Archives par mot-clé : Fardeau de la preuve

4A_417/2023 (f) du 01.10.2024 – IJ maladie LCA – Personne assurée licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé) – Preuve du dommage / 8 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_417/2023 (f) du 01.10.2024

 

Consultable ici

 

IJ maladie LCA – Personne assurée licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé) – Preuve du dommage / 8 CC

Indemnités journalières calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage et non sur l’ancien salaire

Le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie

Indemnité de départ, prévue contractuellement, couvre la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports – Indemnité de départ prise en considération par la caisse de chômage et non par l’assurance perte de gain maladie

 

Assuré engagé le 01.06.2008 par la société C.__ SA. Son contrat de travail prévoyait qu’en cas de licenciement, l’employeuse verserait une indemnité unique correspondant à six mois de salaire de base.

L’employeuse a souscrit une assurance perte de gain collective auprès d’une compagnie d’assurances, effective dès le 01.01.2020. Cette assurance couvrait 90% du salaire assuré pendant 730 jours, après un délai d’attente de 60 jours, en cas d’incapacité de travail due à une maladie. Les CGA prévoient notamment qu’est réputée incapacité de travail toute perte de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une maladie.

Par courrier du 22.01.2021, l’employeuse a licencié l’assuré pour le 31.07.2021 et l’a libéré de son obligation de travailler.

En août 2021, l’employeuse a transmis à l’assureur une déclaration de maladie indiquant que l’assuré se trouvait en incapacité totale de travail depuis le 21.06.2021.

Le 07.09.2021, l’assureur a informé l’assuré qu’il le considérait apte à reprendre son activité chez un autre employeur et a clos le dossier. L’assuré a contesté cette décision. Il s’est inscrit au chômage le 07.11.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/494/2023 – consultable ici)

Par arrêt du 26.06.2023, la cour cantonale a partiellement admis la demande, condamnant l’assureur à verser CHF 191’576.25 plus intérêts à l’assuré pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. Se basant sur une expertise judiciaire, la cour a établi que l’assuré était en incapacité de travail totale jusqu’au 30.11.2021, puis à 50% du 01.12.2021 au 31.01.2022. La cour a retenu que l’assuré avait perçu son salaire jusqu’au 31.07.2021 et qu’il était toujours sous contrat de travail pendant la période litigieuse, durant laquelle il a subi une perte de gain due à son incapacité de travail. Les indemnités journalières ont été calculées sur la base de 90% de l’ancien salaire de l’assuré, soit CHF 565’287.85.

 

TF

Consid. 3
En l’espèce, il est établi et non contesté que l’employé a été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et libéré de l’obligation de travailler jusqu’à cette échéance; il a perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire.

Il s’est trouvé en incapacité totale de travailler dès le 21.06.2021. Selon l’expertise, cette incapacité s’est prolongée jusqu’au 31.01.2022, d’abord à 100% puis à 50%. Compte tenu du délai d’attente de 60 jours prévu par la police d’assurance, le droit aux prestations de l’assurance perte de gain ne pouvait débuter que le 20.08.2021, point de départ qui n’est pas contesté.

La cour cantonale a admis l’incapacité de travailler sur la base de l’expertise et, partant, la perte de gain de l’employé. Elle l’a calculée en se fondant sur un salaire annuel de CHF 565’287.85 (90% de ce montant, conformément aux CGA).

Consid. 6.1
S’agissant d’une assurance de dommages, conformément à l’art. 8 CC, la personne assurée doit établir au degré de la vraisemblance prépondérante que son incapacité de travailler pour cause de maladie lui a causé une perte de gain, c’est-à-dire un dommage. Autrement dit, elle doit établir avec vraisemblance prépondérante que si elle n’était pas malade, elle exercerait une activité lucrative. Cela implique donc de se poser, dans chaque cas d’espèce, la question suivante: le travailleur exercerait-il ou non une activité lucrative s’il n’était pas malade? Ce n’est en effet que dans l’affirmative que tant l’assurance d’indemnités journalières pour cause de maladie que l’assurance-chômage allouent des prestations.

Il ressort de la jurisprudence qu’il faut distinguer deux cas de figure, en fonction du moment auquel intervient la résiliation du contrat de travail (signification du congé) :

  • Si la personne assurée était déjà malade au moment où son contrat de travail a été résilié, après la période de protection contre les congés, il est présumé (présomption de fait) que, sans la maladie qui l’affecte, elle exercerait non seulement une activité lucrative, mais elle aurait continué à travailler pour son employeur, et donc à percevoir le même salaire pendant toute la durée de son incapacité de travail. Dans ce cas de figure, la perte de gain correspond à sa perte de salaire (ATF 147 III 73 consid. 3.2 et 3.3).
  • Si la personne assurée a été licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé), elle doit établir avec une vraisemblance prépondérante qu’elle exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade, et qu’elle aurait eu droit aux indemnités de l’assurance-chômage. Dans ce cas de figure, il ne peut pas être présumé qu’elle percevrait le même salaire que précédemment et les indemnités journalières doivent être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage (ATF 147 III 73 consid. 3.3; cf. toutefois consid. 4 non publié de cet ATF s’agissant d’un nouvel emploi concret [ » konkret bezeichnete Stelle « ], avec des indications sur le nouveau salaire possible).

Lorsqu’elle est en incapacité de travail, la personne qui exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade n’est pas apte au travail et ne peut donc pas percevoir de prestations de l’assurance-chômage. En revanche, puisqu’elle est malade, elle a droit aux prestations de l’assurance-maladie collective, calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage.

Consid. 6.2
Selon la cour cantonale, pour déterminer si l’assuré avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, il convenait de définir s’il était encore lié par son contrat de travail avec son ancienne employeuse. Il avait été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et s’était retrouvé en incapacité de travail dès le 21.06.2021. Se fondant sur les dispositions légales applicables au contrat de travail, la cour cantonale a retenu que le terme des rapports de travail était reporté au 31.01.2022 au vu de la période de protection contre les congés dont bénéficiait l’assuré (art. 336c al. 1 let. b CO; art. 336c al. 2 et 3). Ce dernier avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il n’avait reçu aucun revenu alors qu’il était encore sous contrat de travail et se trouvait en incapacité de travailler. La cour cantonale a ensuite calculé le montant des indemnités journalières sur la base de l’ancien salaire de l’assuré.

Consid. 6.3
En l’espèce, il est établi que la résiliation des rapports de travail a été communiquée par courrier du 22.01.2021, et que l’employé est tombé en incapacité de travailler le 21.06.2021, soit pendant le délai de congé. Au vu du délai d’attente de l’assurance de 60 jours, le droit aux prestations de l’assurance n’a commencé que le 20.08.2021. L’assureur ne conteste pas le report du terme des rapports de travail au 31.01.2022.

Ces faits réalisent les conditions du second cas de figure sus-exposé. Les prestations de l’assureur perte de gain doivent donc être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage. C’est ainsi à tort que la cour cantonale a tablé sur la fin des rapports de travail au 31.01.2022 pour admettre que l’employé a droit à des prestations de l’assureur perte de gain fondées sur son ancien salaire de CHF 565’287.85 pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. En effet, puisque le contrat de travail a été résilié avant que l’employé ne tombe malade, il est évident que les rapports de travail n’auraient pas été poursuivis, même sans la maladie.

Dans sa réponse, l’assuré soutient que l’arrêt 4A_424/2020 – soit l’ATF 147 III 73 – dans lequel les indemnités perte de gain litigieuses ont été calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage, concernait des prestations qui devaient être versées une fois que le travailleur ne pouvait plus prétendre à recevoir son salaire et émargeait à l’assurance-chômage. Selon l’assuré, il en allait différemment dans son cas, puisqu’il disposait d’un droit à recevoir son salaire jusqu’au 31.01.2022. L’assuré se méprend. L’ATF 147 III 73 concerne le même cas de figure que la présente affaire: les rapports de travail, débutés en 2008, ont été résiliés le 12.02.2018 pour le 31.08.2018; la personne assurée est devenue incapable de travailler dès le 27.07.2018. Les indemnités litigieuses ont été versées après le délai d’attente de 90 jours de l’assurance perte de gain dès l’incapacité de travail. Contrairement à ce qu’allègue l’assuré, elles n’ont pas été payées après que le contrat de travail ait pris fin; il omet le report du terme des rapports de travail dû à la période de protection contre les congés. Cet ATF ne lui est donc d’aucun secours.

Ainsi, il appartiendra à la cour cantonale de calculer le montant des indemnités journalières de l’assurance perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022 en se fondant sur les indemnités de chômage auxquelles l’assuré aurait pu prétendre s’il n’avait pas été malade. Il incombera également à l’autorité précédente de statuer à nouveau sur les dépens de la procédure cantonale; elle n’a à juste titre pas perçu de frais judiciaires (cf. art. 114 let. e CPC).

 

Consid. 7.1.1
Sous le grief lié à l’incapacité de travail de l’assuré, l’assureur soutient que celle-ci ne devrait pas être appréciée par rapport à l’activité qu’il exerçait précédemment pour son employeur. Selon l’assureur, l’expertise est théorique puisqu’elle apprécie l’incapacité par rapport à une situation hypothétique, soit celle d’une activité de cadre supérieur d’une entreprise multinationale, alors que l’assuré n’exerce plus cette activité depuis qu’il a été libéré de son obligation de travailler. Elle se fonde sur le ch. D2 CGA, qu’elle rapproche de l’art. 6 LPGA (poste de travail habituel), et en déduit que depuis son licenciement, avec libération de l’obligation de travailler, l’assuré a eu une activité de recherche d’emploi, qu’il s’agit de son activité habituelle et que c’est sur cette base que devait s’apprécier sa capacité de travail. Il se plaint d’arbitraire et de violation des dispositions légales et contractuelles applicables.

Cette critique est infondée. La jurisprudence n’a jamais déduit du fait que l’employé a été libéré de l’obligation de travailler que désormais, sa capacité de travail devait être appréciée en fonction de sa recherche d’un emploi.

 

Consid. 7.2
L’assureur avance encore que, puisque l’assuré a été libéré de son obligation de travailler, il n’y avait pas de lien de causalité entre son incapacité de travail et l’éventuelle perte de gain, de sorte que l’assuré n’avait pas droit aux indemnités litigieuses.

Toutefois, le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie.

 

Consid. 7.4.1
A titre complémentaire, l’assureur soutient que l’assuré n’a de toute façon pas subi de perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il avait perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire. La volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer cette indemnité comme du salaire pour cette période, ce qu’avait également retenu la caisse de chômage. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont constaté de manière arbitraire que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Ils ne pouvaient pas reporter cette indemnité sur la période postérieure au 31.01.2022.

Consid. 7.4.2
La cour cantonale a relevé que l’indemnité de départ, prévue contractuellement, couvrait à la fin des rapports de travail la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports, et non de l’incapacité de travail. Puisque le terme du délai de congé avait été reporté au 31.01.2022 en raison de l’incapacité de travail de l’assuré, l’indemnité de départ serait prise en considération par la caisse de chômage dès le 01.02.2022. Certes, il ressortait de la décision de la caisse de chômage qu’elle avait tenu compte de cette indemnité dès le mois d’août 2021; cependant, elle avait précisé que sa décision revêtait un caractère provisoire et pourrait être revue en cas de décision judiciaire tranchant différemment la question de la fin des rapports de travail. Partant, durant la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, l’assuré, qui était alors sous contrat de travail, se trouvait en incapacité de travail et n’avait pas perçu de revenu, de sorte qu’il avait subi une perte de gain.

Consid. 7.4.3
L’assureur fait valoir que dans le cadre d’un litige aux prud’hommes, la volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer l’indemnité versée comme du salaire pour la période litigieuse, de sorte qu’il n’y avait aucune perte de gain. Ce faisant, l’assureur se fonde sur des éléments non constatés, sans requérir valablement un complètement de l’état de fait à cet égard. Cela n’est pas suffisant. Par ailleurs, contrairement à ce qu’il soutient, les juges cantonaux ont basé leur appréciation sur un élément concret. En effet, le contrat de travail prévoyait lui-même le versement d’une indemnité en cas de licenciement. Ainsi, cette indemnité aurait de toute évidence été payée même sans l’incapacité de travail de l’assuré et n’était donc pas en lien avec cette dernière. Pour le surplus, lorsque l’assureur allègue que la caisse de chômage avait elle-même retenu que l’assuré n’avait subi aucun dommage pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, il ne discute pas valablement l’argumentation de la cour cantonale relative à la décision de la caisse de chômage.

En définitive, l’assureur ne parvient pas à démontrer que les juges cantonaux auraient retenu de manière arbitraire que l’indemnité de départ était destinée à couvrir une éventuelle perte de gain dès le 31.01.2022, et que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Le grief doit donc être rejeté.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assureur, annule l’arrêt cantonal et renvoie la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.

 

Arrêt 4A_417/2023 consultable ici

 

9C_162/2024 (f) du 31.07.2024 – Tâcherons et sous-traitants – Détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales / Maxime inquisitoire de la caisse de compensation – Pas de renversement du fardeau de la preuve

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_162/2024 (f) du 31.07.2024

 

Consultable ici

 

Tâcherons et sous-traitants – Détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

Maxime inquisitoire de la caisse de compensation – Pas de renversement du fardeau de la preuve

 

A.__ Sàrl (ci-après: la société) est affiliée en tant qu’employeur auprès d’une caisse de compensation. Un contrôle d’employeur portant sur la période de janvier 2017 à décembre 2021 a mis en évidence que la société avait opéré différents versements en espèces en faveur de B.__ Sàrl dans le courant de l’année 2020, pour un montant total de CHF 138’868, sans pouvoir produire de justificatifs détaillés. Par décision du 20.10.2022, confirmée sur opposition le 26.01.2023, la caisse de compensation a réclamé à A.__ Sàrl le paiement de CHF 21’371.75, correspondant à des cotisations sociales sur le montant payé à B.__ Sàrl, qualifié de salaires versés à des employés de la société.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 15 – consultable ici)

Par jugement du 26.01.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels applicables notamment à la détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales (art. 5 al. 2 et 9 al. 1 LAVS; ATF 140 V 108 consid. 6; 123 V 161 consid. 1 et les arrêts cités), ainsi que les règles sur l’administration et l’appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA). Il suffit d’y renvoyer.

Selon la jurisprudence, les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante. Leur activité ne peut être qualifiée d’indépendante que lorsque les caractéristiques de la libre entreprise dominent manifestement et que l’on peut admettre, d’après les circonstances, que l’intéressé traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail (arrêt 8C_597/2011 du 10 mai 2012 consid. 2.3 et les arrêts cités).

Un employeur peut faire exécuter un travail par une personne à laquelle il verse lui-même un salaire ou le confier à un tiers indépendant ou à une personne morale, qui emploie, le cas échéant, son propre salarié pour ce faire. Dans la seconde éventualité, l’indemnité versée au tiers pour l’exécution du travail ne constitue pas un salaire déterminant, mais la rémunération d’une activité indépendante voire ne constitue pas, dans le cas de la personne morale, un revenu soumis à cotisations. Des rapports de travail dont découlerait un salaire déterminant provenant d’une activité dépendante ne peuvent pas être conclus avec une personne morale. Lorsqu’un travail est confié à une personne morale, ce n’est pas l’indemnité en découlant qui est soumise à l’obligation de cotiser, mais le salaire que la personne morale verse à la personne physique qu’elle emploie (arrêt 8C_218/2019 du 15 octobre 2019 consid. 4.1.1).

Par ailleurs, une personne est libre de choisir la forme juridique de son activité et d’adopter par exemple la forme juridique de la société anonyme ou de la société à responsabilité limitée pour bénéficier, par exemple, d’une limitation de la responsabilité. Cependant, lorsqu’il existe des circonstances concrètes amenant à conclure que le statut juridique de la personne morale a été uniquement adopté pour des motifs liés au droit des assurances afin d’économiser des cotisations et que la personne morale n’exerçait pas d’activité entrepreneuriale proprement dite – du moins par rapport au donneur d’ordre -, l’indépendance juridique de la personne morale ne produit pas ses effets du point de vue du droit des assurances sociales (arrêt 8C_218/2019 précité consid. 4.2.2).

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a d’abord relevé que le fait qu’une personne morale, en l’occurrence une société à responsabilité limitée, délègue la réalisation de certains travaux à une autre société du même type ne présente en soi rien de répréhensible. Certains indices caractéristiques (montants élevés versés en espèces, recours à des tâcherons fréquent dans la branche) ont soulevé des doutes. A.__ Sàrl a versé 138’868 fr. en espèces à B.__ Sàrl sur quelques mois, une somme représentant une part importante de son chiffre d’affaires moyen (environ 367’000 fr. entre 2013 et 2019). De plus, le recours à des tâcherons est fréquent dans le domaine de la construction. Ces éléments ont créé une « présomption » que ces versements auraient pu être effectués dans le but d’économiser des cotisations sociales. La charge de prouver le contraire incombait à A.__ Sàrl.

L’instance cantonale a estimé que A.__ Sàrl n’avait pas réussi à démontrer, au degré de vraisemblance prépondérante, que ces versements n’avaient pas pour but d’économiser des cotisations. Par conséquent, elle a confirmé la décision de la caisse de compensation considérant que des cotisations sociales étaient dues par A.__ Sàrl sur les montants versés à B.__ Sàrl.

 

Consid. 5.1
La recourante reproche aux premiers juges d’avoir constaté les faits de manière manifestement inexacte et violé le droit fédéral, en particulier l’art. 5 al. 2 LAVS. Elle leur fait grief d’avoir nié qu’elle avait démontré, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’elle avait bien versé sa « rétribution à un employeur », alors qu’ils n’ont pas examiné tous les éléments déterminants pour la qualification d’une activité de dépendante ou d’indépendante, en application d’une « jurisprudence qui ne trouvait nullement sa place dans le cas d’espèce ». De l’avis de la société, la juridiction cantonale ne pouvait dès lors pas considérer que les montants qu’elle avait versés à la société sous-traitante devaient être assimilés à des salaires qu’elle aurait versés à ses propres « employés dépendants ».

 

Consid. 5.2
L’argumentation de la recourante est en partie bien fondée. On ne voit tout d’abord pas sur quelle disposition légale ou jurisprudence l’autorité judiciaire de première instance fonde une « présomption » – à l’aune de laquelle elle a essentiellement examiné la cause – quant au but d’économie des cotisations sociales en cas de versements d’une personne morale à une autre, en présence de certains éléments caractéristiques; l’arrêt qu’elle cite (8C_218/2019 du 15 octobre 2019) ne comprend pas de considération correspondante. Ensuite, il incombait à la caisse de compensation et, à sa suite à l’instance précédente, d’examiner concrètement les caractéristiques de l’activité déployée par la société sous-traitante pour le compte de la recourante, ce qu’elles ont précisément manqué de faire en l’occurrence. L’arrêt entrepris ne contient en effet aucune constatation quant au point de savoir notamment qui de A.__ Sàrl ou de B.__ Sàrl supportait le risque économique de l’activité en cause. Or la jurisprudence selon laquelle les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante (consid. 3.2 supra) ne signifie pas que le principe de l’instruction (art. 43 et 61 let. c LPGA) ne s’applique pas ou seulement sous une forme atténuée. Au contraire, il faut en principe procéder à un examen approfondi des circonstances particulières de chaque cas. De même, il ne faut pas poser d’exigences excessives quant à l’obligation de collaborer de la personne physique ou morale (au sens de l’art. 28 LPGA) à laquelle on s’adresse en tant qu’employeur. Il n’y a pas de renversement du fardeau de la preuve et le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, habituel en droit des assurances sociales, s’applique (cf. arrêt H 191/05 du 30 juin 2006 consid. 4.1 et les références).

Par ailleurs, lorsqu’une personne exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d’elles si le revenu en découlant est celui d’une activité indépendante ou salariée, même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise (ATF 122 V 172 consid. 3b; 104 V 126 consid. 3b). En particulier, pour les activités exercées dans le secteur principal ou secondaire de la construction, il est important de déterminer, entre autres éléments, qui répond des travaux mal exécutés vis-à-vis du maître d’ouvrage ou du propriétaire de l’ouvrage. Il s’agit ici de savoir si le tâcheron peut être considéré comme un partenaire commercial qui traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail (cf. arrêt H 191/05 précité consid. 4.1 et les références). En l’occurrence, l’arrêt entrepris ne contient aucune constatation sur ce point.

Consid. 5.3
Dans la mesure où les éléments qui auraient permis d’évaluer la relation contractuelle entre la recourante et B.__ Sàrl font largement défaut en l’espèce, la cause n’est pas en état d’être jugée. En particulier, les pièces produites par la recourante (essentiellement trois factures établies par B.__ Sàrl, par lesquelles elle facture à A.__ Sàrl le total des heures effectuées, sous la mention « Heure de régie », sans donner d’autres précisions), ne permettent pas de conclure que l’activité déployée par la société sous-traitante (et son personnel) pour le compte de la recourante en 2020 aurait été un travail dépendant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS. Par ailleurs, selon les constatations cantonales, non contestées par la recourante, celle-ci n’a pas produit les contrats ou accords avec la société sous-traitante, ainsi que les preuves d’adjudication et des contrats avec les maîtres d’ouvrage ou les architectes (notamment en raison du fait que les travaux qu’elle avait confiés à B.__ Sàrl l’avaient été en vertu d’un contrat oral). Dans ces circonstances, la caisse de compensation devra procéder à des clarifications complémentaires et rendre ensuite une nouvelle décision sur l’obligation litigieuse de la recourante de payer les cotisations sociales sur les rémunérations qu’elle a versées à la société sous-traitante. Le recours est bien fondé sur ce point.

 

Le TF admet partiellement le recours de la société.

 

 

Arrêt 9C_162/2024 consultable ici

 

8C_545/2021 (d) du 04.05.2022 – Renseignements fournis par téléphone par la caisse de chômage – Fardeau de la preuve – Protection de la bonne foi – Devoir de conseil des assureurs sociaux – 9 Cst. – 27 al. 2 LPGA / Obligation de tenir un dossier – Gestion des documents – 46 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_545/2021 (d) du 04.05.2022

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Droit à l’indemnité chômage et rente de vieillesse AVS anticipée / 8 al. 1 LACI – 40 al. 1 LAVS

Renseignements fournis par téléphone par la caisse de chômage – Fardeau de la preuve – Protection de la bonne foi – Devoir de conseil des assureurs sociaux / 9 Cst. – 27 al. 2 LPGA

Obligation de tenir un dossier – Gestion des documents / 46 LPGA

 

Assuré, né en 1957, s’est inscrit à l’ORP le 24.08.2018, en vue d’un placement après avoir perdu son ancien emploi. La caisse de chômage a ouvert un délai-cadre d’indemnisation du 08.10.2018 au 07.10.2020, prolongé jusqu’au 07.04.2021 à la suite de la pandémie de Covid-19. Par décision du 16.12.2020, la caisse de compensation AVS a octroyé une rente de vieillesse anticipée de deux ans avec effet au 01.01.2021. Se référant à l’anticipation de la rente, la caisse de chômage a nié, par décision du 10.02.2021, le droit à l’indemnité de chômage à partir du 01.01.2021.

L’assuré a fait opposition à cette décision en faisant valoir, pour l’essentiel, qu’il s’était renseigné par téléphone auprès de la caisse de chômage en novembre 2020, avant la demande d’anticipation de la rente, pour savoir si les paiements de l’assurance-chômage seraient maintenus même en cas d’anticipation de la rente AVS. Le collaborateur compétent, C.__, s’est renseigné à ce sujet et lui a indiqué que les indemnités journalières de l’assurance-chômage continueraient d’être versées, mais diminuées du montant de la rente AVS. Sur la base de ces informations, il a demandé en décembre le versement anticipé de sa rente. Lors d’un autre entretien téléphonique, le 25.01.2021, le responsable du dossier a confirmé ses dires. Après avoir demandé à ce responsable de prendre position par écrit le 24.02.2021, la caisse de chômage a rejeté l’opposition par décision du 02.03.2021.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 16.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Le tribunal cantonal a considéré que les conditions de la protection de la bonne foi n’étaient pas remplies. Il a retenu en substance que l’assuré n’était pas en mesure de prouver qu’un renseignement inexact lui avait été fourni lors des entretiens téléphoniques du 30.11.2020 et du 25.01.2021 (qui avaient incontestablement eu lieu). Cela ne résulterait ni de la durée d’environ huit minutes de la première conversation téléphonique, ni du fait que la question de la coordination entre l’anticipation de la rente AVS et l’indemnité de chômage aurait été sa seule motivation pour cet appel. En effet, on ignore totalement quelles informations a été communiquées ainsi que si et, le cas échéant, comment il a posé et formulé sa question. Le déroulement de la conversation et, en particulier, les informations prétendument inexactes ne sont pas non plus prouvés. Selon le tribunal cantonal, il n’y a donc aucune raison de s’écarter de la pratique selon laquelle la référence à un entretien téléphonique pour lequel il n’existe aucune note au dossier ne constitue pas une base suffisante pour une protection de la confiance.

Comme le contenu de l’entretien téléphonique du 30.11.2020 et la demande qui y a été exprimée ne sont pas prouvés, il n’est pas possible de vérifier si l’assuré aurait eu besoin d’être informé de la menace de suspension des indemnités de chômage en raison de l’anticipation de la rente AVS. Une éventuelle violation du devoir de conseil selon l’art. 27 al. 2 LPGA ne peut donc pas être prouvée. D’autres mesures de clarification sur le contenu de la conversation sont exclues, car ni le collaborateur de la caisse de chômage ni l’assuré n’ont rédigé de note téléphonique, de sorte qu’une reconstitution de la conversation est impossible. Les conséquences de cette absence de preuve sont supportées par l’assuré, qui veut déduire des droits du contenu de la conversation. En outre, il n’existe pas d’obligation générale de consigner chaque conversation téléphonique. En raison de la pratique invoquée par la caisse de chômage, qui consiste à rester toujours vague au téléphone et à ne pas donner de renseignements contraignants, le contenu de la conversation n’a pas dû être considéré comme essentiel pour la décision et être versé au dossier au moyen d’une note. Il n’y aurait donc pas lieu de conclure à une violation de l’obligation de tenir un dossier selon l’art. 46 LPGA, qui entraînerait un renversement du fardeau de la preuve.

Consid. 5.1
Le principe de l’instruction en vigueur dans la procédure en matière d’assurances sociales exclut, par définition, le fardeau de la preuve au sens de son administration, étant donné qu’il incombe au tribunal des assurances sociales ou à l’administration qui a rendu la décision de réunir les éléments de preuve (art. 43 al. 1 et art. 61 let. c LPGA). Dans le procès en matière d’assurances sociales, les parties ne supportent donc en général le fardeau de la preuve que dans la mesure où, en l’absence de preuve, la décision est rendue au détriment de la partie qui voulait déduire des droits des faits non prouvés. Cette règle de la preuve n’intervient toutefois que lorsqu’il s’avère impossible d’établir, dans le cadre du principe de l’instruction et sur la base d’une appréciation des preuves, un état de fait qui a au moins la probabilité de correspondre à la réalité (ATF 144 V 427 consid. 3.2 ; 138 V 218 consid. 6 et les références). Exceptionnellement, selon la jurisprudence, le fardeau de la preuve peut être renversé lorsqu’une partie n’est pas en mesure d’apporter une preuve pour des raisons qui ne lui sont pas imputables, mais qui sont le fait de l’autorité. La jurisprudence voit un tel cas de renversement du fardeau de la preuve dans l’absence de preuve de l’opportunité d’un recours, qui est due au fait que l’administration, en violation de son obligation de tenir le dossier (art. 46 LPGA), n’a pas versé le recours au dossier et a ainsi rendu impossible l’administration de la preuve du respect des délais (ATF 138 V 218 consid. 8.1 avec d’autres références ; cf. aussi ATF 140 V 85 consid. 4.4). En cas de simples insuffisances mineures dans la gestion du dossier, le Tribunal fédéral a explicitement rejeté une violation de l’obligation de tenir un dossier avec, comme conséquence, le renversement du fardeau de la preuve (ATF 138 V 218 consid. 8.3).

Consid. 5.2.1
L’obligation de tenir un dossier par l’administration et les autorités constitue la contrepartie du droit de consulter le dossier et de produire des preuves (découlant de l’art. 29 al. 2 Cst.), en ce sens que l’exercice du droit de consulter le dossier par la personne assurée présuppose une obligation de tenir un dossier (ATF 142 I 86 consid. 2.2 ; 130 II 473 consid. 4.1 ; 124 V 372 consid. 3b ; 124 V 389 consid. 3a). L’obligation de tenir un dossier sert aussi à ce que l’on appelle l’égalité des armes, car la personne concernée peut, dans le cadre de son droit de consultation, reconnaître les processus administratifs, s’exprimer en conséquence et déposer des demandes de preuves (ROGER PETER, Die Aktenführungspflicht im Sozialversicherungsrecht, in: Jusletter 14. Oktober 2019, Rz. 10).

Pour les assureurs soumis à la partie générale du droit des assurances sociales, l’obligation de tenir un dossier a été concrétisée au niveau de la loi à l’art. 46 LPGA (concernant les renseignements obtenus oralement, cf. également art. 43 al. 1 phrase 2 LPGA ; cf. ensuite art. 1 LACI pour sa validité dans le domaine de l’assurance-chômage). Selon cette disposition, lors de chaque procédure relevant des assurances sociales, l’assureur enregistre de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants (sur le principe : ATF 138 V 218 consid. 8.1.2). Celui-ci est tenu de tenir un dossier complet sur la procédure afin de pouvoir, le cas échéant, permettre la consultation du dossier dans les règles et, en cas de recours, transmettre ces documents à l’instance de recours. Ce faisant, il doit consigner dans le dossier tout ce qui fait partie de l’affaire et qui peut être important pour la décision (ATF 138 V 218 consid. 8.1.2 ; 124 V 372 consid. 3b ; 124 V 389 consid. 3a). Selon son libellé, l’art. 46 LPGA s’applique à tous « les assureurs soumis à la partie générale du droit des assurances sociales », donc à toutes les procédures auxquelles la LPGA s’applique (cf. art. 2 LPGA), d’autant plus que les lois particulières ne prévoient pas de dérogations (UELI KIESER, Kommentar ATSG, 4. Aufl. 2020, N. 24 zu Art. 46 ATSG).

Consid. 5.2.2
La notion de documents pouvant être déterminants englobe notamment les résultats de l’instruction tels que les dossiers consultés, les rapports et expertises demandés, les notes téléphoniques (cf. ATF 117 V 285) ou les procès-verbaux, p. ex. d’inspection ou d’audition des parties (KIESER, op. cit., n. 15 ad art. 46 LPGA, qui énumère d’autres types de documents). L’obligation de tenir un dossier ne présuppose pas que le caractère déterminant de la pièce soit déjà établi au moment de son enregistrement dans le dossier. Elle s’étend au contraire à tous les documents qui – évalués de manière prospective – peuvent être déterminants. Etant donné qu’au moment où se pose la question de l’enregistrement au dossier, il n’est en règle générale pas encore possible de juger quelles seront les informations déterminantes pour la décision, tous les documents doivent en principe être versés au dossier (KIESER, op. cit., n. 17 ad art. 46 LPGA ; cf. également PETER, op. cit.). Font exception les pièces purement internes qui servent au processus de formation de l’opinion au sein de l’autorité ; celles-ci ne sont pas couvertes par le droit de consulter le dossier et – par symétrie – par l’obligation de tenir un dossier (arrêt I 988/06 du 28 mars 2007 consid. 3.4, in : SVR 2007 IV no 48 p. 156 ; KIESER, op. cit., n. 20 ad art. 46 LPGA ; PETER, op. cit., n. 41). La violation de l’obligation de tenir un dossier par le non-enregistrement ou la suppression de documents, sous réserve de simples manquements mineurs dans la gestion du dossier, conduire à un obstacle à la preuve et donc à un renversement du fardeau de la preuve (ATF 138 V 218 consid. 8.1 et 8.3).

Consid. 5.3
Selon la jurisprudence, dans la procédure administrative, il correspond à un principe général de procédure dérivé du droit d’être entendu que les faits et résultats pertinents pour la décision doivent être consignés par écrit en application de l’obligation de tenir un dossier. Lorsque l’administration mène un entretien avec une partie à la procédure, elle doit au moins en consigner le contenu essentiel dans un procès-verbal. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a fait dépendre l’obligation de dresser un procès-verbal pour la procédure administrative de première instance à des circonstances concrètes du cas d’espèce (ATF 130 II 473 consid. 4.1 et 4.2 ; ATF 124 V 389 consid. 3 ; 119 V 208 consid. 4c ; arrêts 1C_4/2018 du 11 juillet 2019 consid. 3.5 ; 1C_388/2009 du 17 février 2010 consid. 5.2.2).

Consid. 6.1
Le renseignement téléphonique du 30.11.2020, en l’espèce litigieux, a été donné alors que des prestations de l’assurance-chômage étaient en cours de versement, c’est-à-dire après la reconnaissance par l’administration d’un droit légal. Etant donné que les prestations concernées ont un caractère durable et que l’administration était tenue de vérifier en permanence les conditions d’octroi (cf. en particulier l’art. 8 al. 1 LACI), le collaborateur de la caisse de chômage qui a fourni le renseignement a agi, du point de vue de l’art. 46 LPGA, dans le cadre d’une procédure d’assurance sociale, et donc dans le champ d’application de l’obligation de tenir un dossier qui y est ancrée (cf. pour la procédure d’instruction proprement dite : art. 43 al. 1 phrase 2 LPGA). En conséquence, il aurait été indiqué de mentionner dans le dossier la demande effectuée en l’espèce et la réponse donnée. En effet, l’art. 46 LPGA prévoit que tout ce qui fait partie de la procédure doit être consigné dans le dossier, car ce n’est qu’ultérieurement que l’on peut déterminer ce qui fait partie des informations pertinentes pour la décision. Il en va de même en l’espèce. Le collaborateur de la caisse de chômage ne conteste pas non plus qu’il a été question de la retraite anticipée, sans toutefois se souvenir des termes exacts de la discussion. Par conséquent, le contenu de la conversation, non étayé en détail, présentait un lien direct avec les autres prestations de l’assurance-chômage, notamment avec une éventuelle réduction ou suppression des indemnités de chômage (cf. art. 8 al. 1 let. d LACI et supra consid. 2). L’instance cantonale ne peut donc pas être suivie dans la mesure où elle n’a pas reconnu d’emblée d’éléments permettant de conclure que le contenu aurait probablement été déterminant pour la décision. Une telle conclusion ne peut pas non plus être tirée de la pratique invoquée par la caisse de chômage de rester toujours vague au téléphone et de ne pas donner de renseignements contraignants. En effet, même les réserves émises oralement par l’assurance dans le cadre d’une procédure en cours peuvent et, le cas échéant, doivent être mentionnées dans la note au dossier.

Consid. 6.2
La question de savoir ce qu’il en est dans le détail et quelles exigences concrètes devraient être posées à une note au dossier (cf. à ce sujet PETER, op. cit., ch. 49 ss.) peut rester ouverte. En effet, bien qu’il faille partir du principe qu’il n’y a pas de preuve en ce qui concerne le contenu de la conversation litigieuse et que celle-ci trouve sa raison d’être dans le fait que le procès-verbal n’a pas été établi, cela ne justifie pas en soi un renversement du fardeau de la preuve. Selon la jurisprudence, une telle situation n’entre en ligne de compte qu’à titre exceptionnel (cf. supra consid. 5.1). Le Tribunal fédéral a ainsi reconnu qu’il n’y avait pas de formalisme excessif dans le fait d’exiger que les demandes de prestations auprès de l’administration ne soient pas faites par téléphone, mais par écrit, et de se faire confirmer par écrit les renseignements fournis par téléphone. Le point de vue contraire conduirait à un renversement du fardeau de la preuve contraire à la loi (arrêt 9C_493/2012 du 25 septembre 2012 consid. 6). Il doit en être de même dans le cas présent. C’est précisément si les renseignements avaient été donnés de la manière invoquée – à savoir que d’autres prestations d’indemnités journalières de l’assurance-chômage seraient versées malgré l’anticipation de la rente AVS – que cela aurait dû être une raison suffisante pour l’assuré de se le faire confirmer par écrit, compte tenu de la portée considérable à divers égards d’une telle disposition. Il n’apparaît pas que cela aurait été fait ou qu’il aurait pris des dispositions en ce sens, et encore moins qu’il l’aurait fait valoir.

Consid. 6.3
L’assuré n’est donc pas en mesure de renverser le fardeau de la preuve et son argument de la protection de la bonne foi tombe à faux. En tout état de cause, le résultat de l’arrêt attaqué demeure valable et le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_545/2021 consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

 

Proposition de citation : 8C_545/2021 (d) du 04.05.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/09/8c_545-2021)

 

 

 

Remarque :

Comme le souligne le Tribunal fédéral, lors d’entretien téléphonique où des informations importantes sont communiquées, il est nécessaire de demander une confirmation par écrit. Comme dit l’adage populaire : « Les paroles s’envolent, les écrits restent ».

 

8C_516/2020 (f) du 03.02.2021 – Troubles musculo-squelettiques (TMS) – Tendinopathies du membre supérieur – Utilisation intensive du clavier et de la souris de son ordinateur – Maladie professionnelle niée – 9 al. 2 LAA / Fardeau de la preuve – l’assuré supporte les conséquences de l’impossibilité d’apporter la preuve de la causalité qualifiée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_516/2020 (f) du 03.02.2021

 

Consultable ici

 

Troubles musculo-squelettiques (TMS) – Tendinopathies du membre supérieur – Utilisation intensive du clavier et de la souris de son ordinateur

Maladie professionnelle niée / 9 al. 2 LAA

Fardeau de la preuve – l’assuré supporte les conséquences de l’impossibilité d’apporter la preuve de la causalité qualifiée

 

Assuré, né en 1986, exerce depuis le 01.10.2016 la profession de responsable de projets. Par déclaration de sinistre du 26.07.2019, il a annoncé souffrir d’une tendinite en précisant que lorsqu’il travaillait sur son ordinateur, il avait parfois des douleurs diverses à son avant-bras droit (troubles musculo-squelettiques). Il a produit un certificat médical établi le 19.07.2019 par son le médecin traitant, spécialiste en médecine générale, indiquant qu’il présentait de manière régulière des tendinopathies du membre supérieur droit, disparaissant lors des congés, et qu’il soupçonnait très fortement que le poste de travail en était la cause. Dans un rapport médical du 09.08.2019, le médecin traitant a relevé que dès le 02.08.2018, son patient avait souffert de tendinites des extenseurs des doigts et de la main droite, d’une épicondylite droite et d’omalgies droites. Dans le cadre de l’instruction menée par l’assurance-accidents, l’assuré a indiqué dans un questionnaire du 05.08.2019 que ses troubles étaient apparus au début 2017 lors de périodes d’utilisation intensive du clavier et de la souris de son ordinateur ; son poste de responsable de projets consistait en « analyse, tests et mise en service » ainsi qu’en « programmation sur ordinateur ».

L’assurance-accidents a sollicité l’avis des médecins de sa division médecine du travail. Dans une appréciation médicale du 15.08.2019, le spécialiste en médecine du travail et en médecine interne a estimé que les études actuelles ne permettaient pas de retenir une relation de causalité nettement prépondérante entre un trouble musculo-squelettique et l’utilisation d’un clavier ou d’une souris d’ordinateur, de sorte que les pathologies dont souffrait l’intéressé ne constituaient pas des maladies professionnelles au sens de la loi. Se fondant sur cette appréciation, l’assurance-accidents a refusé le droit à des prestations d’assurance par décision du 26.08.2019.

A la suite de l’opposition de l’assuré, l’assurance-accidents a soumis le cas à un spécialiste en médecine du travail et en chirurgie et médecin de la division de médecine du travail. Dans une appréciation médicale du 15.10.2019, celui-ci a relevé que les diagnostics évoqués par le médecin traitant n’étaient pas étayés par des constatations cliniques, de sorte qu’ils ne pouvaient pas être confirmés. A supposer qu’il faille examiner la causalité entre l’activité professionnelle et les affections présentées, il faudrait retenir qu’il n’était pas prouvé que celles-ci aient été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par le travail à l’écran. En effet, les études épidémiologiques s’accordaient sur le fait qu’une augmentation du risque par un facteur quatre – causalité qualifiée d’au moins 75% – chez les personnes exerçant une activité impliquant une utilisation accrue d’un ordinateur par rapport à la population dans son ensemble ne pouvait pas être prouvée. Se fondant sur cette appréciation, l’assurance-accidents a rejeté l’opposition par décision du 18.10.2019.

 

Procédure cantonale

Les juges cantonaux ont exposé que les diagnostics posés par le médecin traitant – soit une tendinite des extenseurs des doigts et de la main droite, une épicondylite et des omalgies droites – n’étaient pas objectivés par des examens échographiques ou de résonance magnétique, de sorte qu’ils n’étaient pas confirmés. Cela étant, le spécialiste en médecine du travail et en chirurgie et médecin de la division de médecine du travail avait néanmoins examiné la causalité entre les affections en question et l’activité professionnelle de l’assuré, qu’il avait niée en relevant notamment ce qui suit (traduction libre de l’allemand) : « Le point commun à toutes les études épidémiologiques est qu’une telle augmentation du risque par un facteur quatre ne peut pas être prouvée pour un travail à l’ordinateur. Il existe même des résultats de recherche qui montrent que le syndrome du tunnel carpien, par exemple, se produit moins fréquemment chez les personnes qui travaillent tous les jours à l’ordinateur que chez celles qui ne travaillent jamais à l’ordinateur. Le stress biomécanique sur les membres supérieurs causé par un travail prolongé au clavier et à la souris n’est ni qualitativement ni quantitativement suffisant pour causer effectivement plus de 75% des affections dont il est question ici. Bien que les mouvements de chaque doigt soient souvent monotones et toujours très répétitifs, la force nécessaire pour les déplacer est si faible qu’il n’y a pas d’altération de l’irrigation sanguine des gaines tendineuses, nécessaire au développement de la tendinite. En outre, les distances parcourues par les doigts, c’est-à-dire les déviations des mouvements, sont très faibles : des mouvements importants ont lieu dans les articulations de la base et du milieu des longs doigts et dans l’articulation de la selle du pouce. En outre, les muscles extenseurs de l’avant-bras, qui proviennent de l’épicondyle latéral du bras, et les muscles fléchisseurs de l’avant-bras, qui proviennent en partie de l’épicondyle médial du bras, sont rarement utilisés pour travailler au clavier, et ce sans effort significatif; l’articulation de l’épaule n’est pratiquement pas utilisée pour écrire un texte ou déplacer une souris ou une boule de commande, à l’exception de courts mouvements vers l’avant du bras dans l’articulation de l’épaule et de mouvements de rotation occasionnels. »

Se référant à un récent arrêt dans lequel le Tribunal fédéral a rappelé qu’il n’existe toujours pas de résultats de recherche suggérant une fréquence nettement plus élevée du syndrome des « repetitive strain injuries » (au niveau de la main) lors d’activités répétitives à l’ordinateur (arrêt 8C_149/2020 du 1er avril 2020 consid. 3.2), la cour cantonale a considéré qu’aucun élément ne permettait de remettre en cause les conclusions du médecin de la division de médecine du travail.

Les juges cantonaux ont ensuite estimé que l’argumentation de l’assuré relative à l’impossibilité mathématique d’obtenir un taux de 75% lorsque le groupe à prendre en considération était supérieur à 25% de la population était dénuée de pertinence. En effet, en ce qui concernait les preuves épidémiologiques, il s’agissait selon la jurisprudence de comparer la prévalence d’une maladie dans un groupe professionnel avec la prévalence de celle-ci dans la population en général, ce qui permettait potentiellement d’obtenir un ratio supérieur à quatre si la maladie n’était pas distribuée trop largement.

Enfin, la cour cantonale a relevé que s’il n’était certes pas exclu que les plaintes de l’assuré aient été déclenchées par son activité professionnelle, il fallait, pour conclure à une maladie professionnelle au sens de l’art. 9 al. 2 LAA, que le lien de causalité puisse être qualifié de nettement prépondérant. Or les avis des médecins de l’assurance-accidents, qui fondaient sous l’angle médical la décision de l’assurance-accidents et dont il résultait qu’il n’était pas possible de retenir un lien de causalité nettement prépondérant entre l’activité professionnelle de l’assuré et les troubles annoncés par celui-ci, satisfaisaient entièrement aux exigences jurisprudentielles relatives à la valeur probante de rapports médicaux. L’avis non étayé du médecin traitant, qui se bornait à affirmer que les pathologies présentées par son patient lui semblaient « liées de manière nettement prépondérante à son poste de travail », n’était pas propre à faire naître un doute sur les conclusions des médecins de l’assurance-accidents, de sorte que l’assurance-accidents était fondée à nier le caractère de maladie professionnelle aux troubles annoncés par l’assuré sans devoir ordonner d’expertise sur ce point.

Par jugement du 25.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Les prestations d’assurance sont en principe allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle (art. 6 al. 1 LAA).

 

Maladie professionnelle selon la liste / 9 al. 1 LAA

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a énuméré à l’annexe 1 de l’OLAA (RS 832.202), à laquelle renvoie l’art. 14 OLAA, les substances nocives et les maladies dues à certains travaux au sens de l’art. 9 al. 1 LAA (ATF 114 V 109 consid. 2a p. 110). Cette énumération est exhaustive (arrêt 8C_117/2016 du 27 janvier 2017 consid. 3.2.1; RAMA 1988 n° U 61, p. 447 consid. 1a).

En l’espèce, il n’est pas contesté que, comme l’a constaté l’autorité cantonale, les troubles annoncés par l’assuré dans sa déclaration de sinistre ne figurent pas dans la liste exhaustive des affections dues au travail contenue à l’annexe 1 de l’OLAA, de sorte que l’art. 9 al. 1 LAA ne saurait trouver application.

 

Maladie professionnelle / 9 al. 2 LAA

Aux termes de l’art. 9 al. 2 LAA, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle. Il s’agit là d’une clause générale visant à combler les lacunes qui pourraient résulter de ce que la liste dressée par le Conseil fédéral à l’annexe 1 de l’OLAA ne mentionne pas soit une substance nocive qui a causé une maladie, soit une maladie qui a été causée par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 119 V 200 consid. 2b p. 201; 117 V 354 consid. 2b p. 355; 114 V 109 consid. 2b p. 110 et les références).

Selon la jurisprudence, la condition d’un lien exclusif ou nettement prépondérant au sens de l’art. 9 al. 2 LAA – parfois appelé causalité qualifiée – n’est réalisée que si la maladie a été causée à 75% au moins par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 126 V 183 consid. 2b p. 186; 119 V 200 consid. 2b p. 201; 116 V 136 consid. 5a p. 142; 114 V 109 consid. 3 p. 111 et les références). Le Tribunal fédéral a précisé que ce taux de 75% signifie, pour certaines affections qui ne sont pas typiques d’une profession déterminée, qu’il doit être démontré, sur la base des statistiques épidémiologiques ou des expériences cliniques, que les cas de lésions pour un groupe professionnel déterminé sont quatre fois plus nombreux que ceux enregistrés dans la population en général (ATF 126 V 183 consid. 4c p. 189; 116 V 136 consid. 5c p. 143; RAMA 2000 n° U 408 p. 407, arrêt 8C_757/2018 du 28 mars 2019 consid. 4.2; arrêt U 235/99 du 22 septembre 2000 consid. 1a).

Le Tribunal fédéral a relevé que, compte tenu du caractère empirique de la médecine, lorsqu’une preuve directe ne peut pas être apportée à propos d’un état de fait médical, il est nécessaire de procéder à des comparaisons avec d’autres cas d’atteinte à la santé, soit par une méthode inductive ou par l’administration de la preuve selon ce mode. Dans ce cadre, la question de savoir si et dans quelle mesure la médecine peut, au regard de l’état des connaissances dans le domaine particulier, donner ou non d’une manière générale des informations sur l’origine d’une affection médicale joue un rôle décisif dans l’admission de la preuve dans un cas concret. S’il apparaît comme un fait démontré par la science médicale qu’en raison de la nature d’une affection particulière, il n’est pas possible de prouver que celle-ci est due à l’exercice d’une activité professionnelle, il est hors de question d’apporter la preuve, dans un cas concret, de la causalité qualifiée (ATF 126 V 183 consid. 4c p. 189; arrêt 8C_215/2018 du 4 septembre 2018 consid. 3.2; arrêt U 381/01 du 20 mars 2003 consid. 3.3).

Dans la mesure où la preuve d’une relation de causalité qualifiée (proportion d’au moins 75%) selon l’expérience médicale ne peut pas être apportée de manière générale (par exemple en raison de la propagation d’une maladie dans l’ensemble de la population, qui exclut la possibilité que la personne assurée exerçant une profession particulière soit affectée par une maladie au moins quatre fois plus souvent que la population moyenne), l’admission de celle-ci dans le cas particulier est exclue (ATF 126 V 183 consid. 4c p. 190; cf. ATF 116 V 136 consid. 5c in fine p. 144). En revanche, si les connaissances médicales générales sont compatibles avec l’exigence légale d’une relation causale nettement prépondérante, voire exclusive entre une affection et une activité professionnelle déterminée, il subsiste alors un champ pour des investigations complémentaires en vue d’établir, dans le cas particulier, l’existence de cette causalité qualifiée (ATF 126 V 183 consid. 4c p. 190; cf. ATF 116 V 136 consid. 5d; arrêt 8C_620/2018 du 15 janvier 2019 consid. 2.2 et les références citées; arrêt U 381/01 précité consid. 3.3).

Dans un arrêt du 27 janvier 2017, le Tribunal fédéral a rappelé, en se référant à différents précédents, qu’en l’état actuel des connaissances médicales, il n’était pas possible d’exclure de manière générale le caractère de maladie professionnelle à l’épicondylite, de sorte que la question devait être appréciée de cas en cas en fonction de différents critères d’évaluation. Si une expertise pouvait ainsi le cas échéant permettre d’établir le caractère de maladie professionnelle d’une telle affection dans un cas concret, on ne pouvait pas pour autant en déduire un droit inconditionnel à la mise en œuvre d’une expertise médicale pour chaque cas d’épicondylite ou de troubles du même type (arrêt 8C_117/2016 du 27 janvier 2017 consid. 6).

 

L’assuré relève que la preuve d’une augmentation du risque par un facteur quatre est mathématiquement impossible, puisque même dans l’hypothèse maximale où seules les personnes travaillant quotidiennement avec clavier et souris – correspondant selon lui à 37% de la population – devaient souffrir d’une certaine affection, laquelle serait ainsi absente chez le 63% de la population, le risque ne serait augmenté que par un facteur 2,7 (100% [taux de prévalence chez les travailleurs sur ordinateur] : 37% [taux de prévalence dans la population en général, comprenant les travailleurs sur ordinateur] = 2,7027). Cette impossibilité mathématique devrait selon l’assuré conduire à comparer le groupe en question avec le reste de la population plutôt qu’avec l’ensemble de la population.

Le fait avéré qu’il est mathématiquement impossible de prouver sur le plan épidémiologique une augmentation du risque par un facteur quatre dans un groupe professionnel représentant plus du quart de la population ne saurait conduire à s’écarter des principes scientifiques reconnus, qui imposent de comparer un groupe donné à la population dans son ensemble et non au reste de la population, ce qui introduirait des biais. Contrairement à ce que semble penser l’assuré, une telle impossibilité d’apporter une preuve épidémiologique a tout à fait été envisagée par la jurisprudence et conduit à exclure une telle preuve dans le cas particulier.

Conformément au principe général découlant de l’art. 8 CC, c’est la partie à laquelle incombe le fardeau de la preuve qui supporte les conséquences de l’échec de la preuve. Dans le cas présent, c’est donc l’assuré qui supporte les conséquences de l’impossibilité d’apporter la preuve de la causalité qualifiée, puisque c’est à l’assuré de rendre vraisemblable, avec un degré de présomption suffisant, que son affection est due, dans la proportion requise, à son activité professionnelle (ATF 116 V 136 consid. 5a p. 142 et les références).

C’est en outre en vain que l’assuré se prévaut de l’avis de son médecin traitant, qui se borne à affirmer de manière nullement étayée que les pathologies présentées par son patient – même à supposer celles-ci dûment établies – lui « semblent liées de manière nettement prépondérante à son poste de travail ». En effet, les avis médicaux des médecins de l’assurance-accidents, qui concluent qu’il n’est pas possible de retenir un lien de causalité nettement prépondérant entre l’activité professionnelle de l’assuré et les troubles annoncés par celui-ci, satisfont entièrement aux exigences posées par la jurisprudence pour admettre la valeur probante de rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1 p. 232; 125 V 351 consid. 3a p. 352). Or dans la mesure où l’avis non étayé du médecin traitant n’est pas propre à mettre en doute, même de façon minime, la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins de l’assurance-accidents, l’assurance-accidents était fondée à nier le caractère de maladie professionnelle aux troubles annoncés par l’assuré sans avoir recours à une expertise externe (ATF 139 V 225 consid. 5.2 p. 229; 135 V 465 consid. 4.4 p. 470).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_516/2020 consultable ici

 

 

4A_587/2019 (f) du 17.04.2020 – Responsabilité de l’employeur – 328 al. 2 CO – 41 al. 1 OPA / Fardeau de la preuve – Travailleur devant prouver l’inobservation d’une mesure exigible selon l’art. 328 al. 2 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_587/2019 (f) du 17.04.2020

 

Consultable ici

 

Responsabilité de l’employeur / 328 al. 2 CO – 41 al. 1 OPA

Fardeau de la preuve – Travailleur devant prouver l’inobservation d’une mesure exigible selon l’art. 328 al. 2 CO

 

B.__ SA se consacre à la fabrication et à la vente de produits alimentaires pour animaux. A.__ a travaillé à son service en qualité d’ouvrier de 2000 à 2014, hormis une année en 2004.

Des « produits pour le lait » étaient entreposés sur palettes dans les locaux de l’employeuse. Le 12.12.2012, exécutant son travail, A.__ s’est approché d’une palette posée au sol et il a entrepris d’en ouvrir le film d’emballage et de prélever de la marchandise. Trois autres palettes étaient empilées à proximité. Les deux palettes supérieures ont basculé et sont tombées sur A.__. Cet événement lui a causé de graves lésions corporelles.

 

Procédures cantonales

L’employé a ouvert action contre B.__ SA. La Chambre patrimoniale a fait accomplir une expertise. Rejet de l’action par arrêt du 11.04.2019.

Par jugement du 13.11.2019, rejet du recours par la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal.

 

TF

L’art. 328 al. 2 CO oblige l’employeur à prendre les mesures commandées par l’expérience pour protéger la vie, la santé et l’intégrité personnelle du travailleur, applicables en l’état de la technique et adaptées aux conditions de l’exploitation, dans la mesure où les rapports de travail et la nature du travail permettent équitablement de l’exiger.

Sur la base de l’expertise judiciaire, la Cour d’appel retient que l’empilement des palettes répondait à des critères de sécurité suffisants du point de vue des risques de chute. Elle juge que l’employeuse n’a commis aucun manquement au regard de cette disposition légale et que sa responsabilité n’est donc pas engagée.

Devant le Tribunal fédéral, l’employé admet que l’art. 328 al. 2 CO « est tout à fait général et ne dit pas spécifiquement quelles mesures de précaution doivent être prises par un employeur pour échapper à sa responsabilité ». Il invoque l’art. 41 al. 1 de l’ordonnance sur la prévention des accidents et des maladies professionnelles (OPA; RS 832.30). Cette règle prescrit que les objets et matériaux doivent être transportés et entreposés de façon qu’ils ne puissent pas se renverser, tomber ou glisser, et par là constituer un danger. Selon l’argumentation présentée, la règle a été violée du fait même que deux palettes ont basculé et sont tombées.

Il est vrai que l’événement survenu le 12.12.2012 s’inscrit manifestement parmi ceux que l’art. 41 al. 1 OPA a pour but prévenir. Toutefois, cette règle n’est pas moins « générale » que l’art. 328 al. 2 CO. Elle ne prescrit pas « spécifiquement », elle non plus, les mesures à appliquer pour la prévention des renversements, chutes et glissements d’objets ou matériaux. La Cour d’appel juge avec raison que cette même règle n’institue pas de responsabilité causale de l’exploitant, c’est-à-dire indépendante de toute faute, par suite des chutes d’objets ou de matériaux qui surviennent au cours de l’exploitation. La Cour juge aussi avec raison que le travailleur recherchant l’employeur doit alléguer et prouver l’inobservation d’une mesure exigible selon l’art. 328 al. 2 CO.

 

Le TF rejette le recours de l’employé.

 

 

Arrêt 4A_587/2019 consultable ici

 

 

4A_546/2017 (f) du 26.06.2018 – Responsabilité du propriétaire d’ouvrage / 58 CO Incendie dans un studio où sont entreposés 157 tableaux

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_546/2017 (f) du 26.06.2018

 

Consultable ici

 

Responsabilité du propriétaire d’ouvrage / 58 CO

Incendie dans un studio où sont entreposés 157 tableaux

 

Le 26.09.2003, B.__ (ci-après : le locataire) a conclu avec A.__ (ci-après : la bailleresse ou la propriétaire) un contrat de bail à loyer portant sur un studio au premier étage d’un immeuble sis à Rolle. La durée initiale a été fixée à un an, à compter du 01.10.2003, renouvelable ensuite tacitement d’année en année.

Lors de l’état des lieux d’entrée, il a été indiqué au locataire que le radiateur de la salle de bain et une prise électrique dans la pièce principale devaient être contrôlés. Un bon de commande lui a été remis. Le 06.10.2003, une entreprise a procédé au contrôle du radiateur électrique. Le 10.11.2003, le locataire a signalé à la gérance que les radiateurs du studio s’éteignaient tout seuls. L’entreprise qui s’est rendue sur place a constaté que les radiateurs et les thermostats incorporés fonctionnaient correctement. Jusqu’en 2009, le locataire n’a plus constaté de problème de chauffage ni d’éventuel dysfonctionnement.

En novembre 2009, considérant que son décompte d’électricité était excessif, le locataire s’est rendu dans les locaux de la société chargée de la gérance de l’immeuble. Celle-ci lui a suggéré de s’adresser au fournisseur d’énergie pour un contrôle de son compteur et lui a proposé un rendez-vous dans son studio. Le locataire ne s’est pas présenté à ce rendez-vous. Faute de plainte formulée dans les mois qui ont suivi, la gérance est partie du principe que le chauffage fonctionnait normalement.

Le 11.03.2010, l’immeuble dans lequel le studio du locataire se trouvait a été ravagé par un incendie. Selon le rapport de la gendarmerie, la zone de départ du feu était clairement située au niveau de l’emplacement du radiateur électrique. D’après ce rapport, l’incendie était consécutif à un défaut technique, probablement au niveau du thermostat du radiateur. Le radiateur en question n’a pas été saisi par les enquêteurs et a par la suite été détruit. Un rapport mentionne que les installations électriques de l’immeuble étaient conformes. Selon le fabricant du radiateur, le radiateur ne pouvait pas s’embraser tout seul, puisqu’il n’était composé d’aucune pièce combustible. Le rapport en conclut que « seuls des matériaux facilement inflammables ont été entreposés trop près de l’appareil, et ont pris feu ».

Le locataire, absent au moment du sinistre, n’a pu sauver aucun des meubles ni effets personnels qui se trouvaient dans le studio. Il n’a pas non plus pu sauver les 157 tableaux réalisés par des artistes africains qui y étaient entreposés. Il est admis qu’il avait reçu ces tableaux en dépôt afin de les exposer, servant bénévolement d’intermédiaire pour des amis artistes en marge de son activité professionnelle.

Le locataire a été indemnisé à hauteur de 10’000 fr. pour la perte de ses effets personnels par la société d’assurances mais n’a perçu aucune indemnisation pour la perte des tableaux reçus en dépôt, pour lesquels il n’avait conclu aucune assurance contre des risques tels que l’incendie ou le vol.

Après échec de la tentative de conciliation, le locataire a conclu à ce que la bailleresse lui doive paiement immédiat de la somme de 250’000 fr. au titre de réparation du dommage subi ensuite de l’incendie du 11.03.2010. La bailleresse s’est opposée à la demande.

S’agissant de la cause de l’incendie, une expertise a été réalisée en cours de procédure. Faute d’avoir à disposition le radiateur incriminé, qui avait été détruit par les enquêteurs de la gendarmerie, l’expert a examiné un autre radiateur qui présentait les mêmes caractéristiques et se trouvait également dans le studio du locataire. L’expert a considéré que le radiateur, qui pouvait monter jusqu’à 125°, ne pouvait s’embraser tout seul. Il en a déduit qu’il y avait eu soit auto-inflammation d’une substance située sur ou à proximité de ce radiateur, sans possibilité de déterminer comment, soit court-circuit, mais sans que des traces n’aient pu être relevées. L’expert a ajouté que si les radiateurs plus récents sont munis de sécurités thermiques limitant à un niveau plus bas la température, il n’existe aucune obligation de changer les anciens radiateurs qui étaient conformes au moment de leur mise en service. Enfin, la consommation élevée d’électricité s’explique probablement par une anomalie au niveau du thermostat, ce qui n’a toutefois joué un rôle que pour la consommation d’énergie, pas pour la cause de l’incendie.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 02.12.2016, le Tribunal des baux a rejeté la demande en paiement du locataire. En substance, il a retenu que le locataire, auquel le fardeau de la preuve incombait, n’est pas parvenu à démontrer que le radiateur incriminé présentait un vice de construction ou un défaut d’entretien imputable à la bailleresse au sens de l’art. 58 CO. En revanche, l’incendie du 11 mars 2010 pouvait être considéré comme un défaut de la chose louée en lien de causalité naturelle avec le dommage subi. Le lien de causalité adéquate faisait cependant défaut, dans la mesure où le locataire avait largement dépassé l’usage pour lequel les locaux étaient affectés, à savoir l’habitation, en entreposant 157 œuvres pour la plupart de grande dimension dans son studio. L’ampleur du dommage subi n’avait été possible qu’en raison de circonstances singulières se trouvant en dehors du cours ordinaire des choses, de sorte que l’adéquation entre le défaut de la chose louée et le dommage n’était pas donnée. La bailleresse n’était donc pas responsable du dommage.

Par arrêt du 30.08.2017, la Cour d’appel civile a rejeté l’appel du locataire et confirmé le jugement de première instance.

 

TF

Responsabilité du propriétaire d’ouvrage – 58 CO

A teneur de l’art. 58 al. 1 CO, le propriétaire d’un bâtiment ou de tout autre ouvrage répond du dommage causé par des vices de construction ou le défaut d’entretien. Selon la jurisprudence, pour déterminer si un ouvrage est affecté d’un vice de construction initial ou d’un défaut subséquent d’entretien, il sied de prendre en compte le but qui lui est assigné. Un ouvrage est défectueux lorsqu’il n’offre pas de sécurité suffisante pour l’usage auquel il est destiné (ATF 130 III 736 consid. 1.3 p. 741 s.; 126 III 113 consid. 2a/cc p. 116; 123 III 306 consid. 3 b/aa p. 310 s.) et non dès qu’il ne présente pas tous les avantages de la technique la plus récente (ATF 102 II 343 consid. 1c p. 346; 58 II 358 p. 360; arrêt 4A_521/2013 du 9 avril 2014 consid. 3.4).

La preuve de l’existence d’un vice de construction ou d’un défaut d’entretien incombe à celui qui invoque l’art. 58 CO (art. 8 CC) et ne résulte pas du seul fait que l’accident a été causé par un ouvrage (ATF 123 III 306 consid. 3 b/aa p. 311; 63 II 95 consid. 2 p. 100; 4A_81/2015 du 22 mars 2016 consid. 4).

Concernant plus particulièrement l’appréciation du résultat d’une expertise, lorsque l’autorité cantonale juge une expertise concluante et en fait sien le résultat, le Tribunal fédéral n’admet le grief d’appréciation arbitraire des preuves que si l’expert n’a pas répondu aux questions posées, si ses conclusions sont contradictoires ou si, d’une quelconque autre façon, l’expertise est entachée de défauts à ce point évidents et reconnaissables, même sans connaissances spécifiques, que le juge ne pouvait tout simplement pas les ignorer. Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de vérifier si toutes les affirmations de l’expert sont exemptes d’arbitraire; sa tâche se limite bien plutôt à examiner si l’autorité intimée pouvait, sans arbitraire, se rallier au résultat de l’expertise (ATF 133 II 384 consid. 4.2.3 p. 391; 132 II 257 consid. 4.4.1 p. 269).

La cour cantonale a fait sienne les conclusions de l’expertise judiciaire. Elle a ainsi retenu que la cause exacte de l’incendie n’était pas déterminable et que donc le locataire, auquel incombait le fardeau de la preuve, n’était pas parvenu à prouver que le radiateur présentait un vice de construction ou un défaut d’entretien.

Faute d’avoir démontrer qu’il y avait nécessité à s’écarter de l’expertise pour cause d’arbitraire, la critique du locataire est irrecevable.

 

Le TF rejette le recours du locataire.

 

 

Arrêt 4A_546/2017 consultable ici

 

 

4A_367/2016 (f) du 20.03.2017 – Assurance perte de gain – Assurances de sommes vs de dommage / Notion de l’incapacité de gain / Fardeau de la preuve – Preuve de la perte de gain – 8 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2016 (f) du 20.03.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2t1LDSu

 

Assurance perte de gain – Assurances de sommes vs de dommage

Notion de l’incapacité de gain

Fardeau de la preuve – Preuve de la perte de gain – 8 CC

 

Assuré propriétaire, administrateur ou employé de nombreuses sociétés en Suisse et au Liechtenstein. Depuis 1992, il était au bénéfice d’une assurance perte de gain, lui garantissant une rente annuelle en cas d’invalidité. En 1998, il avait également conclu une assurance perte de gain relative à un capital invalidité.

Le 30.11.1998, A.________ Sàrl (preneur d’assurance) a souscrit une assurance invalidité en faveur de l’assuré auprès d’une compagnie d’assurance.

Le 17.09.1999, l’assuré a été victime d’un accident, à la suite duquel il s’est trouvé en incapacité de travail (à 100% jusqu’au 31.01.2000, puis à 75% jusqu’au 08.10.2000, puis à nouveau à 100% jusqu’au 20.10.2000). Un spécialiste FMH en psychiatrie et en neurologie s’est prononcé sur l’état de santé de l’assuré et a conclu qu’en raison des séquelles de l’accident, l’assuré était dans l’incapacité prononcée (80%), voire complète (100%) d’exercer son métier.

Le 16.03.2001, la compagnie d’assurance a invité le preneur d’assurance à lui adresser les documents relatifs à la perte de gain consécutive à l’accident de l’assuré. Sans réponse, elle l’a relancée le 11.06.2001. En été 2001, la compagnie d’assurance a demandé à deux reprises au preneur d’assurance de lui fournir les taxations fiscales pour les périodes 1997-1998 et 1999-2000, la déclaration fiscale 2001 relative aux revenus 1999-2000, ainsi que la comptabilité de la société pour les mêmes années. Ni le preneur d’assurance, ni l’assuré n’ont donné suite à ces demandes. La compagnie d’assurance n’a versé aucune rente à l’assuré depuis le 17.09.2001.

En juillet 2003, l’assurance-invalidité de la Principauté du Liechtenstein a reconnu à l’assuré le droit à une rente entière depuis le 01.10.2001 et fixé le degré d’invalidité à 100%. En août 2003, l’assurance-invalidité fédérale (AI) a alloué à l’assuré une rente entière depuis le 01.09.2000, le degré d’invalidité étant fixé à 90%.

Le 23.12.2003, l’assuré a déposé une demande dirigée contre la compagnie d’assurance. En cours d’instruction, une expertise médicale et une expertise comptable ont été ordonnées. Selon le spécialiste en neurologie et psychiatrie, l’assuré présente toujours des éléments déficitaires sur le plan neuropsychologique et sa capacité de travail résiduelle n’est pas supérieure à 25%. L’expert-comptable a relevé que les revenus déclarés au fisc par l’assuré ont diminué de 79% en dix ans, à partir de 2001, et que ceux déclarés à l’AVS du Liechtenstein ont diminué de 98% en onze ans, à partir de 2000; il apparaît également que le preneur d’assurance a réalisé un chiffre d’affaires de 85’950 fr. en 1997 et de 76’000 fr. en 1998, l’expert ne disposant d’aucunes données comptables relatives à cette société pour les exercices 1999 et suivants (société déclarée en faillite en septembre 2010).

Par jugement du 04.03.2015, la Cour civile a condamné la compagnie à verser à l’assuré le montant de 3’094 fr.20, toutes autres ou plus amples conclusions étant rejetées (jugement 15/2015/SNR – http://bit.ly/2s1Vhjv ). Par arrêt du 05.04.2016, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l’appel et confirmé le jugement attaqué (arrêt 205 – http://bit.ly/2rIOBar).

 

TF

Assurance de sommes vs de dommage

En droit des assurances privées, la LCA distingue l’assurance contre les dommages (art. 48 à 72) de l’assurance de personnes (art. 73 à 96). Par rapport à l’assurance contre les dommages, l’assurance de personnes, conçue comme une assurance de sommes, se caractérise par sa nature non indemnitaire; elle est une promesse de capital, indépendante du montant effectif du préjudice subi par le preneur ou l’ayant droit (cf. ATF 133 III 527 consid. 3.2.4 p. 532). Cependant, même dans le cas d’une assurance qui a pour objet une personne physique, on est en présence d’une assurance de personnes uniquement lorsque les parties au contrat d’assurance n’ont subordonné la prestation de l’assureur, dont elles ont fixé le montant lors de la conclusion du contrat, qu’à la survenance de l’événement assuré, sans égard à ses conséquences pécuniaires. En revanche, l’assurance sera qualifiée d’assurance contre les dommages lorsque les parties au contrat font de la perte patrimoniale effective une condition autonome du droit aux prestations (ATF 119 II 361 consid. 4 p. 364 s.).

Selon la police d’assurance ici en cause, dont la teneur n’est pas contestée (cf. art. 11 et 12 LCA), la prestation assurée est une rente annuelle de 75’000 fr. versée en cas d’incapacité de gain. Dans son sens courant, l’incapacité de gain (Erwerbsunfähigkeit) consiste en la diminution concrète de la possibilité d’acquérir un revenu, synonyme de perte économique (cf. arrêt 4A_451/2015 du 26 février 2016 consid. 2.3). En l’espèce, la police renvoie expressément aux CGA, lesquelles, sous le ch. 3.1 définissant l’incapacité de gain, exigent bel et bien « une perte de gain ou un autre préjudice pécuniaire équivalent » en relation avec l’incapacité d’exercer une activité professionnelle appropriée pour cause de maladie ou d’accident.

La prestation de l’assureur étant subordonnée à l’existence d’une perte patrimoniale effective, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en rangeant l’assurance litigieuse parmi les assurances contre les dommages, soumises au principe indemnitaire, comme le Tribunal fédéral a du reste déjà eu l’occasion de le juger en présence de clauses semblables à celles ici en cause (cf. arrêt précité du 26 février 2016 consid. 2.3; arrêt 5C.21/2007 du 20 avril 2007 consid. 3.1 et 3.2).

Selon l’arrêt attaqué, la perte de gain à prouver par le recourant devait l’être en relation avec l’activité qu’il exerçait au service du preneur d’assurance. Or, l’assuré n’a pas rapporté la preuve de l’étendue de la perte de gain qu’il aurait subie au sein de l’entreprise A.________.

 

Fardeau de la preuve

Conformément à la règle générale posée par l’art. 8 CC, la personne titulaire de la prétention – ici l’assuré – doit prouver les faits propres à la justification de ses prétentions, à savoir notamment la réalisation du risque assuré et l’étendue de la prétention (ATF 130 III 321 consid. 3.1 p. 323).

Une perte de gain effective constitue en l’espèce une condition à l’octroi des prestations d’assurance; dans le système adopté dans le contrat litigieux, elle exerce une incidence indirecte sur le montant de la prestation d’assurance, fixé forfaitairement mais susceptible de varier en fonction du degré d’incapacité de gain (cf. ATF 139 III 263 consid. 1.3.1 p. 266 et consid. 1.3.4 p. 267; arrêt précité du 26 février 2016 consid. 3.1.2; arrêt 4A_134/2015 du 14 septembre 2015 consid. 4). Une perte de gain doit donc être prouvée. Soit l’assuré démontre qu’en raison de l’incapacité de travail constatée médicalement, il ne réalise plus aucun revenu et n’est plus en mesure d’en acquérir; son incapacité de gain est alors totale et lui donne droit à la rente annuelle fixée dans le contrat d’assurance. Soit l’assuré établit un revenu inférieur à celui qu’il aurait pu réaliser sans l’incapacité de travail; son incapacité de gain est alors partielle et le montant de la rente éventuelle dépendra du degré d’incapacité de gain, correspondant à la différence, exprimée en pour-cent, entre le revenu que l’assuré aurait vraisemblablement pu acquérir et le revenu qu’il a effectivement acquis (cf. arrêt précité du 26 février 2016 consid. 3.1).

Le risque assuré correspond à l’événement redouté en vue duquel le contrat a été conclu (cf. ATF 136 III 334 consid. 3 p. 339). En l’espèce, il s’agit de l’incapacité de gain de l’assuré, due à une maladie ou à un accident.

Il ne ressort pas des constatations de l’arrêt attaqué que ce risque se serait entièrement réalisé, en ce sens que l’assuré n’aurait plus rien gagné, ni été en mesure d’acquérir un revenu à la suite de l’accident du 17.09.1999. Pour justifier sa prétention à une rente annuelle de 75’000 fr., l’assuré devait établir que le degré de son incapacité de gain atteignait au moins 662 /3%, une rente d’un montant inférieur supposant pour sa part un taux d’incapacité de gain d’au moins 25%. La détermination du degré d’incapacité de gain, pertinent pour fixer le montant de la rente, implique une comparaison entre le revenu que l’assuré aurait pu réaliser sans l’accident et le gain acquis malgré l’accident. Comme la prestation assurée tendait indirectement à compenser un manque à gagner de l’assuré en tant qu’employé du preneur d’assurance, cette opération nécessitait d’établir les revenus réalisés, avant l’accident, ainsi que ceux acquis après l’accident grâce à cette activité, voire l’absence de tels revenus. Or, l’assuré, qui avait la charge de la preuve, n’a pas fourni les moyens de preuve permettant d’apprécier ces éléments. Faute d’avoir disposé des données comptables du preneur d’assurance pour les exercices 1999 et suivants, l’expert n’a en effet pas été en mesure de comparer les revenus d’honoraires perçus par le recourant avant et après l’accident de septembre 1999.

 

En jugeant que l’assuré n’avait ainsi pas démontré un taux d’incapacité de gain suffisant pour justifier une rente, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_367/2016 consultable ici : http://bit.ly/2t1LDSu