins ont posé le diagnostic principal d’encéphalopathie anoxique compliquée d’un état de mal épileptique avec syndrome de Lance-Adams, ataxie à la marche avec chutes à répétition sur myoclonies d’action et syndrome d’effrayement avec troubles mixtes de la personnalité.

L’assuré a requis l’octroi de prestations de l’assurance-accidents pour les suites de ces complications post-opératoires. L’assurance-accidents a refusé de prendre en charge l’atteinte à la santé, motif pris qu’à défaut d’une violation grossière et extraordinaire des règles de l’art, l’intervention du 09.01.2013 et ses complications post-opératoires ne constituaient pas un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2018 9 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que, malgré les complications soudaines survenues après l’intervention chirurgicale, en l’espace de quelques heures, dans la nuit du 11.01.2013 au 12.01.2013, la succession des événements ne constitue toutefois pas un facteur extérieur extraordinaire en dépit de son caractère spectaculaire. D’une part, les juges cantonaux sont d’avis que l’opération, qui n’était pas, en soi, particulièrement risquée, s’est déroulée de façon tout à fait satisfaisante. D’autre part, aucun des rapports médicaux versés au dossier ne permet de retenir la commission d’une erreur médicale crasse dans la surveillance et les soins post-opératoires. La cour cantonale considère que les complications survenues dans la phase post-opératoire sont susceptibles de survenir dans les suites de tout acte médical et que l’œdème du visage constitue un aléa thérapeutique qui n’engage pas la responsabilité des médecins. Quant au médecin de l’assurance-accident, il indique que les éléments permettant de suspecter une prise en charge insuffisante du point de vue non médical entre le moment où l’assuré s’est présenté au bureau des infirmières pour recevoir de l’aide et le moment où l’anesthésiste a été appelé n’autorisent pas à retenir une attitude irresponsable ni un comportement violant de manière crasse les règles de l’art, même si l’on peut y voir une considération insuffisante de la gravité de la situation conduisant à la mise en œuvre de mesures inadéquates.

Par jugement du 23.04.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 129 V 402 consid. 2.1 p. 404 et les références).

Le point de savoir si un acte médical est comme tel un facteur extérieur extraordinaire doit être tranché sur la base de critères médicaux objectifs. Le caractère extraordinaire d’une telle mesure est une exigence dont la réalisation ne saurait être admise que de manière sévère. Il faut que, compte tenu des circonstances du cas concret, l’acte médical s’écarte considérablement de la pratique courante en médecine et qu’il implique de ce fait objectivement de gros risques (ATF 121 V 35 consid. 1b p. 38; 118 V 283 consid. 2b p. 284). Le traitement d’une maladie en soi ne donne pas droit au versement de prestations de l’assureur-accidents, mais une erreur de traitement peut, à titre exceptionnel, être constitutive d’un accident, dès lors qu’il s’agit de confusions ou de maladresses grossières et extraordinaires, voire d’un préjudice intentionnel, avec lesquels personne ne comptait ni ne devait compter. La notion d’erreur médicale ne saurait en effet être étendue à toute faute du médecin, au risque de faire jouer à l’assurance-accidents le rôle d’une assurance de la responsabilité civile des fournisseurs de prestations médicales (arrêt 8C_234/2008 du 31 mars 2009 consid. 3.2, in SVR 2009 UV n° 47 p. 166). La question de l’existence d’un accident sera tranchée indépendamment du point de savoir si l’infraction aux règles de l’art dont répond le médecin entraîne une responsabilité (civile ou de droit public). Il en va de même à l’égard d’un jugement pénal éventuel sanctionnant le comportement du médecin (ATF 121 V 35 consid. 1b précité p. 39 et les références).

Pour répondre aux conditions de la notion juridique de l’accident, l’atteinte à la santé doit trouver son origine dans un facteur extérieur, c’est-à-dire qu’elle doit résulter d’une cause exogène au corps humain. Cet élément, qui s’oppose à la cause interne qui caractérise la maladie, permet de distinguer ces deux éventualités. La cause extérieure peut être d’origine mécanique (un choc, une chute, etc.), électrique (une électrocution, p. ex.), chimique (l’émanation de vapeurs toxiques, p. ex.), thermique (une explosion, une brûlure provoquée par de l’eau bouillante ou des jets de vapeur, etc.) ou encore ionisante (des radiations, p. ex.) (STÉPHANIE PERRENOUD, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, [Dupont/Moser-Szeless éd.], 2018, n. 19 ad art. 4 LPGA; voir également JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd., n. 88 p. 921; ANDRÉ NABOLD, Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, [Hürzeler/Kieser éd.], 2018, ad art. 6 LAA, n. 20 ss). Un événement qui se produit à l’intérieur du corps (processus biologique, physiologique ou psychique), tel qu’une hémorragie cérébrale, un infarctus du myocarde ou encore la rupture d’une prothèse défectueuse de la hanche qui survient en l’absence de tout événement extérieur anormal (ATF 142 V 219) ne saurait être considéré comme un accident, faute de cause extérieure (STÉPHANIE PERRENOUD, op. cit., n. 22 ad art. 4 LPGA).

 

L’assuré soutient que le spécialiste en chirurgie maxillo-faciale a commis non pas une erreur d’appréciation à la suite d’une subite détérioration de son état de santé, mais bien plutôt qu’il est resté passif durant plus de deux jours face à une situation connue (pression de l’œdème sur les voies aériennes supérieures) et un risque évident (difficulté, gêne, puis détresse respiratoire et, enfin, arrêt). Aussi la cour cantonale devait-elle retenir que l’existence d’une erreur médicale grossière imputable au spécialiste en chirurgie maxillo-faciale ou au personnel infirmier de l’hôpital était établie et que durant la phase post-opératoire, l’assuré avait subi un accident au sens des art. 4 LPGA et 6 al. 1 LAA. Selon l’assuré, devant le risque prévisible d’une augmentation de l’œdème, le médecin aurait dû mettre en place une surveillance constante du patient, voire organiser un transfert dans le secteur des soins continus afin d’instaurer une assistance respiratoire. Se référant à un arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 56/01 du 18 juillet 2003 (RAMA 2003 n° U 492 p. 371), l’assuré invoque une violation des art. 4 LPGA et 6 al. 1 LAA en tant que la cour cantonale a nié qu’une omission pût constituer un accident. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral des assurances a jugé que le critère du caractère extraordinaire de l’atteinte était réalisé dans un cas où, lors du retrait d’un cathéter vésical posé en raison d’une rétention urinaire, le médecin traitant n’avait pas vérifié s’il était complet, de sorte qu’une section d’une longueur importante (19 cm, soit près de la moitié de la longueur totale) était resté dans le corps du patient et avait entraîné des complications sous la forme d’une hématurie douloureuse. L’assuré infère de cette pratique qu’en l’occurrence, l’accident réside dans l’omission du docteur C.__ de mettre en œuvre des mesures médicales devant l’apparition de l’œdème entraînant une compression des voies aériennes supérieures sur une période de plus de cinquante heures.

Selon le TF : En l’occurrence, le parallèle établi par l’assuré entre l’omission reprochée au spécialiste en chirurgie maxillo-faciale durant la phase post-opératoire et l’état de fait ayant conduit à l’arrêt U 56/01 n’est pas pertinent. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral des assurances a jugé que l’omission du médecin traitant de vérifier si le cathéter retiré était complet remplissait les conditions de la notion d’accident, notamment parce que la partie du cathéter restée dans la vessie constituait une cause exogène au corps humain, à l’origine d’une atteinte dommageable sous la forme d’une hématurie douloureuse. Or, en l’espèce, il n’y a pas de motif d’admettre que l’œdème ayant entraîné une compression des voies aériennes supérieures est le résultat d’une violation grossière des règles de l’art médical. En revanche, il est incontestable que ces complications apparues dans la phase post-opératoire sont survenues en l’absence de toute cause exogène au corps humain. A défaut d’un facteur extérieur, elles ne sauraient dès lors être qualifiées d’accident, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions posées à l’art. 4 LPGA sont réalisées (voir p. ex. arrêt 8C_235/2018 du 16 avril 2019 consid. 6.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_418/2018 consultable ici

 

 

8C_235/2018 (f) du 16.04.2019 – Notion d’accident – Acte médical – « Accident médical » – 4 LPGA / Eventuelle maladresse du chirurgien n’atteint pas le degré de gravité suffisant pour être constitutive d’un accident / Possible rupture des sutures sans cause externe – Processus interne au corps – Notion d’accident niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_235/2018 (f) du 16.04.2019

 

Consultable ici

 

Notion d’accident – Acte médical – « Accident médical » / 4 LPGA

Eventuelle maladresse du chirurgien n’atteint pas le degré de gravité suffisant pour être constitutive d’un accident

Possible rupture des sutures sans cause externe – Processus interne au corps – Notion d’accident niée

 

Assuré, né en 1960, a subi une tonsillectomie le 14.01.2016, en raison d’angines à répétition. Cette opération a révélé la présence d’un carcinome épidermoïde invasif. Une IRM a confirmé une lésion tumorale de la loge amygdalienne droite et des ganglions du groupe IIa droit. Le 05.02.2016, le professeur E.__, médecin-adjoint du service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, et son équipe ont procédé à une pharyngectomie partielle droite. En peropératoire, l’assuré a présenté un saignement relativement important (environ un litre de sang). La pose de 8 compresses (paking) dans l’oropharynx et la cavité buccale a permis d’arrêter ce saignement. Le professeur E.__ et son équipe ont alors poursuivi la pharyngectomie en intervenant au niveau du cou. Après évidement des tissus tumoraux, le chirurgien a ligaturé avec un fil de Prolène 5.0 l’artère pharyngienne ascendante d’où semblait provenir le saignement, avec pour résultat une bonne hémostase. Au quatrième jour post-opératoire, vers quatre heures du matin, l’assuré a vomi abondamment du sang. Il a rapidement perdu connaissance et présenté un arrêt cardiaque. Malgré une réanimation avec intubation et ventilation de 26 minutes, les médecins de l’équipe de réanimation n’ont pas pu obtenir une reprise de l’activité cardiaque. Le décès du patient est constaté le 09.02.2016 à 4h51 du matin.

Selon le rapport d’autopsie, les différentes données permettaient d’attribuer le décès de l’assuré à un choc hémorragique consécutif à un saignement artériel dans la région de la loge amygdalienne droite. L’origine précise de ce saignement n’avait pas pu être identifiée. L’infection locale à Klebsiella oxytoca (bactérie de type nosocomial) avait potentiellement joué un rôle dans la survenue de saignement.

Le professeur E.__ a été auditionné par le Ministère public. A la question de savoir ce qui avait causé le saignement durant l’intervention, le chirurgien a notamment expliqué qu’en raison de la tonsillectomie déjà subie par l’assuré, il avait été nécessaire de réséquer à nouveau de manière plus large pour obtenir des marges saines; à cette occasion, une branche de l’artère carotide externe avait dû être sectionnée. En ce qui concernait la déclaration qu’il avait faite selon laquelle le décès était accidentel, le professeur E.__ a précisé qu’il ne faisait pas référence à la notion assécurologique; par accident, il voulait dire que les sutures du pharynx avaient dû lâcher ce qui, la salive étant corrosive, avait pu conduire soit au lâchage des sutures artérielles ou à l’érosion d’une autre artère. Ces phénomènes hémorragiques en présence d’un cancer étendu à proximité de la paroi des vaisseaux présentaient toujours le même mécanisme, mais il était rare qu’ils aboutissent à un décès.

Le Ministère public a ordonné le classement de la procédure, au motif que l’instruction n’avait mis en évidence aucune violation de diligence ou des règles de l’art médical.

L’assurance-accidents a refusé d’allouer à la veuve de l’assuré la prestation prévue pour le conjoint survivant. Elle a considéré que le décès de l’assuré n’était pas dû à un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/116/2018 – consultable ici)

Par jugement du 08.02.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

« Accident médical »

Le point de savoir si un acte médical est comme tel un facteur extérieur extraordinaire doit être tranché sur la base de critères médicaux objectifs. Le caractère extraordinaire d’une telle mesure est une exigence dont la réalisation ne saurait être admise que de manière sévère. Il faut que, compte tenu des circonstances du cas concret, l’acte médical s’écarte considérablement de la pratique courante en médecine et qu’il implique de ce fait objectivement de gros risques (ATF 121 V 35 consid. 1b p. 38; 118 V 283 consid. 2b p. 284). Le traitement d’une maladie en soi ne donne pas droit au versement de prestations de l’assureur-accidents, mais une erreur de traitement peut, à titre exceptionnel, être constitutive d’un accident, dès lors qu’il s’agit de confusions ou de maladresses grossières et extraordinaires, voire d’un préjudice intentionnel, avec lesquels personne ne comptait ni ne devait compter. La notion d’erreur médicale ne saurait en effet être étendue à toute faute du médecin, au risque de faire jouer à l’assurance-accidents le rôle d’une assurance de la responsabilité civile des fournisseurs de prestations médicales (arrêt 8C_234/2008 du 31 mars 2009 consid. 3.2, in SVR 2009 UV n° 47 p. 166). La question de l’existence d’un accident sera tranchée indépendamment du point de savoir si l’infraction aux règles de l’art dont répond le médecin entraîne une responsabilité (civile ou de droit public). Il en va de même à l’égard d’un jugement pénal éventuel sanctionnant le comportement du médecin (ATF 121 V 35 consid. 1b précité p. 39 et les références).

Au cours de la pharyngectomie, une branche artérielle de la carotide externe de l’assuré a été touchée. Ce seul fait ne démontre toutefois pas encore une maladresse grossière et extraordinaire de la part du chirurgien opérateur. Tout geste chirurgical maladroit ou qui a été exécuté de manière imparfaite lors d’une intervention ne constitue pas une erreur médicale revêtant la qualité d’accident. Comme cela ressort des exemples tirés de la jurisprudence, l’atteinte en cause doit résulter d’une négligence grossière avec laquelle personne ne comptait ni ne devait compter. Ainsi, le Tribunal fédéral a déjà jugé que le sectionnement d’une veine épigastrique lors d’une intervention chirurgicale pour le traitement d’une hernie inguinale ne pouvait être considéré comme la conséquence d’une confusion ou d’une méprise grossière (SJ 1998 p. 430). Il a également nié l’existence d’un accident dans le cas d’une lésion de nerfs de la main survenue au cours d’une opération spécialement difficile et délicate sur un terrain cicatriciel dont l’anatomie était modifiée par de multiples opérations antérieures (ATF 121 V 35 consid. 2 p. 39 s.) ou d’une perforation de l’artère pulmonaire à l’occasion d’une bronchoscopie (arrêt U 15/87 du 14 octobre 1987 consid. 4, in RAMA 1988 n° U 36 p. 42) (pour un exemple où il avait été jugé qu’une expertise était nécessaire voir l’arrêt 8C_999/2012 du 28 octobre 2013 in SVR 2014 UV n° 5 p. 13).

En l’espèce, on peut en déduire des indications du professeur E.__ que la pharyngectomie présentait certaines difficultés et que le terrain de l’opération était délicat. Au demeurant, le saignement causé par le sectionnement de la branche artérielle a été maîtrisé au cours de l’intervention par la pose d’un paking puis par la ligature de l’artère touchée. Il n’y avait plus d’hémorragie à la fin de l’opération. En ce qui concerne les fils utilisés ou la technique de ligature artérielle employée, aucun élément ne vient étayer la thèse de la veuve d’une négligence ou d’une faute du médecin. On ne relève pas non plus de carences dans le suivi post-opératoire de l’assuré. Celui-ci avait été vu par un médecin tous les jours. Le professeur E.__, qui était passé le voir le lundi 08.02.2016, avait constaté que le drain était bien en place et qu’il n’y avait pas de saignement, ni de signe d’infection (l’assuré ne présentait pas de fièvre). Il a déclaré qu’il n’y avait rien d’inquiétant jusqu’à l’hémorragie subite ayant conduit au décès. Alors que l’autopsie n’a pas pu déterminer quelle était l’origine de cette hémorragie, le professeur E.__ a émis l’hypothèse d’un lâchage des sutures du pharynx, ce qui, sous l’effet corrosif de la salive, avait pu conduire soit au lâchage des sutures artérielles soit à l’érosion d’une autre artère. Quoi qu’il en soit, au vu des renseignements médicaux figurant au dossier, l’hémorragie ne saurait être considérée comme la conséquence d’une erreur de traitement grossière et extraordinaire. A supposer une maladresse de la part du chirurgien, celle-ci n’atteindrait pas le degré de gravité suffisant pour être constitutive d’un accident.

 

Notion d’accident

La veuve fait grief à la cour cantonale de ne pas avoir retenu que la rupture brutale des sutures du pharynx est un facteur extérieur extraordinaire. Le lâchage totalement imprévisible de fils de suture résultant d’une intervention chirurgicale devait être qualifié d’accident de la même manière qu’une béquille qui se briserait soudainement.

Pour répondre aux conditions de la notion juridique de l’accident, l’atteinte à la santé doit trouver son origine dans un facteur extérieur, c’est-à-dire qu’elle doit résulter d’une cause exogène au corps humain. Cet élément, qui s’oppose à la cause interne qui caractérise la maladie, permet de distinguer ces deux éventualités. La cause extérieure peut être d’origine mécanique (un choc, une chute, etc.), électrique (une électrocution, p. ex.), chimique (l’émanation de vapeurs toxiques, p. ex.), thermique (une explosion, une brûlure provoquée par de l’eau bouillante ou des jets de vapeur, etc.) ou encore ionisante (des radiations, p. ex.) (STÉPHANIE PERRENOUD, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, [Dupont/Moser-Szeless éd.], 2018, n. 19 ad. art. 4 LPGA; voir également JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd., n. 88 p. 921; ANDRÉ NABOLD, Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, [Hürzeler/Kieser éd.], 2018, ad. art. 6 LAA, n. 20 ss). Un événement qui se produit à l’intérieur du corps (processus biologique, physiologique ou psychique), tel qu’une hémorragie cérébrale, un infarctus du myocarde ou encore la rupture d’une prothèse défectueuse de la hanche qui survient en l’absence de tout événement extérieur anormal (ATF 142 V 219) ne saurait être considéré comme un accident, faute de cause extérieure (STÉPHANIE PERRENOUD, op. cit., n. 22 ad. art. 4 LPGA).

En l’occurrence, le parallèle établi par la cour cantonale avec l’ATF 142 V 219, dans lequel le Tribunal fédéral avait jugé que la rupture d’une prothèse défectueuse de la hanche ne constituait pas un accident au sens juridique du terme est pertinent ; il s’agit aussi d’un processus interne au corps qui a agi dans la possible rupture des sutures chez l’assuré sans qu’une cause externe puisse être mise en cause. Que les fils de suture sont un élément étranger au corps, comme l’est d’ailleurs une prothèse de hanche, n’y change rien. Il n’y a pas d’accident dès lors que leur rupture ne peut être attribuée à une cause exogène au corps humain. De même, il n’est pas déterminant qu’une prothèse de hanche a pour fonction de remplacer de façon permanente une partie du corps tandis que des fils de suture sont posés de manière temporaire pour refermer une plaie. Tout autre est le cas de figure où une cause interne est à l’origine de l’accident ou favorise sa survenance. Mais l’événement accidentel doit alors pouvoir être considéré comme la cause directe et adéquate de l’atteinte. Ainsi la fracture d’une jambe à l’occasion d’une chute causée par la diminution intermittente de la pression sanguine constitue un accident (ATF 102 V 131). A l’évidence, on ne se trouve pas dans pareille hypothèse en l’espèce.

 

Le TF rejette le recours de la veuve.

 

 

Arrêt 8C_235/2018 consultable ici

 

 

Le National veut des mesures pour mieux protéger les patients

Le National veut des mesures pour mieux protéger les patients

 

Communiqué de presse du Parlement du 19.09.2018 consultable ici

 

Les patients devraient être mieux protégés, notamment contre les erreurs médicales. Le National a accepté mercredi par 178 voix contre 1 une motion de sa commission de la santé publique en ce sens. La Chambre des cantons doit encore se prononcer.

Le texte charge le Conseil fédéral de renforcer la protection des dommages. Il demande l’introduction d’une culture constructive en matière de sécurité et de traitement des erreurs médicales, l’amélioration de la responsabilité civile médicale, ainsi que l’établissement d’un état des lieux s’agissant de cette dernière.

Le droit de la responsabilité civile vise à compenser, dans des cas spécifiques, les dommages subis par un patient suite à une erreur médicale. Dans une telle situation, le fardeau de la preuve incombe au patient lésé.

 

Démarches déjà en cours

Il s’agit d’un dossier fondamental pour le Conseil fédéral, a souligné le ministre de la santé Alain Berset. La Confédération collabore déjà avec les cantons et les acteurs clés du domaine. Plusieurs démarches fédérales sont déjà en cours pour atteindre les objectifs du texte.

La Confédération soutient, à des fins préventives, les fournisseurs de prestations pour qu’ils prennent des mesures centrales de sécurités et se dotent de systèmes de gestion des risques. Elle entend en outre mettre en place des indicateurs de qualité médicaux pour favoriser la transparence, améliorer la situation en continu et évaluer le système dans son ensemble.

Il n’est pas pertinent de combiner les mesures générales pour le renforcement de la qualité et une simplification de la procédure juridique. Le rapport sur les droits des patients de juin 2015 préconise déjà de renforcer les offres de conseil et de soutien des patients.

 

 

Communiqué de presse du Parlement du 19.09.2018 consultable ici

Bulletin officiel, Conseil national Session d’automne 2018, Séance du 19.09.2018 (texte provisoire) consultable ici

Motion CSSS-CN 17.3974 « Prévention et gestion des dommages lors de traitements médicaux » consultable ici

 

 

8C_656/2016 (f) du 02.08.2017 – Notion d’accident – « Accident médical » et erreur médicale / 4 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_656/2016 (f) du 02.08.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2w2XLjj

 

Notion d’accident – « Accident médical » et erreur médicale / 4 LPGA

 

Le 08.04.2013, l’assurée qui demande à l’assurance-accidents de lui allouer des prestations de l’assurance-accidents pour une atteinte à la santé survenue à la suite de deux injections de Kenacort-A40 dans le cuir chevelu, auxquelles avait procédé son médecin traitant les 15.06.2012 et 20.07.2012 dans le contexte d’un traitement de céphalées.

L’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-accidents motif pris de l’absence d’un événement de caractère accidentel.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 17.08.2016, la juridiction cantonale a rejeté le recours. Se fondant essentiellement sur le rapport d’expertise produit par l’assurée et son complément, elle a considéré que les injections de Kenacort constituaient une erreur médicale mais qu’elles n’avaient pas entraîné d’importants risques pour la santé de l’assurée, de sorte que le caractère extraordinaire d’un événement accidentel ne pouvait être retenu.

 

TF

Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA).

La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 129 V 402 consid. 2.1 p. 404 et les références).

Le point de savoir si un acte médical est comme tel un facteur extérieur extraordinaire doit être tranché sur la base de critères médicaux objectifs. Le caractère extraordinaire d’une telle mesure est une exigence dont la réalisation ne saurait être admise que de manière sévère. Il faut que, compte tenu des circonstances du cas concret, l’acte médical s’écarte considérablement de la pratique courante en médecine et qu’il implique de ce fait objectivement de gros risques (ATF 121 V 35 consid. 1b p. 38; 118 V 283 consid. 2b p. 284). Le traitement d’une maladie en soi ne donne pas droit au versement de prestations de l’assureur-accidents, mais une erreur de traitement peut, à titre exceptionnel, être constitutive d’un accident, dès lors qu’il s’agit de confusions ou de maladresses grossières et extraordinaires, voire d’un préjudice intentionnel, avec lesquels personne ne comptait ni ne devait compter.

La notion d’erreur médicale ne saurait en effet être étendue à toute faute du médecin, au risque de faire jouer à l’assurance-accidents le rôle d’une assurance de la responsabilité civile des fournisseurs de prestations médicales (8C_234/2008 du 31 mars 2009 consid. 3.2, in SVR 2009 UV n° 47 p. 166). La question de l’existence d’un accident sera tranchée indépendamment du point de savoir si l’infraction aux règles de l’art dont répond le médecin entraîne une responsabilité (civile ou de droit public). Il en va de même à l’égard d’un jugement pénal éventuel sanctionnant le comportement du médecin (ATF 121 V 35 consid. 1b précité p. 39 et les références).

La jurisprudence a ainsi reconnu l’existence d’un accident dans le cas d’une transfusion de sang d’un groupe sanguin différent (ATFA 1961 p. 201 consid. 2a p. 205), d’un arrêt respiratoire à la suite d’une injection trop rapide par voie intraveineuse d’une dose excessive de produits anesthésiques (arrêt U 124/92 du 17 mai 1993 consid. 2b, in RAMA 1993 n° U 176 p. 204), d’un oubli d’une section de longueur importante d’un cathéter dans la vessie d’un patient (arrêt U 56/01 du 18 juillet 2003 consid. 3, in RAMA 2003 n° U 492 p. 371), ou dans le cas d’une mobilisation d’un genou occasionnant une nouvelle fracture d’une ostéotomie, alors que cette action était totalement contre-indiquée au regard du déroulement antérieur du traitement et des risques importants qu’elle comportait pour le patient (arrêt 8C_234/2008 du 31 mars 2009, in SVR 2009 UV n° 47 p. 166). En revanche, le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un accident notamment dans le cas d’une lésion de nerfs de la main survenue au cours d’une opération spécialement difficile et délicate sur un terrain cicatriciel dont l’anatomie était modifiée par de multiples opérations antérieures (ATF 121 V 35 déjà cité consid. 2 p. 39 s.), d’une contamination d’une plaie chirurgicale par une mycobactérie (ATF 118 V 59 consid. 3 p. 62), ou d’une perforation de l’artère pulmonaire à l’occasion d’une bronchoscopie (arrêt U 15/87 du 14 octobre 1987 consid. 4, in RAMA 1988 n° U 36 p. 42; pour une casuistique plus complète voir arrêt 8C_767/2012 du 18 juillet 2013 consid. 3.3 et FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, n. 97 p. 924).

Enfin, dans son rapport complémentaire, à la question de savoir si l’injection sous-cutanée de Kenacort entraînait de gros risques, le docteur D.__ répond que « les réactions et risques au niveau du site d’injection sont connus, mais l’injection au niveau du scalp en région de peau saine ne fait pas partie des indications ». Cela étant, il se limite à évoquer les effets secondaires connus et à rappeler que, sauf dans un contexte dermatologique, les injections sous-cutanées ne sont pas indiquées. Or, à elle seule, la contre-indication d’une intervention médicale n’est pas suffisante pour juger si l’acte répond à la définition légale de l’accident (ATF 118 V 283).

En conclusion, il n’est pas possible de retenir que les injections sous-cutanées de Kenacort, du fait qu’elles ne sont pas indiquées pour le traitement des céphalées, s’écarteraient considérablement de la pratique et auraient impliqué de gros risques pour l’assurée, allant au-delà des effets secondaires connus. En outre, les séquelles invoquées par l’assurée – à savoir les douleurs et l’incapacité de travail – ne sauraient être prises en considération pour examiner si en soi l’acte médical impliquait objectivement de gros risques.

C’est dès lors à juste titre que le caractère extraordinaire des injections en cause et, partant, l’existence d’un accident, ont été niés.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_656/2016 consultable ici : http://bit.ly/2w2XLjj