Archives par mot-clé : Résiliation anticipée des rapports de travail d’un commun accord

8C_761/2023 (f) du 06.06.2024 – Démission pour raisons médicales sans respecter le délai de congé / Suspension des indemnités de chômage – 30 LACI / Droit au salaire et aux indemnités journalières maladie – 324a CO

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_761/2023 (f) du 06.06.2024

 

Consultable ici

 

Démission pour raisons médicales sans respecter le délai de congé

Suspension des indemnités de chômage / 30 LACI

Droit au salaire et aux indemnités journalières maladie / 324a CO

 

Assuré, né en 1980, a travaillé pour C.__ SA depuis le 23.08.2010 en tant que chauffeur-livreur. Dès le 23.05.2022, il a été en incapacité de travail. Le 21.07.2022, son médecin traitant a constaté qu’il devait changer de profession « pour raison de santé et pathologie lombaire ». Le 09.08.2022, l’employé a résilié ses rapports de travail avec effet au 15.08.2022 pour raisons de santé; vu les contre-indications médicales quant à l’exercice de son activité, il ne pouvait pas respecter le délai de congé.

Le 10.08.2022, l’employé a sollicité l’octroi de l’indemnité de chômage auprès de la caisse de chômage (ci-après: la caisse). Selon une attestation de l’employeur du 18.08.2022, le délai de congé de l’assuré était de trois mois. À teneur d’un certificat médical du médecin traitant de l’assuré du 23.08.2022, celui-ci devait changer de métier et ne pouvait plus rester à son poste pour des raisons de santé; il n’avait pas été en mesure d’exercer son activité du 23.05.2022 au 15.08.2022 en raison du caractère non convenable de l’emploi. Le 24.08.2022, l’assuré a confirmé avoir démissionné pour raisons médicales.

Par décision du 26.09.2022, confirmée sur opposition le 22.12.2022, la caisse a suspendu le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage pour une durée de 25 jours à compter du 16.08.2022, au motif qu’il n’avait pas respecté le délai de congé de trois mois et qu’il avait, de ce fait, causé un dommage à l’assurance-chômage.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/806/2023 – consultable ici)

Par jugement du 23.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 30 al. 1 LACI, le droit de l’assuré à l’indemnité est suspendu notamment lorsqu’il est établi que celui-ci est sans travail par sa propre faute (let. a). Est notamment réputé sans travail par sa propre faute l’assuré qui a résilié lui-même le contrat de travail sans avoir été préalablement assuré d’obtenir un autre emploi, sauf s’il ne pouvait pas être exigé de lui qu’il conservât son ancien emploi (art. 44 al. 1 let. b OACI). Le droit de l’assuré à l’indemnité est également suspendu lorsque celui-ci a renoncé à faire valoir des prétentions de salaire ou d’indemnisation envers son dernier employeur, cela au détriment de l’assurance (art. 30 al. 1 let. b LACI).

Le comportement du salarié qui consiste à accepter un congé donné par un employeur en violation du délai contractuel ou légal, à consentir à la résiliation anticipée des rapports de travail ou à refuser la continuation du contrat jusqu’à son terme est susceptible de tomber sous le coup de l’art. 30 al. 1 let. a LACI (ATF 112 V 323 consid. 2b), et non sous le coup de l’art. 30 al. 1 let. b LACI (arrêt 8C_99/2021 du 27 octobre 2021 consid. 4.2 et les références; voir également arrêt 8C_625/2023 du 7 mars 2024 consid. 5.2).

Consid. 3.2
Selon l’art. 324a CO, si le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part pour des causes inhérentes à sa personne, telles que maladie, accident, accomplissement d’une obligation légale ou d’une fonction publique, l’employeur lui verse le salaire pour un temps limité, y compris une indemnité équitable pour le salaire en nature perdu, dans la mesure où les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois (al. 1); sous réserve de délais plus longs fixés par accord, contrat-type de travail ou convention collective, l’employeur paie pendant la première année de service le salaire de trois semaines et, ensuite, le salaire pour une période plus longue fixée équitablement, compte tenu de la durée des rapports de travail et des circonstances particulières (al. 2).

Consid. 3.3
Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a jugé le cas d’une assurée qui avait résilié son contrat de travail, pour raisons de santé, un 28 septembre pour la fin du mois, alors que le délai de congé contractuel était de trois mois. Les juges fédéraux ont considéré que les conditions d’une suspension du droit à l’indemnité de chômage, en application de l’art. 30 al. 1 let. a LACI, étaient réunies. On était en effet en droit d’attendre de l’assurée qu’elle respectât le délai de préavis de trois mois puisqu’en vertu de l’art. 324a CO et de la Convention collective de travail (CCT) applicable, le droit au salaire était garanti jusqu’à la fin du délai de congé (arrêt 8C_99/2021 précité consid. 5.3).

 

Consid. 5.1
L’assuré explique avoir été au bénéfice d’un certificat médical de reprise du travail dans une activité adaptée dès le 16.08.2022, mais n’avoir eu aucune opportunité de déployer une telle activité chez son ancien employeur. Par conséquent, il n’aurait pas pu travailler jusqu’au terme du délai de congé de trois mois et son employeur ne se serait plus trouvé en demeure de verser le salaire. L’assureur-maladie perte de gain maladie n’aurait pas non plus été tenu de verser des indemnités journalières. A cet égard, l’assuré reproche aux juges cantonaux d’avoir constaté les faits de manière manifestement inexacte, en retenant qu’il aurait touché son salaire et/ou des indemnités perte de gain s’il avait respecté le délai de congé de trois mois, sans avoir instruit ces faits auprès de l’employeur et de l’assureur. Il ajoute que ce dernier aurait mis un terme au paiement des indemnités dès le 16.08.2022, avant même d’avoir eu connaissance de sa démission. L’instance cantonale aurait en outre constaté à tort que la reprise de son activité était possible après le 15.08.2022, dès lors que son médecin aurait établi un certificat de reprise du travail à compter de cette date dans une activité adaptée à son état de santé, et non dans l’emploi qu’il occupait. L’assuré revient en outre sur certains faits, en relevant notamment qu’il y aurait trois catégories d’activités auprès de son ancien employeur, à savoir les activités administratives, l’abattoir et la préparation et livraison des commandes. Or il ne disposerait pas des compétences et des qualifications pour travailler dans les deux premiers secteurs, et le maintien dans le troisième secteur – auquel il appartenait – n’aurait plus été exigible compte tenu de son état de santé. Il indique encore que même si un droit à des indemnités perte de gain avait existé, il n’aurait pas disposé des connaissances juridiques suffisantes pour le savoir. Il se serait ainsi inscrit au chômage en toute bonne foi. Il reproche par ailleurs à la caisse de chômage de ne pas l’avoir informé sur son droit à d’éventuelles indemnités perte de gain maladie, conformément à l’art. 27 al. 3 LPGA.

Consid. 5.2.1
Aux termes de l’art. 46 al. 1 de la CCT pour la boucherie-charcuterie suisse (ci-après: CCT), si la relation de travail a duré plus de trois mois ou a été conclue pour plus de trois mois, l’entreprise est tenue d’assurer collectivement les salariés soumis à la CCT pour une indemnité journalière de 80% du dernier salaire versé au travailleur absent pour cause de maladie, correspondant à la durée de travail normale contractuelle (première phrase); la couverture d’assurance commence au plus tard le premier jour du mois au cours duquel il existe une obligation de continuer à verser le salaire conformément au présent alinéa (deuxième phrase); les prestations de l’assurance d’indemnité journalière en cas de maladie sont réputées constituer le salaire dû par l’employeur selon l’art. 324a CO (troisième phrase). L’art. 46 al. 3 CCT précise que si l’entreprise souscrit une assurance-maladie collective d’indemnités journalières avec un délai d’attente de 30 jours au maximum et sous réserve d’un jour de carence pour chaque cas de maladie, l’employeur doit payer 100% du salaire perdu pour cause de maladie pendant la période d’attente (première phrase); dans la mesure où l’employeur continue à verser lui-même le salaire, il a droit aux indemnités journalières correspondantes (seconde phrase). Les conditions minimales d’assurances prévoient notamment un délai d’attente de 30 jours au maximum ainsi que le paiement d’indemnités journalières de maladie à partir de la fin du délai d’attente jusqu’au 730 ème jour depuis le début du cas de maladie (art. 46 al. 4 let. b et c CCT).

Consid. 5.2.2
Au vu des certificats médicaux des 21.07.2022 et 23.08.2022, il est acquis que l’assuré ne pouvait plus exercer son activité de chauffeur-livreur auprès de son employeur pour des raisons de santé, également au-delà du 15.08.2022. Cela étant, contrairement à ce qu’il soutient, il pouvait prétendre à une rémunération jusqu’à la fin du délai de congé de trois mois, sous la forme d’un salaire versé par l’employeur ou d’indemnités journalières versées par l’assurance perte de gain maladie, sur la base de son contrat de travail et de la CCT. Même si les juges cantonaux ne l’ont pas spécifié, il ressort en effet clairement des éléments du dossier mentionnés dans leur arrêt que la CCT faisait partie intégrante du contrat de travail de l’assuré. Un avenant à ce contrat le précisait en octobre 2010 et il est fait mention de la CCT dans l’attestation de l’employeur du 18.08.2022, de même que dans la décision sur opposition du 22.12.2022. Au demeurant, le Conseil fédéral a déclaré obligatoire dans toute la Suisse l’art. 46 CCT (cf. arrêté du Conseil fédéral du 2 décembre 2020 étendant le champ d’application de la convention collective de travail pour la boucherie-charcuterie suisse, entré en vigueur le 1er janvier 2021).

Comme on l’a vu (cf. consid. 5.2.1 supra), la CCT impose à l’employeur de souscrire une assurance-maladie collective d’indemnités journalières pour ses salariés qui sont soumis, comme l’assuré, à la CCT. Cette assurance doit prévoir au minimum le versement d’indemnités journalières, en cas de maladie, à partir de la fin d’un éventuel délai d’attente – de 30 jours au plus – jusqu’au 730ème jour depuis le début du cas de maladie. Le paiement du salaire par l’employeur durant le délai d’attente est par ailleurs garanti. Rien n’indique que l’employeur ne se serait pas conformé à ses obligations découlant de la CCT. L’assuré ne le prétend d’ailleurs pas; il concède au contraire avoir touché des indemnités journalières jusqu’au 15.08.2022. Dans ces conditions, la juridiction cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire en constatant que celui-ci pouvait prétendre au versement de son salaire, respectivement d’indemnités journalières, jusqu’au terme du délai de congé de trois mois.

L’arrêt attaqué ne prête pas non plus le flanc à la critique en tant qu’il indique que si l’assuré avait été médicalement apte à reprendre son poste, il n’aurait eu aucun motif de résiliation de son contrat avant l’échéance du délai de congé. Contrairement à ce que semble penser l’assuré, l’instance cantonale a formulé ici une simple hypothèse et n’a pas constaté que la reprise de l’emploi était médicalement possible après le 15.08.2022. Pour le reste, l’assuré n’expose pas quel (s) fait (s) aurai (en) t été établi (s) de manière manifestement inexacte ou incomplète par les juges cantonaux. Les précisions fournies à propos des différentes catégories de postes chez son ancien employeur sont au demeurant sans incidence sur l’issue du litige, dès lors qu’il ne lui est pas reproché de ne pas avoir cherché à changer de secteur pour maintenir son engagement. Les griefs portant sur l’établissement des faits s’avèrent ainsi infondés.

Le manquement de l’assuré à son obligation de diminuer le dommage (cf. ATF 134 V 109 consid. 10.2.7; 117 V 275 consid. 2b) constitue un motif de suspension du droit à l’indemnité de chômage, en vertu de l’art. 30 al. 1 let. a LACI. La méconnaissance qu’aurait eue l’assuré de ses droits ne saurait faire obstacle à l’application de cette disposition. En outre, on ne peut pas faire grief à la caisse de chômage de ne pas l’avoir renseigné sur son droit à des indemnités journalières perte de gain maladie, en violation de l’art. 27 al. 3 LPGA, dès lors qu’au moment où il s’est adressé à elle en vue de percevoir des indemnités de chômage, il avait déjà résilié son contrat de travail et n’avait donc déjà plus droit aux indemnités journalières perte de gain maladie dès le 15.08.2022. L’assuré ne formule aucun grief à l’encontre de la quotité de la suspension du droit à l’indemnité de chômage, fixée – de manière conforme au droit (cf. art. 45 OACI) – à 25 jours par la caisse de chômage et confirmée par la cour cantonale. Il s’ensuit que le recours, mal fondé, doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_761/2023 consultable ici

 

8C_427/2018 (f) du 30.04.2019, destiné à la publication – Droit à l’indemnité chômage – Période pendant laquelle la perte de travail n’est pas prise en considération – 8 LACI / Notion de prestations volontaires versées par l’employeur – 11a LACI / Jurisprudence relative aux bonus versés par les employeurs

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_427/2018 (f) du 30.04.2019, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Période pendant laquelle la perte de travail n’est pas prise en considération / 8 LACI

Perte de travail à prendre en considération en cas de résiliation anticipée des rapports de travail d’un commun accord / 11 LACI – 10h OACI

Notion de prestations volontaires versées par l’employeur / 11a LACI

Jurisprudence relative aux bonus versés par les employeurs – Plan d’intéressement sous la forme de « stock options » (SO) et de « restricted stock units » (RSU)

 

Par contrat du 08.09.2005 (« Employment agreement »), l’assuré, né en 1957, a été engagé par la société B.__ AG en qualité de vice-président et directeur financier pour l’Europe dès le 01.12.2005. Cette société possédait la société C.__ S.a.r.l. et Cie acquise en 2002. Le contrat prévoyait un salaire de base de 320’000 fr. par an. Il prévoyait, en plus du salaire, une participation à un plan d’intéressement de collaborateurs (« Company-Wide Employee Incentive Plan »). Cette participation (eIP bonus) était versée en fonction d’objectifs individuels ainsi que des résultats de la société. Elle pouvait s’élever jusqu’à 35% du salaire de base (puis 45%). L’employé participait en outre à un plan proposé par son employeur permettant d’acquérir des participations de la société sous la forme de « restricted stock units » (RSU), ou expectatives sur des actions de collaborateur, et de « stock options » (SO), ou options d’acquisition. Enfin, à quelques occasions, l’employé a reçu un bonus qualifié de discrétionnaire par l’employeur.

Par contrat du 18.02.2013, intitulé « Secondment to Luxembourg », il a été convenu entre les parties que l’assuré serait affecté au Luxembourg pour une durée de 36 mois environ, à partir du 18.02.2013, pour le compte de l’entreprise C.__. Il était précisé que l’intéressé restait un employé de l’entité suisse, à savoir B.__ AG. Les conditions du contrat de travail initial restaient valables pour autant qu’elles n’aient pas été expressément modifiées par le « Secondment to Luxembourg » et qu’au terme de ce détachement elles seraient à nouveau pleinement applicables. Le salaire annuel était alors de 412’000 fr.

Le 25.08.2015, les parties ont décidé d’un commun accord de mettre fin à leurs relations contractuelles par un « Separation agreement », ce pour des raisons de restructuration de la société. Il était notamment prévu que le salaire serait versé jusqu’au 31.08.2015 et qu’une indemnité de départ pour solde de tout compte d’un montant de 1’490’000 fr. serait payable en deux tranches, soit 990’000 fr. avant le 01.12.2015 et le solde, par 500’000 fr., durant le mois de janvier 2016.

A la fin du mois de novembre 2015, l’assuré s’est annoncé à l’assurance-chômage et a demandé le versement d’indemnités à partir du 01.12.2015. Par décision, confirmée sur opposition, la caisse cantonale de chômage a refusé de lui reconnaître le droit à l’indemnité entre le 01.12.2015 et le 05.04.2018, dans la mesure où l’indemnité de départ couvrait une perte de travail correspondant à 28 mois et 4 jours. Elle a seulement admis de déduire du montant de 1’490’000 fr. l’équivalent de trois mois de salaire (y compris la prise en charge de l’assurance-maladie, soit au total 112’534 fr. 95). Le solde était pris en considération dans la mesure où il dépassait le montant franc de 126’000 fr.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 07.05.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal. En résumé, conclut la juridiction cantonale, sur l’indemnité de départ de 1’490’000 fr., seuls les montants de 112’535 fr. (salaires relatifs au délai de congé de trois mois) et 126’000 fr. (gain assuré annuel maximal) doivent être déduits, le solde de 1’251’465 fr. représentant des indemnités volontaires de l’employeur couvrant la perte de revenu.

 

TF

L’assuré a droit à l’indemnité de chômage si, entre autres conditions, il subit une perte de travail à prendre en considération (art. 8 al. 1 let. b LACI). Il y a lieu de prendre en considération la perte de travail lorsqu’elle se traduit par un manque à gagner et dure au moins deux journées de travail consécutives (art. 11 al. 1 LACI). Il existe un certain nombre de dispositions qui visent à coordonner les règles du droit du travail avec l’ouverture du droit à l’indemnité de chômage.

En premier lieu, la perte de travail pour laquelle le chômeur a droit au salaire ou à une indemnité pour cause de résiliation anticipée des rapports de travail n’est pas prise en considération (art. 11 al. 3 LACI). En conséquence, l’assurance ne verse en principe pas d’indemnités si le chômeur peut faire valoir des droits à l’encontre de son employeur pour la période correspondant à la perte de travail invoquée. On entend par « droit au salaire » au sens de cette disposition, le salaire dû pour la période postérieure à la résiliation des rapports de travail, soit le salaire dû en cas de non-respect du délai de congé (art. 335c CO) ou en cas de résiliation en temps inopportun (art. 336c CO). Quant à la notion de « résiliation anticipée des rapports de travail », elle vise principalement des prétentions fondées sur les art. 337bet 337c al. 1 CO (ATF 143 V 161 consid. 3.2 p. 163; voir BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, nos 28 et 34 ad art. 11 LACI).

Ensuite, dans le prolongement de l’art. 11 al. 3 LACI, l’art. 10h OACI contient une réglementation spécifique pour la perte de travail à prendre en considération en cas de résiliation anticipée des rapports de travail d’un commun accord. Dans ce cas, la perte de travail, pendant la période correspondant au délai de congé ou jusqu’au terme prévu par le contrat dans l’hypothèse d’un contrat à durée déterminée, n’est pas prise en considération tant que les prestations de l’employeur couvrent la perte de revenu afférent à cette période (al. 1). Lorsque les prestations de l’employeur dépassent le montant des salaires dus à l’assuré jusqu’au terme ordinaire des rapports de travail, les dispositions concernant les prestations volontaires de l’employeur selon l’art. 11a LACI sont applicables (al. 2).

Enfin, selon l’art. 11a LACI, la perte de travail n’est pas prise en considération tant que des prestations volontaires versées par l’employeur couvrent la perte de revenu résultant de la résiliation des rapports de travail (al. 1). Ces prestations volontaires de l’employeur ne sont toutefois prises en compte que pour la part qui dépasse le montant maximum visé à l’art. 3 al. 2 LACI (al. 2). Ce montant maximum est de 148’200 fr. depuis le 01.01.2016 (art. 3 al. 2 LACI en corrélation avec l’art. 22 al. 1 OLAA [RS 832.202]). Jusqu’au 31.12.2015, il s’élevait à 126’000 fr. Lorsqu’elles dépassent le maximum (ou montant franc), les prestations volontaires repoussent donc dans le temps le délai-cadre d’indemnisation, ouvrant ainsi une période de carence. La notion de « prestations volontaires » de l’employeur au sens de l’art. 11a LACI est définie négativement: il faut entendre les prestations allouées en cas de résiliation des rapports de travail régis par le droit privé ou par le droit public qui ne constituent pas des prétentions de salaire ou d’indemnités selon l’art. 11 al. 3 LACI (art. 10a OACI). Il s’agit d’une notion spécifique à l’assurance-chômage, en ce sens que les prestations volontaires visées par l’art. 11a LACI peuvent également reposer sur un contrat qui lie l’employeur (cf. THOMAS NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol XIV, 3e éd. 2016, n. 168 p. 2518; RUBIN, op. cit., n° 5 ad art. 11a LACI). Il est question, dans un sens large, des indemnités qui excèdent ce à quoi la loi donne droit à la fin du contrat de travail, en particulier des indemnités de départ destinées à compenser les conséquences de la perte de l’emploi (sur ces divers points, voir ATF 143 V 161 précité consid. 3.4. p. 164 et les références de doctrine citées). Ainsi le Tribunal fédéral a-t-il jugé qu’une « Retention Cash Grant » accordée par l’employeur selon sa libre appréciation à la fin des rapports de travail représentait une prestation volontaire de l’employeur au sens de l’art. 11a LACI (arrêt 8C_822/2015 du 14 janvier 2016 consid. 3.2).

Il résulte en résumé de ce qui précède que certaines pertes de gain qui surviennent à la fin des rapports de travail n’en sont pas réellement si l’assuré peut récupérer les sommes perdues auprès de l’employeur (art. 11 al. 3 LACI et art. 10h OACI). Il s’agit d’inciter le salarié à faire valoir ses prétentions auprès de l’employeur et à empêcher ainsi que celui-ci ne fasse supporter à l’assurance-chômage les salaires ou indemnités qu’il est tenu de payer (RUBIN, op. cit, n° 2 ad art. 11 LACI). La perte de travail n’est pas non plus prise en considération si des prestations volontaires couvrent une perte de revenu découlant de la résiliation des rapports de travail. Il s’agit, en particulier, d’éviter une indemnisation à double. Les prestations ne sont cependant prises en compte qu’à partir d’un certain seuil, afin de ne pas dissuader les employeurs de proposer des plans sociaux (ATF 143 V 161 déjà cité consid. 3.5 p. 165).

 

Le droit suisse ne contient aucune disposition qui traite spécifiquement du bonus, lequel peut consister dans le versement d’une somme d’argent ou encore dans la remise d’actions ou d’options (ATF 141 III 407 consid. 4.1 p. 407). Récemment, dans l’arrêt 4A_485/2016 du 28 avril 2017 consid. 4 (voir aussi l’arrêt 4A_78/2018 du 10 octobre 2018 consid. 4), le Tribunal fédéral a résumé comme suit sa jurisprudence relative aux bonus :

Pour qualifier un bonus dans un cas d’espèce, il faut interpréter les manifestations de volonté des parties (cf. art. 1 CO). Il s’agit tout d’abord d’établir si le bonus est déterminé (respectivement déterminable) ou indéterminé (respectivement indéterminable).

Si le bonus est déterminé ou objectivement déterminable, l’employé dispose d’une prétention à ce bonus. Une rémunération est objectivement déterminable lorsqu’elle ne dépend plus de l’appréciation de l’employeur. Cela est le cas lorsque l’employé a droit à une part du bénéfice ou du chiffre d’affaires ou participe d’une autre manière au résultat de l’exploitation (art. 322a CO; ATF 141 III 407 consid. 4.2 p. 408). L’employeur doit alors tenir son engagement consistant à verser à l’employé la rémunération convenue (élément essentiel du contrat de travail) et le bonus doit être considéré comme un élément (variable) du salaire.

L’engagement (contractuel) de l’employeur à verser à son employé une rémunération déterminée (ou objectivement déterminable) à titre de salaire peut résulter de l’accord conclu initialement (au début de la relation contractuelle) entre les parties ou celles-ci peuvent en convenir postérieurement, au cours de la relation contractuelle (ATF 129 III 276 consid. 2 p. 278).

Si le bonus n’est pas déterminé ou objectivement déterminable, l’employé ne dispose en règle générale d’aucune prétention : la rémunération dépend du bon vouloir de l’employeur et le bonus est qualifié de gratification. Tel est le cas lorsque la quotité du bonus n’est pas fixée à l’avance, mais dépend pour l’essentiel de la marge de manœuvre de l’employeur (ATF 141 III 407 consid. 4.1 et 4.2 p. 407 s. et les références citées), en ce sens que la part de l’employé au résultat de l’entreprise n’est pas fixée contractuellement ou encore dépend de l’appréciation (subjective), par l’employeur, de la prestation de travail fournie par l’employé (ATF 139 III 155 consid. 3.1 p. 157).

Lorsque le bonus n’est pas déterminé ou objectivement déterminable, il doit être qualifié de gratification. Ce n’est que dans ce cas que le critère (indépendant de celui visant à qualifier, dans un premier temps, le bonus) de l’accessoriété peut trouver application et, le cas échéant, qu’il s’imposera de requalifier le bonus en salaire (sous l’angle du très haut revenu, cf. ATF 141 III 407 consid. 5.3.1 p. 412 s.).

Le critère de l’accessoriété est appliqué de manière différenciée selon l’importance du revenu de l’employé, par quoi il faut entendre la rémunération totale perçue de l’employeur durant l’année (ATF 141 III 407 consid. 4.3 p. 408).

En cas de revenus moyens et supérieurs, le Tribunal fédéral a estimé qu’un bonus très élevé en comparaison du salaire annuel, équivalent ou même supérieur à ce dernier, et versé régulièrement, doit être, par exception à la règle de la liberté contractuelle, considéré comme un salaire variable même si l’employeur en réservait le caractère facultatif. La gratification (art. 322d CO) doit en effet rester accessoire par rapport au salaire (art. 322 s. CO); elle ne peut avoir qu’une importance secondaire dans la rétribution du travailleur.

En cas de revenus modestes, un bonus proportionnellement moins élevé peut déjà avoir le caractère d’un salaire variable (ATF 141 III 407 consid. 4.3.1 p. 408 s.).

En revanche, lorsque l’employé perçoit un très haut revenu, il n’y a pas lieu d’admettre une exception à la règle de la liberté contractuelle : le bonus reste toujours une gratification (ATF 141 III 407 consid. 4.3.2 p. 409).

Si la rémunération totale de l’employé dépasse le seuil du très haut revenu, il n’y a pas lieu de qualifier le bonus de salaire, le critère de l’accessoriété n’étant pas applicable. En revanche, si la rémunération totale de l’employé n’atteint pas ce seuil, le critère de l’accessoriété s’applique et, sur cette base, une requalification (partielle ou totale) du bonus doit intervenir (nullité partielle; ATF 141 III 407 consid. 5.3.1 p. 412 s.).

Le revenu d’un employé doit être qualifié de « très haut », lorsque sa rémunération totale équivaut ou dépasse cinq fois le salaire médian suisse (secteur privé) (ATF 141 III 407 consid. 5 p. 409 ss).

 

Dans un premier temps, il faut donc qualifier le bonus en recherchant la réelle et commune intention des parties (question de fait) et, à défaut, en appliquant le principe de la confiance (question de droit qu’il convient de trancher en se fondant sur le contenu des manifestations de volonté et sur les circonstances, qui relèvent du fait). Ce n’est que dans un deuxième temps, s’il arrive à la conclusion que le bonus est, selon la volonté des parties, une gratification (ce qui sera le cas lorsque la rémunération n’est ni déterminée ni objectivement déterminable), que le juge devra raisonner sur la base du critère de l’accessoriété (arrêt 4A_485/2016 précité consid. 5.1).

Le bonus prévu dans le plan « Company-Wide Employee Incentive » représente une gratification, qui n’impose aucune obligation à l’employeur et ne confère de ce fait aucun droit à l’employé. Il peut être modifié ou supprimé à tout moment. L’assuré soutient, certes, que ce bonus était objectivement déterminable, notamment du fait qu’il était fondé sur la performance individuelle par rapport aux buts et objectifs fixés, de sorte qu’il peut être considéré comme un élément du salaire. Mais cette argumentation n’est pas fondée. L’employeur n’a pas fixé contractuellement la part de l’employé aux résultats de la société. Il n’a pas non plus écarté tout critère subjectif puisque son montant dépend d’objectifs individuels, soit d’une appréciation subjective de la prestation du travailleur par l’employeur (cf. ATF 141 III 407 déjà cité consid. 4.2.2 p. 408; 139 III 155 précité consid. 3.1 p. 156). Contrairement à ce que soutient l’assuré, il importe peu, à cet égard, que depuis 2010 la composante individuelle ne comptait plus que pour 25% dans le bonus global alors que les 75% étaient calculés en fonction du résultat de l’entreprise. Pour le reste, les premiers juges ont admis, avec raison, que l’on ne peut appliquer le critère de l’accessoriété, compte tenu du niveau de rémunération de l’assuré (sur la notion de très haut revenu, voir ATF 141 III 407 précité consid. 5.3.4 p. 414 s. et consid. 6.1 p. 417; arrêt dans les causes jointes 4A_513/2017 et 4A_519/2017 du 5 septembre 2018 consid. 5.4).

 

Conformément aux règlements applicables au plan d’intéressement sous la forme de « stock options » (SO) et de « restricted stock units » (RSU), la participation à celui-ci constitue une gratification discrétionnaire et non une rémunération de base. La cour cantonale déduit également ce fait de plusieurs documents remis par l’employeur à son ex-employé dans lesquels le premier a chaque fois indiqué que les « awards equity » étaient octroyés sur une base discrétionnaire, occasionnellement ou exceptionnellement. Ce n’est pas la valeur boursière à un moment donné qui est déterminante pour juger s’il s’agit d’un élément de salaire ou d’une gratification, mais bien le fait que les bonus litigieux et leur étendue sont laissés au pouvoir discrétionnaire de l’employeur. C’est donc à juste titre que la juridiction cantonale a conclu, que les montants des stock options et des restricted stock units inclus dans l’indemnité de départ représentaient des prestations volontaires de l’employeur.

 

En définitive, la juridiction cantonale n’a pas violé le droit fédéral en considérant que seuls les montants de 112’535 fr. et de 126’000 fr. devaient être déduits de l’indemnité de départ accordée à l’assuré, le solde, par 1’251’465 fr. représentant des prestations volontaires de l’employeur couvrant la perte de revenu. La notion de prestations volontaires est une notion spécifique à l’assurance-chômage. Il n’est pas décisif que l’indemnité en cause repose sur une base contractuelle (« Separation agreement ») qui lie l’employeur en matière civile (arrêt 4A_45/2017 du 27 juin 2017 consid. 6.2, non publié in ATF 143 III 480). Pour le reste, le jugement attaqué n’apparaît pas critiquable en tant qu’il confirme la décision de la caisse à propos du report du début du droit à l’indemnité au mois d’avril 2018. L’assuré avait une prétention de salaire pour les mois de septembre, octobre et novembre 2015 (délai de congé). Il s’y ajoute une période de carence de 28 mois et 5 jours dès le 01.12.2015. En effet, compte tenu d’un dernier salaire mensuel de 44’405 fr., cette période est de 28.1829 mois (1’251’465 fr. : 44’405). Les fractions de mois doivent être converties selon la formule: 0.1829 x 30, soit 5.4 jours. La période pendant laquelle la perte de travail n’est pas prise en considération est ainsi de 28 mois et 5 jours dès le 01.12.2015 soit jusqu’au 05.04.2018.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_427/2018 consultable ici