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8C_159/2023 (f) du 09.11.2023 – Notion d’accident lors d’une activité sportive – 4 LPGA / Caractère extraordinaire du facteur extérieur – Rappel de la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_159/2023 (f) du 09.11.2023

 

Consultable ici

 

Notion d’accident lors d’une activité sportive / 4 LPGA

Caractère extraordinaire du facteur extérieur – Rappel de la jurisprudence

 

Assurée, née en 1974, est maîtresse en éducation physique. Par déclaration d’accident bagatelle du 04.01.2021, son employeur a annoncé qu’elle s’était tordue le coude en faisant une démonstration de passement sur un caisson le 24.09.2020. Par décision du 26.01.2022, confirmée sur opposition le 29.03.2022, l’assurance-accidents a nié son droit à des prestations d’assurance au motif que l’événement du 24.09.2020 n’était pas un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/68/2023 – consultable ici)

Par jugement du 02.02.2023, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur; il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221; 129 V 402 consid. 2.1 p. 404 et les références; pour un aperçu de la jurisprudence cf. SELIN ELMIGER-NECIPOGLU, Unfallbegriff – Ein Blick auf die Rechtsprechung des Bundesgerichts, in Kieser [éd.], Sozialversicherungsrechtstagung 2021, 2022, p. 1 ss. STÉPHANIE PERRENOUD, in Commentaire romand LPGA, n o 1 ss ad art. 4 LPGA).

Consid. 3.2
Pour admettre la présence d’un accident, il ne suffit pas que l’atteinte à la santé trouve sa cause dans un facteur extérieur. Encore faut-il que ce facteur puisse être qualifié d’extraordinaire. Cette condition est réalisée lorsque le facteur extérieur excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante. Le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même (ATF 134 V 72 consid. 4.1; 129 V 402 consid. 2.1). L’existence d’un facteur extérieur est en principe admise en cas de « mouvement non coordonné », à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement non programmé, lié à l’environnement extérieur, tel le fait de glisser, de trébucher, de se heurter à un objet ou d’éviter une chute, le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1; arrêts 8C_24/2022 du 20 septembre 2022 consid. 3.2 in SVR 2023 UV n° 13 p. 40; 8C_404/2020 du 11 juin 2021 consid. 3.1; avec les références). Ainsi, dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a nié le facteur extraordinaire chez un assuré qui avait monté un petit escalier normal en tenant quelque chose à la main. Cette action n’avait rien d’inhabituel, même si elle s’était produite avec la partie avant du pied et non avec toute la surface du pied sur la marche. L’affaissement du talon sur la marche inférieure ne dépassait pas le cadre de ce à quoi on pouvait s’attendre dans la situation initiale et ne constituait pas un incident particulier. En outre, l’assuré n’avait pas allégué qu’il n’aurait pas vu un pas, qu’il aurait perdu l’équilibre ou qu’il aurait marché dans le vide sans support. Il n’avait pas non plus fait valoir que la configuration de l’escalier aurait été particulière ou qu’il se serait trouvé dans un état particulier (p.ex. humide ou verglacé) en raison d’influences environnementales. Malgré l’atteinte à la santé qui s’était produite (rupture partielle du tendon d’Achille), le seul abaissement du talon lors de la montée quotidienne d’un escalier, sans autre perturbation, ne remplissait ainsi pas les exigences relatives au facteur extérieur indispensable à l’affirmation de la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA (arrêt 8C_24/2022 du 20 septembre 2022, in SVR 2023 UV n° 13 p. 40).

Consid. 3.3
Pour les accidents survenus dans l’exercice du sport, l’existence d’un événement accidentel doit être niée lorsque et dans la mesure où le risque inhérent à l’exercice sportif en cause se réalise; autrement dit, le caractère extraordinaire de la cause externe doit être nié lorsqu’une atteinte à la santé se produit alors que le sport est exercé sans que survienne un incident particulier (arrêt 8C_410/2017 du 22 mars 2018 consid. 3.2). A titre d’exemples, le critère du facteur extérieur extraordinaire a été admis dans le cas d’une charge contre la balustrade subie par un hockeyeur (ATF 130 V 117 précité consid. 3), d’une réception au sol manquée par un gymnaste lors d’un « saut de carpe » (arrêt U 43/92 du 14 septembre 1992 consid. 3b, in RAMA 1992 n° U 156 p. 258), ou encore dans le cas d’un skieur dans un champ de bosses qui, après avoir perdu le contrôle de ses skis en raison d’une plaque de glace, aborde une nouvelle bosse qui le soulève et le fait retomber lourdement au sol. En revanche, il a été nié dans le cas d’une assurée qui, selon ses premières déclarations, a exécuté une culbute en arrière sans incidents particuliers et s’est alors blessée au niveau de la nuque et de l’épaule (arrêt U 322/02 du 7 octobre 2003). Il en est allé de même dans le cas d’une personne qui a exécuté une culbute « ratée » en arrière lors d’un entraînement de Ju-jitsu, le fait qu’elle a roulé non pas par-dessus son épaule, mais par-dessus sa nuque ne constituant pas un mouvement sortant de l’éventail ordinaire des mouvements exécutés dans la pratique de ce sport (arrêt 8C_189/2010 du 9 juillet 2010). Le Tribunal fédéral a également conclu à l’absence de facteur extraordinaire dans les cas suivants: une personne qui a trébuché sur une pierre, sans chuter, pendant une séance de nordic walking en extérieur (arrêt 8C_978/2010 du 3 mars 2011 consid. 4.2); une assurée qui s’est blessé à la nuque en effectuant une roulade en avant durant une leçon de gymnastique (arrêt U 98/01 du 28 juin 2002) ou en exécutant de manière légèrement imparfaite une figure de gymnastique ou un autre mouvement dans l’exercice d’un sport (arrêt U 134/00 du 21 septembre 2001; cf. pour un aperçu de la casuistique: MARTIN KAISER/JAVIER FERREIRO, Sozialversicherungsrechtliche Aspekte des Unfallbegriffs und des Wagnisses im Sport, in: RSAS 2013 p. 570 ss et 2014 p. 22 ss).

 

Consid. 4.1
Concernant le déroulement de l’événement, les juges cantonaux ont constaté – à l’instar de l’assurance-accidents – que l’assurée avait fait une démonstration de saut d’appui sur un caisson, lors duquel son coude droit était parti en arrière en lui provoquant des douleurs immédiates. Ils ont rajouté que l’assurée avait elle-même indiqué que la pratique de la gymnastique faisait partie de sa vie quotidienne. Dans le questionnaire à l’intention de l’assureur-accident, celle-ci avait répondu par la négative à la question de savoir s’il s’était passé quelque chose d’inhabituel. Cela étant, il n’en demeurait pas moins que, depuis ces déclarations et dans toutes ses écritures subséquentes, l’assurée avait indiqué que son « coude était parti vers l’arrière » alors qu’elle effectuait sa démonstration de saut sur le caisson. On pouvait en déduire que si un tel mouvement était habituel, l’assurée n’aurait pas pris la peine d’en faire état dans toutes ses descriptions successives de l’événement.

Ensuite la cour cantonale a examiné si ce mouvement inhabituel était suffisant aux yeux de la jurisprudence pour admettre l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire. Elle a retenu que, si la figure à effectuer lors de la démonstration du saut était bien dans la norme des activités quotidiennes de l’assurée, la manière dont elle s’était réceptionnée sur le caisson sortait, elle, clairement de l’ordinaire. La situation était similaire à celle de la gymnaste s’étant mal réceptionnée à l’issue d’un saut de carpe, situation dans laquelle le Tribunal fédéral des assurances avait admis l’existence d’un accident (arrêt U 43/92 du 14 septembre 1992, in RAMA 1992 U n° 156 p. 258). En effet, il y avait bel et bien eu un mouvement incontrôlé du coude de l’assurée au moment de la figure et de la réception, mouvement devant être qualifié de facteur extérieur extraordinaire. Dès lors, c’était à tort que l’assurance-accidents avait nié le caractère accidentel de l’événement du 24.09.2020.

 

Consid. 4.2
L’assurance-accidents conteste que la condition d’un facteur extraordinaire soit remplie en l’espèce. Selon elle, le déroulement du mouvement initié par l’assurée (démonstration d’un saut en appui sur un caisson) n’aurait été interrompu par aucun empêchement non programmé lié à l’environnement extérieur. Le fait que le coude soit « parti en arrière » ne serait selon elle pas un élément déterminant dans ce contexte. Il s’agirait d’un facteur strictement interne et l’articulation du coude aurait « lâché » sans aucune influence extérieure, très probablement en raison d’un état de faiblesse préexistant dû à une épicondilyte médiale.

Cette argumentation ne peut être suivie. D’abord, elle repose sur plusieurs hypothèses non vérifiées, faute d’instruction sur le plan médical. Ensuite, dès ses premières déclarations, l’assurée a précisé que son coude s’était tordu lors de l’exécution de sa démonstration. Ce mouvement de torsion, non programmé, s’est effectué lors d’un enchaînement qui impliquait pour l’assurée de mettre tout le poids du corps sur son bras en appui, bloqué par un élément extérieur fixe (le caisson); la charge qui s’y exerçait était renforcée par la vitesse du mouvement. Ces circonstances permettent bien de constater l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire et d’admettre, par conséquent, la survenance d’un accident au sens de l’art. 6 al. 1 LAA, comme l’ont fait les juges cantonaux.

Le point de savoir si l’épitrochléite constatée par la suite a été causée par l’accident ou s’il s’agissait d’une atteinte préexistante est une question de causalité qu’il appartiendra à l’assurance-accidents d’examiner.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_159/2023 consultable ici

 

8C_24/2022 (d) du 20.09.2022 – Notion d’accident – Rappel des notions du facteur extérieur et du caractère extraordinaire – 6 LAA – 4 LPGA / Rupture partielle du tendon d’Achille en montant les escaliers

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_24/2022 (d) du 20.09.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion d’accident – Rappel des notions du facteur extérieur et du caractère extraordinaire / 6 LAA – 4 LPGA

Rupture partielle du tendon d’Achille en montant les escaliers

 

Assuré, né en 1956, travaille depuis 2016 comme directeur d’une société anonyme. Le 23.10.2019, il a subi une rupture partielle du tendon d’Achille, pour laquelle l’assurance-accidents a nié la notion d’accident en raison de l’absence d’un facteur extérieur extraordinaire et de modifications dégénératives (décision du 09.03.2020, confirmée sur opposition le 15.10.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00257 – consultable ici)

En ce qui concerne l’événement litigieux du 23.10.2019, l’instance cantonale a constaté que l’assuré a transporté à bout de bras de la nourriture, de la vaisselle et des harasses de la maison à la voiture et vice-versa en empruntant un escalier en béton comportant trois marches d’environ 20 cm de haut. La troisième fois, il s’est contenté de poser la pointe du pied gauche sur une marche, a voulu suivre ou monter avec le pied droit et s’est affaissé en raison de la charge, sans pour autant tomber. Le lendemain, les médecins ont diagnostiqué une rupture partielle importante du tendon d’Achille (90%), qui a été réparée par la suite par voie chirurgicale. Dans son appréciation, le tribunal cantonal a confirmé l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire, étant donné que le déroulement normal des mouvements lors de la montée des escaliers a été perturbé par un « faux pas » dans les escaliers, au sens d’un mouvement non coordonné.

Par jugement du 11.11.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant l’existence d’un accident.

 

TF

Consid. 3.1
Conformément à l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle, sauf disposition contraire de la loi. Selon l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physi­que, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort.

Consid. 3.2
Le facteur extérieur est la caractéristique centrale de tout événement accidentel ; il est le pendant de la cause interne – constitutive de la notion de maladie (ATF 134 V 72 consid. 4.1.1). Selon la jurisprudence, le facteur extérieur est extraordinaire lorsque – selon un critère objectif – il ne se situe plus dans le cadre de ce qui est quotidien et habituel pour le domaine de vie concerné (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 134 V 72 consid. 4.1; SVR 2022 UV Nr. 13 p. 55, 8C_430/2021 consid. 2.3; SVR 2021 UV Nr. 28 p. 132, 8C_534/2020 consid. 4.1; SVR 2017 UV Nr. 18 S. 61, 8C_53/2016 consid. 3.1). Le caractère extraordinaire du facteur extérieur peut notamment consister en un mouvement non coordonné. L’existence d’un facteur extérieur est en principe admise en cas de « mouvement non coordonné », à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement « non programmé », lié à l’environnement extérieur. Dans le cas d’un tel mouvement non coordonné, le facteur extérieur extraordinaire doit être admis, car le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1; SVR 2021 UV Nr. 21 p. 101, 8C_586/2020 consid. 3.3; SVR 2020 UV Nr. 35 p. 141, 8C_671/2019 consid. 2.3). C’est le cas, par exemple, lorsque la personne assurée trébuche, glisse ou se cogne contre un objet, ou lorsque, pour éviter de glisser, elle adopte ou tente d’adopter une attitude de protection réflexe (arrêts 8C_783/2013 du 10 avril 2014 consid. 4.2 ; 8C_749/2008 du 15 janvier 2009 consid. 3.2).

En revanche, l’apparition de douleurs en tant que telle ne constitue pas un facteur extérieur (dommageable) au sens de la jurisprudence (ATF 129 V 466 consid. 4.2.1 ; arrêt 8C_456/2018 du 12 septembre 2018 consid. 6.3.2).

En règle générale, les effets qui résultent de processus quotidiens ne peuvent pas être considérés comme la cause d’une atteinte à la santé (ATF 134 V 72 consid. 4.1).

Il convient en outre de noter que la notion médicale de traumatisme ne se recoupe pas avec la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA, qui relève du droit des assurances (arrêts U 199/03 vom 10 mai 2004 consid. 1, non publié in : ATF 130 V 380; SVR 2011 UV Nr. 11 p. 39, 8C_693/2010 consid. 7; 8C_589/2021 du 17 décembre 2021 consid. 5.5).

Ce qui est donc déterminant, c’est que le facteur extérieur se démarque de la norme des effets de l’environnement sur le corps humain (ATF 134 V 72 consid. 4.3.1; SVR 2015 UV Nr. 6 p. 21, 8C_231/2014 consid. 2.3).

Consid. 5.2
Selon la jurisprudence, monter des escaliers constitue un acte de la vie quotidienne et une sollicitation physiologique du corps sans danger potentiel accru (arrêts 8C_40/2017 du 11 avril 2017 consid. 6 ; 8C_766/2010 du 15 juin 2011 et la référence à l’ATF 129 V 466 consid. 4.2.2). Le fait de monter et de descendre de manière répétée d’une plateforme de 10 à 20 cm de haut lors d’une séance de step aérobic, sans sauter, ne constitue pas non plus une situation de danger accru. Le simple fait de monter ou de descendre d’un stepper dans le cadre d’une chorégraphie d’aérobic n’entraîne pas non plus un mouvement incontrôlable. Il en irait autrement si le stepper glissait lors du mouvement de descente (arrêt 8C_11/2015 du 30 mars 2015 consid. 3.2). Une chute dans les escaliers (arrêt 8C_40/2017 du 11 avril 2017 consid. 6) ainsi qu’un faux pas avéré lors de la montée des escaliers doivent être considérés comme un facteur extérieur extraordinaire (arrêt U 236/98 du 3 janvier 2000 consid. 3b). Le caractère extraordinaire, et donc l’existence d’un accident, doit toutefois être nié même en cas de blessure sportive sans événement particulier (cf. ATF 130 V 117 consid. 2.2; SVR 2014 UV Nr. 21 p. 67, 8C_835/2013 consid. 5.1; arrêt 8C_570/2019 du 8 novembre 2019 consid. 3.2).

Consid. 5.3
L’instance cantonale a considéré que le fait de « ne pas se tenir correctement » dans l’escalier constituait un mouvement non coordonné, dans le sens d’un facteur extérieur extraordinaire. Un faux pas ou même une chute ne sont pas établis. L’assuré n’allègue pas avoir manqué une marche, avoir perdu l’équilibre ou avoir marché dans le vide sans appui. Il ne fait pas non plus valoir que la conception de l’escalier était particulière ou qu’il se trouvait dans un état particulier (p. ex. humide ou verglacé) en raison d’influences de l’environnement. Au contraire, il a monté un petit escalier normal en tenant quelque chose à la main. Ce processus n’a rien d’inhabituel, même s’il n’a posé que la partie avant du pied et non toute la surface du pied sur la marche. L’affaissement du talon sur la marche inférieure ne dépasse pas le cadre de ce à quoi on peut s’attendre dans la situation initiale et ne constitue pas un incident particulier. Malgré l’atteinte à la santé qui s’est produite, le seul abaissement du talon lors de la montée quotidienne d’un escalier, sans que le déroulement ne soit en outre perturbé, ne remplit pas les exigences relatives au facteur extérieur indispensable à l’affirmation de la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA.

Consid. 5.4
En résumé, le tribunal cantonal a violé le droit fédéral en concluant à l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire au sens de l’art. 4 LPGA et donc à un accident.

Consid. 6.1
Le tribunal cantonal ne s’est prononcé que sur la question de savoir s’il s’agissait d’un accident au sens de l’art. 6 al. 1 LAA et a renoncé à donner des explications sur l’obligation de verser des prestations sous l’angle d’une des affections énumérées à l’art. 6 al. 2 LAA. Une décision réformatrice n’est donc pas possible (cf. ATF 140 III 24 consid. 3.3). En annulant le jugement attaqué, l’affaire doit être renvoyée à l’instance cantonale pour un examen matériel de ces conditions et un nouveau jugement (cf. ATF 146 V 51 consid. 9.1 ; arrêt 8C_445/2021 du 14 janvier 2022 consid. 3.1).

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_24/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_24/2022 (d) du 20.09.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/10/8c_24-2022)

 

9C_789/2020 (f) du 19.04.2021 – Lésion dentaire – Notion d’accident – Facteur extérieur de caractère extraordinaire – 4 LPGA / Se faire heurter le bas du visage par son petit-fils de deux ans en l’installant dans la voiture est un accident / Adéquation du traitement pour restaurer la capacité de mastication – Critère de l’économicité des prestations – 31 LAMal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_789/2020 (f) du 19.04.2021

 

Consultable ici

 

Lésion dentaire – Notion d’accident – Facteur extérieur de caractère extraordinaire / 4 LPGA

Se faire heurter le bas du visage par son petit-fils de deux ans en l’installant dans la voiture est un accident

Adéquation du traitement pour restaurer la capacité de mastication – Critère de l’économicité des prestations / 31 LAMal

 

A.__, née en 1954, est assurée en assurance-maladie obligatoire des soins. Le 15.09.2018, alors qu’elle installait son petit-fils de deux ans dans la voiture, l’assurée s’est penchée en avant en même temps que l’enfant et a heurté son front avec le bas de son visage. Consultée le 20.09.2018, la dentiste traitante a constaté une fracture de couronne avec lésion de la pulpe des dents 31 et 41 et procédé à un traitement d’urgence. Le même jour, l’assurée a envoyé une déclaration d’accidents à la caisse-maladie.

Le 20.11.2018, la caisse-maladie a octroyé une garantie de paiement pour le traitement dentaire occasionné par l’événement du 15.09.2018, conformément au devis établi, selon lequel l’extraction des dents 31 et 41 et la pose de deux implants étaient prévues, pour un montant estimé à 8299 fr. 30. Un devis complémentaire portant sur une augmentation osseuse au niveau des dents 31 et 41 avant implantations, dont les coûts étaient estimés à 1175 fr. 40, a ensuite été soumis à la caisse-maladie pour approbation.

Par décision du 12.08.2019, confirmée sur opposition, la caisse-maladie a refusé de prendre en charge les coûts liés à la pose d’implants. En bref, elle a considéré que le traitement envisagé ne répondait plus au critère de l’économicité étant donné qu’une augmentation osseuse constituait un préalable nécessaire à la pose des implants. Elle a également expliqué que comme le fournisseur de prestations faisait dépendre le traitement projeté d’une nouvelle intervention, il était légitime de réexaminer l’entier du traitement sous l’angle de l’art. 32 LAMal, et qu’elle prendrait en charge les coûts de ponts collés, traitement qui constituait selon elle une alternative plus économique. Dans la décision sur opposition, la caisse-maladie a par ailleurs nié que l’événement du 15.09.2018 pût être constitutif d’un accident, à défaut de cause extérieure.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 306 – consultable ici)

La juridiction cantonale a admis qu’il s’agissait d’un accident, dès lors que la lésion avait été provoquée par le heurt du bas du visage de l’assurée contre la tête de l’enfant qui s’était penché au même moment et dans la même direction qu’elle. Les juges cantonaux ont ensuite constaté que le traitement proposé par la caisse-maladie, soit la confection d’un pont collé, ne constituait pas une solution définitive et ne répondait donc pas au critère d’adéquation. A défaut d’alternative thérapeutique appropriée, la juridiction cantonale a considéré que l’augmentation osseuse suivie d’une pose d’implants selon les devis était conforme au critère d’économicité. Aussi a-t-elle admis l’obligation de la caisse-maladie de prendre en charge les coûts du traitement dentaire sollicité par l’assurée.

Par jugement du 10.11.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision sur opposition. La juridiction cantonale a condamné la caisse-maladie à prendre en charge les frais relatifs à une augmentation osseuse suivie de la pose d’implants selon les devis établis en conformité avec les tarifs en vigueur.

 

TF

Notion d’accident

L’argumentation de la caisse-maladie selon laquelle le fait que la lésion dentaire est survenue dans le cadre d’un « quotidien banal », alors que l’assurée installait son petit-fils dans sa voiture, soit une « opération réfléchie et prévisible » qui s’inscrit dans « les activités normales de tous les grands-parents s’occupant à l’occasion de leurs petits-enfants » et qui s’accompagne du risque prévisible que « les deux têtes, de l’adulte et de l’enfant, rentrent en contact », n’est pas fondée. Comme le relève à juste titre l’assurée, de nombreux accidents peuvent survenir à l’occasion d’activités qui font partie de la vie quotidienne, comme il en va, par exemple, lorsqu’une personne chute dans les escaliers. Selon l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort. Le facteur extérieur extraordinaire à l’origine de l’atteinte à la santé ne réside pas dans l’activité effectuée, mais bien dans la chute, respectivement, comme en l’espèce, dans le choc entre la tête de l’assurée et celle de son petit-fils. Selon la jurisprudence, lors d’un mouvement corporel, l’exigence d’une incidence extérieure est en principe remplie lorsque le déroulement naturel du mouvement est influencé par un phénomène extérieur (« mouvement non programmé »). Dans le cas d’un tel mouvement, l’existence du facteur extérieur extraordinaire doit être admise, car le facteur extérieur – l’interaction entre le corps et l’environnement – constitue en même temps le facteur extraordinaire en raison de l’interruption du déroulement naturel du mouvement. Le caractère extraordinaire peut ainsi être admis, notamment, lorsque l’assuré s’encouble ou se heurte à un objet (ATF 130 V 117 consid. 2.1 p. 118 et les arrêts cités; arrêt U 220/05 du 22 mai 2006 consid. 3.3 et les arrêts cités).

La juridiction cantonale n’a pas constaté arbitrairement que le heurt entre le front de l’enfant et le bas du visage de l’assurée, qui a occasionné la lésion dentaire, était survenu parce que l’enfant s’était penché en avant en même temps que sa grand-mère. A la lecture de la déclaration d’accident du 20.09.2018, remplie en allemand, on constate que l’enfant a bien effectué un mouvement vers l’avant en même temps que l’assurée (« beugten wir beide gleichzeitig nach vorne »). Le fait que le petit-fils de l’assurée ait ou non effectué un mouvement n’est du reste pas décisif pour déterminer si l’événement du 15.09.2018 répond à la définition juridique de l’accident. Selon la jurisprudence, la cause extérieure extraordinaire nécessaire pour pouvoir qualifier une atteinte à la santé d’accident peut résider dans un mouvement corporel qui est perturbé par un choc contre un objet qui n’est pas lui-même en mouvement. Ainsi, le Tribunal fédéral a par exemple jugé que l’assuré qui se cogne la tête contre un panneau d’information et subit de ce fait une lésion dentaire est victime d’un accident au sens juridique du terme, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si le choc est survenu parce que l’assuré a, au préalable, trébuché ou été poussé (arrêt 9C_776/2012 du 8 janvier 2013 consid. 5.2 et les arrêts cités).

 

Les juges cantonaux n’ont pas considéré que l’avis du dentiste traitant l’emportait sur celui du médecin-dentiste conseil de la caisse-maladie. Il ressort à cet égard des constatations cantonales que bien qu’ayant été formellement invitée par la juridiction de première instance à déposer une éventuelle prise de position écrite de son dentiste consultant, la caisse-maladie n’a pas versé la pièce requise au dossier. La caisse-maladie ne le conteste du reste pas puisqu’elle indique qu’il ne pouvait pas être attendu d’elle qu’elle « sollicite sérieusement » un nouvel avis de son médecin-dentiste conseil. Quoi qu’en dise la caisse-maladie à cet égard, le seul avis médical au dossier est celui du docteur D.__, médecin-dentiste spécialiste en chirurgie orale et dentiste traitant. Tout au plus, dans le cadre de la procédure administrative, la caisse-maladie s’est référée à un avis de son dentiste-conseil antérieur à celui du docteur D.__, qui ne figure pas au dossier. Dans une correspondance du 05.06.2019, la caisse-maladie avait en effet informé l’assurée de son refus de prendre en charge les coûts du traitement sollicité, en indiquant qu’après avoir soumis le dossier à son dentiste consultant, ledit traitement ne répondait plus aux critères d’économicité au vu de la nécessité d’effectuer une augmentation osseuse préalablement à la pose d’implants, sans étayer davantage son point de vue.

 

En ce qu’elle allègue ensuite que la dentition de l’assurée aurait, avant l’accident, déjà fait l’objet de plusieurs traitements et devait encore faire l’objet de plusieurs traitements, et qu’une solution au moyen d’un pont adhésif ou d’une prothèse partielle avec deux éléments dentaires serait tout aussi efficace et rapide, mais nettement plus économique pour restaurer la capacité de mastication que la pose d’implants, la caisse-maladie ne remet pas en cause de manière convaincante les conclusions du dentiste traitant, qui ont été suivies par les juges cantonaux. D’une part, la caisse-maladie développe son argumentation en se référant à l’opinion émise par son médecin-dentiste conseil antérieurement à l’avis du docteur D.__ du 26.06.2019, sans produire cette pièce. D’autre part, le docteur D.__ a expliqué que le traitement proposé par la caisse-maladie, soit la confection d’un pont collé, ne constituait pas une alternative thérapeutique, étant donné que la durée moyenne d’une telle réhabilitation était de cinq ans et qu’il ne s’agissait donc pas d’une solution définitive. Dans son courrier du 26.06.2019, le dentiste traitant a également indiqué que si un devis complémentaire avait été soumis à la caisse-maladie le 15.05.2019, c’est en raison du fait que la perte de la densité osseuse en tant que suite de l’accident ne pouvait être quantifiée avant l’extraction des dents endommagées (qui a eu lieu le 14.12.2018) et la cicatrisation des plaies. La caisse-maladie ne peut donc pas être suivie lorsqu’elle affirme de manière péremptoire que le docteur D.__ n’aurait pas expliqué pourquoi ce n’est qu’après près de six mois qu’il a considéré qu’un nouveau traitement, sous la forme d’une augmentation osseuse, était nécessaire. Elle ne saurait non plus reprocher à ce médecin de ne pas s’être prononcé sur l’état de la dentition de l’assurée avant l’accident, ni sur l’objectif et le caractère économique du traitement qu’il a préconisé, dès lors déjà qu’elle avait accordé, le 20.11.2018, une garantie de paiement pour le traitement dentaire ayant fait l’objet du devis établi le 18.10.2018 (extraction des dents 31 et 41 et pose de deux implants, pour un montant estimé à 8299 fr. 30). Dans la correspondance qu’elle avait adressée à l’assurée le 20.11.2018, la caisse-maladie avait en effet admis que ledit traitement constituait une prestation obligatoire dont elle était tenue de prendre en charge les coûts. Au vu de l’obligation des caisses-maladie de prendre en charge, au titre de l’assurance obligatoire des soins, les coûts des prestations définies aux art. 25 à 31 LAMal, en tenant compte des conditions des art. 32 à 34 LAMal (art. 24 al. 1 LAMal), il s’agissait donc d’un traitement adéquat pour restaurer la capacité de mastication et qui satisfaisait au critère de l’économicité des prestations.

La caisse-maladie aurait dû savoir qu’après le laps de temps nécessaire et obligatoire entre l’extraction des dents et la pose des implants, il était possible que la densité osseuse pût s’avérer insuffisante pour assurer la fixation de ceux-ci. A cet égard, on ajoutera que la caisse-maladie aurait à tout le moins dû solliciter des renseignements auprès de son dentiste consultant avant d’octroyer une garantie de paiement sans réserve le 20.11.2018. Dans ces circonstances, la juridiction cantonale a considéré que le principe de la confiance obligeait également la caisse-maladie à prendre en charge le traitement litigieux, ce d’autant plus que le devis complémentaire ne s’élevait qu’à environ 10 % du devis initial (1175 fr. 40). Quoi qu’il en soit, dans la mesure où l’avis du docteur D.__ selon lequel le traitement proposé par la caisse-maladie ne constituait pas une alternative thérapeutique adéquate, n’est pas contesté par une opinion médicale contraire, c’est à bon droit que la juridiction cantonale a admis que l’augmentation osseuse suivie de la pose d’implants ne pouvait pas être considérée comme non conforme au critère d’économicité.

En conclusion, si la caisse-maladie entendait contester l’avis du dentiste traitant, il lui eût appartenu de fournir un avis médical contraire, ce qu’elle n’a pas fait, malgré l’injonction de la juridiction cantonale. On rappellera à ce propos que la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA) ne dispense pas les parties de l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi la partie concernée s’expose à devoir supporter les conséquences de l’absence de preuve (ATF 125 V 193 consid. 2 p. 195; 117 V 264 consid. 3b et les arrêts cités). En conséquence, les considérations des juges cantonaux, selon lesquelles la caisse-maladie doit prendre en charge les frais relatifs à l’augmentation osseuse suivie de la pose d’implants conformément aux devis des 18.10.2018 et 15.05.2019, doivent être confirmées.

 

Le TF rejette le recours de la caisse-maladie.

 

 

Arrêt 9C_789/2020 consultable ici

 

 

8C_534/2020 (i) du 17.02.2021 – Notion d’accident – 4 LPGA / Rouler avec un moutain bike dans un nid de poule de 15 cm de profondeur sur une route asphaltée n’est pas extraordinaire [même dans notre pays]

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_534/2020 (i) du 17.02.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Notion d’accident / 4 LPGA

Rouler avec un moutain bike dans un nid de poule de 15 cm de profondeur sur une route asphaltée n’est pas extraordinaire [même dans notre pays]

 

Assuré, éducateur spécialisé, né en 1983, a fait annoncer par son employeur, le 01.06.2017, l’accident dont il a été victime le 24.05.2017, sur la route de montagne Monti Motti à Gudo. Description : « En pédalant sur la chaussée, il a heurté une bosse irrégulière, ce qui lui a causé un traumatisme au testicule droit. »

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié la notion accidentelle et nié le lien de causalité naturelle entre les troubles et l’événement du 24.05.2017.

 

Procédure cantonale

Selon le tribunal cantonal, le facteur extérieur est la secousse du mountain bike et l’impact sur la selle qui en résultait. Le facteur extraordinaire est le nid de poule de 50 cm de long et 15 cm de profondeur sur une route asphaltée. Selon les juges cantonaux, dans notre pays, cela doit certainement être considéré comme un événement inhabituel sur une route asphaltée. La situation aurait été différente si l’événement s’était déroulé sur un sentier ou un parcours de VTT.

Par jugement du 06.07.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision litigieuse, renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

Au sens de l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physi­que, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort. Les éléments constitutifs de l’accident – qui sont une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur – doivent être remplis cumulativement. Il résulte de la définition même de l’accident que le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède, dans le cas particulier, le cadre des événements et des situations que l’on peut, objectivement, qualifier de quotidiens ou d’habituels (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221; 134 V 72 consid. 2.2 p. 74 s.; 129 V 402 consid. 2.1 p. 404; 122 V 230 consid. 1 p. 233; 121 V 35 consid. 1a p. 38 et les références). Dès lors, il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné, le cas échéant, des conséquences graves ou inattendues (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221; 134 V 72 consid. 4.3.1 p. 79 s.; 129 V 402 consid. 2.1 p. 404).

Passer dans un nid de poule d’environ 15 cm de profondeur avec un vélo amortissant les chocs ne constitue pas un facteur extérieur extraordinaire capable de justifier un accident. La situation est comparable à celle d’un cycliste qui saute d’un trottoir sur la route, ce qui est parfaitement normal pour un vélo. Les quelques centimètres supplémentaires entre un nid de poule et un trottoir ne changent rien à l’extraordinaireté/au caractère extraordinaire. Le Tribunal fédéral a également exclu la possibilité d’un accident en roulant sur un dos d’âne (arrêt U 79/98 du 20 juillet 2000 consid. 3a). Il en va de même pour un changement d’allure lors d’une promenade à cheval (arrêt U 296/05 du 14 février 2006 consid. 1.1, publié in SVR 2006 UV n. 18) ou un freinage d’urgence en voiture sans qu’il y ait collision (arrêt 8C_325/2008 du 17 décembre 2008 consid. 2.2). Le caractère extraordinaire a également été refusé dans le cas d’un exercice sportif non réussi (arrêt 8C_189/2010 du 9 juillet 2010 consid. 5.2).

En l’espèce, le fait que l’assuré n’aurait pas vu le nid de poule ou le fait que la route en question était asphaltée ne sont pertinents. Le plan du projet définitif d’amélioration de la route Medoscio-Monti Motti présenté par l’assuré n’est pas davantage utile. Au contraire, le nombre de cassis [nid de poules/trous] sur toute la longueur de la route laisse penser que l’état de la route était dégradé sur de longs tronçons et que la présence de diverses bosses, nids de poule et irrégularités était prévisible, à tel point que – selon la propre déclaration de l’assuré – des travaux d’assainissement étaient nécessaires.

La cour cantonale a donc violé le droit fédéral en considérant que le facteur extérieur de caractère extraordinaire était rempli.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_534/2020 consultable ici

 

 

8C_545/2019 (d) du 14.11.2019 – Notion d’accident – Explosion d’un article pyrotechnique dans un stade de foot – 112dB – 4 LPGA / Rappel de la notion de facteur extérieur en cas de traumatisme acoustique (Knalltraumata) / Caractère extraordinaire du facteur extérieur nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_545/2019 (d) du 14.11.2019

 

NB : traduction personnelle, seul le texte de l’arrêt fait foi.

Consultable ici

 

Notion d’accident – Explosion d’un article pyrotechnique dans un stade de foot – 112dB / 4 LPGA

Rappel de la notion de facteur extérieur en cas de traumatisme acoustique (Knalltraumata)

Caractère extraordinaire du facteur extérieur nié

 

Assuré, chef d’exploitation agricole, a assisté, le 21.02.2016, à un match de football de Super League en tant que spectateur à la Swissporarena de Lucerne lorsque, peu après le coup d’envoi du match, B.__ a lancé deux feux d’artifice et de la fumée. Lors de l’explosion du deuxième pétard (« Kreiselblitz mit Silberperlenschweif »), plusieurs personnes ont quitté le stade, dont l’assuré, qui se trouvait à 20,3 mètres du pétard détonant. Il a déclaré plus tard qu’immédiatement après l’explosion, un sifflement fort, une pression dans la tête et une sensation de vertige s’étaient produits. Après avoir retrouvé sa famille quelques minutes plus tard, l’assuré a remarqué qu’il entendait moins du côté gauche et qu’une pression désagréable persistait dans l’oreille gauche. Sa veste avait des trous brûlés à cause de l’étincelle du pétard.

B.__ a été reconnu coupable, entre autres, de lésions corporelles graves (art. 122 al. 2 CP) au détriment de l’assuré (6B_1248/2017 / 6B_1278/2017 du 21 février 2019 consid. 5.4).

Dans le cadre de la procédure pénale, une expertise acoustique d’un Dr. sc. techn. ETH du département de physique de la Suva a été produit. D’un point de vue médical, l’assuré a été évalué par un spécialiste FMH en oto-rhino-laryngologie. Ce dernier a diagnostiqué une perte auditive bilatérale liée à l’âge, une perte auditive neurosensorielle sévère et un acouphène de degré II au côté gauche. Un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie a diagnostiqué état de stress post-traumatique (ESPT).

Par décision, l’assurance-accidents a nié le caractère extraordinaire du facteur extérieur, indiquant que d’après l’avis d’expert du Dr. sc. techn. ETH l’engin explosif utilisé avait, à une distance de 20,3 mètres, un niveau d’exposition sonore de 112,2 dB avec une marge d’erreur de ± 4 dB. Sur opposition, l’assurance-accidents a confirmé sa décision et niant également l’obligation de prestation au titre de dommages corporels assimilés à un accident.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 06.06.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision litigieuse.

 

TF

Selon l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort.

 

Facteur extérieur

Le facteur externe est l’élément central de tout accident ; c’est la contrepartie de la cause interne qui constitue la notion de maladie (ATF 134 V 72 consid. 4.1 p. 76 s., consid. 4.3.2.1 p. 80 s. ; 118 V 283 consid. 2a). L’action de forces objectivement vérifiables indépendantes du corps humain est nécessaire (BGE 139 V 327 consid. 3.3.1 p. 329 ; Pra 2013 n° 101 p. 778). L’influence extérieure peut avoir différentes causes. Dans le cas des traumatismes dits « bang traumas » (Knalltraumata), il y a un effet acoustique sur l’oreille (interne) (voir arrêt du Tribunal fédéral U 245/05 du 1er décembre 2005 concernant un coup de timbale ; arrêt 8C_477/2007 du 10 septembre 2008 concernant un signal d’alarme ; arrêt 8C_403/2018 du 7 septembre 2018 concernant une bombe à confetti ; arrêts 8C_280/2010 du 21 mai 2010 et 8C_317/2010 du 3 août 2010 concernant un dispositif anti-martre).

L’émission de bruit a été causée par l’explosion du pétard. Cependant, la perte auditive de la personne assurée ne peut avoir été causée que par le bruit ou le niveau sonore et non par le pétard lui-même. L’assuré n’a pas fait valoir des atteintes à la santé tel que des brûlures, etc. Par conséquent, lorsque le pétard explose, l’article pyrotechnique ne doit pas être considéré comme un facteur externe, mais c’est bien le bruit ou le niveau sonore qu’il le réalise.

 

Caractère extraordinaire du facteur extérieur

Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède, dans le cas particulier, le cadre des événements et des situations que l’on peut, objectivement, qualifier de quotidiens ou d’habituels (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221 ; 134 V 72 consid. 4.1 p. 76). Selon la jurisprudence, la notion du caractère extraordinaire ne se rapporte pas à l’effet du facteur externe, mais seulement au facteur externe lui-même. Il n’est donc pas pertinent pour l’examen du caractère extraordinaire que le facteur extérieur ait entraîné, le cas échéant, des conséquences graves ou inattendues (arrêt 8C_842/2018 du 6 mai 2019 consid. 3.3.1 et 8C_231/2014 du 27 août 2014 consid. 2.3 avec références).

Si la notion du caractère extraordinaire ne se réfère pas à l’effet du facteur externe, mais uniquement au facteur externe lui-même, le caractère extraordinaire du bruit ou de l’émission sonore est évalué principalement sur la base des valeurs du niveau d’exposition acoustique (voir à ce sujet U 245/05 du 1er décembre 2005 consid. 2.3 et 2.4 ; 8C_477/2007 du 10 septembre 2008 consid. 3.4 ; 8C_280/2010 du 21 mai 2010 consid. 3.2.1 ; 8C_317/2010 du 3 août 2010 consid. 3.2 et 8C_403/2018 du 7 septembre 2018 consid. 4.3).

Dans l’arrêt 6B_1248/2017 / 6B_1278/2017 du 21 février 2019, la Cour pénale du Tribunal fédéral a examiné si le tir de l’engin explosif (Kreiselblitz) avait causé des lésions corporelles graves au détriment de l’assuré. Pour ce faire, elle a d’abord obtenu l’expertise acoustique du Dr. sc. techn. ETH, selon laquelle on ne pouvait normalement pas s’attendre à des dommages auditifs permanents en cas d’exposition unique à un bruit de 112 dB. Selon les règles de la Suva, l’exposition à un seul de ces événements est encore autorisée sans protection auditive. La possibilité d’une lésion auditive permanente est bien inférieure à 1%, mais ne peut être exclue. Cela n’est possible que si un affaiblissement ou une lésion temporaire ou permanente de l’oreille interne a entraîné une susceptibilité accrue à un tel stress, qui devrait être évaluée par une expertise ORL. Dans l’expertise ORL, le spécialiste a conclu que l’assuré avait subi des dommages auditifs permanents et que ceux-ci avaient été causés par le traumatisme acoustique du 21.02.2016. Dans ce cas, 18% de la perte auditive était très probablement due à la perte auditive liée à l’âge préexistante à l’événement dommageable. La perte auditive supplémentaire de 67 % était attribuable à l’événement dommageable. Pour répondre à la question de savoir si un dommage corporel grave au sens de l’art. 122 CP était présent, la Cour pénale du Tribunal fédéral s’est appuyée sur l’avis médical de l’expert ORL. Elle a en outre expliqué qu’elle devait être pondérée plus fortement que l’expertise acoustique, car elle incluait les caractéristiques individuelles du cas.

L’expertise acoustique se concentre sur les valeurs objectivement mesurables du niveau d’exposition acoustique ou sur la question de savoir si la valeur du niveau d’exposition acoustique en question a un effet nuisible sur l’audition chez une personne saine n’ayant jamais souffert d’une maladie. D’autre part, l’expertise médicale a pour but d’évaluer la perte auditive spécifique de la personne assurée, si nécessaire en tenant compte d’une prédisposition qui peut conduire à une sensibilité accrue à un tel stress. La question de savoir si le facteur externe est extraordinaire, auquel il faut répondre selon un critère objectif, est donc déterminée par les valeurs du niveau d’exposition sonore indiquées dans le rapport acoustique. Quant à elle, l’expertise médicale ne devient pertinente au regard du droit de l’assurance-accidents qu’après l’admission de la notion d’accident pour l’examen du lien de causalité naturelle entre lésions auditives et le traumatisme sonore. Il faut tenir compte du fait que même si la perte auditive alléguée peut avoir été un lien de causalité naturelle avec le facteur extérieur d’un point de vue médical, aucune conclusion ne peut être tirée quant à la caractéristique du caractère extraordinaire (arrêt 8C_317/2010 du 3 août 2010 consid. 3.2).

L’expert acoustique a calculé un niveau d’exposition sonore d’au moins 112,2 dB à une distance de 20,3 mètres entre la source sonore et la personne assurée et, compte tenu de la marge d’erreur de 4 dB, un niveau maximal de 116,2 dB pour la personne assurée, lorsqu’elle a été exposée lors du déclenchement de l’engin pyrotechnique.

Dans de précédentes affaires d’exposition au bruit, le Tribunal fédéral a conclu qu’une valeur maximale de 111 dB n’est pas extraordinaire, car elle est nettement inférieure à la valeur limite pour un risque auditif dû à une exposition au bruit (arrêt 8C_280/2010 du 21 mai 2010 consid. 3.2). Cette affirmation a été confirmée dans un arrêt ultérieur en considérant qu’il en va de même pour les valeurs maximales de 108 et respectivement 113 dB (arrêt 8C_317/2010 du 3 août 2010 consid. 3.2). Le fait que les sources sonores soient de nature différente (p. ex. dispositif anti-martre) n’est pas pertinent pour la comparabilité des cas, d’autant plus que la notion du caractère extraordinaire ne concerne que le facteur extérieur (la charge sonore) lui-même.

Dans ce contexte, il convient également de se référer à la Loi fédérale sur la protection contre les dangers liés au rayonnement non ionisant et au son du 16 juin 2017 (LRNIS, RS 814.71) et à son ordonnance du 27 février 2019 (O-LRNIS ; RS 814.711). Selon l’art. 19 al. 1 let. b O-LRNIS, les manifestations avec des sons amplifiés par électroacoustique ne doivent à aucun moment dépasser le niveau sonore maximal de 125 dB (A). Bien que cette disposition s’applique principalement aux événements dont le son est amplifié électroacoustiquement, la valeur ci-dessus peut être utilisée à titre indicatif pour évaluer la nature extraordinaire d’un impact sonore. Il en va de même pour les valeurs acoustiques limites et indicatives pour les expositions sonores sur le lieu de travail publiées par la Suva, qui fixent une valeur limite de 120 dB(A) pour le bruit impulsif.

La question de savoir si, dans des cas tels que le cas d’espèce, l’évaluation de l’extraordinaireté, en plus du niveau sonore (qui peut causer des dommages à l’ouïe), doit également prendre en compte le lieu où l’émission sonore a lieu, en plus de l’aspect du domaine de vie respectif (cf. 8C_403/2018 du 7 septembre 2018 consid. 4.3 et U 245/05 du 1er décembre 2005 consid. 2.4), peut être laissé ouvert ici. Un seul niveau d’exposition sonore de 112,2 à 116,2 dB n’est pas extraordinaire dans un match de football avec une grande foule, où l’utilisation d’objets bruyants tels que des pétards, sifflets et vuvuzelas est courante. Ceci est vrai quelle que soit la source du bruit. Les autres circonstances mentionnées par le tribunal cantonal ne sont pas pertinentes car elles n’ont aucune influence directe sur le niveau sonore.

En résumé, le caractère extraordinaire du facteur externe doit être nié, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’accident au sens juridique du terme.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_545/2019 consultable ici

 

 

8C_418/2018 (f) du 12.07.2019 – Notion de l’accident – Critère du facteur extérieur – 4 LPGA / « Accident médical » – Notion d’erreur médical niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_418/2018 (f) du 12.07.2019

 

Consultable ici

 

Notion de l’accident – Critère du facteur extérieur / 4 LPGA

« Accident médical » – Notion d’erreur médical niée

 

Assuré, né en 1986, a subi le 09.01.2013 ostéotomie bi-maxillaire et une génioplastie en raison d’une difformité maxillo-faciale. Cette intervention, prise en charge par l’assurance-maladie, a été effectuée par le docteur C.__, spécialiste en chirurgie maxillo-faciale. Elle a été suivie, dans la nuit du 11.01.2013 au 12.01.2013, d’un arrêt respiratoire qui a nécessité une intubation, un transfert aux soins intensifs puis une mise sous coma barbiturique. A sa sortie de l’hôpital, le 12.04.2013, les médecins ont posé le diagnostic principal d’encéphalopathie anoxique compliquée d’un état de mal épileptique avec syndrome de Lance-Adams, ataxie à la marche avec chutes à répétition sur myoclonies d’action et syndrome d’effrayement avec troubles mixtes de la personnalité.

L’assuré a requis l’octroi de prestations de l’assurance-accidents pour les suites de ces complications post-opératoires. L’assurance-accidents a refusé de prendre en charge l’atteinte à la santé, motif pris qu’à défaut d’une violation grossière et extraordinaire des règles de l’art, l’intervention du 09.01.2013 et ses complications post-opératoires ne constituaient pas un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2018 9 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que, malgré les complications soudaines survenues après l’intervention chirurgicale, en l’espace de quelques heures, dans la nuit du 11.01.2013 au 12.01.2013, la succession des événements ne constitue toutefois pas un facteur extérieur extraordinaire en dépit de son caractère spectaculaire. D’une part, les juges cantonaux sont d’avis que l’opération, qui n’était pas, en soi, particulièrement risquée, s’est déroulée de façon tout à fait satisfaisante. D’autre part, aucun des rapports médicaux versés au dossier ne permet de retenir la commission d’une erreur médicale crasse dans la surveillance et les soins post-opératoires. La cour cantonale considère que les complications survenues dans la phase post-opératoire sont susceptibles de survenir dans les suites de tout acte médical et que l’œdème du visage constitue un aléa thérapeutique qui n’engage pas la responsabilité des médecins. Quant au médecin de l’assurance-accident, il indique que les éléments permettant de suspecter une prise en charge insuffisante du point de vue non médical entre le moment où l’assuré s’est présenté au bureau des infirmières pour recevoir de l’aide et le moment où l’anesthésiste a été appelé n’autorisent pas à retenir une attitude irresponsable ni un comportement violant de manière crasse les règles de l’art, même si l’on peut y voir une considération insuffisante de la gravité de la situation conduisant à la mise en œuvre de mesures inadéquates.

Par jugement du 23.04.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 129 V 402 consid. 2.1 p. 404 et les références).

Le point de savoir si un acte médical est comme tel un facteur extérieur extraordinaire doit être tranché sur la base de critères médicaux objectifs. Le caractère extraordinaire d’une telle mesure est une exigence dont la réalisation ne saurait être admise que de manière sévère. Il faut que, compte tenu des circonstances du cas concret, l’acte médical s’écarte considérablement de la pratique courante en médecine et qu’il implique de ce fait objectivement de gros risques (ATF 121 V 35 consid. 1b p. 38; 118 V 283 consid. 2b p. 284). Le traitement d’une maladie en soi ne donne pas droit au versement de prestations de l’assureur-accidents, mais une erreur de traitement peut, à titre exceptionnel, être constitutive d’un accident, dès lors qu’il s’agit de confusions ou de maladresses grossières et extraordinaires, voire d’un préjudice intentionnel, avec lesquels personne ne comptait ni ne devait compter. La notion d’erreur médicale ne saurait en effet être étendue à toute faute du médecin, au risque de faire jouer à l’assurance-accidents le rôle d’une assurance de la responsabilité civile des fournisseurs de prestations médicales (arrêt 8C_234/2008 du 31 mars 2009 consid. 3.2, in SVR 2009 UV n° 47 p. 166). La question de l’existence d’un accident sera tranchée indépendamment du point de savoir si l’infraction aux règles de l’art dont répond le médecin entraîne une responsabilité (civile ou de droit public). Il en va de même à l’égard d’un jugement pénal éventuel sanctionnant le comportement du médecin (ATF 121 V 35 consid. 1b précité p. 39 et les références).

Pour répondre aux conditions de la notion juridique de l’accident, l’atteinte à la santé doit trouver son origine dans un facteur extérieur, c’est-à-dire qu’elle doit résulter d’une cause exogène au corps humain. Cet élément, qui s’oppose à la cause interne qui caractérise la maladie, permet de distinguer ces deux éventualités. La cause extérieure peut être d’origine mécanique (un choc, une chute, etc.), électrique (une électrocution, p. ex.), chimique (l’émanation de vapeurs toxiques, p. ex.), thermique (une explosion, une brûlure provoquée par de l’eau bouillante ou des jets de vapeur, etc.) ou encore ionisante (des radiations, p. ex.) (STÉPHANIE PERRENOUD, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, [Dupont/Moser-Szeless éd.], 2018, n. 19 ad art. 4 LPGA; voir également JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd., n. 88 p. 921; ANDRÉ NABOLD, Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, [Hürzeler/Kieser éd.], 2018, ad art. 6 LAA, n. 20 ss). Un événement qui se produit à l’intérieur du corps (processus biologique, physiologique ou psychique), tel qu’une hémorragie cérébrale, un infarctus du myocarde ou encore la rupture d’une prothèse défectueuse de la hanche qui survient en l’absence de tout événement extérieur anormal (ATF 142 V 219) ne saurait être considéré comme un accident, faute de cause extérieure (STÉPHANIE PERRENOUD, op. cit., n. 22 ad art. 4 LPGA).

 

L’assuré soutient que le spécialiste en chirurgie maxillo-faciale a commis non pas une erreur d’appréciation à la suite d’une subite détérioration de son état de santé, mais bien plutôt qu’il est resté passif durant plus de deux jours face à une situation connue (pression de l’œdème sur les voies aériennes supérieures) et un risque évident (difficulté, gêne, puis détresse respiratoire et, enfin, arrêt). Aussi la cour cantonale devait-elle retenir que l’existence d’une erreur médicale grossière imputable au spécialiste en chirurgie maxillo-faciale ou au personnel infirmier de l’hôpital était établie et que durant la phase post-opératoire, l’assuré avait subi un accident au sens des art. 4 LPGA et 6 al. 1 LAA. Selon l’assuré, devant le risque prévisible d’une augmentation de l’œdème, le médecin aurait dû mettre en place une surveillance constante du patient, voire organiser un transfert dans le secteur des soins continus afin d’instaurer une assistance respiratoire. Se référant à un arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 56/01 du 18 juillet 2003 (RAMA 2003 n° U 492 p. 371), l’assuré invoque une violation des art. 4 LPGA et 6 al. 1 LAA en tant que la cour cantonale a nié qu’une omission pût constituer un accident. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral des assurances a jugé que le critère du caractère extraordinaire de l’atteinte était réalisé dans un cas où, lors du retrait d’un cathéter vésical posé en raison d’une rétention urinaire, le médecin traitant n’avait pas vérifié s’il était complet, de sorte qu’une section d’une longueur importante (19 cm, soit près de la moitié de la longueur totale) était resté dans le corps du patient et avait entraîné des complications sous la forme d’une hématurie douloureuse. L’assuré infère de cette pratique qu’en l’occurrence, l’accident réside dans l’omission du docteur C.__ de mettre en œuvre des mesures médicales devant l’apparition de l’œdème entraînant une compression des voies aériennes supérieures sur une période de plus de cinquante heures.

Selon le TF : En l’occurrence, le parallèle établi par l’assuré entre l’omission reprochée au spécialiste en chirurgie maxillo-faciale durant la phase post-opératoire et l’état de fait ayant conduit à l’arrêt U 56/01 n’est pas pertinent. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral des assurances a jugé que l’omission du médecin traitant de vérifier si le cathéter retiré était complet remplissait les conditions de la notion d’accident, notamment parce que la partie du cathéter restée dans la vessie constituait une cause exogène au corps humain, à l’origine d’une atteinte dommageable sous la forme d’une hématurie douloureuse. Or, en l’espèce, il n’y a pas de motif d’admettre que l’œdème ayant entraîné une compression des voies aériennes supérieures est le résultat d’une violation grossière des règles de l’art médical. En revanche, il est incontestable que ces complications apparues dans la phase post-opératoire sont survenues en l’absence de toute cause exogène au corps humain. A défaut d’un facteur extérieur, elles ne sauraient dès lors être qualifiées d’accident, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions posées à l’art. 4 LPGA sont réalisées (voir p. ex. arrêt 8C_235/2018 du 16 avril 2019 consid. 6.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_418/2018 consultable ici

 

 

8C_235/2018 (f) du 16.04.2019 – Notion d’accident – Acte médical – « Accident médical » – 4 LPGA / Eventuelle maladresse du chirurgien n’atteint pas le degré de gravité suffisant pour être constitutive d’un accident / Possible rupture des sutures sans cause externe – Processus interne au corps – Notion d’accident niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_235/2018 (f) du 16.04.2019

 

Consultable ici

 

Notion d’accident – Acte médical – « Accident médical » / 4 LPGA

Eventuelle maladresse du chirurgien n’atteint pas le degré de gravité suffisant pour être constitutive d’un accident

Possible rupture des sutures sans cause externe – Processus interne au corps – Notion d’accident niée

 

Assuré, né en 1960, a subi une tonsillectomie le 14.01.2016, en raison d’angines à répétition. Cette opération a révélé la présence d’un carcinome épidermoïde invasif. Une IRM a confirmé une lésion tumorale de la loge amygdalienne droite et des ganglions du groupe IIa droit. Le 05.02.2016, le professeur E.__, médecin-adjoint du service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale, et son équipe ont procédé à une pharyngectomie partielle droite. En peropératoire, l’assuré a présenté un saignement relativement important (environ un litre de sang). La pose de 8 compresses (paking) dans l’oropharynx et la cavité buccale a permis d’arrêter ce saignement. Le professeur E.__ et son équipe ont alors poursuivi la pharyngectomie en intervenant au niveau du cou. Après évidement des tissus tumoraux, le chirurgien a ligaturé avec un fil de Prolène 5.0 l’artère pharyngienne ascendante d’où semblait provenir le saignement, avec pour résultat une bonne hémostase. Au quatrième jour post-opératoire, vers quatre heures du matin, l’assuré a vomi abondamment du sang. Il a rapidement perdu connaissance et présenté un arrêt cardiaque. Malgré une réanimation avec intubation et ventilation de 26 minutes, les médecins de l’équipe de réanimation n’ont pas pu obtenir une reprise de l’activité cardiaque. Le décès du patient est constaté le 09.02.2016 à 4h51 du matin.

Selon le rapport d’autopsie, les différentes données permettaient d’attribuer le décès de l’assuré à un choc hémorragique consécutif à un saignement artériel dans la région de la loge amygdalienne droite. L’origine précise de ce saignement n’avait pas pu être identifiée. L’infection locale à Klebsiella oxytoca (bactérie de type nosocomial) avait potentiellement joué un rôle dans la survenue de saignement.

Le professeur E.__ a été auditionné par le Ministère public. A la question de savoir ce qui avait causé le saignement durant l’intervention, le chirurgien a notamment expliqué qu’en raison de la tonsillectomie déjà subie par l’assuré, il avait été nécessaire de réséquer à nouveau de manière plus large pour obtenir des marges saines; à cette occasion, une branche de l’artère carotide externe avait dû être sectionnée. En ce qui concernait la déclaration qu’il avait faite selon laquelle le décès était accidentel, le professeur E.__ a précisé qu’il ne faisait pas référence à la notion assécurologique; par accident, il voulait dire que les sutures du pharynx avaient dû lâcher ce qui, la salive étant corrosive, avait pu conduire soit au lâchage des sutures artérielles ou à l’érosion d’une autre artère. Ces phénomènes hémorragiques en présence d’un cancer étendu à proximité de la paroi des vaisseaux présentaient toujours le même mécanisme, mais il était rare qu’ils aboutissent à un décès.

Le Ministère public a ordonné le classement de la procédure, au motif que l’instruction n’avait mis en évidence aucune violation de diligence ou des règles de l’art médical.

L’assurance-accidents a refusé d’allouer à la veuve de l’assuré la prestation prévue pour le conjoint survivant. Elle a considéré que le décès de l’assuré n’était pas dû à un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/116/2018 – consultable ici)

Par jugement du 08.02.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

« Accident médical »

Le point de savoir si un acte médical est comme tel un facteur extérieur extraordinaire doit être tranché sur la base de critères médicaux objectifs. Le caractère extraordinaire d’une telle mesure est une exigence dont la réalisation ne saurait être admise que de manière sévère. Il faut que, compte tenu des circonstances du cas concret, l’acte médical s’écarte considérablement de la pratique courante en médecine et qu’il implique de ce fait objectivement de gros risques (ATF 121 V 35 consid. 1b p. 38; 118 V 283 consid. 2b p. 284). Le traitement d’une maladie en soi ne donne pas droit au versement de prestations de l’assureur-accidents, mais une erreur de traitement peut, à titre exceptionnel, être constitutive d’un accident, dès lors qu’il s’agit de confusions ou de maladresses grossières et extraordinaires, voire d’un préjudice intentionnel, avec lesquels personne ne comptait ni ne devait compter. La notion d’erreur médicale ne saurait en effet être étendue à toute faute du médecin, au risque de faire jouer à l’assurance-accidents le rôle d’une assurance de la responsabilité civile des fournisseurs de prestations médicales (arrêt 8C_234/2008 du 31 mars 2009 consid. 3.2, in SVR 2009 UV n° 47 p. 166). La question de l’existence d’un accident sera tranchée indépendamment du point de savoir si l’infraction aux règles de l’art dont répond le médecin entraîne une responsabilité (civile ou de droit public). Il en va de même à l’égard d’un jugement pénal éventuel sanctionnant le comportement du médecin (ATF 121 V 35 consid. 1b précité p. 39 et les références).

Au cours de la pharyngectomie, une branche artérielle de la carotide externe de l’assuré a été touchée. Ce seul fait ne démontre toutefois pas encore une maladresse grossière et extraordinaire de la part du chirurgien opérateur. Tout geste chirurgical maladroit ou qui a été exécuté de manière imparfaite lors d’une intervention ne constitue pas une erreur médicale revêtant la qualité d’accident. Comme cela ressort des exemples tirés de la jurisprudence, l’atteinte en cause doit résulter d’une négligence grossière avec laquelle personne ne comptait ni ne devait compter. Ainsi, le Tribunal fédéral a déjà jugé que le sectionnement d’une veine épigastrique lors d’une intervention chirurgicale pour le traitement d’une hernie inguinale ne pouvait être considéré comme la conséquence d’une confusion ou d’une méprise grossière (SJ 1998 p. 430). Il a également nié l’existence d’un accident dans le cas d’une lésion de nerfs de la main survenue au cours d’une opération spécialement difficile et délicate sur un terrain cicatriciel dont l’anatomie était modifiée par de multiples opérations antérieures (ATF 121 V 35 consid. 2 p. 39 s.) ou d’une perforation de l’artère pulmonaire à l’occasion d’une bronchoscopie (arrêt U 15/87 du 14 octobre 1987 consid. 4, in RAMA 1988 n° U 36 p. 42) (pour un exemple où il avait été jugé qu’une expertise était nécessaire voir l’arrêt 8C_999/2012 du 28 octobre 2013 in SVR 2014 UV n° 5 p. 13).

En l’espèce, on peut en déduire des indications du professeur E.__ que la pharyngectomie présentait certaines difficultés et que le terrain de l’opération était délicat. Au demeurant, le saignement causé par le sectionnement de la branche artérielle a été maîtrisé au cours de l’intervention par la pose d’un paking puis par la ligature de l’artère touchée. Il n’y avait plus d’hémorragie à la fin de l’opération. En ce qui concerne les fils utilisés ou la technique de ligature artérielle employée, aucun élément ne vient étayer la thèse de la veuve d’une négligence ou d’une faute du médecin. On ne relève pas non plus de carences dans le suivi post-opératoire de l’assuré. Celui-ci avait été vu par un médecin tous les jours. Le professeur E.__, qui était passé le voir le lundi 08.02.2016, avait constaté que le drain était bien en place et qu’il n’y avait pas de saignement, ni de signe d’infection (l’assuré ne présentait pas de fièvre). Il a déclaré qu’il n’y avait rien d’inquiétant jusqu’à l’hémorragie subite ayant conduit au décès. Alors que l’autopsie n’a pas pu déterminer quelle était l’origine de cette hémorragie, le professeur E.__ a émis l’hypothèse d’un lâchage des sutures du pharynx, ce qui, sous l’effet corrosif de la salive, avait pu conduire soit au lâchage des sutures artérielles soit à l’érosion d’une autre artère. Quoi qu’il en soit, au vu des renseignements médicaux figurant au dossier, l’hémorragie ne saurait être considérée comme la conséquence d’une erreur de traitement grossière et extraordinaire. A supposer une maladresse de la part du chirurgien, celle-ci n’atteindrait pas le degré de gravité suffisant pour être constitutive d’un accident.

 

Notion d’accident

La veuve fait grief à la cour cantonale de ne pas avoir retenu que la rupture brutale des sutures du pharynx est un facteur extérieur extraordinaire. Le lâchage totalement imprévisible de fils de suture résultant d’une intervention chirurgicale devait être qualifié d’accident de la même manière qu’une béquille qui se briserait soudainement.

Pour répondre aux conditions de la notion juridique de l’accident, l’atteinte à la santé doit trouver son origine dans un facteur extérieur, c’est-à-dire qu’elle doit résulter d’une cause exogène au corps humain. Cet élément, qui s’oppose à la cause interne qui caractérise la maladie, permet de distinguer ces deux éventualités. La cause extérieure peut être d’origine mécanique (un choc, une chute, etc.), électrique (une électrocution, p. ex.), chimique (l’émanation de vapeurs toxiques, p. ex.), thermique (une explosion, une brûlure provoquée par de l’eau bouillante ou des jets de vapeur, etc.) ou encore ionisante (des radiations, p. ex.) (STÉPHANIE PERRENOUD, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, [Dupont/Moser-Szeless éd.], 2018, n. 19 ad. art. 4 LPGA; voir également JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd., n. 88 p. 921; ANDRÉ NABOLD, Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, [Hürzeler/Kieser éd.], 2018, ad. art. 6 LAA, n. 20 ss). Un événement qui se produit à l’intérieur du corps (processus biologique, physiologique ou psychique), tel qu’une hémorragie cérébrale, un infarctus du myocarde ou encore la rupture d’une prothèse défectueuse de la hanche qui survient en l’absence de tout événement extérieur anormal (ATF 142 V 219) ne saurait être considéré comme un accident, faute de cause extérieure (STÉPHANIE PERRENOUD, op. cit., n. 22 ad. art. 4 LPGA).

En l’occurrence, le parallèle établi par la cour cantonale avec l’ATF 142 V 219, dans lequel le Tribunal fédéral avait jugé que la rupture d’une prothèse défectueuse de la hanche ne constituait pas un accident au sens juridique du terme est pertinent ; il s’agit aussi d’un processus interne au corps qui a agi dans la possible rupture des sutures chez l’assuré sans qu’une cause externe puisse être mise en cause. Que les fils de suture sont un élément étranger au corps, comme l’est d’ailleurs une prothèse de hanche, n’y change rien. Il n’y a pas d’accident dès lors que leur rupture ne peut être attribuée à une cause exogène au corps humain. De même, il n’est pas déterminant qu’une prothèse de hanche a pour fonction de remplacer de façon permanente une partie du corps tandis que des fils de suture sont posés de manière temporaire pour refermer une plaie. Tout autre est le cas de figure où une cause interne est à l’origine de l’accident ou favorise sa survenance. Mais l’événement accidentel doit alors pouvoir être considéré comme la cause directe et adéquate de l’atteinte. Ainsi la fracture d’une jambe à l’occasion d’une chute causée par la diminution intermittente de la pression sanguine constitue un accident (ATF 102 V 131). A l’évidence, on ne se trouve pas dans pareille hypothèse en l’espèce.

 

Le TF rejette le recours de la veuve.

 

 

Arrêt 8C_235/2018 consultable ici

 

 

8C_842/2018 (d) du 06.05.2019 – Notion d’accident – Facteur extérieur de caractère extraordinaire – Soudaineté – 4 LPGA / Assuré avec un taux d’alcoolémie de 2,75‰ tombant dans une baignoire et restant 1h30 dans l’eau – Brûlures

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_842/2018 (d) du 06.05.2019 (jugement à 5 juges)

 

Consultable ici

 

Notion d’accident – Facteur extérieur de caractère extraordinaire – Soudaineté / 4 LPGA

Assuré avec un taux d’alcoolémie de 2,75‰ tombant dans une baignoire et restant 1h30 dans l’eau – Brûlures

 

Le fils de l’assuré (administrateur délégué d’une Sàrl, né en 1947) informe l’assurance-accidents que son père a glissé dans la baignoire le 06.11.2016, s’est cogné la tête, était inconscient et avait été brûlé au deuxième degré sur 30% de son corps par de l’eau chaude. Décision de refus, confirmée sur opposition, de l’assurance-accidents.

 

Procédure cantonale

Les faits suivants ont été retenus par la juridiction cantonale. L’assuré assurée s’est rendu à la salle de bains de son domicile vers 18h15 pour prendre une douche ou un bain. Auparavant, il avait consommé une grande quantité d’alcool. Il a glissé dans la baignoire, actionnant le levier d’eau avant ou pendant la chute, de sorte que l’eau chaude coulait dans la baignoire. Après la chute, il est resté allongé dans la baignoire. Sur la base des informations contenues dans le rapport du service de secours, le tribunal cantonal a supposé que l’assuré n’avait lui-même subi aucune blessure grave au cours de la chute et, surtout, qu’il n’avait pas été inconscient. Il est donc clair qu’en raison des étourdissements causés par son alcoolisation, l’assuré n’a pas été en mesure de fermer l’eau et de sortir de cette fâcheuse situation. L’analyse sanguine effectuée à l’hôpital a révélé une intoxication alcoolique de 2,75‰. Etant donné que le corps humain dégrade entre 0,1 et 0,2‰ par heure (arrêt 6B_395/2012 du 18 décembre 2012 consid. 1.5 et les références ; SILVAN FAHRNI/STEFAN HEIMGARTNER, in : NIGGLI/PROBST/WALDMANN[ed.], Basler Kommentar zum Strassenverkehrssgesetz, 2014, N. 10 ad Art. 55 SVG), le taux d’alcoolémie au moment de la chute devait être encore élevé. Ce n’est qu’avec l’aide de son fils que l’assuré a pu sortir de la baignoire. Les juges cantonaux ont présumé que l’assuré est resté dans l’eau chaude pendant environ une heure et demie. L’assuré a subi des brûlures de degrés 1, 2a et 2b sur environ 28% de la surface corporelle.

Le tribunal cantonal a considéré que le caractère extraordinaire du facteur extérieur est donné. L’assuré a été exposé à de l’eau chaude pendant plus d’une heure, engendrant des brûlures de grades 1, 2a et 2b sur 28% de la surface corporelle. Il faut attribuer ces lésions à l’effet thermique. La soudaineté présuppose l’existence de circonstances extraordinaires, ce qui était le cas en l’espèce. Il fallait supposer que l’assuré n’était pas inconscient. Sans aucun doute, cependant, il avait été très étourdi, ce qui était imputable à l’intoxication alcoolique extrêmement élevée de 2,75‰. Ce malaise l’empêchait d’éviter ou d’éliminer les effets de la chaleur. Sous cet aspect, les faits du cas étaient comparables à ceux de la personne assurée qui ne pouvait plus se déplacer lors d’une randonnée en raison d’une insuffisance cardiaque et demeurait donc exposée aux rayons du soleil. Par analogie, le critère de la soudaineté a été retenu ainsi que, partant, la notion d’accident de l’événement du 06.11.2016. Ceci s’appliquait même dans l’hypothèse où seule une partie de l’effet était prise en compte (par exemple si la limite de soudaineté était fixée à une heure), car même une durée d’exposition plus courte aurait sans doute déjà entraîné des brûlures très graves.

Par jugement du 08.11.2018, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort.

Selon la jurisprudence, la caractéristique du caractère inhabituel ne se rapporte pas à l’effet du facteur extérieur, mais seulement au facteur extérieur lui-même. Il n’est donc pas pertinent pour l’examen du caractère inhabituel que le facteur externe ait tout au plus eu des conséquences graves et inattendues (arrêt 8C_231/2014 du 27 août 2014 E. 2.3 avec références). Le facteur extérieur est inhabituel si, selon une norme objective, il n’entre plus dans le cadre de ce qui est quotidien et habituel pour le domaine de vie respectif (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221 ; 134 V 72 consid. 4.1 p. 76 ; 118 V 283 consid. 2a p. 284 ; HANS-JAKOB MOSIMANN, Ungewöhnlichkeit des Ereignisses als Unfallmerkmal, in: UELI KIESER/HARDY LANDOLT [Hrsg.], Unfall? Novembertagung 2015 zum Sozialversicherungsrecht, 2016, p. 29 s. ; ANDRÉ NABOLD, in: Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Unfallversicherung [UVG], 2018, N. 22 zu Art. 6 UVG; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in: Soziale Sicherheit, SBVR Bd. XIV, 3. Aufl., 2016, ch. 94 s., p. 923 ; STÉPHANIE PERRENOUD, Dupont/Moser-Szeless [Hrsg.], Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, N. 25 ad art. 4 LPGA).

Le facteur extérieur est la caractéristique essentielle de tout accident ; c’est la contrepartie de la cause interne qui constitue le principe de la maladie. La désignation de la genèse déterminante n’est toutefois possible que par l’extraordinaireté du facteur extérieur. La plupart des maladies sont basées sur une interaction de facteurs internes et externes ; souvent, la cause interne finalement elle-même pathogène est inconcevable sans influences environnementales. Le terme « extraordinaire » a été développé afin d’exclure du terme « accident » les « mille et une petites blessures de la vie quotidienne, qui en tant que telles sont totalement incontrôlables et ne devraient donc être prises en compte que lorsqu’on y ajoute quelque chose de spécial ». Le caractère extraordinaire fait du processus quotidien un événement unique. En règle générale, les effets résultant d’événements quotidiens ne sont pas considérés comme une cause d’atteinte à la santé. Si la cause se trouve uniquement dans le corps, alors la notion de maladie est retenue. Le simple déclenchement de l’atteinte à la santé par un facteur externe n’y change rien ; un accident présuppose plutôt, d’un point de vue conceptuel, que l’élément exogène est si extraordinaire que la causalité endogène n’est pas prise en compte (ATF 134 V 72 consid. 4.1 p. 76 s. et les références [surtout dans la littérature] ; voir également arrêt 8C_189/2010 du 9 juillet 2010 consid. 3.4).

L’effet normal de l’eau sur le corps humain ne représente pas un facteur extérieur extraordinaire au sens de la notion de l’accident. En conséquence, les dommages physiques causés par un « séjour » volontaire dans l’eau ne constituent pas un accident (ALFRED BÜHLER, Der Unfallbegriff, in: ALFRED KOLLER [Hrsg.], Haftpflicht- und Versicherungsrechtstagung 1995, p. 231). D’autre part, un accident se produit lorsque l’eau pénètre dans les voies respiratoires en raison d’un événement pathologique (p. ex. étourdissements temporaires). Le processus par lequel l’eau pénètre soudainement dans le corps du baigneur et cause des dommages à la santé ou la mort est donc extraordinaire (UELI KIESER, Der Unfallbegriff in der neueren Rechtsprechung, in: Schaffhauser/Kieser [Hrsg.], Unfall und Unfallversicherung, Entwicklungen – Würdigungen – Aussichten, 2009, p. 21 [zit. Unfallbegriff]; ALFRED MAURER, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht 1985, S. 183). Un accident est toujours présent lorsqu’un « séjour » involontaire dans l’eau entraîne des atteintes à la santé, notamment en cas de chute dans l’eau (UELI KIESER, Unfallbegriff, p. 21 ; BÜHLER, op. cit., p. 132).

Le critère de la soudaineté fixe un laps de temps. L’effet dommageable ne doit pas être limité à un court instant, mais doit se produire dans un laps de temps relativement court et définissable. La jurisprudence n’a pas encore fixé de durée maximale. L’impact doit s’être produit soudainement et doit avoir été un événement unique (ATF 140 V 220 consid. 5.1 et les références ; arrêt 8C_39/2014 du 12 novembre 2014 consid. 4.2 ; UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 3. Aufl. 2015, N. 17 zu Art. 4 ATSG ; UELI KIESER, Unfallbegriff, p. 11; ANDRÉ NABOLD, op. cit., N. 14 ss. Ad Art. 6 UVG; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., ch. 77 ss., p. 919; STÉPHANIE PERRENOUD, op. cit., N. 9 ad art. 4 LPGA ; BÜHLER, op. ict., p. 207 ss., MAURER op. cit., p. 170 s.). L’effet dommageable ne doit pas se limiter à un bref instant. Si l’exposition dure plus de quelques secondes, il faut qu’il s’agisse d’un seul facteur extérieur et que l’atteinte à la santé ne soit donc pas simplement causée par la somme des expositions répétitives (mais en soi sans danger) aux mêmes facteurs extérieurs (NABOLD, op. cit., N. 16 ad art. 6 LAA ; BÜHLER, loc. cit. p. 209 avec de nombreux exemples pratiques ; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, loc. cit., ch. 78, p. 919). Le terme « accident » a été refusé, par exemple, dans le cas d’une souffleuse ayant subi un trouble de l’audition, lors d’une représentation d’opéra, causé par l’ensemble des nuisances sonores et qui ne pouvait être attribué à un seul battement de timbales (RAMA 2006 n° U 578, U 245/05 consid. 2.4). Les deux facteurs d’extraordinaireté et de soudaineté ont également été niés dans le cas d’une personne assurée qui a été exposée à des coups de gong et de tambour pendant plusieurs minutes (10-15 minutes de coups de gong puis de tambour pendant plusieurs minutes ; arrêt U 26/00 du 21 août 2001 consid. 2b).

L’effet normal de l’eau sur le corps humain n’est pas un facteur extérieur extraordinaire. L’eau chaude ou tiède peut toutefois constituer un facteur extérieur extraordinaire et provoquer des brûlures de la peau, en fonction de la température, du temps d’exposition et des circonstances. Dans le cas d’espèce, l’assuré est tombé dans la baignoire. Avant ou pendant la chute, il a actionné le robinet d’eau pour que l’eau chaude coule dans la baignoire. L’eau était si chaude qu’elle pouvait causer des brûlures allant jusqu’au degré 2b chez un adulte. La température anormalement élevée de l’eau rend l’événement quotidien isolé/unique. Le fait que l’incapacité de l’assuré à se libérer de sa situation difficile était due à une consommation importante d’alcool n’exclut pas le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Dans le cadre de l’art. 37 al. 2 LAA, il faudrait tout au plus tenir compte de la forte alcoolisation.

En ce qui concerne le critère de la soudaineté : l’assuré a passé environ une heure et demie dans l’eau, dans la baignoire. L’expérience a montré que l’eau chaude s’écoulant du robinet provoque des brûlures après un temps relativement court. En raison des brûlures subies, une température élevée de l’eau doit être présumée, ce qui a entraîné des lésions corporelles en peu de temps. Comme pour le caractère extraordinaire du facteur extérieur, l’alcoolisation n’exclut pas la soudaineté. En outre, les faits à apprécier ici ne peuvent être comparés à la situation dans laquelle une personne assurée est exposée à un gong et à des battements de tambour pendant plusieurs minutes. Dans un tel cas, l’atteinte à la santé résulte d’effets répétés et continus (plusieurs battements de gong et de tambour), alors que l’eau chaude est un seul facteur extérieur qui a entraîné des brûlures après peu de temps. Le fait que la personne assurée ait été exposée à l’eau chaude pendant environ une heure et demie peut être important pour l’ampleur des brûlures. Toutefois, cela ne change rien au fait que la notion de soudaineté est remplie.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_842/2018 consultable ici

 

NB : traduction personnelle