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8C_396/2022 (d) du 21.04.2023 – Revenu sans invalidité d’un indépendant – Vraisemblance de la poursuite ou de la cessation de l’activité en bonne santé – Revenu précédant l’atteinte à la santé relativement bas – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_396/2022 (d) du 21.04.2023

 

Consultable ici

NB : Traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu sans invalidité d’un indépendant – Vraisemblance de la poursuite ou de la cessation de l’activité en bonne santé – Revenu précédant l’atteinte à la santé relativement bas / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1982, a exercé une activité indépendante en tant que propriétaire de l’entreprise individuelle B.__ à partir du 01.03.2010. Troubles dès janvier 2016 en lien avec une sclérose en plaques (diagnostic posé en septembre 2016). Dépôt de la demande AI : 08.03.2017. Expertise neurologique en octobre 2018 et expertises psychiatriques en janvier 2019 et mai 2021. Décision de refus de prestations AI le 05.10.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2021.178 – consultable ici)

Par jugement du 30.03.2022, admission du recours par le tribunal cantonal (droit à une demi-rente AI dès septembre 2017 et à un quart de rente dès avril 2021).

 

TF

Consid. 3.2.1
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il est déterminant de savoir ce que la personne assurée aurait gagné au moment déterminant sur la base de ses capacités professionnelles et de ses circonstances personnelles, au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1). Partant de la présomption que l’assuré aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité, ce revenu se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en prenant en compte également l’évolution des salaires jusqu’au moment de la naissance du droit à la rente ; les exceptions doivent être établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 144 I 103 consid. 5.3 avec référence). Ce n’est que lorsque les circonstances réelles ne permettent pas de chiffrer le revenu sans invalidité avec une précision suffisante que l’on peut recourir à des valeurs statistiques telles que les enquêtes sur la structure des salaires (ESS) publiées par l’Office fédéral de la statistique (OFS) (arrêts 8C_236/2022 du 4 octobre 2022 consid. 9.4 ; 8C_177/2022 du 13 juillet 2022 consid. 8.1).

Consid. 3.2.2
Le revenu sans invalidité des indépendants peut en principe être déterminé sur la base des inscriptions au compte individuel (CI) (SVR 2017 IV no 6 p. 15, 9C_644/2015 consid. 4.6.2 ; arrêt 8C_738/2021 du 8 février 2023 consid. 3.4.2.2 et les références). Si le dernier revenu réalisé présente des fluctuations importantes et relativement brèves, il faut se baser sur le gain moyen réalisé sur une période plus longue (SVR 2021 UV n° 26 p. 123, 8C_581/2020 E. 6.1 ; arrêt 9C_341/2022 du 8 novembre 2022 consid. 4.3). La jurisprudence du Tribunal fédéral n’exclut toutefois pas que, même pour les personnes exerçant une activité lucrative, on ne se base pas, dans certaines circonstances, sur le dernier revenu réalisé. C’est notamment le cas pour les indépendants lorsque les circonstances permettent de supposer au degré de la vraisemblance prépondérante que la personne assurée aurait, en cas d’atteinte à la santé, abandonné son activité indépendante et accepté une autre activité mieux rémunérée. Il en va de même lorsque l’activité indépendante exercée avant l’atteinte à la santé ne constitue pas, en raison de sa courte durée, une base suffisante pour la détermination du revenu sans invalidité, d’autant plus que les bénéfices d’exploitation sont habituellement faibles au cours des premières années suivant le début de l’activité indépendante, et ce pour diverses raisons (taux d’amortissement élevé sur les nouveaux investissements, etc. ; ATF 135 V 58 consid. 3.4.6; arrêt 8C_572/2021 du 19 janvier 2022 consid. 3.2 et les références; 9C_153/2020 du 9 octobre 2020 consid. 2 et les références; cf. CHRISTOPH FREY/NATHALIE LANG, in: Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 44 f. zu Art. 16 ATSG). Si la personne assurée, même lorsque sa capacité de travail n’était pas encore réduite, s’est toutefois contentée pendant plusieurs années d’un revenu modeste provenant d’une activité indépendante, c’est ce revenu qui est déterminant pour la fixation du revenu de valide (ATF 135 V 58 consid. 3.4.6 et les références; arrêt 8C_738/2021 du 8 février 2023 consid. 3.4.2.3).

Consid. 3.2.3
La question de savoir quelle serait l’activité professionnelle de la personne assurée si elle n’était pas atteinte dans sa santé est une question de fait que le Tribunal fédéral ne peut examiner que sous un angle restreint (art. 105 al. 1 et 2 LTF), dans la mesure où elle repose sur l’appréciation des preuves, même si elle prend également en compte des conclusions tirées de l’expérience générale de la vie (arrêts 9C_52/2021 du 15 mars 2021 consid. 4.3 et les références; 8C_784/2020 du 18 février 2021 consid. 2.3 et les références). Les constatations du tribunal cantonal à ce sujet lient donc en principe le Tribunal fédéral, sauf si elles sont manifestement inexactes ou si elles reposent sur une violation du droit au sens de l’art. 95 LTF.

 

Consid. 4.1
Dans sa décision, l’office AI a constaté que l’assuré était limité dans sa capacité de travail depuis septembre 2016. A l’échéance du délai d’attente en septembre 2017, il n’était plus en mesure d’exercer son ancienne activité d’indépendant. Des activités adaptées à son état de santé auraient toutefois pu être exigées de lui à un taux d’occupation de 50%. A partir de janvier 2019, sa capacité de travail dans des activités adaptées est passée à 60%. Pour calculer les revenus sans invalidité, l’office AI s’est basé sur la moyenne des revenus des années 2012 (32’300 francs), 2013 (32’700 francs) et 2014 (46’200 francs) inscrit au CI de l’assuré, adaptée à l’évolution des salaires nominaux jusqu’en 2017 et 2019. Pour l’année 2017, il en résulte un revenu d’invalidité de 37’776 francs, pour l’année 2019 de 38’494 francs. L’office AI a déterminé le revenu d’invalide sur la base des salaires statistiques de l’ESS (valeur totale de la table TA1, niveau de compétence 1, hommes, ESS 2016 ou 2018), ce qui a donné pour l’année 2017 un revenu d’invalide de 33’551 francs pour un taux d’occupation raisonnable de 50% et pour l’année 2019 un revenu d’invalide de 41’026 francs en supposant un taux d’occupation de 60%. Les comparaisons de revenus ont abouti à des taux d’invalidité de 11 % (2017) et de 0 % (2019) ne donnant pas droit à une rente.

Consid. 5.1
La cour cantonale a d’abord retenu à ce sujet qu’il semblait en soi correct que l’office AI n’ait pas pris en compte les revenus des années 2010 (29’400 francs) et 2011 (9’094 francs) mentionnés dans l’extrait du CI de l’assuré, étant donné que l’entreprise était encore en phase de développement durant ces années. […] En raison de la chute massive du revenu en 2015 à 9’333 francs – que l’office AI n’a pas prise en compte dans le calcul de la valeur moyenne en faveur de l’assuré – la question se pose toutefois de savoir si, relativement peu d’années après la création de l’entreprise, il aurait continué à exercer cette activité même sans atteinte à la santé. Il est frappant de constater qu’au cours des cinq années qui se sont écoulées entre l’ouverture de son commerce et le début des symptômes de la sclérose en plaques en janvier 2016, il n’a réalisé qu’un revenu relativement faible. Il est concevable que l’assuré ait espéré une nette amélioration en raison de la tendance à la hausse à partir de l’année 2012 et du revenu réalisé en 2014. Toutefois, il n’apparaît pas comme étant vraisemblable qu’il aurait continué à exercer l’activité indépendante après la baisse massive de revenus en 2015, alors qu’il était en bonne santé, d’autant plus qu’en l’absence d’indices correspondants, on ne peut pas non plus supposer que les affaires se seraient rétablies. Il faut plutôt partir du principe que l’assuré aurait abandonné l’activité indépendante, car un revenu aussi bas n’aurait pas permis de vivre à long terme.

 

Consid. 5.2.2.1
Pour conclure que l’assuré aurait cessé d’exercer une activité indépendante même s’il était en bonne santé, l’instance cantonale s’est appuyée sur les revenus qu’il a perçus, en accordant notamment une importance décisive à la chute des revenus en 2015. On ne peut toutefois pas suivre son point de vue. Comme l’a objecté à juste titre l’office AI, les fluctuations de revenus sont inhérentes à une activité lucrative indépendante. L’arrêt attaqué ne fait d’ailleurs pas état d’éléments concrets qui plaideraient en faveur de l’hypothèse de l’instance cantonale selon laquelle la situation économique de l’assuré ne se serait probablement pas rétablie dans les années suivant 2015 ; il s’agit donc d’une simple spéculation sur ce point. En ce qui concerne la baisse de revenu subie en 2015 et la nature modeste des revenus obtenus auparavant, la cour cantonale ne tient pas compte du fait que l’assuré a malgré tout exercé son activité pendant plus de cinq ans et n’a finalement cessé son activité qu’en septembre 2017, c’est-à-dire un an après le début de son incapacité de travail pour raisons de santé. Dans cette situation initiale, un revenu modeste ne revêt pas en soi une importance telle qu’il faille déroger à la règle lors de la détermination du revenu sans invalidité et recourir exceptionnellement aux valeurs statistiques (cf. sur l’ensemble consid. 3.2.1 supra).

Consid. 5.2.2.2
Le tribunal cantonal n’a pas mentionné d’indices pertinents permettant de conclure que l’assuré ne se serait pas contenté d’un revenu modeste, mais qu’il aurait cherché un travail mieux rémunéré. Au contraire, la cour cantonale s’est contentée de supposer qu’il était « concevable qu’il ait espéré une nette amélioration de son revenu en raison de la tendance à la hausse à partir de l’année 2012 ». Dans la mesure où elle a néanmoins conclu, dans ce contexte, que l’assuré aurait abandonné son activité indépendante même s’il était en bonne santé, cette conclusion est manifestement insoutenable.

Consid. 5.2.2.3
On peut renoncer à un renvoi de l’affaire à la cour cantonale pour un examen plus approfondi de l’activité hypothétique de l’assuré (cf. art. 107 al. 2 LTF), les faits pouvant être complétés sans autre sur la base du dossier de procédure (art. 105 al. 2 LTF). Selon le rapport d’enquête du 21 novembre 2017, l’assuré a justifié l’abandon de l’affaire en septembre 2017 auprès de l’office AI en raison de son état de santé. Il en va de même de divers rapports médicaux. En revanche, aucun indice ne plaide en faveur de l’hypothèse des juges cantonaux. Contrairement à l’avis de ces derniers, l’office AI a donc à juste titre basé les revenus sans invalidité déterminants sur la base des revenus provenant d’une activité lucrative indépendante.

Consid. 5.2.3
En ce qui concerne le calcul concret des revenus sans invalidité la décision de l’office AI (consid. 4.1 supra-dessus) doit également être confirmée. La cour cantonale avait déjà constaté à cet égard qu’il semblait en soi correct que l’office AI n’ait pas tenu compte des revenus de la phase de développement commercial 2010 et 2011 mentionnés dans l’extrait CI de l’assuré et qu’il se soit également basé sur la valeur moyenne correspondante des revenus de ces trois années en raison des grandes différences de revenus entre 2012 et 2014. Cela peut être suivi sans autre (cf. consid. 3.2.2 supra). Les revenus sans invalidité de 37’776 francs (2017) et de 38’494 francs (2019) calculés par l’office AI s’avèrent globalement conformes au droit fédéral. […] Le recours de l’office AI est fondé.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 8C_396/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_396/2022 (d) du 21.04.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/8c_396-2022)

 

8C_409/2022 (f) du 03.05.2023 – Statut de travailleur dépendant vs d’indépendant pour une personne assurée exerçant plusieurs activités lucratives en même temps / 1a al. 1 LAA – 1 OLAA – 5 al. 2 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_409/2022 (f) du 03.05.2023

 

Consultable ici

 

Statut de travailleur dépendant vs d’indépendant pour une personne assurée exerçant plusieurs activités lucratives en même temps / 1a al. 1 LAA – 1 OLAA – 5 al. 2 LAVS

Risque économique d’entrepreneur

 

B.A.__ (ci-après : le père), architecte au bénéfice d’un statut d’indépendant dès octobre 2016, est le père de A.A.__ (ci-après : le fils), né en 1988, qui exerce la profession de dessinateur en bâtiments. Père et fils collaborent dans le cadre de mandats confiés par le premier nommé.

Le fils a demandé une affiliation à l’assurance-accidents en tant qu’indépendant dès le 01.01.2017. Par courrier du 13.06.2018, puis par décision de constatation du 17.06.2019 confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a retenu un double statut du fils dès le 01.01.2017: celui d’indépendant à titre principal dans le cadre de ses mandats privés, et de salarié s’agissant de l’activité déployée dans le cadre des mandats confiés par son père.

Par décision du 21.08.2019, confirmée sur opposition le 06.01.2020 également, le père s’est vu imputer le statut d’employeur de son fils, respectivement le statut de salarié de ce dernier.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 14&15/20 – 53/2022 – consultable ici)

Par jugement du 09.05.2022, admission des recours du père et du fils par le tribunal cantonal, réformant en ce sens que le fils remplissait, au sens de la LAA, les critères pour se voir reconnaître l’exercice d’une activité indépendante dans le cadre des mandats qui lui étaient confiés par son père.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire conformément à la présente loi les travailleurs occupés en Suisse. Aux termes de l’art. 1 OLAA, est réputé travailleur quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants. Conformément à l’art. 5 al. 2 LAVS, on considère comme salaire déterminant toute rétribution pour un travail dépendant effectué dans un temps déterminé ou indéterminé. Quant au revenu provenant d’une activité indépendante, il comprend tout revenu du travail autre que la rémunération pour un travail accompli dans une situation dépendante (art. 9 al. 1 LAVS).

Consid. 3.2
Le point de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée ne doit pas être tranché d’après la nature juridique du rapport contractuel entre les partenaires. Ce qui est déterminant, bien plutôt, ce sont les circonstances économiques (ATF 144 V 111 consid. 4.2; 140 V 241 consid. 4.2). D’une manière générale, est réputé salarié celui qui dépend d’un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, et ne supporte pas le risque encouru par l’entrepreneur (ATF 123 V 161 consid. 1; arrêt 9C_70/2022 du 16 février 2023 consid. 6.2, destiné à la publication; arrêts 9C_423/2021 du 1er avril 2022 consid. 6.1; 8C_38/2019 du 12 août 2020 consid. 3.2). Ces principes ne conduisent cependant pas, à eux seuls, à des solutions uniformes applicables schématiquement. Les manifestations de la vie économique revêtent en effet des formes si diverses qu’il faut décider dans chaque cas particulier si l’on est en présence d’une activité dépendante ou d’une activité indépendante en considérant toutes les circonstances de ce cas. Souvent, on trouvera des caractéristiques appartenant à ces deux genres d’activité; pour trancher la question, on se demandera quels éléments sont prédominants dans le cas considéré (ATF 140 V 108 consid. 6; 123 V 161 consid. 1; arrêt 8C_398/2022 du 2 novembre 2022 consid. 3.2 et les références).

Consid. 3.3
Les principaux éléments qui permettent de déterminer le lien de dépendance quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise sont le droit de l’employeur de donner des instructions, le rapport de subordination du travailleur à l’égard de celui-ci, ainsi que l’obligation de l’employé d’exécuter personnellement la tâche qui lui est confiée. Un autre élément est le fait qu’il s’agit d’une collaboration régulière, autrement dit que l’employé est régulièrement tenu de fournir ses prestations au même employeur. En outre, la possibilité pour le travailleur d’organiser son horaire de travail ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’une activité indépendante (ATF 122 V 169 consid. 6a/cc; arrêts 8C_398/2022 précité consid. 3.3; 8C_38/2019 précité consid. 3.2; 9C_213/2016 du 17 octobre 2016 consid. 3.3 et les références).

Consid. 3.4
Le risque économique d’entrepreneur peut être défini comme étant celui que court la personne qui doit compter, en raison d’évaluations ou de comportements professionnels inadéquats, avec des pertes de la substance économique de l’entreprise. Constituent notamment des indices révélant l’existence d’un tel risque le fait que la personne concernée opère des investissements importants, subit les pertes, supporte le risque d’encaissement et de ducroire, assume les frais généraux, agit en son propre nom et pour son propre compte, se procure elle-même les mandats, occupe du personnel et utilise ses propres locaux commerciaux. Le risque économique de l’entrepreneur n’est cependant pas à lui seul déterminant pour juger du caractère dépendant ou indépendant d’une activité. La nature et l’étendue de la dépendance économique et organisationnelle à l’égard du mandant ou de l’employeur peuvent singulièrement parler en faveur d’une activité dépendante dans les situations dans lesquelles l’activité en question n’exige pas, de par sa nature, des investissements importants ou de faire appel à du personnel. En pareilles circonstances, il convient d’accorder moins d’importance au critère du risque économique de l’entrepreneur et davantage à celui de l’indépendance économique et organisationnelle (arrêts 8C_398/2022 précité consid. 3.4; 9C_213/2016 précité consid. 3.4 et les références).

Consid. 3.5
Si une personne assurée exerce plusieurs activités lucratives en même temps, la qualification du statut ne doit pas être opérée dans une appréciation globale. Il sied alors d’examiner pour chaque revenu séparément s’il provient d’une activité dépendante ou indépendante (ATF 144 V 111 consid. 6.1; 123 V 161 consid. 4a; 122 V 169 consid. 3b; arrêt 8C_804/2019 du 27 juillet 2020 consid. 3.2).

 

Consid. 5.2.1
Ainsi, concernant le matériel et les locaux nécessaires à travailler en indépendance énumérés par la cour cantonale, l’assurance-accidents mentionne que le fils ne disposait pas de cette infrastructure dès le début de son activité au 01.01.2017 et qu’il n’a effectué la majorité de ces investissements que vers la fin de la période litigieuse. En effet, en janvier 2017, le fils ne disposait que d’un ordinateur et d’un abonnement à un logiciel de conception, selon ses propres déclarations, et il n’a effectué les autres investissements que vers la fin de la période litigieuse. Ainsi, selon l’avenant au contrat de bail à loyer figurant au dossier, il ne louait un local que depuis le 01.09.2019. De même, ce n’est qu’à compter du 01.11.2019 qu’il a conclu un contrat en vue de bénéficier d’un site internet (nom de domaine) et d’une adresse e-mail professionnelle. En plus, il n’a acquis l’imprimante que le 02.12.2019, soit quelques semaines avant la fin de la période litigieuse. En outre, la somme totale des investissements opérés par le fils, surtout au début de son activité, était manifestement très modeste, consistant en un ordinateur d’une valeur d’environ 1’000 fr. et un logiciel de 400 fr. Par ailleurs, dans le cadre du questionnaire d’affiliation à la caisse cantonale vaudoise de compensation AVS pour les personnes de condition indépendante du 2 janvier 2018, le fils a indiqué qu’il exerçait son activité dans les locaux de ses mandants, lesquels étaient mis à sa disposition gratuitement. En somme, il ne disposait ni du matériel nécessaire, ni d’un site internet ou de locaux propres durant la majeure partie de la période considérée. Même si l’on admettait, à l’instar de la cour cantonale, une certaine marge de temps pour la mise en œuvre de l’activité indépendante (ce que l’assurance-accidents conteste), une telle marge ne saurait atteindre près de trois ans. La cour cantonale n’ayant pas pris en considération ces éléments, son appréciation de l’infrastructure à disposition du fils ne convainc pas.

Consid. 5.2.2
L’assurance-accidents soutient en plus que les professions auxquelles la cour cantonale apparente l’activité du fils (comme avocats, médecins, etc.) ne sauraient être considérées en soi comme indépendantes. En effet, la qualification d’une telle activité doit également être examinée au vu de toutes les circonstances économiques du cas d’espèce (ce qui vaut par ailleurs également pour les tâcherons que mentionne l’assurance-accidents: cf. ATF 101 V 87 consid. 2; arrêt 8C_597/2011 du 10 mai 2012 consid. 2.3).

Consid. 5.2.3
En ce qui concerne la constatation de la cour cantonale que le fils exerçait sous sa propre responsabilité, il sied de retenir, avec l’assurance-accidents, que cela était certes exact pour les travaux effectués pour quelques clients finaux auxquels il facturait directement ses prestations. Toutefois, s’agissant de l’activité déployée en faveur du père, seule déterminante en l’espèce, la situation était différente: Dans cette constellation, le fils travaillait uniquement pour le père – et non pour les clients finaux à l’égard desquels il n’avait aucune obligation juridique. Il ressort des factures présentes au dossier que, dans le cadre de ces mandats, il facturait toujours ses prestations au père et jamais aux clients finaux et qu’il n’a jamais facturé de frais pour l’impression de plans auprès d’imprimeurs, mais se limitait à rapporter ses heures de travail, exactement comme le font les travailleurs rémunérés à l’heure. Pour son travail confié par le père, le seul risque qu’il encourait était donc celui d’un salarié dont l’employeur ne s’acquitte pas du salaire pour un travail accompli. Dans le questionnaire du 30.04.2018, le fils a en outre indiqué que les « plans fournis doivent être en règle, bien que la responsabilité finale repose sur les architectes avec qui je travaille ». Force est de constater que la cour cantonale n’a pas non plus discuté ces éléments dans son appréciation de la responsabilité du fils. En ce qui concerne la conclusion d’un contrat d’assurance RC, l’assurance-accidents souligne à juste titre que c’est cohérent dès lors que le fils avait un statut mixte et qu’il exerçait en qualité d’indépendant pour certains clients envers lesquels il était responsable, tandis qu’il n’avait aucun lien avec les clients du père. Les conclusions de la cour cantonale concernant sa responsabilité à l’égard des clients du père ne sauraient ainsi être confirmées.

Consid. 5.2.4
Ni l’assurance-accidents ni la cour cantonale n’ont considéré comme déterminant le lien de filiation entre père et fils. Est en revanche pertinent le lien de dépendance économique de celui-ci à l’égard de celui-là. En effet, il ressort de l’analyse des factures que le fils a tiré 64% de ses revenus du travail confié par le père en 2017, 90% en 2018 et 34% en 2019. La cour cantonale ne s’est pas non plus prononcée sur ce fait, qui est pourtant décisif dès lors qu’il établit la régularité et l’importance des relations de travail entre les intimés, respectivement la dépendance économique du fils à l’égard du père.

Consid. 5.2.5
Enfin, la cour cantonale n’a pas non plus tenu compte du fait que, selon les renseignements donnés par le fils lui-même, il était tenu à une exécution personnelle du travail qui lui était confié – ce qui est caractéristique d’un contrat de travail – et qu’il ne sollicitait pas régulièrement de travaux au moyen d’annonces, de prospectus, d’un site web propre ou par tout autre biais. Or ces éléments plaident également en faveur du caractère dépendant de l’activité déployée par le fils pour le compte du père.

Consid. 5.3
En résumé, dans son appréciation, la cour cantonale n’a ni discuté ni pris en considération les nombreux éléments (ressortant des décisions sur opposition, du dossier et des mémoires de l’assurance-accidents dans la procédure cantonale) en faveur d’une activité dépendante: l’absence de matériel et de locaux propres durant l’essentiel de la période, l’absence d’investissements importants, surtout au début de la période litigieuse, l’absence de responsabilité personnelle du fils envers les clients finaux dans le cadre des mandats confiés par le père, la régularité de la relation de travail entre les parties intimées, la dépendance économique importante du fils, l’obligation d’exécution personnelle du travail et l’absence de recherche active de nouveaux mandats. Or, dans leur ensemble, ces éléments l’emportent sur les éléments qui iraient dans le sens de l’indépendance du fils envers le père. Ainsi, force est de constater que dans le cadre des mandats que lui avait confiés le père, le fils devait être qualifié de dépendant. Il en résulte que l’appréciation juridique effectuée par la cour cantonale se révèle insoutenable et contraire au droit fédéral, ce qui mène à l’admission du recours.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme les décisions sur opposition.

 

Arrêt 8C_409/2022 consultable ici

 

9C_437/2021 (f) du 15.03.2022 – Rétribution d’un administrateur d’une SA, exerçant comme avocat indépendant / Salaire résultant d’une activité dépendante vs honoraires résultant d’une activité indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_437/2021 (f) du 15.03.2022

 

Consultable ici

 

Rétribution d’un administrateur d’une SA, exerçant comme avocat indépendant / Salaire résultant d’une activité dépendante vs honoraires résultant d’une activité indépendante

Présomption concernant la qualification des honoraires des membres du conseil d’administration d’une personne morale – Rappel et maintien de la jurisprudence (arrêt du TFA H 376/50 du 15.04.1953)

Renversement de la présomption admis

 

Au terme d’un contrôle des salaires déclarés par B.__ SA (ci-après: la société) entre les mois de janvier 2014 et décembre 2016, la caisse cantonale de compensation (ci-après: la caisse) a constaté, notamment, que la société contrôlée avait versé 3703 fr. 70 par mois à son administrateur, A.__, avocat indépendant, et enregistré les montants dans sa comptabilité sur un compte « honoraires juridiques ».

La caisse a réclamé à B.__ SA le paiement des cotisations sociales et des intérêts moratoires dus sur les reprises de salaires relatives aux années contrôlées, y compris sur les montants versés à A.__ (décisions du 16.10.2018). Ce dernier a contesté, en son nom, ces décisions en tant qu’elles qualifiaient implicitement de salaire les honoraires perçus pour des activités qu’il soutenait avoir déployées comme avocat indépendant. Il a déposé un courrier établi par la fiduciaire chargée de la comptabilité de son étude d’avocat attestant que le chiffre d’affaires de celle-ci – sur la base duquel des cotisations sociales avaient déjà été prélevées – incluait les honoraires versés par B.__ SA. La caisse a rejeté l’opposition (décision du 04.04.2019).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/661/2021 [arrêt non disponible sur le site du tribunal cantonal])

La juridiction cantonale a constaté que pendant la période contrôlée, A.__ avait simultanément exercé l’activité d’avocat indépendant et celle d’administrateur du bureau d’architecte, exploité par son père sous forme de société anonyme et dont il avait perçu une rétribution de 3703 fr. 70 par mois. Elle a considéré que les paiements mensuels devaient être qualifiés de salaires dès lors que les pièces du dossier ne permettaient pas de renverser la présomption qui assimilait la rémunération versée par une société anonyme à un membre de son conseil d’administration à un salaire déterminant au sens de la loi. Elle a précisé que les allégations du recourant et les témoignages récoltés ne démontraient pas au degré de vraisemblance requis que les activités déployées par A.__ pour la société se limitaient exclusivement à lui dispenser des conseils juridiques dans le domaine immobilier et à la représenter en justice mais établissaient, au contraire, que la rétribution perçue n’était pas sans relation avec le rôle d’administrateur d’un bureau d’architecte. Elle a encore constaté qu’en se retranchant derrière son secret professionnel, le recourant n’avait produit aucun document établissant qu’il n’avait représenté B.__ SA qu’en sa qualité d’avocat indépendant.

Les juges cantonaux ont par ailleurs considéré que vu l’ignorance du fait que A.__ percevait une rémunération mensuelle de la part de la société, la caisse de compensation était en droit de procéder à une reconsidération de ses décisions antérieures de cotisations et de rendre la décision du 16.10.2018, malgré le fait que ladite rémunération apparaissait dans le chiffre d’affaires de l’étude d’avocat et avait par conséquent déjà été soumise à cotisations.

Par jugement du 23.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Est litigieux le point de savoir si la rétribution octroyée à A.__ par B.__ SA de janvier 2014 à décembre 2016 doit être qualifiée de salaire résultant d’une activité dépendante comme l’a retenu le tribunal cantonal ou d’honoraires résultant d’une activité indépendante comme le soutient le recourant.

Consid. 4.1
Le tribunal cantonal a exposé la jurisprudence relative aux critères distinguant les activités salariées des activités indépendantes (cf. ATF 144 V 111 consid. 4.2 et les arrêts cités; arrêt 9C_1062/2010 du 5 juillet 2011 consid. 7.2), singulièrement celle établissant la présomption que la rétribution versée par une société anonyme à un membre de son conseil d’administration est un salaire (cf. ATF 105 V 113 consid. 3; arrêt H 136/81 du 13 septembre 1982 consid. 2, in RCC 1983 p. 22; H 376/52 du 15 avril 1953, in RCC 1953 p. 441). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 4.2
Le recourant s’interroge sur l’évolution de la jurisprudence relative à la présomption concernant la qualification des honoraires des membres du conseil d’administration d’une personne morale. Il semble en substance soutenir que le mandat d’administrateur, pour la distinction entre le revenu d’une activité salariée et celui d’une activité indépendante, dans l’arrêt H 376/52 du 15 avril 1953 et l’ATF 105 V 113, est sans explication devenu une présomption, dans l’ATF 121 I 259 et les arrêts ultérieurs (notamment les arrêts H 125/04 du 7 mars 2005 et 9C_727/2014 du 23 mars 2015), avec pour conséquence le renversement du fardeau de la preuve qui n’existait pas auparavant. Il demande au Tribunal fédéral de « clarifier » sa jurisprudence.

Consid. 4.3
En l’absence d’argumentation topique et motivée concernant la nécessité de changer de jurisprudence (cf. ATF 144 V 72 consid. 5.3.2), il n’appartient pas au Tribunal fédéral de « clarifier » sa jurisprudence. Il suffit de préciser que, contrairement à ce que A.__ suggère, la jurisprudence n’a pas subi d’évolution insidieuse. La présomption critiquée a été posée dans l’arrêt H 376/50 du 15 avril 1953. Comme il s’agit d’une présomption, il est possible d’en apporter la preuve du contraire. Or apporter la preuve du contraire dans le cas particulier consiste à démontrer que la rétribution reçue n’a pas de lien avec la qualité d’administrateur de la société qui la verse mais avec l’activité exercée comme avocat indépendant. Pour ce faire, il y a lieu d’appliquer les critères permettant de distinguer les revenus provenant d’une activité salariée de ceux provenant d’une activité indépendante. C’est une telle analyse qui a conduit à la confirmation de la présomption dans l’arrêt de 1953. Une lecture des arrêts ultérieurs cités par le recourant montre en outre que c’est également une telle analyse qui a toujours guidé le Tribunal fédéral dans la résolution des litiges similaires.

 

Consid. 5.1
Le recourant reproche aussi à la juridiction cantonale d’avoir violé le droit fédéral. Il soutient en substance que celle-ci a indûment limité ses moyens de preuve en considérant que seule la preuve d’une activité judiciaire ou, autrement dit, de représentation devant les tribunaux était à même de renverser la présomption. Il fait valoir que l’activité de conseil juridique (qu’il allègue avoir exercée pour la société) relève également des tâches assumées par un avocat indépendant pour son client.

Consid. 5.2
Cette argumentation n’est pas fondée. Dans la mesure où A.__ avait déclaré en cours de procédure que son travail pour la société consistait essentiellement à lui fournir des conseils juridiques en matière immobilière, tâche pouvant être exercée aussi bien en tant qu’administrateur salarié de la société qu’en qualité d’avocat-conseil indépendant de cette dernière, les juges cantonaux ont recherché dans le dossier constitué (en particulier dans les déclarations du recourant et des témoins) les éléments pouvant créditer une thèse plutôt que l’autre. Même si leur appréciation – certes succincte – paraît accorder une importance prépondérante au défaut de production de documents attestant une procédure judiciaire particulière, elle a également porté sur d’autres critères tels que la présence à des réunions dans un but de formation, la gestion effective de la société ou la présence dans les locaux de celle-ci. On ne saurait dès lors faire valablement grief au tribunal cantonal d’avoir violé le principe de la libre appréciation des preuves, en restreignant de manière indue les moyens de preuve que la loi offrait au recourant pour renverser la présomption.

 

Consid. 6.1
A.__ fait également grief à la juridiction cantonale d’avoir violé son devoir de motiver sa décision et d’avoir apprécié arbitrairement les preuves. Il procède à une analyse détaillée de ses déclarations – qu’il estime confirmées et complétées par les témoignages recueillis durant la procédure – et en déduit l’existence de critères – que les juges cantonaux auraient totalement ignorés – permettant de renverser la présomption et de démontrer que les 3703 fr. 70 perçus mensuellement correspondaient à des honoraires pour son activité d’avocat-conseil indépendant et non à un salaire lié à sa qualité d’administrateur.

Consid. 6.2
Sur la base des allégations des parties et des témoins, le tribunal cantonal a admis qu’il était possible que le recourant ait représenté la société de son père en justice et lui ait prodigué des conseils en tant qu’avocat indépendant. Il a toutefois constaté que ni A.__ ni les témoins n’avaient rendu vraisemblable que la rémunération perçue de la société relevait ne serait-ce qu’en partie d’une telle activité: le premier n’avait produit aucun document allant dans ce sens alors que les seconds liaient les conseils donnés à la gestion de la société plutôt qu’à l’activité d’avocat et n’avaient pas été en mesure de citer une procédure judiciaire en particulier. Il a en outre relevé que, dans la mesure où la présence de A.__ aux réunions de la société avait notamment pour but sa formation à la gestion de celle-ci afin de pouvoir s’en occuper à la suite de son père, la rémunération perçue n’était pas sans lien direct avec le rôle de membre du conseil d’administration. Il a par ailleurs considéré que le fait que la gestion de la société était exclusivement assurée par le père du recourant et que ce dernier ne passait qu’occasionnellement dans les locaux n’était pas déterminant pour qualifier la rétribution litigieuse.

Consid. 6.3
Comme cela ressort de la jurisprudence évoquée par les juges cantonaux (cf. consid. 4.1 supra), les manifestations de la vie économique peuvent revêtir des formes si diverses qu’il faut décider dans chaque cas particulier si l’on est en présence d’une activité salariée ou d’une activité indépendante en prenant en considération toutes les circonstances. Il existe de nombreux critères qui aident à faire la distinction et qu’il y a lieu d’apprécier pour trancher la question. Comme le met en évidence le recourant, l’appréciation succincte du tribunal cantonal se focalise principalement sur le défaut de production de documents et quelques rares autres éléments tirés des témoignages recueillis mais passe sous silence la majeure partie de ces derniers. Or les témoins sont unanimes, qu’ils soient architecte indépendant mandaté pour la gestion d’appartements appartenant à B.__ SA, architecte, comptable, secrétaire de la société ou conseiller fiscal de la famille de A.__ ou de B.__ SA. Tous avaient exclusivement affaire au père du recourant pour la gestion de la société. Tous ignoraient l’inscription de A.__ au registre du commerce en qualité d’administrateur de la société ou, du moins, les motifs de cette inscription. Tous admettaient avoir eu des contacts avec le recourant très occasionnellement et constaté qu’en ces occasions, le rôle de A.__ consistait à conseiller son père sur le plan juridique, à entreprendre des démarches administratives dans le cadre de projet d’architecture ou à régler des problèmes (y compris par la voie judiciaire) avec les locataires d’appartements appartenant à B.__ SA ou à une autre société dirigée par le père du recourant. Tous étaient catégoriques quant au fait que c’était le père de A.__ qui prenait les décisions, détenait les informations, était en contact avec les fournisseurs et les régies ou signait les hypothèques. La plupart attestait que le recourant était rarement présent dans les locaux de la société, n’y avait pas de bureau, ni d’adresse e-mail ou de carte de visite, ne donnait pas d’instruction aux employés, ni n’avait de relation avec les fournisseurs ou les clients. Tous soutenaient enfin que le rôle de A.__ au sein de B.__ SA relevait de l’activité d’avocat indépendant plutôt que de celle de salarié.

Consid. 6.4
On relèvera qu’aucune des caractéristiques typiques d’un contrat de travail qui suggéreraient l’existence d’une activité dépendante ou d’un quelconque lien de dépendance ne ressort des témoignages, qui corroborent effectivement les déclarations du recourant. Au contraire, tout laisse à penser que l’activité déployée par le recourant n’avait rien à voir avec la gestion et l’administration de la société et que celui-ci intervenait comme conseiller juridique indépendant et percevait des honoraires pour cette activité. Le fait que les témoins n’ont pas pu nommer une procédure judiciaire en particulier ou que A.__ a invoqué son secret professionnel pour refuser de produire des documents y afférents n’est pas déterminant à lui seul et ne change rien aux déclarations convergentes – et, partant, convaincantes – des témoins sur ce point. La présence du recourant à certaines réunions de régie de B.__ SA dans un but de formation à la gestion de celle-ci afin de pouvoir s’en occuper à la suite du père n’y change rien non plus, dans la mesure où les juges cantonaux n’ont pu évoquer aucun élément du dossier qui permettrait de rattacher la rémunération perçue à cette seule activité. Dans ces circonstances, il apparaît que A.__ avait rendu hautement vraisemblable que les 3703 fr. 70 mensuels correspondaient à des honoraires versés par la société pour rémunérer les conseils juridiques fournis et les activités déployées en qualité d’avocat indépendant, et non au salaire d’administrateur d’une société, d’autant plus que cette rémunération était comptabilisée par B.__ SA sur un compte « honoraires juridiques » et avait également été déclarée comme honoraires par le recourant. Ce dernier a par conséquent renversé la présomption relative à la qualification de salaire de la rémunération d’un administrateur. Son recours est donc fondé.

En conséquence, on constate que les versements mensuels de 3703 fr. 70, pendant la période courant de janvier 2014 à décembre 2016, correspondent à des honoraires ressortissant de l’activité indépendante d’avocat exercée par le recourant. Selon les constatations de la juridiction cantonale, des cotisations sociales ont déjà été prélevées à ce titre sur les montants en cause. Il convient dès lors d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse.

Le TF admet le recours de A._.

 

Arrêt 9C_437/2021 consultable ici

 

Portage salarial et assurances sociales

Portage salarial et assurances sociales

 

Feuille d’information «Portage salarial» de l’OFAS du 30.06.2022 disponible ici

 

Le modèle du portage salarial, développé en France, est aussi de plus en plus proposé en Suisse. Il est régulièrement utilisé pour annoncer comme salariées auprès des assurances sociales des personnes qui sont en réalité indépendantes.

La personne indépendante travaille pour des clients qu’elle a elle-même recrutés (mandat, ouvrage ou prestation de service), sans être liée par des instructions, elle supporte le risque entrepreneurial et est seule responsable. L’entreprise de portage interposée, qui se charge uniquement de la facturation et de l’encaissement auprès de la clientèle, décompte les honoraires auprès des assurances sociales en tant qu’employeur fictif. Une telle pratique n’est pas conforme au droit suisse des assurances sociales et peut conduire au refus de certaines prestations.

 

Du point de vue des assurances sociales

Dans le domaine des assurances sociales, la délimitation entre l’activité salariée et l’activité indépendante est décisive, notamment pour l’affiliation à l’assurance chômage, à la prévoyance professionnelle obligatoire et à l’assurance accidents obligatoire. Les critères de délimitation déterminants ont été fixés par le Tribunal fédéral dans une jurisprudence bien établie depuis de nombreuses années. Ils sont obligatoires pour toutes les assurances sociales.

L’intégration dans l’organisation du travail, la subordination à l’entreprise de l’employeur et le fait d’être lié à lui par des instructions parlent en faveur d’une activité lucrative salariée. Le fait d’assumer un risque entrepreneurial important, notamment l’engagement de capitaux, la responsabilité, le risque d’encaissement et de perte, ainsi que le fait d’agir en son propre nom et pour son propre compte, sont des caractéristiques d’une activité lucrative indépendante. Il convient d’examiner, en fonction des circonstances concrètes de chaque cas, quels critères sont prépondérants. Les rapports de droit civil – comme la conclusion d’un contrat de travail – n’ont qu’un caractère indicatif. Les accords passés par les parties contractantes sur leur statut d’indépendant ou de salarié ne sont pas contraignants pour les assurances sociales.

Dans le cas du portage salarial, l’entreprise de portage n’est pas responsable de l’acquisition de clients, n’exerce pas de droit d’instruction sur l’exécution concrète du travail et n’assume aucune responsabilité. L’indépendant n’est pas non plus intégré dans l’organisation du travail de l’entreprise de portage, mais assume en permanence l’intégralité du risque entrepreneurial. Si l’indépendant ne parvient pas à décrocher de contrats, il ne gagne rien. Il doit en outre subvenir seul à l’exploitation de son entreprise, c’est-à-dire notamment se procurer et entretenir les locaux et l’équipement nécessaires, et il en assume lui-même la responsabilité.

Le simple fait que l’indépendant facture par l’intermédiaire de l’entreprise de portage, qu’il n’agisse souvent pas en son nom propre, mais qu’il fasse conclure le contrat avec la clientèle par l’intermédiaire de l’entreprise de portage et qu’il n’établisse pas lui-même le décompte des cotisations d’assurance sociale, ne fait pas de lui une personne salariée, ni d’ailleurs de l’entreprise de portage un employeur. Il s’agit plutôt d’un statut fictif de salarié. Du point de vue du droit des assurances sociales, les personnes qui décomptent via le portage salarial sont donc en général considérées comme des indépendants.

Si les assurances sociales constatent que des personnes qui sont effectivement indépendantes sont annoncées comme salariées, elles les traitent comme des indépendants. Cela peut par exemple conduire à un refus de prestations de l’assurance chômage.

 

 

Feuille d’information «Portage salarial» de l’OFAS du 30.06.2022 disponible ici

Bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC No 453 du 01.07.2022, « Portage salarial », disponible ici

Page « Portage salarial » sur le site de l’OFAS ici

 

Factsheet «Accompagnamento salariale» dell’UFAS del 30.06.2022, disponibile qui

Factsheet « Lohnträgerschaft » des BSV vom 30.06.2022, hier verfügbar

 

 

Analyse de la situation de prévoyance professionnelle des indépendants

Analyse de la situation de prévoyance professionnelle des indépendants

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 22.06.2022 consultable ici

 

La prévoyance professionnelle des indépendants pourrait être améliorée grâce à des mesures ciblées pour ceux qui sont particulièrement à risque. La rendre obligatoire ne permettrait toutefois pas de garantir une meilleure protection. C’est avant tout le fait d’avoir, tout au long de la vie active, des revenus suffisants qui permet aux indépendants de se constituer une prévoyance adéquate. Telles sont les conclusions d’un rapport approuvé par le Conseil fédéral lors de sa séance du 22.06.2022.

La Commission de sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) a déposé en 2016 un postulat (16.3908) chargeant le Conseil fédéral de présenter un rapport sur la situation des travailleurs indépendants en matière de prévoyance professionnelle. Ces derniers n’étant pas obligés de s’assurer, le risque existe qu’ils ne se constituent pas de prévoyance adéquate, avec pour conséquence le recours aux prestations complémentaires à l’âge de la retraite. Au vu de l’augmentation des coûts dans ce domaine, la CSSS-N a chargé le Conseil fédéral d’analyser la situation. Celui-ci a mandaté deux études afin de déterminer le degré de couverture en matière de prévoyance professionnelle et vieillesse des indépendants et des personnes à la fois salariées et indépendantes.

 

L’obligation n’est pas la solution

Le rapport arrive à la conclusion que rendre obligatoire, même partiellement, la prévoyance professionnelle des indépendants serait difficile à mettre en œuvre techniquement. Il faudrait, d’une part, vérifier que chaque indépendant est affilié auprès d’une institution de prévoyance. D’autre part, l’assujettissement et la hauteur des cotisations dépendent du revenu déterminant pour l’AVS. Or, celui-ci n’est fixé définitivement qu’au moment de la taxation fiscale, parfois avec plusieurs années de décalage. Ce retard induirait de nombreux problèmes pour les institutions de prévoyance, comme le fait de ne pas connaître exactement quels sont leurs engagements en matière de prestations et le montant des cotisations dues, ou encore la gestion des prestations en cas de décès ou d’invalidité. Bien qu’une amélioration de la prévoyance des indépendants pourrait être envisagée, une affiliation obligatoire au 2e pilier serait trop coûteuse pour une majorité d’entre eux et ne correspondrait pas à leurs besoins spécifiques.

 

Améliorer la situation des indépendants à risque

Le rapport identifie toutefois les catégories d’indépendants particulièrement exposés aux risques de lacunes de prévoyance, et des pistes sont proposées pour améliorer leur situation spécifique. Les indépendants qui n’occupent aucun employé et réalisent de petits mandats faiblement rémunérés ne disposent souvent pas d’une prévoyance professionnelle adéquate. Pour eux, il serait utile de renforcer l’information sur les possibilités d’assurance ou encore d’accroître l’offre de prévoyance professionnelle en leur permettant de s’affilier à n’importe quelle institution de prévoyance, si les dispositions réglementaires de l’institution le prévoient. Autre catégorie à risque: les personnes qui débutent leur activité indépendante après avoir exercé au préalable une activité salariale, surtout si elles utilisent leurs avoirs de prévoyance. Protéger la prestation de sortie permettrait de maintenir le niveau de couverture acquis avant le démarrage de l’activité indépendante. Pour les personnes qui cumulent activité indépendante et salariée, il serait possible d’autoriser un plafond fiscalement déductible plus élevé au pilier 3a que celui qui est appliqué aux salariés.

Les conclusions auxquelles aboutit le présent rapport rejoignent dans les grandes lignes les conclusions du rapport « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) ». A savoir qu’une réforme du droit des assurances sociales pour accroître la protection des personnes exerçant une activité indépendante n’est pour l’instant pas nécessaire mais qu’un potentiel d’optimisation existe.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 22.06.2022 consultable ici

Rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 16.3908 de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique CSSS-N du 14 octobre 2016 [version provisoire] disponible ici

Rapport de recherche 9/20 « Analyse de la situation en matière de prévoyance des indépendants » consultable ici (disponible uniquement en allemand avec résumé en français, italien et anglais)

Rapport de recherche 10/20 « Situation en matière de prévoyance des indépendants. Analyse approfondie à partir des données fiscales du canton de Berne entre 2002 et 2012 » consultable ici (disponible uniquement en allemand avec résumé en français, italien et anglais)

Analisi della situazione dei lavoratori indipendenti nella previdenza professionale, comunicato stampa disponibile qui

Analyse der Vorsorgesituation von Selbstständigerwerbenden, Medienmitteilung hier verfügbar

 

Allocation pour perte de gain COVID-19 pour indépendants : le Conseil fédéral prend position sur les recommandations de la CdG-N

Allocation pour perte de gain COVID-19 pour indépendants : le Conseil fédéral prend position sur les recommandations de la CdG-N

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 30.05.2022 consultable ici

 

Lors de sa séance du 25.05.2022, le Conseil fédéral a adopté son avis sur les recommandations de la Commission de gestion du Conseil national. Dans son rapport, celle-ci avait porté un jugement globalement positif sur l’introduction et la mise en œuvre de l’allocation pour perte de gain COVID-19 durant les premiers mois de la pandémie et avait formulé certaines recommandations. Selon le Conseil fédéral, il n’y a pas lieu de s’appuyer sur des constats concernant la période de crise pour remettre en question le fonctionnement du système AVS/AI/APG en temps normal.

À partir de mars 2020, la Confédération a pris des mesures pour soutenir les indépendants dont l’activité professionnelle se trouvait réduite en raison de la pandémie. L’allocation pour perte de gain COVID-19 (APG COVID-19) a été introduite dans ce but sur le modèle du régime existant d’allocation pour perte de gain (APG) et en utilisant les processus automatisés qui ont fait leurs preuves. Cela a permis aux caisses de compensation AVS de gérer un très grand nombre de demandes et de verser les indemnités journalières dans des délais très courts. La situation supposait de renoncer au contrôle approfondi des données des demandeurs tel qu’il se fait systématiquement dans le fonctionnement normal du 1er pilier.

 

Pas de conclusions à tirer des lacunes du système d’aide d’urgence pour le fonctionnement normal du 1er pilier

Dans son rapport, la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) a porté un jugement globalement positif sur l’introduction et la mise en œuvre de l’APG COVID-19 durant les premiers mois de la crise, mais elle a aussi formulé certaines recommandations. Elle a ainsi invité le Conseil fédéral à procéder à un bilan de la collaboration et de l’échange d’informations entre les offices fédéraux des assurances sociales (OFAS) et de la santé publique (OFSP), estimant que cette collaboration n’avait pas été optimale au début de la crise en raison de l’urgence. En outre, le Conseil fédéral devrait examiner si la structure organisationnelle du système AVS/AI/APG (surveillance des caisses de compensation, harmonisation des systèmes de données, numérisation accrue) a besoin d’être adaptée ou améliorée.

Dans les deux cas, le Conseil fédéral estime que les lacunes constatées pour la situation de crise ne permettent pas de tirer des conclusions sur le fonctionnement en temps normal et qu’il n’y a donc pas lieu d’agir.

Enfin, la CdG-N demande au Conseil fédéral d’examiner si la protection sociale des indépendants devrait être renforcée. Le Conseil fédéral ne voit actuellement aucun besoin de clarifications supplémentaires à ce sujet. Ces dernières années, il s’est déjà penché de manière intensive sur cette question à l’occasion d’interventions parlementaires et, plus récemment, dans le rapport «Numérisation : examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test)»

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 30.05.2022 consultable ici

Avis du Conseil fédéral du 22.05.2022 sur le Rapport succinct du 18.02.2022 de la Commission de gestion du Conseil national consultable ici (version provisoire)

 

 

9C_429/2020 (f) du 24.06.2021 – Solde des cotisations sociales d’un indépendant plus de 11 ans après – Dies a quo du délai de péremption d’un an / Entrée en force de la taxation fiscale déterminante / 16 LAVS – 23 RAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_429/2020 (f) du 24.06.2021

 

Consultable ici

 

Solde des cotisations sociales d’un indépendant plus de 11 ans après – Dies a quo du délai de péremption d’un an

Entrée en force de la taxation fiscale déterminante / 16 LAVS – 23 RAVS

Intérêt moratoire

 

A.__, né en 1977, était associé de la société en nom collectif C.__. Il a requis son affiliation à titre de personne exerçant une activité lucrative indépendante auprès de la caisse cantonale de compensation à compter du 01.05.2002.

De 2003 à 2008, la caisse de compensation a, en se fondant sur un revenu annuel annoncé de 72’000 fr., fixé provisoirement le montant des cotisations sociales à la charge de A.__ pour chacune des années en cause. En date du 31.12.2007, l’intéressé a définitivement cessé son activité indépendante. Le 14.04.2008, la caisse de compensation a rendu un décompte final des cotisations dues, précisant qu’il s’agissant d’une taxation provisoire « dans l’attente des éléments fiscaux ».

Le 16 novembre 2018, l’autorité fiscale cantonale a informé la caisse de compensation que A.__ avait réalisé un revenu de 144’343 fr. en 2005 (capital investi: 29’518 fr.), de 187’605 fr. en 2006 (capital investi: 37’703 fr.) et de 546’442 fr. en 2007 (capital investi: 285’542 fr.). Par décisions séparées du 23.09.2019, confirmées sur opposition, la caisse de compensation a réclamé à A.__ un montant supplémentaire de 63’985 fr. 05 correspondant à l’arriéré des cotisations sociales dues pour la période du 01.01.2005 au 31.12.2007, avec des frais d’administration, ainsi qu’un montant de 35’610 fr. 20 à titre d’intérêts moratoires.

 

Procédure cantonale (arrêt AVS 47/19 – 17/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu que la caisse de compensation avait réclamé à juste titre à A.__ l’arriéré de cotisations sociales dues sur l’ensemble des revenus des années 2005 à 2007. La procédure de rappel d’impôts portait en effet sur l’ensemble des revenus de A.__ pour cette période, annulant et remplaçant de facto les décisions de taxation rendues en 2008 et 2009. Ce n’était dès lors qu’à partir de la communication par l’autorité fiscale des taxations définitives en novembre 2018 que la caisse de compensation avait été en mesure de réclamer, conformément à l’art. 39 RAVS, l’arriéré des cotisations sociales dues. Dans la même logique, dès lors qu’elle était fondée à réclamer les cotisations sociales sur l’ensemble des revenus du recourant des années 2005 à 2007, la juridiction cantonale a considéré que c’est à bon droit que la caisse de compensation avait facturé des intérêts moratoires.

Par jugement du 18.05.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le délai institué par l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS est un délai de péremption, et non pas de prescription (ATF 115 V 183 consid. 2b et les références; voir aussi ATF 129 V 345 consid. 4.2.2), en ce sens que l’organisme d’assurance qui subit un dommage est déchu du droit d’exiger la réparation de celui-ci s’il n’agit pas dans le délai fixé. Ce délai n’est en principe susceptible d’aucune interruption ni prolongation (à ce sujet, voir ATF 136 II 187 consid. 6; 133 V 14 consid. 6).

L’art. 14 LAVS concerne le prélèvement de cotisations par les caisses de compensation. A teneur de cette disposition, les cotisations perçues sur le revenu provenant de l’exercice d’une activité indépendante, les cotisations des assurés n’exerçant aucune activité lucrative et celles des assurés dont l’employeur n’est pas tenu de payer des cotisations sont déterminées et versées périodiquement. Le Conseil fédéral fixera les périodes de calcul et de cotisations (art. 14 al. 2 LAVS). Le Conseil fédéral édicte des dispositions sur le paiement a posteriori de cotisations non versées (art. 14 al. 4 let. c LAVS).

En vertu de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 39 al. 1 RAVS, selon lequel si une caisse de compensation a connaissance du fait qu’une personne soumise à l’obligation de payer des cotisations n’a pas payé de cotisations ou n’en a payé que pour un montant inférieur à celui qui était dû, elle doit réclamer, au besoin par décision, le paiement des cotisations dues; la prescription selon l’art. 16 al. 1 LAVS est réservée.

Dans le cadre de la fixation des cotisations des assurés, le législateur a par ailleurs confié aux autorités fiscales cantonales le soin de déterminer le revenu provenant d’une activité indépendante et le capital propre engagé dans l’entreprise (art. 9 al. 3 LAVS et 27 RAVS; voir arrêt 9C_179/2007 du 7 novembre 2007 consid. 4.2).

Ainsi, en vertu de l’art. 23 RAVS, pour établir le revenu déterminant, les autorités fiscales cantonales se fondent sur la taxation passée en force de l’impôt fédéral direct. Elles tirent le capital propre engagé dans l’entreprise de la taxation passée en force de l’impôt cantonal adaptée aux valeurs de répartition intercantonales (al. 1). En l’absence d’une taxation passée en force de l’impôt fédéral direct, les données fiscales déterminantes sont tirées de la taxation passée en force de l’impôt cantonal sur le revenu ou, à défaut, de la déclaration vérifiée relative à l’impôt fédéral direct (al. 2). Si l’autorité fiscale procède à une taxation fiscale consécutive à une procédure en soustraction d’impôts, les al. 1 et 2 sont applicables par analogie (al. 3). Les caisses de compensation sont liées par les données des autorités fiscales cantonales (al. 4). Si les autorités fiscales cantonales ne peuvent pas communiquer le revenu, les caisses de compensation estimeront le revenu déterminant pour fixer les cotisations et le capital propre engagé dans l’entreprise sur la base des données dont elles disposent. Les personnes tenues de payer des cotisations doivent renseigner les caisses de compensation et, sur demande, produire toutes les pièces utiles (al. 5).

 

C’est tout d’abord en vain que A.__ soutient que la caisse de compensation a commis un abus de droit en rendant la décision de cotisations AVS le 23.09.2019, alors qu’elle disposait depuis 2008 des comptes de la société en nom collectif C.__ des années 2005, 2006 et 2007. Dans le cadre de la fixation des cotisations des assurés exerçant une activité lucrative indépendante, le législateur a expressément confié aux autorités fiscales cantonales le soin de déterminer le revenu provenant d’une activité indépendante et le capital propre engagé dans l’entreprise conformément aux art. 9 al. 3 LAVS et 23 RAVS. Il s’ensuit que les caisses de compensation sont liées, en principe, par les données communiquées par les autorités fiscales cantonales pour fixer les cotisations dues pour l’année de cotisation (art. 23 al. 4 et 27 al. 2 RAVS). N’ayant aucun moyen de contraindre les autorités fiscales à prendre rapidement une décision, la caisse de compensation n’était par conséquent pas tenue d’entreprendre quelque démarche que ce soit auprès de celles-ci (voir arrêt 9C_179/2007 précité consid. 4.2; cf. aussi arrêt 9C_491/2013 du 5 février 2014 consid. 3.2). On ne saurait dès lors reprocher à la caisse de compensation de s’en être tenue aux communications effectives de l’autorité fiscale.

 

Compte tenu des particularités de la procédure de cotisations AVS des indépendants, le législateur a ensuite posé à l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS une règle spécifique en matière de péremption qui s’écarte des règles générales de l’art. 24 al. 1 LPGA. Lorsque les cotisations perçues sur le revenu proviennent d’une activité indépendante (art. 8 al. 1 LAVS), le délai de péremption n’échoit en principe qu’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force (art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS). En choisissant comme point de départ du délai de péremption la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force, et non pas le moment effectif de la connaissance du dommage, le législateur a choisi explicitement de faire supporter à l’organisme d’assurance tout retard dans la communication par l’autorité fiscale cantonale de la taxation fiscale déterminante entrée en force.

L’art. 16 al. 1 LAVS s’applique ensuite également à la situation dans laquelle une procédure pour soustraction fiscale a été mise en œuvre (au sens des art. 175 ss LIFD [RS 642.11]). Si des cotisations doivent être prélevées sur un revenu taxé dans une procédure en soustraction d’impôts, le délai d’un an de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS ne prend naissance qu’après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force. A cet égard, le Tribunal fédéral a précisé que les modifications de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS, entrées en vigueur le 1er janvier 2012, n’ont pas apporté de modification substantielle par rapport à l’ancien droit. Si l’ancien art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS faisait expressément référence à « la taxation fiscale déterminante ou [à] la taxation consécutive à une procédure pour soustraction d’impôts », la nouvelle réglementation qui ne contient plus que l’expression « taxation fiscale déterminante » apporte exclusivement une simplification rédactionnelle (arrêt 9C_736/2018 du 5 décembre 2018 consid. 2). La jurisprudence rendue concernant la taxation consécutive à une procédure pour soustraction d’impôts, qui était auparavant expressément mentionnée dans l’énoncé de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS, garde par conséquent toute sa valeur. L’organisme d’assurance est censé suffisamment connaître son dommage après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force, y compris la taxation consécutive à une procédure pour soustraction d’impôts.

Dès lors que les taxations fiscales des 16 avril 2008 (pour l’année 2005), 1er septembre 2008 (pour l’année 2006) et 13 juillet 2009 (pour l’année 2007) reposaient sur des données incomplètes, de sorte qu’une reprise d’impôts a eu lieu postérieurement, le point de départ du délai de péremption d’un an au sens de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS est reporté à la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale consécutive à la procédure pour soustraction d’impôts est entrée en force. Selon les faits constatés par la juridiction cantonale, il s’agit de la fin de l’année 2018. En réclamant le solde des cotisations sociales dues le 23.09.2019, la caisse de compensation a par conséquent agi dans le délai d’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force (art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS). Les cotisations arriérées réclamées par la caisse de compensation ne sont pas frappées de péremption.

 

C’est finalement en vain que A.__ se plaint de la perception d’un intérêt moratoire. L’intérêt moratoire n’a pas le caractère d’une sanction ou d’une pénalité; sa justification réside dans la perte d’intérêts que subit le créancier et le gain que réalise le débiteur. Dans la mesure où A.__ a déclaré à la caisse de compensation un revenu (de 72’000 fr.) sensiblement inférieur à celui qu’il percevait en réalité (144’343 fr. en 2005, 187’605 fr. en 2006 et 546’442 fr. en 2007), il doit payer des intérêts moratoires sur les cotisations arriérées réclamées dès le 1er janvier qui suit la fin de l’année civile pour laquelle les cotisations sont dues (art. 41 bis al. 1 let. b RAVS). Dans la décision du 14.04.2008, la caisse de compensation a du reste précisé qu’elle procédait à une taxation des cotisations sociales dans l’attente des éléments fiscaux et indiqué expressément, dans les documents annexés à la décision, qu’elle réservait une rectification ultérieure sur la base de la communication fiscale.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 9C_429/2020 consultable ici

 

 

9C_308/2017 (d) du 17.05.2018 – Travailleur dépendant vs indépendant – Statut de cotisant AVS / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_308/2017 (d) du 17.05.2018, publié aux ATF 144 V 111

 

Arrêt 9C_308/2017 consultable ici
ATF 144 V 111 consultable ici

Paru in : Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS – Sélection de l’OFAS – no 63 (disponible ici)

 

Travailleur dépendant vs indépendant – Statut de cotisant AVS / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

 

Le litige porte sur la question de savoir si le travail à temps partiel de l’assurée dans un institut en tant que psychothérapeute est une activité indépendante ou salariée.

Conformément à l’accord entre l’institut et la personne assurée, cette dernière peut utiliser une salle de thérapie et l’infrastructure du cabinet de psychothérapie pour une journée et demie par semaine, moyennant une contribution forfaitaire aux coûts. La personne assurée figure sur la page d’accueil de l’institut en tant que membre de l’équipe clinique. Cela signifie qu’il n’y a ni frais de publicité ni investissements substantiels. Bien que l’assurée doive supporter le risque de recouvrement et de ducroire, en cas de défaillance économique, moyennant un délai de préavis convenu de trois mois, elle peut se libérer dans un délai relativement court, sans perte de substance (pas d’obligation en ce qui concerne les salaires des salariés ou les locations à long terme). De ce fait, la personne assurée n’a pas à supporter de risque d’entreprise (consid. 6.2.1).

Certains éléments parlent en faveur de l’indépendance de l’assuré en matière d’organisation du travail (libre choix des patients et détermination des honoraires, pas d’interdiction de concurrence). Par contre, toutes les séances de thérapie ont lieu à l’Institut, ce qui révèle une incorporation de facto du point de vue de l’organisation du travail. Par ailleurs, en plus du nom de la personne assurée l’adresse de l’Institut figure également sur les factures, ce qui empêche de conclure que la personne apparaît envers les tiers comme agissant en son propre nom. Il en va de même pour la seule présence publicitaire de l’assurée se trouvant sur la page d’accueil de l’Institut (consid. 6.3.1). L’accord, selon lequel l’assurée participe « autant que possible » à des réunions cliniques internes et à des formations continues, indique également que l’assurée exerce une activité dépendante, car cela sert à satisfaire aux exigences qualitatives de l’institution et conduit à une intégration économique et scientifique (consid. 6.3.3.3). Est considéré en outre comme révélateur d’une relation de subordination comparable à un rapport salarié, le fait que la personne assurée doit se conformer à une obligation extrêmement étendue d’assurer les exigences qualitatives de l’institut et de contribuer au développement de nouveaux services aux patients (consid. 6.3.4). Selon le Tribunal fédéral, les critères en présence ne parviennent pas à faire pencher la balance du côté d’une l’activité lucrative indépendante, partant, la personne assurée est considérée comme étant salariée (consid. 6.4).

 

 

Arrêt 9C_308/2017 consultable ici
ATF 144 V 111 consultable ici

Paru in : Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS – Sélection de l’OFAS – no 63 (disponible ici)

Rechtsprechung des Bundesgerichts zum AHV-Beitragsrecht (Auswahl des BSV) – Nr. 63 : AHV-rechtliches Beitragsstatut

 

 

Rapport sur la protection sociale des travailleurs de plateformes / « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) »

Rapport sur la protection sociale des travailleurs de plateformes

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 27.10.2021 consultable ici

 

Dans l’économie de plateforme et les nouveaux modèles d’affaires, le statut des personnes qui travaillent n’est pas toujours clair et leur protection sociale pas forcément garantie. C’est ce qui ressort du rapport « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) » que le Conseil fédéral a adopté lors de sa séance du 27 octobre 2021.

En Suisse, comme à l’étranger, de nouvelles plateformes de travail comme Uber, Helpling, ou batmaid se développent. Ces modèles d’affaires innovants, encore rares, sont hétérogènes et en partie empreints d’incertitudes juridiques. Celles-ci portent principalement sur la question du statut des travailleurs de la plateforme (salarié ou indépendant) et sur la fonction de la plateforme (intermédiaire, employeur). La protection sociale de ces travailleurs, la sécurité juridique et le besoin ou non de flexibiliser le droit des assurances sociales pour répondre aux défis de ces nouvelles formes de travail ont été analysés dans le rapport adopté aujourd’hui par le Conseil fédéral. Ce rapport fait suite à plusieurs interventions parlementaires et à une étude d’Ecoplan / Mösch Payot sur le fonctionnement des entreprises de l’économie numérique installées en Suisse.

 

Risque de précarisation

Souvent effectué à temps partiel et en tant qu’activité accessoire, le travail via les plateformes offre des activités d’appoint bienvenues pour certaines personnes (étudiants, rentiers). Le rapport identifie toutefois certaines catégories de travailleurs avec un risque élevé de précarisation, à savoir ceux qui n’atteignent pas le seuil d’entrée dans le deuxième pilier et qui ne parviennent pas à se constituer une prévoyance suffisante. Plusieurs pistes pour améliorer la prévoyance sociale des personnes cumulant de tels emplois sur de longues périodes sont examinées dans le rapport. Elles permettraient d’éviter un report vers les prestations complémentaires ou l’aide sociale, par exemple en cas d’invalidité.

 

Détermination plus rapide du statut des travailleurs

Le Conseil fédéral parvient à la conclusion que le système actuel de sécurité sociale est suffisamment souple et qu’il n’est pour l’instant pas nécessaire d’augmenter cette flexibilité. Compte tenu de l’évolution rapide de l’économie numérique, il est essentiel que les travailleurs soient fixés rapidement sur leur situation en matière de droit des assurances sociales. Le Conseil fédéral voit encore un potentiel d’amélioration à cet égard.

Le rapport examine en outre la capacité du système de sécurité sociale à répondre aux défis posés par la crise du coronavirus. Il en ressort que la Suisse a pu réagir de manière rapide et flexible, mais cette crise a également mis en lumière la fragilité économique et sociale de certains indépendants ou salariés.

Le Conseil fédéral conclut que les différentes options présentées dans le rapport ne nécessitent pas d’examen supplémentaire pour le moment.

 

Extrait du rapport du Conseil fédéral

 

Le cadre juridique

Les analyses du cadre juridique montrent que le système de sécurité sociale en vigueur en Suisse est plutôt souple et qu’il dispose d’une bonne capacité d’adaptation aux nouvelles formes de travail, non seulement au niveau des assurances sociales, mais aussi au niveau de la protection sociale liée au droit du travail. Puisque le cadre légal actuel des assurances sociales ne comporte pas de rigidités notables, il ne s’impose pas d’agir dans ce domaine pour le moment.

C’est du côté de la sécurité juridique, au sens de la clarté des dispositions légales par rapport au contexte du moment, et de la cohérence et de la prévisibilité des décisions juridiques qui en découlent, que les analyses indiquent un certain potentiel d’optimisation. Le rapport met en évidence que la pratique actuelle de qualification d’une activité comme salariée ou indépendante offre un degré élevé de flexibilité, mais elle s’accompagne également d’un certain coût qui peut être important du fait de l’incertitude temporaire des décisions juridiques concernant le statut des prestataires d’une plateforme de travail et de la durée des procédures en cas de recours. En raison des répercussions financières importantes que peut engendrer la requalification de la plateforme en tant qu’employeur plutôt que simple intermédiaire, il est important que les procédures de décision des organes d’exécution de l’AVS (qui ont un rôle-clé vis-à-vis des autres assurances sociales) soient claires et rapides.

Parmi les chances et risques associés au travail de plateforme, le rapport montre qu’il est nécessaire d’adopter une vision circonstanciée pour évaluer si le niveau de protection sociale offert par le système actuel aux travailleurs de plateforme est suffisant. D’un côté, les petits emplois et les activités exercées à titre accessoire, qui ne sont souvent pas couverts par la sécurité sociale ou que partiellement, peuvent avoir leur utilité puisqu’ils permettent d’améliorer de manière flexible la situation économique des personnes concernées. Ils peuvent aussi faciliter le maintien ou la réinsertion sur le marché du travail de personnes en difficulté ou en transition professionnelles. La nécessité d’intervenir pour augmenter la sécurité sociale associée à ces emplois, exercés temporairement ou de manière accessoire par rapport à une activité principale, est moindre. Cependant, le rapport juge tout de même nécessaire d’examiner les moyens possibles pour améliorer la protection sociale obligatoire de certaines catégories de travailleurs de plateforme, qu’ils soient indépendants ou salariés cumulant plusieurs emplois sans qu’aucun n’atteigne le seuil d’entrée dans le 2e pilier. Il s’agit d’éviter des lacunes dans la prévoyance individuelle qui devront ensuite être comblées par les collectivités publiques (par exemple, pendant la retraite, par l’octroi de PC à l’AVS).

À court terme, le travail de plateforme ne fait pas courir de risque de financement aux assurances sociales et n’appelle pas de mesures particulières dans ce domaine. Il s’agit cependant de surveiller l’évolution des formes flexibles de travail ces prochaines années et leurs conséquences potentielles sur le financement du premier pilier en particulier, car le taux de cotisation dont bénéficient les indépendants dans le domaine AVS/AI/APG est plus faible que celui des salariés.

 

Perspectives

L’expérience faite pendant la crise du coronavirus a montré à la fois les avantages et les inconvénients du travail de plateforme, indépendamment du statut des travailleurs dans les différents modèles d’affaires. Confrontés au semi-confinement, les consommateurs ont apprécié la flexibilité de la consommation en ligne, ce qui pourrait apporter un dynamisme supplémentaire aux plateformes de travail gérant par exemple la livraison des achats en ligne. De nouvelles habitudes ont été prises non seulement dans le domaine de la consommation, mais aussi dans le domaine de la mobilité et du travail à domicile pour ceux qui en avaient la possibilité (home office). La crise a aussi souligné la fragilité économique et sociale de certaines catégories d’indépendants et la couverture sociale parfois insuffisante de certaines formes d’emploi salarié.

Il est encore difficile à prévoir quels seront les impacts à long terme de ces expériences sur le développement du travail de plateforme et sur les conditions de travail qui y prévalent. Il apparaît d’ores et déjà que l’évolution doit continuer à être suivie de près. Du point de vue actuel, cependant, il n’y a pas de besoin majeur de réforme.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 27.10.2021 consultable ici

«Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test)», rapport du Conseil fédéral du 27.10.2021 disponible ici

Rapport de recherche n° 11/2020 «Modèles d’affaires innovants : besoin de flexibilisation dans le droit des assurances sociales» Ecoplan / Mösch Payot, en allemand [Innovative Geschäftsmodelle: Flexibilisierungsbedarf im Sozialversicherungsrecht], avec un résumé en français, disponible ici

 

8C_450/2020 (d) du 15.09.2020 – Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA – 16 LPGA / Analyse comptable – Revenu sans invalidité – Revenu d’invalide

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_450/2020 (d) du 15.09.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA / 16 LPGA

Analyse comptable – Revenu sans invalidité – Revenu d’invalide

 

Assuré, né en 1949, est le seul membre du conseil d’administration et l’unique actionnaire du bureau d’ingénieurs B.__ SA. Il travaille également pour l’entreprise en tant qu’employé. Le 03.11.2012, son index et son majeur droits se sont coincés dans la tondeuse à gazon, sectionnant une partie desdits doigts.

Par courrier du 19.09.2016, l’assurance-accidents a informé l’assuré que, selon un examen médical, aucun autre traitement n’était nécessaire, raison pour laquelle elle a mis fin aux prestations précédentes à compter du 31.10.2016. Par décision du 27.01.2017, confirmée sur opposition le 27.09.2018, l’assurance-accidents a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité, motif pris qu’il n’y avait pas d’atteinte significative à la capacité de gain à la suite de l’accident. Toutefois, elle a accordé à l’assuré une IPAI de 7,5%.

 

Procédure cantonale

Le tribunal cantonal a déterminé le revenu sans invalidité sur la base des inscriptions au compte individuel (CI), en prenant la moyenne des cinq dernières années avant l’accident (2007-2011). L’année d’accident 2012 n’a pas été prise en compte, car l’assuré n’avait pas travaillé à 100% cette année-là en raison d’une incapacité totale de travail à partir de la date de l’accident. En outre, lui seul avait pu déterminer quel salaire il réglerait avec la caisse de compensation, de sorte que des considérations ou réflexions de techniques d’assurance ne pouvaient être exclues. En tout état de cause, la raison pour laquelle les documents comptables font apparaître un salaire brut de CHF 106’300 pour 2012, alors qu’un salaire brut de CHF 135’300 avait été enregistré dans le CI, n’est pas claire. Sur la base des inscriptions pour les années 2007 à 2011, la cour cantonale a calculé – en tenant compte de l’évolution nominale des salaires – un revenu de CHF 99’984,32 (valeur 2016). Les juges cantonaux ont également souligné que même si l’on prenait en compte les trois dernières années (CHF 103’984,51) ou même seulement la dernière année avant l’accident (CHF 130’485,75), cela n’entraînerait pas un degré d’invalidité justifiant une rente.

Pour déterminer le revenu d’invalide, le tribunal cantonal a pris en compte les revenus enregistrés au CI pour les années 2013 à 2016, en ajoutant aux revenus individuels les paiements de dividendes dépassant 10% de la valeur fiscale de l’entreprise – par analogie à la « Nidwaldner Praxis » développée dans la jurisprudence sur les cotisations AVS (cf. ATF 134 V 297) – et en indexant les résultats respectifs à l’évolution nominale des salaires jusqu’en 2016. Le revenu d’invalide moyen (2013-2016) est de CHF 156’856,94.

Par jugement du 02.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le tribunal cantonal a considéré que l’assuré était le seul directeur général, le seul membre du conseil d’administration et le seul employé du bureau d’ingénieurs B.__ SA. Il était habilité à disposer du capital de la société et à prendre seul toutes les décisions concernant la société. Par conséquent, bien qu’il soit officiellement un employé de la société anonyme, il est assimilé à un travailleur indépendant au regard de la législation sur la sécurité sociale. Ceci n’est à juste titre remis en cause par aucune partie (voir SVR 2019 UV n° 3 p. 9, 8C_121/2017 consid. 7.1 et les références ; arrêts 8C_202/2019 du 9 mars 2020 consid. 3.3 ; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.2).

 

Revenu d’invalide

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Si l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et encore que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 143 V 295 consid. 2.2 p. 296 ; 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475 ; 126 V 75 consid. 3b/aa p. 76).

Dans le cas présent, il n’est pas contesté que le revenu d’invalide doit être déterminé sur la base de la situation professionnelle concrète.

Dans la mesure où l’assuré veut considérer, comme étant décisif pour la détermination du revenu d’invalide, uniquement le revenu gagné en 2016 selon l’inscription au compte individuel (CHF 51’036) en ajoutant les indemnités journalières LAA perçues cette année-là (CHF 16’851,25), il faut lui opposer qu’en tant qu’unique actionnaire et unique membre du conseil d’administration de la société, il a une influence déterminante sur la répartition du salaire/part des bénéfices. Par conséquent, la détermination du degré d’invalidité ne peut pas être basée uniquement sur l’extrait du compte individuel (cf. arrêt 8C_346/2012 du 24 août 2012 consid. 4.6). Outre le risque évident que le degré de l’incapacité de gain lui-même puisse être influencé, une telle approche créerait une nette inégalité de traitement par rapport aux travailleurs indépendants (propriétaires d’une entreprise individuelle) qui n’ont pas la possibilité de thésauriser/capitaliser les bénéfices (« Gewinne zu horten ») via des entités juridiques intermédiaires ou de les distribuer sous forme de dividendes. Il n’est donc pas contestable que le tribunal cantonal ait également pris en compte les bénéfices réalisés par le bureau d’ingénieurs B.__ SA pour déterminer le revenu d’invalide, d’autant plus que ceux-ci sont principalement imputables au travail de l’assuré et – compte tenu des circonstances économiques – doivent lui être attribués en tant qu’indépendant de fait. À cet égard, il n’est pas différent du cas d’un assuré non salarié qui est propriétaire d’une entreprise individuelle (cf. SVR 2019 UV n° 3 p. 9, 8C_121/2017 consid. 7.1 et 7.8 et les références ; arrêts 8C_928/2015 du 19 avril 2016 consid. 2.3.4 ; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.2 ; I 185/02 du 29 janvier 2003 consid. 3.3). Dans la mesure où le grief est dirigé contre la « Nidwaldner Praxis » appliquée par l’instance cantonale, l’assuré passe donc à côté de l’essentiel.

Les documents comptables de l’entreprise B.__ SA montrent qu’après l’accident de l’assuré en 2012, la société a réalisé des bénéfices au cours des années suivantes, de 2013 à 2016, à hauteur de CHF 148’301,85 (2013), CHF 228’086,64 (2014), CHF 168’215,21 (2015) et CHF 154 508,12 (2016). En 2013 et 2014, des montants de CHF 11’500 (2013) et CHF 5’000 (2014) ont été affectés à la réserve légale (voir dans ce contexte l’arrêt I 5/99 du 18 janvier 2000 consid. 3b/bb). En outre, des salaires bruts d’un montant de CHF 111’200 (2013), CHF 98’400 (2014), CHF 98’400 (2015) et CHF 96’868,80 (2016) ont été enregistrés dans les comptes, étant établi que l’entreprise B.__ SA n’emploie aucun autre employé que l’assuré. Même si la totalité du bénéfice de l’entreprise ne pouvait être prise en compte dans le revenu d’invalide, une perte de revenus pertinente due à l’accident en 2012 n’est pas discernable au vu des chiffres susmentionnés.

Il est vrai que les circonstances au moment de la naissance du droit à la rente sont déterminantes et que les revenus à comparer doivent être déterminés sur une base identique (ATF 129 V 222 consid. 4.3.1 p. 224). Toutefois, cela n’exclut pas, dans un cas particulier, de fonder la détermination du revenu d’invalide – de la même manière que pour le revenu sans invalidité (cf. arrêt 9C_651/2019 du 18 février 2020 consid. 6.2) – sur les revenus moyens réalisés pendant une période plus longue (arrêts 8C_228/2020 du 28 mai 2020 consid. 4.1.3 ; 8C_121/2017 du 5 juillet 2018 consid. 7.8 ; 9C_812/2015 du 7 juillet 2016 consid. 5.2 ; 9C_479/2015 du 22 décembre 2015 consid. 4.1).

 

Revenu sans invalidité

Dans son rapport daté du 17 août 2016, l’expert-comptable mandaté par l’assurance-accidents a déclaré que la société d’ingénierie dépendait des prestations de l’assuré. Par conséquent, la baisse de rendement se répercuterait principalement sur les postes du résultat d’exploitation (revenus), du travail fourni par des tiers et des dépenses de personnel. L’analyse a montré une forte augmentation du résultat d’exploitation au cours de l’exercice 2007. Les années suivantes, les résultats d’exploitation avaient encore diminué jusqu’à l’exercice 2010. Une augmentation marquée et ponctuelle a été à nouveau perceptible au cours de l’exercice 2011. Au cours des deux années suivantes, les résultats d’exploitation ont de nouveau diminué de manière constante avant d’augmenter à nouveau au cours de l’exercice 2014. L’expert-comptable a souligné que le résultat d’exploitation de l’exercice 2014 était le deuxième meilleur résultat de la période considérée. Il a également souligné que la société travaillait avec des indépendants pour gérer les pics de travail. Au cours de l’exercice 2014, les dépenses consacrées aux travaux fournis par des tiers ont augmenté à la fois en termes absolus et en proportion des résultats d’exploitation. Cependant, une comparaison sur plusieurs années a montré que les dépenses se situaient dans la fourchette atteinte avant l’accident. L’expert-comptable a conclu qu’aucune perte liée à un accident ne pouvait être déduite des chiffres de l’entreprise.

Selon le Tribunal fédéral, les documents comptables pour les années 2015 et 2016 montrent que des bénéfices élevés ont également été réalisés au cours de ces années – même en tenant compte de l’augmentation de la part des travaux de tiers. Dans le passé, de meilleurs résultats d’exploitation n’ont été obtenus qu’en 2011 et en 2012, année de l’accident. Contrairement aux allégations de l’assuré, une baisse marquée des commandes n’est pas évidente dans les années 2015 et 2016. Ainsi, au cours de ces années, le montant des honoraires se sont élevés à CHF 604’625,50 (2015) et CHF 506’510,50 (2016), ce qui représente une diminution par rapport à l’année la plus fructueuse à ce jour, à savoir 2011. Toutefois, le montant des honoraires est sensiblement plus élevé que celui de 2004 à 2010 et est comparable à celui de 2012 à 2014, de sorte que l’analyse économique/comptable reste tout à fait pertinente pour les questions dont il est question ici.

Ensuite, contrairement à ce qui est indiqué dans le recours, ce n’est pas le résultat opérationnel 1 [« Betriebsergebnis 1 »] (bénéfice brut 1 moins les charges de personnel et d’exploitation) des années 2004 à 2012 qui s’est élevé en moyenne à CHF 393’729,68, mais le bénéfice brut 1 (résultat d’exploitation [« Betriebsertrag »] moins le travail de tiers).

En comparaison, le bénéfice brut 1 moyen pour les années 2013 à 2017 s’élève à CHF 415’381,00. L’assuré n’est pas non plus en mesure de tirer quelque chose en sa faveur de cette comparaison. En outre, il n’y a pas d’éléments concrets indiquant que les travaux effectués avant l’accident n’auraient pas été comptabilisés dans l’exercice concerné. Enfin, l’assuré ne prouve pas que le développement de l’entreprise aurait été économiquement bien meilleur sans les atteintes à la santé.

A l’aune de ce qui précède, c’est à bon droit que la cour cantonale a (également) nié une incapacité de gain liée à l’accident, sur la base de l’analyse des résultats d’exploitation de l’entreprise B.__ SA et au vu des documents comptables des années 2015 et 2016.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_450/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_450/2020 (d) du 15.09.2020 – Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/01/8c_450-2020)