Arrêt du Tribunal fédéral 8C_24/2022 (d) du 20.09.2022
NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi
Notion d’accident – Rappel des notions du facteur extérieur et du caractère extraordinaire / 6 LAA – 4 LPGA
Rupture partielle du tendon d’Achille en montant les escaliers
Assuré, né en 1956, travaille depuis 2016 comme directeur d’une société anonyme. Le 23.10.2019, il a subi une rupture partielle du tendon d’Achille, pour laquelle l’assurance-accidents a nié la notion d’accident en raison de l’absence d’un facteur extérieur extraordinaire et de modifications dégénératives (décision du 09.03.2020, confirmée sur opposition le 15.10.2020).
Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00257 – consultable ici)
En ce qui concerne l’événement litigieux du 23.10.2019, l’instance cantonale a constaté que l’assuré a transporté à bout de bras de la nourriture, de la vaisselle et des harasses de la maison à la voiture et vice-versa en empruntant un escalier en béton comportant trois marches d’environ 20 cm de haut. La troisième fois, il s’est contenté de poser la pointe du pied gauche sur une marche, a voulu suivre ou monter avec le pied droit et s’est affaissé en raison de la charge, sans pour autant tomber. Le lendemain, les médecins ont diagnostiqué une rupture partielle importante du tendon d’Achille (90%), qui a été réparée par la suite par voie chirurgicale. Dans son appréciation, le tribunal cantonal a confirmé l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire, étant donné que le déroulement normal des mouvements lors de la montée des escaliers a été perturbé par un « faux pas » dans les escaliers, au sens d’un mouvement non coordonné.
Par jugement du 11.11.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant l’existence d’un accident.
TF
Consid. 3.1
Conformément à l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle, sauf disposition contraire de la loi. Selon l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort.
Consid. 3.2
Le facteur extérieur est la caractéristique centrale de tout événement accidentel ; il est le pendant de la cause interne – constitutive de la notion de maladie (ATF 134 V 72 consid. 4.1.1). Selon la jurisprudence, le facteur extérieur est extraordinaire lorsque – selon un critère objectif – il ne se situe plus dans le cadre de ce qui est quotidien et habituel pour le domaine de vie concerné (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 134 V 72 consid. 4.1; SVR 2022 UV Nr. 13 p. 55, 8C_430/2021 consid. 2.3; SVR 2021 UV Nr. 28 p. 132, 8C_534/2020 consid. 4.1; SVR 2017 UV Nr. 18 S. 61, 8C_53/2016 consid. 3.1). Le caractère extraordinaire du facteur extérieur peut notamment consister en un mouvement non coordonné. L’existence d’un facteur extérieur est en principe admise en cas de « mouvement non coordonné », à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement « non programmé », lié à l’environnement extérieur. Dans le cas d’un tel mouvement non coordonné, le facteur extérieur extraordinaire doit être admis, car le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1; SVR 2021 UV Nr. 21 p. 101, 8C_586/2020 consid. 3.3; SVR 2020 UV Nr. 35 p. 141, 8C_671/2019 consid. 2.3). C’est le cas, par exemple, lorsque la personne assurée trébuche, glisse ou se cogne contre un objet, ou lorsque, pour éviter de glisser, elle adopte ou tente d’adopter une attitude de protection réflexe (arrêts 8C_783/2013 du 10 avril 2014 consid. 4.2 ; 8C_749/2008 du 15 janvier 2009 consid. 3.2).
En revanche, l’apparition de douleurs en tant que telle ne constitue pas un facteur extérieur (dommageable) au sens de la jurisprudence (ATF 129 V 466 consid. 4.2.1 ; arrêt 8C_456/2018 du 12 septembre 2018 consid. 6.3.2).
En règle générale, les effets qui résultent de processus quotidiens ne peuvent pas être considérés comme la cause d’une atteinte à la santé (ATF 134 V 72 consid. 4.1).
Il convient en outre de noter que la notion médicale de traumatisme ne se recoupe pas avec la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA, qui relève du droit des assurances (arrêts U 199/03 vom 10 mai 2004 consid. 1, non publié in : ATF 130 V 380; SVR 2011 UV Nr. 11 p. 39, 8C_693/2010 consid. 7; 8C_589/2021 du 17 décembre 2021 consid. 5.5).
Ce qui est donc déterminant, c’est que le facteur extérieur se démarque de la norme des effets de l’environnement sur le corps humain (ATF 134 V 72 consid. 4.3.1; SVR 2015 UV Nr. 6 p. 21, 8C_231/2014 consid. 2.3).
Consid. 5.2
Selon la jurisprudence, monter des escaliers constitue un acte de la vie quotidienne et une sollicitation physiologique du corps sans danger potentiel accru (arrêts 8C_40/2017 du 11 avril 2017 consid. 6 ; 8C_766/2010 du 15 juin 2011 et la référence à l’ATF 129 V 466 consid. 4.2.2). Le fait de monter et de descendre de manière répétée d’une plateforme de 10 à 20 cm de haut lors d’une séance de step aérobic, sans sauter, ne constitue pas non plus une situation de danger accru. Le simple fait de monter ou de descendre d’un stepper dans le cadre d’une chorégraphie d’aérobic n’entraîne pas non plus un mouvement incontrôlable. Il en irait autrement si le stepper glissait lors du mouvement de descente (arrêt 8C_11/2015 du 30 mars 2015 consid. 3.2). Une chute dans les escaliers (arrêt 8C_40/2017 du 11 avril 2017 consid. 6) ainsi qu’un faux pas avéré lors de la montée des escaliers doivent être considérés comme un facteur extérieur extraordinaire (arrêt U 236/98 du 3 janvier 2000 consid. 3b). Le caractère extraordinaire, et donc l’existence d’un accident, doit toutefois être nié même en cas de blessure sportive sans événement particulier (cf. ATF 130 V 117 consid. 2.2; SVR 2014 UV Nr. 21 p. 67, 8C_835/2013 consid. 5.1; arrêt 8C_570/2019 du 8 novembre 2019 consid. 3.2).
Consid. 5.3
L’instance cantonale a considéré que le fait de « ne pas se tenir correctement » dans l’escalier constituait un mouvement non coordonné, dans le sens d’un facteur extérieur extraordinaire. Un faux pas ou même une chute ne sont pas établis. L’assuré n’allègue pas avoir manqué une marche, avoir perdu l’équilibre ou avoir marché dans le vide sans appui. Il ne fait pas non plus valoir que la conception de l’escalier était particulière ou qu’il se trouvait dans un état particulier (p. ex. humide ou verglacé) en raison d’influences de l’environnement. Au contraire, il a monté un petit escalier normal en tenant quelque chose à la main. Ce processus n’a rien d’inhabituel, même s’il n’a posé que la partie avant du pied et non toute la surface du pied sur la marche. L’affaissement du talon sur la marche inférieure ne dépasse pas le cadre de ce à quoi on peut s’attendre dans la situation initiale et ne constitue pas un incident particulier. Malgré l’atteinte à la santé qui s’est produite, le seul abaissement du talon lors de la montée quotidienne d’un escalier, sans que le déroulement ne soit en outre perturbé, ne remplit pas les exigences relatives au facteur extérieur indispensable à l’affirmation de la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA.
Consid. 5.4
En résumé, le tribunal cantonal a violé le droit fédéral en concluant à l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire au sens de l’art. 4 LPGA et donc à un accident.
Consid. 6.1
Le tribunal cantonal ne s’est prononcé que sur la question de savoir s’il s’agissait d’un accident au sens de l’art. 6 al. 1 LAA et a renoncé à donner des explications sur l’obligation de verser des prestations sous l’angle d’une des affections énumérées à l’art. 6 al. 2 LAA. Une décision réformatrice n’est donc pas possible (cf. ATF 140 III 24 consid. 3.3). En annulant le jugement attaqué, l’affaire doit être renvoyée à l’instance cantonale pour un examen matériel de ces conditions et un nouveau jugement (cf. ATF 146 V 51 consid. 9.1 ; arrêt 8C_445/2021 du 14 janvier 2022 consid. 3.1).
Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.
Arrêt 8C_24/2022 consultable ici
Proposition de citation : 8C_24/2022 (d) du 20.09.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/10/8c_24-2022)