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9C_392/2023 (f) du 26.02.2024 – Révision d’une rente d’invalidité – 17 LPGA / Valeur probante du rapport médical (attestant une amélioration de la capacité de travail) niée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_392/2023 (f) du 26.02.2024

 

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Révision d’une rente d’invalidité / 17 LPGA

Valeur probante du rapport médical (attestant une amélioration de la capacité de travail) du médecin traitant niée

La modification de la capacité de travail doit être corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique

 

Par décisions des 03.01.2020 et 10.02.2020, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité et à une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.02.2019. L’administration a ensuite réduit la rente entière d’invalidité à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020 (décision du 09.10.2020), au terme d’une procédure de révision initiée en mars 2020. Elle a également nié le droit de l’assuré à des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle et à des mesures d’ordre professionnel autres qu’une aide au placement (décision du 12.10.2020).

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a examiné l’évolution de l’état de santé de l’assuré entre la décision du 03.01.2020, par laquelle l’office AI lui avait reconnu le droit à une rente entière d’invalidité dès le 01.02.2019, et la décision du 09.10.2020 de réduction de la rente entière à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020. Elle est parvenue à la conclusion que les différents avis médicaux versés au dossier démontraient un changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité à compter du 10.12.2019, date à partir de laquelle l’assuré était en mesure d’exercer à mi-temps une activité adaptée respectant ses limitations fonctionnelles. En conséquence, elle a nié la nécessité d’une expertise indépendante, comme le requérait l’assuré.

Par jugement du 23.05.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Le Tribunal fédéral annule une décision au titre de l’arbitraire dans l’appréciation des preuves ou la constatation des faits uniquement si la décision litigieuse est manifestement insoutenable, si elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle viole gravement une disposition légale ou un principe juridique indiscuté ou si elle heurte de façon choquante le sentiment de la justice et de l’équité. Pour parvenir à une telle solution, non seulement la motivation, mais aussi le résultat de la décision doivent être arbitraires. L’existence d’une autre solution, même préférable à celle retenue, ne saurait suffire (cf. ATF 140 III 264 consid. 2.3; 139 III 334 consid. 3.2.5 et les références).

Consid. 3.2
A l’appui de son recours, l’assuré se prévaut d’une violation du droit (art. 28 ss LAI et art. 17 LPGA), ainsi que d’un établissement des faits et d’une appréciation des preuves arbitraires. Il reproche en substance à la juridiction cantonale de s’être fondée « entièrement » sur le rapport de la doctoresse B.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation, du 08.04.2020, dont il remet en cause la valeur probante, pour admettre que sa capacité de travail s’était améliorée à compter du 10.12.2019. L’assuré conteste également l’évaluation de son taux d’invalidité, ainsi que le refus de lui octroyer un reclassement ou des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle.

Consid. 4.1
En l’espèce, l’assuré a présenté une incapacité totale de travail depuis le 11.02.2018 en relation avec une paraplégie AIS B de niveau D9 sur ischémie médullaire après dissection aortique de type Stanford B, à la suite de laquelle l’office AI lui a reconnu le droit à une rente entière d’invalidité à compter du 01.02.2019 (décision du 03.01.2020). Par décision du 09.10.2020, l’administration a ensuite diminué la rente entière à trois quarts de rente avec effet au 01.12.2020. Selon les docteurs D.__ et E.__, médecins au SMR de l’AI, les pièces médicales en leur possession démontraient une stabilité de l’état de santé et un degré d’autonomie compatible de l’assuré avec une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à compter du 10.12.2019. La juridiction cantonale a confirmé la décision du 09.10.2020, en se référant notamment à la jurisprudence selon laquelle une amélioration de la capacité de travail peut être atteinte même lorsque l’état de santé ne s’est pas modifié, parce que l’assuré a appris à gérer son handicap et à acquérir une certaine autonomie au quotidien (sur ce point, cf. ATF 147 V 167 consid. 4.1; 144 I 103 consid. 2.1; 130 V 343 consid. 3.5 et les références).

Consid. 4.2
S’agissant d’abord de l’évaluation de sa capacité de travail, l’assuré reproche à la juridiction de première instance d’avoir procédé à une « sélection médicale » afin de « brosser un tableau positif » de son état de santé et d’avoir passé sous silence ses très nombreuses limitations fonctionnelles. Il s’en prend également à la valeur probante du rapport de la doctoresse B.__ du 08.04.2020, qui, selon lui, aurait été rédigé à la « va-vite » et contiendrait des « erreurs multiples ». A cet égard, l’assuré affirme que sa médecin traitante se serait « manifestement trompée » quant à son état de santé sur plusieurs points et que l’instance précédente aurait dès lors dû accéder à sa demande de mettre en œuvre une expertise.

Consid. 4.3
L’argumentation de l’assuré est fondée en tant qu’elle démontre une constatation manifestement inexacte des faits et une appréciation arbitraire des preuves par la juridiction cantonale. Certes, après avoir d’abord attesté une incapacité totale de travail dans toute activité dès le 19.07.2018 (rapport de la doctoresse B.__ et des docteurs F.__, spécialiste en médecine interne générale, et G.__, médecin assistant, du 06.09.2018), la doctoresse B.__ a conclu à une capacité de travail de quatre heures par jour dans une activité adaptée (rapport du 08.04.2020). Cela étant, dans son rapport du 08.04.2020, la médecin traitante n’a pas motivé son point de vue, ni ne s’est référée à des observations qu’elle aurait faites lors de la consultation du 10.12.2019. Ainsi, à la question « Combien d’heures de travail par jour peut-on raisonnablement attendre de votre patient/patiente dans une activité qui tienne compte de l’atteinte à la santé? », la doctoresse B.__ a seulement répondu « 4 Hs ». Par ailleurs, dans ce même rapport du 08.04.2020, appelée à donner son pronostic quant à la capacité de travail de son patient, la doctoresse B.__ a fait état d’une évolution stable. Le simple fait que la médecin traitante ait attesté une capacité de travail différente à la suite d’un examen ultérieur ne saurait justifier, à lui seul, la révision du droit à la rente, dans la mesure où un tel constat ne permet pas d’exclure l’existence d’une appréciation différente d’un état de fait qui, pour l’essentiel, est demeuré inchangé. Un motif de révision ne saurait être admis que si la modification de la capacité de travail est corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique, ce qui n’est pas le cas en l’occurrence (sur les exigences en matière de preuve pour une évaluation médicale dans le cadre d’une révision, voir arrêts 9C_418/2010 du 29 août 2011 consid. 4.2, in SVR 2012 IV n° 18 p. 81, et 8C_441/2012 du 25 juillet 2013 consid. 6, in SVR 2013 IV n° 44 p. 134).

On ajoutera que dans son rapport du 01.09.2020, le docteur F.__ a exprimé son doute quant à une potentielle activité adaptée pour l’assuré. Il a en effet expliqué qu’aucune activité ne lui paraissait envisageable, en précisant que l’absence d’activité adaptée aux capacités actuelles de l’assuré primait à ses yeux une éventuelle évaluation d’un pourcentage de capacité résiduelle de travail dans ladite activité, rendant caduque toute tentative de chiffrer une quelconque capacité résiduelle. Aussi, la juridiction cantonale ne pouvait-elle pas retenir que le docteur F.__ avait « entériné » la capacité de travail de quatre heures par jour de l’assuré dans une activité adaptée attestée par la doctoresse B.__ dans son rapport du 08.04.2020. Au demeurant, dans un rapport du 12.03.2021, produit dans le cadre de la procédure cantonale, la doctoresse B.__ est par la suite revenue partiellement sur son appréciation du 08.04.2020 et a attesté une incapacité totale de travail.

Dans ces circonstances, il était manifestement insoutenable de la part des juges cantonaux de retenir que le recouvrement, par l’assuré, d’une capacité de travail à mi-temps dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dès le 10.12.2019, malgré la stabilité de son état de santé, constituait un changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité, justifiant la réduction de la rente entière à trois quarts de rente à compter du 01.12.2020. En particulier, on ne saurait inférer du rapport de la médecin traitante du 08.04.2020 que la capacité de travail de l’assuré s’était améliorée parce qu’il avait appris à gérer son handicap et à acquérir une certaine autonomie au quotidien, dès lors déjà que ledit rapport ne contient aucune constatation à ce propos. Le recours est bien fondé sur ce point.

Consid. 4.4
Le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité devant être maintenu au-delà du 30.11.2020, il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les griefs qu’il soulève en relation avec l’évaluation de son taux d’invalidité et le refus de lui octroyer un reclassement ou des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_392/2023 consultable ici

 

9C_395/2023 (f) du 11.12.2023 – Nouvelle demande AI – Aggravation de l’état de santé (symptômes psychotiques) – 17 al. 1 LPGA – 87 al. 2 RAI – 87 al. 3 RAI / Rapport médical demandé par l’assuré à charge de l’office AI – 45 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_395/2023 (f) du 11.12.2023

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande AI – Aggravation de l’état de santé (symptômes psychotiques) / 17 al. 1 LPGA – 87 al. 2 RAI – 87 al. 3 RAI

Rapport médical demandé par l’assuré à charge de l’office AI / 45 al. 1 LPGA

 

Entre septembre 2002 et novembre 2018, l’assuré, né en 1962, a déposé successivement six demandes de prestations de l’assurance-invalidité, qui ont été rejetées par l’office AI ou sur lesquelles celui-ci a refusé d’entrer en matière (cf., en dernier lieu, décision de non-entrée en matière du 10.07.2019, confirmée par le tribunal cantonal le 28.05.2020).

Le 23.06.2020, l’assuré a annoncé à l’administration une aggravation de son état de santé, en indiquant qu’il lui transmettrait des rapports médicaux. Le 25.11.2020, le docteur B.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a adressé un rapport à l’office AI, dans lequel il faisait état d’une aggravation de l’état de santé de son patient, en ce sens qu’il présentait, depuis sa prise en charge en juin 2020, un état dépressif sévère avec symptômes psychotiques et un trouble de la personnalité de type borderline. Le 14.07.2021, l’administration a adressé à l’assuré un formulaire officiel de demande de prestations, en lui impartissant un délai au 16.08.2021 pour le compléter et le retourner et en l’informant que, le cas échéant, la date du dépôt de la nouvelle demande serait fixée au 30.11.2020 (date de la réception du rapport du docteur B.__). L’assuré a transmis ledit formulaire à l’office AI le 12.08.2021. Après avoir notamment sollicité des renseignements auprès des médecins traitants de l’assuré (rapport du docteur B.__ du 30.11.2021, notamment), puis soumis ceux-ci à son SMR, l’office AI a rejeté la nouvelle demande (décision du 23.05.2022).

 

Procédure cantonale (arrêt AI 164/22 – 128/2023 – consultable ici)

Par jugement du 10.05.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
Examinant l’évolution de l’état de santé de l’assuré depuis la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (décision du 10.10.2013), la juridiction cantonale a d’abord exclu une aggravation sensible de son état de santé sur le plan somatique. Elle a ensuite constaté que les diagnostics retenus par les différents psychiatres traitants avaient été « écartés » à l’issue de deux expertises réalisées (rapport du 18.06.2013). Elle en a inféré que l’appréciation du docteur B.__ (rapports des 25.11.2020 et 30.11.2021) ne constituait qu’une appréciation divergente d’une situation demeurée pour l’essentiel sans changement significatif sur le plan psychiatrique. Partant, les juges cantonaux ont confirmé la décision administrative du 23 mai 2022 et nié que les frais afférents au rapport du docteur B.__ du 25.11.2020 dussent être pris en charge par l’office AI (art. 45 al. 1 LPGA).

 

Consid. 5.3
L’argumentation de l’assuré, selon laquelle le docteur B.__ a retenu des éléments psychotiques (hallucinations visuelles et auditives et vision paranoïde du monde) qui « n’ont jamais été relevés auparavant » est en revanche bien fondée. On constate que dans leur rapport du 18.06.2013, les experts ont examiné si l’assuré présentait des symptômes de la lignée psychotique, ce qu’ils ont exclu, en relevant l’absence d’obsession, d’idée délirante et de signe indirect d’hallucinations. Or l’état dépressif sévère avec symptômes psychotiques (F 32.3) diagnostiqué par le docteur B.__ dans son rapport du 25.11.2020, soit postérieurement à l’expertise de 2013, est un élément nouveau. Le médecin traitant a en effet indiqué que si les diagnostics d’autre modification durable de la personnalité et de syndrome douloureux somatoforme persistant, qu’il avait également posés, devaient être retenus depuis 2003, respectivement 2004, en revanche l’état dépressif sévère avec symptômes psychotiques avait été objectivé à sa consultation depuis le 29.06.2020 (rapport du 25.11.2020). Il ne s’agissait dès lors pas d’un élément connu des médecins experts et étudié par ceux-ci dans le cadre de leur expertise en 2013. Le docteur B.__ a par ailleurs motivé ce nouveau diagnostic en indiquant que son patient présente constamment des critères pour une hospitalisation en milieu psychiatrique spécialisé et des symptômes psychotiques sous formes d’hallucinations (« des personnes défuntes de génération le précédant sont à ses côtés par exemple ou la persécution »). La considération des juges cantonaux selon laquelle l’appréciation du docteur B.__ ne constitue qu’une appréciation divergente d’une situation demeurée pour l’essentiel sans changement significatif ne peut dès lors pas être suivie.

Consid. 5.4
Dans ces circonstances, en considérant que, sur le plan psychiatrique, l’assuré présentait un état de santé globalement inchangé depuis la décision du 10.10.2013, la juridiction cantonale a apprécié arbitrairement les faits et les preuves. Les constatations des juges cantonaux quant à l’absence d’aggravation des troubles somatiques de l’assuré lient en revanche le Tribunal fédéral, faute de tout grief formulé à cet égard. Cela étant, il n’est pas possible, en l’état du dossier, de déterminer l’influence de l’aggravation de l’état de santé psychique de l’assuré sur sa capacité de travail, les conclusions du docteur B.__ devant être confirmées ou infirmées par une expertise complémentaire. Aussi la cause est-elle renvoyée à l’office AI pour ce faire. Le recours est bien fondé sur ce point.

 

Consid. 6.1
L’assuré se plaint également d’une violation de l’art. 45 LPGA, en ce que la juridiction cantonale n’a pas mis les frais d’établissement du rapport du docteur B.__ du 25.11.2020 (1’960 fr.) à la charge de l’office AI. Il fait valoir à cet égard que ledit rapport « a constitué la principale base de travail » de l’office AI et de son SMR, pour apprécier son cas, si bien qu’il s’est révélé « déterminant ».

Consid. 6.2
Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures. A défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure. Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c; arrêt 9C_519/2020 du 6 mai 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités).

Consid. 6.3
En l’espèce, après que l’assuré lui a transmis le rapport du docteur B.__ du 25.11.2020, l’office AI est entré en matière sur sa nouvelle demande et a ensuite procédé à des mesures d’instruction. On rappellera que dans le cadre d’une nouvelle demande, il appartient à l’assuré de rendre plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits (cf. ATF 133 V 108 consid. 5.2 et 5.3). En l’occurrence, l’assuré y est parvenu puisque l’administration a instruit son cas. Par ailleurs, c’est en raison du rapport en question que des investigations supplémentaires sont nécessaires (consid. 5.3 supra), de sorte qu’il était déterminant pour l’appréciation du cas. A cet égard, l’admissibilité de l’imputation des frais d’un rapport médical à l’administration ne dépend pas de la question de savoir si ledit rapport a effectivement permis de fournir les éclaircissements attendus par l’instance précédente. Il peut suffire qu’il donne lieu à des investigations supplémentaires qui n’auraient pas été ordonnées en son absence (arrêts 9C_255/2022 du 3 mai 2023 consid. 3 et les arrêts cités; 8C_301/2016 du 7 juillet 2016 consid. 3.2), comme cela a été le cas en l’occurrence. Par conséquent, les frais relatifs au rapport du docteur B.__ du 25.11.2020 doivent être imputés à l’office AI. Le recours est bien fondé sur ce point également.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_395/2023 consultable ici

 

9C_580/2022 (f) du 03.10.2023 – Rapport d’expertise et rapport du médecin-traitant – Valeur probante / Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Critères de Budapest

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_580/2022 (f) du 03.10.2023

 

Consultable ici

 

Rapport d’expertise et rapport du médecin-traitant – Valeur probante

Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Critères de Budapest

Capacité de travail exigible

 

Assurée exerçant la profession de logisticienne à temps partiel (80%) argue souffrir de séquelles incapacitantes d’un syndrome douloureux chronique (apparu en 2014). Dépôt de la demande ai le 19.04.2016.

Au cours de la procédure d’instruction, l’office AI a sollicité l’avis du médecin traitant. Outre un syndrome douloureux chronique, affectant les bras et les jambes, la spécialiste en médecine interne générale a mentionné un probable syndrome de Sudeck résultant d’un traumatisme de la main gauche survenu au mois de février 2017 et fait état d’une incapacité totale de travail dans l’activité habituelle depuis le 24.05.2017. L’office AI s’est également procuré une copie du dossier de l’assureur-accidents et a mis en œuvre une expertise médicale. Le spécialiste en rhumatologie et le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie ont retenu une incapacité totale de travail dans l’activité habituelle et une capacité résiduelle de travail dans une activité adaptée de 70% depuis le mois de juillet 2016. Ils ont justifié leur conclusion par la fatigue engendrée par le syndrome douloureux chronique diagnostiqué (d’origine indéterminée en tant qu’il affecte les quatre membres et le bassin et apparu après un événement traumatique mineur en tant qu’il affecte la main gauche). Ils ont encore conclu que les autres pathologies constatées (status post-cure d’un syndrome du tunnel carpien gauche, troubles statiques et dégénératifs du rachis, trouble somatoforme indifférencié) n’avaient pas d’incidence sur la capacité de travail. En plus d’une enquête économique sur le ménage, l’administration a aussi recueilli des informations auprès du spécialiste en anesthésiologie, qui a estimé que sa patiente n’était pas apte à exercer une activité lucrative ni à suivre des mesures de réadaptation en raison du syndrome douloureux chronique généralisé, du CRPS au bras gauche (complex regional pain syndrom; SDRC syndrome douloureux régional complexe) et des polyarthralgies observés.

L’office AI a rejeté la demande au motif que le taux d’invalidité de 4,14% en 2016/2017 et de 19,80% dès 2018 ne donnait aucun droit à des prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 34 – consultable ici)

Par jugement du 24.01.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
En réponse à l’argumentation de l’assurée, ne portant que sur l’appréciation de son état de santé sur le plan somatique, la cour cantonale a toutefois plus particulièrement relevé que l’avis de l’expert en rhumatologie à propos de l’existence d’un SDRC affectant le bras ou la main gauche et des effets de ce trouble sur la capacité de travail divergeait totalement de celui du spécialiste en anesthésiologie traitant. Elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de l’avis de l’expert dans la mesure où il avait établi dans son rapport que les critères diagnostiques d’un SDRC n’étaient pas remplis au moment de l’expertise. Elle a également retenu que l’avis du spécialiste en anesthésiologie traitant ne remettait pas valablement en question le rapport d’expertise dès lors que ce dernier ne mentionnait aucun élément objectif nouveau qui aurait été ignoré par l’expert, fondait certaines de ses conclusions sur les allégations de sa patiente et attestait sans autre motivation une incapacité totale de travail. Elle a dès lors suivi les conclusions des médecins experts et confirmé le taux d’invalidité fixé par l’office AI.

Consid. 6
En l’occurrence, la cour cantonale a considéré que le SDRC n’était pas présent ou plus d’actualité lors de l’expertise au plus tard dès lors que le médecin-expert rhumatologue avait démontré que les critères diagnostiques nécessaires pour retenir une telle pathologie n’étaient pas remplis. Elle a abouti à cette conclusion en se basant sur les « critères de Budapest », fixés par la doctrine médicale. Elle a relevé que l’expert avait attesté l’existence d’une douleur continue, disproportionnée par rapport à l’événement initial (critère 1), ainsi que de symptômes dans les quatre catégories somatosensorielle, vasomotrice, sudomotrice/oedème et motrice/trophique (critère 2), mais qu’il n’avait en revanche observé qu’un signe clinique dans ces mêmes catégories alors qu’il en fallait au moins deux pour retenir le critère 3 et – partant – le SDRC. Elle a par ailleurs considéré que le spécialiste en anesthésiologie traitant n’attestait aucun élément médical nouveau et que, même s’il faisait état d’un œdème à l’index de la main gauche (soit un signe supplémentaire dans les catégories du 3e critère diagnostique du syndrome litigieux) dans son rapport ultérieur, son évaluation des limitations fonctionnelles et de la capacité de travail était dénuée de toute valeur probante. On peut douter que, comme le fait valoir l’assurée, la juridiction cantonale pouvait légitimement nier d’emblée l’existence d’un SDRC. En effet, l’œdème à l’index de la main gauche signalé par le spécialiste en anesthésiologie traitant est de toute évidence un élément objectif nouveau par rapport aux constatations de l’expert rhumatologue, qu’il s’agit d’une atteinte objectivée et présente lors du prononcé de la décision litigieuse (sur l’état de fait déterminant pour apprécier la légalité de décisions administratives, cf. notamment ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références) et que, si on intégrait l’œdème à l’analyse des critères diagnostiques d’un SDRC par les juges cantonaux, il semblerait que le diagnostic en question puisse être retenu (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1).

Quoi qu’il en soit, le résultat auquel a abouti le tribunal cantonal n’est pas arbitraire (sur cette notion, cf. p. ex. ATF 139 III 334 consid. 3.2.5 et les références). En effet, l’expert n’a pas retenu un SDRC sur la base des constatations qu’il avait faites lors de son examen clinique. Il n’a toutefois ignoré ni les douleurs à la main gauche ni l’incidence de ces douleurs sur la capacité de travail au contraire de ce que l’assurée laisse entendre. Il a diagnostiqué un syndrome de douleurs chroniques de la main gauche après un événement traumatique mineur survenu le 5 février 2017 et retenu le port de charges de plus de 5 kg et les activités manuelles complexes parmi les limitations permettant la pratique d’une activité adaptée à 70%. Cette appréciation – reprise par la cour cantonale – ne peut pas valablement être mise en doute par l’allégation générale d’une douleur disproportionnée par rapport à l’événement déclenchant ou d’une impossibilité objective d’utiliser le bras gauche et d’exercer une activité autre que monomanuelle, qui ne ressort au demeurant pas des rapports établis par le spécialiste en anesthésiologie traitant.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_580/2022 consultable ici

 

9C_160/2023 (f) du 17.10.2023 – Dépôt d’une nouvelle demande AI – Délai octroyé (plus de 3 mois) à l’assuré pour rendre vraisemblable l’aggravation de l’état de santé et la modification de l’invalidité – 87 RAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_160/2023 (f) du 17.10.2023

 

Consultable ici

 

Dépôt d’une nouvelle demande AI – Plausibilité de la modification de l’invalidité de manière à influencer ses droits / 87 RAI

Délai octroyé (plus de 3 mois) à l’assuré pour rendre vraisemblable l’aggravation de l’état de santé et la modification de l’invalidité – Refus d’entrer en matière faute de preuve déposée par l’assuré

 

Assuré, né en 1976, victime d’un accident le 30.04.2014, entraînant une rupture du LCA associée à une déchirure de la corne moyenne du ménisque externe.

1ère demande AI déposée le 12.01.2015. Par décision du 11.12.2018, octroi d’une rente entière d’invalidité pour la période limitée du 01.07.2015 au 31.12.2017. Par jugement du 11.02.2021, le tribunal cantonal a rejeté le recours que l’assuré avait formé contre cette décision

2ème demande AI déposée le 16.06.2020. Dans un projet de décision du 29.09.2021, l’office AI a fait savoir à l’assuré qu’il envisageait de ne pas entrer en matière sur sa demande de prestations, dès lors qu’il n’avait pas rendu plausible que son invalidité s’était modifiée de manière à influencer ses droits. A la demande de l’assuré, l’office AI lui a accordé, le 13.12.2021, une ultime prolongation du délai échéant le 15.01.2022 pour déposer des pièces médicales et étayer sa demande. Le 14.01.2022, l’assuré a demandé un nouveau délai de 30 jours pour déposer des pièces. Par décision du 18.01.2022, l’office AI a refusé d’entrer en matière sur la demande, en l’absence de modification notable de la situation médicale.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 21/22 – 10/2023 – consultable ici)

Par jugement du 11.01.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
En vertu de l’art. 87 al. 2 et 3 RAI, lorsque la rente a été refusée parce que le taux d’invalidité était insuffisant, la nouvelle demande ne peut être examinée que si l’assuré rend plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits. Cette exigence doit permettre à l’administration qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force d’écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l’assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 133 V 108 consid. 5.2 et 5.3; 130 V 64 consid. 5.2.3; 117 V 198 consid. 4b et les références). Lorsqu’elle est saisie d’une nouvelle demande, l’administration doit commencer par examiner si les allégations de l’assuré sont, d’une manière générale, plausibles. Si tel n’est pas le cas, l’affaire est liquidée d’entrée de cause et sans autres investigations par un refus d’entrer en matière (ATF 117 V 198 consid. 3a).

 

Consid. 3.1
Dans un premier grief, d’ordre formel, l’assuré reproche à l’office AI d’avoir violé son droit d’être entendu dès lors qu’il lui a accordé, le 13.12.2021, une ultime prolongation du délai au 15.01.2022 pour déposer des pièces médicales et étayer sa demande. Il soutient qu’il est notoire que les médecins sont surchargés et qu’il n’est pas rare que l’obtention d’un rapport médical puisse prendre plus de trois mois. L’assuré en déduit que le rapport du docteur B.__ du 21.01.2022 (établi juste après le refus d’entrer en matière) aurait dû être pris en compte.

Consid. 3.2
La jurisprudence relative à une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité, dûment rappelée dans l’arrêt entrepris, requiert que l’assuré présente des éléments suffisants pour rendre plausible une aggravation de l’état de santé (cf. art. 87 al. 2 et 3 RAI). En effet, le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’autorité (art. 43 al. 1 LPGA), ne s’applique pas à une telle procédure, de sorte que la juridiction de première instance est tenue d’examiner le bien-fondé de la décision de non-entrée en matière de l’office AI en fonction uniquement des documents produits jusqu’à la date de celle-ci (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5; arrêt 9C_576/2021 du 2 février 2022 consid. 3.2).

A partir du 29.09.2021, jour où l’office AI a fait savoir à l’assuré qu’il n’avait pas rendu plausibles les faits qu’il alléguait, l’intéressé a bénéficié d’un délai de plus de trois mois (compte tenu d’une ultime prolongation accordée à sa demande le 13.12.2021) pour se déterminer et déposer ses moyens de preuve. En pareilles circonstances (proximité temporelle de la précédente décision de refus; allégués non documentés), un tel délai précédant un refus d’entrée en matière doit être qualifié de raisonnable. S’il fallait suivre le raisonnement de l’assuré, l’administration devrait suspendre indéfiniment le traitement de ce genre de demandes (voir par ex. l’arrêt I 67/02 du 2 décembre 2003 consid. 5). L’office AI n’a donc pas violé le droit de l’assuré d’être entendu en statuant le 18.01.2022 sur la base du dossier dont il disposait.

 

Consid. 4.2
Les juges cantonaux ont constaté que les diagnostics mentionnés par le docteur B.__ étaient connus, mais qu’ils n’étaient pas documentés par un examen clinique récent et un statut actualisé. Ils ont retenu que ce médecin, qui n’est ni orthopédiste ni rhumatologue, renvoyait à un rapport du professeur C.__ du mois de mai 2019 qui lui-même n’apportait pas d’élément nouveau.

L’argumentation de l’assuré, qui se fonde essentiellement et vainement sur le certificat du docteur B.__ du 21.01.2022, ne permet pas de remettre en cause l’appréciation que l’instance précédente a faite du certificat médical que le même médecin avait établi le 23.03.2021, ni d’en établir le caractère arbitraire. En niant que l’assuré eût rendu plausible une aggravation de son état de santé susceptible d’influencer ses droits, la juridiction cantonale n’a ni établi les faits de manière inexacte ou arbitraire, ni violé le droit fédéral. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de ses considérations.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_160/2023 consultable ici

 

Médecine et LAA : Fiche documentaire après traumatisme de l’épaule

Médecine et LAA : Fiche documentaire après traumatisme de l’épaule

 

Article de Peter Alexander Bülow in Suva Medical, 29.09.2023, consultable ici

 

La Médecine des assurances de la Suva et Swiss Orthopaedics ont élaboré une fiche documentaire pour les traumatismes de l’épaule. Il suffit d’y saisir les données cliniques et pertinentes pour la médecine des assurances. L’objectif est de simplifier et améliorer la documentation après un accident. La fiche est disponible dans medforms.

Des événements traumatiques entraînant une atteinte de l’épaule peuvent générer des modifications de la coiffe des rotateurs. Celles-ci sont souvent mises au jour par l’imagerie médicale. Outre les tendinopathies, on constate également des ruptures partielles et transmurales de la continuité des tendons de la coiffe des rotateurs.

Il incombe à la médecine des assurances d’évaluer si ces modifications mises au jour par l’imagerie médicale ont, selon une vraisemblance prépondérante, un lien de causalité avec l’événement déclaré. D’où l’importance de recueillir le plus d’informations possible juste après l’événement. La qualification des faits en tant qu’accident ou non est une question d’ordre juridique, raison pour laquelle l’évaluation médicale réalisée par la médecine des assurances parle d’abord d’un «événement».

La division médecine des assurances de la Suva et Swiss Orthopaedics estiment que l’utilisation d’une fiche documentaire, élaborée en concertation, contribuera à améliorer l’efficacité des procédures: les informations nécessaires pourront y être saisies et enregistrées pour toutes les parties impliquées et être consultées par ces dernières. Cela permettra d’optimiser les processus de tous les intervenants.

Si les résultats peuvent être saisis à l’aide d’une fiche structurée, puis transmis directement à l’assurance-accidents compétente, au médecin de famille et au spécialiste chargé de la suite du traitement, cela ne profite pas seulement à la personne assurée. Ces informations sont en effet aussi très utiles pour les collègues qui poursuivent le traitement. Cela leur permet de procéder de manière ciblée à la suite du diagnostic et du traitement. De plus, les spécialistes de la médecine des assurances disposent ainsi d’informations pertinentes pour pouvoir apprécier correctement l’événement.

Partant de ce constat, la médecine des assurances de la Suva a élaboré, en collaboration avec des représentants de Swiss Orthopaedics, la fiche documentaire après traumatisme de l’épaule. Celle-ci est dès à présent disponible dans medforms sous le lien.

La fiche documentaire permet de recueillir de manière structurée diverses informations sur l’événement, les éventuels troubles antérieurs de l’épaule et les résultats radiologiques. Le premier médecin traitant est ensuite invité à émettre une recommandation sur la suite de la procédure. Il peut non seulement être conseillé à la personne assurée de déclarer l’événement à l’assurance-accidents dans les meilleurs délais, mais aussi de joindre immédiatement le résultat de la première consultation médicale. Grâce à cette fiche documentaire, les médecins chargés de la suite du traitement disposent de nombreuses informations importantes qui les aident à planifier la suite du diagnostic et du traitement. Dans l’idéal, la consultation médicale devrait avoir lieu peu de temps après la survenue de l’événement.

Il est recommandé que cette fiche documentaire soit largement utilisée !

 

Article de Peter Alexander Bülow in Suva Medical, 29.09.2023, consultable ici

Fiche documentaire après traumatisme de l’épaule est disponible sur le site de medform

 

9C_273/2022 (f) du 23.08.2022 – Rente d’invalidité – Conditions générales d’assurances – 36 al. 1 LAI / Motivation insuffisante d’un avis du SMR se distançant des constatations et conclusions du psychiatre traitant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_273/2022 (f) du 23.08.2022

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Conditions générales d’assurances / 36 al. 1 LAI

Motivation insuffisante d’un avis du SMR se distançant des constatations et conclusions du psychiatre traitant

Evaluation de la capacité de travail relève de l’appréciation médicale

 

Assurée, née en 1977, originaire de Turquie et entrée en Suisse en septembre 2012, a présenté une demande AI en juillet 2020. Au terme de la procédure d’instruction, l’office AI a rejeté la demande de prestations au motif que l’intéressée ne remplissait pas les conditions générales d’assurance. En bref, il a considéré que l’assurée présentait une incapacité de travail totale depuis 2006 et que l’atteinte à la santé était donc antérieure à son entrée en Suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/365/2022 – consultable ici)

Après avoir notamment entendu la doctoresse B.__, psychiatre traitante, ainsi que l’assurée, le tribunal cantonal a admis le recours (arrêt du 20.04.2022), annulé la décision litigieuse et reconnu le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité dès le 01.02.2021.

 

TF

Consid. 3.2
A droit à une rente ordinaire l’assuré qui, lors de la survenance de l’invalidité, compte trois années au moins de cotisations (art. 36 al. 1 LAI) et que la condition de la durée minimale de cotisations pour ouvrir le droit à une rente ordinaire doit être remplie au moment de la survenance de l’invalidité (ATF 126 V 5 consid. 2c et les arrêts cités; arrêt 9C_145/2019 du 29 mai 2019 consid. 4.1).

Consid. 4
En se fondant sur les déclarations et conclusions de la psychiatre traitante, la juridiction cantonale a admis que l’assurée était en incapacité totale de travail depuis avril 2019. S’il ne pouvait être nié que l’assurée présentait déjà des troubles psychiques lorsqu’elle est entrée en Suisse, en 2012, soit notamment une modification durable de la personnalité après un événement de catastrophe, à la suite du trouble de stress post-traumatique survenu en 2008 (au moment où sa fille aînée, alors âgée de douze ans, lui avait fait part des abus commis par son père), ceux-ci n’étaient cependant pas incapacitants. A cet égard, l’intéressée avait en effet travaillé à plein temps comme cuisinière dans une famille en Turquie, jusqu’à son départ pour la Suisse. Si elle n’avait certes pas exercé une activité lucrative depuis son entrée en Suisse, cela pouvait s’expliquer en raison de son statut de requérante d’asile, qui lui interdisait de travailler au début, ainsi que de la méconnaissance de la langue française. Après avoir constaté que l’assurée remplissait la condition de la durée minimale de cotisations pour ouvrir le droit à une rente ordinaire prévue par l’art. 36 al. 1 LAI (dès lors qu’il ressortait de son compte individuel qu’elle avait cotisé depuis octobre 2012), les juges cantonaux lui ont reconnu le droit à une rente entière d’invalidité depuis le 01.02.2021, compte tenu de la date du dépôt de la demande de prestations, en juillet 2020 (art. 29 al. 1 LAI).

Consid. 5.2.1
Conformément à l’art. 43 LPGA, il incombe en premier lieu à l’administration de prendre d’office les mesures d’instruction nécessaires, singulièrement de recueillir un avis médical circonstancié lui permettant de statuer en connaissance de cause.

Or en l’espèce, la juridiction cantonale a dûment apprécié le rapport médical de la psychiatre traitante, en procédant également à l’audition de ce médecin. La cour cantonale a exposé les raisons pour lesquelles elle a considéré que les conclusions et déclarations de la psychiatre traitante étaient suffisantes pour admettre que l’état de santé de l’assurée s’était modifié depuis 2019 et que celle-ci présentait une incapacité totale de travail depuis le 26.04.2019. Les juges cantonaux ont en effet expliqué que la psychiatre traitante, qui avait suivi l’assurée à compter de 2017, n’avait pas tout de suite constaté d’incapacité de travail puisqu’elle n’en avait attestée une que depuis le 26.04.2019, en faisant alors état d’une aggravation de l’état de santé de sa patiente (cf. rapport du 29.08.2020). Lors de son audition du 25.02.2022, la psychiatre traitante avait précisé que l’assurée présentait seulement, au début du suivi, un état dépressif léger à moyen en relation avec les difficultés avec sa fille aînée et qu’elle était capable de travailler, le trouble dépressif s’étant ensuite aggravé lorsque les troubles psychiques de sa fille s’étaient péjorés avec des crises classiques et un comportement violent.

Consid. 5.2.2
La simple affirmation de l’office recourant, selon laquelle ce n’est qu’après la décision litigieuse, par laquelle il a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité pour défaut de condition d’assurance, que la psychiatre traitante a indiqué que les limitations psychiatriques de sa patiente étaient en lien avec le comportement de sa fille aînée (et non pas avec la situation dramatique vécue lorsqu’elle était en Turquie), n’est pas suffisante pour remettre en cause la valeur probante du rapport médical sur lequel les juges cantonaux se sont fondés. Au vu des informations claires et motivées contenues dans le rapport de la psychiatre traitante du 29.08.2020 quant à la date de la survenance de l’incapacité de travail (le 26.04.2019), il eût appartenu à l’office AI de compléter l’instruction médicale avant de rendre sa décision s’il avait des doutes quant aux conclusions de la psychiatre traitante, mais à tout le moins d’expliquer les motifs pour lesquels il s’en est distancié et a considéré que l’incapacité de travail existait depuis 2006 déjà. A cet égard, le rapport du médecin au SMR n’est d’aucun secours à l’office recourant. Appelé à se prononcer au sujet du rapport de la psychiatre traitante, le médecin du SMR s’est en effet contenté d’indiquer que la psychiatre traitante expliquait « très clairement » que les atteintes à la santé psychique avaient débuté en Turquie et qu’à la lecture de son rapport, il était manifeste que l’état psychique de l’assurée ne lui permettait pas d’exercer une activité professionnelle depuis 2006. Ce faisant, le médecin mentionne une incapacité de travail bien antérieure à celle attestée par la psychiatre traitante sans aucunement motiver son affirmation et expliquer son appréciation divergente sur ce point; son avis ne saurait dès lors être suivi. Partant, le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 5.3
L’argumentation de l’office recourant à l’appui de l’«évaluation de la vraisemblance prépondérante arbitraire en violation du droit fédéral» à laquelle la juridiction de première instance aurait procédé pour admettre que l’incapacité de travail de l’assurée avait débuté en 2019, au moment de l’aggravation de son état de santé attestée par la doctoresse B.__, et non lors de son arrivée en Suisse, en 2012, voire antérieurement, n’est pas davantage fondée. On rappellera à cet égard que compte tenu de son pouvoir d’examen restreint en la matière, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder une nouvelle fois à l’appréciation des preuves administrées, mais à la partie recourante d’établir en quoi celle opérée par l’autorité précédente serait manifestement inexacte ou incomplète, ou en quoi les faits constatés auraient été établis au mépris de règles essentielles de procédure. Or en l’occurrence, l’office recourant n’expose pas d’éléments concrets et objectifs susceptibles de remettre en cause l’appréciation des preuves effectuée par les juges cantonaux.

En particulier, c’est en vain que l’office recourant se réfère à la demande de prestations déposée par l’assurée en juillet 2020. S’il y est certes fait mention d’une incapacité de travail depuis 2012, les juges cantonaux ont cependant expliqué de manière convaincante que ce document avait été rempli par deux personnes différentes, à savoir la psychiatre traitante, et, probablement, l’assistante sociale de l’assurée, et que la psychiatre traitante y avait indiqué, au point 6.1, que l’atteinte à la santé existait depuis 2019. La mention d’une incapacité de travail depuis le 18 septembre 2012, au point 4.3, n’émanait pas de la psychiatre traitante, si bien qu’il s’agissait manifestement d’une erreur. Quoi qu’en dise l’office recourant à cet égard, l’évaluation de la capacité de travail relève de l’appréciation médicale. Par conséquent, le fait que l’assurée a également indiqué (notamment lors de son audition) qu’elle n’avait pas réussi à travailler lors de son arrivée en Suisse, en 2012, en raison de ses problèmes de santé – des troubles de mémoire l’empêchant d’apprendre le français selon elle – n’est pas déterminant. Le recours est mal fondé sur ce point également.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_273/2022 consultable ici

 

8C_96/2021 (f) du 27.05.2021 – Evaluation de la capacité de travail exigible – 6 LPGA / Rapport du médecin-traitant fondé sur les douleurs de l’assurée – Evaluation de l’incapacité de gain (invalidité) – 7 LPGA – 8 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_96/2021 (f) du 27.05.2021

 

Consultable ici

 

Evaluation de la capacité de travail exigible / 6 LPGA

Rapport du médecin-traitant fondé sur les douleurs de l’assurée

Evaluation de l’incapacité de gain (invalidité) / 7 LPGA – 8 LPGA

 

Assurée, née en 1970, employée depuis le 09.10.2010 comme ouvrière polyvalente, victime d’une chute dans un escalier le 03.01.2017, entraînant une fracture-luxation trimalléolaire de la cheville gauche. Dépôt de la demande AI le 09.10.2017.

Après avoir pris connaissance du dossier de l’assurance-accidents, notamment du rapport de sortie de la Clinique de réadaptation et du rapport d’examen final du médecin-conseil, l’office AI a rendu un projet de décision refusant à l’assurée le droit à des prestations de l’assurance-invalidité (rente d’invalidité et mesures de reclassement). Les objections formulées par l’assurée n’ont pas permis à l’administration de revenir sur sa position, de sorte que le projet a été confirmé par décision.

Entre-temps, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations avec effet au 30.06.2018 et a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité, lui reconnaissant cependant le droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 61/19 – 405/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a reconnu une pleine valeur probante au rapport d’examen final du médecin-conseil de l’assurance-accidents ainsi qu’au rapport de sortie de la Clinique de réadaptation, dont il ressortait que la capacité de travail résiduelle de l’assurée était de 100% dans une activité adaptée, c’est-à-dire une activité permettant d’éviter la marche prolongée, en particulier en terrain irrégulier, les montées et descentes répétitives d’escaliers, la position accroupie prolongée et le port de charge supérieur à un port de charge léger entre 5 et 10 kg.

Constatant que l’assurée n’avait soulevé aucun grief s’agissant de la comparaison des revenus et de l’évaluation du taux d’invalidité, les juges cantonaux ont confirmé le calcul auquel avait procédé l’office AI, en précisant pour le revenu d’invalide que même s’il fallait admettre un abattement de 10%, cela ne conduirait manifestement pas à un taux d’invalidité ouvrant droit aux prestations litigieuses.

 

Par jugement du 10.12.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Evaluation de la(l’) (in)capacité de travail

L’assurée fait d’abord valoir qu’elle aurait de la peine à travailler, même en position assise, ce qui serait confirmé par le rapport des ateliers professionnels de la Clinique de réadaptation. Ce faisant, elle ne parvient pas à démontrer que la juridiction cantonale aurait fait preuve d’arbitraire dans l’établissement des faits ou dans l’appréciation des preuves. En effet, on rappellera que la capacité de travail est une question qui doit être évaluée en premier lieu par un médecin (cf. ATF 140 V 193 consid. 3.2). Le rôle de celui-ci est d’indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités la personne assurée est incapable de travailler, en se fondant sur des constatations médicales et objectives, soit des observations cliniques qui ne dépendent pas uniquement des déclarations de l’intéressé, mais sont confirmées par le résultat des examens cliniques et paracliniques (MARGIT MOSER-SZELESS in: Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales [Dupont/Moser-Szeless éd.], 2018, n° 24 ad art. 6 LPGA). Dans ces conditions, c’est sans tomber dans l’arbitraire que la cour cantonale a déterminé la capacité de travail résiduelle de l’assurée en se référant au rapport du médecin-conseil de l’assurance-accidents. Celui-ci a retenu une pleine capacité de travail de l’assurée dans une activité adaptée, en précisant que si une impossibilité de reprendre l’activité habituelle avait été admise à la Clinique de réadaptation, cela résultait essentiellement de facteurs non médicaux.

 

Rapport du médecin-traitant fondé sur les douleurs de l’assurée

Contrairement à l’allégation de l’assurée, le médecin-traitant, spécialiste FMH en médecine interne générale, n’a pas indiqué dans son rapport qu’une activité adaptée serait uniquement envisageable à temps partiel. Il a seulement relevé qu’une telle activité ne pouvait pas d’emblée être exercée à plein temps. Or, dans la mesure où ce praticien n’explique pas pour quel motif un temps d’adaptation serait indispensable pour que l’assurée puisse exercer une activité adaptée ne nécessitant pas de manière accrue la sollicitation de la cheville gauche, c’est sans arbitraire que la cour cantonale n’a pas tenu compte de cette remarque. S’agissant de la détermination de ce médecin, produite en cours de procédure cantonale, dans laquelle il atteste désormais une incapacité de travail totale dans toute activité, force est de constater que ses conclusions n’emportent pas la conviction. Outre le fait qu’il est admis de jurisprudence constante que le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l’unit à ce dernier (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc), on relèvera qu’il s’est essentiellement fondé sur les douleurs de l’assurée et n’a pas mis en évidence un élément objectif nouveau par rapport à l’examen final du médecin-conseil de l’assurance-accidents.

Quant au rapport du 4 septembre 2019 du Prof. E.__ et de la doctoresse F.__, respectivement médecin chef et médecin associée au Département de l’appareil locomoteur du Service d’orthopédie et traumatologie de l’Hôpital G.__, duquel il ressort que l’assurée n’est plus en mesure d’exercer son ancien métier il n’est pas pertinent pour la question litigieuse. En effet, le droit à une rente d’invalidité présuppose une diminution totale ou partielle des possibilités de gain de la personne assurée sur le marché du travail équilibré qu’entre en considération (art. 7 al. 1 et 8 al. 1 LPGA). Or, comme on l’a vu, les juges cantonaux ont constaté que l’assurée avait une capacité de travail résiduelle de 100% dans une activité adaptée. C’est aussi en conformité avec le droit fédéral qu’ils ont évalué l’existence d’une invalidité potentielle en tenant compte de toutes les possibilités de gain de l’assurée sur un marché de travail équilibré.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_96/2021 consultable ici

 

Cf. arrêt 8C_95/2021 du 27.05.2021 pour le volet AA du dossier.

 

 

9C_667/2020 (f) du 29.12.2020 – Libre appréciation des preuves de l’office AI – 40 PCF – 55 al. 1 LPGA – 19 PA / Expertise médicale mise en œuvre par l’assurance perte de gain maladie

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_667/2020 (f) du 29.12.2020

 

Consultable ici

 

Libre appréciation des preuves de l’office AI / 40 PCF – 55 al. 1 LPGA – 19 PA

Expertise médicale mise en œuvre par l’assurance perte de gain maladie

 

Assurée, née en 1955, professeur d’arts visuels à temps partiel, en arrêt de travail depuis le 17.11.2017. Dépôt demande AI le 27.04.2018.

L’office AI a recueilli l’avis du psychiatre traitant, puis versé à son dossier celui de l’assurance perte de gain en cas de maladie, qui contenait notamment un rapport d’expertise établi le 29.08.2018 par un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Celui-ci a diagnostiqué – sans répercussion sur la capacité de travail – un trouble affectif bipolaire, actuellement en rémission. Le psychiatre a indiqué que l’assurée disposait d’une capacité de travail entière dans son activité habituelle d’enseignante au taux d’activité courant ; dans une activité adaptée, elle pouvait travailler à plein temps. En application de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, l’office AI a nié le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/783/2020 – consultable ici)

Par jugement du 09.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assurée reproche, entre autres, à la juridiction cantonale d’avoir d’une part accordé une pleine valeur probante aux conclusions de l’expertise psychiatrique du 29.08.2018. Elle fait valoir pour l’essentiel que l’évaluation psychiatrique a été mise en œuvre par son assureur perte de gain en cas de maladie et qu’elle n’a pas été en mesure de faire usage des droits qui auraient été les siens si l’expert psychiatre s’était prononcé à la demande de l’office AI. Elle soutient qu’elle n’a en particulier pas pu faire usage de son droit de poser des questions complémentaires au psychiatre et de mettre l’accent sur certaines « lacunes criardes » de son évaluation, telles que l’admission d’une pleine capacité de travail alors qu’elle prend quotidiennement un « cocktail » de huit médicaments différents pour tenter de stabiliser ses troubles psychiques. En se référant à l’ATF 141 III 433, elle soutient qu’une expertise réalisée à la demande d’un assureur privé ne serait pas un moyen de preuve au sens des art. 168 ss CPC et que les faits qu’elle renferme seraient de simples allégations de partie.

 

Selon le Tribunal fédéral : Les critiques de l’assurée à l’égard de la valeur probante des conclusions médicales suivies par les premiers juges sont mal fondées. Lors du dépôt d’une demande de prestations, l’office AI n’intervient tout d’abord pas comme une partie à la procédure, mais en tant qu’organe administratif chargé d’exécuter la loi. Conformément au principe de la libre appréciation des preuves, applicable en vertu de l’art. 40 PCF, en lien avec les art. 55 al. 1 LPGA et 19 PA, l’office AI n’est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu’en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux (ATF 125 V 351 consid. 3 p. 352). Le code de procédure civile, singulièrement l’art. 168 CPC, ne réglemente par conséquent pas la manière dont l’office AI doit apprécier les conclusions d’un rapport médical dans une procédure relevant du droit des assurances sociales (arrêt 8C_240/2016 du 13 juillet 2016 consid. 5.2; cf. ATF 141 III 433 consid. 2.6 p. 437).

L’administration n’a ensuite pas elle-même mis en œuvre une expertise auprès d’un médecin externe à l’assurance-invalidité, ni n’est intervenue dans sa réalisation (à ce sujet, ATF 136 V 113 consid. 5.4 p. 116), mais a versé à son dossier le rapport médical initié par un tiers. Les droits procéduraux prévus par l’art. 44 LPGA n’ont pas trouvé application et le rapport de l’expert psychiatre ne saurait être qualifié d’expertise médicale (externe à l’assureur social) au sens de cette disposition. L’assurée a cependant eu connaissance de ce rapport, à l’encontre duquel elle a pu faire valoir ses critiques. Elle l’a du reste contesté en procédure administrative. A ce stade-là, elle aurait donc déjà pu invoquer les « lacunes criardes » dont elle se plaint en procédure fédérale.

Cela étant, dans le cadre de la procédure de l’assurance-invalidité, l’évaluation de ce psychiatre est un document médical parmi d’autres qu’il appartenait tant à l’office AI qu’à la juridiction cantonale d’inclure dans leur appréciation des preuves. Or, en tant qu’elle invoque à l’encontre de celle-ci uniquement les effets de sa médication sur sa capacité de travail, l’assurée ne met pas en évidence de doutes, mêmes faibles, quant à la fiabilité et à la pertinence des conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, en présence desquels une expertise menée par un médecin externe à l’assurance aurait dû être mise en œuvre (art. 44 LPGA; ATF 135 V 465 consid. 4.4 p. 469). Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations des premiers juges au sujet de la capacité de travail.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_667/2020 consultable ici

 

 

8C_800/2019 (f) du 18.11.2020 – Maladie professionnelle niée – 9 al. 2 LAA / Lien de causalité naturelle que possible

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_800/2019 (f) du 18.11.2020

 

Consultable ici

 

Maladie professionnelle niée / 9 al. 2 LAA

Lien de causalité naturelle que possible

 

Assuré, né en 1975, travaillait depuis le 01.07.2016 en qualité d’ouvrier étancheur. Par courrier du 31.07.2017, son assurance perte de gain maladie a informé l’assurance-accidents d’une incapacité de travail de l’assuré depuis le 01.05.2017 et d’une suspicion de maladie professionnelle en rapport avec l’exposition chronique aux solvants organiques employés sur son lieu de travail. Dans un rapport du 05.07.2017 de l’Institut C.__, le docteur D.__, chef de clinique et spécialiste FMH en médecine du travail, a posé les diagnostics de céphalées chroniques d’origine indéterminée et de possible encéphalopathie chronique toxique liée à une exposition professionnelle aux solvants organiques.

Se fondant sur les avis de son spécialiste en médecine du travail, l’assurance-accidents a rendu une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a refusé d’allouer les prestations d’assurance sollicitées. Elle a considéré qu’il n’était pas prouvé que les troubles déclarés par l’assuré aient été causés exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de son activité professionnelle (art. 9 al. 2 LAA).

 

Procédure cantonale

Par jugement du 07.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux ; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Se fondant sur cette délégation de compétence – à laquelle renvoie l’art. 14 OLAA -, le Conseil fédéral a dressé à l’annexe I de l’OLAA la liste des substances nocives, d’une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d’autres part. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci, sont énumérés de manière exhaustive (arrêt 8C_757/2018 du 28 mars 2019 consid. 4.2 et la référence).

Selon la jurisprudence, l’exigence d’une relation prépondérante requise par l’art. 9 al. 1 LAA est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l’action d’une substance nocive mentionnée à l’annexe 1 de l’OLAA (ATF 133 V 421 consid. 4.1 p. 425 et les références).

Sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle (art. 9 al. 2 LAA). La condition d’un lien exclusif ou nettement prépondérant n’est réalisée que si la maladie a été causée à 75% au moins par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 126 V 183 consid. 2b p. 186; 119 V 200 consid. 2b p. 201 et la référence). Cela signifie, pour certaines affections qui ne sont pas typiques d’une profession déterminée, que les cas d’atteinte pour un groupe professionnel particulier doivent être quatre fois plus nombreux que ceux que compte la population en général (ATF 116 V 136 consid. 5c p. 143; RAMA 2000 n° U 408 p. 407, U 235/99, consid. 1a; arrêt 8C_73/2017 du 6 juillet 2017 consid. 2.2, publié in: SVR 2017 UV n° 46 p. 158).

Pour constater l’existence d’une atteinte à la santé en lien avec l’exercice d’une activité professionnelle, le juge doit se fonder sur des rapports médicaux auxquels on peut attribuer un caractère probant suffisant selon la jurisprudence (cf. ATF 140 V 193 consid. 3.2 p. 195; 125 V 351 consid. 3a p. 352).

L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bien son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 p. 232; 125 V 351 précité consid. 3a p. 352).

Selon la jurisprudence, il découle du principe de l’égalité des armes, tiré du droit à un procès équitable garanti par l’art. 6 par. 1 CEDH, que l’assuré a le droit de mettre en doute avec ses propres moyens de preuve la fiabilité et la pertinence des constatations médicales effectuées par un médecin interne à l’assurance. Le fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5 p. 470; 125 V 351 consid. 3a/cc p. 353 et les références) ne libère pas le juge de son devoir d’apprécier correctement les preuves, ce qui suppose de prendre également en considération les rapports versés par l’assuré à la procédure. Le juge doit alors examiner si ceux-ci mettent en doute, même de façon minime, la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance. Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis motivé d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis. Il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.5 p. 470 et consid. 4.6 p. 471).

S’agissant des cinq rapports du docteur E.__, spécialiste en médecine du travail de l’assurance-accidents, dont les deux derniers ont été établis en cours de procédure cantonale, il est douteux qu’ils remplissent les conditions posées par la jurisprudence pour se voir reconnaître pleine valeur probante. En effet, même si ce spécialiste a correctement exposé l’anamnèse professionnelle de l’assuré en relevant qu’une exposition aux solvants et aux résines époxy était mentionnée dans le rapport de l’Institut C.__ du 05.07.2017, il semble néanmoins remettre en doute les déclarations de l’assuré faites lors de son examen à l’Institut C.__ selon lesquelles des moyens de protection (par exemple des masques respiratoires avec cartouches) n’étaient que rarement utilisés. En concluant de manière apodictique à l’impossibilité de retenir une relation de causalité nettement prépondérante au sens de l’art. 9 al. 2 LAA entre l’exposition professionnelle et les troubles présentés par l’assuré, le docteur E.__ omet de considérer qu’en présence d’exposition à des substances nocives énumérées dans la liste à l’annexe I de l’OLAA, telles que résines époxy et xylènes, il convient d’appliquer l’art. 9 al. 1 LAA, nonobstant la question de savoir si des mesures de protection ont été prises. Ce point pourra néanmoins être considéré lorsqu’il s’agit d’examiner concrètement si, et le cas échéant dans quelle mesure, les troubles sont dus, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives.

Quant au résultat, le jugement cantonal n’apparaît pas critiquable. En effet, l’appréciation des autres rapports médicaux versés au dossier ne permet pas de considérer que la symptomatologie présentée par l’assuré, en particulier les céphalées chroniques, serait due exclusivement ou de manière prépondérante – soit pour plus de 50% (cf. consid. 3.1.1 supra) – aux substances nocives auxquelles il a été exposé durant ses activités professionnelles:

Dans son rapport du 05.07.2017 le docteur D.__ de l’Institut C.__ a évoqué une « possible encéphalopathie chronique toxique liée à une exposition professionnelle aux solvants organiques ». Ce diagnostic hypothétique n’a pas pu être confirmé, dès lors qu’un des deux tests recommandés dans le dépistage ou le suivi d’encéphalopathie toxique liée à l’exposition chronique aux solvants organiques était normal (test de Farnsworth) et que l’autre (le questionnaire Euroquest de dépistage de symptômes neurotoxiques) retrouvait des scores altérés principalement sur les symptômes centraux. Le spécialiste en médecine du travail a donc proposé de faire un bilan neuropsychologique. Après avoir effectué ces examens à la Clinique romande de réadaptation (CRR), lesquels ont mis en évidence des troubles modérés de la mémoire, des difficultés attentionnelles et exécutives ainsi qu’un ralentissement, le docteur D.__ a revu l’assuré en consultation et a indiqué que les troubles neuropsychologiques « pourraient être compatibles avec une possible encéphalopathie toxique ». Dans un rapport ultérieur, il a encore relativisé cette hypothèse en indiquant qu’il avait « effectivement évoqué la possibilité d’une encéphalopathie chronique liée aux solvants organiques » et qu’ensuite du bilan neuropsychologique, il ne pouvait pas « exclure un lien entre les symptômes présentés par l’assuré et ses expositions professionnelles ».

Dans ces conditions, c’est à juste titre que la cour cantonale a considéré que l’exigence d’une relation prépondérante n’était pas réalisée et que l’administration de preuves supplémentaires sous la forme d’une expertise médicale ne pourrait rien changer à ce constat (cf. ATF 144 V 361 consid. 6.5 p. 368 s. sur l’appréciation anticipée des preuves).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_800/2019 consultable ici

 

 

8C_810/2019 (f) du 07.09.2020 – 3 accidents de la circulation – Séquelles physiques en lien de causalité avec chacun des accidents – 6 LAA / Absence de séquelles physiques en lien de causalité avec le 2e accident / Lien de causalité adéquate entre le 3e accident et les troubles (lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin » examiné selon le 115 V 133) / Examen de la causalité adéquate en cas d’accidents successifs

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_810/2019 (f) du 07.09.2020

 

Consultable ici

 

3 accidents de la circulation – Séquelles physiques en lien de causalité avec chacun des accidents / 6 LAA

Absence de séquelles physiques en lien de causalité avec le 2e accident

Lien de causalité adéquate entre le 3e accident et les troubles (lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin » examiné selon le 115 V 133)

Examen de la causalité adéquate en cas d’accidents successifs

 

Assurée, née en 1982, travaillant en qualité d’ensemblière, est victime de trois accidents successifs de la circulation :

  • Le 19.01.2009, elle a subi une distorsion cervicale simple en percutant une voiture à l’arrêt. Le cas avait alors été pris en charge par l’assurance-accidents, qui a versé des prestations jusqu’en décembre en 2010.
  • Le 02.12.2012, la voiture dont elle était passagère à l’arrière au milieu a glissé sur une plaque de glace et s’est brusquement arrêtée contre une butte, projetant les passagers vers leur gauche. Selon la description de l’accident figurant dans la déclaration de sinistre, l’arrêt soudain du véhicule a projeté l’assurée contre le passager arrière assis à côté d’elle ; afin d’éviter le choc entre eux, l’assurée « a effectué une torsion au niveau du bassin et du bras » pour se retenir contre la fenêtre ; elle a ressenti par la suite des douleurs au niveau de la fesse et de la jambe. Il est en outre mentionné « hanche droite » sous la rubrique « partie du corps atteinte ». Entendue à son domicile le 13.06.2013, l’assurée a précisé que l’accident s’était produit à vitesse réduite et que le voyage avait pu se poursuivre après l’arrêt du véhicule contre le talus. A la suite de l’accident du 02.12.2012, l’assurée a poursuivi son activité professionnelle, jusqu’à ce qu’elle consulte le 28.12.2012 son médecin traitant (médecin-chef du Service de chirurgie orthopédique et de réadaptation physique du Centre médical D.__), lequel a attesté une incapacité de travail dès cette date.
  • Le 19.07.2013, alors qu’elle était à l’arrêt devant un signal « cédez le passage » au volant de son véhicule, celui-ci a été percuté par le véhicule qui la suivait. En raison de douleurs cervicales, de vertiges et de nausées, elle s’est rendue aux urgences de l’Hôpital E.__ trois jours plus tard, où les médecins ont diagnostiqué une contusion cervicale et des céphalées post-traumatiques. Un CT-scan cérébral et un angio-CT des troncs supra-aortiques pratiqués le 22.07.2017 n’ont pas mis en évidence de lésion traumatique cranio-cervicale visible.

L’assurance-accidents a confié la mise en œuvre d’une expertise neurologique à un spécialiste en neurologie, qui a constaté un examen neurologique parfaitement normal, relevant néanmoins un tableau de contractures musculaires douloureuses, une labilité émotionnelle, des phénomènes d’ordre neurovégétatif et des troubles du sommeil d’ordre psychophysiologique entrant dans le cadre d’un état de stress chronique. Sur le plan psychiatrique, l’assurée est suivie par un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, depuis le 08.02.2013, en raison notamment d’un état de stress post-traumatique.

L’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à des prestations d’assurance pour les suites de l’accident du 02.12.2012, au motif qu’il n’existait pas de lien de causalité au moins probable entre cet événement et les troubles présentés par l’assurée. En revanche, elle prenait en charge les suites de l’accident du 19.07.2013 jusqu’au 31.03.2016, considérant que les troubles subsistant au-delà de cette date étaient exclusivement de nature maladive.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Séquelles physiques en lien de causalité avec l’accident du 02.12.2012

Sur le plan médical, il est établi que l’assurée a attendu le 28.12.2012 avant de consulter son médecin traitant, lequel a attesté une incapacité de travail en raison d’un burn-out. Cela étant, on ne peut pas retenir que l’accident du 02.12.2012 aurait justifié l’incapacité de travail attestée à compter du 28.12.2012, bien que le praticien ait mentionné une accentuation des crampes et des douleurs en raison de celui-ci dans son rapport du 14.01.2013. Par ailleurs, il ressort des rapports médicaux du médecin-traitant que l’assurée souffrait déjà de nombreuses affections avant l’événement litigieux (vertiges rotatoires, cervicoscapulalgies bilatérales, discopathies cervicales, troubles statiques, déconditionnement musculaire).

Quant à la hernie discale décelée par une IRM lombaire du 08.03.2013 et opérée le 09.04.2013, aucun médecin ne l’a expressément attribuée à l’accident du 02.12.2012. Certes, le spécialiste en médecine physique et réadaptation consulté a considéré qu’elle était très probablement due à l’événement en cause. Il n’en reste pas moins qu’il motive cette appréciation uniquement par l’absence de problèmes rachidiens antérieurs à l’accident du 02.12.2012 « hormis un bref épisode de lombalgies aigües et modérées en 2004 » et par l’apparition immédiate de la symptomatologie douloureuse, ce qui est insuffisant pour établir un lien de causalité naturelle avec l’accident du 02.12.2012 (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc »; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb p. 341 s.; arrêt 8C_331/2015 du 21 août 2015 consid. 2.2.3.1, in SVR 2016 UV n° 18 p. 55). On rappellera en outre que selon l’expérience médicale, pratiquement toutes les hernies discales s’insèrent dans un contexte d’altération des disques intervertébraux d’origine dégénérative, un événement accidentel n’apparaissant qu’exceptionnellement, et pour autant que certaines conditions particulières soient réalisées, comme la cause proprement dite d’une telle atteinte; une hernie discale peut être considérée comme étant due principalement à un accident lorsque celui-ci revêt une importance particulière, qu’il est de nature à entraîner une lésion du disque intervertébral et que les symptômes de la hernie discale (syndrome vertébral ou radiculaire) apparaissent immédiatement, entraînant aussitôt une incapacité de travail (arrêt 8C_746/2018 du 1er avril 2019 consid. 3.3 et les arrêts cités). Or en l’espèce, ces conditions ne sont manifestement pas remplies.

Pour le reste, on ne voit pas que les « tensions rachidiennes » soient constitutives de séquelles physiques organiques; quant aux brèves réponses du médecin traitant à un questionnaire soumis par la protection juridique de l’assurée – dans lesquelles il soutient que les troubles actuels, soit au 27.05.2016, seraient en lien de causalité certain avec l’accident du 02.12.2012 « en raison de l’accentuation des douleurs et des crampes dans un contexte de myogélose global » -, elles ne répondent pas aux critères jurisprudentiels en matière de valeur probante des rapports médicaux (cf. ATF 134 V 231 consid. 5.1 p. 232 et l’arrêt cité) et ne sont pas suffisamment étayées.

En conclusion, il n’est pas possible de déduire des rapports susmentionnés un lien de causalité entre l’accident du 02.12.2012 et les atteintes dont l’assurée a souffert ultérieurement sur le plan somatique.

 

Lien de causalité adéquate entre l’accident du 19.07.2013 et ses troubles persistant au-delà du 31.03.2016

En matière de lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin », de traumatisme analogue ou de traumatisme cranio-cérébral sans preuve d’un déficit fonctionnel organique, l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident et l’incapacité de travail ou de gain doit en principe être reconnue en présence d’un tableau clinique typique présentant de multiples plaintes (maux de têtes diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépression, modification du caractère, etc.; ATF 134 V 109 consid. 9 p. 122 ss).

Pour l’examen de la causalité adéquate, selon la jurisprudence, la situation dans laquelle les symptômes, qui peuvent être attribués de manière crédible au tableau clinique typique, se trouvent toujours au premier plan doit être distinguée de celle dans laquelle l’assuré présente des troubles psychiques qui constituent une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique caractéristique habituellement associé aux traumatismes en cause :

  • Dans le premier cas, cet examen se fait sur la base des critères particuliers développés pour les cas de traumatisme de type « coup du lapin » à la colonne cervicale, de traumatisme analogue à la colonne cervicale ou de traumatisme cranio-cérébral, lesquels n’opèrent pas de distinction entre les éléments physiques et psychiques des atteintes (cf. ATF 134 V 109 consid. 10.3 p. 130; 117 V 359 consid. 6a p. 367).
  • Dans le second cas, il y a lieu de se fonder sur les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident, c’est-à-dire en excluant les aspects psychiques (cf. ATF 134 V 109 précité consid. 9.5 p. 125 s.; 127 V 102 consid. 5b/bb p. 103 et les références; 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140 et 403 consid. 5c/aa p. 409).

En l’occurrence, les juges cantonaux confirmé la présence d’un tableau clinique caractéristique habituellement associé aux traumatismes de type « coup du lapin ». Pour l’examen de la causalité adéquate, ils se sont fondés sur les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident, c’est-à-dire en excluant les aspects psychiques, considérant (implicitement) que l’assurée présentait des troubles psychiques constituant une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique. Dans le cadre de cet examen, ils ont qualifié l’événement du 19.07.2013 d’accident de gravité moyenne, à la limite inférieure de cette catégorie, et ont considéré qu’aucun critère n’était réalisé.

L’application des critères en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident et la qualification en tant qu’accident de gravité moyenne à la limite inférieure de la catégorie ne sont pas contestées par l’assurée et n’apparaissent pas critiquables au vu des rapports du psychiatre traitant, d’une part, et des déclarations de l’assurée et du rapport biomécanique, d’autre part. En cas d’accidents de gravité moyenne à la limite des accidents de peu de gravité, il faut un cumul de quatre critères au moins parmi les sept consacrés par la jurisprudence ou que l’un des critères se manifeste avec une intensité particulière (arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.1, in SVR 2019 UV n° 27 p. 99). Il y a dès lors lieu d’examiner ci-après si et dans quelle mesure les différents critères sont réalisés.

En ce qui concerne le critère de la durée anormalement longue du traitement médical, les juges cantonaux ont constaté que l’assurée avait été astreinte à porter une collerette en mousse durant trois jours et à suivre un traitement antalgique; elle avait régulièrement consulté le médecin traitant, qui lui avait prescrit du repos, des séances de physiothérapie et la prise d’un relaxant musculaire. L’assurée se prévaut du suivi chiropratique, du suivi psychiatrique et d’autres traitements (acupuncture, cures thermales, réflexothérapies, massages, etc.). L’aspect temporel n’est pas seul décisif dans l’examen du critère en cause. Sont également à prendre en considération la nature et l’intensité du traitement; à cet égard, la prise de médicaments antalgiques et la prescription de traitements par manipulations même pendant une certaine durée ne suffisent pas à fonder ce critère (arrêt 8C_1007/2012 du 11 décembre 2013 consid. 5.4.3 et les arrêts cités). En l’espèce, la nature des traitements invoqués par l’assurée n’implique pas une intensité suffisante pour admettre la réalisation du critère. Quant au suivi psychiatrique, il n’est pas déterminant, dès lors que l’examen des critères applicables lorsque des troubles psychiques constituent une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique se fait précisément en excluant les aspects psychiques.

L’assurée invoque de nombreuses difficultés et des complications importantes au regard des troubles apparus à la suite de ses trois accidents de la circulation. On ne voit toutefois pas en quoi les atteintes dont elle se prévaut (exacerbation des syndromes cervico-vertébral et post-commotionnel, réactivation des symptômes liés à l’état de stress post-traumatique, douleurs au niveau de l’oreille droite, etc.) constitueraient des difficultés apparues dans le processus de guérison et des complications importantes. On rappellera en outre qu’il convient de faire abstraction des troubles non objectivables et en particulier des troubles psychiques (cf. arrêt 8C_612/2019 du 30 juin 2020 consid. 3.3.5 et les arrêt cités).

Le critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques ne peut pas non plus être retenu en l’espèce, dans la mesure où l’assurée était déjà en incapacité totale de travail avant l’accident du 19.07.2013. On notera en outre que le psychiatre traitant de l’assurée a attesté une incapacité de travail totale pour raison psychique depuis début 2013.

Enfin, les douleurs physiques persistantes doivent être relativisées étant donné que les troubles psychiques exerçaient déjà une influence prépondérante sur l’état de l’assurée. Même en admettant la réalisation de ce critère, il ne revêt pas à lui seul une intensité suffisante pour admettre l’existence d’un lien de causalité adéquate.

Quant aux autres critères (les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident, la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, les erreurs dans le traitement médical), ils n’entrent pas en considération et ne sont d’ailleurs pas invoqués par l’assurée.

 

Examen de la causalité adéquate en cas d’accidents successifs

L’assurée soutient ensuite que la question de la causalité adéquate – telle qu’elle vient d’être traitée – devrait être examinée globalement, à savoir en tenant compte également des suites des accidents de 2009 et de 2012. En effet, les trois accidents auraient touché la même partie du corps, à savoir le rachis, et ne pourraient plus être distingués les uns des autres sur le plan de la symptomatologie douloureuse et de l’incapacité de travail.

Selon la jurisprudence, lorsqu’à la suite de deux ou plusieurs accidents apparaissent des troubles psychiques, l’existence d’un lien de causalité adéquate doit en principe être examinée en regard de chaque accident considéré séparément. Cette règle s’applique en particulier dans les cas où les accidents ont porté sur différentes parties du corps et ont occasionné des atteintes diverses. Le Tribunal fédéral a jugé que le principe d’un examen séparé de la causalité adéquate vaut également dans les cas où la personne assurée a subi plus d’un accident ayant entraîné un traumatisme du type « coup du lapin » ou un traumatisme analogue. Il n’a cependant pas écarté qu’il soit tenu compte de la survenance d’atteintes successives à une même partie du corps dans l’examen des critères jurisprudentiels lorsque les conséquences des différents événements ne peuvent pas être distinguées les unes des autres sur le plan des symptômes douloureux et/ou de l’incapacité de travail. Cette circonstance est à considérer dans le cadre de l’appréciation des critères de la gravité et la nature des lésions, du degré et de la durée de l’incapacité de travail, respectivement du traitement médical (arrêt 8C_1007/2012 du 11 décembre 2013 consid. 5.1 et les références citées). En effet, il ne s’agit pas d’additionner les faits mais de procéder à une appréciation globale des circonstances seulement si la nature du critère à considérer le permet. Aussi le critère des circonstances particulièrement dramatiques ou impressionnantes entourant l’événement accidentel doit-il, comme ce critère l’indique, être examiné séparément pour chaque accident et ne saurait être admis du seul fait que le recourant a été victime de deux accidents successifs dans un intervalle de temps rapproché (arrêt 8C_1007/2012 précité consid. 5.2).

En l’espèce, l’accident du 02.12.2012 n’a pas provoqué de traumatisme de type « coup du lapin » ou un traumatisme analogue. Même si l’on effectuait un examen du caractère adéquat du lien de causalité entre l’accident de 2013 et les troubles de l’assurée persistant au-delà du 31.03.2016, en prenant en considération l’accident de 2009, on ne pourrait pas non plus admettre l’existence d’un tel lien. En effet, l’assurée se prévaut des traitements antalgique et de physiothérapie mis en œuvre à la suite de l’accident de 2009, soit des traitements qui ne sont pas particulièrement pénibles, ni invasifs, de sorte que le critère de la durée anormalement longue du traitement médical demeure exclu. Il en va de mêmes du critère relatif au degré et à la durée de l’incapacité de travail, au vu des diverses périodes d’incapacité de travail consécutives à l’accident de 2009 invoquées par l’assurée (100 % du 19.01.2009 au 01.02.2009, 50 % du 02.02.2018 au 08.02.2009, 100 % du 02.11.2009 au 30.11.2009 et 20 % du 07.06.2010 au 31.08.2011; pour des exemples où le critère a été admis, voir arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.7 et les arrêts cités). Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l’assurée, la gravité particulière des lésions n’est pas donnée du seul fait d’avoir subi plusieurs accidents de type « coup du lapin ». Encore faut-il qu’un nouveau traumatisme affecte une colonne vertébrale déjà très endommagée (arrêt 8C_508/2008 du 22 octobre 2008 consid. 5.4), ce qui n’est pas établi en l’espèce. S’agissant des autres critères jurisprudentiels invoqués par l’assurée (caractère particulièrement impressionnant de l’accident de 2009 et douleurs physiques persistantes), il apparaît d’emblée exclu qu’ils puissent revêtir une intensité particulière permettant d’admettre le lien de causalité adéquate litigieux. En effet, par rapport à l’accident de la circulation survenu en 2009, l’assurée se prévaut essentiellement d’une peur intense pour sa propre vie et celle d’autrui. Or l’examen du caractère particulièrement impressionnant d’un accident se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances de l’espèce et non en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse (cf. arrêts 8C_96/2017 du 24 janvier 2018 consid. 5.1, in SVR 2018 UV n° 21 p. 74). Quant aux douleurs physiques persistantes, l’assurée se contente de se référer aux éléments développés dans son précédent grief, sans exposer en quoi un examen global aboutirait à un résultat différent.

 

Frais d’établissement d’un rapport médical

La juridiction cantonale a rejeté la demande de l’assurée au motif que les pièces au dossier étaient probantes et permettaient de trancher le litige et que la causalité adéquate était une question de droit et échappait ainsi à l’appréciation des médecins.

Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures ; à défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’une expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c p. 63; arrêts 8C_61/2016 du 19 décembre 2016 consid. 6.1 in fine, in SVR 2017 UV n° 19 p. 63).

En l’espèce, même si le médecin s’est prononcé sur l’intrication des trois accidents et leur impact sur la survenance des troubles et a établi le diagnostic de syndrome post-commotionnel en lien avec l’accident de 2009, il n’en reste pas moins que son rapport médical, établi à la demande à l’assurée, n’a pas joué un rôle déterminant dans la résolution du litige. Dans ces conditions, la juridiction cantonale était fondée à refuser de mettre les frais d’établissement du rapport en cause à la charge de l’assurance-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_810/2019 consultable ici