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Motion Piller Carrard 23.4526 «Droit aux allocations familiales en cas de maladie» – Avis du Conseil fédéral

Motion Piller Carrard 23.4526 «Droit aux allocations familiales en cas de maladie» – Avis du Conseil fédéral

 

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Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé de modifier l’ordonnance sur les allocations familiales pour prolonger le droit aux allocations pour une durée d’un an au moins en cas de maladie de longue durée.

 

Développement

S’agissant d’une situation d’injustice en cas de maladie de longue durée, plusieurs interventions ont déjà été déposées sur ce sujet pour demander une adaptation de la législation. En effet, suite à la réponse de l’objet 13.1017 «Des enfants peuvent-ils encore être privés d’allocations familiales en Suisse ?», nous constatons qu’un enfant peut être privé d’allocations familiales pour cause de maladie d’un de ses parents.

Le Conseil fédéral a répondu être «conscient du fait qu’en cas de maladie de longue durée lorsque l’autre parent ou un autre ayant droit ne peut prétendre à des allocations familiales en tant que salarié ou indépendant, une lacune peut apparaître», et s’est dit «disposé à examiner si des solutions pourraient être proposées au niveau du droit fédéral pour combler cette lacune».

Actuellement, le droit aux allocations familiales est lié au droit au salaire. En cas de maladie ou d’accident, les allocations familiales sont encore versées à partir du début de l’empêchement de travail pendant le mois en cours et les trois mois suivants (art. 10 al. 1 OAFam). Si pour une raison ou pour une autre, l’autre parent ne peut prétendre à ce droit et ainsi remédier à la perte de droit transitoire de la personne malade, ce droit à l’allocation peut être suspendu avec un effet sur la capacité financière de toute une famille.

Un moyen simple de combler cette lacune en cas de maladie de longue durée serait donc d’étendre le délai donnant droit aux allocations de trois mois à un an.

 

Avis du Conseil fédéral du 21.02.2024

Le droit aux allocations familiales existe, pour les salariés, tant qu’il existe un droit au salaire. Toutefois, l’ordonnance sur les allocations familiales (OAFam ; RS 836.21) prévoit que lorsque le droit au salaire d’un salarié s’éteint pour cause de maladie, les allocations familiales sont encore versées, à partir du début de l’empêchement de travail, pendant le mois en cours et les trois mois suivants (art. 10, al. 1, OAFam). Afin d’éviter des démarches administratives ou d’induire des frais inutiles, ce droit existe même si l’autre parent peut prétendre à des allocations familiales. Depuis le 1er janvier 2013, cette règle est applicable par analogie aux indépendants en cas d’interruption de l’activité lucrative pour cause de maladie.

Le Conseil fédéral a eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur la proposition d’étendre le délai donnant droit aux allocations pour une durée d’un an (question Fridez Pierre-Alain 13.1017 «Des enfants peuvent-ils encore être privés d’allocations familiales en Suisse ?», motion Robbiani 11.3947 «Droit aux allocations familiales en cas de maladie de longue durée» et motion Robbiani 09.3571 «Droit aux allocations familiales en cas de maladie»). Son avis selon lequel le délai fixé dans l’ordonnance est approprié et se justifie par des arguments d’ordre financier reste d’actualité. Lorsque le droit au salaire d’une personne s’éteint ou qu’il est remplacé par des indemnités journalières de l’assurance-maladie ou accidents, son employeur n’est en effet plus tenu de verser des cotisations pour financer les allocations familiales. Partant, la personne empêchée de travailler ne pourra percevoir les allocations familiales qu’en tant que personne sans activité lucrative et après modification de son statut dans l’assurance-vieillesse et survivants (AVS).

Les allocations familiales versées aux personnes sans activité lucrative sont financées par les cantons. L’article 21 LAFam, en combinaison avec l’article 18 OAFam, leur octroie de larges compétences pour ce type d’allocation. Ils peuvent par conséquent élever la limite de revenu ou la supprimer (le Tessin, Vaud, Genève et le Jura ont déjà fait usage de cette compétence) ou même élargir le cercle des bénéficiaires. Les cantons auraient donc la possibilité de reconnaître aux personnes empêchées de travailler, sans droit au salaire, mais encore considérées comme salariées par l’AVS, un droit aux allocations familiales pour personnes sans activité lucrative.

Certes, une lacune en matière de couverture peut apparaître, sans qu’il soit toutefois possible de préciser le nombre de personnes concernées. Dans le cadre des travaux en vue de la prochaine réforme de l’AVS, seront examinées l’opportunité et, le cas échéant, quelles adaptations pourraient être apportées à la définition du revenu soumis à cotisation.

 

Proposition du Conseil fédéral du 21.02.2024

Rejet

 

Motion Piller Carrard 23.4526 «Droit aux allocations familiales en cas de maladie» consultable ici

 

4A_53/2023 (d) du 30.08.2023 – Fermeture d’entreprises décrétée par les autorités en raison du coronavirus : les employeurs ne restent pas tenus de payer le salaire

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_53/2023 (d) du 30.08.2023

 

Communiqué de presse du TF du 30.08.2023 disponible ici

NB : L’arrêt sera accessible sur le site du TF dès qu’il aura été rédigé (date encore inconnue)

 

Fermeture d’entreprises décrétée par les autorités en raison du coronavirus : les employeurs ne restent pas tenus de payer le salaire

 

En cas de fermeture d’entreprises décrétée par les autorités dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, les employeurs ne restent pas tenus de payer le salaire de leurs employés, dans la mesure où la perte de salaire n’est pas couverte par une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. Le Tribunal fédéral admet le recours d’une école privée contre un arrêt du Tribunal cantonal de Saint-Gall.

En janvier 2020, trois enseignants d’une école privée du canton de Saint-Gall ont résilié leurs rapports de travail pour fin août 2020. Mi-avril, l’employeuse leur a communiqué que l’école était fermée sur ordre des autorités en raison du coronavirus et que leur salaire serait réduit au prorata du travail non effectué. Dès lors que les intéressés avaient résilié leurs rapports de travail, il ne lui était pas possible de requérir une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail en leur faveur. Suite à cela, l’employeuse leur a versé des salaires réduits. En 2021, le Tribunal de district de Saint-Gall a admis l’action intentée par les employés et condamné l’employeuse au versement des arriérés de salaire. Le Tribunal cantonal a confirmé la décision. Il a considéré que la fermeture constituait un risque d’entreprise et que les enseignants avaient par conséquent droit à la poursuite du versement de leur salaire.

Lors de sa délibération publique du 30 août 2023, le Tribunal fédéral admet le recours de l’employeuse et renvoie la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision. En cas de fermeture d’entreprises décrétée par les autorités dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, les employeurs ne restent pas tenus de payer les salaires de leurs employés si l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail ne couvre pas la perte de salaire. Dans le cas concret, le Tribunal cantonal devra encore examiner si un enseignement 100% en ligne aurait été possible pendant la fermeture et si les heures négatives des employés auraient ainsi pu être évitées.

La doctrine est unanime sur le fait qu’une fermeture d’entreprises décrétée par les autorités ne relève pas de la sphère de risque des employés. Néanmoins, ce n’était manifestement pas non plus l’intention du législateur de faire supporter nécessairement aux employeurs tout risque qui ne pèse pas sur les travailleurs. Savoir si une circonstance relève du risque d’entreprise dont répond l’employeur s’apprécie au cas par cas. Des causes inhérentes à la personne de l’employeur entrent dans sa sphère de risque. En revanche, ne ressortissent pas à ladite sphère des raisons objectives, qui affectent tout un chacun de la même manière, respectivement n’affectent pas seulement spécifiquement l’employeur. Par le passé, le Tribunal fédéral a par exemple considéré que des troubles dus à la guerre ou des mesures d’économie de guerre constituaient de telles raisons objectives. La fermeture d’entreprises décrétée par les autorités dans le cadre de la lutte contre le coronavirus doit également être considérée comme une raison objective ne fondant pas un droit à la poursuite du paiement du salaire par l’employeur. La fermeture concernait tout un chacun ; les employeurs se seraient exposés à des risques juridiques considérables s’ils s’y étaient opposés.

C’est à la Confédération qu’il revenait de compenser le préjudice financier subi par les travailleurs suite à la fermeture d’entreprises décrétée. Pour les pertes de travail supportées par les entreprises, il était possible de recourir à l’indemnité de réduction de l’horaire de travail, qui couvrait 80% du salaire mensuel. Dans le cas d’espèce, cette possibilité n’existait pas puisque les trois employés concernés avaient déjà donné leur congé.

 

 

Communiqué de presse du TF du 30.08.2023 disponible ici. L’arrêt sera accessible sur le site du Tribunal fédéral dès qu’il aura été rédigé (date encore inconnue).

Chiusure aziendali decretate dall’autorità a causa del coronavirus: il datore di lavoro non è tenuto a continuare a versare il salario; Comunicato stampa del Tribunale federale del 30.08.2023 disponibile qui. La sentenza sarà consultabile dopo redazione della motivazione scritta sul sito del Tribunale federale (data ancora sconosciuta).

Behördliche Betriebsschliessungen wegen Coronavirus: Keine Pflicht der Arbeitgeber zur Lohnfortzahlung; Medienmitteilung des Bundesgerichts vom 30.08.2023 hier verfügbar. Das Urteil wird nach Vorliegen der schriftlichen Begründung auf der Website des Bundesgerichts veröffentlicht (Datum noch nicht bekannt).

 

8C_59/2022 (f) du 06.09.2022 – Couverture d’assurance obligatoire – 1a LAA / Examen du rapport de subordination et du droit au salaire pour un ouvrier cultivant du cannabis / Contrat de travail de complaisance – Vraisemblance de l’existence d’une relation de travail niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_59/2022 (f) du 06.09.2022

 

Consultable ici

 

Couverture d’assurance obligatoire / 1a LAA – 1 OLAA

Examen du rapport de subordination et du droit au salaire pour un ouvrier cultivant du cannabis

Contrat de travail de complaisance – Vraisemblance de l’existence d’une relation de travail niée

Question laissée indécise sur le caractère illégal de l’activité (production de stupéfiants)

 

Le 13.06.2018, A.__, né en 1989, a été grièvement blessé lors d’une explosion, suivie d’un incendie, survenue dans l’appartement qu’il occupait dans un bâtiment agricole, propriété des époux B.__ et C.__. Deux procédures pénales ont été ouvertes par le Ministère public du canton de Genève à la suite de cet événement.

Par courriel du 26.06.2018, AgriGenève, association faîtière de l’agriculture genevoise, a adressé à l’assurance-accidents une déclaration d’accident signée par C.__, qui y était inscrit comme employeur, dans laquelle il était notamment indiqué que A.__ avait été engagé le 01.04.2017 en qualité d’employé agricole.

Par courrier du 24.12.2018, B.__ a informé l’assurance-accidents qu’elle avait conclu un contrat de travail avec A.__ « à la demande » de ce dernier. Elle avait « agi dans le seul but de [lui] rendre service » et se rendait compte qu’elle avait été « très naïve ». L’intéressé n’avait toutefois jamais travaillé pour elle, elle ne lui avait jamais versé de salaire et le « contrat ne correspond[ait] pas à la réalité ».

Par décision du 18.02.2019, confirmée sur opposition, l’assurance a refusé de prendre en charge les suites de l’accident du 13.06.2018, au motif que A.__ n’était pas un travailleur occupé dans l’exploitation agricole de C.__.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1270/2021 – consultable ici)

Par jugement du 10.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire contre les accidents les travailleurs occupés en Suisse. Aux termes de l’art. 1 OLAA, est réputé travailleur selon l’art. 1a al. 1 LAA quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants. De manière générale, la jurisprudence considère comme tel la personne qui, dans un but lucratif ou de formation et sans devoir supporter de risque économique propre, exécute durablement ou provisoirement un travail pour un employeur, auquel il est plus ou moins subordonné (ATF 144 V 411 consid. 4.2; 115 V 55). Ce sont donc avant tout les personnes au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO ou qui sont soumises à des rapports de service de droit public qui sont ici visées. Dans le doute, la qualité de travailleur doit être déterminée, de cas en cas, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment au regard de l’existence d’une prestation de travail, d’un lien de subordination et d’un droit au salaire sous quelque forme que ce soit (arrêts 8C_611/2019 du 11 mai 2020 consid. 3.1 et les références; 8C_538/2019 du 24 janvier 2020 consid. 2.3 et les références, in SVR 2020 UV n° 22 p. 85).

Consid. 3.2
La cour cantonale a d’abord exposé que le recourant indiquait avoir travaillé pour le compte de C.__ en cultivant des plants de cannabis et en procédant à leur transformation dans la cave se trouvant au sous-sol du bâtiment propriété des époux B.__ et C.__. Le recourant se prévalait de la jurisprudence selon laquelle, dans l’assurance-accidents, le gain pouvait aussi bien provenir d’une activité licite que d’une occupation illicite, en particulier d’un « travail au noir » (arrêt 8C_676/2007 du 11 mars 2008 consid. 3.3.4; cf. ATF 121 V 321 à propos d’un ouvrier agricole étranger sans permis de travail) pour soutenir qu’il devait être considéré comme un travailleur au sens de la LAA, alors que selon l’assurance-accidents, la jurisprudence en question visait des activités légales mais non autorisées pour des raisons administratives. Les juges cantonaux ont relevé qu’à suivre le raisonnement du recourant, le contrat de travail le liant à C.__ portait sur des produits stupéfiants. Il devrait donc être considéré comme nul en application de l’art. 20 CO dès lors que les cocontractants poursuivaient un but illicite (cf. arrêt 6B_986/2008 du 20 avril 2009 consid. 4.2), ce qui n’était pas le cas du contrat de travail par lequel l’employeur utilisait les services d’un travailleur étranger qui n’était pas au bénéfice d’une autorisation de travail (cf. ATF 137 IV 305 consid. 3.3 et les références). Dans la mesure où la nullité déployait un effet ex tunc, le droit à des prestations de l’assurance-accidents était exclu pour ce motif déjà, le recourant ne revêtant pas la qualité de travailleur au sens de l’art. 1a aI. 1 let. a LAA.

Consid. 3.3
La cour cantonale a ensuite exposé que le recourant n’avait de toute manière pas réussi à démontrer, au degré de la vraisemblance prépondérante requise en assurances sociales (cf. ATF 135 V 39 consid. 5.1; 126 V 353 consid. 5b), l’existence d’une relation de travail le liant aux époux B.__ et C.__.

Consid. 3.3.1
A cet égard, il convenait d’emblée de rappeler que le recourant et les époux B.__ et C.__ avaient adopté des positions diamétralement opposées s’agissant du caractère fictif du contrat de travail mentionnant une entrée en fonction le 01.04.2017 et un salaire mensuel brut de 3576 fr. 35. […] Au vu des positions très différentes du recourant et des époux B.__ et C.__ quant au caractère fictif du contrat de travail, il convenait d’examiner l’ensemble des circonstances afin de déterminer si le recourant dépendait des époux B.__ et C.__ quant à l’organisation du travail et du point de vue économique. A ce sujet, la cour cantonale a relevé qu’outre le contrat de travail écrit (non daté, conclu entre C.__ et le recourant) – qui ne suffisait pas en tant que tel à établir un rapport de travail -, le recourant avait également produit un extrait de compte individuel faisant état d’un revenu de 32’187 fr. en 2017, un certificat de salaire pour l’année 2017 mentionnant un salaire brut de 32’187 fr. 15, une déclaration de cessation définitive d’activité indépendante « suite à [son] engagement en tant que salarié » adressée à l’Office cantonal des assurances sociales le 13 juillet 2017 ainsi que deux contrats de bail, dont le premier, daté du 1er août 2016 et non signé, mentionnait un loyer de 1500 fr. par mois tandis que le deuxième, signé et daté du 01.04.2017, mentionnait un loyer de 300 fr.

Consid. 3.3.2
S’agissant d’abord du rapport de subordination, le dossier ne permettait pas de retenir que les époux B.__ et C.__ intervenaient dans l’organisation du travail du recourant en lui donnant des ordres ou en exigeant des comptes. Au contraire, lors de son audition devant la police judiciaire, le recourant avait expliqué qu’il achetait les graines, qu’il plantait et arrosait dans la cave; il s’occupait de la vente et tenait la comptabilité pour « notre business »; il recevait ainsi le produit des ventes qu’il reversait aux époux B.__ et C.__. Or ce fonctionnement reflétait davantage celui d’un indépendant, d’autant plus que le recourant avait lui-même recruté un associé qu’il payait lui-même en lui fournissant du cannabis. Quant à la nature de ses activités, le recourant avait indiqué en audience que son travail était principalement consacré à la plantation. Lorsqu’il n’y avait plus de travail, il faisait d’autres tâches (balayage, nettoyage), étant précisé que, devant la police judiciaire, il avait estimé qu’il travaillait à 80% pour la plantation et le reste autour de la ferme. Or, entendus dans le cadre de la procédure pénale, les employés de la ferme avaient tous déclaré n’avoir jamais aperçu le recourant travailler sur la ferme. Tous ces éléments parlaient ainsi en défaveur d’une situation de subordination.

Consid. 3.3.3
S’agissant ensuite de l’existence d’un droit au salaire en juin 2018, les juges cantonaux ont relevé que le recourant n’avait pas été en mesure d’apporter la preuve qu’un salaire aurait effectivement été versé. Aucune fiche de salaire, ni virement bancaire ou décompte de paiement en faveur du recourant, n’avaient été versés au dossier, étant précisé que, dans le cadre de la procédure pénale, les époux B.__ et C.__ avaient nié avoir versé un salaire au recourant. Or l’absence de versement de salaire tendait à démontrer l’absence d’une relation de travail. Si l’instruction avait certes permis d’établir que les époux B.__ et C.__ avaient pour habitude de verser l’ensemble des salaires des employés en espèces, il n’en restait pas moins qu’il existait de nombreuses incohérences dans les déclarations du recourant quant au montant et au mode de versement du salaire.

On pouvait d’ailleurs d’emblée s’étonner du salaire mensuel brut de 3576 fr. 35 convenu dans le contrat de travail, qui ne correspondait pas aux salaires pratiqués par les époux B.__ et C.__ pour les employés de l’exploitation agricole; il ressortait en effet du témoignage de D.__, employée de la fiduciaire, que ce salaire était « beaucoup plus élevé » que les salaires prévus dans les autres contrats de l’exploitation. À cela s’ajoutait qu’en plus de ce salaire, le recourant bénéficiait d’une réduction de loyer de 1200 fr., comme cela ressortait de la différence des contrats de bail. Une telle rémunération paraissait peu réaliste, en particulier dans le contexte d’une situation agricole difficile, D.__ ayant du reste précisé devant la Chambre des assurances sociales que le salaire lui paraissait trop élevé, compte tenu de la situation financière des époux B.__ et C.__.

Quant au mode de versement du salaire, force était de constater que les déclarations du recourant avaient varié. Questionné par la police judiciaire le 6 juin 2019, il avait expliqué qu’il faisait trois récoltes par an pour un chiffre d’affaires de 42’000 fr. par récolte, donnait 25’000 fr. sur chaque récolte aux époux B.__ et C.__, payait le matériel nécessaire à la plantation et gardait le solde (soit 17’000 fr.) comme salaire. En revanche, entendu en audience devant la Chambre des assurances sociales, il avait indiqué qu’un salaire d’environ 3500 fr. lui était versé chaque mois en mains propres dans une enveloppe.

Consid. 3.3.4
Il existait enfin de nombreuses contradictions s’agissant des circonstances entourant la conclusion du contrat de travail. D’après le recourant, le contrat avait été signé en présence d’une employée de la Fiduciaire E.__ SA. Or, entendues en audience devant la Chambre des assurances sociales, ni F.__, administratrice de ladite fiduciaire, ni D.__, employée de la fiduciaire à l’époque des faits, n’avaient déclaré avoir été présentes lors de la signature du contrat. D.__ avait par ailleurs indiqué devant la police judiciaire avoir rédigé le contrat de travail – ainsi que le bail à loyer – à la demande expresse de B.__ qui lui avait « clairement dit que c’était pour arranger la situation financière et administrative de A.__ et ce à sa demande. Il s’agi[ssait] de contrats de complaisance ». La témoin était certes partiellement revenue sur cette déclaration lors de son audition devant la Chambre des assurances sociales en déclarant qu’à l’époque, elle ne se demandait pas s’il s’agissait d’un contrat fictif, car pour elle, le recourant était employé de l’exploitation. Force était toutefois de constater que ses premières déclarations, selon lesquelles le contrat de travail était un contrat de complaisance, étaient corroborées par les éléments au dossier, soit en particulier l’absence de rapport de subordination et de droit au salaire.

Consid. 3.3.5
En définitive, il apparaissait que l’arrangement entre le recourant et les époux B.__ et C.__ était confus, compte tenu notamment des nombreuses contradictions entre les déclarations des intéressés. Tout portait à croire que les époux B.__ et C.__ et le recourant avaient trouvé un accord visant à servir les intérêts de chacun. Or cet arrangement paraissait davantage se rapprocher d’une société simple que d’un véritable contrat de travail. Autant d’incohérences et de contradictions notamment quant à l’existence d’une relation de travail, d’une rémunération et d’un rapport de subordination ne permettaient pas d’établir au degré de la vraisemblance prépondérante que le recourant était au bénéfice d’un contrat de travail soumis à rémunération lors de l’événement du 13.06.2018.

 

Consid. 4.2.1
Le recourant conteste d’abord l’appréciation des juges cantonaux selon laquelle le contrat de travail écrit conclu avec C.__ est un contrat de complaisance. Il se réfère aux déclarations faites par la témoin D.__ devant la Chambre des assurances sociales, à savoir notamment que si le salaire convenu était « beaucoup plus élevé que les salaires des autres contrats de l’exploitation », elle n’était « toutefois pas vraiment surprise vu qu’il s’agissait d’un ami du fils des époux B.__ et C.__ », que « la complaisance résidait dans le fait que [le recourant] était payé plus généreusement que les autres employés » et qu’ « il ne s’agissait pas d’un faux contrat, car [le recourant] travaillait dans l’entreprise ». Il se réfère en outre aux déclarations de la témoin F.__ selon lesquelles « pour [elle], il s’agissait de vrais contrats ».

Toutefois, les déclarations de la témoin D.__ devant la Chambre des assurances sociales contredisent celles qu’elle avait faites devant la police, lesquelles sont davantage susceptibles de refléter la réalité dès lors qu’elles sont plus proches dans le temps des faits litigieux et que selon la jurisprudence, il convient en principe de retenir les premières déclarations, faites alors que leur auteur n’était pas encore conscient des conséquences juridiques qu’elles auraient, tandis les nouvelles explications peuvent être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (ATF 121 V 45 consid. 2a et les références). Au surplus, la témoin D.__ a précisé qu’elle n’avait jamais mis les pieds sur le site, au contraire des employés de l’exploitation qui ont tous déclaré n’avoir jamais aperçu le recourant travailler sur la ferme. Quant à la témoin F.__, une citation complète de la phrase tronquée citée par le recourant montre que celle-ci ne lui est d’aucun secours, puisqu’il en ressort ce qui suit: « Vous me questionnez au sujet de la déclaration de Mme D.__ devant la Police le 9 janvier 2020. Je vous réponds que je n’avais pas connaissance du fait que les contrats de travail et de bail avaient été rédigés sur demande expresse de Mme B.__. Pour moi, il s’agissait de vrais contrats. Ce n’est qu’en décembre 2018 que je me suis rendu compte que les contrats n’étaient pas vrais, vu qu’il n’y avait pas de contre-prestations ». Le grief du recourant tombe par conséquent à faux.

 

Consid. 4.2.2
Le recourant conteste ensuite l’appréciation de la cour cantonale selon laquelle il n’a pas apporté la preuve qu’un salaire aurait effectivement été versé.

Il invoque à cet égard d’abord le fait que les époux B.__ et C.__ avaient l’habitude de verser les salaires en espèces, ainsi que les témoignages de D.__ et de F.__ selon lesquelles la fiduciaire enregistrait les salaires tels qu’indiqués sur les fiches de salaire, sans vérifier s’ils avaient été versés. Toutefois, si ces témoignages ne permettent pas d’exclure qu’un salaire ait été versé en espèces, ils ne permettent pas davantage d’établir que tel aurait été le cas.

Le recourant soutient également que son salaire n’était supérieur que de 8 à 15% à ceux des autres employés de l’exploitation (compris entre 3100 fr. et 3300 fr. selon la témoin D.__) et conteste que ses déclarations sur le versement du salaire aient été incohérentes. Force est toutefois de constater que le recourant a déclaré que son salaire lui était versé chaque mois dans une enveloppe, qu’il était d’environ 3500 fr. et comprenait une réduction de loyer, ce dont il faut déduire que son salaire effectif, compte tenu de la réduction de loyer de 1200 fr., aurait bel et bien été beaucoup plus élevé que celui des autres employés. Par ailleurs, les déclarations du recourant sur le montant et le versement de son salaire sont tout sauf « claires et constantes » comme il le prétend: il suffit de renvoyer sur ce point aux constatations de la cour cantonale.

 

Consid. 4.2.3
Le recourant conteste enfin l’appréciation de la cour cantonale selon laquelle le dossier ne permet pas de retenir l’existence d’un rapport de subordination. On ne voit toutefois pas ce qu’il entend tirer à cet égard de l’affirmation qu’il ne serait guère surprenant qu’aucun témoin ne l’ait vu travailler dans l’exploitation des époux B.__ et C.__ dès lors que son activité était illégale et qu’il devait ainsi faire preuve de discrétion. On ne voit pas non plus en quoi le fait qu’il donnait 25’000 fr. sur chaque récolte aux époux B.__ et C.__ en gardant comme rémunération le solde qui restait après avoir payé le matériel nécessaire à la plantation serait révélateur d’un lien de subordination. Pour le surplus, le recourant fonde son argumentation sur des faits qui ne trouvent aucune assise dans l’état de fait de l’arrêt attaqué, sans démontrer en quoi celui-ci aurait été établi de manière arbitraire.

 

Consid. 4.3
Il résulte de ce qui précède que l’arrêt attaqué échappe à la critique en tant qu’il retient qu’il n’est pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le recourant était au bénéfice d’un contrat de travail soumis à rémunération lors de l’événement du 13.06.2018. Dans ces conditions, il n’y a pas matière à examiner si, dans l’hypothèse où le recourant aurait été partie à un contrat de travail, le caractère illégal de son activité (production de stupéfiants) aurait exclu qu’il soit considéré comme travailleur au sens de l’art. 1a al. 1 let. a LAA.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 8C_59/2022 consultable ici