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9C_13/2023 (f) du 22.11.2023 – Salaire déterminant pour la perception des cotisations / 5 LAVS – 7 RAVS / Associés gérants d’une Sàrl ayant son siège en Suisse – 810 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_13/2023 (f) du 22.11.2023

 

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Salaire déterminant pour la perception des cotisations / 5 LAVS – 7 RAVS

Associés gérants d’une Sàrl ayant son siège en Suisse / 810 CO

 

A.__ Sàrl (ci-après: la société ou la recourante) a pour but la distribution et le commerce national et international de produits naturels dans le domaine de la santé, de la cosmétique et de l’alimentation. C.C.__ et D.C.__, alors domiciliés dans le canton de Vaud, en ont été les associés gérants avec signature individuelle depuis le 11.02.1999. A compter du 26.10.2015, D.C.__ est devenu associé gérant président avec signature individuelle, tandis que C.C.__ est restée associée gérante avec signature individuelle; leur fils, E.C.__, a été inscrit en qualité de directeur, avec signature individuelle. Le 15.04.2016, les époux C.C.__ et D.C.__ ont quitté le canton de Vaud pour s’établir à l’étranger, à F.__.

A la suite d’un contrôle d’employeur portant sur la période de janvier 2015 à décembre 2018, la caisse de compensation a réclamé à A.__ Sàrl le paiement de la somme de 151’292 fr. 40, par décision du 24.02.2020, confirmée sur opposition. Ce montant correspondait à la reprise des cotisations paritaires, frais d’administration et intérêts moratoires compris, en faveur des époux C.C.__ et D.C.__, sur des rémunérations versées entre le 01.06.2016 et le 31.12.2018. En bref, la caisse de compensation a considéré que les rémunérations versées par A.__ Sàrl à C.C.__ et D.C.__, puis celles que la société avait versées sur un compte bancaire de la société G.__, basée à l’étranger et détenue par les époux C.C.__ et D.C.__, à titre d’honoraires en faveur de ceux-ci en 2017 et 2018, constituaient un salaire déterminant d’une activité lucrative dépendante soumis aux cotisations sociales.

 

Procédure cantonale (arrêt AVS 41/20 – 33/2022 – consultable ici)

Par jugement du 15.11.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Le salaire déterminant pour la perception des cotisations comprend toute rémunération pour un travail dépendant, fourni pour un temps déterminé ou indéterminé (art. 5 al. 2 LAVS). Selon l’art. 7 let. h RAVS, le salaire déterminant pour le calcul des cotisations comprend notamment les tantièmes, les indemnités fixes et les jetons de présence des membres de l’administration et des organes dirigeants des personnes morales.

Lorsque des honoraires sont versés par une société anonyme à un membre du conseil d’administration, il est présumé qu’ils lui sont versés en sa qualité d’organe d’une personne morale et qu’ils doivent être, par conséquent, considérés comme salaire déterminant réputé provenir d’une activité salariée (ATF 105 V 113 consid. 3; arrêt 9C_727/2014 du 23 mars 2015 consid. 4.1 et les références). Cette présomption peut être renversée en établissant que les honoraires versés ne font pas partie du salaire déterminant. Tel est le cas lorsque les indemnités n’ont aucune relation directe avec le mandat de membre du conseil d’administration mais qu’elles sont payées pour l’exécution d’une tâche que l’administrateur aurait assumée même sans appartenir au conseil d’administration; en pareille hypothèse, l’intéressé agit en qualité de tiers vis-à-vis de la société et le gain découlant d’une telle activité se caractérise comme un revenu d’une activité indépendante (ATF 105 V 113 consid. 3; arrêts 9C_727/2014 du 23 mars 2015 consid. 4.1; 9C_365/2007 du 1er juillet 2008 consid. 5.1).

Consid. 4.1
S’agissant de la période du 01.06.2016 au 31.03.2017, l’instance cantonale a considéré qu’en leur qualité de dirigeants de la recourante, une société à responsabilité limitée ayant son siège en Suisse, les époux C.C.__ et D.C.__ avaient exercé une activité lucrative en Suisse et étaient obligatoirement assurés au sens de la LAVS, selon l’art. 1a al. 1 let. b LAVS. Elle a ensuite nié que la société fût parvenue à renverser la présomption selon laquelle les rémunérations versées à C.C.__ et D.C.__ l’avaient été en leur qualité d’organe de la société et correspondaient ainsi à un salaire déterminant d’une activité dépendante, parce qu’elle n’a pas réussi à démontrer que les activités déployées constituaient des tâches que le couple C.C.__ et D.C.__ aurait assumées même sans être gérant de la recourante.

Consid. 4.2
La recourante semble tout d’abord contester l’obligation d’assurance des époux C.C.__ et D.C.__ entre le 01.06.2016 au 31.03.2017, en se référant aux considérations de la juridiction cantonale sur l’ATF 119 V 65. Elle affirme à cet égard qu’ils n’avaient pas une influence déterminante sur son activité.

L’argumentation de la société tombe à faux au regard de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, dûment rappelée et appliquée par les juges cantonaux. Selon l’ATF 119 V 65 consid. 3b, est considéré comme exerçant une activité lucrative en Suisse (au sens de l’art. 1a al. 1 let. b LAVS) et doit payer des cotisations sur les revenus en découlant celui qui est inscrit au registre du commerce comme administrateur, comme directeur ou au titre d’une autre fonction dirigeante d’une personne morale ayant son siège en Suisse et se trouve en mesure d’exercer une influence déterminante sur l’activité de la société suisse, même s’il a son domicile à l’étranger; peu importe qu’il n’use pas effectivement de ses compétences et que la gestion effective de la société soit déléguée à d’autres personnes (cf. aussi arrêt 9C_105/2011 du 12 octobre 2011 consid. 4.2). Or à cet égard, la société ne conteste pas que du 26.10.2015 au 28.09.2020, les époux C.C.__ et D.C.__ étaient inscrits au registre du commerce, en tant qu’associé gérant président de la recourante, avec signature individuelle, s’agissant de D.C.__, respectivement en tant qu’associée gérante, avec signature individuelle, concernant C.C.__. Le fait qu’ils n’auraient pas exercé une influence déterminante sur l’activité de la société comme ils le prétendent n’est pas déterminant puisqu’il suffit qu’ils en eussent eu la possibilité conformément à leur position d’organes formels de la Sàrl. Dans la mesure où F.__ – où est domicilié le couple C.C.__ et D.C.__ depuis le mois d’avril 2016 – n’est pas partie à l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681), ni à l’Association européenne de libre-échange (AELE) ni à une autre convention bilatérale avec la Suisse, la législation suisse – notamment l’art. 1a al. 1 let. b LAVS – est applicable, comme l’a dûment exposé la juridiction cantonale.

Consid. 4.3.1
Les juges cantonaux ont appliqué la présomption découlant des art. 5 al. 2 LAVS et 7 RAVS selon laquelle les honoraires versés à un organe d’une personne morale constituent un salaire déterminant (consid. 2.2 supra). Ils ont en particulier constaté que selon le mémo explicatif transmis par la recourante à la caisse de compensation le 22.01.2020, les époux C.C.__ et D.C.__ souhaitaient transmettre la société à leur fils, E.C.__, et que cette démarche avait conduit à une certaine répartition des tâches entre eux-mêmes et leur fils. Alors que le couple C.C.__ et D.C.__ avait « conservé les tâches inaliénables des gérants d’une [S]àrl en Suisse, à savoir notamment la haute direction de la société », le « reste des activités de la gestion de la société », à savoir les responsabilités courantes et les tâches de gestion quotidienne, était transmis à leur fils. Compte tenu de ces indications, c’est en vain que la société affirme dans son écriture de recours que les activités confiées aux époux C.C.__ et D.C.__ conformément au « service agreement » qu’elle avait conclu le 17.01.2019 avec le couple C.C.__ et D.C.__ ne s’inscrivent pas au sein des attributions intransmissibles et inaliénables des gérants d’une société à responsabilité limitée selon l’art. 810 al. 2 CO et qu’elle procède à sa propre « qualification juridique » de celles-ci. En présence de deux versions différentes et contradictoires d’un fait, la juridiction cantonale ne tombe en particulier pas dans l’arbitraire en accordant la préférence à celle que la personne en cause a donnée alors qu’elle en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être consciemment ou non le fruit de réflexions ultérieures (ATF 142 V 590 consid. 5.2; 121 V 45 consid. 2a; arrêt 9C_248/2022 du 25 avril 2023 consid. 4.3).

De plus, l’instance cantonale a dûment exposé les raisons pour lesquelles elle a considéré que la large majorité des activités confiées au couple C.C.__ et D.C.__ correspondait à des tâches inaliénables et inhérentes à la qualité de gérant d’une société à responsabilité limitée (selon l’art. 810 al. 2 CO) que les époux n’auraient pas effectuées en dehors de leur fonction dirigeante. Son appréciation ne prête pas le flanc à la critique. A cet égard, quoi qu’en dise la recourante, le « coaching des cadres responsables des finances et de l’entreprise » effectué par D.C.__ relève de l’exercice de la surveillance sur les personnes chargées de parties de la gestion afin de s’assurer notamment qu’elles observent la loi, les statuts, les règlements et les instructions données (cf. art. 810 al. 2 ch. 4 CO). Quant aux tâches de supervision du marketing dont s’occupait C.C.__, elles ont été confiées à celle-ci en raison de sa longue expérience au sein de la société et rien n’indique qu’elle aurait assumé cette fonction de conseil et de surveillance si elle n’était pas restée associée gérante. Le grief tiré de la violation de l’art. 810 CO est mal fondé.

Consid. 4.3.2
La recourante ne saurait pas non plus tirer argument en sa faveur d’un retrait progressif du couple C.C.__ et D.C.__ des tâches relevant de sa gestion entre octobre 2015 et mars 2017. La société ne démontre en particulier pas que les époux C.C.__ et D.C.__ auraient de toute façon perçu leurs honoraires pour les activités déployées, indépendamment de leur qualité d’associé gérant et d’associé gérant président. Or à ce propos, à la lecture du mémo explicatif transmis par la recourante à la caisse de compensation le 22.01.2020, on constate que les époux C.C.__ et D.C.__ avaient délégué les activités de gestion de la société « à la personne désignée pour leur succession », à savoir leur fils, ce qui leur permettait de poursuivre l’expansion de la société à l’étranger. Ils sont donc restés très impliqués dans le développement de la société, tout en assistant le troisième associé de leurs conseils; le lien entre leur position d’organes formels et leurs activités ne saurait être nié. On ajoutera par ailleurs qu’il ressort du « service agreement » conclu entre le couple C.C.__ et D.C.__ et la recourante le 17.01.2019 que celle-ci devait s’acquitter du versement, en leur faveur, d’une rémunération de 30’000 fr. du 01.06.2016 au 31.03.2017, sans opérer de distinction en fonction de l’avancement du processus de transfert de la gestion de la recourante à E.C.__.

Dans ce contexte, c’est en vain que la société se prévaut de certaines clauses du « service agreement » la liant aux époux C.C.__ et D.C.__ pour affirmer que ceux-ci auraient exercé une activité indépendante. Elle allègue en particulier à ce propos que les intéressés bénéficiaient d’une « indépendance organisationnelle », puisqu’ils étaient totalement libres de choisir les outils et structures qu’ils jugeaient utiles pour la bonne exécution de leurs activités respectives. L’argumentation de la société est mal fondée, dès lors déjà qu’en ce qui concerne le critère de la dépendance à un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, le fait invoqué par la société n’apparaît pas à lui seul déterminant (concernant les critères permettant de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée, cf. ATF 140 V 108 consid. 6; 123 V 161 consid. 1 et les références). Le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 5.1
Pour la période du 01.04.2017 au 31.12.2018, la juridiction cantonale a constaté que les époux C.C.__ et D.C.__ étaient les deux seuls administrateurs de G.__, incorporée à H.__ le 29.03.2017, et que le « service agreement » conclu entre cette société et A.__ Sàrl le 17.01.2019 l’avait été afin de rémunérer les époux C.C.__ et D.C.__ pour leurs activités au profit de la seconde société. Ce « service agreement » prévoyait en effet le paiement, par A.__ Sàrl à G.__, d’une somme mensuelle de 30’000 fr. du 01.04.2017 au 31.12.2018, correspondant à la rémunération précédemment versée par A.__ Sàrl au couple C.C.__ et D.C.__ du 01.06.2016 au 31.03.2017 conformément au « service agreement » conclu par les époux C.C.__ et D.C.__ et A.__ Sàrl. Par ailleurs, l’appendice joint au « service agreement » liant G.__ à la recourante était identique à celui annexé au « service agreement » conclu par le couple C.C.__ et D.C.__ et A.__ Sàrl, si bien que le cahier des charges était limité strictement aux prestations que devaient fournir C.C.__ et D.C.__ à A.__ Sàrl. Les juges cantonaux en ont déduit qu’il était établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les rémunérations versées par A.__ Sàrl sur le compte bancaire de G.__ avaient été perçues par les époux C.C.__ et D.C.__, dès le 01.04.2017 et ce jusqu’au 31.12.2018. En conséquence, ils ont admis que C.C.__ et D.C.__ avaient continué d’exercer une activité lucrative en Suisse entre le 01.04.2017 et le 31.12.2018 et qu’ils étaient donc demeurés assurés en application de l’art. 1a al. 1 let. b LAVS. L’instance cantonale a finalement considéré que la recourante n’était pas parvenue à renverser la présomption selon laquelle les honoraires versés aux époux C.C.__ et D.C.__ correspondaient à un salaire déterminant provenant d’une activité dépendante, s’agissant de la période du 01.04.2017 au 31.12.2018.

Consid. 5.2.2
En l’occurrence, la juridiction cantonale n’a pas appliqué le principe de la transparence (« Durchgriff »; sur ce principe, cf. ATF 145 III 351 consid. 4.2; 144 III 541 consid. 8.3.1; 132 III 489 consid. 3.2; arrêt 8C_417/2020 du 9 mars 2021 consid. 10.2.1). Elle s’est fondée sur la pratique administrative. Selon le ch. 3085 des directives de l’OFAS sur l’assujettissement aux assurances AVS et AI (DAA), il y a également une activité lucrative en Suisse lorsque les honoraires ne sont pas versés directement à l’intéressé mais transférés à une société établie à l’étranger. Comme l’a retenu l’instance cantonale, ce principe ne revient pas à nier la légitimité ou l’existence de cette société; il s’agit uniquement de qualifier les rémunérations liées aux activités du couple C.C.__ et D.C.__ en tant qu’associés gérants de la recourante, et que la recourante leur a versées par l’intermédiaire de la société étrangère. Les considérations des juges cantonaux selon lesquelles C.C.__ et D.C.__ avaient continué d’exercer une activité lucrative en Suisse entre le 01.04.2017 et le 31.12.2018 et étaient assurés en application de l’art. 1a al. 1 let. b LAVS, doivent dès lors être confirmées.

Consid. 5.3
En ce que la recourante conteste finalement « la répartition et qualification des tâches », en renvoyant à l’argumentation qu’elle a développée s’agissant de la période d’octobre 2015 à mars 2017 et en affirmant que le fait que les appendices des deux « service agreements » conclus le 17.01.2019 sont identiques, tout comme la rémunération, ne remet pas en cause que les époux C.C.__ et D.C.__ se sont peu à peu « retirés de leur activité de gérant » pour se consacrer à l’expansion de A.__ Sàrl à l’étranger en tant qu’indépendants désormais, son argumentation est mal fondée. La société ne démontre en particulier pas que C.C.__ et D.C.__ auraient agi en qualité de tiers vis-à-vis d’elle (cf. consid. 4.3.2 supra). Elle ne parvient dès lors pas à renverser la présomption selon laquelle les rémunérations versées à G.__ en faveur de C.C.__ et D.C.__ l’avaient été en leur qualité d’organes de A.__ Sàrl. Le recours est mal fondé sur ce point également.

Consid. 6
Eu égard à ce qui précède, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations de la juridiction de première instance, selon lesquelles entre le 01.06.2016 et le 31.12.2018, les rémunérations perçues par les époux C.C.__ et D.C.__ constituaient un salaire déterminant provenant d’une activité dépendante et étaient soumises à cotisations sociales. Pour le surplus, la recourante n’a pas contesté que les salaires tels que rapportés par la caisse de compensation étaient établis par pièces, si bien que les juges cantonaux étaient fondés à confirmer la quotité du montant réclamé à titre de cotisations sociales.

 

Le TF rejette le recours de A.__ Sàrl.

 

Arrêt 9C_13/2023 consultable ici

 

8C_409/2022 (f) du 03.05.2023 – Statut de travailleur dépendant vs d’indépendant pour une personne assurée exerçant plusieurs activités lucratives en même temps / 1a al. 1 LAA – 1 OLAA – 5 al. 2 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_409/2022 (f) du 03.05.2023

 

Consultable ici

 

Statut de travailleur dépendant vs d’indépendant pour une personne assurée exerçant plusieurs activités lucratives en même temps / 1a al. 1 LAA – 1 OLAA – 5 al. 2 LAVS

Risque économique d’entrepreneur

 

B.A.__ (ci-après : le père), architecte au bénéfice d’un statut d’indépendant dès octobre 2016, est le père de A.A.__ (ci-après : le fils), né en 1988, qui exerce la profession de dessinateur en bâtiments. Père et fils collaborent dans le cadre de mandats confiés par le premier nommé.

Le fils a demandé une affiliation à l’assurance-accidents en tant qu’indépendant dès le 01.01.2017. Par courrier du 13.06.2018, puis par décision de constatation du 17.06.2019 confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a retenu un double statut du fils dès le 01.01.2017: celui d’indépendant à titre principal dans le cadre de ses mandats privés, et de salarié s’agissant de l’activité déployée dans le cadre des mandats confiés par son père.

Par décision du 21.08.2019, confirmée sur opposition le 06.01.2020 également, le père s’est vu imputer le statut d’employeur de son fils, respectivement le statut de salarié de ce dernier.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 14&15/20 – 53/2022 – consultable ici)

Par jugement du 09.05.2022, admission des recours du père et du fils par le tribunal cantonal, réformant en ce sens que le fils remplissait, au sens de la LAA, les critères pour se voir reconnaître l’exercice d’une activité indépendante dans le cadre des mandats qui lui étaient confiés par son père.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire conformément à la présente loi les travailleurs occupés en Suisse. Aux termes de l’art. 1 OLAA, est réputé travailleur quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants. Conformément à l’art. 5 al. 2 LAVS, on considère comme salaire déterminant toute rétribution pour un travail dépendant effectué dans un temps déterminé ou indéterminé. Quant au revenu provenant d’une activité indépendante, il comprend tout revenu du travail autre que la rémunération pour un travail accompli dans une situation dépendante (art. 9 al. 1 LAVS).

Consid. 3.2
Le point de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée ne doit pas être tranché d’après la nature juridique du rapport contractuel entre les partenaires. Ce qui est déterminant, bien plutôt, ce sont les circonstances économiques (ATF 144 V 111 consid. 4.2; 140 V 241 consid. 4.2). D’une manière générale, est réputé salarié celui qui dépend d’un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, et ne supporte pas le risque encouru par l’entrepreneur (ATF 123 V 161 consid. 1; arrêt 9C_70/2022 du 16 février 2023 consid. 6.2, destiné à la publication; arrêts 9C_423/2021 du 1er avril 2022 consid. 6.1; 8C_38/2019 du 12 août 2020 consid. 3.2). Ces principes ne conduisent cependant pas, à eux seuls, à des solutions uniformes applicables schématiquement. Les manifestations de la vie économique revêtent en effet des formes si diverses qu’il faut décider dans chaque cas particulier si l’on est en présence d’une activité dépendante ou d’une activité indépendante en considérant toutes les circonstances de ce cas. Souvent, on trouvera des caractéristiques appartenant à ces deux genres d’activité; pour trancher la question, on se demandera quels éléments sont prédominants dans le cas considéré (ATF 140 V 108 consid. 6; 123 V 161 consid. 1; arrêt 8C_398/2022 du 2 novembre 2022 consid. 3.2 et les références).

Consid. 3.3
Les principaux éléments qui permettent de déterminer le lien de dépendance quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise sont le droit de l’employeur de donner des instructions, le rapport de subordination du travailleur à l’égard de celui-ci, ainsi que l’obligation de l’employé d’exécuter personnellement la tâche qui lui est confiée. Un autre élément est le fait qu’il s’agit d’une collaboration régulière, autrement dit que l’employé est régulièrement tenu de fournir ses prestations au même employeur. En outre, la possibilité pour le travailleur d’organiser son horaire de travail ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’une activité indépendante (ATF 122 V 169 consid. 6a/cc; arrêts 8C_398/2022 précité consid. 3.3; 8C_38/2019 précité consid. 3.2; 9C_213/2016 du 17 octobre 2016 consid. 3.3 et les références).

Consid. 3.4
Le risque économique d’entrepreneur peut être défini comme étant celui que court la personne qui doit compter, en raison d’évaluations ou de comportements professionnels inadéquats, avec des pertes de la substance économique de l’entreprise. Constituent notamment des indices révélant l’existence d’un tel risque le fait que la personne concernée opère des investissements importants, subit les pertes, supporte le risque d’encaissement et de ducroire, assume les frais généraux, agit en son propre nom et pour son propre compte, se procure elle-même les mandats, occupe du personnel et utilise ses propres locaux commerciaux. Le risque économique de l’entrepreneur n’est cependant pas à lui seul déterminant pour juger du caractère dépendant ou indépendant d’une activité. La nature et l’étendue de la dépendance économique et organisationnelle à l’égard du mandant ou de l’employeur peuvent singulièrement parler en faveur d’une activité dépendante dans les situations dans lesquelles l’activité en question n’exige pas, de par sa nature, des investissements importants ou de faire appel à du personnel. En pareilles circonstances, il convient d’accorder moins d’importance au critère du risque économique de l’entrepreneur et davantage à celui de l’indépendance économique et organisationnelle (arrêts 8C_398/2022 précité consid. 3.4; 9C_213/2016 précité consid. 3.4 et les références).

Consid. 3.5
Si une personne assurée exerce plusieurs activités lucratives en même temps, la qualification du statut ne doit pas être opérée dans une appréciation globale. Il sied alors d’examiner pour chaque revenu séparément s’il provient d’une activité dépendante ou indépendante (ATF 144 V 111 consid. 6.1; 123 V 161 consid. 4a; 122 V 169 consid. 3b; arrêt 8C_804/2019 du 27 juillet 2020 consid. 3.2).

 

Consid. 5.2.1
Ainsi, concernant le matériel et les locaux nécessaires à travailler en indépendance énumérés par la cour cantonale, l’assurance-accidents mentionne que le fils ne disposait pas de cette infrastructure dès le début de son activité au 01.01.2017 et qu’il n’a effectué la majorité de ces investissements que vers la fin de la période litigieuse. En effet, en janvier 2017, le fils ne disposait que d’un ordinateur et d’un abonnement à un logiciel de conception, selon ses propres déclarations, et il n’a effectué les autres investissements que vers la fin de la période litigieuse. Ainsi, selon l’avenant au contrat de bail à loyer figurant au dossier, il ne louait un local que depuis le 01.09.2019. De même, ce n’est qu’à compter du 01.11.2019 qu’il a conclu un contrat en vue de bénéficier d’un site internet (nom de domaine) et d’une adresse e-mail professionnelle. En plus, il n’a acquis l’imprimante que le 02.12.2019, soit quelques semaines avant la fin de la période litigieuse. En outre, la somme totale des investissements opérés par le fils, surtout au début de son activité, était manifestement très modeste, consistant en un ordinateur d’une valeur d’environ 1’000 fr. et un logiciel de 400 fr. Par ailleurs, dans le cadre du questionnaire d’affiliation à la caisse cantonale vaudoise de compensation AVS pour les personnes de condition indépendante du 2 janvier 2018, le fils a indiqué qu’il exerçait son activité dans les locaux de ses mandants, lesquels étaient mis à sa disposition gratuitement. En somme, il ne disposait ni du matériel nécessaire, ni d’un site internet ou de locaux propres durant la majeure partie de la période considérée. Même si l’on admettait, à l’instar de la cour cantonale, une certaine marge de temps pour la mise en œuvre de l’activité indépendante (ce que l’assurance-accidents conteste), une telle marge ne saurait atteindre près de trois ans. La cour cantonale n’ayant pas pris en considération ces éléments, son appréciation de l’infrastructure à disposition du fils ne convainc pas.

Consid. 5.2.2
L’assurance-accidents soutient en plus que les professions auxquelles la cour cantonale apparente l’activité du fils (comme avocats, médecins, etc.) ne sauraient être considérées en soi comme indépendantes. En effet, la qualification d’une telle activité doit également être examinée au vu de toutes les circonstances économiques du cas d’espèce (ce qui vaut par ailleurs également pour les tâcherons que mentionne l’assurance-accidents: cf. ATF 101 V 87 consid. 2; arrêt 8C_597/2011 du 10 mai 2012 consid. 2.3).

Consid. 5.2.3
En ce qui concerne la constatation de la cour cantonale que le fils exerçait sous sa propre responsabilité, il sied de retenir, avec l’assurance-accidents, que cela était certes exact pour les travaux effectués pour quelques clients finaux auxquels il facturait directement ses prestations. Toutefois, s’agissant de l’activité déployée en faveur du père, seule déterminante en l’espèce, la situation était différente: Dans cette constellation, le fils travaillait uniquement pour le père – et non pour les clients finaux à l’égard desquels il n’avait aucune obligation juridique. Il ressort des factures présentes au dossier que, dans le cadre de ces mandats, il facturait toujours ses prestations au père et jamais aux clients finaux et qu’il n’a jamais facturé de frais pour l’impression de plans auprès d’imprimeurs, mais se limitait à rapporter ses heures de travail, exactement comme le font les travailleurs rémunérés à l’heure. Pour son travail confié par le père, le seul risque qu’il encourait était donc celui d’un salarié dont l’employeur ne s’acquitte pas du salaire pour un travail accompli. Dans le questionnaire du 30.04.2018, le fils a en outre indiqué que les « plans fournis doivent être en règle, bien que la responsabilité finale repose sur les architectes avec qui je travaille ». Force est de constater que la cour cantonale n’a pas non plus discuté ces éléments dans son appréciation de la responsabilité du fils. En ce qui concerne la conclusion d’un contrat d’assurance RC, l’assurance-accidents souligne à juste titre que c’est cohérent dès lors que le fils avait un statut mixte et qu’il exerçait en qualité d’indépendant pour certains clients envers lesquels il était responsable, tandis qu’il n’avait aucun lien avec les clients du père. Les conclusions de la cour cantonale concernant sa responsabilité à l’égard des clients du père ne sauraient ainsi être confirmées.

Consid. 5.2.4
Ni l’assurance-accidents ni la cour cantonale n’ont considéré comme déterminant le lien de filiation entre père et fils. Est en revanche pertinent le lien de dépendance économique de celui-ci à l’égard de celui-là. En effet, il ressort de l’analyse des factures que le fils a tiré 64% de ses revenus du travail confié par le père en 2017, 90% en 2018 et 34% en 2019. La cour cantonale ne s’est pas non plus prononcée sur ce fait, qui est pourtant décisif dès lors qu’il établit la régularité et l’importance des relations de travail entre les intimés, respectivement la dépendance économique du fils à l’égard du père.

Consid. 5.2.5
Enfin, la cour cantonale n’a pas non plus tenu compte du fait que, selon les renseignements donnés par le fils lui-même, il était tenu à une exécution personnelle du travail qui lui était confié – ce qui est caractéristique d’un contrat de travail – et qu’il ne sollicitait pas régulièrement de travaux au moyen d’annonces, de prospectus, d’un site web propre ou par tout autre biais. Or ces éléments plaident également en faveur du caractère dépendant de l’activité déployée par le fils pour le compte du père.

Consid. 5.3
En résumé, dans son appréciation, la cour cantonale n’a ni discuté ni pris en considération les nombreux éléments (ressortant des décisions sur opposition, du dossier et des mémoires de l’assurance-accidents dans la procédure cantonale) en faveur d’une activité dépendante: l’absence de matériel et de locaux propres durant l’essentiel de la période, l’absence d’investissements importants, surtout au début de la période litigieuse, l’absence de responsabilité personnelle du fils envers les clients finaux dans le cadre des mandats confiés par le père, la régularité de la relation de travail entre les parties intimées, la dépendance économique importante du fils, l’obligation d’exécution personnelle du travail et l’absence de recherche active de nouveaux mandats. Or, dans leur ensemble, ces éléments l’emportent sur les éléments qui iraient dans le sens de l’indépendance du fils envers le père. Ainsi, force est de constater que dans le cadre des mandats que lui avait confiés le père, le fils devait être qualifié de dépendant. Il en résulte que l’appréciation juridique effectuée par la cour cantonale se révèle insoutenable et contraire au droit fédéral, ce qui mène à l’admission du recours.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme les décisions sur opposition.

 

Arrêt 8C_409/2022 consultable ici

 

8C_419/2022 (f) du 06.04.2023 – Violation lors de la conclusion du contrat d’assurance LAA du devoir de conseil de l’assurance-accidents et de son conseiller – 27 LPGA / Principe de la protection de la bonne foi – 9 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_419/2022 (f) du 06.04.2023

 

Consultable ici

 

Couverture d’assurance d’une métairie / 1a LAA – 1 OLAA

Obligation d’assurance / 59 al. 2 LAA – 68 LAA

Portée du devoir de conseils de l’assureur social lors de la conclusion du contrat d’assurance LAA – Principe de la protection de la bonne foi / 27 al. 2 LPGA – 9 Cst.

Violation du devoir de conseil de l’assurance-accidents et de son conseiller / 27 LPGA

 

Madame A.__, titulaire d’une autorisation de tenir un établissement public, a exploité depuis le 01.05.2017, avec son époux Monsieur B.A.__, la Métairie. Le 28.06.2017, Madame A.__ a rempli et signé, avec l’aide de E.__, collaborateur de l’assurance-accidents divers documents (proposition pour la conclusion d’une assurance-accidents LAA, demande d’adhésion de raison individuelle/d’indépendant auprès de GastroSocial pour l’exploitation de la Métairie). Le 19.10.2017, l’assurance-accidents a adressé à Madame A.__ la police relative à l’assurance-accidents obligatoire LAA et complémentaire LAA, correspondant à la proposition d’assurance signée le 28.06.2017.

Le 23.08.2018, vers 14h30, Monsieur B.A.__ a été victime d’un accident mortel alors qu’il avait quitté la Métairie au volant d’un tracteur agricole prêté par un entrepreneur forestier de la région afin de couper un arbre. Il ressort des témoignages du chef cuisinier de la Métairie, et de G.__, berger, que feu Monsieur B.A.__ avait aidé pour le service d’un banquet le jour même jusqu’à 14h30 au restaurant de la Métairie, avant d’aller couper du bois pour une manifestation qu’il organisait le week-end suivant au restaurant. Par déclaration d’accident Madame A.__ a annoncé l’accident et le décès de son époux à l’assurance-accidents. Sous les rubriques « profession exercée » et « place de travail habituelle », il était indiqué « berger », respectivement « pâturage – forêt ». Le formulaire mentionnait en outre que la victime était engagée par contrat de durée déterminée depuis le 01.05.2017 par Madame A.__, Métairie de C.__, au taux de 100% à raison de 43,5 heures par semaine.

Par décision du 08.02.2021, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge l’événement du 23.08.2018. Madame A.__ a formé opposition contre cette décision, tout comme la Caisse supplétive. Par décision sur oppositions du 11.06.2021, l’assurance-accidents a rejeté les oppositions, considérant en substance que Monsieur B.A.__ exerçait la profession de berger à titre indépendant et que le fait qu’il ait aidé au restaurant le jour de l’accident ne constituait qu’un simple coup de main insuffisant pour créer une relation de travail. Si l’on devait considérer que le défunt exerçait une activité dépendante, il n’était pas couvert par la police d’assurance conclue avec l’assurance-accidents qui, selon la proposition d’assurance signée le 28.06.2017, assurait uniquement le personnel d’un hôtel-restaurant à la campagne et non l’activité de berger ou de bûcheron. L’assurance-accidents a également contesté le défaut de renseignement de son conseiller E.__.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 87/21 – 55/2022 – consultable ici)

Par jugement du 19.05.2022, admission des recours de Madame A.__ et de la Caisse supplétive par le tribunal cantonal, les conséquences de l’accident du 23.08.2018 devant être pris en charge par l’assurance-accidents.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire contre les accidents les travailleurs occupés en Suisse. Aux termes de l’art. 1 OLAA, est réputé travailleur selon l’art. 1a al. 1 LAA quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants. De manière générale, la jurisprudence considère comme tel la personne qui, dans un but lucratif ou de formation et sans devoir supporter de risque économique propre, exécute durablement ou provisoirement un travail pour un employeur, auquel il est plus ou moins subordonné (ATF 144 V 411 consid. 4.2; 115 V 55). Ce sont donc avant tout les personnes au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO ou qui sont soumises à des rapports de service de droit public qui sont ici visées. Dans le doute, la qualité de travailleur doit être déterminée, de cas en cas, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment au regard de l’existence d’une prestation de travail, d’un lien de subordination et d’un droit au salaire sous quelque forme que ce soit (arrêts 8C_611/2019 du 11 mai 2020 consid. 3.1 et les références; 8C_538/2019 du 24 janvier 2020 consid. 2.3 et les références, in SVR 2020 UV n° 22 p. 85).

En cas d’accident professionnel, il incombe à l’assureur auprès duquel le travailleur était assuré au moment où est survenu l’accident d’allouer les prestations (art. 77 al. 1, première phrase, LAA).

Consid. 3.2.1
L’assurance-accidents est gérée, selon les catégories d’assurés, par la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA) ou par d’autres assureurs autorisés et par une caisse supplétive gérée par ceux-ci (art. 58 LAA). Selon l’art. 68 al. 1 LAA, les personnes que la CNA n’a pas la compétence d’assurer doivent être assurées contre les accidents par une entreprise d’assurance privée soumise à la loi fédérale sur la surveillance des assurances (LSA), par une caisse publique d’assurance-accidents ou par une caisse-maladie au sens de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal). L’employeur doit veiller à ce que les travailleurs qu’il emploie soient assurés auprès d’un des assureurs désignés à l’art. 68 LAA (art. 69 al. 1, première phrase, LAA). Si un travailleur soumis à l’assurance obligatoire n’est pas assuré au moment où survient un accident, la caisse supplétive lui alloue les prestations légales d’assurance (art. 59 al. 3 LAA; cf. art. 73 al. 1 LAA).

Consid. 3.2.2
Alors que, dans l’assurance obligatoire, le rapport d’assurance avec la CNA est fondé sur la loi (art. 59 al. 1 LAA), le rapport d’assurance avec les autres assureurs est fondé sur un contrat passé entre l’employeur et l’assureur ou sur l’appartenance à une caisse résultant des rapports de travail (art. 59 al. 2 LAA). Aussi bien les entreprises d’assurance que les caisses maladies autorisées à pratiquer l’assurance-accidents au sens de l’art. 68 LAA agissent comme détentrices de la puissance publique, puisque la loi leur donne la compétence de rendre des décisions. Un tel pouvoir leur confère la possibilité de conclure des contrats d’assurance avec des employeurs et de réglementer des questions qui relèvent du droit public. Ces contrats peuvent être librement qualifiés de contrats spéciaux de droit public selon la LAA, qui ne sont liés ni aux règles de la LCA ni à celles de la LAMal. Dans la mesure où la LAA et son ordonnance d’exécution règlent l’assurance-accidents obligatoire de manière très détaillée, il ne reste que peu de place à l’autonomie contractuelle des parties. Les assureurs désignés à l’art. 68 LAA sont ainsi tenus d’établir conjointement un contrat-type – soumis à l’approbation du Conseil fédéral – contenant les clauses qui doivent obligatoirement figurer dans tout contrat d’assurance (art. 59a al. 1 et 3 LAA; sur le tout: arrêt 8C_44/2019 du 19 mai 2020 consid. 3.3).

Consid. 3.2.3
Selon l’art. 92 LAA, les assureurs fixent les primes en pour-mille du gain assuré (al. 1, première phrase). En vue de la fixation des primes pour l’assurance des accidents professionnels, les entreprises sont classées dans l’une des classes du tarif des primes et, à l’intérieur de ces classes, dans l’un des degrés prévus; le classement tient compte de la nature des entreprises et de leurs conditions propres, notamment du risque d’accidents et de l’état des mesures de prévention; les travailleurs d’une entreprise peuvent être classés par groupe, dans des classes et degrés différents (al. 2). Il n’y a pas de nécessité légale d’établir des polices distinctes pour des établissements exploités par le même employeur, puisque l’art. 92 LAA permet de classer les travailleurs d’une entreprise par groupe, dans des classes et degrés différents, de manière à appliquer des taux de primes nets différents en fonction des différentes classes de risque (arrêt 8C_44/2019 précité, consid. 3.4 et 4.2.2).

 

Consid. 4.1
L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase).

Consid. 4.2
Le devoir de conseils de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations (ATF 139 V 524 consid. 2.2; 135 V 339; 131 V 472 consid. 4.3). Les conseils ou renseignements portent sur les faits que la personne qui a besoin de conseils doit connaître pour pouvoir correctement user de ses droits et obligations dans une situation concrète face à l’assureur. Le devoir de conseils s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique. Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (arrêt 9C_145/2019 du 29 mai 2019 consid. 4.3.1 et les références).

Consid. 4.3
Selon la jurisprudence, le défaut de renseignement dans une situation où une obligation de renseigner est prévue par la loi, ou lorsque les circonstances concrètes du cas particulier auraient commandé une information de l’assureur, est assimilé à une déclaration erronée de sa part qui peut, à certaines conditions, obliger l’autorité à consentir à un administré un avantage auquel il n’aurait pas pu prétendre, en vertu du principe de la protection de la bonne foi découlant de l’art. 9 Cst. Un renseignement ou une décision erronés de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (a) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (b) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (c) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement (« ohne weiteres ») de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore qu’il se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour (d) prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice et (e) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée. Ces principes s’appliquent par analogie au défaut de renseignement, la condition (c) devant toutefois être formulée de la façon suivante: que l’administré n’ait pas eu connaissance du contenu du renseignement omis ou que ce contenu était tellement évident qu’il n’avait pas à s’attendre à une autre information (ATF 143 V 341 consid. 5.2.1; 131 V 472 consid. 5).

 

Consid. 6.2.1
L’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir violé l’art. 1a al. 1 LAA en retenant que feu Monsieur B.A.__, qui exerçait une activité indépendante, était assuré à titre obligatoire auprès d’elle.

Consid. 6.2.2
Il est vrai que la cour cantonale a considéré qu’il était vraisemblable que les époux A.__ fussent tous les deux indépendants mais elle a laissé la question du statut de feu Monsieur B.A.__ ouverte, dès lors qu’il eût incombé à l’assurance-accidents d’instruire cette question avant de conclure le contrat d’assurance-accidents avec son employeur et de percevoir des primes. Cela étant, il appert que soit Monsieur B.A.__ avait un statut de salarié et la question de savoir si l’art. 1a al. 1 LAA a été violé ne se pose pas, soit il avait une activité indépendante et dans ce cas, il eût incombé à l’assurance-accidents de déterminer le statut de ce dernier et de renseigner correctement Madame A.__ à ce propos avant de signer la proposition d’assurance. Or l’assurance-accidents n’a non seulement pas renseigné Madame A.__, admettant implicitement que feu Monsieur B.A.__ avait un statut de salarié, mais elle n’a pas non plus réagi lorsque Madame A.__ lui avait indiqué qu’elle-même, en tant qu’indépendante, était la seule à ne pas être couverte par l’assurance, confortant ainsi cette dernière dans le fait que son mari était assuré en tant que salarié. Dès lors que c’est en vertu du principe de la bonne foi que la cour cantonale a considéré que feu Monsieur B.A.__ était assuré à titre obligatoire auprès de l’assurance-accidents au moment de son accident, elle n’a pas violé l’art. 1a LAA en parvenant à cette conclusion.

 

Consid. 6.3.3
L’assurance-accidents ne démontre pas en quoi l’appréciation juridique des faits par la cour cantonale serait erronée. En particulier, elle ne discute pas le fait que l’information selon laquelle la couverture d’assurance ne concernait que le personnel de la restauration n’avait pas été donnée à Madame A.__, se contentant d’exposer sa propre appréciation de la situation en affirmant que son conseiller informait toujours (de manière générale) les employeurs qu’une activité agricole devait être assurée de manière séparée. Outre le fait que le témoignage de son conseiller sur ce point n’est corroboré par aucune pièce au dossier, on notera qu’il est en contradiction avec le fait que l’assurance-accidents prétend – à tort comme on le verra ci-après – ne pas avoir eu connaissance du fait que feu Monsieur B.A.__ exerçait aussi une activité agricole. En outre, l’assurance-accidents ne discute pas le fait que son conseiller aurait dû renseigner correctement Madame A.__, non pas de manière générale, mais dans le cas concret, au sujet de la couverture d’assurance. Elle ne peut pas se dédouaner de ses responsabilités en se référant simplement aux termes de la proposition pour la conclusion d’une assurance signée par les parties le 28.06.2017, laquelle est très sommaire. Dès lors qu’il est venu sur les lieux et qu’il n’y avait que trois employés, le conseiller de l’assurance-accidents aurait pu s’enquérir du cahier des charges de ces trois employés s’il entendait d’emblée exclure certaines activités de la couverture d’assurance. L’assurance-accidents a cependant encaissé des primes pour trois employés dont deux au moins exerçaient des activités de type « agricole ». Même si elle n’entendait assurer que la partie « restauration », l’assurance-accidents savait que l’employeur était une métairie – ce qui figure même sur la police d’affiliation -, soit, dans le Jura suisse, une ferme de montagne offrant un service de restauration à côté de l’exploitation agricole. Elle ne pouvait ainsi pas ignorer que Madame A.__ souhaitait assurer son personnel pour toutes les activités de la Métairie et devait dès lors attirer son attention sur la limitation de la couverture d’assurance en mentionnant expressément que les activités de type « agricole » étaient exclues et/ou en lui proposant une assurance complémentaire ou dans une autre classe de risque.

Consid. 6.3.4
Quant à la comparaison avec l’arrêt 8C_44/2019, elle est tout à fait pertinente dans le cas d’espèce, quoi qu’en dise l’assurance-accidents. En effet, le Tribunal fédéral y constate qu’il n’y a pas de nécessité légale d’établir des polices distinctes pour des établissements exploités par le même employeur, puisque l’art. 92 LAA permet de classer les travailleurs d’une entreprise par groupe, dans des classes et degrés différents, de manière à appliquer des taux de primes nets différents en fonction des différentes classes de risque. A plus forte raison n’y avait-il aucune nécessité d’établir des polices distinctes pour chaque groupe de risque en l’espèce, dès lors qu’il n’était question que d’un seul établissement et que celui-ci ne comptait que trois employés au total. Par ailleurs, il appartenait à l’assurance-accidents et non à Madame A.__ d’identifier les différents types de risques propres à une entreprise telle qu’une métairie. Certes, c’est le terme « auberge » qui figurait sur la proposition pour la conclusion d’une assurance-accidents LAA et/ou assurance-accidents complémentaire à la LAA de GastroSocial, mais la demande d’adhésion de raison individuelle/d’indépendant auprès de GastroSocial indiquait « gestion d’une métairie » sous la description de l’activité et les polices d’assurance-accidents obligatoire LAA correspondant aux propositions d’assurance signées entre Madame A.__ et l’assurance-accidents le 28.06.2017 mentionnaient que l’employeur était une métairie. Il ne pouvait dès lors pas échapper à l’assurance-accidents, respectivement à son conseiller, que le contrat d’assurance-accidents obligatoire couvrait la Métairie et que si l’assurance-accidents entendait limiter sa couverture aux seules activités de restauration et d’hôtellerie, il lui appartenait d’attirer expressément l’attention de Madame A.__ à ce sujet, comme le commandait son obligation de renseigner découlant de l’art. 27 LPGA. Comme on l’a vu ci-dessus, le contenu de l’obligation de renseigner dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration. Or au moment de la proposition d’assurance, le conseiller de l’assurance-accidents disposait de suffisamment d’éléments (visite des lieux, pièces au dossier) qui auraient dû le conduire à reconnaître que Madame A.__ se trouvait dans une situation dans laquelle ses employés risquaient de perdre un droit aux prestations.

 

Consid. 6.4.2
Selon les constatations de fait de l’arrêt attaqué, Madame A.__ avait indiqué lors d’un entretien téléphonique du 12.11.2018 avec l’assurance-accidents que feu son époux avait une activité de berger mais également de cuisinier. Par courrier du 19.02.2019 adressé à l’assurance-accidents, Madame A.__ avait indiqué que son époux était assuré en qualité de restaurateur, activité qu’il exerçait en premier lieu à 90%, l’activité de berger ne représentant que 10% de son temps de travail, précisant que la (seule) mention de berger dans la déclaration d’accident était une erreur, due au choc émotionnel après sa disparition et que G.__ avait été engagé dans le but d’accomplir les tâches relatives à l’activité de berger; elle a en outre mentionné que le fait d’aller chercher du bois entrait dans le cahier des charges usuel d’un tenancier de métairie afin de pourvoir au chauffage et à l’eau chaude du bâtiment dans lequel étaient reçus les clients.

Consid. 6.4.3
Contrairement à ce qu’affirme l’assurance-accidents, les déclarations de Madame A.__ ne sont pas contradictoires entre elles puisque l’exploitation d’une métairie impliquait précisément de s’occuper à la fois des animaux, de l’entretien du bâtiment, du nettoyage du terrain autour de la bâtisse ainsi que de la restauration et de l’hébergement et que Madame A.__ s’était entourée de trois employés pour la seconder dans ces diverses activités, soit d’un cuisinier, d’un berger et de feu son mari, lequel était à la fois berger et tenancier de restaurant. C’est donc à juste titre que la cour cantonale a retenu que feu Monsieur B.A.__ exerçait – pas seulement mais aussi – l’activité de restaurateur.

 

Consid. 6.5.2
La question de savoir si une personne doit être considérée comme étant de condition salariée ou indépendante et, partant, si elle est couverte par l’assurance-accidents contractée par son employeur ne se pose pas seulement au moment de la survenance d’un cas d’assurance, mais déjà lorsqu’il s’agit de déterminer quel organisme d’assurance est compétent pour percevoir des primes. Comme le montre précisément le présent cas, les assureurs-accidents ne peuvent pas compter sur le fait que la couverture des travailleurs au service d’un employeur peut toujours être vérifiée dans le cadre d’un accident concret. Une clarification précoce de la couverture d’assurance n’est pas seulement dans l’intérêt du bon fonctionnement de la sécurité sociale, elle est également nécessaire pour garantir aux employeurs et aux travailleurs concernés une sécurité juridique aussi optimale que possible (cf. arrêt 8C_475/2009 du 22 février 2010 consid. 5.2).

Consid. 6.5.3
En l’espèce, il ressort des constatations de fait de la juridiction cantonale que dans une demande d’adhésion de raison individuelle/d’indépendant au 2e pilier auprès de GastroSocial signée par Madame A.__ le 28.06.2017 et dont copie a été reçue par l’assurance-accidents le 04.07.2017, il était mentionné sous « Décrivez brièvement votre activité »: « gestion d’une métairie »; il y était également indiqué que feu Monsieur B.A.__ était le partenaire de l’employeuse et qu’il travaillait dans l’exploitation de sa conjointe. L’assurance-accidents ne saurait dès lors prétendre qu’elle ne savait pas que l’époux de Madame A.__ travaillait dans l’entreprise et qu’il faisait ainsi partie des trois employés de la Métairie. Si l’assureur avait eu le moindre doute quant au statut d’employé de ce dernier, il aurait dû en informer l’employeuse qui aurait pu prendre d’autres dispositions pour assurer son mari contre le risque d’accident, comme elle avait dû le faire pour elle-même.

Étant donné que l’assurance-accidents avait connaissance, sur la base des documents en sa possession et de la visite des lieux par l’un de ses conseillers, du champ d’activités de l’entreprise qui lui était assujettie, on pouvait exiger d’elle qu’elle renseigne l’employeuse sur le fait que la couverture d’assurance-accidents était limitée à la seule activité de restauration, à l’exclusion de toute activité agricole. Cela était d’autant plus exigible de sa part que dans le cas d’espèce, l’entreprise n’employait que trois personnes et qu’il était aisé de s’enquérir précisément de leurs activités respectives. Ne l’ayant pas fait, elle a violé son devoir de conseil. En raison du comportement de l’assurance-accidents, Madame A.__ a pu croire qu’il existait une couverture d’assurance auprès de l’assurance-accidents en ce qui concernait feu son époux, et elle n’avait aucune raison de supposer que ce dernier était en réalité exclu de cette assurance pour la partie « agricole » de son activité. La disposition préjudiciable de Madame A.__ consiste dans le fait qu’elle a employé feu Monsieur B.A.__ dans la Métairie sans avoir la garantie d’une couverture d’assurance. Aucun élément fiable du dossier ne permet de conclure qu’elle aurait fait preuve de négligence en matière d’assurance et n’aurait pas cherché une solution d’assurance auprès d’un autre assureur ou demandé une assurance facultative, comme elle l’avait fait pour elle-même, si elle ne s’était pas fiée à la compétence du conseiller de l’assurance-accidents. En résumé, il apparaît donc que les conditions d’une invocation de la protection de la bonne foi sont remplies.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_419/2022 consultable ici

 

9C_437/2021 (f) du 15.03.2022 – Rétribution d’un administrateur d’une SA, exerçant comme avocat indépendant / Salaire résultant d’une activité dépendante vs honoraires résultant d’une activité indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_437/2021 (f) du 15.03.2022

 

Consultable ici

 

Rétribution d’un administrateur d’une SA, exerçant comme avocat indépendant / Salaire résultant d’une activité dépendante vs honoraires résultant d’une activité indépendante

Présomption concernant la qualification des honoraires des membres du conseil d’administration d’une personne morale – Rappel et maintien de la jurisprudence (arrêt du TFA H 376/50 du 15.04.1953)

Renversement de la présomption admis

 

Au terme d’un contrôle des salaires déclarés par B.__ SA (ci-après: la société) entre les mois de janvier 2014 et décembre 2016, la caisse cantonale de compensation (ci-après: la caisse) a constaté, notamment, que la société contrôlée avait versé 3703 fr. 70 par mois à son administrateur, A.__, avocat indépendant, et enregistré les montants dans sa comptabilité sur un compte « honoraires juridiques ».

La caisse a réclamé à B.__ SA le paiement des cotisations sociales et des intérêts moratoires dus sur les reprises de salaires relatives aux années contrôlées, y compris sur les montants versés à A.__ (décisions du 16.10.2018). Ce dernier a contesté, en son nom, ces décisions en tant qu’elles qualifiaient implicitement de salaire les honoraires perçus pour des activités qu’il soutenait avoir déployées comme avocat indépendant. Il a déposé un courrier établi par la fiduciaire chargée de la comptabilité de son étude d’avocat attestant que le chiffre d’affaires de celle-ci – sur la base duquel des cotisations sociales avaient déjà été prélevées – incluait les honoraires versés par B.__ SA. La caisse a rejeté l’opposition (décision du 04.04.2019).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/661/2021 [arrêt non disponible sur le site du tribunal cantonal])

La juridiction cantonale a constaté que pendant la période contrôlée, A.__ avait simultanément exercé l’activité d’avocat indépendant et celle d’administrateur du bureau d’architecte, exploité par son père sous forme de société anonyme et dont il avait perçu une rétribution de 3703 fr. 70 par mois. Elle a considéré que les paiements mensuels devaient être qualifiés de salaires dès lors que les pièces du dossier ne permettaient pas de renverser la présomption qui assimilait la rémunération versée par une société anonyme à un membre de son conseil d’administration à un salaire déterminant au sens de la loi. Elle a précisé que les allégations du recourant et les témoignages récoltés ne démontraient pas au degré de vraisemblance requis que les activités déployées par A.__ pour la société se limitaient exclusivement à lui dispenser des conseils juridiques dans le domaine immobilier et à la représenter en justice mais établissaient, au contraire, que la rétribution perçue n’était pas sans relation avec le rôle d’administrateur d’un bureau d’architecte. Elle a encore constaté qu’en se retranchant derrière son secret professionnel, le recourant n’avait produit aucun document établissant qu’il n’avait représenté B.__ SA qu’en sa qualité d’avocat indépendant.

Les juges cantonaux ont par ailleurs considéré que vu l’ignorance du fait que A.__ percevait une rémunération mensuelle de la part de la société, la caisse de compensation était en droit de procéder à une reconsidération de ses décisions antérieures de cotisations et de rendre la décision du 16.10.2018, malgré le fait que ladite rémunération apparaissait dans le chiffre d’affaires de l’étude d’avocat et avait par conséquent déjà été soumise à cotisations.

Par jugement du 23.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Est litigieux le point de savoir si la rétribution octroyée à A.__ par B.__ SA de janvier 2014 à décembre 2016 doit être qualifiée de salaire résultant d’une activité dépendante comme l’a retenu le tribunal cantonal ou d’honoraires résultant d’une activité indépendante comme le soutient le recourant.

Consid. 4.1
Le tribunal cantonal a exposé la jurisprudence relative aux critères distinguant les activités salariées des activités indépendantes (cf. ATF 144 V 111 consid. 4.2 et les arrêts cités; arrêt 9C_1062/2010 du 5 juillet 2011 consid. 7.2), singulièrement celle établissant la présomption que la rétribution versée par une société anonyme à un membre de son conseil d’administration est un salaire (cf. ATF 105 V 113 consid. 3; arrêt H 136/81 du 13 septembre 1982 consid. 2, in RCC 1983 p. 22; H 376/52 du 15 avril 1953, in RCC 1953 p. 441). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 4.2
Le recourant s’interroge sur l’évolution de la jurisprudence relative à la présomption concernant la qualification des honoraires des membres du conseil d’administration d’une personne morale. Il semble en substance soutenir que le mandat d’administrateur, pour la distinction entre le revenu d’une activité salariée et celui d’une activité indépendante, dans l’arrêt H 376/52 du 15 avril 1953 et l’ATF 105 V 113, est sans explication devenu une présomption, dans l’ATF 121 I 259 et les arrêts ultérieurs (notamment les arrêts H 125/04 du 7 mars 2005 et 9C_727/2014 du 23 mars 2015), avec pour conséquence le renversement du fardeau de la preuve qui n’existait pas auparavant. Il demande au Tribunal fédéral de « clarifier » sa jurisprudence.

Consid. 4.3
En l’absence d’argumentation topique et motivée concernant la nécessité de changer de jurisprudence (cf. ATF 144 V 72 consid. 5.3.2), il n’appartient pas au Tribunal fédéral de « clarifier » sa jurisprudence. Il suffit de préciser que, contrairement à ce que A.__ suggère, la jurisprudence n’a pas subi d’évolution insidieuse. La présomption critiquée a été posée dans l’arrêt H 376/50 du 15 avril 1953. Comme il s’agit d’une présomption, il est possible d’en apporter la preuve du contraire. Or apporter la preuve du contraire dans le cas particulier consiste à démontrer que la rétribution reçue n’a pas de lien avec la qualité d’administrateur de la société qui la verse mais avec l’activité exercée comme avocat indépendant. Pour ce faire, il y a lieu d’appliquer les critères permettant de distinguer les revenus provenant d’une activité salariée de ceux provenant d’une activité indépendante. C’est une telle analyse qui a conduit à la confirmation de la présomption dans l’arrêt de 1953. Une lecture des arrêts ultérieurs cités par le recourant montre en outre que c’est également une telle analyse qui a toujours guidé le Tribunal fédéral dans la résolution des litiges similaires.

 

Consid. 5.1
Le recourant reproche aussi à la juridiction cantonale d’avoir violé le droit fédéral. Il soutient en substance que celle-ci a indûment limité ses moyens de preuve en considérant que seule la preuve d’une activité judiciaire ou, autrement dit, de représentation devant les tribunaux était à même de renverser la présomption. Il fait valoir que l’activité de conseil juridique (qu’il allègue avoir exercée pour la société) relève également des tâches assumées par un avocat indépendant pour son client.

Consid. 5.2
Cette argumentation n’est pas fondée. Dans la mesure où A.__ avait déclaré en cours de procédure que son travail pour la société consistait essentiellement à lui fournir des conseils juridiques en matière immobilière, tâche pouvant être exercée aussi bien en tant qu’administrateur salarié de la société qu’en qualité d’avocat-conseil indépendant de cette dernière, les juges cantonaux ont recherché dans le dossier constitué (en particulier dans les déclarations du recourant et des témoins) les éléments pouvant créditer une thèse plutôt que l’autre. Même si leur appréciation – certes succincte – paraît accorder une importance prépondérante au défaut de production de documents attestant une procédure judiciaire particulière, elle a également porté sur d’autres critères tels que la présence à des réunions dans un but de formation, la gestion effective de la société ou la présence dans les locaux de celle-ci. On ne saurait dès lors faire valablement grief au tribunal cantonal d’avoir violé le principe de la libre appréciation des preuves, en restreignant de manière indue les moyens de preuve que la loi offrait au recourant pour renverser la présomption.

 

Consid. 6.1
A.__ fait également grief à la juridiction cantonale d’avoir violé son devoir de motiver sa décision et d’avoir apprécié arbitrairement les preuves. Il procède à une analyse détaillée de ses déclarations – qu’il estime confirmées et complétées par les témoignages recueillis durant la procédure – et en déduit l’existence de critères – que les juges cantonaux auraient totalement ignorés – permettant de renverser la présomption et de démontrer que les 3703 fr. 70 perçus mensuellement correspondaient à des honoraires pour son activité d’avocat-conseil indépendant et non à un salaire lié à sa qualité d’administrateur.

Consid. 6.2
Sur la base des allégations des parties et des témoins, le tribunal cantonal a admis qu’il était possible que le recourant ait représenté la société de son père en justice et lui ait prodigué des conseils en tant qu’avocat indépendant. Il a toutefois constaté que ni A.__ ni les témoins n’avaient rendu vraisemblable que la rémunération perçue de la société relevait ne serait-ce qu’en partie d’une telle activité: le premier n’avait produit aucun document allant dans ce sens alors que les seconds liaient les conseils donnés à la gestion de la société plutôt qu’à l’activité d’avocat et n’avaient pas été en mesure de citer une procédure judiciaire en particulier. Il a en outre relevé que, dans la mesure où la présence de A.__ aux réunions de la société avait notamment pour but sa formation à la gestion de celle-ci afin de pouvoir s’en occuper à la suite de son père, la rémunération perçue n’était pas sans lien direct avec le rôle de membre du conseil d’administration. Il a par ailleurs considéré que le fait que la gestion de la société était exclusivement assurée par le père du recourant et que ce dernier ne passait qu’occasionnellement dans les locaux n’était pas déterminant pour qualifier la rétribution litigieuse.

Consid. 6.3
Comme cela ressort de la jurisprudence évoquée par les juges cantonaux (cf. consid. 4.1 supra), les manifestations de la vie économique peuvent revêtir des formes si diverses qu’il faut décider dans chaque cas particulier si l’on est en présence d’une activité salariée ou d’une activité indépendante en prenant en considération toutes les circonstances. Il existe de nombreux critères qui aident à faire la distinction et qu’il y a lieu d’apprécier pour trancher la question. Comme le met en évidence le recourant, l’appréciation succincte du tribunal cantonal se focalise principalement sur le défaut de production de documents et quelques rares autres éléments tirés des témoignages recueillis mais passe sous silence la majeure partie de ces derniers. Or les témoins sont unanimes, qu’ils soient architecte indépendant mandaté pour la gestion d’appartements appartenant à B.__ SA, architecte, comptable, secrétaire de la société ou conseiller fiscal de la famille de A.__ ou de B.__ SA. Tous avaient exclusivement affaire au père du recourant pour la gestion de la société. Tous ignoraient l’inscription de A.__ au registre du commerce en qualité d’administrateur de la société ou, du moins, les motifs de cette inscription. Tous admettaient avoir eu des contacts avec le recourant très occasionnellement et constaté qu’en ces occasions, le rôle de A.__ consistait à conseiller son père sur le plan juridique, à entreprendre des démarches administratives dans le cadre de projet d’architecture ou à régler des problèmes (y compris par la voie judiciaire) avec les locataires d’appartements appartenant à B.__ SA ou à une autre société dirigée par le père du recourant. Tous étaient catégoriques quant au fait que c’était le père de A.__ qui prenait les décisions, détenait les informations, était en contact avec les fournisseurs et les régies ou signait les hypothèques. La plupart attestait que le recourant était rarement présent dans les locaux de la société, n’y avait pas de bureau, ni d’adresse e-mail ou de carte de visite, ne donnait pas d’instruction aux employés, ni n’avait de relation avec les fournisseurs ou les clients. Tous soutenaient enfin que le rôle de A.__ au sein de B.__ SA relevait de l’activité d’avocat indépendant plutôt que de celle de salarié.

Consid. 6.4
On relèvera qu’aucune des caractéristiques typiques d’un contrat de travail qui suggéreraient l’existence d’une activité dépendante ou d’un quelconque lien de dépendance ne ressort des témoignages, qui corroborent effectivement les déclarations du recourant. Au contraire, tout laisse à penser que l’activité déployée par le recourant n’avait rien à voir avec la gestion et l’administration de la société et que celui-ci intervenait comme conseiller juridique indépendant et percevait des honoraires pour cette activité. Le fait que les témoins n’ont pas pu nommer une procédure judiciaire en particulier ou que A.__ a invoqué son secret professionnel pour refuser de produire des documents y afférents n’est pas déterminant à lui seul et ne change rien aux déclarations convergentes – et, partant, convaincantes – des témoins sur ce point. La présence du recourant à certaines réunions de régie de B.__ SA dans un but de formation à la gestion de celle-ci afin de pouvoir s’en occuper à la suite du père n’y change rien non plus, dans la mesure où les juges cantonaux n’ont pu évoquer aucun élément du dossier qui permettrait de rattacher la rémunération perçue à cette seule activité. Dans ces circonstances, il apparaît que A.__ avait rendu hautement vraisemblable que les 3703 fr. 70 mensuels correspondaient à des honoraires versés par la société pour rémunérer les conseils juridiques fournis et les activités déployées en qualité d’avocat indépendant, et non au salaire d’administrateur d’une société, d’autant plus que cette rémunération était comptabilisée par B.__ SA sur un compte « honoraires juridiques » et avait également été déclarée comme honoraires par le recourant. Ce dernier a par conséquent renversé la présomption relative à la qualification de salaire de la rémunération d’un administrateur. Son recours est donc fondé.

En conséquence, on constate que les versements mensuels de 3703 fr. 70, pendant la période courant de janvier 2014 à décembre 2016, correspondent à des honoraires ressortissant de l’activité indépendante d’avocat exercée par le recourant. Selon les constatations de la juridiction cantonale, des cotisations sociales ont déjà été prélevées à ce titre sur les montants en cause. Il convient dès lors d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse.

Le TF admet le recours de A._.

 

Arrêt 9C_437/2021 consultable ici

 

9C_308/2017 (d) du 17.05.2018 – Travailleur dépendant vs indépendant – Statut de cotisant AVS / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_308/2017 (d) du 17.05.2018, publié aux ATF 144 V 111

 

Arrêt 9C_308/2017 consultable ici
ATF 144 V 111 consultable ici

Paru in : Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS – Sélection de l’OFAS – no 63 (disponible ici)

 

Travailleur dépendant vs indépendant – Statut de cotisant AVS / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

 

Le litige porte sur la question de savoir si le travail à temps partiel de l’assurée dans un institut en tant que psychothérapeute est une activité indépendante ou salariée.

Conformément à l’accord entre l’institut et la personne assurée, cette dernière peut utiliser une salle de thérapie et l’infrastructure du cabinet de psychothérapie pour une journée et demie par semaine, moyennant une contribution forfaitaire aux coûts. La personne assurée figure sur la page d’accueil de l’institut en tant que membre de l’équipe clinique. Cela signifie qu’il n’y a ni frais de publicité ni investissements substantiels. Bien que l’assurée doive supporter le risque de recouvrement et de ducroire, en cas de défaillance économique, moyennant un délai de préavis convenu de trois mois, elle peut se libérer dans un délai relativement court, sans perte de substance (pas d’obligation en ce qui concerne les salaires des salariés ou les locations à long terme). De ce fait, la personne assurée n’a pas à supporter de risque d’entreprise (consid. 6.2.1).

Certains éléments parlent en faveur de l’indépendance de l’assuré en matière d’organisation du travail (libre choix des patients et détermination des honoraires, pas d’interdiction de concurrence). Par contre, toutes les séances de thérapie ont lieu à l’Institut, ce qui révèle une incorporation de facto du point de vue de l’organisation du travail. Par ailleurs, en plus du nom de la personne assurée l’adresse de l’Institut figure également sur les factures, ce qui empêche de conclure que la personne apparaît envers les tiers comme agissant en son propre nom. Il en va de même pour la seule présence publicitaire de l’assurée se trouvant sur la page d’accueil de l’Institut (consid. 6.3.1). L’accord, selon lequel l’assurée participe « autant que possible » à des réunions cliniques internes et à des formations continues, indique également que l’assurée exerce une activité dépendante, car cela sert à satisfaire aux exigences qualitatives de l’institution et conduit à une intégration économique et scientifique (consid. 6.3.3.3). Est considéré en outre comme révélateur d’une relation de subordination comparable à un rapport salarié, le fait que la personne assurée doit se conformer à une obligation extrêmement étendue d’assurer les exigences qualitatives de l’institut et de contribuer au développement de nouveaux services aux patients (consid. 6.3.4). Selon le Tribunal fédéral, les critères en présence ne parviennent pas à faire pencher la balance du côté d’une l’activité lucrative indépendante, partant, la personne assurée est considérée comme étant salariée (consid. 6.4).

 

 

Arrêt 9C_308/2017 consultable ici
ATF 144 V 111 consultable ici

Paru in : Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS – Sélection de l’OFAS – no 63 (disponible ici)

Rechtsprechung des Bundesgerichts zum AHV-Beitragsrecht (Auswahl des BSV) – Nr. 63 : AHV-rechtliches Beitragsstatut

 

 

Rapport sur la protection sociale des travailleurs de plateformes / « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) »

Rapport sur la protection sociale des travailleurs de plateformes

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 27.10.2021 consultable ici

 

Dans l’économie de plateforme et les nouveaux modèles d’affaires, le statut des personnes qui travaillent n’est pas toujours clair et leur protection sociale pas forcément garantie. C’est ce qui ressort du rapport « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) » que le Conseil fédéral a adopté lors de sa séance du 27 octobre 2021.

En Suisse, comme à l’étranger, de nouvelles plateformes de travail comme Uber, Helpling, ou batmaid se développent. Ces modèles d’affaires innovants, encore rares, sont hétérogènes et en partie empreints d’incertitudes juridiques. Celles-ci portent principalement sur la question du statut des travailleurs de la plateforme (salarié ou indépendant) et sur la fonction de la plateforme (intermédiaire, employeur). La protection sociale de ces travailleurs, la sécurité juridique et le besoin ou non de flexibiliser le droit des assurances sociales pour répondre aux défis de ces nouvelles formes de travail ont été analysés dans le rapport adopté aujourd’hui par le Conseil fédéral. Ce rapport fait suite à plusieurs interventions parlementaires et à une étude d’Ecoplan / Mösch Payot sur le fonctionnement des entreprises de l’économie numérique installées en Suisse.

 

Risque de précarisation

Souvent effectué à temps partiel et en tant qu’activité accessoire, le travail via les plateformes offre des activités d’appoint bienvenues pour certaines personnes (étudiants, rentiers). Le rapport identifie toutefois certaines catégories de travailleurs avec un risque élevé de précarisation, à savoir ceux qui n’atteignent pas le seuil d’entrée dans le deuxième pilier et qui ne parviennent pas à se constituer une prévoyance suffisante. Plusieurs pistes pour améliorer la prévoyance sociale des personnes cumulant de tels emplois sur de longues périodes sont examinées dans le rapport. Elles permettraient d’éviter un report vers les prestations complémentaires ou l’aide sociale, par exemple en cas d’invalidité.

 

Détermination plus rapide du statut des travailleurs

Le Conseil fédéral parvient à la conclusion que le système actuel de sécurité sociale est suffisamment souple et qu’il n’est pour l’instant pas nécessaire d’augmenter cette flexibilité. Compte tenu de l’évolution rapide de l’économie numérique, il est essentiel que les travailleurs soient fixés rapidement sur leur situation en matière de droit des assurances sociales. Le Conseil fédéral voit encore un potentiel d’amélioration à cet égard.

Le rapport examine en outre la capacité du système de sécurité sociale à répondre aux défis posés par la crise du coronavirus. Il en ressort que la Suisse a pu réagir de manière rapide et flexible, mais cette crise a également mis en lumière la fragilité économique et sociale de certains indépendants ou salariés.

Le Conseil fédéral conclut que les différentes options présentées dans le rapport ne nécessitent pas d’examen supplémentaire pour le moment.

 

Extrait du rapport du Conseil fédéral

 

Le cadre juridique

Les analyses du cadre juridique montrent que le système de sécurité sociale en vigueur en Suisse est plutôt souple et qu’il dispose d’une bonne capacité d’adaptation aux nouvelles formes de travail, non seulement au niveau des assurances sociales, mais aussi au niveau de la protection sociale liée au droit du travail. Puisque le cadre légal actuel des assurances sociales ne comporte pas de rigidités notables, il ne s’impose pas d’agir dans ce domaine pour le moment.

C’est du côté de la sécurité juridique, au sens de la clarté des dispositions légales par rapport au contexte du moment, et de la cohérence et de la prévisibilité des décisions juridiques qui en découlent, que les analyses indiquent un certain potentiel d’optimisation. Le rapport met en évidence que la pratique actuelle de qualification d’une activité comme salariée ou indépendante offre un degré élevé de flexibilité, mais elle s’accompagne également d’un certain coût qui peut être important du fait de l’incertitude temporaire des décisions juridiques concernant le statut des prestataires d’une plateforme de travail et de la durée des procédures en cas de recours. En raison des répercussions financières importantes que peut engendrer la requalification de la plateforme en tant qu’employeur plutôt que simple intermédiaire, il est important que les procédures de décision des organes d’exécution de l’AVS (qui ont un rôle-clé vis-à-vis des autres assurances sociales) soient claires et rapides.

Parmi les chances et risques associés au travail de plateforme, le rapport montre qu’il est nécessaire d’adopter une vision circonstanciée pour évaluer si le niveau de protection sociale offert par le système actuel aux travailleurs de plateforme est suffisant. D’un côté, les petits emplois et les activités exercées à titre accessoire, qui ne sont souvent pas couverts par la sécurité sociale ou que partiellement, peuvent avoir leur utilité puisqu’ils permettent d’améliorer de manière flexible la situation économique des personnes concernées. Ils peuvent aussi faciliter le maintien ou la réinsertion sur le marché du travail de personnes en difficulté ou en transition professionnelles. La nécessité d’intervenir pour augmenter la sécurité sociale associée à ces emplois, exercés temporairement ou de manière accessoire par rapport à une activité principale, est moindre. Cependant, le rapport juge tout de même nécessaire d’examiner les moyens possibles pour améliorer la protection sociale obligatoire de certaines catégories de travailleurs de plateforme, qu’ils soient indépendants ou salariés cumulant plusieurs emplois sans qu’aucun n’atteigne le seuil d’entrée dans le 2e pilier. Il s’agit d’éviter des lacunes dans la prévoyance individuelle qui devront ensuite être comblées par les collectivités publiques (par exemple, pendant la retraite, par l’octroi de PC à l’AVS).

À court terme, le travail de plateforme ne fait pas courir de risque de financement aux assurances sociales et n’appelle pas de mesures particulières dans ce domaine. Il s’agit cependant de surveiller l’évolution des formes flexibles de travail ces prochaines années et leurs conséquences potentielles sur le financement du premier pilier en particulier, car le taux de cotisation dont bénéficient les indépendants dans le domaine AVS/AI/APG est plus faible que celui des salariés.

 

Perspectives

L’expérience faite pendant la crise du coronavirus a montré à la fois les avantages et les inconvénients du travail de plateforme, indépendamment du statut des travailleurs dans les différents modèles d’affaires. Confrontés au semi-confinement, les consommateurs ont apprécié la flexibilité de la consommation en ligne, ce qui pourrait apporter un dynamisme supplémentaire aux plateformes de travail gérant par exemple la livraison des achats en ligne. De nouvelles habitudes ont été prises non seulement dans le domaine de la consommation, mais aussi dans le domaine de la mobilité et du travail à domicile pour ceux qui en avaient la possibilité (home office). La crise a aussi souligné la fragilité économique et sociale de certaines catégories d’indépendants et la couverture sociale parfois insuffisante de certaines formes d’emploi salarié.

Il est encore difficile à prévoir quels seront les impacts à long terme de ces expériences sur le développement du travail de plateforme et sur les conditions de travail qui y prévalent. Il apparaît d’ores et déjà que l’évolution doit continuer à être suivie de près. Du point de vue actuel, cependant, il n’y a pas de besoin majeur de réforme.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 27.10.2021 consultable ici

«Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test)», rapport du Conseil fédéral du 27.10.2021 disponible ici

Rapport de recherche n° 11/2020 «Modèles d’affaires innovants : besoin de flexibilisation dans le droit des assurances sociales» Ecoplan / Mösch Payot, en allemand [Innovative Geschäftsmodelle: Flexibilisierungsbedarf im Sozialversicherungsrecht], avec un résumé en français, disponible ici

 

9C_669/2019 (d) du 07.04.2020 – destiné à la publication – Curatrice professionnelle – Statut de cotisant à l’AVS / 5 LAVS – 8 LAVS – 9 al. 1 LAVS – 13 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_669/2019 (d) du 07.04.2020, destiné à la publication

 

Consultable ici

Résumé de « Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS (sélection de l’OFAS) – n° 72 »

 

Curatrice professionnelle – Statut de cotisant à l’AVS / 5 LAVS – 8 LAVS – 9 al. 1 LAVS – 13 LAVS

 

L’assurée exerce la fonction de curatrice professionnelle (Fachbeiständin) désignée par l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (personne privée possédant des qualifications professionnelles spécifiques) en qualité de personne exerçant une activité indépendante au sens de la loi sur l’AVS (consid. 6.2 et 6.3).

La recourante exerce comme curatrice professionnelle pour l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA). Elle conteste sa qualification pour cette activité en tant que personne exerçant une activité salariée.

La qualification au regard du droit des cotisations est une question juridique qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral. Il en va de même quant au fait de savoir s’il y a eu une correcte pesée des critères déterminants pour l’évaluation du statut de cotisant et si leur importance a été correctement appréciée (consid. 2.2).

Dans les faits, il existe trois catégories de curateurs : les curateurs professionnels – Berufsbeistände (collaborateurs des services de curatelle ou des services sociaux qui exécutent principalement des mandats de curatelle), les curateurs professionnels – Fachbeistände (personnes privées possédant des qualification professionnelles spécifiques en lien avec la protection de l’adulte qui, en parallèle à d’autres tâches, exécutent également des mandats de curatelle) et les curateurs privés – private Mandatsträger (personnes sans qualification professionnelle spécifique en lien avec la protection de l’adulte). Il n’y a pas de distinction légale fondamentale entre ces catégories (consid. 4.1 et 4.2).

Le seul fait qu’une personne ait été nommée par l’Etat pour exercer une fonction ne signifie pas qu’il s’agisse dans tous les cas d’une activité salariée (consid. 6.1).

Depuis l’ATF 98 V 230 relatif au statut de cotisant d’un particulier exerçant la fonction de tuteur, le droit de la tutelle a été entièrement révisé avec le droit de la protection de l’enfant et de l’adulte entré en vigueur en 2013. L’obligation de prendre en charge un mandat de curateur a notamment été abandonnée. En outre, le Tribunal fédéral a précisé sa jurisprudence relative au caractère distinctif du risque d’entrepreneur dans les activités de service typiques en ce sens que celui-ci est relégué au second plan par rapport à la dépendance économique et organisationnelle vis-à-vis du mandant ou de l’employeur (consid. 6.2).

Un élément essentiel de la relation de dépendance dans l’organisation du travail est l’obligation de se conformer aux instructions.

En principe ce sont les mêmes considérations que celles faites pour délimiter le contrat de mandat du contrat de travail qui sont applicables en ce qui concerne le fait d’être lié à des instructions. Dans la relation contractuelle de travail, le pouvoir de donner des instructions se rapporte à des éléments tels que les heures de travail, le comportement sur le lieu de travail, la procédure de travail, l’attribution de tâches, le plan d’engagement, etc. ; ce sont des ordres qui ne concernent pas seulement l’objectif à atteindre, mais également la façon dont le travail doit être effectué. Le droit de donner des instructions et/ou l’obligation de rendre des comptes découlant du contrat de mandat ne suffisent pas pour justifier un tel lien de subordination (consid. 6.2.2).

Bien que l’APEA puisse exercer une certaine influence sur le travail du curateur, l’autorité de surveillance et les mesures à disposition de l’APEA servent, toutefois, avant tout à sauvegarder les intérêts de la personne sous curatelle. Une gestion largement indépendante du mandat est caractéristique pour les services de curatelle. Sur la base de ces considérations, le Tribunal fédéral qualifie l’activité exercée par la curatrice professionnelle (Fachbeiständin) d’indépendante et admet le recours

 

 

Commentaire de l’OFAS in Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS (sélection de l’OFAS) – n° 72

L’OFAS inclura des directives concernant le statut de cotisant des curateurs dans le prochain supplément des DSD.

 

 

Arrêt 9C_669/2019 consultable ici

 

 

8C_202/2019 (f) du 09.03.2020 – Unique associé gérant d’une Sàrl avec signature individuelle – Délimitation de l’activité lucrative indépendante avec l’activité lucrative dépendante / 1a LAA – 1 OLAA – 5 LAVS – 9 LAVS – 6 ss RAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_202/2019 (f) du 09.03.2020

 

Consultable ici

 

Unique associé gérant d’une Sàrl avec signature individuelle – Délimitation de l’activité lucrative indépendante avec l’activité lucrative dépendante / 1a LAA – 1 OLAA – 5 LAVS – 9 LAVS – 6 ss RAVS

 

Selon le registre du commerce, B.__ exploite depuis novembre 1996, sous la raison de commerce C.__, une entreprise individuelle ayant pour buts le commerce et la réparation de motos et vélomoteurs. En 2009, il a fondé, seul, la société A.__ Sàrl (ci-après : la Sàrl), dont il est l’unique associé gérant avec signature individuelle et qui a pour but le commerce, l’achat, la vente, la réparation, la location de motos, cycles, accessoires et pièces.

Le 30.03.2009, B.__ a indiqué à l’assurance-accidents qu’il avait récemment fondé la Sàrl, laquelle reprendrait dès le 01.04.2009 l’entreprise individuelle ; dès cette date, cette dernière n’emploierait plus d’ouvrier, tandis que la Sàrl aurait trois employés. L’assurance-accidents ayant demandé si B.__, associé gérant, était salarié de la Sàrl, il lui a été répondu par la négative. Selon les factures de primes définitives 2009 et 2010 établies par l’assurance-accidents, trois tierces personnes étaient employées de la Sàrl. Par la suite, cette dernière a régulièrement informé l’assurance-accidents des changements intervenus dans son personnel et des factures de primes définitives ont été établies pour les années 2011, 2012 et 2013.

Ayant appris que B.__ était, selon ses dires, indépendant dans le domaine de la vente et la réparation de motos, l’assurance-accidents, après avoir pris des renseignements, a indiqué en juillet 2014 à la Sàrl que l’intéressé ne remplissait pas les conditions requises pour que son activité puisse être qualifiée d’indépendante ; il devait ainsi être considéré comme salarié de la Sàrl et bénéficiait à ce titre de la couverture contre les accidents conformément à la loi ; en tant qu’associé de la Sàrl travaillant dans l’entreprise, il était assuré sur la base du salaire déterminant réalisé, mais au minimum du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux.

Par décision adressée à B.__, l’assurance-accidents a constaté que celui-ci exerçait une activité dépendante dès le 01.01.2014.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/107/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que B.__ était titulaire depuis 1996 d’une entreprise individuelle ayant pour but le commerce et la réparation de motos et vélomoteurs et qu’en 2009, il avait fondé, seul, une Sàrl ayant pour but le commerce, l’achat, la vente, la réparation, la location de motos, cycles, accessoires et pièces, dont il était l’unique ayant droit économique depuis sa création. Il était ainsi à la tête d’une exploitation commerciale, au sens économique du terme, existant pour partie sous la forme d’une raison individuelle et pour partie sous la forme d’une Sàrl, et exerçait son activité commerciale selon sa propre organisation librement choisie. Il possédait sa propre infrastructure, soit des locaux commerciaux qu’il louait au nom de la Sàrl depuis le 01.01.2012, et avait depuis la création de la Sàrl occupé du personnel qu’il avait dûment déclaré auprès de la CNA notamment. L’exercice de son activité, selon sa propre organisation librement choisie, était reconnaissable de l’extérieur puisqu’il apparaissait au registre du commerce comme l’unique propriétaire et associé gérant de la Sàrl avec signature individuelle, de sorte qu’il agissait en son propre nom et pour son propre compte lorsqu’il concluait les contrats avec la clientèle. En tant qu’unique associé de la Sàrl, il était financièrement intéressé à son rendement, encourait les pertes et assumait seul les dettes de celle-ci (cf. art. 794 CO) et endossait ainsi le risque économique de l’entreprise. S’agissant du lien de subordination, en sa qualité de propriétaire de l’intégralité du capital social de la Sàrl et d’unique associé gérant, il définissait de manière autonome la politique commerciale, la gestion et l’exploitation de la Sàrl. Il ne dépendait ainsi pas d’un employeur du point de vue économique ou dans l’organisation de son travail, mais gérait seul la Sàrl, sans lien de subordination envers quiconque.

Par jugement du 13.02.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision sur opposition.

 

TF

Selon l’art. 1a LAA, les travailleurs occupés en Suisse sont assurés à titre obligatoire contre le risque d’accident. Est réputé travailleur au sens de cette disposition quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation sur l’AVS (art. 1 OLAA). Chez une personne qui exerce une activité lucrative, l’obligation de payer des cotisations dépend, notamment, de la qualification du revenu touché dans un certain laps de temps ; il faut se demander si cette rétribution est due pour une activité indépendante ou pour une activité salariée (cf. art. 5 et 9 LAVS, art. 6 ss RAVS). Selon l’art. 5 al. 2 LAVS, on considère comme salaire déterminant toute rétribution pour un travail dépendant effectué dans un temps déterminé ou indéterminé ; quant au revenu provenant d’une activité indépendante, il comprend tout revenu du travail autre que la rémunération pour un travail accompli dans une situation dépendante (art. 9 al. 1 LAVS).

Le point de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée ne doit pas être tranché d’après la nature juridique du rapport contractuel entre les partenaires. Ce qui est déterminant, bien plutôt, ce sont les circonstances économiques (ATF 140 V 241 consid. 4.2 p. 245). Les rapports de droit civil peuvent certes fournir, éventuellement, quelques indices, mais ils ne sont pas déterminants. D’une manière générale, est réputé salarié celui qui dépend d’un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, et ne supporte pas le risque encouru par l’entrepreneur. Ces principes ne conduisent cependant pas, à eux seuls, à des solutions uniformes, applicables schématiquement. Les manifestations de la vie économique revêtent en effet des formes si diverses qu’il faut décider dans chaque cas particulier si l’on est en présence d’une activité dépendante ou d’une activité indépendante en considérant toutes les circonstances de ce cas. Souvent, on trouvera des caractéristiques appartenant à ces deux genres d’activité ; pour trancher la question, on se demandera quels éléments sont prédominants dans le cas considéré (ATF 144 V 111 consid. 4.2 p. 112 s.; 123 V 161 consid. 1 p. 163; 122 V 169 consid. 3a p. 171; 119 V 161 consid. 2 p. 162 et les références; arrêt 9C_796/2014 du 27 avril 2015 consid. 3.2). Si l’assuré exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d’elles si le revenu en découlant est celui d’une activité indépendante ou salariée, même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise (ATF 122 V 169 consid. 3b p. 172 précité; 104 V 126 consid. 3b p. 127).

Selon la jurisprudence, le gérant ou le dirigeant d’une entreprise employé par cette dernière est, même s’il a dans les faits une position d’actionnaire unique ou majoritaire et a une influence déterminante sur la marche des affaires, formellement un travailleur salarié de la société. Cependant, ce ne sont pas les rapports de droit civil qui sont déterminants pour déterminer le statut d’une personne du point de vue des assurances sociales, mais bien la position économique. La question de savoir si une personne a une influence déterminante sur la politique de l’entreprise et le développement de celle-ci – et doit ainsi être considérée comme tirant ses revenus d’une activité indépendante – doit être examinée sur la base de critères tels que le cercle des actionnaires, la participation au capital social, la composition du conseil d’administration, le taux d’activité des actionnaires et leur fonction dans la société (arrêts 8C_121/2017 du 5 juillet 2018, publié in SVR 2019 UV n° 3 p. 9, consid. 7.1; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.1; I 185/02 du 29 janvier 2003 consid. 3.1).

 

On peut certes donner acte à l’assurance-accidents recourante que certains des arrêts cités par la cour cantonale – qui concernent la question de savoir si une personne n’a pas droit aux prestations de l’assurance-chômage parce qu’elle a au sein d’une personne morale une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur (arrêt 8C_331/2017 du 8 mars 2018; ATF 126 V 212 consid. 2b p. 213), respectivement parce qu’elle n’est pas apte au placement du fait qu’elle n’a pas l’intention ou n’est pas à même d’exercer une activité salariée (arrêts 8C_435/2010 du 25 janvier 2011 et C 224/01 du 13 décembre 2002) – ne sont pas pertinents pour examiner la question du statut indépendant ou dépendant de B.__ au sens de l’art. 1a LAA.

Cela étant, la qualification de l’activité déployée par B.__ au sein de la Sàrl comme activité indépendante au sens des art. 1a LAA et 1 OLAA échappe à la critique. Selon les constatations de fait de la juridiction cantonale, B.__ détenait l’entier du capital social de la Sàrl et prenait seul, étant l’unique associé gérant de la Sàrl avec signature individuelle, toutes les décisions relatives à la marche de l’entreprise. Dans ces conditions, il doit être considéré comme indépendant du point de vue des assurances sociales, conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus (cf. en particulier arrêt 8C_121/2017 du 5 juillet 2018 consid. 7.1), à laquelle ni la cour cantonale ni l’assurance-accidents ne se sont référées.

Le TF rejette le recours de l’assureur-accidents.

 

 

Arrêt 8C_202/2019 consultable ici

 

 

8C_554/2018 (f) du 05.05.2020 – Détermination du caractère dépendant ou indépendant de l’activité déployée par un assuré – 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS / Chauffeurs de taxi rattachés à un central d’appel

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_554/2018 (f) du 05.05.2020

 

NB : Arrêt à 5 juges ; non destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Détermination du caractère dépendant ou indépendant de l’activité déployée par un assuré / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

Chauffeurs de taxi rattachés à un central d’appel

 

En 1964, plusieurs communes de la région lausannoise ont constitué le Service intercommunal de taxis de l’arrondissement de Lausanne (ci-après : le Service intercommunal ou SIT). Par la suite, les communes membres du Service intercommunal se sont regroupées en une Association de communes de la région lausannoise pour la réglementation du service des taxis (ci-après: l’Association).

Selon l’art. 15 RIT (Règlement intercommunal sur le service des taxis), nul ne peut exploiter un service de taxis sur le territoire de l’arrondissement sans en avoir obtenu l’autorisation (teneur du texte en vigueur dès le 01.11.2016). Il y a trois types d’autorisations. L’autorisation A (terme remplacé par « la concession » à partir du 01.07.2018) est celle qui permet le stationnement sur des emplacements désignés par les communes membres de l’Association (stations officielles de taxis).

Le 18.05.2006, le Conseil intercommunal de l’Association a adopté un règlement sur le central d’appel des taxis A (ci-après: RCAp), qui est entré en vigueur le 01.01.2008. Ce règlement a pour objet la création et l’exploitation, par le biais d’une concession accordée à une personne morale, d’un central d’appel unique chargé de recevoir et de diffuser toutes les commandes téléphoniques concernant les taxis A. Il prévoit notamment l’obligation, pour tous les titulaires d’une autorisation d’exploitation A, de souscrire un abonnement à ce central et de lui verser une contribution périodique pour le service de transmission des commandes (cf. art. 6), avec pour corollaire l’obligation du concessionnaire d’admettre tous les exploitants de taxis A à titre d’abonnés (cf. art. 4). Le 20.08.2008, l’Association a désigné la société T.__ Sàrl comme titulaire de la concession de l’exploitation du central d’appel des taxis A.

B.__ est chauffeur de taxi. Le 15.09.2015, il a été mis au bénéfice d’une autorisation d’exploiter un service de taxi avec permis de stationnement (autorisation A) valable dès le 01.01.2016. Il a pris un leasing pour un véhicule d’un prix de 35’688 fr. hors remise, dont les mensualités s’élèvent à 670 fr. 10. Il a également conclu un contrat d’abonnement avec T.__ Sàrl.

Par lettre du 16.11.2015, B.__ a demandé à la CNA de lui reconnaître un statut d’indépendant en tant que chauffeur professionnel au bénéfice d’une autorisation de type A à partir du 01.01.2016, en précisant qu’il avait trois sources de revenus dans cette activité, à savoir par le contact direct avec les clients, par le stationnement sur les stations officielles et, enfin, par le central d’appel T.__ Sàrl.

Par décision, la CNA a constaté que B.__ exerçait une activité dépendante en tant que chauffeur de taxi. La CNA a notifié cette décision à l’intéressé ainsi qu’à T.__ Sàrl à titre de partie prenante. Tous deux ont formé opposition. La CNA a confirmé que B.__ avait le statut d’un travailleur dépendant dans le cadre de ses relations avec T.__ Sàrl et a écarté les oppositions en conséquence.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 7/17 – 71/2018 – consultable ici)

B.__ et T.__ Sàrl ont recouru contre cette dernière décision.

La cour cantonale a relevé que, dans la région lausannoise, la réglementation en vigueur avait instauré, pour des motifs d’intérêt public, un monopole d’exploitation d’un central d’appel unique (voir l’arrêt 2C_71/2007 du 9 octobre 2007). Les rapports entre les chauffeurs de taxi et T.__ Sàrl étaient uniquement réglés par un contrat d’abonnement. Or ce contrat ne contenait aucune règle d’ordre organisationnel et se limitait principalement à fixer les conditions financières d’accès au central d’appel. En particulier, les chauffeurs de taxi n’étaient pas soumis à un régime de devoirs et obligations vis-à-vis de T.__ Sàrl. Cette dernière devait certes, selon le ch. 8.3 du contrat de concession, s’efforcer de planifier l’offre de taxis disponibles en fonction de la demande et, de manière générale, prendre toutes les mesures utiles en son pouvoir pour réduire sensiblement le nombre d’appels non quittancés et limiter les refus de courses. L’art. 21bis al. 2 RIT (en vigueur dès le 01.09.2016) précisait encore que seul le Comité de direction de l’Association était compétent, en cas de besoin, pour imposer aux compagnies la mise à disposition du public d’un nombre déterminé de véhicules à toute heure.

De manière générale, les chauffeurs de taxi A étaient soumis à un régime de devoirs et obligations à l’égard de l’Association, laquelle était – sous réserve du non-respect par les chauffeurs de taxi de leurs obligations financières à l’égard de T.__ Sàrl – la seule habilitée à sanctionner les chauffeurs de taxi (art. 96 RIT). Mais ce n’était pas le central d’appel qui imposait ces règles, lesquelles étaient au demeurant applicables à tous les chauffeurs titulaires d’une autorisation A, qu’ils fussent hélés dans la rue, sollicités à une station officielle de taxi ou contactés par le central d’appel. L’introduction, par le RCAp, d’un central unique et de l’obligation de s’y affilier ne constituait qu’une obligation supplémentaire – relevant du droit public communal – à charge des chauffeurs de taxi A, à laquelle ces derniers ne pouvaient pas se soustraire et qui venait s’ajouter aux nombreuses autres règles du RIT et des « Prescriptions d’application du Règlement intercommunal sur le service des taxis » (ci-après: PARIT). Selon la cour cantonale, on ne pouvait pas y voir des indices de l’exercice d’une activité salariée pour le compte de T.__ Sàrl.

A cela s’ajoutait que T.__ Sàrl n’était pas autorisée à poursuivre un but lucratif (art. 44 PARIT), ni à exploiter une entreprise de taxis ou à engager des chauffeurs. Les contributions qu’elle prélevait auprès des exploitants de taxis A étaient destinées à couvrir les frais de fonctionnement, d’amélioration du système et d’amortissement (art. 4 RCAp). L’abonnement constituait ainsi la contrepartie du matériel mis à disposition par T.__ Sàrl et embarqué dans les véhicules des chauffeurs, et finançait toute l’infrastructure du central d’appel des taxis A. Quant à la transmission gratuite de 100 courses mensuelles prévue à l’art. 3 du contrat d’abonnement, elle constituait une prestation incluse dans la contribution de base, à l’instar du nombre de Giga-octets inclus dans un abonnement de téléphonie mobile ; le contrat ne contenait cependant aucune garantie quant au nombre de courses. Par ailleurs, les recettes des courses étaient directement perçues par les chauffeurs de taxi qui assumaient aussi le risque de débiteur. Enfin, T.__ Sàrl ne disposait d’aucune compétence pour imposer des obligations particulières aux exploitants individuels, notamment concernant les heures de présence ou l’affichage du logo du central (ce point étant laissé au libre choix du chauffeur ; art. 8 du contrat d’abonnement).

En résumé, selon la cour cantonale, les éléments en faveur d’une activité indépendante des chauffeurs de taxis A l’emportaient sur ceux en faveur d’un rapport de subordination vis-à-vis de T.__ Sàrl. Celle-ci n’intervenait pas comme une société exploitant une entreprise de taxis mais comme une entreprise concessionnaire dont le seul but était d’exploiter un central téléphonique pour coordonner les taxis et qui était financée de manière exclusive par tous les exploitants de taxis A. Partant, c’était à tort que la CNA avait retenu que B.__ devait être considéré comme salarié de T.__ Sàrl lorsqu’il se voyait confier des courses par le biais du central d’appel.

Par jugement du 14.06.2018, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

D’une manière générale, est réputé salarié celui qui dépend d’un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, et ne supporte pas le risque encouru par l’entrepreneur (ATF 123 V 161 consid. 1 p. 162; arrêt 9C_796/2014 du 27 avril 2015 consid. 3.2). Les principaux éléments qui permettent de déterminer le lien de dépendance quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise sont le droit de l’employeur de donner des instructions, le rapport de subordination du travailleur à l’égard de celui-ci et son obligation d’exécuter personnellement la tâche qui lui est confiée (RCC 1989 p. 111 consid. 5a; 1986 p. 651 consid. 4c; 1982 p. 178 consid. 2b). Un autre élément est le fait qu’il s’agit d’une collaboration régulière, autrement dit que l’employé est régulièrement tenu de fournir ses prestations au même employeur (ATF 110 V 72 consid. 4b p. 78 s.). En outre, la possibilité pour le travailleur d’organiser son horaire de travail ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’une activité indépendante (ATF 122 V 169 consid. 6a/cc p. 176).

 

La jurisprudence procède à un examen de la situation de cas en cas qui consiste à rechercher dans les rapports de fait entre le chauffeur de taxi et le central d’appel des indices plaidant ou non en faveur d’un lien de dépendance et d’un risque économique.

Dans l’arrêt RCC 1971 p. 27, le Tribunal fédéral a retenu l’existence d’un rapport de subordination entre la société exploitant un central d’appel et les chauffeurs de taxi rattachés à celui-ci en considération notamment du fait que ces derniers étaient soumis, outre aux prescriptions de droit public régissant l’activité des taxis, à des obligations de nature contractuelle imposées par la société (obligation d’exécuter toutes les courses transmises, suivi d’un plan de service, prescriptions sur le comportement des conducteurs et la couleur du taxi, application du tarif fixé par la société) et qu’ils pouvaient être sanctionnés par un blocage d’accès au central en cas de non-respect de ces obligations. Il y a également lieu de préciser que la société était titulaire à la fois d’une concession pour l’exploitation d’un central d’appel et d’une entreprise de taxis. Dans un autre arrêt (8C_357/2014 du 17 juin 2014), le Tribunal fédéral est parvenu à la même conclusion dans la mesure où la société exploitante du central d’appel avait un droit de regard notamment sur le volume des véhicules employés, l’exécution des courses et le comportement des chauffeurs (qu’elle pouvait sanctionner par la suspension), et s’occupait de louer les places de stationnement ; de plus, la société supportait le risque d’encaissement des cartes de crédit. L’arrêt le plus récent en la matière (8C_571/2017 du 9 novembre 2017) concerne une coopérative de chauffeurs de taxi détenant la totalité des parts d’une société anonyme exploitant un central d’appel. Les membres de la coopérative étaient liés au central par un contrat d’affiliation (Anschlussvertrag) qui prévoyait l’obligation de participer à des cours de formation ou de perfectionnement, d’afficher le nom du central sur leur véhicule et de respecter certaines règles avec les clients (règlement de service) ; il existait une interdiction de s’affilier à un autre central d’appel ; le contrat pouvait être résilié moyennant un délai de trois mois ; la société faisait de surcroît de la publicité pour le central sur internet et employait des collaborateurs afin de prospecter et acquérir la clientèle d’entreprise ; le risque d’encaissement des cartes de crédit était supporté par la société. Ici également, le Tribunal fédéral a admis que les éléments plaidant en faveur d’une activité dépendante étaient prépondérants même si, par ailleurs, les chauffeurs étaient libres d’accepter ou de refuser les courses transmises par le central. Dans tous ces arrêts, le fait que les chauffeurs de taxi exerçaient leur activité au moyen de leur propre véhicule et en assumaient tous les frais n’a pas été jugé comme étant un élément décisif dans l’appréciation globale par rapport aux autres indices caractéristiques relatifs au lien de dépendance.

 

En l’espèce, la présente situation a ceci de particulier qu’il existe pour tous les chauffeurs de taxi A une obligation d’affiliation, fondée sur le droit public, à un central d’appel unique dont l’exploitation a été concédée à un organisme privé (T.__ Sàrl) par l’autorité compétente. Que le caractère obligatoire de cette affiliation trouve appui sur la réglementation communale n’a cependant pas une portée décisive sur le point de savoir si B.__ exerce une activité dépendante ou indépendante lorsqu’il effectue des courses transmises par ce central. Pour répondre à cette question, il faut déterminer si les circonstances de fait dans lesquelles se déroulent les relations entre le prénommé et T.__ Sàrl font apparaître des éléments caractéristiques d’un lien de subordination.

Le central d’appel fonctionne sur le principe de la couverture des coûts et n’est pas autorisé à poursuivre un but lucratif (art. 4 al. 2 RCAp). C’est l’ensemble des exploitants de taxis A qui financent l’ensemble de l’infrastructure, dont l’achat et l’entretien du matériel nécessaire, au moyen de leur contribution mensuelle. Quand bien même ce matériel reste juridiquement la propriété de T.__ Sàrl, la charge économique en est assumée par chaque abonné, dont B.__. On ne peut dès lors pas en inférer que ce dernier dispose de l’infrastructure de « l’employeur », ce qui pourrait constituer un élément en faveur d’un lien de dépendance.

Le contrat d’abonnement que B.__ a conclu avec T.__ Sàrl ne comporte aucune obligation pour le prénommé quant à son temps de travail (celui-ci pouvant s’organiser librement), ni ne contient des instructions particulières sur la manière dont il doit se comporter avec la clientèle ainsi que sur l’aspect du véhicule (l’affichage du logo de T.__ Sàrl étant laissé à son libre choix); il n’y a pas d’exigence d’exécuter personnellement les courses transmises (le titulaire d’une autorisation A ayant la liberté d’engager des employés dont il doit simplement communiquer le nom au central pour enregistrement); B.__ a la possibilité de refuser des commandes diffusées par le central et de prendre d’autres clients en direct qui n’ont pas passé par celui-ci. On ne voit donc pas que T.__ Sàrl donnerait au prénommé des instructions sur la manière d’exécuter son activité et exercerait sur lui un contrôle comparable à celui d’un employeur sur ses salariés dans l’exécution de leur travail.

 

Il est vrai que pour pouvoir exercer une activité de chauffeur de taxi avec l’autorisation A dans l’agglomération lausannoise, il ne suffit pas de conclure un contrat d’abonnement avec T.__ Sàrl. L’exercice d’une telle activité est plus largement lié au respect d’un certain nombre de conditions énoncées dans le RIT et les PARIT. Ceux-ci contiennent des prescriptions détaillées en particulier sur les exigences personnelles requises pour conduire professionnellement un taxi et obtenir une autorisation A, sur les conditions auxquelles un véhicule peut être affecté à un service de taxis, sur la tenue et le comportement des conducteurs, ainsi que sur le tarif applicable. Dans la mesure où ce sont les circonstances économiques qui sont déterminantes pour décider de la qualification – indépendante ou salariée – d’une activité dans un cas donné, on pourrait certes se demander si, du fait des nombreuses prescriptions et obligations du RIT et PARIT imposées à l’exploitant de taxi A pour exercer son activité, celui-ci peut encore être considéré comme indépendant quant à l’organisation de son travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, étant précisé que le cadre restrictif rappelé ci-dessus est l’œuvre de l’Association et non pas de T.__ Sàrl qui n’a aucune compétence en la matière. La question de savoir quelle portée il faut donner au point de vue des circonstances économiques lorsqu’on a affaire à des domaines d’activité réglementés par une collectivité publique pour des motifs d’intérêt public et de police peut être laissée ouverte. En effet, il n’y a pas lieu de se déterminer sur cette problématique dès lors qu’elle dépasse le cadre du litige qui est circonscrit par la décision attaquée et qui concerne la relation entre B.__ et T.__ Sàrl et non pas entre le prénommé et l’Association. On peut néanmoins observer que dans l’arrêt RCC 1971 cité précédemment, le Tribunal fédéral des assurances ne voyait aucune contradiction entre la solution adoptée dans le cas de la société en cause qui exploitait un central téléphonique et la situation prévalant alors dans le canton de Zurich où les chauffeurs de taxis rattachés à un central d’appel étaient considérés sous l’angle de l’AVS comme indépendants; à cet égard, la cour fédérale a relevé qu’il était admissible que des obligations soient mises à la charge de bénéficiaires de concessions si l’intérêt public le commandait et que l’existence de prescriptions de droit public (telle par exemple l’obligation pour les pharmaciens d’assurer un service de garde ou de nuit) n’avait pas de portée décisive pour déterminer si une personne exerçant une activité commerciale était indépendante ou avait un statut de salarié.

 

On ne discerne pas d’inégalité de traitement injustifiée entre le cas de T.__ Sàrl et d’autres affaires concernant des centrals d’appel pour taxis. L’élément commun à tous les chauffeurs de taxi qui sont rattachés à un central d’appel est que leur activité est facilitée par le fait que les commandes de clients leur sont transmises par ce central. Mais la qualification du statut en matière d’assurances sociales d’un chauffeur de taxi compte tenu de son rattachement à un central d’appel déterminé ne s’épuise pas dans ce constat et nécessite un examen concret de la situation à l’aune des critères jurisprudentiels rappelés ci-avant.

Dans le présent cas, le rôle attribué à T.__ Sàrl par la réglementation communale se limite à la réception et la diffusion des commandes téléphoniques concernant les taxis A afin d’en assurer la coordination. Les commandes sont transmises au taxi A le plus proche et passées au suivant en cas de refus de course, en assurant une égalité de traitement entre tous les exploitants A. Par ailleurs, T.__ Sàrl n’a aucun droit de regard sur l’exécution des courses et n’a aucun intérêt propre à ce que les exploitants A en fassent le plus possible puisqu’elle a l’interdiction de poursuivre un but lucratif (art. 44 PARIT), que tous les abonnés financent son infrastructure par le biais de la contribution mensuelle, et que ce n’est pas elle qui encaisse les gains des chauffeurs de taxi A et leur verse une compensation pour leur activité. Enfin, T.__ Sàrl est tenue d’admettre tous les exploitants A à titre d’abonnés et ne peut pas résilier elle-même le contrat d’abonnement, ni prendre des sanctions contre eux. En d’autres termes, dans le contexte qui lui a été assigné, elle n’a pas les attributs caractéristiques d’un employeur.

 

Pour le surplus, il peut être renvoyé au considérant pertinent 7h du jugement attaqué en ce qui concerne le critère du risque économique d’entrepreneur et de sa moindre importance par rapport à celui de la dépendance économique et organisationnelle en présence de situations dans lesquelles l’activité n’exige pas, de par sa nature, des investissements importants (voir également l’arrêt 9C_364/2013 du 23 septembre 2013 consid. 2.2 et les références).

 

Le TF rejette le recours de la CNA.

 

 

Arrêt 8C_554/2018 consultable ici

 

 

Coronavirus : Un train de mesures pour atténuer les conséquences économiques [aspect assurances sociales]

Coronavirus : Un train de mesures pour atténuer les conséquences économiques [aspect assurances sociales]

 

Communiqué de presse du 20.03.2020 consultable ici

 

Le 20.03.2020, le Conseil fédéral a arrêté un train de mesures à hauteur de 32 milliards de francs en vue d’atténuer l’impact économique de la propagation du coronavirus. Compte tenu des mesures décidées le 13 mars, plus de 40 milliards seront ainsi disponibles. La balle est maintenant dans le camp du Parlement : la Délégation des finances se prononcera à ce sujet au début de la semaine prochaine. L’objectif de ces mesures, qui s’adressent à différents groupes cibles, est de sauvegarder les emplois, de garantir les salaires et de soutenir les indépendants. Des mesures ont également été prises dans le domaine de la culture et des sports en vue d’éviter des faillites et d’amortir de lourdes conséquences financières.

Ces nouvelles mesures visent à éviter tant que possible les cas de rigueur et à apporter, le cas échéant, un soutien ciblé et rapide aux personnes et aux branches concernées moyennant des procédures aussi simples que possible sur le plan administratif.

Aperçu des mesures [se rapportant qu’aux assurances sociales] :

 

Aides aux entreprises sous la forme de liquidités

Affectées par les fermetures d’entreprises et la chute de la demande, un grand nombre de sociétés disposent de moins en moins de liquidités pour couvrir leurs frais courants, malgré les indemnités pour réduction de l’horaire de travail. Un train de mesures complémentaires a donc été arrêté afin d’éviter que des entreprises par ailleurs solvables ne se retrouvent en difficulté.

  • Report du versement des contributions aux assurances sociales : les entreprises frappées par la crise auront la possibilité de différer provisoirement et sans intérêt le versement des contributions aux assurances sociales (AVS, AI, APG, AC). Elles pourront également adapter le montant habituel des acomptes versés au titre de ces assurances en cas de baisse significative de la masse salariale. Ces mesures s’appliquent également aux indépendants dont le chiffre d’affaires a chuté. L’examen du report des versements et de la réduction des acomptes incombe aux caisses de compensation AVS.

 

Extension du chômage partiel et simplification des démarches

L’instrument de la réduction de l’horaire de travail (chômage partiel) permet de pallier une baisse temporaire de l’activité et de préserver des emplois. La situation économique exceptionnelle qui prévaut aujourd’hui frappe également de plein fouet les personnes qui exercent une activité professionnelle limitée dans le temps ou un travail temporaire, les personnes qui occupent une position assimilable à celle d’un employeur et les personnes qui effectuent un apprentissage. C’est la raison pour laquelle le droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail sera étendu, et le dépôt d’une demande sera facilité.

  • Le chômage partiel pourra désormais également être octroyé aux salariés dont la durée d’engagement est limitée et aux personnes au service d’une organisation de travail temporaire.
  • La perte de travail sera également comptabilisée pour les personnes qui sont en apprentissage.
  • Le chômage partiel pourra être accordé aux personnes qui occupent une position assimilable à celle d’un employeur. Il s’agit par exemple des associés d’une société à responsabilité limitée (Sàrl) qui travaillent contre rémunération dans l’entreprise. Les personnes qui travaillent dans l’entreprise de leur conjoint ou partenaire enregistré pourront également profiter du chômage partiel et faire valoir une indemnisation forfaitaire de 3320 francs pour un poste à plein temps.
  • Le délai de carence (délai d’attente) pour pouvoir bénéficier du chômage partiel, qui avait déjà été raccourci, est supprimé. L’employeur ne devra ainsi assumer aucune perte de travail.
  • Les salariés ne seront plus tenus de liquider leurs heures supplémentaires avant de pouvoir bénéficier du chômage partiel.
  • Des dispositions ont été adoptées pour simplifier au plus vite le traitement des demandes et le versement des indemnités en cas de chômage partiel. Les salaires dus pourront par exemple être réglés au moyen d’une avance des indemnités en cas de chômage partiel.

 

Indemnités en cas de perte de gain pour les indépendants

Les personnes exerçant une activité indépendante qui subissent une perte de gain due aux mesures prises par le gouvernement en vue de lutter contre le coronavirus seront indemnisées si elles ne bénéficient pas déjà d’une indemnité ou de prestations d’assurance. Une indemnisation est prévue dans les cas suivants :

  • fermeture des écoles ;
  • quarantaine ordonnée par un médecin ;
  • fermeture d’un établissement géré de manière indépendante et ouvert au public.

La réglementation s’applique également aux artistes indépendants qui ont subi une perte de gain parce que leur engagement a été annulé en raison des mesures de lutte contre le coronavirus ou qu’ils ont dû annuler un événement organisé en propre.

Les indemnités sont réglées sur la base du régime des allocations pour perte de gain et versées sous forme d’indemnités journalières. Celles-ci correspondent à 80 % du salaire et sont plafonnées à 196 francs par jour. Le nombre des indemnités journalières pour les indépendants en quarantaine ou qui assument des tâches d’encadrement est limité à respectivement 10 et 30 jours. L’examen des demandes et le versement de la prestation seront effectués par les caisses de compensation de l’AVS.

 

Allocations pour pertes de gain pour les salariés

Les parents qui doivent interrompre leur activité professionnelle pour s’occuper de leurs enfants peuvent prétendre à une indemnisation. Il en va de même en cas d’interruption de l’activité professionnelle en raison d’une mise en quarantaine ordonnée par un médecin. Comme pour les travailleurs indépendants, les indemnités seront réglées sur la base du régime des allocations pour perte de gain (allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité) et versées sous forme d’indemnités journalières. Celles-ci correspondent à 80 % du salaire et sont plafonnées à 196 francs par jour. Le nombre des indemnités journalières est limité à 10 pour les personnes en quarantaine.

 

 

Communiqué de presse du 20.03.2020 consultable ici

Ordonnance sur les pertes de gain, COVID-19 publié au RO 2020 871

Ordonnance sur les mesures en lien avec le coronavirus (COVID-19) concernant l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail et le décompte des cotisations aux assurances sociales publié au RO 2020 875

Ordonnance COVID-19 Assurance-chômage publié au RO 2020 877