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Rapport sur la protection sociale des travailleurs de plateformes / « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) »

Rapport sur la protection sociale des travailleurs de plateformes

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 27.10.2021 consultable ici

 

Dans l’économie de plateforme et les nouveaux modèles d’affaires, le statut des personnes qui travaillent n’est pas toujours clair et leur protection sociale pas forcément garantie. C’est ce qui ressort du rapport « Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test) » que le Conseil fédéral a adopté lors de sa séance du 27 octobre 2021.

En Suisse, comme à l’étranger, de nouvelles plateformes de travail comme Uber, Helpling, ou batmaid se développent. Ces modèles d’affaires innovants, encore rares, sont hétérogènes et en partie empreints d’incertitudes juridiques. Celles-ci portent principalement sur la question du statut des travailleurs de la plateforme (salarié ou indépendant) et sur la fonction de la plateforme (intermédiaire, employeur). La protection sociale de ces travailleurs, la sécurité juridique et le besoin ou non de flexibiliser le droit des assurances sociales pour répondre aux défis de ces nouvelles formes de travail ont été analysés dans le rapport adopté aujourd’hui par le Conseil fédéral. Ce rapport fait suite à plusieurs interventions parlementaires et à une étude d’Ecoplan / Mösch Payot sur le fonctionnement des entreprises de l’économie numérique installées en Suisse.

 

Risque de précarisation

Souvent effectué à temps partiel et en tant qu’activité accessoire, le travail via les plateformes offre des activités d’appoint bienvenues pour certaines personnes (étudiants, rentiers). Le rapport identifie toutefois certaines catégories de travailleurs avec un risque élevé de précarisation, à savoir ceux qui n’atteignent pas le seuil d’entrée dans le deuxième pilier et qui ne parviennent pas à se constituer une prévoyance suffisante. Plusieurs pistes pour améliorer la prévoyance sociale des personnes cumulant de tels emplois sur de longues périodes sont examinées dans le rapport. Elles permettraient d’éviter un report vers les prestations complémentaires ou l’aide sociale, par exemple en cas d’invalidité.

 

Détermination plus rapide du statut des travailleurs

Le Conseil fédéral parvient à la conclusion que le système actuel de sécurité sociale est suffisamment souple et qu’il n’est pour l’instant pas nécessaire d’augmenter cette flexibilité. Compte tenu de l’évolution rapide de l’économie numérique, il est essentiel que les travailleurs soient fixés rapidement sur leur situation en matière de droit des assurances sociales. Le Conseil fédéral voit encore un potentiel d’amélioration à cet égard.

Le rapport examine en outre la capacité du système de sécurité sociale à répondre aux défis posés par la crise du coronavirus. Il en ressort que la Suisse a pu réagir de manière rapide et flexible, mais cette crise a également mis en lumière la fragilité économique et sociale de certains indépendants ou salariés.

Le Conseil fédéral conclut que les différentes options présentées dans le rapport ne nécessitent pas d’examen supplémentaire pour le moment.

 

Extrait du rapport du Conseil fédéral

 

Le cadre juridique

Les analyses du cadre juridique montrent que le système de sécurité sociale en vigueur en Suisse est plutôt souple et qu’il dispose d’une bonne capacité d’adaptation aux nouvelles formes de travail, non seulement au niveau des assurances sociales, mais aussi au niveau de la protection sociale liée au droit du travail. Puisque le cadre légal actuel des assurances sociales ne comporte pas de rigidités notables, il ne s’impose pas d’agir dans ce domaine pour le moment.

C’est du côté de la sécurité juridique, au sens de la clarté des dispositions légales par rapport au contexte du moment, et de la cohérence et de la prévisibilité des décisions juridiques qui en découlent, que les analyses indiquent un certain potentiel d’optimisation. Le rapport met en évidence que la pratique actuelle de qualification d’une activité comme salariée ou indépendante offre un degré élevé de flexibilité, mais elle s’accompagne également d’un certain coût qui peut être important du fait de l’incertitude temporaire des décisions juridiques concernant le statut des prestataires d’une plateforme de travail et de la durée des procédures en cas de recours. En raison des répercussions financières importantes que peut engendrer la requalification de la plateforme en tant qu’employeur plutôt que simple intermédiaire, il est important que les procédures de décision des organes d’exécution de l’AVS (qui ont un rôle-clé vis-à-vis des autres assurances sociales) soient claires et rapides.

Parmi les chances et risques associés au travail de plateforme, le rapport montre qu’il est nécessaire d’adopter une vision circonstanciée pour évaluer si le niveau de protection sociale offert par le système actuel aux travailleurs de plateforme est suffisant. D’un côté, les petits emplois et les activités exercées à titre accessoire, qui ne sont souvent pas couverts par la sécurité sociale ou que partiellement, peuvent avoir leur utilité puisqu’ils permettent d’améliorer de manière flexible la situation économique des personnes concernées. Ils peuvent aussi faciliter le maintien ou la réinsertion sur le marché du travail de personnes en difficulté ou en transition professionnelles. La nécessité d’intervenir pour augmenter la sécurité sociale associée à ces emplois, exercés temporairement ou de manière accessoire par rapport à une activité principale, est moindre. Cependant, le rapport juge tout de même nécessaire d’examiner les moyens possibles pour améliorer la protection sociale obligatoire de certaines catégories de travailleurs de plateforme, qu’ils soient indépendants ou salariés cumulant plusieurs emplois sans qu’aucun n’atteigne le seuil d’entrée dans le 2e pilier. Il s’agit d’éviter des lacunes dans la prévoyance individuelle qui devront ensuite être comblées par les collectivités publiques (par exemple, pendant la retraite, par l’octroi de PC à l’AVS).

À court terme, le travail de plateforme ne fait pas courir de risque de financement aux assurances sociales et n’appelle pas de mesures particulières dans ce domaine. Il s’agit cependant de surveiller l’évolution des formes flexibles de travail ces prochaines années et leurs conséquences potentielles sur le financement du premier pilier en particulier, car le taux de cotisation dont bénéficient les indépendants dans le domaine AVS/AI/APG est plus faible que celui des salariés.

 

Perspectives

L’expérience faite pendant la crise du coronavirus a montré à la fois les avantages et les inconvénients du travail de plateforme, indépendamment du statut des travailleurs dans les différents modèles d’affaires. Confrontés au semi-confinement, les consommateurs ont apprécié la flexibilité de la consommation en ligne, ce qui pourrait apporter un dynamisme supplémentaire aux plateformes de travail gérant par exemple la livraison des achats en ligne. De nouvelles habitudes ont été prises non seulement dans le domaine de la consommation, mais aussi dans le domaine de la mobilité et du travail à domicile pour ceux qui en avaient la possibilité (home office). La crise a aussi souligné la fragilité économique et sociale de certaines catégories d’indépendants et la couverture sociale parfois insuffisante de certaines formes d’emploi salarié.

Il est encore difficile à prévoir quels seront les impacts à long terme de ces expériences sur le développement du travail de plateforme et sur les conditions de travail qui y prévalent. Il apparaît d’ores et déjà que l’évolution doit continuer à être suivie de près. Du point de vue actuel, cependant, il n’y a pas de besoin majeur de réforme.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 27.10.2021 consultable ici

«Numérisation – Examen d’une flexibilisation dans le droit des assurances sociales (Flexi-Test)», rapport du Conseil fédéral du 27.10.2021 disponible ici

Rapport de recherche n° 11/2020 «Modèles d’affaires innovants : besoin de flexibilisation dans le droit des assurances sociales» Ecoplan / Mösch Payot, en allemand [Innovative Geschäftsmodelle: Flexibilisierungsbedarf im Sozialversicherungsrecht], avec un résumé en français, disponible ici

 

8C_450/2020 (d) du 15.09.2020 – Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA – 16 LPGA / Analyse comptable – Revenu sans invalidité – Revenu d’invalide

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_450/2020 (d) du 15.09.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA / 16 LPGA

Analyse comptable – Revenu sans invalidité – Revenu d’invalide

 

Assuré, né en 1949, est le seul membre du conseil d’administration et l’unique actionnaire du bureau d’ingénieurs B.__ SA. Il travaille également pour l’entreprise en tant qu’employé. Le 03.11.2012, son index et son majeur droits se sont coincés dans la tondeuse à gazon, sectionnant une partie desdits doigts.

Par courrier du 19.09.2016, l’assurance-accidents a informé l’assuré que, selon un examen médical, aucun autre traitement n’était nécessaire, raison pour laquelle elle a mis fin aux prestations précédentes à compter du 31.10.2016. Par décision du 27.01.2017, confirmée sur opposition le 27.09.2018, l’assurance-accidents a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité, motif pris qu’il n’y avait pas d’atteinte significative à la capacité de gain à la suite de l’accident. Toutefois, elle a accordé à l’assuré une IPAI de 7,5%.

 

Procédure cantonale

Le tribunal cantonal a déterminé le revenu sans invalidité sur la base des inscriptions au compte individuel (CI), en prenant la moyenne des cinq dernières années avant l’accident (2007-2011). L’année d’accident 2012 n’a pas été prise en compte, car l’assuré n’avait pas travaillé à 100% cette année-là en raison d’une incapacité totale de travail à partir de la date de l’accident. En outre, lui seul avait pu déterminer quel salaire il réglerait avec la caisse de compensation, de sorte que des considérations ou réflexions de techniques d’assurance ne pouvaient être exclues. En tout état de cause, la raison pour laquelle les documents comptables font apparaître un salaire brut de CHF 106’300 pour 2012, alors qu’un salaire brut de CHF 135’300 avait été enregistré dans le CI, n’est pas claire. Sur la base des inscriptions pour les années 2007 à 2011, la cour cantonale a calculé – en tenant compte de l’évolution nominale des salaires – un revenu de CHF 99’984,32 (valeur 2016). Les juges cantonaux ont également souligné que même si l’on prenait en compte les trois dernières années (CHF 103’984,51) ou même seulement la dernière année avant l’accident (CHF 130’485,75), cela n’entraînerait pas un degré d’invalidité justifiant une rente.

Pour déterminer le revenu d’invalide, le tribunal cantonal a pris en compte les revenus enregistrés au CI pour les années 2013 à 2016, en ajoutant aux revenus individuels les paiements de dividendes dépassant 10% de la valeur fiscale de l’entreprise – par analogie à la « Nidwaldner Praxis » développée dans la jurisprudence sur les cotisations AVS (cf. ATF 134 V 297) – et en indexant les résultats respectifs à l’évolution nominale des salaires jusqu’en 2016. Le revenu d’invalide moyen (2013-2016) est de CHF 156’856,94.

Par jugement du 02.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le tribunal cantonal a considéré que l’assuré était le seul directeur général, le seul membre du conseil d’administration et le seul employé du bureau d’ingénieurs B.__ SA. Il était habilité à disposer du capital de la société et à prendre seul toutes les décisions concernant la société. Par conséquent, bien qu’il soit officiellement un employé de la société anonyme, il est assimilé à un travailleur indépendant au regard de la législation sur la sécurité sociale. Ceci n’est à juste titre remis en cause par aucune partie (voir SVR 2019 UV n° 3 p. 9, 8C_121/2017 consid. 7.1 et les références ; arrêts 8C_202/2019 du 9 mars 2020 consid. 3.3 ; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.2).

 

Revenu d’invalide

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Si l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et encore que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 143 V 295 consid. 2.2 p. 296 ; 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475 ; 126 V 75 consid. 3b/aa p. 76).

Dans le cas présent, il n’est pas contesté que le revenu d’invalide doit être déterminé sur la base de la situation professionnelle concrète.

Dans la mesure où l’assuré veut considérer, comme étant décisif pour la détermination du revenu d’invalide, uniquement le revenu gagné en 2016 selon l’inscription au compte individuel (CHF 51’036) en ajoutant les indemnités journalières LAA perçues cette année-là (CHF 16’851,25), il faut lui opposer qu’en tant qu’unique actionnaire et unique membre du conseil d’administration de la société, il a une influence déterminante sur la répartition du salaire/part des bénéfices. Par conséquent, la détermination du degré d’invalidité ne peut pas être basée uniquement sur l’extrait du compte individuel (cf. arrêt 8C_346/2012 du 24 août 2012 consid. 4.6). Outre le risque évident que le degré de l’incapacité de gain lui-même puisse être influencé, une telle approche créerait une nette inégalité de traitement par rapport aux travailleurs indépendants (propriétaires d’une entreprise individuelle) qui n’ont pas la possibilité de thésauriser/capitaliser les bénéfices (« Gewinne zu horten ») via des entités juridiques intermédiaires ou de les distribuer sous forme de dividendes. Il n’est donc pas contestable que le tribunal cantonal ait également pris en compte les bénéfices réalisés par le bureau d’ingénieurs B.__ SA pour déterminer le revenu d’invalide, d’autant plus que ceux-ci sont principalement imputables au travail de l’assuré et – compte tenu des circonstances économiques – doivent lui être attribués en tant qu’indépendant de fait. À cet égard, il n’est pas différent du cas d’un assuré non salarié qui est propriétaire d’une entreprise individuelle (cf. SVR 2019 UV n° 3 p. 9, 8C_121/2017 consid. 7.1 et 7.8 et les références ; arrêts 8C_928/2015 du 19 avril 2016 consid. 2.3.4 ; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.2 ; I 185/02 du 29 janvier 2003 consid. 3.3). Dans la mesure où le grief est dirigé contre la « Nidwaldner Praxis » appliquée par l’instance cantonale, l’assuré passe donc à côté de l’essentiel.

Les documents comptables de l’entreprise B.__ SA montrent qu’après l’accident de l’assuré en 2012, la société a réalisé des bénéfices au cours des années suivantes, de 2013 à 2016, à hauteur de CHF 148’301,85 (2013), CHF 228’086,64 (2014), CHF 168’215,21 (2015) et CHF 154 508,12 (2016). En 2013 et 2014, des montants de CHF 11’500 (2013) et CHF 5’000 (2014) ont été affectés à la réserve légale (voir dans ce contexte l’arrêt I 5/99 du 18 janvier 2000 consid. 3b/bb). En outre, des salaires bruts d’un montant de CHF 111’200 (2013), CHF 98’400 (2014), CHF 98’400 (2015) et CHF 96’868,80 (2016) ont été enregistrés dans les comptes, étant établi que l’entreprise B.__ SA n’emploie aucun autre employé que l’assuré. Même si la totalité du bénéfice de l’entreprise ne pouvait être prise en compte dans le revenu d’invalide, une perte de revenus pertinente due à l’accident en 2012 n’est pas discernable au vu des chiffres susmentionnés.

Il est vrai que les circonstances au moment de la naissance du droit à la rente sont déterminantes et que les revenus à comparer doivent être déterminés sur une base identique (ATF 129 V 222 consid. 4.3.1 p. 224). Toutefois, cela n’exclut pas, dans un cas particulier, de fonder la détermination du revenu d’invalide – de la même manière que pour le revenu sans invalidité (cf. arrêt 9C_651/2019 du 18 février 2020 consid. 6.2) – sur les revenus moyens réalisés pendant une période plus longue (arrêts 8C_228/2020 du 28 mai 2020 consid. 4.1.3 ; 8C_121/2017 du 5 juillet 2018 consid. 7.8 ; 9C_812/2015 du 7 juillet 2016 consid. 5.2 ; 9C_479/2015 du 22 décembre 2015 consid. 4.1).

 

Revenu sans invalidité

Dans son rapport daté du 17 août 2016, l’expert-comptable mandaté par l’assurance-accidents a déclaré que la société d’ingénierie dépendait des prestations de l’assuré. Par conséquent, la baisse de rendement se répercuterait principalement sur les postes du résultat d’exploitation (revenus), du travail fourni par des tiers et des dépenses de personnel. L’analyse a montré une forte augmentation du résultat d’exploitation au cours de l’exercice 2007. Les années suivantes, les résultats d’exploitation avaient encore diminué jusqu’à l’exercice 2010. Une augmentation marquée et ponctuelle a été à nouveau perceptible au cours de l’exercice 2011. Au cours des deux années suivantes, les résultats d’exploitation ont de nouveau diminué de manière constante avant d’augmenter à nouveau au cours de l’exercice 2014. L’expert-comptable a souligné que le résultat d’exploitation de l’exercice 2014 était le deuxième meilleur résultat de la période considérée. Il a également souligné que la société travaillait avec des indépendants pour gérer les pics de travail. Au cours de l’exercice 2014, les dépenses consacrées aux travaux fournis par des tiers ont augmenté à la fois en termes absolus et en proportion des résultats d’exploitation. Cependant, une comparaison sur plusieurs années a montré que les dépenses se situaient dans la fourchette atteinte avant l’accident. L’expert-comptable a conclu qu’aucune perte liée à un accident ne pouvait être déduite des chiffres de l’entreprise.

Selon le Tribunal fédéral, les documents comptables pour les années 2015 et 2016 montrent que des bénéfices élevés ont également été réalisés au cours de ces années – même en tenant compte de l’augmentation de la part des travaux de tiers. Dans le passé, de meilleurs résultats d’exploitation n’ont été obtenus qu’en 2011 et en 2012, année de l’accident. Contrairement aux allégations de l’assuré, une baisse marquée des commandes n’est pas évidente dans les années 2015 et 2016. Ainsi, au cours de ces années, le montant des honoraires se sont élevés à CHF 604’625,50 (2015) et CHF 506’510,50 (2016), ce qui représente une diminution par rapport à l’année la plus fructueuse à ce jour, à savoir 2011. Toutefois, le montant des honoraires est sensiblement plus élevé que celui de 2004 à 2010 et est comparable à celui de 2012 à 2014, de sorte que l’analyse économique/comptable reste tout à fait pertinente pour les questions dont il est question ici.

Ensuite, contrairement à ce qui est indiqué dans le recours, ce n’est pas le résultat opérationnel 1 [« Betriebsergebnis 1 »] (bénéfice brut 1 moins les charges de personnel et d’exploitation) des années 2004 à 2012 qui s’est élevé en moyenne à CHF 393’729,68, mais le bénéfice brut 1 (résultat d’exploitation [« Betriebsertrag »] moins le travail de tiers).

En comparaison, le bénéfice brut 1 moyen pour les années 2013 à 2017 s’élève à CHF 415’381,00. L’assuré n’est pas non plus en mesure de tirer quelque chose en sa faveur de cette comparaison. En outre, il n’y a pas d’éléments concrets indiquant que les travaux effectués avant l’accident n’auraient pas été comptabilisés dans l’exercice concerné. Enfin, l’assuré ne prouve pas que le développement de l’entreprise aurait été économiquement bien meilleur sans les atteintes à la santé.

A l’aune de ce qui précède, c’est à bon droit que la cour cantonale a (également) nié une incapacité de gain liée à l’accident, sur la base de l’analyse des résultats d’exploitation de l’entreprise B.__ SA et au vu des documents comptables des années 2015 et 2016.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_450/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_450/2020 (d) du 15.09.2020 – Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/01/8c_450-2020)

 

8C_537/2019 (f) du 22.10.2020 – Délai-cadre d’indemnisation d’un assuré ayant entrepris une activité indépendante mais sans toucher de prestations de l’assurance-chômage pendant l’exercice de son activité indépendante – 9a LACI / Date de la cessation définitive de l’activité indépendante / Protection de la bonne foi – 27 LPGA – 19a OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_537/2019 (f) du 22.10.2020

 

Consultable ici

 

Délai-cadre d’indemnisation d’un assuré ayant entrepris une activité indépendante mais sans toucher de prestations de l’assurance-chômage pendant l’exercice de son activité indépendante / 9a LACI

Date de la cessation définitive de l’activité indépendante

Protection de la bonne foi / 27 LPGA – 19a OACI

 

Assuré a travaillé dès le 01.02.2013 en qualité de chargé d’édition et traducteur pour le compte de B.__. L’employeur a résilié le contrat de travail pour motifs économiques avec effet au 31.03.2015. Le 01.04.2015, l’assuré s’est inscrit au chômage et un délai-cadre d’indemnisation lui a été ouvert à compter de cette date jusqu’au 31.03.2017.

Par contrat de traduction du 09.03.2015 conclu avec B.__, l’assuré a été chargé en qualité d’indépendant de la traduction d’un ouvrage qu’il lui appartenait de remettre au 31.12.2015. La caisse de chômage a pris en compte à titre de gain intermédiaire, réparti sur dix mois, le revenu retiré par le prénommé de cette activité.

Par contrat d’une durée de six mois conclu en 2015 avec l’Église C.__, l’assuré s’est vu confier, toujours en qualité d’indépendant, un mandat en lien avec la réalisation de projets culturels. En outre, du 01.01.2016 au 30.06.2017, l’association D.__ a engagé l’intéressé en qualité de directeur de production indépendant pour deux créations dans le domaine culturel.

Dans un courriel du 14.01.2016 adressé à l’ORP, l’assuré a indiqué avoir entamé une activité indépendante le 01.01.2016. Dès lors que celle-ci lui assurait pour une période d’au moins six mois un revenu supérieur au gain assuré, il déclarait sortir de l’assurance-chômage avec effet au 01.01.2016.

Le 11.07.2017, l’assuré s’est réinscrit à l’ORP comme demandeur d’emploi à 100%, sollicitant l’octroi d’une indemnité de chômage à compter de cette date. Le 18.07.2017, il a informé sa caisse AVS de son souhait d’interrompre ses activités d’indépendant avec effet au 10.07.2017.

Par décision du 01.09.2017, la caisse de chômage n’a pas donné suite à la demande d’indemnisation. Elle a constaté que durant son délai-cadre de cotisation courant du 11.07.2015 au 10.07.2017, l’assuré ne pouvait justifier d’aucune période de cotisation. En outre, dès lors que celui-ci avait exercé une activité indépendante et perçu des indemnités compensatoires de ce fait, il ne pouvait pas bénéficier d’une prolongation du délai-cadre d’indemnisation ouvert le 01.04.2015.

Le 09.02.2018, la caisse de chômage a rendu une décision sur opposition, confirmant sa décision du 01.09.2017, au motif cette fois qu’on ne pouvait pas considérer que l’assuré avait cessé définitivement son activité indépendante.

Dans un courrier du 19.03.2018, la caisse de chômage a constaté que l’intéressé avait définitivement cessé son activité indépendante au 01.03.2018 et que par conséquent, son délai-cadre d’indemnisation débuté le 01.04.2015 était prolongé à compter du 01.03.2018 jusqu’au 31.03.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 5/18 – 97/2019 – consultable ici)

Par jugement du 11.06.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 9a LACI, le délai-cadre d’indemnisation de l’assuré qui a entrepris une activité indépendante sans toucher les prestations visées aux art. 71a à 71d est prolongé de deux ans aux conditions suivantes: un délai-cadre d’indemnisation courait au moment où l’assuré a entrepris l’activité indépendante (al. 1 let. a); l’assuré ne peut pas justifier d’une période de cotisation suffisante au moment où il cesse cette activité et du fait de celle-ci (al. 1 let. b). Le délai-cadre de cotisation de l’assuré qui a entrepris une activité indépendante sans toucher de prestations est prolongé de la durée de l’activité indépendante, mais de deux ans au maximum (al. 2). L’assuré ne peut pas toucher au total plus que le nombre maximum d’indemnités journalières fixé à l’art. 27 (al. 3). Aux termes de l’art. 3a al. 2 OACI, ne peut bénéficier de la prolongation du délai-cadre d’indemnisation l’assuré qui a touché des prestations de l’assurance-chômage pendant l’exercice de son activité indépendante. Selon la doctrine, sont visés par cette règle d’exclusion les assurés qui ont exercé une activité indépendante et dont les revenus ont été pris en compte à titre de gain intermédiaire selon l’art. 24 LACI (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 6 ad art. 9a LACI; THOMAS NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], vol. XIV, Soziale Sicherheit, 3 e éd. 2016, n. 110 p. 2300).

L’art. 9a al. 1 LACI traite des délais-cadres d’indemnisation des personnes se retrouvant au chômage après avoir exercé une activité indépendante qui n’a pas fait l’objet d’un soutien de l’assurance-chômage selon les art. 71a ss LACI. Cette disposition leur permet, à certaines conditions, de bénéficier d’une indemnisation, en prolongeant la période où l’indemnisation peut avoir lieu. Elle vise donc à protéger les droits acquis des ex-salariés devenus indépendants et ayant cessé leur activité indépendante (BORIS RUBIN, op. cit., n° 1 ad art. 9a LACI).

La prolongation du délai-cadre suppose une cessation définitive de l’activité indépendante. La cessation de l’activité indépendante en tant que condition du droit à la prolongation du délai-cadre d’indemnisation se juge d’après les critères dégagés par la jurisprudence applicable aux personnes dont la position est assimilable à celle d’un employeur et qui, ensuite d’un licenciement, demandent l’indemnité de chômage (BORIS RUBIN, op. cit., n° 8 ad art. 9a LACI; arrêt 8C_925/2012 du 28 mai 2013 consid. 5.4 et la référence).

Selon cette jurisprudence, un travailleur qui jouit d’une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur n’a pas droit à l’indemnité de chômage lorsque, bien que licencié formellement par une entreprise, il continue de fixer les décisions de l’employeur ou à influencer celles-ci de manière déterminante. Dans le cas contraire, en effet, on détournerait par le biais d’une disposition sur l’indemnité de chômage la réglementation en matière d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail, en particulier l’art. 31 al. 3 let. c LACI. Selon cette disposition, n’ont pas droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, notamment, les personnes qui fixent les décisions que prend l’employeur – ou peuvent les influencer considérablement – en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière à l’entreprise. Le Tribunal fédéral a identifié un risque de contournement de la clause d’exclusion de l’art. 31 al. 3 let. c LACI lorsque dans un contexte économique difficile, ces personnes procèdent à leur propre licenciement et revendiquent l’indemnité de chômage tout en conservant leurs liens avec l’entreprise. Dans une telle configuration, en effet, il est toujours possible pour elles de se faire réengager dans l’entreprise ultérieurement et d’en reprendre les activités dans le cadre de son but social. La situation est en revanche différente quand le salarié qui se trouve dans une position assimilable à celle de l’employeur quitte définitivement l’entreprise en raison de la fermeture de celle-ci. Dans ce cas, l’intéressé peut en principe prétendre à une indemnité de chômage (ATF 123 V 234 consid. 7b/bb p. 238; arrêt 8C_448/2018 du 30 septembre 2019 consid. 3).

Lorsqu’il s’agit de déterminer quelle est la possibilité effective d’un dirigeant d’influencer le processus de décision de l’entreprise, il convient de prendre en compte les rapports internes existant dans l’entreprise. Il n’est pas nécessaire d’examiner les circonstances concrètes du cas d’espèce lorsque le pouvoir décisionnel du dirigeant ressort de la loi. Tel est le cas des membres du conseil d’administration d’une SA et des associés d’une Sàrl (cf. art. 716 à 716b CO et art. 804 ss CO), pour qui le droit aux prestations peut dès lors être exclu sans qu’il soit nécessaire de déterminer plus concrètement les responsabilités qu’ils exercent au sein de la société (ATF 145 V 200 consid. 4.2 p. 203 s.; 122 V 270 consid. 3 p. 272 s.). C’est le cas également pour les membres de la direction d’une association (arrêt 8C_515/2007 du 8 avril 2008 consid. 3).

Dès lors que l’art. 3a al. 2 OACI ne fait pas la distinction entre activité indépendante principale et accessoire, la question se pose de savoir si les juges cantonaux ont à bon droit considéré que la perception par l’assuré d’indemnités compensatoires durant son activité indépendante exercée entre avril et décembre 2015 ne s’opposait pas à la prolongation de son délai-cadre d’indemnisation. Cette question peut cependant rester indécise, puisque, comme on le verra, l’assuré ne remplit de toute manière pas les conditions de l’art. 9a al. 1 LACI pour la période litigieuse courant du 18.07.2017 au 28.02.2018.

 

Il n’est pas contesté que l’assuré était inscrit au RC en qualité de membre du comité et vice-président avec signature collective à deux de l’association D.__ durant la période litigieuse, à savoir entre le 18.07.2017 et le 28.02.2018. Durant ladite période, l’assuré disposait ex lege au sein de cette association d’un pouvoir déterminant au sens de l’art. 31 al. 3 let. c LACI, de telle sorte à exclure son droit aux prestations de chômage sans qu’il soit nécessaire de déterminer concrètement les responsabilités qu’il y exerçait ou les opportunités qui auraient pu se présenter à lui. Par conséquent, sa seule inscription au RC suffit à nier la cessation définitive de son activité indépendante avant le 01.03.2018 et il ne peut de ce fait pas prétendre à une prolongation de son délai-cadre d’indemnisation avant cette date, d’autant moins qu’il ne conteste pas avoir obtenu deux mandats de l’association pendant son délai-cadre ouvert le 01.04.2015. Cela étant, il sied encore d’examiner s’il doit être mis au bénéfice de la protection de sa bonne foi en raison d’un défaut d’information de la caisse de chômage.

 

L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase). Selon l’art. 19a OACI, les organes d’exécution mentionnés à l’art. 76 al. 1 let. a à d LACI renseignent les assurés sur leurs droits et obligations, notamment sur la procédure d’inscription et leur obligation de prévenir et d’abréger le chômage (al. 1); les caisses renseignent les assurés sur leurs droits et obligations entrant dans le domaine d’activité des caisses (al. 2) tel que défini à l’art. 81 LACI.

Le défaut de renseignement ou un renseignement insuffisant dans une situation où une obligation de renseigner est prévue par la loi, ou lorsque les circonstances concrètes du cas particulier auraient commandé une information de l’assureur, est assimilé à une déclaration erronée qui peut, sous certaines conditions, obliger l’autorité (ou l’assureur) à consentir à un administré un avantage auquel il n’aurait pas pu prétendre, en vertu du principe de la protection de la bonne foi découlant de l’art. 9 Cst. (ATF 146 I 105 consid. 5.1.1 p. 110; 143 V 341 consid. 5.2.1 p. 346; 131 V 472 consid. 5 p. 480).

En l’espèce, les juges cantonaux ont constaté que la caisse de chômage avait renseigné l’assuré sur le fait qu’il devait cesser définitivement son activité indépendante pour pouvoir prétendre à une prolongation de son délai-cadre d’indemnisation, et qu’elle l’avait invité à produire un extrait de la caisse AVS attestant qu’il n’y était plus affilié comme indépendant. Dans ce contexte, l’assuré indique lui-même qu’on lui a demandé s’il était inscrit au RC et il concède avoir répondu par la négative; ce faisant, il a manqué à son devoir de collaboration. En effet, il ne pouvait pas ignorer son inscription en qualité de membre du comité et de vice-président de l’association D.__, ni l’influence qu’il était de ce fait en mesure d’exercer sur les décisions de l’association, ni encore le fait qu’il venait d’obtenir deux mandats en tant qu’indépendant de la part de celle-ci. En d’autres termes, il avait connaissance du fait qu’il devait interrompre toute activité indépendante et il se savait également occuper une position susceptible d’influer sur ses activités d’indépendant. Son attention ayant par ailleurs été portée sur son inscription au RC, il en connaissait l’importance ou aurait à tout le moins dû la connaître. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à la caisse de chômage de s’être fiée aux informations fournies par l’assuré concernant son inscription au RC, de ne pas avoir requis de l’assuré un extrait de ce registre et de ne pas avoir elle-même consulté celui-ci. En définitive, l’assuré était suffisamment informé de ses droits et obligations en lien avec la prolongation de son délai-cadre d’indemnisation et il ne saurait se prévaloir d’un défaut de renseignement ou d’un renseignement insuffisant de la part de la caisse de chômage.

Le seul fait que l’assuré ait été inscrit au RC entre le 18.07.2017 et le 28.02.2018, sans pouvoir invoquer le principe de la protection de la bonne foi, exclut qu’il puisse percevoir des indemnités de l’assurance-chômage durant cette période. Dès lors, il est sans pertinence de savoir s’il a entrepris des démarches en vue d’exercer une activité indépendante ou s’il était disposé à accepter une telle activité.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_537/2019 consultable ici

 

 

8C_1/2020 (f) du 15.10.2020 – Détermination de la méthode d’évaluation applicable pour un associé-gérant de deux Sàrl, dont il est également salarié – 18 LAA – 16 LPGA / Méthode extraordinaire / Frais de traduction de l’expertise économique réalisée sur mandat de l’assurance-accidents (allemand => français) – Principe de la territorialité des langues – 70 al. 1 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_1/2020 (f) du 15.10.2020

 

Consultable ici

 

Détermination de la méthode d’évaluation applicable pour un associé-gérant de deux Sàrl, dont il est également salarié / 18 LAA – 16 LPGA

Méthode extraordinaire

Frais de traduction de l’expertise économique réalisée sur mandat de l’assurance-accidents (allemand => français) – Principe de la territorialité des langues / 70 al. 1 Cst.

 

Assuré exerce conjointement avec son épouse la fonction d’associé-gérant des sociétés B.__ Sàrl et C.__ Sàrl, dont il est également salarié et dont le but social est l’exploitation de trois cafés-restaurants à U.__. Le 03.03.2011, il a été victime d’un accident de la circulation qui lui a causé diverses fractures au niveau du poignet droit et de l’épaule gauche. L’assurance-accidents a versé des indemnités journalières jusqu’au 31.08.2017.

Après avoir ordonné la mise en œuvre d’une expertise économique afin d’évaluer les revenus avec et sans invalidité, l’assurance-accidents a rendu une décision par laquelle elle a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 13% à compter du 01.09.2017. Rejet de l’opposition ainsi que de la demande de l’assuré de faire traduire en français le rapport d’expertise économique rédigé en allemand.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1052/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que la méthode extraordinaire était la plus appropriée pour déterminer le taux d’invalidité de l’assuré. A son avis, la comparaison des résultats d’exploitation effectuée par l’assurance-accidents ne permettait pas de chiffrer la perte de gain de manière fiable. En effet, l’assuré n’était pas à la tête d’une simple entreprise unipersonnelle mais était associé-gérant (avec son épouse) de deux entreprises exploitant trois restaurants. Il était ainsi nécessaire de distinguer sa situation personnelle de celles des entreprises, ce que l’expert mandaté par l’assurance-accidents n’avait pas fait. En outre, on ne pouvait pas exclure que des facteurs étrangers à l’atteinte dont souffrait l’assuré aient influencé le résultat de ces entreprises, ne serait-ce qu’au regard de la concurrence, de la conjoncture et compte tenu du fait que lesdites entreprises employaient un personnel relativement nombreux, dont plusieurs membres de sa famille. Par ailleurs, les données comptables relatives aux charges salariales variaient fortement d’une année à l’autre et apparaissaient partiellement contradictoires avec les chiffres communiqués à l’AVS. En pareilles circonstances, il n’était pas possible de distinguer la part du résultat d’exploitation qu’il fallait attribuer aux facteurs étrangers à l’invalidité de celle qui revenait à la propre prestation de travail de l’assuré. Enfin, les juges cantonaux ont relevé qu’en chiffrant le revenu d’invalide en fonction du résultat d’exploitation et du salaire déclaré à l’AVS pour l’année 2012, l’expert avait méconnu que pour procéder à une comparaison des revenus, il convenait de se placer au moment de la naissance du droit à la rente, en l’occurrence au 01.09.2017, soit à une période pour laquelle on ne disposait d’aucun renseignement sur le revenu perçu par l’assuré.

La juridiction cantonale a confié la traduction en français du rapport d’expertise économique à un traducteur-juré.

Par jugement du 13.11.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 35% dès le 01.09.2017. Elle a en outre mis à la charge de l’assurance-accidents les frais de traduction du rapport d’expertise économique, à hauteur de 562 fr. 20.

 

TF

Méthode d’évaluation applicable

Chez les assurés exerçant une activité lucrative, le taux d’invalidité doit être évalué sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus ; ATF 137 V 334 consid. 3.3.1 p. 337).

Lorsque l’assuré est une personne de condition indépendante, la comparaison porte sur les résultats d’exploitation réalisés dans son entreprise avant et après la survenance de l’invalidité. Ce n’est que si ces données comptables ne permettent pas de tirer des conclusions valables sur la diminution de la capacité de gain due à l’invalidité – ce qui est le cas lorsque les résultats de l’exploitation ont été influencés par des facteurs étrangers à l’invalidité – que le taux d’invalidité doit être évalué en application de la méthode extraordinaire (consistant à évaluer le taux d’invalidité d’après l’incidence de la capacité de rendement amoindrie sur la situation économique concrète). Les résultats d’exploitation d’une entreprise dépendent en effet souvent de nombreux paramètres difficiles à apprécier, tels que la situation conjoncturelle, la concurrence, l’aide ponctuelle des membres de la famille, des personnes intéressées dans l’entreprise ou des collaborateurs, lesquels constituent des facteurs étrangers à l’invalidité. Ainsi, il convient, dans chaque cas, afin de déterminer la méthode d’évaluation applicable, d’examiner si les documents comptables permettent ou non de distinguer la part du revenu qu’il faut attribuer aux facteurs étrangers à l’invalidité de celle qui revient à la propre prestation de travail de l’assuré (arrêts 9C_826/2017 du 28 mai 2018 consid. 5.2; 9C_106/2011 du 14 octobre 2011 consid. 4.3 et les références). Sinon, il faut, en s’inspirant de la méthode spécifique pour personnes sans activité lucrative dans l’assurance-invalidité (art. 28a al. 2 LAI, en relation avec les art. 27 RAI et 8 al. 3 LPGA), procéder à une comparaison des activités pour déterminer quel est l’empêchement provoqué par l’atteinte à la santé, puis apprécier séparément les effets de cet empêchement sur la capacité de gain (ATF 128 V 29; arrêts 8C_312/2016 du 13 mars 2017 consid. 5.4.2, 9C_236/2009 du 7 octobre 2009 consid. 3.2, in SVR 2010 IV n° 11 p. 35).

 

En l’espèce, les circonstances justifient le choix des juges cantonaux d’appliquer la méthode extraordinaire pour déterminer le taux d’invalidité de l’assuré. En effet, il ressort du rapport d’expertise économique que, postérieurement à la survenance de l’atteinte à la santé en 2011 et jusqu’en 2015 (dernière année prise en compte par l’expert), le chiffre d’affaires et la masse salariale des entreprises de l’assuré ont varié tant à la hausse qu’à la baisse suivant les années, marquant néanmoins une légère progression par rapport à la période précédant l’accident (années 2008 à 2010). L’expert mentionne toutefois que les chiffres relatifs à la charge salariale diffèrent selon que l’on tient compte des données obtenues de la fiduciaire ou des indications de l’Office cantonal des assurances sociales de Genève. Quant au bénéfice, il a varié de manière considérable à la hausse en 2012 puis à la baisse en 2013 et 2014 avant de progresser à nouveau en 2015. Il n’est cependant pas possible d’établir si et dans quelle mesure une telle évolution est due exclusivement à l’invalidité, ou si elle a aussi été influencée par la conjoncture, le développement de l’entreprise ou d’autres facteurs étrangers à l’invalidité. L’assurance-accidents soutient d’ailleurs elle-même dans son mémoire de recours que les variations du bénéfice et du chiffre d’affaires ne découlent pas de l’accident. On ne peut pas non plus parler de constance au regard du chiffre d’affaires, des charges salariales et du bénéfice de l’exploitation au cours des années qui ont précédé l’atteinte à la santé. D’autres circonstances mises en évidences par la cour cantonale (participation dans plusieurs sociétés, le fait que l’assuré n’était pas l’ayant droit économique unique des sociétés, collaboration des membres de sa famille) empêchent également de déterminer de manière fiable les revenus avec et sans invalidité nécessaires à une comparaison des revenus. Enfin, l’évaluation de l’invalidité par les organes de l’assurance-invalidité n’ayant pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (ATF 131 V 362 consid. 2.3 p. 368), la méthode appliquée par l’office AI compétent pour statuer sur le droit de l’assuré à une rente d’invalidité n’est pas déterminante en l’espèce, cela d’autant moins qu’il n’apparaît pas que la décision en question aurait fait l’objet d’un examen par le juge.

Dans ces conditions, les juges cantonaux étaient fondés à considérer la méthode extraordinaire comme étant la plus appropriée. Pour le surplus, l’assurance-accidents ne conteste pas la répartition des champs d’activité fixée par la juridiction cantonale, les pondérations avec et sans handicap, ni les taux d’incapacité de travail relatifs à ces champs d’activité.

 

Frais de traduction

L’assurance-accidents se plaint du fait que la cour cantonale a mis à sa charge les frais de traduction du rapport d’expertise économique. Elle fait valoir que ce document consistait surtout en des chiffres et que le conseil de l’assuré l’avait parfaitement comprise. En outre, la traduction n’était pas nécessaire dans la mesure où la cour cantonale a considéré que le rapport n’était pas pertinent en l’espèce.

Les juges cantonaux ont motivé leur décision de mettre à la charge de l’assurance-accidents les frais de traduction en application du principe de la territorialité des langues, de l’art. 70 al. 1 Cst., ainsi que de la jurisprudence et de la doctrine y relatives. Ils ont exposé en particulier qu’à Genève, tout document soumis au juge devait être rédigé dans la langue officielle ou accompagné d’une traduction dans cette langue ; cette règle valait pour tous les écrits émanant directement du juge ou des parties, ainsi que pour les pièces que celles-ci produisaient. Ils ont considéré en outre que l’on ne pouvait pas exiger du mandataire de l’assuré qu’il établisse à l’intention de son client une traduction littérale d’un rapport d’analyse économique et que selon la jurisprudence (ATF 128 V 34 [cité arrêt I 321/01 du 27 février 2002 dans le jugement cantonal]), une partie n’abusait pas de son droit en demandant la traduction de pièces rédigées dans une langue qu’elle connaissait parfaitement. L’assurance-accidents ne prend pas position à cet égard mais se limite à se prévaloir de la prétendue inutilité de la mesure. Or, il est constant que l’assurance-accidents s’est fondée sur le rapport d’expertise économique pour calculer le taux de la rente d’invalidité litigieuse et qu’il s’agissait ainsi d’une pièce essentielle du dossier de nature à sceller le sort de la procédure (cf. ATF 128 V 34 consid. 2b/bb p. 38). Quant au fait que ce rapport consiste essentiellement en des données chiffrées, cela a pour conséquence de réduire le travail du traducteur mais n’en rend pas moins utile la traduction de l’analyse et des explications de ces données. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à la cour cantonale d’avoir fait procéder à la traduction de l’expertise, quand bien même elle a jugé par la suite qu’une évaluation de l’invalidité selon la méthode de la comparaison des résultats d’exploitation n’était pas appropriée.

 

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_1/2020 consultable ici

 

 

9C_153/2020 (f) du 09.10.2020 – Taux d’invalidité – Assuré plâtrier indépendant – 16 LPGA / Revenu sans invalidité d’une personne de condition indépendante – Activité d’indépendant de 7 mois avant l’accident / Revenu sans invalidité déterminé selon l’ESS (T17)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_153/2020 (f) du 09.10.2020

 

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Taux d’invalidité – Assuré plâtrier indépendant / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’une personne de condition indépendante – Activité d’indépendant de 7 mois avant l’accident

Revenu sans invalidité déterminé selon l’ESS (T17)

 

Assuré, né en 1971, a d’abord travaillé comme salarié jusqu’en mai 2014, puis en qualité de plâtrier indépendant dès juin 2014. Le 15.01.2015, il s’est blessé à la main droite et a subi une incapacité totale de travail dans sa profession de plâtrier.

Dépôt d’une demande de prestations AI en juin 2016. L’office AI alloué à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.12.2016 au 31.05.2017. L’administration a retenu que si l’incapacité de travail restait totale dans l’activité habituelle de plâtrier, la capacité de travail était en revanche entière à compter du 07.02.2017 dans une activité adaptée. Comparant un revenu sans invalidité de 73’744 fr. 92 en 2017, établi selon l’ESS (table T17, ligne 71, métiers qualifiés du bâtiment et assimilés, sauf électriciens, niveau de compétences 2), avec un revenu d’invalide de 65’699 fr. 56, également calculé selon l’ESS (table TA1, niveau de compétences 1), l’office AI a fixé le taux d’invalidité à 11%.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 117/18 – 21/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a constaté qu’un revenu de 85’300 fr. afférent à la période de juin à décembre 2014 avait été inscrit sur le compte individuel de l’assuré en tant que personne de condition indépendante, tandis que l’autorité fiscale avait retenu un revenu de 77’188 fr. pour l’année 2014 provenant de l’activité indépendante. Pour les juges cantonaux, cette activité avait débuté à un rythme très soutenu, offrant à l’assuré une rémunération équivalant à un peu plus du double de ce qu’il avait obtenu comme salarié durant les années précédentes. Comme le succès aurait perduré sans atteinte à la santé, il se justifiait d’annualiser les revenus d’une activité qui n’avait été que partielle et qui aurait procuré des revenus supérieurs si l’exercice 2014 avait été complet. Le Tribunal cantonal a dès lors admis qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de la règle de principe selon laquelle les revenus effectivement réalisés sont à prendre en compte. Dans le cas d’espèce, sur la base de six mois entiers d’activité indépendante (de juin à décembre 2014) qui ont procuré une rémunération brute de 85’375 fr. (soumise aux cotisations dues en tant qu’indépendant), les juges cantonaux ont extrapolé ce montant sur l’année entière et fixé la rétribution à 170’749 fr. 99 pour 2014. Comparant ce revenu sans invalidité au revenu d’invalide de 65’699 fr. 56, ils ont fixé le taux d’invalidité à 62%, ce qui ouvrait le droit à trois quarts de rente à partir du 01.06.2016.

Par jugement du 27.01.2020, admission du recours par le tribunal cantonal et octroi d’une rente entière d’invalidité du 01.12.2016 au 31.05.2017 puis de trois quarts de rente à compter du 01.06.2017.

 

TF

Pour déterminer le revenu sans invalidité, on rappellera qu’il faut établir ce que l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Pour les personnes de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’AVS (arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.2.2, 9C_771/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.6). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité ; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1).

A ce sujet, on rappellera que le revenu réalisé avant l’atteinte à la santé ne pourra pas être considéré comme une donnée fiable, notamment lorsque l’activité antérieure était si courte qu’elle ne saurait constituer une base suffisante pour la détermination du revenu sans invalidité (cf. ATF 135 V 59 consid. 3.4.6 p. 64; arrêt 9C_658/2015 du 9 mai 2016 consid. 5.1.1). Le cas échéant, on pourra se fonder sur le revenu moyen d’entreprises similaires (cf. arrêt 9C_474/2016 du 8 février 2017 consid. 4), ou sur les statistiques de l’ESS (cf. arrêt 9C_111/2009 du 21 juillet 2009 consid. 3.1).

 

En se référant à l’arrêt I 22/06 du 19 janvier 2007, l’office AI soutient que lorsqu’un assuré est atteint dans sa santé peu de temps après le début de son activité indépendante, il convient de se référer à des données statistiques afin d’établir le revenu sans invalidité, car dans un tel cas de figure, les résultats d’exploitation obtenus sur une durée de quelques mois ne permettent pas de fixer de manière fiable le revenu qui aurait pu être réalisé sans atteinte à la santé. A cet égard, les considérants de l’instance cantonale sur le potentiel de développement du marché et de l’entreprise de l’assuré lui paraissent insoutenables et relèveraient de simples affirmations dont il ignore sur quoi elles reposent. Les taxations fiscales, les décisions de cotisations personnelles, le compte individuel ainsi que la comptabilité de l’entreprise ne permettraient pas d’aboutir à de telles conclusions, ni de déterminer le revenu correspondant à l’activité indépendante sans la survenance de l’atteinte à la santé. L’office AI est aussi d’avis qu’il est arbitraire de transformer le revenu global en revenu mensuel puis de le multiplier par douze (pour obtenir le revenu annuel de 170’749 fr. 99), car cette méthode méconnaît le fonctionnement d’une entreprise du bâtiment ; en outre, l’activité indépendante n’a pas été exercée durant seulement six mois, mais sept mois en 2014 selon le compte individuel, voire huit mois d’après les documents émanant de l’assureur-accidents.

 

Les constatations de l’autorité précédente relatives aux revenus inscrits sur le compte individuel de l’assuré pour l’année 2014 sont manifestement inexactes et doivent être rectifiées et complétées d’office. En effet, s’il ressort de l’extrait du compte individuel que des revenus de 85’300 fr. (60’000 + 25’300) afférents à l’activité indépendante ont été portés en compte pour la période courant de juin à décembre 2014, il apparaît aussi qu’un montant de 49’643 fr. a été extourné pour cette activité indépendante en 2014 (cf. ch. 2403 des Directives de l’OFAS concernant le certificat d’assurance et le compte individuel). La soustraction aboutit à un revenu de l’activité indépendante de 35’657 fr. (85’300 – 49’643) pour cette année-là. En comparant ce revenu de 35’657 fr. avec le revenu d’invalide non contesté de 65’699 fr. 56, le droit à la rente serait ainsi d’emblée exclu, même si l’on extrapolait le montant de 35’657 fr. (correspondant à une période de sept mois) sur toute l’année 2014 et que l’on tienne compte ainsi d’un revenu de 61’126 fr. 30 (pour autant que ce procédé fût admissible).

Par ailleurs, aucune donnée fiable ne ressort des comptes d’exploitation et de pertes et profits de l’entreprise de l’assuré qui ont été versés au dossier. Au demeurant, l’assuré avait fait valoir, dans son recours cantonal, que pour pouvoir faire le calcul de son invalidité, « le montant de CHF 14’229.00 déclaré en tant que revenu brut en tant qu’indépendant vaut pour les mois de juin 2014 à janvier 2015. Partant, c’est une moyenne de CHF 1’778.60 par mois ». En pareilles circonstances et compte tenu de la brièveté de cette activité, celle-ci ne saurait constituer une base suffisante pour la détermination du revenu sans invalidité. C’est ainsi à juste titre que l’office AI l’a établi sur la base de données statistiques dont le bien-fondé n’est pas remis en cause en tant que tel.

A cet égard, on remarquera que le revenu sans invalidité de 73’744 fr. 92 retenu par l’office AI est légèrement inférieur à la moyenne des revenus qui ressortent du compte individuel de l’assuré pour les cinq années précédant l’atteinte à la santé (2010: 80’352 fr.; 2011: 83’999 fr.; 2012: 77’094 fr.; 2013: 75’563 fr.; 2014: 60’074 fr.), soit 75’416 fr. 40. Si l’on comparait ce revenu avec le revenu d’invalide de 65’699 fr. 56, le taux d’invalidité serait alors de 13%, de sorte que l’issue du litige serait inchangée.

Vu ce qui précède, le taux d’invalidité de 11% retenu par l’office AI apparaît conforme au droit, de sorte qu’il a nié à juste titre le droit à la rente postérieurement au 31.05.2017.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_153/2020 consultable ici

 

 

9C_669/2019 (d) du 07.04.2020 – destiné à la publication – Curatrice professionnelle – Statut de cotisant à l’AVS / 5 LAVS – 8 LAVS – 9 al. 1 LAVS – 13 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_669/2019 (d) du 07.04.2020, destiné à la publication

 

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Résumé de « Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS (sélection de l’OFAS) – n° 72 »

 

Curatrice professionnelle – Statut de cotisant à l’AVS / 5 LAVS – 8 LAVS – 9 al. 1 LAVS – 13 LAVS

 

L’assurée exerce la fonction de curatrice professionnelle (Fachbeiständin) désignée par l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (personne privée possédant des qualifications professionnelles spécifiques) en qualité de personne exerçant une activité indépendante au sens de la loi sur l’AVS (consid. 6.2 et 6.3).

La recourante exerce comme curatrice professionnelle pour l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA). Elle conteste sa qualification pour cette activité en tant que personne exerçant une activité salariée.

La qualification au regard du droit des cotisations est une question juridique qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral. Il en va de même quant au fait de savoir s’il y a eu une correcte pesée des critères déterminants pour l’évaluation du statut de cotisant et si leur importance a été correctement appréciée (consid. 2.2).

Dans les faits, il existe trois catégories de curateurs : les curateurs professionnels – Berufsbeistände (collaborateurs des services de curatelle ou des services sociaux qui exécutent principalement des mandats de curatelle), les curateurs professionnels – Fachbeistände (personnes privées possédant des qualification professionnelles spécifiques en lien avec la protection de l’adulte qui, en parallèle à d’autres tâches, exécutent également des mandats de curatelle) et les curateurs privés – private Mandatsträger (personnes sans qualification professionnelle spécifique en lien avec la protection de l’adulte). Il n’y a pas de distinction légale fondamentale entre ces catégories (consid. 4.1 et 4.2).

Le seul fait qu’une personne ait été nommée par l’Etat pour exercer une fonction ne signifie pas qu’il s’agisse dans tous les cas d’une activité salariée (consid. 6.1).

Depuis l’ATF 98 V 230 relatif au statut de cotisant d’un particulier exerçant la fonction de tuteur, le droit de la tutelle a été entièrement révisé avec le droit de la protection de l’enfant et de l’adulte entré en vigueur en 2013. L’obligation de prendre en charge un mandat de curateur a notamment été abandonnée. En outre, le Tribunal fédéral a précisé sa jurisprudence relative au caractère distinctif du risque d’entrepreneur dans les activités de service typiques en ce sens que celui-ci est relégué au second plan par rapport à la dépendance économique et organisationnelle vis-à-vis du mandant ou de l’employeur (consid. 6.2).

Un élément essentiel de la relation de dépendance dans l’organisation du travail est l’obligation de se conformer aux instructions.

En principe ce sont les mêmes considérations que celles faites pour délimiter le contrat de mandat du contrat de travail qui sont applicables en ce qui concerne le fait d’être lié à des instructions. Dans la relation contractuelle de travail, le pouvoir de donner des instructions se rapporte à des éléments tels que les heures de travail, le comportement sur le lieu de travail, la procédure de travail, l’attribution de tâches, le plan d’engagement, etc. ; ce sont des ordres qui ne concernent pas seulement l’objectif à atteindre, mais également la façon dont le travail doit être effectué. Le droit de donner des instructions et/ou l’obligation de rendre des comptes découlant du contrat de mandat ne suffisent pas pour justifier un tel lien de subordination (consid. 6.2.2).

Bien que l’APEA puisse exercer une certaine influence sur le travail du curateur, l’autorité de surveillance et les mesures à disposition de l’APEA servent, toutefois, avant tout à sauvegarder les intérêts de la personne sous curatelle. Une gestion largement indépendante du mandat est caractéristique pour les services de curatelle. Sur la base de ces considérations, le Tribunal fédéral qualifie l’activité exercée par la curatrice professionnelle (Fachbeiständin) d’indépendante et admet le recours

 

 

Commentaire de l’OFAS in Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS (sélection de l’OFAS) – n° 72

L’OFAS inclura des directives concernant le statut de cotisant des curateurs dans le prochain supplément des DSD.

 

 

Arrêt 9C_669/2019 consultable ici

 

 

8C_448/2018 (f) du 30.09.2019 – Travailleur jouissant d’une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur – Absence de droit à l’indemnité chômage

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_448/2018 (f) du 30.09.2019

 

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Travailleur jouissant d’une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur – Absence de droit à l’indemnité chômage

 

Assurée, née en 1963, a été engagée dès le 01.02.2004 par l’Association B.__, en qualité de responsable du pilotage et de la coordination du projet mentoring et du management. Cette association avait pour but de promouvoir les femmes dans le monde du travail ainsi que la mixité du genre dans l’économie. L’assurée était membre du comité et directrice. Son taux d’activité, initialement de 60%, a ensuite été porté à 100%.

En raison notamment d’une réorientation des aides financières accordées par la Confédération dans le cadre de la loi fédérale sur l’égalité entre hommes et femmes, l’Association B.__ s’est trouvée en manque de liquidités pour faire face à ses engagements. Une assemblée générale extraordinaire s’est tenue le 24.05.2016 lors de laquelle il a été décidé de dissoudre l’association. Le contrat de travail de l’assurée a été résilié avec effet immédiat. Elle a toutefois été désignée liquidatrice, conjointement avec le conseiller financier non membre de l’association. Les projets en cours, notamment le service de conseil de consultations E.__, avec la première consultation au tarif subventionné, devaient être gérés par la prénommée, laquelle devait en outre supporter, dès le 01.06.2016, les loyers des locaux, le bail étant à son nom.

Le 25.05.2016, l’assurée s’est inscrite à l’office régional de placement (ORP), sollicitant de la caisse de chômage (ci-après : la caisse), des indemnités de chômage pour un travail à temps complet dès son inscription. L’assurée a elle-même signé, au nom de l’Association B.__, l’attestation de l’employeur, répondant affirmativement à la question de savoir si elle avait une participation financière à l’entreprise ou si elle occupait une fonction dirigeante.

Le même jour, A.__ a fondé la société « F.__ Sàrl » dont le but est de procurer des services dans le domaine de la promotion de la mixité hommes/femmes dans l’entreprise et des nouvelles formes d’aménagement du temps de travail. La prénommée a été inscrite au registre du commerce comme associée-gérante unique avec signature individuelle. Cette inscription a été radiée le (…) suivant, après cession des parts sociales par l’intéressée.

Par décision, confirmée sur opposition, la caisse a rejeté la demande de prestations de l’assurée, au motif que cette dernière avait occupé la qualité de directrice et de membre du comité de l’Association B.__, puis avait été nommée liquidatrice après la dissolution de l’association, de sorte qu’elle conservait encore un pouvoir décisionnel au sein de celle-ci.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 254/16 – 81/2018 – consultable ici)

Par jugement du 09.05.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

D’après la jurisprudence (ATF 123 V 234), un travailleur qui jouit d’une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur n’a pas droit à l’indemnité de chômage lorsque, bien que licencié formellement par une entreprise, il continue de fixer les décisions de l’employeur ou à influencer celles-ci de manière déterminante. Dans le cas contraire, en effet, on détournerait par le biais d’une disposition sur l’indemnité de chômage la réglementation en matière d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail, en particulier l’art. 31 al. 3 let. c LACI. Selon cette disposition, n’ont pas droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, notamment, les personnes qui fixent les décisions que prend l’employeur – ou peuvent les influencer considérablement – en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière à l’entreprise. Le Tribunal fédéral a identifié un risque de contournement de la clause d’exclusion de l’art. 31 al. 3 let. c LACI lorsque dans un contexte économique difficile, ces personnes procèdent à leur propre licenciement et revendiquent l’indemnité de chômage tout en conservant leurs liens avec l’entreprise. Dans une telle configuration, en effet, il est toujours possible pour elles de se faire réengager dans l’entreprise ultérieurement et d’en reprendre les activités dans le cadre de son but social. La situation est en revanche différente quand le salarié, se trouvant dans une position assimilable à celle de l’employeur, quitte définitivement l’entreprise en raison de la fermeture de celle-ci. Dans ce cas, l’intéressé peut en principe prétendre des indemnités de chômage (ATF 123 V 234 précité consid. 7b/bb p. 238).

 

Selon les faits retenus dans le jugement attaqué, l’assurée occupait une position décisionnelle au sein de l’Association B.__. Au moment de la mise en liquidation de cette association, l’assurée a déclaré vouloir « poursuivre ses activités, sous une autre forme juridique, à déterminer, toujours dans l’esprit et la ligne de B.__ » et elle s’est engagée à reprendre les loyers des locaux de l’association dès le 01.06.2016, le bail étant d’ailleurs à son nom. Le 25.05., elle a fondé la société F.__ Sàrl, dont le siège se situe dans lesdits locaux et dont elle était l’associée-gérante unique. Les buts de l’association et de la Sàrl étaient similaires, soit la promotion de la mixité dans le monde du travail. Sur la base de tels faits, il n’était pas insoutenable de considérer que l’activité de l’assurée au sein de la Sàrl constituait en quelque sorte la continuation sous une autre forme de celle antérieure exercée pour l’Association B.__. De plus, l’assurée ne critique pas la constatation de la cour cantonale, résultant de l’appréciation des éléments de preuve au dossier, selon laquelle elle avait conservé une influence de fait sur les décisions de F.__ Sàrl malgré la cession de ses parts sociales et la radiation de son inscription au registre du commerce.

Cela étant, le chômage de l’assurée, qui, à peine licenciée par l’Association B.__ où elle occupait une position décisionnelle, fonde et contrôle une autre société dont l’activité apparaît être la continuation de celle de l’association précitée, s’apparente à une réduction de l’horaire de travail qui se manifesterait par une suspension d’activité. On rappellera que les associés-gérants d’une société à responsabilité limitée disposent ex lege d’un pouvoir déterminant au sens de l’art. 31 al. 3 let. c LACI (cf. arrêt 8C_515/2007 du 8 avril 2008, consid. 2.2 et les références ; voir également l’arrêt 8C_143/2012 du 19 septembre 2012 consid. 4.3 où le Tribunal fédéral a appliqué la notion d’organe de fait pour admettre qu’un assuré avait conservé une influence sur les décisions d’une société en dépit de sa radiation du registre du commerce). Or l’assurance-chômage n’a pas pour vocation à indemniser la perte ou les fluctuations de gain liées à une activité indépendante mais uniquement la perte de travail, déterminable et contrôlable, du travailleur ayant un statut de salarié qui, à la différence de celui occupant une position décisionnelle, n’a pas le pouvoir d’influencer la perte de travail qu’il subit et pour laquelle il demande l’indemnité de chômage (sur l’ensemble de cette problématique, voir BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, ad art. 10 n° 18 ss; également du même auteur, Droit à l’indemnité de chômage des personnes occupant une position assimilable à celle d’un employeur, in DTA 2013 n° 1, p. 1-12). On soulignera à cet égard que ce n’est pas l’abus avéré comme tel que la loi et la jurisprudence entendent sanctionner ici, mais le risque d’abus que représente le versement d’indemnités à un travailleur jouissant d’une situation comparable à celle d’un employeur (DTA 2003 n° 22 p. 242 consid. 4 [arrêt C 92/02 du 14 avril 2003]; arrêt C_157/06 du 22 janvier 2007, consid. 3.2). En fait, il suffit qu’une continuité des activités soit possible pour que le droit doive être nié en raison d’un risque de contournement de la loi.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_448/2018 consultable ici

 

 

8C_202/2019 (f) du 09.03.2020 – Unique associé gérant d’une Sàrl avec signature individuelle – Délimitation de l’activité lucrative indépendante avec l’activité lucrative dépendante / 1a LAA – 1 OLAA – 5 LAVS – 9 LAVS – 6 ss RAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_202/2019 (f) du 09.03.2020

 

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Unique associé gérant d’une Sàrl avec signature individuelle – Délimitation de l’activité lucrative indépendante avec l’activité lucrative dépendante / 1a LAA – 1 OLAA – 5 LAVS – 9 LAVS – 6 ss RAVS

 

Selon le registre du commerce, B.__ exploite depuis novembre 1996, sous la raison de commerce C.__, une entreprise individuelle ayant pour buts le commerce et la réparation de motos et vélomoteurs. En 2009, il a fondé, seul, la société A.__ Sàrl (ci-après : la Sàrl), dont il est l’unique associé gérant avec signature individuelle et qui a pour but le commerce, l’achat, la vente, la réparation, la location de motos, cycles, accessoires et pièces.

Le 30.03.2009, B.__ a indiqué à l’assurance-accidents qu’il avait récemment fondé la Sàrl, laquelle reprendrait dès le 01.04.2009 l’entreprise individuelle ; dès cette date, cette dernière n’emploierait plus d’ouvrier, tandis que la Sàrl aurait trois employés. L’assurance-accidents ayant demandé si B.__, associé gérant, était salarié de la Sàrl, il lui a été répondu par la négative. Selon les factures de primes définitives 2009 et 2010 établies par l’assurance-accidents, trois tierces personnes étaient employées de la Sàrl. Par la suite, cette dernière a régulièrement informé l’assurance-accidents des changements intervenus dans son personnel et des factures de primes définitives ont été établies pour les années 2011, 2012 et 2013.

Ayant appris que B.__ était, selon ses dires, indépendant dans le domaine de la vente et la réparation de motos, l’assurance-accidents, après avoir pris des renseignements, a indiqué en juillet 2014 à la Sàrl que l’intéressé ne remplissait pas les conditions requises pour que son activité puisse être qualifiée d’indépendante ; il devait ainsi être considéré comme salarié de la Sàrl et bénéficiait à ce titre de la couverture contre les accidents conformément à la loi ; en tant qu’associé de la Sàrl travaillant dans l’entreprise, il était assuré sur la base du salaire déterminant réalisé, mais au minimum du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux.

Par décision adressée à B.__, l’assurance-accidents a constaté que celui-ci exerçait une activité dépendante dès le 01.01.2014.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/107/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que B.__ était titulaire depuis 1996 d’une entreprise individuelle ayant pour but le commerce et la réparation de motos et vélomoteurs et qu’en 2009, il avait fondé, seul, une Sàrl ayant pour but le commerce, l’achat, la vente, la réparation, la location de motos, cycles, accessoires et pièces, dont il était l’unique ayant droit économique depuis sa création. Il était ainsi à la tête d’une exploitation commerciale, au sens économique du terme, existant pour partie sous la forme d’une raison individuelle et pour partie sous la forme d’une Sàrl, et exerçait son activité commerciale selon sa propre organisation librement choisie. Il possédait sa propre infrastructure, soit des locaux commerciaux qu’il louait au nom de la Sàrl depuis le 01.01.2012, et avait depuis la création de la Sàrl occupé du personnel qu’il avait dûment déclaré auprès de la CNA notamment. L’exercice de son activité, selon sa propre organisation librement choisie, était reconnaissable de l’extérieur puisqu’il apparaissait au registre du commerce comme l’unique propriétaire et associé gérant de la Sàrl avec signature individuelle, de sorte qu’il agissait en son propre nom et pour son propre compte lorsqu’il concluait les contrats avec la clientèle. En tant qu’unique associé de la Sàrl, il était financièrement intéressé à son rendement, encourait les pertes et assumait seul les dettes de celle-ci (cf. art. 794 CO) et endossait ainsi le risque économique de l’entreprise. S’agissant du lien de subordination, en sa qualité de propriétaire de l’intégralité du capital social de la Sàrl et d’unique associé gérant, il définissait de manière autonome la politique commerciale, la gestion et l’exploitation de la Sàrl. Il ne dépendait ainsi pas d’un employeur du point de vue économique ou dans l’organisation de son travail, mais gérait seul la Sàrl, sans lien de subordination envers quiconque.

Par jugement du 13.02.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision sur opposition.

 

TF

Selon l’art. 1a LAA, les travailleurs occupés en Suisse sont assurés à titre obligatoire contre le risque d’accident. Est réputé travailleur au sens de cette disposition quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation sur l’AVS (art. 1 OLAA). Chez une personne qui exerce une activité lucrative, l’obligation de payer des cotisations dépend, notamment, de la qualification du revenu touché dans un certain laps de temps ; il faut se demander si cette rétribution est due pour une activité indépendante ou pour une activité salariée (cf. art. 5 et 9 LAVS, art. 6 ss RAVS). Selon l’art. 5 al. 2 LAVS, on considère comme salaire déterminant toute rétribution pour un travail dépendant effectué dans un temps déterminé ou indéterminé ; quant au revenu provenant d’une activité indépendante, il comprend tout revenu du travail autre que la rémunération pour un travail accompli dans une situation dépendante (art. 9 al. 1 LAVS).

Le point de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée ne doit pas être tranché d’après la nature juridique du rapport contractuel entre les partenaires. Ce qui est déterminant, bien plutôt, ce sont les circonstances économiques (ATF 140 V 241 consid. 4.2 p. 245). Les rapports de droit civil peuvent certes fournir, éventuellement, quelques indices, mais ils ne sont pas déterminants. D’une manière générale, est réputé salarié celui qui dépend d’un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, et ne supporte pas le risque encouru par l’entrepreneur. Ces principes ne conduisent cependant pas, à eux seuls, à des solutions uniformes, applicables schématiquement. Les manifestations de la vie économique revêtent en effet des formes si diverses qu’il faut décider dans chaque cas particulier si l’on est en présence d’une activité dépendante ou d’une activité indépendante en considérant toutes les circonstances de ce cas. Souvent, on trouvera des caractéristiques appartenant à ces deux genres d’activité ; pour trancher la question, on se demandera quels éléments sont prédominants dans le cas considéré (ATF 144 V 111 consid. 4.2 p. 112 s.; 123 V 161 consid. 1 p. 163; 122 V 169 consid. 3a p. 171; 119 V 161 consid. 2 p. 162 et les références; arrêt 9C_796/2014 du 27 avril 2015 consid. 3.2). Si l’assuré exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d’elles si le revenu en découlant est celui d’une activité indépendante ou salariée, même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise (ATF 122 V 169 consid. 3b p. 172 précité; 104 V 126 consid. 3b p. 127).

Selon la jurisprudence, le gérant ou le dirigeant d’une entreprise employé par cette dernière est, même s’il a dans les faits une position d’actionnaire unique ou majoritaire et a une influence déterminante sur la marche des affaires, formellement un travailleur salarié de la société. Cependant, ce ne sont pas les rapports de droit civil qui sont déterminants pour déterminer le statut d’une personne du point de vue des assurances sociales, mais bien la position économique. La question de savoir si une personne a une influence déterminante sur la politique de l’entreprise et le développement de celle-ci – et doit ainsi être considérée comme tirant ses revenus d’une activité indépendante – doit être examinée sur la base de critères tels que le cercle des actionnaires, la participation au capital social, la composition du conseil d’administration, le taux d’activité des actionnaires et leur fonction dans la société (arrêts 8C_121/2017 du 5 juillet 2018, publié in SVR 2019 UV n° 3 p. 9, consid. 7.1; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.1; I 185/02 du 29 janvier 2003 consid. 3.1).

 

On peut certes donner acte à l’assurance-accidents recourante que certains des arrêts cités par la cour cantonale – qui concernent la question de savoir si une personne n’a pas droit aux prestations de l’assurance-chômage parce qu’elle a au sein d’une personne morale une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur (arrêt 8C_331/2017 du 8 mars 2018; ATF 126 V 212 consid. 2b p. 213), respectivement parce qu’elle n’est pas apte au placement du fait qu’elle n’a pas l’intention ou n’est pas à même d’exercer une activité salariée (arrêts 8C_435/2010 du 25 janvier 2011 et C 224/01 du 13 décembre 2002) – ne sont pas pertinents pour examiner la question du statut indépendant ou dépendant de B.__ au sens de l’art. 1a LAA.

Cela étant, la qualification de l’activité déployée par B.__ au sein de la Sàrl comme activité indépendante au sens des art. 1a LAA et 1 OLAA échappe à la critique. Selon les constatations de fait de la juridiction cantonale, B.__ détenait l’entier du capital social de la Sàrl et prenait seul, étant l’unique associé gérant de la Sàrl avec signature individuelle, toutes les décisions relatives à la marche de l’entreprise. Dans ces conditions, il doit être considéré comme indépendant du point de vue des assurances sociales, conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus (cf. en particulier arrêt 8C_121/2017 du 5 juillet 2018 consid. 7.1), à laquelle ni la cour cantonale ni l’assurance-accidents ne se sont référées.

Le TF rejette le recours de l’assureur-accidents.

 

 

Arrêt 8C_202/2019 consultable ici

 

 

8C_554/2018 (f) du 05.05.2020 – Détermination du caractère dépendant ou indépendant de l’activité déployée par un assuré – 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS / Chauffeurs de taxi rattachés à un central d’appel

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_554/2018 (f) du 05.05.2020

 

NB : Arrêt à 5 juges ; non destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Détermination du caractère dépendant ou indépendant de l’activité déployée par un assuré / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

Chauffeurs de taxi rattachés à un central d’appel

 

En 1964, plusieurs communes de la région lausannoise ont constitué le Service intercommunal de taxis de l’arrondissement de Lausanne (ci-après : le Service intercommunal ou SIT). Par la suite, les communes membres du Service intercommunal se sont regroupées en une Association de communes de la région lausannoise pour la réglementation du service des taxis (ci-après: l’Association).

Selon l’art. 15 RIT (Règlement intercommunal sur le service des taxis), nul ne peut exploiter un service de taxis sur le territoire de l’arrondissement sans en avoir obtenu l’autorisation (teneur du texte en vigueur dès le 01.11.2016). Il y a trois types d’autorisations. L’autorisation A (terme remplacé par « la concession » à partir du 01.07.2018) est celle qui permet le stationnement sur des emplacements désignés par les communes membres de l’Association (stations officielles de taxis).

Le 18.05.2006, le Conseil intercommunal de l’Association a adopté un règlement sur le central d’appel des taxis A (ci-après: RCAp), qui est entré en vigueur le 01.01.2008. Ce règlement a pour objet la création et l’exploitation, par le biais d’une concession accordée à une personne morale, d’un central d’appel unique chargé de recevoir et de diffuser toutes les commandes téléphoniques concernant les taxis A. Il prévoit notamment l’obligation, pour tous les titulaires d’une autorisation d’exploitation A, de souscrire un abonnement à ce central et de lui verser une contribution périodique pour le service de transmission des commandes (cf. art. 6), avec pour corollaire l’obligation du concessionnaire d’admettre tous les exploitants de taxis A à titre d’abonnés (cf. art. 4). Le 20.08.2008, l’Association a désigné la société T.__ Sàrl comme titulaire de la concession de l’exploitation du central d’appel des taxis A.

B.__ est chauffeur de taxi. Le 15.09.2015, il a été mis au bénéfice d’une autorisation d’exploiter un service de taxi avec permis de stationnement (autorisation A) valable dès le 01.01.2016. Il a pris un leasing pour un véhicule d’un prix de 35’688 fr. hors remise, dont les mensualités s’élèvent à 670 fr. 10. Il a également conclu un contrat d’abonnement avec T.__ Sàrl.

Par lettre du 16.11.2015, B.__ a demandé à la CNA de lui reconnaître un statut d’indépendant en tant que chauffeur professionnel au bénéfice d’une autorisation de type A à partir du 01.01.2016, en précisant qu’il avait trois sources de revenus dans cette activité, à savoir par le contact direct avec les clients, par le stationnement sur les stations officielles et, enfin, par le central d’appel T.__ Sàrl.

Par décision, la CNA a constaté que B.__ exerçait une activité dépendante en tant que chauffeur de taxi. La CNA a notifié cette décision à l’intéressé ainsi qu’à T.__ Sàrl à titre de partie prenante. Tous deux ont formé opposition. La CNA a confirmé que B.__ avait le statut d’un travailleur dépendant dans le cadre de ses relations avec T.__ Sàrl et a écarté les oppositions en conséquence.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 7/17 – 71/2018 – consultable ici)

B.__ et T.__ Sàrl ont recouru contre cette dernière décision.

La cour cantonale a relevé que, dans la région lausannoise, la réglementation en vigueur avait instauré, pour des motifs d’intérêt public, un monopole d’exploitation d’un central d’appel unique (voir l’arrêt 2C_71/2007 du 9 octobre 2007). Les rapports entre les chauffeurs de taxi et T.__ Sàrl étaient uniquement réglés par un contrat d’abonnement. Or ce contrat ne contenait aucune règle d’ordre organisationnel et se limitait principalement à fixer les conditions financières d’accès au central d’appel. En particulier, les chauffeurs de taxi n’étaient pas soumis à un régime de devoirs et obligations vis-à-vis de T.__ Sàrl. Cette dernière devait certes, selon le ch. 8.3 du contrat de concession, s’efforcer de planifier l’offre de taxis disponibles en fonction de la demande et, de manière générale, prendre toutes les mesures utiles en son pouvoir pour réduire sensiblement le nombre d’appels non quittancés et limiter les refus de courses. L’art. 21bis al. 2 RIT (en vigueur dès le 01.09.2016) précisait encore que seul le Comité de direction de l’Association était compétent, en cas de besoin, pour imposer aux compagnies la mise à disposition du public d’un nombre déterminé de véhicules à toute heure.

De manière générale, les chauffeurs de taxi A étaient soumis à un régime de devoirs et obligations à l’égard de l’Association, laquelle était – sous réserve du non-respect par les chauffeurs de taxi de leurs obligations financières à l’égard de T.__ Sàrl – la seule habilitée à sanctionner les chauffeurs de taxi (art. 96 RIT). Mais ce n’était pas le central d’appel qui imposait ces règles, lesquelles étaient au demeurant applicables à tous les chauffeurs titulaires d’une autorisation A, qu’ils fussent hélés dans la rue, sollicités à une station officielle de taxi ou contactés par le central d’appel. L’introduction, par le RCAp, d’un central unique et de l’obligation de s’y affilier ne constituait qu’une obligation supplémentaire – relevant du droit public communal – à charge des chauffeurs de taxi A, à laquelle ces derniers ne pouvaient pas se soustraire et qui venait s’ajouter aux nombreuses autres règles du RIT et des « Prescriptions d’application du Règlement intercommunal sur le service des taxis » (ci-après: PARIT). Selon la cour cantonale, on ne pouvait pas y voir des indices de l’exercice d’une activité salariée pour le compte de T.__ Sàrl.

A cela s’ajoutait que T.__ Sàrl n’était pas autorisée à poursuivre un but lucratif (art. 44 PARIT), ni à exploiter une entreprise de taxis ou à engager des chauffeurs. Les contributions qu’elle prélevait auprès des exploitants de taxis A étaient destinées à couvrir les frais de fonctionnement, d’amélioration du système et d’amortissement (art. 4 RCAp). L’abonnement constituait ainsi la contrepartie du matériel mis à disposition par T.__ Sàrl et embarqué dans les véhicules des chauffeurs, et finançait toute l’infrastructure du central d’appel des taxis A. Quant à la transmission gratuite de 100 courses mensuelles prévue à l’art. 3 du contrat d’abonnement, elle constituait une prestation incluse dans la contribution de base, à l’instar du nombre de Giga-octets inclus dans un abonnement de téléphonie mobile ; le contrat ne contenait cependant aucune garantie quant au nombre de courses. Par ailleurs, les recettes des courses étaient directement perçues par les chauffeurs de taxi qui assumaient aussi le risque de débiteur. Enfin, T.__ Sàrl ne disposait d’aucune compétence pour imposer des obligations particulières aux exploitants individuels, notamment concernant les heures de présence ou l’affichage du logo du central (ce point étant laissé au libre choix du chauffeur ; art. 8 du contrat d’abonnement).

En résumé, selon la cour cantonale, les éléments en faveur d’une activité indépendante des chauffeurs de taxis A l’emportaient sur ceux en faveur d’un rapport de subordination vis-à-vis de T.__ Sàrl. Celle-ci n’intervenait pas comme une société exploitant une entreprise de taxis mais comme une entreprise concessionnaire dont le seul but était d’exploiter un central téléphonique pour coordonner les taxis et qui était financée de manière exclusive par tous les exploitants de taxis A. Partant, c’était à tort que la CNA avait retenu que B.__ devait être considéré comme salarié de T.__ Sàrl lorsqu’il se voyait confier des courses par le biais du central d’appel.

Par jugement du 14.06.2018, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

D’une manière générale, est réputé salarié celui qui dépend d’un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, et ne supporte pas le risque encouru par l’entrepreneur (ATF 123 V 161 consid. 1 p. 162; arrêt 9C_796/2014 du 27 avril 2015 consid. 3.2). Les principaux éléments qui permettent de déterminer le lien de dépendance quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise sont le droit de l’employeur de donner des instructions, le rapport de subordination du travailleur à l’égard de celui-ci et son obligation d’exécuter personnellement la tâche qui lui est confiée (RCC 1989 p. 111 consid. 5a; 1986 p. 651 consid. 4c; 1982 p. 178 consid. 2b). Un autre élément est le fait qu’il s’agit d’une collaboration régulière, autrement dit que l’employé est régulièrement tenu de fournir ses prestations au même employeur (ATF 110 V 72 consid. 4b p. 78 s.). En outre, la possibilité pour le travailleur d’organiser son horaire de travail ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit d’une activité indépendante (ATF 122 V 169 consid. 6a/cc p. 176).

 

La jurisprudence procède à un examen de la situation de cas en cas qui consiste à rechercher dans les rapports de fait entre le chauffeur de taxi et le central d’appel des indices plaidant ou non en faveur d’un lien de dépendance et d’un risque économique.

Dans l’arrêt RCC 1971 p. 27, le Tribunal fédéral a retenu l’existence d’un rapport de subordination entre la société exploitant un central d’appel et les chauffeurs de taxi rattachés à celui-ci en considération notamment du fait que ces derniers étaient soumis, outre aux prescriptions de droit public régissant l’activité des taxis, à des obligations de nature contractuelle imposées par la société (obligation d’exécuter toutes les courses transmises, suivi d’un plan de service, prescriptions sur le comportement des conducteurs et la couleur du taxi, application du tarif fixé par la société) et qu’ils pouvaient être sanctionnés par un blocage d’accès au central en cas de non-respect de ces obligations. Il y a également lieu de préciser que la société était titulaire à la fois d’une concession pour l’exploitation d’un central d’appel et d’une entreprise de taxis. Dans un autre arrêt (8C_357/2014 du 17 juin 2014), le Tribunal fédéral est parvenu à la même conclusion dans la mesure où la société exploitante du central d’appel avait un droit de regard notamment sur le volume des véhicules employés, l’exécution des courses et le comportement des chauffeurs (qu’elle pouvait sanctionner par la suspension), et s’occupait de louer les places de stationnement ; de plus, la société supportait le risque d’encaissement des cartes de crédit. L’arrêt le plus récent en la matière (8C_571/2017 du 9 novembre 2017) concerne une coopérative de chauffeurs de taxi détenant la totalité des parts d’une société anonyme exploitant un central d’appel. Les membres de la coopérative étaient liés au central par un contrat d’affiliation (Anschlussvertrag) qui prévoyait l’obligation de participer à des cours de formation ou de perfectionnement, d’afficher le nom du central sur leur véhicule et de respecter certaines règles avec les clients (règlement de service) ; il existait une interdiction de s’affilier à un autre central d’appel ; le contrat pouvait être résilié moyennant un délai de trois mois ; la société faisait de surcroît de la publicité pour le central sur internet et employait des collaborateurs afin de prospecter et acquérir la clientèle d’entreprise ; le risque d’encaissement des cartes de crédit était supporté par la société. Ici également, le Tribunal fédéral a admis que les éléments plaidant en faveur d’une activité dépendante étaient prépondérants même si, par ailleurs, les chauffeurs étaient libres d’accepter ou de refuser les courses transmises par le central. Dans tous ces arrêts, le fait que les chauffeurs de taxi exerçaient leur activité au moyen de leur propre véhicule et en assumaient tous les frais n’a pas été jugé comme étant un élément décisif dans l’appréciation globale par rapport aux autres indices caractéristiques relatifs au lien de dépendance.

 

En l’espèce, la présente situation a ceci de particulier qu’il existe pour tous les chauffeurs de taxi A une obligation d’affiliation, fondée sur le droit public, à un central d’appel unique dont l’exploitation a été concédée à un organisme privé (T.__ Sàrl) par l’autorité compétente. Que le caractère obligatoire de cette affiliation trouve appui sur la réglementation communale n’a cependant pas une portée décisive sur le point de savoir si B.__ exerce une activité dépendante ou indépendante lorsqu’il effectue des courses transmises par ce central. Pour répondre à cette question, il faut déterminer si les circonstances de fait dans lesquelles se déroulent les relations entre le prénommé et T.__ Sàrl font apparaître des éléments caractéristiques d’un lien de subordination.

Le central d’appel fonctionne sur le principe de la couverture des coûts et n’est pas autorisé à poursuivre un but lucratif (art. 4 al. 2 RCAp). C’est l’ensemble des exploitants de taxis A qui financent l’ensemble de l’infrastructure, dont l’achat et l’entretien du matériel nécessaire, au moyen de leur contribution mensuelle. Quand bien même ce matériel reste juridiquement la propriété de T.__ Sàrl, la charge économique en est assumée par chaque abonné, dont B.__. On ne peut dès lors pas en inférer que ce dernier dispose de l’infrastructure de « l’employeur », ce qui pourrait constituer un élément en faveur d’un lien de dépendance.

Le contrat d’abonnement que B.__ a conclu avec T.__ Sàrl ne comporte aucune obligation pour le prénommé quant à son temps de travail (celui-ci pouvant s’organiser librement), ni ne contient des instructions particulières sur la manière dont il doit se comporter avec la clientèle ainsi que sur l’aspect du véhicule (l’affichage du logo de T.__ Sàrl étant laissé à son libre choix); il n’y a pas d’exigence d’exécuter personnellement les courses transmises (le titulaire d’une autorisation A ayant la liberté d’engager des employés dont il doit simplement communiquer le nom au central pour enregistrement); B.__ a la possibilité de refuser des commandes diffusées par le central et de prendre d’autres clients en direct qui n’ont pas passé par celui-ci. On ne voit donc pas que T.__ Sàrl donnerait au prénommé des instructions sur la manière d’exécuter son activité et exercerait sur lui un contrôle comparable à celui d’un employeur sur ses salariés dans l’exécution de leur travail.

 

Il est vrai que pour pouvoir exercer une activité de chauffeur de taxi avec l’autorisation A dans l’agglomération lausannoise, il ne suffit pas de conclure un contrat d’abonnement avec T.__ Sàrl. L’exercice d’une telle activité est plus largement lié au respect d’un certain nombre de conditions énoncées dans le RIT et les PARIT. Ceux-ci contiennent des prescriptions détaillées en particulier sur les exigences personnelles requises pour conduire professionnellement un taxi et obtenir une autorisation A, sur les conditions auxquelles un véhicule peut être affecté à un service de taxis, sur la tenue et le comportement des conducteurs, ainsi que sur le tarif applicable. Dans la mesure où ce sont les circonstances économiques qui sont déterminantes pour décider de la qualification – indépendante ou salariée – d’une activité dans un cas donné, on pourrait certes se demander si, du fait des nombreuses prescriptions et obligations du RIT et PARIT imposées à l’exploitant de taxi A pour exercer son activité, celui-ci peut encore être considéré comme indépendant quant à l’organisation de son travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, étant précisé que le cadre restrictif rappelé ci-dessus est l’œuvre de l’Association et non pas de T.__ Sàrl qui n’a aucune compétence en la matière. La question de savoir quelle portée il faut donner au point de vue des circonstances économiques lorsqu’on a affaire à des domaines d’activité réglementés par une collectivité publique pour des motifs d’intérêt public et de police peut être laissée ouverte. En effet, il n’y a pas lieu de se déterminer sur cette problématique dès lors qu’elle dépasse le cadre du litige qui est circonscrit par la décision attaquée et qui concerne la relation entre B.__ et T.__ Sàrl et non pas entre le prénommé et l’Association. On peut néanmoins observer que dans l’arrêt RCC 1971 cité précédemment, le Tribunal fédéral des assurances ne voyait aucune contradiction entre la solution adoptée dans le cas de la société en cause qui exploitait un central téléphonique et la situation prévalant alors dans le canton de Zurich où les chauffeurs de taxis rattachés à un central d’appel étaient considérés sous l’angle de l’AVS comme indépendants; à cet égard, la cour fédérale a relevé qu’il était admissible que des obligations soient mises à la charge de bénéficiaires de concessions si l’intérêt public le commandait et que l’existence de prescriptions de droit public (telle par exemple l’obligation pour les pharmaciens d’assurer un service de garde ou de nuit) n’avait pas de portée décisive pour déterminer si une personne exerçant une activité commerciale était indépendante ou avait un statut de salarié.

 

On ne discerne pas d’inégalité de traitement injustifiée entre le cas de T.__ Sàrl et d’autres affaires concernant des centrals d’appel pour taxis. L’élément commun à tous les chauffeurs de taxi qui sont rattachés à un central d’appel est que leur activité est facilitée par le fait que les commandes de clients leur sont transmises par ce central. Mais la qualification du statut en matière d’assurances sociales d’un chauffeur de taxi compte tenu de son rattachement à un central d’appel déterminé ne s’épuise pas dans ce constat et nécessite un examen concret de la situation à l’aune des critères jurisprudentiels rappelés ci-avant.

Dans le présent cas, le rôle attribué à T.__ Sàrl par la réglementation communale se limite à la réception et la diffusion des commandes téléphoniques concernant les taxis A afin d’en assurer la coordination. Les commandes sont transmises au taxi A le plus proche et passées au suivant en cas de refus de course, en assurant une égalité de traitement entre tous les exploitants A. Par ailleurs, T.__ Sàrl n’a aucun droit de regard sur l’exécution des courses et n’a aucun intérêt propre à ce que les exploitants A en fassent le plus possible puisqu’elle a l’interdiction de poursuivre un but lucratif (art. 44 PARIT), que tous les abonnés financent son infrastructure par le biais de la contribution mensuelle, et que ce n’est pas elle qui encaisse les gains des chauffeurs de taxi A et leur verse une compensation pour leur activité. Enfin, T.__ Sàrl est tenue d’admettre tous les exploitants A à titre d’abonnés et ne peut pas résilier elle-même le contrat d’abonnement, ni prendre des sanctions contre eux. En d’autres termes, dans le contexte qui lui a été assigné, elle n’a pas les attributs caractéristiques d’un employeur.

 

Pour le surplus, il peut être renvoyé au considérant pertinent 7h du jugement attaqué en ce qui concerne le critère du risque économique d’entrepreneur et de sa moindre importance par rapport à celui de la dépendance économique et organisationnelle en présence de situations dans lesquelles l’activité n’exige pas, de par sa nature, des investissements importants (voir également l’arrêt 9C_364/2013 du 23 septembre 2013 consid. 2.2 et les références).

 

Le TF rejette le recours de la CNA.

 

 

Arrêt 8C_554/2018 consultable ici

 

 

Coronavirus : mesures supplémentaires en vue de soutenir l’économie [chômage et LPP]

Coronavirus : mesures supplémentaires en vue de soutenir l’économie [chômage et LPP]

 

Communiqué de presse du 25.03.2020 consultable ici

 

Le 25.03.2020, le Conseil fédéral a arrêté de nouvelles mesures visant à atténuer les conséquences économiques de la propagation du coronavirus. Ces dispositions concernent l’obligation de communiquer les postes vacants, l’assurance-chômage, l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail et la prévoyance professionnelle. Les nouvelles mesures en faveur des travailleurs entraîneront des coûts supplémentaires estimés à quelque 600 millions de francs par mois pour l’assurance-chômage.

Les nouvelles mesures visent en particulier à réduire la charge administrative qui pèse à la fois sur les personnes ayant déposé une demande et sur les organes d’exécution des cantons. Ces derniers doivent être en mesure de traiter les demandes d’indemnité dans les meilleurs délais.

  • Pour ce qui a trait à l’obligation de communiquer les postes vacants, cette obligation ainsi que les tâches et obligations dévolues aux employeurs et aux services publics de l’emploi en la matière sont supprimées à titre provisoire de manière à simplifier les procédures de recrutement dans les secteurs, par exemple, de la médecine, de la pharmacie, de l’agriculture ou de la logistique.
  • Sur le front de l’assurance-chômage (AC), les personnes au chômage n’ont plus à produire la preuve de leurs recherches d’emploi. L’assuré doit remettre la preuve de ses recherches d’emploi au plus tard un mois après l’expiration de l’ordonnance 2 COVID-19. La période de contrôle sera calquée sur la durée de validité de ladite ordonnance.
  • Le premier entretien de conseil et de contrôle, qui a lieu après l’inscription auprès de la commune de domicile ou de l’office régional de placement, se déroule provisoirement par téléphone dans les 30 jours qui suivent l’inscription.
  • Pour éviter les arrivées en fin de droits, toutes les ayants droit bénéficient au maximum de 120 indemnités journalières supplémentaires.
  • Le délai-cadre d’indemnisation est prolongé de deux ans, pour autant que l’indemnisation complète ne soit pas possible dans le délai-cadre en cours.
  • Le délai de préavis prévu pour requérir l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail est supprimé.
  • La durée durant laquelle une réduction de l’horaire de travail peut être autorisée, qui est actuellement de 3 mois, est portée à 6 mois, afin de réduire le nombre de demandes et d’accélérer ainsi la procédure d’autorisation.
  • Enfin, l’ordonnance accordant le chômage partiel aux personnes qui occupent une position assimilable à celle d’un employeur est adaptée conformément à la volonté du Conseil fédéral. Comme cela a été récemment communiqué, ces personnes recevront le montant de 3320 francs pour un emploi à plein temps. Il s’agit d’une somme forfaitaire qui ne sera pas réduite.

 

Mesures dans le domaine de la prévoyance professionnelle

Le Conseil fédéral a décidé de permettre temporairement aux employeurs de recourir, pour le paiement des cotisations LPP des salariés, aux réserves de cotisations qu’ils ont constituées. Cette mesure vise à aider les employeurs à surmonter des manques de liquidités. Elle n’a pas d’effets négatifs pour les salariés : l’employeur continue de prélever normalement la part de cotisations des employés sur leur salaire et l’institution de prévoyance crédite en faveur de ces derniers l’ensemble des cotisations.

 

 

Communiqué de presse du 25.03.2020 consultable ici

Ordonnance sur les mesures concernant l’obligation d’annoncer les postes vacants en lien avec le coronavirus (Ordonnance COVID-19 obligation d’annoncer les postes vacants) publié au RO 2020 1071

Ordonnance sur l’utilisation de réserves de cotisations d’employeur pour le paiement des cotisations des salariés à la prévoyance professionnelle en relation avec le coronavirus (Ordonnance prévoyance professionnelle COVID-19) publié au RO 2020 1073

Ordonnance sur les mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le coronavirus (COVID-19) (Ordonnance COVID-19 assurance-chômage) publié au RO 2020 1075