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4A_93/2022 (f) du 03.01.2024 – Notion de contrat de travail pour une maman de jour – 319 CO / Activité dépendante vs indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_93/2022 (f) du 03.01.2024

 

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Notion de contrat de travail pour une maman de jour / 319 CO

Activité dépendante vs indépendante

 

B.__ (l’association ou la défenderesse) est une association d’utilité publique ayant pour but de coordonner l’accueil de jour d’enfants entre parents placeurs et parents d’accueil.

A.__ (ci-après: la demanderesse) est devenue membre de B.__ et a exercé une activité de parent d’accueil («maman de jour») depuis le 01.06.2011.

Le 15.01.2018, A.__ a demandé à B.__ de revoir son salaire à la suite de l’entrée en vigueur de dispositions cantonales sur le salaire minimum. B.__ a refusé, arguant que son rôle se limitait à la coordination et que les conventions de placement n’étaient pas des contrats de travail. A.__ a réitéré sa demande le 10.10.2018, sans succès.

À la suite d’une demande en paiement déposée par A.__, B.__ a suspendu le 17.07.2019 toute nouvelle demande d’accueil la concernant.

A.__ a mis en demeure B.__ de continuer à lui fournir du travail, mais B.__ n’a pas donné suite.

Le 28.10.2019, A.__ a démissionné de B.__ avec effet au 30.11.2019.

 

Procédures cantonales

Le 17.09.2021, le Tribunal régional a jugé qu’un contrat de travail liait les parties du 01.06.2011 au 30.11.2019. Le tribunal a considéré que l’association exerçait un contrôle important sur les parents d’accueil, les plaçant dans une situation de dépendance et de subordination. Le tribunal a souligné que la liberté des parents d’accueil était fortement restreinte par les nombreuses instructions et obligations imposées par l’association, allant au-delà du cadre légal. Le fait que l’accès au cadre tarifaire cantonal était conditionné à l’affiliation à l’association a renforcé cette appréciation.

Le 24.01.2022, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal de Neuchâtel a annulé ce jugement en appel. La Cour d’appel a estimé que les parties n’étaient pas liées par un contrat de travail et que la demanderesse était indépendante.

 

TF

Le litige porte sur la question de savoir si le rapport contractuel noué entre les parties s’apparente à un contrat de travail (art. 319 ss CO).

Consid. 3.1
La qualification juridique d’un contrat se base sur le contenu de celui-ci (ATF 144 III 43 consid. 3.3). Dans une première étape, il s’agit de déterminer le contenu du contrat en recherchant la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective) (art. 18 al. 1 CO). Si une telle intention ne peut être constatée, le contenu du contrat doit être interprété selon le principe de la confiance (interprétation normative ou objective) (ATF 144 III 43 consid. 3.3; 140 III 134 consid. 3.2; arrêt 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.1.1).

Une fois le contenu du contrat déterminé, il s’agit, dans une seconde étape et sur cette base, de catégoriser juridiquement la convention (arrêts 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.1.1, 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.1). La qualification juridique d’un contrat est une question de droit. Le juge applique le droit d’office (art. 57 CPC) et détermine d’office les règles légales applicables à la convention des parties. Il n’est lié ni par la qualification effectuée par les parties ni par les expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (« falsa demonstratio non nocet ») (art. 18 al. 1 CO; ATF 131 III 217 consid. 3; 129 III 664 consid. 3.1; arrêt 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.1.1, 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.1), d’autant qu’il peut être particulièrement tentant de déguiser la nature véritable de la convention pour éluder certaines dispositions légales impératives (ATF 129 III 664 consid. 3.2; 99 II 313 s.). Tout au plus peut-on, selon les circonstances, considérer comme un indice la désignation de la convention des parties comme contrat de travail ou la qualification des parties comme employeur ou employé (arrêt 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.4).

Consid. 3.2
Par contrat individuel de travail, le travailleur s’engage, pour une durée déterminée ou indéterminée, à travailler au service de l’employeur et celui-ci à payer un salaire fixé d’après le temps ou le travail fourni (art. 319 al. 1 CO). Les éléments caractéristiques de ce contrat sont une prestation de travail, un rapport de subordination, un élément de durée et une rémunération (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3, 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.1, 4A_10/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.1, 4A_200/2015 du 3 septembre 2015 consid. 4.2.1 et 4P.337/2005 du 21 mars 2006 consid. 3.3.2).

Consid. 3.3
Le critère décisif, qui permet de distinguer le contrat de travail en particulier des autres contrats de service, notamment du contrat de mandat (arrêt 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2), est de savoir si la personne concernée se trouvait dans une relation de subordination (ATF 130 III 213 consid. 2.1; 125 III 78 consid. 4; 121 I 259 consid. 3a) qui place le travailleur dans la dépendance de l’employeur sous l’angle temporel, spatial et hiérarchique (cf. arrêts 4P.36/2005 du 24 mai 2005 consid. 2.3, 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2), même si tous ces aspects ne sont pas toujours tous réunis au même degré. Pour mesurer leur rôle, on se fonde sur l’image globale que présente l’intégration de l’intéressé dans l’entreprise (arrêt 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2; GABRIEL AUBERT, Commentaire romand, 3e éd., n. 8 à 10 ad art. 319 CO; PIERRE ENGEL, Contrats de droit suisse, 2e éd., p. 292 et 479; RÉMY WYLER/BORIS HEINZER, Droit du travail, 4e éd., p. 26 ss; ADRIAN STAEHELIN/FRANK VISCHER, Commentaire zurichois, n. 38 s ad art. 319 CO; MANFRED REHBINDER/JEAN-FRITZ STÖCKLI, Commentaire bernois, n. 6 à 12 ad art. 319 CO; BRUNNER/BÜHLER/WAEBER, Kommentar zum Arbeitsvertragsrecht, 3e éd., p. 13; VISCHER, Le contrat de travail, TDPS VII, 1, 2, p. 34 et 35, p. 37 ss; JÜRG BRÜHWILER, Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 3e éd, n. 5 ad art. 319 CO).

Ce lien de subordination est concrétisé par le droit de l’employeur d’établir des directives générales sur l’exécution du travail et la conduite des travailleurs dans son exploitation; il peut également donner des instructions particulières (art. 321d al. 1 CO) qui influent sur l’objet et l’organisation du travail et instaurent un droit de contrôle de l’employeur (arrêts 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid. 2.1, 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.3.1).

A l’opposé, le mandataire, qui doit suivre les instructions de son mandant, peut s’organiser librement et décider lui-même de son horaire et de son lieu de travail, et il agit sous sa seule responsabilité (FRANZ WERRO, Commentaire romand, 3e éd., n. 26 et 27 ad art. 394 CO). Le critère de distinction essentiel réside dans l’indépendance du mandataire par rapport à son mandant. Tant que ce dernier, par le biais de ses directives, informe le mandataire de la manière générale dont il doit exécuter sa tâche, les règles du mandat sont applicables. Dès que ces directives vont plus loin, qu’elles influent sur l’objet et l’organisation du travail et qu’elles instaurent un droit de contrôle de celui qui donne les instructions, il s’agit d’un contrat de travail (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.1, 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.1 et les arrêts cités).

Consid. 3.4
Le rapport de subordination caractéristique du contrat de travail place également, dans une certaine mesure, le travailleur dans une dépendance économique (ATF 121 I 259 consid. 3a; arrêts 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid.4.1.2.1; 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.1 et les arrêts cités). Est déterminant le fait que, dans le contexte de la prestation que le travailleur doit exécuter, d’autres sources de revenu sont exclues et qu’il ne puisse pas, par ses décisions entrepreneuriales, influer sur son revenu (arrêts 2C_575/2020 et 2C_34/2021 du 30 mai 2022, 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 et 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2). En définitive, il s’agit de savoir si, en se liant par contrat, l’employé a abdiqué son pouvoir de disposition sur sa force de travail, car il ne peut plus participer au résultat économique de sa force de travail ainsi investie, au delà de la rémunération qu’il reçoit à titre de contre-prestation. Un indice important d’une semblable dépendance existe lorsqu’une personne est active seulement pour un employeur. Cet indice est renforcé par un devoir contractuel d’éviter toute activité économique semblable (arrêts 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.6, 4A_553/2008 du 9 février 2009 consid. 4.2 et 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.6.1).

Cela étant, la portée de ce critère doit être relativisée sur deux plans. D’un côté, cette dépendance économique peut également exister dans d’autres contrats. De l’autre, dans le contrat de travail, une dépendance économique réelle n’est pas toujours présente (arrêts 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.6, 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid. 2.1 et 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.6.1). Ainsi, il peut aussi y avoir contrat de travail lorsque l’employé n’est pas dépendant financièrement de son salaire, en raison de sa fortune ou de sa situation familiale. S’agissant de personnes employées à temps partiel, il n’y a pas non plus de dépendance économique lorsque la force de travail restante investie ailleurs suffit à financer le quotidien (arrêts 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.6 et 4C.276/2006 du 25 janvier 2007 consid. 4.6.1).

Consid. 3.5
Des difficultés singulières peuvent apparaître lorsque le contrat porte sur des prestations caractéristiques des professions dites libérales, où une certaine autonomie est admise dans les deux situations de contrat de travail et de contrat de mandat, la séparation entre service indépendant et service dépendant étant très mince (STAEHELIN/VISCHER, Commentaire zurichois, n. 39 ad art. 319 CO; REHBINDER, Commentaire bernois, n. 52 ad art. 319 CO; BRÜHWILER, op. cit., p. 30; WERRO, op. cit., n. 27 ad art. 394).

La difficulté s’est encore accrue plus récemment en raison de l’apparition des collaborateurs libres (Freie Mitarbeiter/Freelancer), à cause d’un besoin accru de flexibilité des employeurs et de modifications sociologiques dans la conception du travail, de la part des employés (WOLFGANG HARDER, Freie Mitarbeiter / Freelancer / Scheinselbständige – Arbeitnehmer, Selbständige oder beides ? in: ArbR 2003, p. 72 et 73). Les travailleurs libres sont définis comme des personnes indépendantes agissant seules et mettant à disposition d’un autre entrepreneur leur activité personnelle et sans l’aide d’un tiers, pendant un temps plus ou moins long, de manière exclusive ou presque, étant précisé qu’ils demeurent autonomes dans l’organisation de leur travail, tant d’un point de vue temporel que matériel (HARDER, op. cit., p. 71 n. 1.3). Comme cette nouvelle catégorie d’intervenants ne répond clairement ni à la définition de travailleur ni à celle d’indépendant, et que les caractéristiques de ces deux types d’activité lucrative se retrouvent dans la relation juridique les liant à l’employeur, respectivement au mandant ou à l’entrepreneur, il convient d’examiner de cas en cas si les art. 319 et ss CO s’appliquent, étant précisé que la qualification de contrat de travail sui generis devrait être retenue, pour mettre ces personnes au bénéfice d’une partie des normes protectrices du droit du travail, sans les assimiler toutefois entièrement au travailleur (arrêts 4P.36/2005 du 24 mai 2005 consid. 2.3, 4P.83/2003 du 9 mars 2004 consid. 3.2; HARDER, op. cit., p. 78, 79 et 84). Elles devraient en particulier être justiciables des tribunaux spéciaux du travail (HARDER, op. cit., p. 81).

Dans une affaire qui concernait le statut d’une cardio-technicienne diplômée travaillant dans un hôpital, le Tribunal fédéral a considéré que la conclusion à laquelle avait abouti la cour cantonale, selon laquelle la personne en cause était indépendante, n’avaient rien d’arbiraire : cette cardio-technicienne n’était soumise qu’aux instructions du chirurgien conduisant l’opération, celui-ci étant lui-même fréquemment indépendant et, bien que son travail impliquât une coordination avec les autres intervenants et la nécessité de respecter l’organisation de l’hôpital, la direction de celui-ci ne lui adressait pas d’injonctions. D’autres indices confortaient cette appréciation : les contrats mentionnaient la qualité d’indépendante de la personne visée, il n’y avait pas de contrôle horaire la concernant, elle n’avait jamais demandé le remboursement des frais découlant de l’usage du bip et du portable personnel, sa rémunération était irrégulière et qualifiée d' »honoraires », elle pouvait travailler dans d’autres établissements hospitaliers, les cotisations sociales n’avaient pas été payées et elle était assujettie à la TVA (arrêt 4P.36/2005 du 24 mai 2005 consid. 2.3 et 2.4).

Plus récemment, le Tribunal fédéral s’est penché sur le statut d’une personne qui avait conclu un contrat avec un psychiatre pour exercer comme psychothérapeute déléguée aux frais de l’assurance de base. Là encore, il a confirmé le jugement cantonal lequel n’avait pas retenu la qualification de contrat de travail. Les motifs suivants ont déterminé son jugement : le fait que cette praticienne exerçait la psychothérapie de manière largement indépendante, l’absence pratique de directives du psychiatre à son endroit, l’aménagement complètement libre de son temps de travail et de ses vacances, l’absence d’une obligation de travailler et la faculté de décider de manière autonome quelle serait l’ampleur de son activité, l’acquisition en propre de ses patients, l’absence de prétention tendant à une attribution de patients par l’autre partie, la prise en charge intégrale des frais par cette psychothérapeute, le fait d’assumer elle-même le risque de l’entreprise – et corrélativement le risque très limité assumé par le psychiatre -, finalement le caractère fluctuant de sa rémunération. Certes, une place de travail et une certaine infrastructure lui était mise à disposition; s’y ajoutaient une certaine dépendance économique vis-à-vis du psychiatre, l’intitulé « contrat de travail » dont les parties s’étaient servies pour désigner leur accord et le fait que les cotisations sociales aient été déduites de la rémunération versée. Cela étant, ces éléments ne revêtaient pas un caractère prépondérant, d’autant que les relations s’inscrivaient dans un contexte assez spécifique : la recourante voulait exercer son activité de psychothérapeute de manière largement indépendante, mais à charge de l’assurance de base (arrêt 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 8 et 9).

Dans deux affaires remontant au 30 mai 2022, la IIe Cour de droit public a été amenée à trancher le caractère dépendant ou non de l’activité des livreurs d’Uber Eats, respectivement des chauffeurs d’Uber Switzerland GmbH. Appelée à déterminer si les activités d’Uber Eats relevaient de la location de services soumise à autorisation, ladite Cour s’est prononcée sur la question préalable de savoir si la relation contractuelle entre la société et les livreurs concernés s’apparentait à un contrat de travail. Elle a relevé à cet égard, en s’inspirant des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de céans, que le système de notation de ces livreurs, tout comme leur géolocalisation, constituait un moyen de contrôle qui les plaçait dans une relation de subordination à l’égard de la plateforme. S’y ajoutait une grande quantité de consignes couplée à des sanctions en cas de manquement, allant jusqu’à des restrictions d’accès et la désactivation du compte sans préavis. La plateforme exerçait donc un pouvoir de contrôle et de surveillance sur leur activité, propre au contrat de travail. C’est donc cette qualification qui l’a emporté (ATF 148 II 426 consid. 6.6). Dans la seconde de ces affaires, il lui appartenait de déterminer si Uber s’apparentait à une entreprise de transport assujettie à la loi genevoise sur les taxis et voitures de transport avec chauffeur. Pour ce faire, elle se devait d’examiner – à travers le prisme de l’arbitraire, puisqu’il s’agissait de droit cantonal – si l’entreprise était liée à un ou plusieurs chauffeurs par un contrat de travail. Plusieurs éléments lui ont à cet égard paru décisifs : Uber contrôlait entièrement les prix des courses, dictait intégralement les conditions tarifaires, sans possibilité pour le chauffeur d’en négocier le montant avec le client, et facturait les prestations aux clients; elle régissait de manière précise la façon dont la prestation de transport devait être effectuée, en donnant notamment des consignes quant au véhicule et au comportement à suivre par les chauffeurs, ainsi qu’en fixant l’itinéraire à suivre. Les chauffeurs n’étaient pas libres d’organiser leur travail une fois connectés à la plateforme, les refus de courses répétés étant sanctionnés par des désactivations du compte pour une durée déterminée. La géolocalisation permettait également de contrôler leur activité; un itinéraire jugé inefficace pouvait ainsi être sanctionné par une diminution du prix de la course. Pour parachever cette surveillance, les livreurs étaient soumis à un système de notation et de plaintes, sans possibilité d’en connaître l’auteur, et Uber pouvant à son entière discrétion désactiver un compte pendant le traitement d’une plainte. Ceci dénotait une relation de subordination caractéristique d’un contrat de travail (arrêt 2C_34/2021 du 30 mai 2022 consid. 10.2).

Consid. 3.6
Des critères formels tels que les déductions aux assurances sociales ainsi que le traitement fiscal de l’activité en cause revêtent une importance secondaire (arrêts 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.4; 4A_713/2016 du 21 avril 2017, 4A_592/2016 du 16 mars 2017 consid. 2.1).

Le droit des assurances sociales (art. 10 LPGA et 5 LAVS) ne repose d’ailleurs pas totalement sur les mêmes critères. Le domaine est jalonné par les directives de l’OFAS (ATF 128 III 129 consid. 1a/aa; arrêt 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.4). Le point de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée n’est pas tranché, dans ce contexte, d’après la nature juridique du rapport contractuel entre les partenaires. Ce qui est déterminant, ce sont bien plutôt les circonstances économiques (ATF 140 V 241 consid. 4.2), même si les rapports de droit civil peuvent fournir quelques indices (arrêts 9C_70/2022 et 9C_76/2022 du 16 février 2023 in: ATF 149 V 57 consid. 6.2, 8C_202/2019 du 9 mars 2020 consid. 3.2).

Consid. 3.7
L’existence de prescriptions de droit public dans des domaines d’activité réglementés par une collectivité publique pour des motifs d’intérêt public et de police n’a, en revanche, pas de portée décisive pour déterminer si une personne exerçant une activité commerciale est indépendante ou a un statut de salarié (arrêt 8C_38/2019 du 12 août 2020 consid. 6.2.2)

Consid. 3.8
En somme, il faut prioritairement tenir compte de critères matériels relatifs à la manière dont la prestation de travail est effectivement exécutée, tels le degré de liberté dans l’organisation du travail et du temps, l’existence ou non d’une obligation de rendre compte de l’activité et/ou de suivre les instructions, ou encore l’identification de la partie qui supporte le risque économique (arrêts 4A_53/2021 du 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2; 2C_714/2020 du 14 décembre 2010 consid. 3.4.2). Constituent des éléments typiques du contrat de travail le remboursement des frais encourus par le travailleur, le fait que l’employeur supporte le risque économique et que le travailleur abandonne à un tiers l’exploitation de sa prestation, en contrepartie d’un revenu assuré (arrêts 4A_53/2021 au 21 septembre 2021 consid. 5.1.3.2, 4A_64/2020 du 6 août 2020 consid. 6.3.5 et les arrêts cités). Ces critères ne sont toutefois pas exhaustifs. Et en tout état de cause, les circonstances concrètes doivent être appréciées dans leur tableau d’ensemble.

 

Consid. 5.1
Plusieurs éléments ne cadrent pas avec le rôle de simple interface entre parents placeurs et parents d’accueil auquel se cantonnerait prétendument l’intimée.

Il y a tout d’abord les formations que l’intimée impose aux parents d’accueil. D’après les conventions d’accueil tripartites, ceux-ci s’engagent à suivre une formation obligatoire ainsi que, selon la dernière version de ces conventions, des formations continues organisées par l’intimée. Ces formations ne s’inscrivent pas dans une obligation légale quelconque. Le législateur a en effet estimé que les parents d’accueil de jour n’avaient pas à justifier de qualifications professionnelles particulières. C’est là une obligation que la recourante leur impose pour satisfaire à ses propres critères de qualité et qui plaide clairement pour une relation de dépendance (arrêts 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.2.2 et 8C_571/2017 du 9 novembre 2017 consid. 3.1). La délimitation avec les directives de l’employeur sur la manière dont le travail doit être exécuté n’est d’ailleurs pas si évidente lorsque c’est lui qui en définit le contenu et qui les dispense, comme dans le cas présent. La cour cantonale est demeurée imperméable à cette logique. Pour elle, la recourante n’a pas allégué formellement avoir suivi l’une ou l’autre formation continue. On ne saurait lui emboîter le pas. C’est un fait acquis que la recourante a suivi la formation de base imposée par l’intimée et qu’elle a signé des conventions par lesquelles elle s’est engagée à suivre des formations continues. Ceci suffit à la logique du raisonnement, sans que l’on ait à trancher la question de savoir si, dans un procès tel que celui-ci, régi par la maxime inquisitoire (art. 247 al. 2 let. b ch. 2 CPC), un allégué relatif à la fréquentation desdites formations continues était véritablement indispensable. Quant au dernier argument par lequel l’arrêt cantonal entend sceller le sujet, il ploie devant le simple bon sens : si lesdites formations étaient à ce point utiles et la contrainte qu’elles représentent si négligeable, l’intimée ne l’aurait pas traduit par une obligation contractuelle.

S’y ajoute le contrôle que l’intimée exerce sur les parents d’accueil, comme les conventions d’accueil tripartites le prévoient. A nouveau, il faut observer que cette surveillance n’est pas imposée par la législation topique. Le canton de Neuchâtel n’a pas non plus délégué cette tâche, mais il l’exerce lui-même par l’intermédiaire du SPAJ. C’est dire que l’intimée exerce un contrôle indépendant et parallèle à celui du SPAJ sur les parents d’accueil. Cette surveillance est également typique d’une relation de subordination. Dans une relation contractuelle liant deux indépendants, l’on concevrait mal que le premier s’arroge le droit de contrôler la manière dont le second exécute son travail au quotidien. Cette prérogative est plutôt celle qu’un employeur exerce vis-à-vis d’un travailleur. La cour cantonale relativise l’importance de cet élément au motif que le contrôle de l’Etat s’exercerait souvent en même temps que celui du SPAJ, mais l’argument de la commodité d’un seul contrôle ne signifie pas que cette surveillance ne soit pas affûtée.

Consid. 5.2
Un élément supplémentaire détone fondamentalement dans le tableau que dépeint la cour cantonale, à savoir la dépendance économique dans laquelle la recourante se trouve vis-à-vis de l’intimée. En contractant avec elle, la recourante abdique toute faculté de garder d’autres enfants qui ne lui seraient pas confiés par l’intimée. En d’autres termes, d’autres sources de revenus indépendantes de l’intimée sont exclues dans ce domaine d’activité.

L’intimée justifie cette exclusivité par le fait qu’il serait impossible, à défaut, de contrôler si la recourante garde cinq enfants au maximum, dont au maximum trois enfants scolarisés, comme l’art. 12 REGAE le prescrit. Cette explication ne convainc toutefois pas. On ne voit pas en quoi cette exigence contractuelle représenterait un levier plus puissant que l’art. 12 REGAE. Car si un parent d’accueil enfreint le cadre légal, ce que le SPAJ peut contrôler par des visites inopinées, son autorisation lui sera fatalement retirée; une clause d’exclusivité ne va pas davantage l’arrêter. L’exclusivité imposée à la recourante ne se justifie donc pas par la possibilité théorique que celle-ci puisse ne pas respecter les conditions légales. Elle est bien plutôt évocatrice de l’obligation de fidélité du travailleur.

Comme la jurisprudence l’a mis en exergue, consacrer toute sa force de travail à un mandataire à l’exclusion de toute autre activité lucrative plaide pour une dépendance économique et donc une activité dépendante (arrêt 4A_365/2021 du 28 janvier 2022 consid. 4.2.2 et 4.3.2). Et dans le cas d’espèce, force est de constater que la recourante a abdiqué son pouvoir de disposition sur sa force de travail au profit de l’intimée, au point de se retrouver totalement dépendante économiquement de celle-ci. S’il avait été isolé, cet élément n’eût pas été suffisant, comme le révèle un arrêt récent relatif à un taxi affilié à une centrale (arrêt 8C_38/2019 du 12 août 2020 consid. 6). Rien de semblable toutefois dans le cas présent, puisque plusieurs éléments convergent vers la même solution.

Consid. 5.3
A en croire l’intimée, la recourante disposerait d’une notable autonomie, caractéristique d’une activité indépendante. Plus d’un pas sépare toutefois ce postulat de la réalité.

L’intimée soutient que la recourante définit ses propres horaires de travail. En réalité, l’État détermine les horaires dans le cadre desquels une garde d’enfant subventionnée peut s’inscrire et l’intimée définit des blocs dans le cadre de ces horaires. Certes, la recourante peut opérer un choix parmi les blocs horaires en question, mais toute l’autonomie que l’intimée lui prête s’épuise dans cette seule et unique faculté. Comme la jurisprudence l’a déjà évoqué (ATF 122 V 169 consid. 6a/cc), il n’y a rien là qui dénote nécessairement une activité indépendante.

D’après l’intimée, la recourante décide de garder ou non un enfant donné. Rien de très étonnant, pourrait-on lui objecter, compte tenu du lien de confiance nécessaire et de la responsabilité qu’elle peut encourir. On est encore loin de l’autonomie décisionnelle caractéristique d’une activité indépendante.

Toujours selon l’intimée, la recourante peut organiser « comme elle l’entend » l’accueil des enfants. On ne saurait toutefois lui emboîter le pas. La recourante doit nécessairement exercer son activité à son domicile; elle doit annoncer ses vacances, indisponibilités et éventuelle grossesse bien à l’avance; l’intimée exige d’elle qu’elle pose sur le papier les valeurs éducatives qu’elle prône, qu’elle dévoile son parcours de vie et démontre par un certificat médial qu’elle est bien portante. Elle lui impose le suivi d’une formation initiale ainsi que celui de formations continues qu’elle dispense elle-même; à quoi s’ajoute que l’intimée exerce une surveillance sur la manière dont la recourante travaille au quotidien et se réserve le droit de cesser de lui donner du travail, ce qu’elle a d’ailleurs décidé de faire lorsque la recourante a évoqué son statut de salariée, en décidant unilatéralement de ne plus lui confier de nouveaux enfants; c’est peu dire que la recourante n’est pas libre d’exercer son activité comme elle l’entend.

L’intimée souligne encore que la recourante décide seule du nombre d’enfants qu’elle entend accueillir. Il est vrai que la recourante dispose là d’une certaine marge de manœuvre, l’art. 12 REGAE fixant de toute manière un plafond à ses éventuelles ambitions. Cela étant, il en faudrait davantage pour y voir l’autonomie décisionnelle d’un indépendant. D’autant que l’intimée pouvait parfaitement contrecarrer les aspirations de la recourante, puisque celle-ci ne pouvait contracter avec nul autre qu’elle et qu’aucune garantie ne lui était donnée quant à l’obtention d’un nombre de gardes données.

Consid. 5.4
La question se pose dès lors avec acuité. La recourante pouvait-elle, par ses décisions entrepreneuriales, influer sur son revenu? Rien n’accrédite véritablement cette hypothèse. La recourante ne pouvait déléguer tout ou partie de ses tâches pour gagner davantage; elle ne disposait d’aucun levier pour augmenter le prix de l’heure de garde qui était déterminé par l’intimée en fonction des heures facturées aux parents placeurs – dont le montant est fixé par la loi – des subventions reçues et de ses propres charges. Tout au plus pourrait-elle garder davantage d’enfants, pour autant qu’ils lui soient confiés par l’intimée elle-même ce qui reste à la libre discrétion de cette dernière. Ceci n’en fait pas une indépendante.

Consid. 5.5
D’autres éléments confortent cette conclusion.

Tout d’abord, la recourante ne supporte pas de risque entrepreneurial. Son activité ne nécessite aucun investissement. Certes, en présence d’une activité n’exigeant pas – de par sa nature – des investissements importants, ce critère revêt un poids moindre dans l’appréciation d’ensemble. Il n’en mérite pas moins la mention.

C’est l’intimée qui se charge de facturer et de recouvrer les montants idoines auprès des parents placeurs, comme de récolter les subventions corrélatives. Le risque de non-recouvrement des heures de garde auprès d’un parent placeur est également assumé par l’intimée. Quel que soit le montant engrangé par l’intimée, la recourante reçoit le montant correspondant aux heures de garde qu’elle a effectuées.

La recourante reçoit ses outils de travail de l’intimée. Ainsi, des éléments tels que lits de voyage, chaises hautes, poussettes doubles, barrières de sécurité, baby relax et sièges auto lui sont fournis par celle-ci. Savoir comment l’intimée se les est procurés n’est guère déterminant. Les frais professionnels de la recourante lui sont également remboursés; ainsi, s’agissant des articles d’hygiène (couches et lingettes pour les enfants en âge préscolaire) et des repas pour les enfants. Ces remboursements sont typiques d’un contrat de travail. Savoir s’il s’agit d’éléments incitant à contracter avec l’intimée, comme l’évoque la cour cantonale, est sans importance.

Consid. 5.6
Pour couronner le tout, la recourante reçoit mensuellement de l’intimée des documents intitulés « décomptes de salaire », dans lesquels les charges sociales sont déduites de son revenu. L’intimée a beau jeu de prétendre que les logiciels qu’elle utilise lui seraient imposés par l’Etat. Les sommes qu’elle débite du salaire de la recourante sont bien réelles. Il ne s’agit pas d’une simple problématique formelle. La recourante reçoit également chaque mois de l’intimée un montant correspondant au « paiement d’indemnités de vacances », calculées en fonction de quatre semaines de vacances par année. On saurait difficilement faire plus explicite.

Consid. 5.7
En définitive, la cour cantonale s’est fourvoyée. Le contrat liant l’intimée à la recourante s’apparente à un contrat de travail. Elle ne pouvait donc pas rejeter la demande au motif que la recourante revêtait un statut d’indépendant. Il s’impose par conséquent de lui renvoyer l’affaire afin qu’elle examine et tranche les prétentions salariales formulées par la recourante.

 

Le TF admet le recours de la maman de jour.

 

 

Arrêt 4A_93/2022 consultable ici

 

8C_188/2023 (f) du 31.05.2024 – Révision d’une décision sur opposition entrée en force – 53 al. 1 LPGA / Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_188/2023 (f) du 31.05.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision sur opposition entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

 

Le 01.05.2018, l’assuré a conclu un contrat à durée déterminée avec B.__ SA pour un poste de maçon. Le 28.05.2018, il a été victime d’un accident professionnel en chutant d’un échafaudage.

Un désaccord est survenu concernant sa fonction exacte :

  • Le 19.11.2018, un certificat de travail le désignait comme chef d’équipe.
  • Le 15.10.2020, l’employeur a déclaré à l’assurance-accidents que l’assuré était maçon avec quelques responsabilités supplémentaires. Il a précisé que durant l’engagement, il avait été convenu que l’assuré aurait un peu plus de responsabilités afin d’acquérir de l’expérience en tant que chef d’équipe ; toutefois, au vu de sa courte période de travail et compte tenu du peu d’expérience accumulée, il n’était pas possible de qualifier l’assuré en tant que chef d’équipe.
  • L’assuré a maintenu avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe.

Par décision du 23.11.2020, elle lui a nié le droit à une rente, au motif que le taux d’invalidité était inférieur au degré d’invalidité minimum de 10%.

Le 06.01.2021, l’assuré a formé opposition contre la décision, affirmant avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, ce qui influait sur son salaire, les indemnités journalières et le calcul de la rente d’invalidité.

Le 22.02.2021, l’assuré a affirmé à l’assurance-accidents avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, contredisant la déclaration de B.__ SA du 15.10.2020. Il a fourni des documents appuyant sa position, dont des rapports de travail le désignant comme chef de chantier. Le 10.03.2021, via un syndicat, il a demandé à son ancien employeur de rectifier sa déclaration et de lui verser la différence de salaire, invoquant également un certificat et une attestation de travail confirmant sa fonction de chef d’équipe. Le même jour, il a sollicité une réanalyse de sa situation auprès de l’assurance-accidents.

Par décision sur opposition du 12.03.2021, l’assurance-accidents a confirmé sa décision du 23.11.2020.

Le 25.03.2021, le conseil de la société a répondu au courrier de l’assuré du 10.03.2021 en maintenant sa position quant à sa fonction de maçon. Il a ajouté que le certificat de travail du 19.11.2018 et l’attestation de travail du 02.12.2020 avaient été rédigés à la requête de l’assuré, sans que la société n’ait été informée de leur but.

Non contestée, la décision sur opposition du 12.03.2021 est entrée en force.

Le 11.11.2021, l’assuré a déposé une demande de révision de la décision du 23.11.2020 et de la décision sur opposition du 12.03.2021. Il a expliqué qu’à l’occasion d’une audience de conciliation, tenue le 26.10.2021 dans la procédure civile initiée à l’encontre de son ancien employeur, celui-ci avait reconnu que l’assuré travaillait en qualité de chef d’équipe, acceptant de ce fait de lui payer la différence de salaire correspondante et de corriger son certificat de travail. Ces éléments avaient été consignés dans une convention qui valait jugement définitif et constituait donc un fait ou un moyen de preuve nouveau. Par décision du 16.12.2021 confirmée le 25.05.2022, l’assurance-accidents a refusé d’entrer en matière sur la demande de révision.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/22 – 19/2023 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont estimé que le statut de chef d’équipe de l’assuré n’était pas un fait nouveau au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Cependant, ils ont considéré que la convention conclue entre l’assuré et son ancien employeur, ayant valeur de jugement définitif, constituait un nouveau moyen de preuve important. Cette convention, établie après la décision sur opposition du 12.03.2021, attestait de la fonction de chef d’équipe de l’assuré et du salaire correspondant, éléments que l’assuré n’avait pas pu prouver auparavant.

Le tribunal cantonal a jugé que ce nouveau moyen de preuve était susceptible d’influencer significativement la décision de l’assurance-accidents concernant le montant des indemnités journalières et le droit à la rente d’invalidité. La convention ne servait pas à réévaluer un fait connu, mais à établir un fait objectif définitif. Par conséquent, le tribunal a conclu qu’il s’agissait bien d’un nouveau moyen de preuve selon l’art. 53 al. 1 LPGA.

Par jugement du 15.02.2023, admission du recours interjeté par l’assuré, toujours représenté par le syndicat, et renvoi de la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient pas être produits auparavant.

Consid. 3.1
Sont « nouveaux » au sens de cette disposition les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus de la personne requérant la révision, malgré toute sa diligence (ATF 134 III 669 consid. 2.2 et les références). En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 144 V 245 consid. 5.2; 143 III 272 consid. 2.2; 134 IV 48 consid. 1.2).

Consid. 3.2
Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment de la personne qui requiert la révision de la décision. Si les nouveaux moyens de preuve sont destinés à prouver des faits allégués antérieurement, le requérant doit aussi démontrer qu’il ne pouvait pas les invoquer dans la procédure précédente. Une preuve est considérée comme concluante lorsqu’il faut admettre qu’elle aurait conduit le juge à statuer autrement s’il en avait eu connaissance dans la procédure principale. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers. Il n’y a ainsi pas motif à révision du seul fait que l’administration ou le tribunal paraît avoir mal interprété des faits connus déjà lors de la décision principale. L’appréciation inexacte doit être, bien plutôt, la conséquence de l’ignorance ou de l’absence de preuve de faits essentiels pour la décision (ATF 144 V 245 consid. 5.3; 127 V 353 consid. 5b).

Consid. 3.3
Comme condition supplémentaire à la révision au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, il faut que les faits ou moyens de preuve n’aient pas été connus de la personne requérant la révision ou de l’assureur social qui entend réviser sa décision, malgré toute sa diligence. Il appartient au requérant qui se fonde sur un nouveau moyen de preuve destiné à prouver des faits allégués antérieurement dans la procédure précédente de démontrer qu’il ne pouvait pas invoquer ce moyen précédemment. Il doit pouvoir se prévaloir d’une excuse valable pour justifier le fait que le moyen en cause n’a pas été invoqué en temps utile. En effet, la révision ne doit pas servir à réparer une omission qui aurait pu être évitée par un requérant diligent. En cela, elle est un moyen subsidiaire par rapport aux voies de droit ordinaires. On appréciera la diligence requise avec moins de sévérité en ce qui concerne l’ignorance des faits, dont la découverte est souvent due au hasard, que l’insuffisance des preuves au sujet de faits connus, la partie ayant le devoir de tout mettre en œuvre pour prouver ceux-ci dans la procédure principale (MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 54 ad art. 53 LPGA; THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar ATSG, 2020, n° 26 ad art. 53 LPGA; arrêts 8C_334/2013 du 15 novembre 2013 consid. 3.3; U 561/06 du 28 mai 2007 consid. 6.2).

 

Consid. 5.1
En l’espèce, la juridiction cantonale a retenu que la convention constituait un nouveau moyen de preuve dès lors qu’elle permettait d’établir, et non seulement d’apprécier, des faits connus au moment de la décision de l’assurance-accidents du 23.11.2020 confirmée sur opposition le 12.03.2021. La question de savoir si c’est à tort ou à raison que les juges cantonaux ont admis que cette convention constituait réellement un « nouveau » moyen de preuve concluant pour établir le statut de chef d’équipe de l’assuré peut demeurer ouverte. En effet, même en présence d’un nouveau moyen de preuve, si la personne requérant la révision ou son représentant omet, de manière négligente, de faire valoir celui-ci dans la procédure ordinaire, la révision n’est pas possible. Le seul facteur décisif est donc celui de savoir si l’assuré aurait déjà pu présenter son nouveau moyen de preuve dans la procédure ordinaire. Le but de la procédure extraordinaire de révision n’est en effet pas de réparer les omissions évitables du requérant commises au cours de la procédure ordinaire (cf. consid. 3.3 supra).

Consid. 5.2
Il ressort des faits constatés par la juridiction cantonale que l’assuré avait correspondu avec son employeur avant et après la décision sur opposition du 12.03.2021 au sujet de sa position au sein de la société. En effet, le 10.03.2021, il avait écrit à son ancien employeur pour lui demander de rectifier son courrier du 15.10.2020 confirmant sa position de maçon auprès de l’assurance-accidents. En date du 08.04.2021, il avait réitéré auprès de son ancien employeur sa demande du 10.03.2021. Bien qu’il estimait que sa position de chef d’équipe avait des conséquences sur son droit à une rente d’invalidité de l’assurance-accident et qu’il ait allégué ces faits devant l’assurance-accidents en tentant de les étayer par divers moyens de preuve, l’assuré n’a cependant pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 devant la juridiction cantonale. Or rien n’indique qu’il aurait été empêché de le faire. Devant l’instance cantonale de recours, dans la mesure où la question du poste qu’il occupait au sein de la société était au cœur du litige, l’assuré aurait pu et dû défendre sa position de chef d’équipe en invoquant ses échanges de courriers avec son ancien employeur et en fournissant les moyens de preuve se trouvant déjà au dossier qu’il a produit ultérieurement devant le Tribunal de prud’hommes. Au besoin, après avoir recouru en temps utile contre la décision sur opposition du 12.03.2021, il aurait pu demander au tribunal des assurances de suspendre la procédure jusqu’à ce que le Tribunal de prud’hommes ait rendu un jugement ou que les parties aient trouvé un accord. Pour des raisons inexplicables, il n’a non seulement pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 mais il a en outre attendu près de six mois après cette décision pour ouvrir action contre son ancien employeur devant le Tribunal de prud’hommes. L’assuré ne saurait cependant faire reposer sa demande de révision sur un élément qu’il aurait, à tout le moins, pu tenter d’invoquer dans le cadre de la procédure initiale. Il faut dès lors conclure à un manque de diligence de sa part puisque la découverte des éléments prétendument nouveaux sur lesquels il fonde sa demande de révision résulte de démarches qui auraient pu et dû être effectuées durant la procédure précédente. La voie de la révision ne constitue pas uniquement la continuation de la procédure précédente, mais bel et bien un moyen de droit extraordinaire et il appartient ainsi aux parties de contribuer en temps utile à l’établissement des faits litigieux conformément aux règles de procédure applicables (arrêt 8C_334/2013 déjà cité consid. 3.3 et les références).

Consid. 6
Compte tenu de ce qui précède, c’est de manière contraire au droit fédéral que la juridiction cantonale a admis que l’on était en présence d’un nouveau moyen de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Il s’ensuit que le recours est bien fondé.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_188/2023 consultable ici

 

Le Conseil fédéral adopte un rapport sur les nouvelles formes de travail

Le Conseil fédéral adopte un rapport sur les nouvelles formes de travail

 

Communiqué de presse du DEFR du 08.05.2024 consultable ici

 

Le Conseil fédéral a adopté le 8 mai 2024 le rapport «Impact des nouvelles formes de travail». Le télétravail offre de nombreux avantages, qu’il s’agit d’exploiter sans perdre de vue les risques qui y sont associés. Compte tenu des dispositions déjà prises pour améliorer de manière ciblée les conditions-cadres, le rapport conclut que des mesures supplémentaires ne sont pas nécessaires.

En adoptant le postulat 20.3265 Pasquier-Eichenberger, le Conseil national a chargé le Conseil fédéral «d’examiner l’impact des nouvelles formes de travail sur les infrastructures et de présenter un rapport afin d’implémenter des changements positifs pour la collectivité». Le postulat a été déposé dans le contexte des restrictions liées à la pandémie au printemps 2020, qui ont entraîné une réduction de la mobilité.

Le rapport répond à ce postulat en s’intéressant en particulier au télétravail. S’il offre des opportunités à plusieurs égards, le télétravail comporte aussi certains risques. Par ailleurs, toutes les professions et activités ne s’y prêtent pas d’égale manière, et, au moment d’introduire et de calibrer une telle solution, employés et employeurs s’avèrent les mieux placés pour prendre des décisions adaptées au contexte.

 

Des conséquences variables sur les infrastructures

Si la généralisation du télétravail permet de réduire les trajets domicile-travail, l’impact en termes de charge des infrastructures dépend de la mesure dans laquelle les employés modifient leur comportement en matière de mobilité lorsqu’ils ont la possibilité de travailler à domicile. La littérature spécialisée met en lumière une série d’effets compensatoires (hausse du trafic de loisirs, allongement des trajets pour se rendre au travail, p. ex.) qui sont susceptibles de réduire, voire d’annuler la contribution du home office au désengorgement des infrastructures de transport. Comme celles-ci sont dimensionnées en fonction des pics de charge, il importe également de savoir comment le travail à domicile se répartit sur les jours de la semaine et comment la mobilité se répartit sur la journée.

La possibilité de travailler à domicile offre aux employés une plus grande flexibilité, qu’ils peuvent mettre à profit en fonction des conditions prévalant dans les transports, notamment en ce qui concerne la saturation des infrastructures. Selon les hypothèses du scénario «Base» des perspectives de transport 2050 utilisé par le DETEC pour la planification des infrastructures, le travail à domicile devrait contribuer d’ici 2050 à réduire la charge supportée par les infrastructures de transport. Selon les tendances sociétales, réglementaires et technologiques à l’œuvre, on peut aussi envisager des trajectoires alternatives dans lesquelles le télétravail n’entraînerait pas de désengorgement notable des infrastructures.

 

Des mesures d’amélioration ciblée des conditions-cadres déjà en place

Pour le Conseil fédéral, il est important que les avantages du télétravail soient exploités le plus largement possible. Des optimisations sont en cours dans divers domaines – cadre juridique, infrastructures de télécommunication et formes de travail flexibles dans l’administration fédérale. Au-delà de ces mesures, le Conseil fédéral ne voit actuellement pas de nécessité d’agir.

 

Communiqué de presse du DEFR du 08.05.2024 consultable ici

Rapport du Conseil fédéral du 08.05.2024 en réponse au postulat 20.3265 Pasquier-Eichenberger du 04.05.2020 disponible ici

 

Personnes exerçant une activité indépendante : clarification de la situation juridique et amélioration de la couverture sociale

Personnes exerçant une activité indépendante : clarification de la situation juridique et amélioration de la couverture sociale

 

Communiqué de presse du Parlement du 12.04.2024 consultable ici

 

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national souhaite augmenter la sécurité du droit pour les personnes exerçant une activité indépendante et pour de nouveaux modèles d’affaires, grâce à des critères clairs permettant de distinguer l’activité indépendante de l’activité salariée. Elle souhaite aussi introduire la possibilité pour les plateformes de verser les cotisations sociales des indépendants avec lesquels elles collaborent.

Par 17 voix contre 8, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) a approuvé son avant-projet de mise en œuvre de l’iv. pa. Grossen Jürg. Accorder la qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante en tenant compte de la volonté des parties (18.455).

Lors de la discussion par article, elle a décidé, par 13 voix contre 12, de prévoir une procédure d’examen en deux étapes pour la distinction entre activité lucrative indépendante et activité salariée («statut de cotisant»). Il s’agira ainsi d’examiner d’abord la situation économique réelle de la personne concernée. Si les conditions économiques ne sont pas suffisamment claires pour déterminer son statut, il faudra se référer aux accords écrits passés entre les parties.

Par 17 voix contre 8, la commission souhaite que le Conseil fédéral règle plus précisément, au niveau de l’ordonnance, les critères appliqués pour déterminer le statut de cotisant, à savoir le degré de subordination d’un point de vue organisationnel, le degré de risque entrepreneurial et les accords passés entre les parties.

Par 13 voix contre 11 et 1 abstention, elle souhaite en outre que les partenaires contractuels des personnes indépendantes, tels que les plateformes numériques, puissent aider celles-ci, sur une base volontaire, à verser leurs cotisations sociales.

La commission a chargé l’administration de finaliser l’avant-projet et de procéder à des clarifications supplémentaires, notamment en ce qui concerne les modalités actuelles d’application et les conséquences pour la Suisse de la nouvelle directive européenne sur le travail via une plateforme. Elle lancera la procédure de consultation sur le projet vraisemblablement au troisième trimestre.

 

Communiqué de presse du Parlement du 12.04.2024 consultable ici

 

Arrêts du TAF A-4721/2021 (d) et A-4350/2022 (d) du 03.01.2024 – La livraison de repas ne constitue pas un service postal

Arrêts du Tribunal administratif fédéral A-4721/2021 (d) du 03.01.2024

 

Arrêts du TAF A-4721/2021 et A-4350/2022

Communiqué de presse du TAF du 11.01.2024 consultable ici

 

La livraison de repas via une plateforme Internet ne constitue pas un service postal

 

Selon la loi sur la poste, les prestataires de services postaux sont soumis à l’obligation d’annonce, ce qui implique notamment qu’ils doivent garantir le respect des conditions de travail usuelles dans la branche et négocier une convention collective de travail avec les associations du personnel.

Après avoir observé que les envois express et de courrier relevaient de la loi sur la poste, l’autorité de régulation du marché postal PostCom a estimé que la livraison de repas devait être assimilée à un envoi postal, de sorte que Uber Portier B.V. et eat.ch GmbH étaient soumis à l’obligation d’annonce. Cette décision a été contestée par les deux entreprises devant le Tribunal administratif fédéral (TAF).

Selon la loi sur la poste, les prestataires de services postaux sont soumis à l’obligation d’annonce, ce qui implique notamment qu’ils doivent garantir le respect des conditions de travail usuelles dans la branche et négocier une convention collective de travail avec les associations du personnel.

Après avoir observé que les envois express et de courrier relevaient de la loi sur la poste, l’autorité de régulation du marché postal PostCom a estimé que la livraison de repas devait être assimilée à un envoi postal, de sorte que Uber Portier B.V. et eat.ch GmbH étaient soumis à l’obligation d’annonce. Cette décision a été contestée par les deux entreprises devant le Tribunal administratif fédéral (TAF).

 

Le transport de colis et de marchandises ne constitue pas un envoi postal

Le TAF estime que le législateur n’entendait pas déroger à la Constitution fédérale en soumettant les services express et de courrier à la loi sur la poste, de sorte que le transport de colis et de marchandises – dont les repas livrés – n’entre pas dans le champ d’application de cette loi. La livraison de repas ne saurait donc être assimilée à un envoi postal. Vu l’absence d’envois postaux, Uber Portier B.V. et eat.ch GmbH ne sont pas soumis à l’obligation d’annonce faite aux prestataires de services postaux. Leur recours doit donc être admis.

Les deux arrêts sont susceptibles de recours au Tribunal fédéral.

 

Arrêts du TAF A-4721/2021 et A-4350/2022

Communiqué de presse du TAF du 11.01.2024 consultable ici

 

4A_53/2023 (d) du 30.08.2023 – Fermeture d’entreprises décrétée par les autorités en raison du coronavirus : les employeurs ne restent pas tenus de payer le salaire

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_53/2023 (d) du 30.08.2023

 

Communiqué de presse du TF du 30.08.2023 disponible ici

NB : L’arrêt sera accessible sur le site du TF dès qu’il aura été rédigé (date encore inconnue)

 

Fermeture d’entreprises décrétée par les autorités en raison du coronavirus : les employeurs ne restent pas tenus de payer le salaire

 

En cas de fermeture d’entreprises décrétée par les autorités dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, les employeurs ne restent pas tenus de payer le salaire de leurs employés, dans la mesure où la perte de salaire n’est pas couverte par une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. Le Tribunal fédéral admet le recours d’une école privée contre un arrêt du Tribunal cantonal de Saint-Gall.

En janvier 2020, trois enseignants d’une école privée du canton de Saint-Gall ont résilié leurs rapports de travail pour fin août 2020. Mi-avril, l’employeuse leur a communiqué que l’école était fermée sur ordre des autorités en raison du coronavirus et que leur salaire serait réduit au prorata du travail non effectué. Dès lors que les intéressés avaient résilié leurs rapports de travail, il ne lui était pas possible de requérir une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail en leur faveur. Suite à cela, l’employeuse leur a versé des salaires réduits. En 2021, le Tribunal de district de Saint-Gall a admis l’action intentée par les employés et condamné l’employeuse au versement des arriérés de salaire. Le Tribunal cantonal a confirmé la décision. Il a considéré que la fermeture constituait un risque d’entreprise et que les enseignants avaient par conséquent droit à la poursuite du versement de leur salaire.

Lors de sa délibération publique du 30 août 2023, le Tribunal fédéral admet le recours de l’employeuse et renvoie la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision. En cas de fermeture d’entreprises décrétée par les autorités dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, les employeurs ne restent pas tenus de payer les salaires de leurs employés si l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail ne couvre pas la perte de salaire. Dans le cas concret, le Tribunal cantonal devra encore examiner si un enseignement 100% en ligne aurait été possible pendant la fermeture et si les heures négatives des employés auraient ainsi pu être évitées.

La doctrine est unanime sur le fait qu’une fermeture d’entreprises décrétée par les autorités ne relève pas de la sphère de risque des employés. Néanmoins, ce n’était manifestement pas non plus l’intention du législateur de faire supporter nécessairement aux employeurs tout risque qui ne pèse pas sur les travailleurs. Savoir si une circonstance relève du risque d’entreprise dont répond l’employeur s’apprécie au cas par cas. Des causes inhérentes à la personne de l’employeur entrent dans sa sphère de risque. En revanche, ne ressortissent pas à ladite sphère des raisons objectives, qui affectent tout un chacun de la même manière, respectivement n’affectent pas seulement spécifiquement l’employeur. Par le passé, le Tribunal fédéral a par exemple considéré que des troubles dus à la guerre ou des mesures d’économie de guerre constituaient de telles raisons objectives. La fermeture d’entreprises décrétée par les autorités dans le cadre de la lutte contre le coronavirus doit également être considérée comme une raison objective ne fondant pas un droit à la poursuite du paiement du salaire par l’employeur. La fermeture concernait tout un chacun ; les employeurs se seraient exposés à des risques juridiques considérables s’ils s’y étaient opposés.

C’est à la Confédération qu’il revenait de compenser le préjudice financier subi par les travailleurs suite à la fermeture d’entreprises décrétée. Pour les pertes de travail supportées par les entreprises, il était possible de recourir à l’indemnité de réduction de l’horaire de travail, qui couvrait 80% du salaire mensuel. Dans le cas d’espèce, cette possibilité n’existait pas puisque les trois employés concernés avaient déjà donné leur congé.

 

 

Communiqué de presse du TF du 30.08.2023 disponible ici. L’arrêt sera accessible sur le site du Tribunal fédéral dès qu’il aura été rédigé (date encore inconnue).

Chiusure aziendali decretate dall’autorità a causa del coronavirus: il datore di lavoro non è tenuto a continuare a versare il salario; Comunicato stampa del Tribunale federale del 30.08.2023 disponibile qui. La sentenza sarà consultabile dopo redazione della motivazione scritta sul sito del Tribunale federale (data ancora sconosciuta).

Behördliche Betriebsschliessungen wegen Coronavirus: Keine Pflicht der Arbeitgeber zur Lohnfortzahlung; Medienmitteilung des Bundesgerichts vom 30.08.2023 hier verfügbar. Das Urteil wird nach Vorliegen der schriftlichen Begründung auf der Website des Bundesgerichts veröffentlicht (Datum noch nicht bekannt).

 

2C_546/2021 (f) du 31.10.2022, destiné à la publication – L’indemnité pour licenciement abusif est exonérée d’impôt – 336a CO

Arrêt du Tribunal fédéral 2C_546/2021 (f) du 31.10.2022, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 29.11.2022 consultable ici

 

L’indemnité pour licenciement abusif est exonérée d’impôt / 336a CO

 

L’indemnité versée par l’employeur au travailleur suite à un licenciement abusif est exonérée d’impôt. L’indemnité a essentiellement le caractère d’indemnité pour tort moral et compte ainsi entièrement au nombre des revenus exonérés d’impôt.

Une employée d’une entreprise de transport vaudoise a été licenciée en 2016 et libérée de son obligation de travailler jusqu’à la fin du délai de congé. L’intéressée a par la suite intenté une action pour licenciement abusif contre son employeur. Dans le cadre de l’audience de conciliation, ce dernier s’est engagé à verser 25’000 francs. En 2020, l’administration cantonale des impôts du canton de Vaud a décidé que cette indemnité était imposable à titre de revenu. En 2021, le Tribunal cantonal du canton de Vaud a en revanche jugé que les 25’000 francs ne constituaient pas un revenu imposable.

Le Tribunal fédéral rejette le recours de l’administration cantonale des impôts. Selon le Code des obligations (CO), en cas de résiliation abusive, l’employeur doit verser une indemnité dont le montant peut atteindre jusqu’à six mois de salaire (article 336a CO). En l’espèce, le Tribunal administratif pouvait légitimement partir du principe que l’indemnité avait été versée par l’employeur en reconnaissance d’un licenciement abusif. Selon la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, les versements à titre de réparation du tort moral font partie des revenus exonérés de l’impôt. Le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que, du point de vue fiscal, l’indemnité versée en vertu de l’article 336a CO doit être entièrement considérée comme une indemnité pour tort moral exonérée d’impôt. L’indemnité a pour but de dédommager le travailleur pour le tort qu’il a subi du fait de son licenciement abusif. A cet égard, il n’est pas pertinent que le paiement serve en outre à sanctionner le comportement de l’employeur.

 

 

Arrêt 2C_546/2021 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 29.11.2022 consultable ici

 

Motion Nantermod 22.3630 «Créer un nouveau statut pour les travailleurs de plateforme indépendants et garantir leur protection sociale» – Avis du Conseil fédéral

Motion Nantermod 22.3630 «Créer un nouveau statut pour les travailleurs de plateforme indépendants et garantir leur protection sociale» – Avis du Conseil fédéral

 

Consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé de créer un nouveau statut pour les travailleurs de plateforme indépendants. L’objectif sera qu’ils bénéficient d’une sécurité suffisante sur le plan juridique et en matière de planification. Ils pourront ainsi jouir à la fois de la flexibilité qu’ils désirent et d’une protection contre certains risques sociaux. Ce nouveau statut pourra être inscrit dans le code des obligations en tant que forme alternative au contrat de travail.

 

Développement

Dans son rapport « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales », le Conseil fédéral relève que l’économie de plateforme recèle un important potentiel économique. Il s’abstient toutefois pour l’heure d’adapter les bases légales à l’évolution de l’économie. Conséquence, nombre d’entreprises de l’économie numérique actives au niveau international préfèrent éviter la Suisse et n’y proposent pas leurs services, tandis que la création et la croissance des sociétés suisses sont entravées ou rendues inutilement compliquées.

Des prestataires de différentes branches (jardiniers, personnel de nettoyage, coursiers, comptables ou encore consultants) proposent depuis plusieurs années leurs services via des plateformes. Cette évolution est de plus en plus remise en question par les autorités d’exécution et les tribunaux, comme on l’a vu récemment avec l’arrêt du Tribunal fédéral concernant l’entreprise Uber à Genève. Il serait toutefois souhaitable que les prestataires suisses puissent eux aussi profiter de la flexibilisation du monde du travail, sans que cela se fasse au prix d’une couverture sociale insuffisante.

Afin de ne pas nuire plus longtemps à l’essor d’une branche au potentiel économique important et de mettre fin aux incertitudes qui entourent la protection sociale de ses prestataires, le Conseil fédéral est chargé de définir un nouveau statut pour les travailleurs de plateforme indépendants, ce qui permettra par ailleurs d’encourager l’entrepreneuriat.

Les garanties attachées à ce nouveau statut seront réduites au minimum et consisteront principalement en une couverture sociale appropriée en matière de prévoyance vieillesse. Lorsqu’une relation contractuelle conférant un tel statut est établie, les parties manifesteront toutes deux leur accord à cet égard, étant entendu que cela n’affecte pas les solutions particulières qui pourront avoir été convenues entre partenaires sociaux.

 

Avis du Conseil fédéral du 24.08.2022

Par le postulat du Groupe libéral-radical du 13 décembre 2017 (17.4087 « Société numérique. Etudier la création d’un nouveau statut de travailleur ? »), le Parlement avait déjà chargé le Conseil fédéral d’examiner l’opportunité de créer un nouveau statut pour les travailleurs de plateforme et d’en exposer les avantages et les inconvénients. Le Conseil fédéral a rempli ce mandat en publiant, le 27 octobre 2021, le rapport « Numérisation : examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) ».

Le rapport montre que la question de savoir si une personne relèverait ou non de ce nouveau statut pourrait entraîner de nouveaux problèmes de délimitation entre les différentes formes d’activité et des litiges de longue durée. Ainsi, l’objectif de simplifier les choses et d’instaurer une sécurité du droit et de la planification serait clairement manqué.

Le système dual, qui opère une distinction entre salarié et indépendant, est présent dans tout l’ordre juridique suisse. L’introduction d’un troisième statut serait en contradiction fondamentale avec le droit des assurances sociales, et de nombreuses adaptations s’imposeraient. Comme le système dual est inscrit dans la Constitution fédérale (art. 113 et 114 Cst.), celle-ci devrait être modifiée avant que des modifications législatives puissent être mises en œuvre.

De nombreuses adaptations seraient également nécessaires dans les relations internationales, car il n’existe que deux statuts dans les conventions de sécurité sociale.

Selon son aménagement, l’introduction d’un troisième statut pourrait avoir pour conséquence que les personnes actuellement considérées comme salariées perdent la protection des assurances sociales fournie par leurs employeurs (assurance-chômage, assurance-accidents obligatoire et prévoyance professionnelle obligatoire).

Le Conseil fédéral estime que la distinction, au niveau des cotisations, entre salarié et indépendant est suffisamment souple, car elle couvre toutes les formes d’emploi, même ceux de l’économie de plateforme.

 

Proposition du Conseil fédéral du 24.08.2022

Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion.

 

 

Motion Nantermod 22.3630 «Créer un nouveau statut pour les travailleurs de plateforme indépendants et garantir leur protection sociale» consultable ici

Mozione Nantermod 22.3630 “Indipendenti che lavorano per piattaforme digitali. Nuovo statuto per garantire la copertura sociale” disponibile qui

Motion Nantermod 22.3630 «Neuer Status für Selbständige in Plattform-Beschäftigung. Soziale Absicherung sicherstellen» hier verfügbar

 

Portage salarial et assurances sociales

Portage salarial et assurances sociales

 

Feuille d’information «Portage salarial» de l’OFAS du 30.06.2022 disponible ici

 

Le modèle du portage salarial, développé en France, est aussi de plus en plus proposé en Suisse. Il est régulièrement utilisé pour annoncer comme salariées auprès des assurances sociales des personnes qui sont en réalité indépendantes.

La personne indépendante travaille pour des clients qu’elle a elle-même recrutés (mandat, ouvrage ou prestation de service), sans être liée par des instructions, elle supporte le risque entrepreneurial et est seule responsable. L’entreprise de portage interposée, qui se charge uniquement de la facturation et de l’encaissement auprès de la clientèle, décompte les honoraires auprès des assurances sociales en tant qu’employeur fictif. Une telle pratique n’est pas conforme au droit suisse des assurances sociales et peut conduire au refus de certaines prestations.

 

Du point de vue des assurances sociales

Dans le domaine des assurances sociales, la délimitation entre l’activité salariée et l’activité indépendante est décisive, notamment pour l’affiliation à l’assurance chômage, à la prévoyance professionnelle obligatoire et à l’assurance accidents obligatoire. Les critères de délimitation déterminants ont été fixés par le Tribunal fédéral dans une jurisprudence bien établie depuis de nombreuses années. Ils sont obligatoires pour toutes les assurances sociales.

L’intégration dans l’organisation du travail, la subordination à l’entreprise de l’employeur et le fait d’être lié à lui par des instructions parlent en faveur d’une activité lucrative salariée. Le fait d’assumer un risque entrepreneurial important, notamment l’engagement de capitaux, la responsabilité, le risque d’encaissement et de perte, ainsi que le fait d’agir en son propre nom et pour son propre compte, sont des caractéristiques d’une activité lucrative indépendante. Il convient d’examiner, en fonction des circonstances concrètes de chaque cas, quels critères sont prépondérants. Les rapports de droit civil – comme la conclusion d’un contrat de travail – n’ont qu’un caractère indicatif. Les accords passés par les parties contractantes sur leur statut d’indépendant ou de salarié ne sont pas contraignants pour les assurances sociales.

Dans le cas du portage salarial, l’entreprise de portage n’est pas responsable de l’acquisition de clients, n’exerce pas de droit d’instruction sur l’exécution concrète du travail et n’assume aucune responsabilité. L’indépendant n’est pas non plus intégré dans l’organisation du travail de l’entreprise de portage, mais assume en permanence l’intégralité du risque entrepreneurial. Si l’indépendant ne parvient pas à décrocher de contrats, il ne gagne rien. Il doit en outre subvenir seul à l’exploitation de son entreprise, c’est-à-dire notamment se procurer et entretenir les locaux et l’équipement nécessaires, et il en assume lui-même la responsabilité.

Le simple fait que l’indépendant facture par l’intermédiaire de l’entreprise de portage, qu’il n’agisse souvent pas en son nom propre, mais qu’il fasse conclure le contrat avec la clientèle par l’intermédiaire de l’entreprise de portage et qu’il n’établisse pas lui-même le décompte des cotisations d’assurance sociale, ne fait pas de lui une personne salariée, ni d’ailleurs de l’entreprise de portage un employeur. Il s’agit plutôt d’un statut fictif de salarié. Du point de vue du droit des assurances sociales, les personnes qui décomptent via le portage salarial sont donc en général considérées comme des indépendants.

Si les assurances sociales constatent que des personnes qui sont effectivement indépendantes sont annoncées comme salariées, elles les traitent comme des indépendants. Cela peut par exemple conduire à un refus de prestations de l’assurance chômage.

 

 

Feuille d’information «Portage salarial» de l’OFAS du 30.06.2022 disponible ici

Bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC No 453 du 01.07.2022, « Portage salarial », disponible ici

Page « Portage salarial » sur le site de l’OFAS ici

 

Factsheet «Accompagnamento salariale» dell’UFAS del 30.06.2022, disponibile qui

Factsheet « Lohnträgerschaft » des BSV vom 30.06.2022, hier verfügbar

 

 

2C_575/2020 (f) et 2C_34/2021 (f) du 30.05.2022 – Arrêts concernant le service de transport «Uber» et le service de livraison de repas «Uber Eats»

Arrêts du Tribunal fédéral 2C_575/2020 (f)  et 2C_34/2021 (f) du 30.05.2022, destinés à la publication

 

Communiqué de presse du TF du 03.06.2022 consultable ici

Arrêt 2C_575/2020 consultable ici

Arrêt 2C_34/2021 consultable ici

 

Arrêts concernant le service de transport «Uber» et le service de livraison de repas «Uber Eats»

 

Le Tribunal fédéral rend deux arrêts concernant respectivement le service de transport «Uber» et le service de livraison de repas «Uber Eats». La société «Uber Switzerland GmbH» («Uber CH»), de siège à Zurich, et, en outre, dans une des procédures, la société néerlandaise «Uber B.V.», avaient contesté deux arrêts de la Cour de justice du canton de Genève. Selon le Tribunal fédéral, la Cour de justice n’est pas tombée dans l’arbitraire concernant le service de transport en retenant une relation de travail entre les chauffeurs Uber opérant à Genève et «Uber B.V.». Le Tribunal fédéral rejette le recours correspondant. S’agissant du service de livraison de repas, le Tribunal fédéral conclut que les livreurs doivent certes être considérés comme des employés, mais qu’il n’y a en revanche pas de contrat de location de services avec les restaurateurs. Il admet partant le recours relatif à cette cause.

En ce qui concerne le service de transport «Uber», le Service genevois de police du commerce et de lutte contre le travail au noir a décidé en 2019 qu’«Uber B.V.» devait être qualifiée d’exploitant d’entreprise de transport au sens de la loi cantonale genevoise sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur. En tant que telle, «Uber B.V.» devait respecter les obligations légales correspondantes, en particulier celles relatives à la protection sociale des chauffeurs et aux conditions de travail en usage dans leur secteur d’activité. Il a été fait interdiction à l’entreprise (et, en tant que de besoin, également à «Uber CH») de poursuivre ses activités, tant que la situation ne serait pas conforme au droit. Les autorités genevoises ont communiqué leur décision à différentes autorités fédérales et d’autres autorités genevoises, en particulier celles en charge de la mise en œuvre de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP). La Cour de justice du canton de Genève a confirmé cette décision. Elle a en substance considéré que les chauffeurs Uber actifs à Genève étaient liés à «Uber B.V.» par un contrat de travail, de sorte que cette société devait être qualifiée d’entreprise de transport.

Concernant «Uber Eats», l’Office cantonal de l’emploi genevois a décidé en 2019 que le service de livraison de repas devait être qualifié de location de services, relevant de la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LSE). «Uber CH» devait par conséquent inscrire sa succursale de Genève au Registre du commerce de Genève et demander une autorisation conformément aux exigences de la LSE. La Cour de justice du canton de Genève a également confirmé cette décision.

Pour ce qui a trait au service de transport «Uber» (procédure 2C_34/2021), le Tribunal fédéral rejette le recours d’«Uber CH» et «Uber B.V.». Comme le litige porte sur l’application du droit cantonal, la cognition du Tribunal fédéral est limitée à l’arbitraire et aux griefs constitutionnels invoqués. Selon le Tribunal fédéral, il n’est pas arbitraire de retenir que les chauffeurs Uber opérant à Genève étaient liés à la société «Uber B.V.» par un contrat de travail, compte tenu des caractéristiques des relations contractuelles. Partant, il n’est pas insoutenable de qualifier «Uber B.V.» d’entreprise de transport au sens de la législation cantonale genevoise. Le Tribunal fédéral n’a pas à déterminer dans la présente cause si le système mis en place par «Uber B.V.» est conforme à l’ALCP. Il reviendra aux autorités compétentes de se prononcer sur ce point.

S’agissant du service de livraison de repas «Uber Eats» (procédure 2C_575/2020), le Tribunal fédéral admet le recours d’«Uber CH» et annule la décision attaquée. Le Tribunal fédéral conclut qu’il n’y a pas de location de services. La location de services désigne des relations tripartites entre un employeur (bailleur), une entreprise locataire et un travailleur. Elle implique deux contrats : d’une part un contrat de travail (au sens des articles 319 ss du Code des obligations) entre le bailleur de services et le travailleur et, d’autre part, un contrat de location de services entre le bailleur et le locataire de services. Compte tenu des caractéristiques des relations contractuelles, le Tribunal fédéral retient qu’il existe une relation de travail entre Uber et les livreurs. En revanche, il n’y a pas de contrat de location de services entre Uber et les restaurateurs, à défaut en particulier d’un transfert du pouvoir de direction aux restaurateurs et d’une intégration des livreurs dans l’organisation des restaurants.

 

 

Arrêt 2C_575/2020 consultable ici

Arrêt 2C_34/2021 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 03.06.2022 consultable ici