9C_273/2022 (f) du 23.08.2022 – Rente d’invalidité – Conditions générales d’assurances – 36 al. 1 LAI / Motivation insuffisante d’un avis du SMR se distançant des constatations et conclusions du psychiatre traitant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_273/2022 (f) du 23.08.2022

 

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Rente d’invalidité – Conditions générales d’assurances / 36 al. 1 LAI

Motivation insuffisante d’un avis du SMR se distançant des constatations et conclusions du psychiatre traitant

Evaluation de la capacité de travail relève de l’appréciation médicale

 

Assurée, née en 1977, originaire de Turquie et entrée en Suisse en septembre 2012, a présenté une demande AI en juillet 2020. Au terme de la procédure d’instruction, l’office AI a rejeté la demande de prestations au motif que l’intéressée ne remplissait pas les conditions générales d’assurance. En bref, il a considéré que l’assurée présentait une incapacité de travail totale depuis 2006 et que l’atteinte à la santé était donc antérieure à son entrée en Suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/365/2022 – consultable ici)

Après avoir notamment entendu la doctoresse B.__, psychiatre traitante, ainsi que l’assurée, le tribunal cantonal a admis le recours (arrêt du 20.04.2022), annulé la décision litigieuse et reconnu le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité dès le 01.02.2021.

 

TF

Consid. 3.2
A droit à une rente ordinaire l’assuré qui, lors de la survenance de l’invalidité, compte trois années au moins de cotisations (art. 36 al. 1 LAI) et que la condition de la durée minimale de cotisations pour ouvrir le droit à une rente ordinaire doit être remplie au moment de la survenance de l’invalidité (ATF 126 V 5 consid. 2c et les arrêts cités; arrêt 9C_145/2019 du 29 mai 2019 consid. 4.1).

Consid. 4
En se fondant sur les déclarations et conclusions de la psychiatre traitante, la juridiction cantonale a admis que l’assurée était en incapacité totale de travail depuis avril 2019. S’il ne pouvait être nié que l’assurée présentait déjà des troubles psychiques lorsqu’elle est entrée en Suisse, en 2012, soit notamment une modification durable de la personnalité après un événement de catastrophe, à la suite du trouble de stress post-traumatique survenu en 2008 (au moment où sa fille aînée, alors âgée de douze ans, lui avait fait part des abus commis par son père), ceux-ci n’étaient cependant pas incapacitants. A cet égard, l’intéressée avait en effet travaillé à plein temps comme cuisinière dans une famille en Turquie, jusqu’à son départ pour la Suisse. Si elle n’avait certes pas exercé une activité lucrative depuis son entrée en Suisse, cela pouvait s’expliquer en raison de son statut de requérante d’asile, qui lui interdisait de travailler au début, ainsi que de la méconnaissance de la langue française. Après avoir constaté que l’assurée remplissait la condition de la durée minimale de cotisations pour ouvrir le droit à une rente ordinaire prévue par l’art. 36 al. 1 LAI (dès lors qu’il ressortait de son compte individuel qu’elle avait cotisé depuis octobre 2012), les juges cantonaux lui ont reconnu le droit à une rente entière d’invalidité depuis le 01.02.2021, compte tenu de la date du dépôt de la demande de prestations, en juillet 2020 (art. 29 al. 1 LAI).

Consid. 5.2.1
Conformément à l’art. 43 LPGA, il incombe en premier lieu à l’administration de prendre d’office les mesures d’instruction nécessaires, singulièrement de recueillir un avis médical circonstancié lui permettant de statuer en connaissance de cause.

Or en l’espèce, la juridiction cantonale a dûment apprécié le rapport médical de la psychiatre traitante, en procédant également à l’audition de ce médecin. La cour cantonale a exposé les raisons pour lesquelles elle a considéré que les conclusions et déclarations de la psychiatre traitante étaient suffisantes pour admettre que l’état de santé de l’assurée s’était modifié depuis 2019 et que celle-ci présentait une incapacité totale de travail depuis le 26.04.2019. Les juges cantonaux ont en effet expliqué que la psychiatre traitante, qui avait suivi l’assurée à compter de 2017, n’avait pas tout de suite constaté d’incapacité de travail puisqu’elle n’en avait attestée une que depuis le 26.04.2019, en faisant alors état d’une aggravation de l’état de santé de sa patiente (cf. rapport du 29.08.2020). Lors de son audition du 25.02.2022, la psychiatre traitante avait précisé que l’assurée présentait seulement, au début du suivi, un état dépressif léger à moyen en relation avec les difficultés avec sa fille aînée et qu’elle était capable de travailler, le trouble dépressif s’étant ensuite aggravé lorsque les troubles psychiques de sa fille s’étaient péjorés avec des crises classiques et un comportement violent.

Consid. 5.2.2
La simple affirmation de l’office recourant, selon laquelle ce n’est qu’après la décision litigieuse, par laquelle il a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité pour défaut de condition d’assurance, que la psychiatre traitante a indiqué que les limitations psychiatriques de sa patiente étaient en lien avec le comportement de sa fille aînée (et non pas avec la situation dramatique vécue lorsqu’elle était en Turquie), n’est pas suffisante pour remettre en cause la valeur probante du rapport médical sur lequel les juges cantonaux se sont fondés. Au vu des informations claires et motivées contenues dans le rapport de la psychiatre traitante du 29.08.2020 quant à la date de la survenance de l’incapacité de travail (le 26.04.2019), il eût appartenu à l’office AI de compléter l’instruction médicale avant de rendre sa décision s’il avait des doutes quant aux conclusions de la psychiatre traitante, mais à tout le moins d’expliquer les motifs pour lesquels il s’en est distancié et a considéré que l’incapacité de travail existait depuis 2006 déjà. A cet égard, le rapport du médecin au SMR n’est d’aucun secours à l’office recourant. Appelé à se prononcer au sujet du rapport de la psychiatre traitante, le médecin du SMR s’est en effet contenté d’indiquer que la psychiatre traitante expliquait « très clairement » que les atteintes à la santé psychique avaient débuté en Turquie et qu’à la lecture de son rapport, il était manifeste que l’état psychique de l’assurée ne lui permettait pas d’exercer une activité professionnelle depuis 2006. Ce faisant, le médecin mentionne une incapacité de travail bien antérieure à celle attestée par la psychiatre traitante sans aucunement motiver son affirmation et expliquer son appréciation divergente sur ce point; son avis ne saurait dès lors être suivi. Partant, le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 5.3
L’argumentation de l’office recourant à l’appui de l’«évaluation de la vraisemblance prépondérante arbitraire en violation du droit fédéral» à laquelle la juridiction de première instance aurait procédé pour admettre que l’incapacité de travail de l’assurée avait débuté en 2019, au moment de l’aggravation de son état de santé attestée par la doctoresse B.__, et non lors de son arrivée en Suisse, en 2012, voire antérieurement, n’est pas davantage fondée. On rappellera à cet égard que compte tenu de son pouvoir d’examen restreint en la matière, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder une nouvelle fois à l’appréciation des preuves administrées, mais à la partie recourante d’établir en quoi celle opérée par l’autorité précédente serait manifestement inexacte ou incomplète, ou en quoi les faits constatés auraient été établis au mépris de règles essentielles de procédure. Or en l’occurrence, l’office recourant n’expose pas d’éléments concrets et objectifs susceptibles de remettre en cause l’appréciation des preuves effectuée par les juges cantonaux.

En particulier, c’est en vain que l’office recourant se réfère à la demande de prestations déposée par l’assurée en juillet 2020. S’il y est certes fait mention d’une incapacité de travail depuis 2012, les juges cantonaux ont cependant expliqué de manière convaincante que ce document avait été rempli par deux personnes différentes, à savoir la psychiatre traitante, et, probablement, l’assistante sociale de l’assurée, et que la psychiatre traitante y avait indiqué, au point 6.1, que l’atteinte à la santé existait depuis 2019. La mention d’une incapacité de travail depuis le 18 septembre 2012, au point 4.3, n’émanait pas de la psychiatre traitante, si bien qu’il s’agissait manifestement d’une erreur. Quoi qu’en dise l’office recourant à cet égard, l’évaluation de la capacité de travail relève de l’appréciation médicale. Par conséquent, le fait que l’assurée a également indiqué (notamment lors de son audition) qu’elle n’avait pas réussi à travailler lors de son arrivée en Suisse, en 2012, en raison de ses problèmes de santé – des troubles de mémoire l’empêchant d’apprendre le français selon elle – n’est pas déterminant. Le recours est mal fondé sur ce point également.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_273/2022 consultable ici

 

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