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8C_46/2023 (f) du 26.10.2023 – Evaluation du taux d’invalidité pour un employé avec un salaire fixe et un bonus variable (dépendant du résultat de l’exercice annuel de la société) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_46/2023 (f) du 26.10.2023

 

Consultable ici

 

Evaluation du taux d’invalidité pour un employé avec un salaire fixe et un bonus variable (dépendant du résultat de l’exercice annuel de la société) / 16 LPGA

Nécessité d’un lien de causalité entre la perte de gain et l’atteinte à la santé

Conséquences de l’absence de preuve

 

Assuré, comptable depuis octobre 1983 au service de la fiduciaire B.__ SA, dont il est directeur et, depuis janvier 2015, administrateur avec droit de signature individuelle, après avoir été administrateur-secrétaire de 1998 à 2000 et administrateur-président de janvier 2010 à janvier 2015. Il est également administrateur-président de la société C.__ SA depuis décembre 2001, avec droit de signature individuelle. Ladite société est détenue par B.__ SA et sise à la même adresse que cette dernière.

Le 12.03.2015, l’assuré a été percuté par une camionnette, alors qu’il circulait à vélo. L’accident lui a causé un polytraumatisme impliquant de nombreuses fractures et notamment un traumatisme crânio-cérébral ainsi que des atteintes neurologiques. Generali a pris en charge le cas.

L’assuré, en incapacité totale de travail depuis l’accident, a pu reprendre son activité à 50% dès le 01.07.2015. Il a ensuite progressivement augmenté son taux d’activité, à 60% dès le 01.04.2016, puis à 75% dès le 01.07.2016 et à 100% dès le 01.01.2017, avant de connaître une nouvelle incapacité de travail de 10% dès le 01.03.2017, la tentative de reprise à plein temps s’étant soldée par un échec, en raison d’un état de fatigue accru.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a considéré que l’état de santé de l’assuré était stabilisé et a mis fin au versement de l’indemnité journalière et à la prise en charge du traitement médical avec effet au 31.08.2019. Elle a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, mais lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité, fondée sur un taux de 32.5%, compte tenu des atteintes orthopédiques et neurologiques.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 108/20-154/2022 – consultable ici)

Par jugement du 14.12.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition dans le sens de la reconnaissance du droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 37.5%.

 

TF

Consid. 3.2
Chez les assurés exerçant une activité lucrative, le taux d’invalidité doit être évalué sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1). Dans certaines circonstances, il est possible de fixer la perte de gain d’un assuré directement sur la base de son incapacité de travail en faisant une comparaison en pour-cent (arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 consid. 2.2). Cette méthode constitue une variante admissible de la comparaison des revenus basée sur des données statistiques: le revenu hypothétique réalisable sans invalidité équivaut alors à 100%, tandis que le revenu d’invalide est estimé à un pourcentage plus bas, la différence en pour-cent entre les deux valeurs exprimant le taux d’invalidité (arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 consid. 6.2.2 et les arrêts cités). L’application de cette méthode se justifie notamment lorsque les salaires avant et/ou après invalidité ne peuvent pas être déterminés ou lorsque l’activité exercée précédemment est encore possible (en raison par exemple du contrat de travail qui n’a pas été résilié) (arrêt 9C_237/2016 précité consid. 2.2; MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, LPGA, 2018, n° 44 s. ad art. 16 LPGA).

Consid. 3.3
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 4.1
La cour cantonale a retenu que l’assuré présentait une diminution de rendement de 10% due aux séquelles de l’accident du 12.03.2015. Dans la mesure où il avait repris le travail en juillet 2015 en qualité de comptable et directeur de B.__ SA, et qu’il s’agissait-là d’une activité stable dont on pouvait admettre qu’elle mettait pleinement en valeur sa capacité résiduelle de travail et de gain, l’invalidité devait être calculée en fonction de sa situation professionnelle concrète.

Consid. 4.2
Sur le plan économique, les juges cantonaux ont constaté que l’assuré était rémunéré d’une double manière, à savoir par un salaire fixe et par un bonus variable, résultant de la répartition entre les associés d’une enveloppe de direction déterminée chaque printemps en fonction du résultat de l’exercice annuel précédent.

En ce qui concernait la rémunération fixe, la cour cantonale a retenu que, depuis le 01.09.2019, l’assuré avait perçu un salaire fixe inférieur de 10% au salaire qui aurait été le sien sans invalidité. S’agissant de la rémunération variable (bonus), l’éventuel préjudice économique subi par l’assuré ne pouvait pas être évalué en valeurs absolues. Une comparaison en francs des bonus avec et sans atteinte à la santé n’était pas représentative, puisque le montant versé à l’assuré était tributaire de la valeur de l’enveloppe à répartir, autrement dit du résultat réalisé par l’entreprise. Il n’était dès lors pas possible de distinguer une éventuelle influence des limitations fonctionnelles de l’assuré sur le montant perçu d’une simple variation du bénéfice de la société due à d’autres facteurs. Ce constat s’illustrait notamment s’agissant du bonus alloué à l’assuré pour les années 2016 et 2018, qui avait été respectivement de 93’072 fr. 93 et de 60’075 fr.40, alors que la clé de répartition de l’enveloppe était identique avec 66,66% en faveur de l’assuré contre 33,33% en faveur de D.__. Une comparaison du bonus s’imposait mais elle devait s’opérer sur des valeurs relatives, à savoir sur les proportions de la clé de répartition de l’enveloppe de direction. Or les documents produits par l’assuré en réponse à une mesure d’instruction du 26.08.2022 ne permettaient pas de vérifier les allégations de celui-ci, selon lesquelles la proportion en sa faveur était passée de 66,66% à 60%. En effet, le ratio de deux tiers pour lui et un tiers pour D.__ n’avait été appliqué que depuis 2016, soit précisément l’année qui avait suivi l’accident. Le bonus alloué à l’assuré pour 2013, première année de partage de l’enveloppe de direction avec D.__, représentait 70% de l’enveloppe. En 2014, année précédant l’accident, sa part avait chuté à 37% contre 63% pour D.__, étant précisé que selon une attestation du 07.09.2022 de cette dernière, le bonus décidé début 2015 pour l’année 2014 tenait également compte de l’absence très fréquente de l’assuré en 2014 en raison d’un important conflit familial. En 2015, la part de l’assuré au bonus s’était à nouveau limitée à 34%. Ces chiffres étaient bien loin d’une clé de répartition linéaire et durable de 66,66% en faveur de l’assuré et de 33,33% en faveur de D.__. Au final, la clé de répartition du bonus entre les intéressés avait constamment varié au fil des années, sans que l’assuré parvienne à démontrer que ces variations seraient attribuables aux séquelles de son accident et à sa capacité résiduelle de travail. Alors que l’assuré annonçait une diminution de sa part de 66,66% à 60% dès 2019 pour tenir compte de son incapacité de travail de 10%, sa part s’était ensuite encore réduite à 55% en 2020, puis à 50% en 2021, alors que son incapacité de travail, inchangée, était toujours de 10%. Ainsi, la part de l’assuré au bonus avait varié de manière substantielle entre 2013 et 2021, pour passer de très faible certaines années avant l’accident (2014 et 2015), à haute alors même que l’assuré travaillait à un taux d’activité réduit en raison des séquelles de son accident (2016 à 2018). Il ne pouvait donc pas être retenu comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante que les variations de la part de l’assuré au bonus étaient en lien de causalité avec les séquelles de l’accident du 12.03.2015 et sa capacité de travail désormais réduite.

Consid. 4.3
Enfin, les explications données par B.__ SA, sous signature de l’assuré, au sujet de l’évolution de sa rémunération en fonction de son état de santé avaient varié au fil du temps, de sorte qu’elles semblaient dénuées de cohérence, voire contradictoires. En définitive, dès lors que l’assuré avait échoué à rendre vraisemblable une réduction de sa part au bonus annuel de minimum 10% qui pourrait être mise en lien de causalité avec l’accident assuré, la seule diminution de 10% de son salaire fixe ne suffisait pas à établir à satisfaction une différence de 10% au moins entre les revenus globaux sans et avec invalidité. C’était ainsi de manière fondée que l’assurance-accidents avait considéré que l’assuré ne présentait pas une invalidité au moins égale à 10% et lui avait refusé l’octroi d’une rente de l’assurance-accidents.

 

Consid. 5.1.2
Il est vrai que le bonus afférent à l’année 2015, alloué début 2016, porte sur l’année de l’accident, survenu en mars 2015. Cela ne change toutefois rien au raisonnement des juges cantonaux en tant que ceux-ci ne voient pas de corrélation entre les clés de répartition de l’enveloppe des bonus et la capacité résiduelle de travail de l’assuré due à son accident. En effet, il n’est pas contesté que la clé de répartition était moins favorable à l’assuré en 2014 (37%) que de 2016 à 2021 (de 50 à 66,66%). Quand bien même l’année 2014 fut marquée par des absences liées à un conflit familial, il n’est pas possible d’en déduire que la clé aurait été supérieure à 66,66% s’il avait été plus présent. En tant que l’assuré soutient qu’il aurait fallu se fonder sur davantage d’années, il perd de vue que l’argumentation des juges cantonaux visait à répondre à son allégation selon laquelle avant l’accident, la clé de répartition était de 66,66% en sa faveur. En outre, à la lecture du tableau produit par l’assuré en instance cantonale ce n’est qu’à partir de 2014 que le bonus (afférent à 2013) a été fixé sur la base d’une enveloppe de direction à partager avec D.__ selon une clé de répartition. Autrement dit, il n’est pas possible d’opérer un examen de la clé de répartition sur trois ou quatre années avant l’accident. En tout état de cause, le fait que les proportions ont varié entre 2019 et 2021, alors que la capacité de travail résiduelle était stabilisée, montre qu’il n’y a pas de lien direct entre celle-ci et la répartition de l’enveloppe. Dans cette mesure, les conclusions des juges cantonaux sur l’absence de rapport de causalité entre les séquelles de l’accident et les variations de la part au bonus échappent à la critique.

 

Consid. 5.3.1
L’assuré procède ensuite à son propre calcul des revenus avec et sans invalidité. Sur la base de l’extrait du compte individuel AVS et des fiches de salaire, il invoque un revenu sans invalidité de 255’509 fr. 55 (moyenne des années 2011 à 2014) et un revenu avec invalidité de 204’229 fr. 95 (moyenne des années 2015 à 2019, hors indemnités journalières). Il n’est selon lui pas compréhensible que la cour cantonale n’ait pas considéré ces chiffres et qu’elle se soit fondée sur la clé de répartition du bonus, qui ne serait pas déterminante. Il faudrait bien plus se fonder sur le bénéfice effectivement réparti.

Consid. 5.3.2
En l’occurrence, les juges cantonaux ont refusé de se fonder sur les valeurs absolues du bonus au motif que celui-ci était tributaire du résultat réalisé par l’entreprise, lequel ne permettait pas de distinguer l’influence des limitations fonctionnelles de l’assuré d’une simple variation du bénéfice due à d’autres facteurs. Cela étant, le raisonnement des juges cantonaux n’est pas incompréhensible, ni contraire au droit. La jurisprudence reconnaît d’ailleurs que les données comptables ne permettent pas de tirer des conclusions valables sur la diminution de la capacité de gain due à l’invalidité lorsque les résultats de l’exploitation ont été influencés par des facteurs étrangers à l’invalidité (cf. arrêts 8C_1/2020 du 15 octobre 2020 consid. 3.2; 9C_826/2017 du 28 mai 2018 consid. 5.2; 9C_106/2011 du 14 octobre 2011 consid. 4.3 et les références). En outre, si l’examen auquel a procédé la cour cantonale sur la base de la clé de répartition de l’enveloppe n’a pas permis d’établir une perte de gain suffisante liée à l’accident, l’argumentation de l’assuré ne le permet pas non plus. A cet égard, il ne suffit pas de se prévaloir d’une diminution des revenus effectivement perçus. Encore faut-il que la baisse éventuelle du bénéfice de la société, en fonction duquel est calculé le montant de l’enveloppe des bonus à répartir, soit imputable à l’accident de l’assuré, étant précisé que, selon un rapport de visite du 10.10.2019, B.__ SA compte plusieurs associés, dont trois travaillent dans l’entreprise, et emploie, avec la société C.__ SA, neuf collaborateurs en tout.

 

Consid. 6.2
La diminution de 10% du salaire fixe de l’assuré à compter de la fin de son droit aux indemnités journalières (pour tenir compte d’une capacité de travail de 90%), se distingue manifestement de la question du bonus. En effet, le bonus – dont il n’est pas contesté qu’il est fixé en fonction du bénéfice de la société et de la clé de répartition – ne dépend pas, à tout le moins pas directement ni uniquement, de la capacité de travail de l’assuré. Or, comme on l’a déjà dit (cf. consid. 5.3.2), pour reconnaître le droit de l’assuré à une éventuelle rente d’invalidité, il faut que la perte de gain (à déterminer selon une des méthodes reconnues par la jurisprudence) soit imputable à l’accident assuré (sur la nécessité d’un lien de causalité entre la perte de gain et l’atteinte à la santé, cf. MOSER-SZELESS, op. cit. n° 28 s. ad art. 7 LPGA). A la lecture du tableau récapitulatif des bonus produit par l’assuré en procédure cantonale, on observe que l’enveloppe à répartir est passée de 84’239 fr. 24 en 2015 (pour l’année 2014) à 98’625 fr. 47 en 2016 (pour l’année 2015). Autrement dit, l’enveloppe des bonus, qui dépend du bénéfice de la société, a augmenté l’année de l’accident par rapport à l’année précédente. Elle est même passée à 139’609 fr. 40 en 2017 (bonus afférents à l’année 2016). On ne voit toutefois pas en quoi le versement des indemnités journalières par l’assurance-accidents permettrait d’expliquer la hausse de l’enveloppe des bonus à répartir. Dans ces conditions, on ne peut que confirmer l’absence de lien de causalité entre la diminution des revenus alléguée par l’assuré et son incapacité de travail de 10%. Enfin, les faits de la présente cause se distinguent de ceux qui ont fait l’objet de l’arrêt 9C_237/2016 du 24 août 2016 où la méthode de comparaison en pour-cent a été appliquée. En effet, la rémunération de l’assurée concernée était certes composée d’une part fixe et d’une part variable, mais cette dernière dépendait des commissions perçues par l’assurée et non du bénéfice de la société. De surcroît, il n’y a pas lieu d’appliquer la méthode en pour-cent en l’espèce car la difficulté de la cause ne consiste pas dans l’impossibilité à chiffrer les revenus sans et avec invalidité mais dans la reconnaissance d’une perte de gain (suffisante) imputable à l’accident, ce que les pièces au dossier n’ont précisément pas permis d’établir. Un renvoi de la cause apparaît par ailleurs superflu. Il s’ensuit que l’assuré devra supporter les conséquences de l’absence de preuve (cf. consid. 3.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_46/2023 consultable ici

 

9C_298/2022 (f) du 26.07.2023 – Détermination du revenu sans invalidité d’un manager – Examen de la prise en compte d’un bonus (« variable bonus component ») – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_298/2022 (f) du 26.07.2023

 

Consultable ici

 

Détermination du revenu sans invalidité d’un manager – Examen de la prise en compte d’un bonus (« variable bonus component ») / 16 LPGA

 

Assuré, en dernier lieu en tant que « Manager Risk Assurance, (…)  » de novembre 2013 à juillet 2015. A la suite d’un arrêt de travail depuis le mois d’octobre 2014 (qui a donné lieu au versement d’indemnités de l’assureur perte de gain en cas de maladie de l’employeur), l’assuré a déposé en août 2015 une demande de prestations de l’assurance-invalidité, en invoquant notamment une très importante fatigabilité, ainsi que des troubles neuropsychologiques apparus en lien avec un accident de la circulation survenu en novembre 2009.

Expertise pluridisciplinaire : les experts ont conclu à une capacité résiduelle de travail de 50% dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée, depuis le 08.10.2014 (appréciation consensuelle du spécialiste en médecine interne générale, du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et du spécialiste en médecine interne générale). L’office AI a, par décision du 09.07.2021, reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente depuis le 01.02.2016.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 290/21 – 150/2022 – consultable ici)

Dans le cadre de la comparaison des revenus, la juridiction a retenu que les perspectives de développement de carrière évoquées par l’assuré en relation avec l’expertise privée qu’il avait produite ne pouvaient pas être prises en considération pour déterminer le revenu sans invalidité. Elles reposaient en effet sur de simples hypothèses qui n’étaient pas étayées par des éléments concrets. De plus, les juges cantonaux n’ont pas tenu compte d’un bonus de 16’800 fr., ainsi que d’une somme forfaitaire de 6’000 fr., mentionnés dans une lettre de promotion adressée à l’assuré par son dernier employeur en juin 2014. Si ces éléments figuraient certes sur ce courrier, ainsi que sur le certificat de prévoyance, rien ne permettait d’affirmer que l’assuré percevait concrètement ces montants. En effet, ni le questionnaire de l’employeur rempli à la demande de l’office AI, ni l’extrait du compte individuel de l’assuré, pas plus que les calculs effectués par l’assureur perte de gain en cas de maladie ne faisaient état de ces montants supplémentaires en sus du salaire annuel de 120’300 fr.

Par jugement du 16.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 1.2
En ce qui concerne la comparaison des revenus (art. 16 LPGA), la constatation des deux revenus hypothétiques à comparer est une question de fait, dans la mesure où elle repose sur une appréciation concrète des preuves; il s’agit en revanche d’une question de droit si elle se fonde sur l’expérience générale de la vie (ATF 137 V 64 consid. 1.2; arrêt 9C_835/2019 du 20 octobre 2020 consid. 5.1).

 

Consid. 4.2.2
On rappellera qu’en ce qui concerne le revenu sans invalidité, est déterminant le salaire qu’aurait effectivement réalisé l’assuré sans atteinte à la santé, selon le degré de la vraisemblance prépondérante. En règle générale, on se fonde sur le dernier salaire réalisé avant l’atteinte à la santé, compte tenu de l’évolution des circonstances à l’époque où est né le droit à la rente (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2; arrêt 9C_271/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3.3.1).

Consid. 4.2.3
En n’incluant pas le montant de 16’800 fr. (« target bonus ») mentionné dans la lettre de promotion de l’ancien employeur de l’assuré datée de juin 2014, dans le revenu sans invalidité, la cour cantonale a procédé à une constatation manifestement inexacte des faits. Il ressort en effet de cette lettre que l’assuré a été promu à la fonction de « Manager » à partir du 1er juillet 2014 avec un salaire annuel de 120’300 fr. assorti d’une somme de 16’800 fr. comme « variable bonus component », l’objectif final de salaire étant de 137’100 fr. Si le bonus cible constituait certes un montant variable en fonction des performances du collaborateur et de l’entreprise, selon les indications données en cours de procédure par l’ancien employeur, la société a non seulement annoncé un salaire annuel de 137’100 fr. à la caisse de pension, mais elle a également indiqué, dans le questionnaire de l’employeur du 22 septembre 2015, une « Gratifikation » pour l’année 2014. Il en découle que l’ancien employeur entendait concrètement verser un bonus à l’assuré, qui a apparemment perçu un montant s’ajoutant à son salaire de base à titre de gratification. Celle-ci correspondait sans doute aux mois de juillet à septembre 2014, l’incapacité de travail, qui a débuté à partir d’octobre 2014, expliquant que l’employeur n’a plus indiqué de gratification pour l’année 2015. Celui-ci a par ailleurs confirmé au cours de la procédure administrative que le principe du salaire assorti d’un bonus cible était resté le même dans l’entreprise. L’extrait du compte individuel de l’assuré pour l’année 2014 n’est par ailleurs pas déterminant à cet égard, puisque le revenu inscrit ne correspond pas à une année complète sans atteinte à la santé, des indemnités de l’assureur perte de gain en cas de maladie, qui ne sont pas soumises à l’AVS (cf. art. 6 al. 2 let. b RAVS), ayant été versées à l’assuré.

Dans ces circonstances, l’appréciation de la juridiction cantonale selon laquelle le dossier ne comprenait pas d’éléments suffisants pour admettre que l’assuré percevait concrètement un bonus ne peut être suivie, puisqu’elle ne repose pas sur l’ensemble des indications de l’ancien employeur quant au nouveau salaire de l’assuré à partir du 1er juillet 2014, qui doivent être prises en considération en tenant compte de la survenance de l’incapacité de travail dès octobre 2014. Par conséquent, on peut admettre, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’employeur aurait versé le bonus cible à l’assuré en l’absence d’invalidité, dès lors aussi qu’il avait déclaré le nouveau salaire (y compris le « target bonus », soit un total de 137’100 fr.) de son employé à sa caisse de pension.

Consid. 4.3
En tenant compte d’un revenu sans invalidité de 137’100 fr. et d’un revenu avec invalidité de 40’670 fr. tel que retenu par la juridiction cantonale, le degré d’invalidité de l’assuré s’élève à 70% (70,33%). Il ouvre ainsi un droit à une rente entière d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI) depuis le 1er février 2016, étant précisé que le début du droit à la rente n’est pas contesté.

Au vu de ce résultat, il n’y a pas lieu d’examiner ni le grief de l’assuré relatif à l’inclusion de la somme forfaitaire de 6’000 fr. dans le revenu sans invalidité, ni celui consistant à critiquer le « revenu d’invalide trop élevé ».

Consid. 5
Ensuite de ce qui précède, la conclusion de l’assuré visant à l’octroi d’une rente entière d’invalidité à compter du 1er février 2016 est bien fondée. L’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_298/2022 consultable ici

 

8C_427/2018 (f) du 30.04.2019, destiné à la publication – Droit à l’indemnité chômage – Période pendant laquelle la perte de travail n’est pas prise en considération – 8 LACI / Notion de prestations volontaires versées par l’employeur – 11a LACI / Jurisprudence relative aux bonus versés par les employeurs

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_427/2018 (f) du 30.04.2019, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Période pendant laquelle la perte de travail n’est pas prise en considération / 8 LACI

Perte de travail à prendre en considération en cas de résiliation anticipée des rapports de travail d’un commun accord / 11 LACI – 10h OACI

Notion de prestations volontaires versées par l’employeur / 11a LACI

Jurisprudence relative aux bonus versés par les employeurs – Plan d’intéressement sous la forme de « stock options » (SO) et de « restricted stock units » (RSU)

 

Par contrat du 08.09.2005 (« Employment agreement »), l’assuré, né en 1957, a été engagé par la société B.__ AG en qualité de vice-président et directeur financier pour l’Europe dès le 01.12.2005. Cette société possédait la société C.__ S.a.r.l. et Cie acquise en 2002. Le contrat prévoyait un salaire de base de 320’000 fr. par an. Il prévoyait, en plus du salaire, une participation à un plan d’intéressement de collaborateurs (« Company-Wide Employee Incentive Plan »). Cette participation (eIP bonus) était versée en fonction d’objectifs individuels ainsi que des résultats de la société. Elle pouvait s’élever jusqu’à 35% du salaire de base (puis 45%). L’employé participait en outre à un plan proposé par son employeur permettant d’acquérir des participations de la société sous la forme de « restricted stock units » (RSU), ou expectatives sur des actions de collaborateur, et de « stock options » (SO), ou options d’acquisition. Enfin, à quelques occasions, l’employé a reçu un bonus qualifié de discrétionnaire par l’employeur.

Par contrat du 18.02.2013, intitulé « Secondment to Luxembourg », il a été convenu entre les parties que l’assuré serait affecté au Luxembourg pour une durée de 36 mois environ, à partir du 18.02.2013, pour le compte de l’entreprise C.__. Il était précisé que l’intéressé restait un employé de l’entité suisse, à savoir B.__ AG. Les conditions du contrat de travail initial restaient valables pour autant qu’elles n’aient pas été expressément modifiées par le « Secondment to Luxembourg » et qu’au terme de ce détachement elles seraient à nouveau pleinement applicables. Le salaire annuel était alors de 412’000 fr.

Le 25.08.2015, les parties ont décidé d’un commun accord de mettre fin à leurs relations contractuelles par un « Separation agreement », ce pour des raisons de restructuration de la société. Il était notamment prévu que le salaire serait versé jusqu’au 31.08.2015 et qu’une indemnité de départ pour solde de tout compte d’un montant de 1’490’000 fr. serait payable en deux tranches, soit 990’000 fr. avant le 01.12.2015 et le solde, par 500’000 fr., durant le mois de janvier 2016.

A la fin du mois de novembre 2015, l’assuré s’est annoncé à l’assurance-chômage et a demandé le versement d’indemnités à partir du 01.12.2015. Par décision, confirmée sur opposition, la caisse cantonale de chômage a refusé de lui reconnaître le droit à l’indemnité entre le 01.12.2015 et le 05.04.2018, dans la mesure où l’indemnité de départ couvrait une perte de travail correspondant à 28 mois et 4 jours. Elle a seulement admis de déduire du montant de 1’490’000 fr. l’équivalent de trois mois de salaire (y compris la prise en charge de l’assurance-maladie, soit au total 112’534 fr. 95). Le solde était pris en considération dans la mesure où il dépassait le montant franc de 126’000 fr.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 07.05.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal. En résumé, conclut la juridiction cantonale, sur l’indemnité de départ de 1’490’000 fr., seuls les montants de 112’535 fr. (salaires relatifs au délai de congé de trois mois) et 126’000 fr. (gain assuré annuel maximal) doivent être déduits, le solde de 1’251’465 fr. représentant des indemnités volontaires de l’employeur couvrant la perte de revenu.

 

TF

L’assuré a droit à l’indemnité de chômage si, entre autres conditions, il subit une perte de travail à prendre en considération (art. 8 al. 1 let. b LACI). Il y a lieu de prendre en considération la perte de travail lorsqu’elle se traduit par un manque à gagner et dure au moins deux journées de travail consécutives (art. 11 al. 1 LACI). Il existe un certain nombre de dispositions qui visent à coordonner les règles du droit du travail avec l’ouverture du droit à l’indemnité de chômage.

En premier lieu, la perte de travail pour laquelle le chômeur a droit au salaire ou à une indemnité pour cause de résiliation anticipée des rapports de travail n’est pas prise en considération (art. 11 al. 3 LACI). En conséquence, l’assurance ne verse en principe pas d’indemnités si le chômeur peut faire valoir des droits à l’encontre de son employeur pour la période correspondant à la perte de travail invoquée. On entend par « droit au salaire » au sens de cette disposition, le salaire dû pour la période postérieure à la résiliation des rapports de travail, soit le salaire dû en cas de non-respect du délai de congé (art. 335c CO) ou en cas de résiliation en temps inopportun (art. 336c CO). Quant à la notion de « résiliation anticipée des rapports de travail », elle vise principalement des prétentions fondées sur les art. 337bet 337c al. 1 CO (ATF 143 V 161 consid. 3.2 p. 163; voir BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, nos 28 et 34 ad art. 11 LACI).

Ensuite, dans le prolongement de l’art. 11 al. 3 LACI, l’art. 10h OACI contient une réglementation spécifique pour la perte de travail à prendre en considération en cas de résiliation anticipée des rapports de travail d’un commun accord. Dans ce cas, la perte de travail, pendant la période correspondant au délai de congé ou jusqu’au terme prévu par le contrat dans l’hypothèse d’un contrat à durée déterminée, n’est pas prise en considération tant que les prestations de l’employeur couvrent la perte de revenu afférent à cette période (al. 1). Lorsque les prestations de l’employeur dépassent le montant des salaires dus à l’assuré jusqu’au terme ordinaire des rapports de travail, les dispositions concernant les prestations volontaires de l’employeur selon l’art. 11a LACI sont applicables (al. 2).

Enfin, selon l’art. 11a LACI, la perte de travail n’est pas prise en considération tant que des prestations volontaires versées par l’employeur couvrent la perte de revenu résultant de la résiliation des rapports de travail (al. 1). Ces prestations volontaires de l’employeur ne sont toutefois prises en compte que pour la part qui dépasse le montant maximum visé à l’art. 3 al. 2 LACI (al. 2). Ce montant maximum est de 148’200 fr. depuis le 01.01.2016 (art. 3 al. 2 LACI en corrélation avec l’art. 22 al. 1 OLAA [RS 832.202]). Jusqu’au 31.12.2015, il s’élevait à 126’000 fr. Lorsqu’elles dépassent le maximum (ou montant franc), les prestations volontaires repoussent donc dans le temps le délai-cadre d’indemnisation, ouvrant ainsi une période de carence. La notion de « prestations volontaires » de l’employeur au sens de l’art. 11a LACI est définie négativement: il faut entendre les prestations allouées en cas de résiliation des rapports de travail régis par le droit privé ou par le droit public qui ne constituent pas des prétentions de salaire ou d’indemnités selon l’art. 11 al. 3 LACI (art. 10a OACI). Il s’agit d’une notion spécifique à l’assurance-chômage, en ce sens que les prestations volontaires visées par l’art. 11a LACI peuvent également reposer sur un contrat qui lie l’employeur (cf. THOMAS NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol XIV, 3e éd. 2016, n. 168 p. 2518; RUBIN, op. cit., n° 5 ad art. 11a LACI). Il est question, dans un sens large, des indemnités qui excèdent ce à quoi la loi donne droit à la fin du contrat de travail, en particulier des indemnités de départ destinées à compenser les conséquences de la perte de l’emploi (sur ces divers points, voir ATF 143 V 161 précité consid. 3.4. p. 164 et les références de doctrine citées). Ainsi le Tribunal fédéral a-t-il jugé qu’une « Retention Cash Grant » accordée par l’employeur selon sa libre appréciation à la fin des rapports de travail représentait une prestation volontaire de l’employeur au sens de l’art. 11a LACI (arrêt 8C_822/2015 du 14 janvier 2016 consid. 3.2).

Il résulte en résumé de ce qui précède que certaines pertes de gain qui surviennent à la fin des rapports de travail n’en sont pas réellement si l’assuré peut récupérer les sommes perdues auprès de l’employeur (art. 11 al. 3 LACI et art. 10h OACI). Il s’agit d’inciter le salarié à faire valoir ses prétentions auprès de l’employeur et à empêcher ainsi que celui-ci ne fasse supporter à l’assurance-chômage les salaires ou indemnités qu’il est tenu de payer (RUBIN, op. cit, n° 2 ad art. 11 LACI). La perte de travail n’est pas non plus prise en considération si des prestations volontaires couvrent une perte de revenu découlant de la résiliation des rapports de travail. Il s’agit, en particulier, d’éviter une indemnisation à double. Les prestations ne sont cependant prises en compte qu’à partir d’un certain seuil, afin de ne pas dissuader les employeurs de proposer des plans sociaux (ATF 143 V 161 déjà cité consid. 3.5 p. 165).

 

Le droit suisse ne contient aucune disposition qui traite spécifiquement du bonus, lequel peut consister dans le versement d’une somme d’argent ou encore dans la remise d’actions ou d’options (ATF 141 III 407 consid. 4.1 p. 407). Récemment, dans l’arrêt 4A_485/2016 du 28 avril 2017 consid. 4 (voir aussi l’arrêt 4A_78/2018 du 10 octobre 2018 consid. 4), le Tribunal fédéral a résumé comme suit sa jurisprudence relative aux bonus :

Pour qualifier un bonus dans un cas d’espèce, il faut interpréter les manifestations de volonté des parties (cf. art. 1 CO). Il s’agit tout d’abord d’établir si le bonus est déterminé (respectivement déterminable) ou indéterminé (respectivement indéterminable).

Si le bonus est déterminé ou objectivement déterminable, l’employé dispose d’une prétention à ce bonus. Une rémunération est objectivement déterminable lorsqu’elle ne dépend plus de l’appréciation de l’employeur. Cela est le cas lorsque l’employé a droit à une part du bénéfice ou du chiffre d’affaires ou participe d’une autre manière au résultat de l’exploitation (art. 322a CO; ATF 141 III 407 consid. 4.2 p. 408). L’employeur doit alors tenir son engagement consistant à verser à l’employé la rémunération convenue (élément essentiel du contrat de travail) et le bonus doit être considéré comme un élément (variable) du salaire.

L’engagement (contractuel) de l’employeur à verser à son employé une rémunération déterminée (ou objectivement déterminable) à titre de salaire peut résulter de l’accord conclu initialement (au début de la relation contractuelle) entre les parties ou celles-ci peuvent en convenir postérieurement, au cours de la relation contractuelle (ATF 129 III 276 consid. 2 p. 278).

Si le bonus n’est pas déterminé ou objectivement déterminable, l’employé ne dispose en règle générale d’aucune prétention : la rémunération dépend du bon vouloir de l’employeur et le bonus est qualifié de gratification. Tel est le cas lorsque la quotité du bonus n’est pas fixée à l’avance, mais dépend pour l’essentiel de la marge de manœuvre de l’employeur (ATF 141 III 407 consid. 4.1 et 4.2 p. 407 s. et les références citées), en ce sens que la part de l’employé au résultat de l’entreprise n’est pas fixée contractuellement ou encore dépend de l’appréciation (subjective), par l’employeur, de la prestation de travail fournie par l’employé (ATF 139 III 155 consid. 3.1 p. 157).

Lorsque le bonus n’est pas déterminé ou objectivement déterminable, il doit être qualifié de gratification. Ce n’est que dans ce cas que le critère (indépendant de celui visant à qualifier, dans un premier temps, le bonus) de l’accessoriété peut trouver application et, le cas échéant, qu’il s’imposera de requalifier le bonus en salaire (sous l’angle du très haut revenu, cf. ATF 141 III 407 consid. 5.3.1 p. 412 s.).

Le critère de l’accessoriété est appliqué de manière différenciée selon l’importance du revenu de l’employé, par quoi il faut entendre la rémunération totale perçue de l’employeur durant l’année (ATF 141 III 407 consid. 4.3 p. 408).

En cas de revenus moyens et supérieurs, le Tribunal fédéral a estimé qu’un bonus très élevé en comparaison du salaire annuel, équivalent ou même supérieur à ce dernier, et versé régulièrement, doit être, par exception à la règle de la liberté contractuelle, considéré comme un salaire variable même si l’employeur en réservait le caractère facultatif. La gratification (art. 322d CO) doit en effet rester accessoire par rapport au salaire (art. 322 s. CO); elle ne peut avoir qu’une importance secondaire dans la rétribution du travailleur.

En cas de revenus modestes, un bonus proportionnellement moins élevé peut déjà avoir le caractère d’un salaire variable (ATF 141 III 407 consid. 4.3.1 p. 408 s.).

En revanche, lorsque l’employé perçoit un très haut revenu, il n’y a pas lieu d’admettre une exception à la règle de la liberté contractuelle : le bonus reste toujours une gratification (ATF 141 III 407 consid. 4.3.2 p. 409).

Si la rémunération totale de l’employé dépasse le seuil du très haut revenu, il n’y a pas lieu de qualifier le bonus de salaire, le critère de l’accessoriété n’étant pas applicable. En revanche, si la rémunération totale de l’employé n’atteint pas ce seuil, le critère de l’accessoriété s’applique et, sur cette base, une requalification (partielle ou totale) du bonus doit intervenir (nullité partielle; ATF 141 III 407 consid. 5.3.1 p. 412 s.).

Le revenu d’un employé doit être qualifié de « très haut », lorsque sa rémunération totale équivaut ou dépasse cinq fois le salaire médian suisse (secteur privé) (ATF 141 III 407 consid. 5 p. 409 ss).

 

Dans un premier temps, il faut donc qualifier le bonus en recherchant la réelle et commune intention des parties (question de fait) et, à défaut, en appliquant le principe de la confiance (question de droit qu’il convient de trancher en se fondant sur le contenu des manifestations de volonté et sur les circonstances, qui relèvent du fait). Ce n’est que dans un deuxième temps, s’il arrive à la conclusion que le bonus est, selon la volonté des parties, une gratification (ce qui sera le cas lorsque la rémunération n’est ni déterminée ni objectivement déterminable), que le juge devra raisonner sur la base du critère de l’accessoriété (arrêt 4A_485/2016 précité consid. 5.1).

Le bonus prévu dans le plan « Company-Wide Employee Incentive » représente une gratification, qui n’impose aucune obligation à l’employeur et ne confère de ce fait aucun droit à l’employé. Il peut être modifié ou supprimé à tout moment. L’assuré soutient, certes, que ce bonus était objectivement déterminable, notamment du fait qu’il était fondé sur la performance individuelle par rapport aux buts et objectifs fixés, de sorte qu’il peut être considéré comme un élément du salaire. Mais cette argumentation n’est pas fondée. L’employeur n’a pas fixé contractuellement la part de l’employé aux résultats de la société. Il n’a pas non plus écarté tout critère subjectif puisque son montant dépend d’objectifs individuels, soit d’une appréciation subjective de la prestation du travailleur par l’employeur (cf. ATF 141 III 407 déjà cité consid. 4.2.2 p. 408; 139 III 155 précité consid. 3.1 p. 156). Contrairement à ce que soutient l’assuré, il importe peu, à cet égard, que depuis 2010 la composante individuelle ne comptait plus que pour 25% dans le bonus global alors que les 75% étaient calculés en fonction du résultat de l’entreprise. Pour le reste, les premiers juges ont admis, avec raison, que l’on ne peut appliquer le critère de l’accessoriété, compte tenu du niveau de rémunération de l’assuré (sur la notion de très haut revenu, voir ATF 141 III 407 précité consid. 5.3.4 p. 414 s. et consid. 6.1 p. 417; arrêt dans les causes jointes 4A_513/2017 et 4A_519/2017 du 5 septembre 2018 consid. 5.4).

 

Conformément aux règlements applicables au plan d’intéressement sous la forme de « stock options » (SO) et de « restricted stock units » (RSU), la participation à celui-ci constitue une gratification discrétionnaire et non une rémunération de base. La cour cantonale déduit également ce fait de plusieurs documents remis par l’employeur à son ex-employé dans lesquels le premier a chaque fois indiqué que les « awards equity » étaient octroyés sur une base discrétionnaire, occasionnellement ou exceptionnellement. Ce n’est pas la valeur boursière à un moment donné qui est déterminante pour juger s’il s’agit d’un élément de salaire ou d’une gratification, mais bien le fait que les bonus litigieux et leur étendue sont laissés au pouvoir discrétionnaire de l’employeur. C’est donc à juste titre que la juridiction cantonale a conclu, que les montants des stock options et des restricted stock units inclus dans l’indemnité de départ représentaient des prestations volontaires de l’employeur.

 

En définitive, la juridiction cantonale n’a pas violé le droit fédéral en considérant que seuls les montants de 112’535 fr. et de 126’000 fr. devaient être déduits de l’indemnité de départ accordée à l’assuré, le solde, par 1’251’465 fr. représentant des prestations volontaires de l’employeur couvrant la perte de revenu. La notion de prestations volontaires est une notion spécifique à l’assurance-chômage. Il n’est pas décisif que l’indemnité en cause repose sur une base contractuelle (« Separation agreement ») qui lie l’employeur en matière civile (arrêt 4A_45/2017 du 27 juin 2017 consid. 6.2, non publié in ATF 143 III 480). Pour le reste, le jugement attaqué n’apparaît pas critiquable en tant qu’il confirme la décision de la caisse à propos du report du début du droit à l’indemnité au mois d’avril 2018. L’assuré avait une prétention de salaire pour les mois de septembre, octobre et novembre 2015 (délai de congé). Il s’y ajoute une période de carence de 28 mois et 5 jours dès le 01.12.2015. En effet, compte tenu d’un dernier salaire mensuel de 44’405 fr., cette période est de 28.1829 mois (1’251’465 fr. : 44’405). Les fractions de mois doivent être converties selon la formule: 0.1829 x 30, soit 5.4 jours. La période pendant laquelle la perte de travail n’est pas prise en considération est ainsi de 28 mois et 5 jours dès le 01.12.2015 soit jusqu’au 05.04.2018.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_427/2018 consultable ici