Archives par mot-clé : Notion de l’incapacité de gain

8C_96/2021 (f) du 27.05.2021 – Evaluation de la capacité de travail exigible – 6 LPGA / Rapport du médecin-traitant fondé sur les douleurs de l’assurée – Evaluation de l’incapacité de gain (invalidité) – 7 LPGA – 8 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_96/2021 (f) du 27.05.2021

 

Consultable ici

 

Evaluation de la capacité de travail exigible / 6 LPGA

Rapport du médecin-traitant fondé sur les douleurs de l’assurée

Evaluation de l’incapacité de gain (invalidité) / 7 LPGA – 8 LPGA

 

Assurée, née en 1970, employée depuis le 09.10.2010 comme ouvrière polyvalente, victime d’une chute dans un escalier le 03.01.2017, entraînant une fracture-luxation trimalléolaire de la cheville gauche. Dépôt de la demande AI le 09.10.2017.

Après avoir pris connaissance du dossier de l’assurance-accidents, notamment du rapport de sortie de la Clinique de réadaptation et du rapport d’examen final du médecin-conseil, l’office AI a rendu un projet de décision refusant à l’assurée le droit à des prestations de l’assurance-invalidité (rente d’invalidité et mesures de reclassement). Les objections formulées par l’assurée n’ont pas permis à l’administration de revenir sur sa position, de sorte que le projet a été confirmé par décision.

Entre-temps, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations avec effet au 30.06.2018 et a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité, lui reconnaissant cependant le droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 61/19 – 405/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a reconnu une pleine valeur probante au rapport d’examen final du médecin-conseil de l’assurance-accidents ainsi qu’au rapport de sortie de la Clinique de réadaptation, dont il ressortait que la capacité de travail résiduelle de l’assurée était de 100% dans une activité adaptée, c’est-à-dire une activité permettant d’éviter la marche prolongée, en particulier en terrain irrégulier, les montées et descentes répétitives d’escaliers, la position accroupie prolongée et le port de charge supérieur à un port de charge léger entre 5 et 10 kg.

Constatant que l’assurée n’avait soulevé aucun grief s’agissant de la comparaison des revenus et de l’évaluation du taux d’invalidité, les juges cantonaux ont confirmé le calcul auquel avait procédé l’office AI, en précisant pour le revenu d’invalide que même s’il fallait admettre un abattement de 10%, cela ne conduirait manifestement pas à un taux d’invalidité ouvrant droit aux prestations litigieuses.

 

Par jugement du 10.12.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Evaluation de la(l’) (in)capacité de travail

L’assurée fait d’abord valoir qu’elle aurait de la peine à travailler, même en position assise, ce qui serait confirmé par le rapport des ateliers professionnels de la Clinique de réadaptation. Ce faisant, elle ne parvient pas à démontrer que la juridiction cantonale aurait fait preuve d’arbitraire dans l’établissement des faits ou dans l’appréciation des preuves. En effet, on rappellera que la capacité de travail est une question qui doit être évaluée en premier lieu par un médecin (cf. ATF 140 V 193 consid. 3.2). Le rôle de celui-ci est d’indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités la personne assurée est incapable de travailler, en se fondant sur des constatations médicales et objectives, soit des observations cliniques qui ne dépendent pas uniquement des déclarations de l’intéressé, mais sont confirmées par le résultat des examens cliniques et paracliniques (MARGIT MOSER-SZELESS in: Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales [Dupont/Moser-Szeless éd.], 2018, n° 24 ad art. 6 LPGA). Dans ces conditions, c’est sans tomber dans l’arbitraire que la cour cantonale a déterminé la capacité de travail résiduelle de l’assurée en se référant au rapport du médecin-conseil de l’assurance-accidents. Celui-ci a retenu une pleine capacité de travail de l’assurée dans une activité adaptée, en précisant que si une impossibilité de reprendre l’activité habituelle avait été admise à la Clinique de réadaptation, cela résultait essentiellement de facteurs non médicaux.

 

Rapport du médecin-traitant fondé sur les douleurs de l’assurée

Contrairement à l’allégation de l’assurée, le médecin-traitant, spécialiste FMH en médecine interne générale, n’a pas indiqué dans son rapport qu’une activité adaptée serait uniquement envisageable à temps partiel. Il a seulement relevé qu’une telle activité ne pouvait pas d’emblée être exercée à plein temps. Or, dans la mesure où ce praticien n’explique pas pour quel motif un temps d’adaptation serait indispensable pour que l’assurée puisse exercer une activité adaptée ne nécessitant pas de manière accrue la sollicitation de la cheville gauche, c’est sans arbitraire que la cour cantonale n’a pas tenu compte de cette remarque. S’agissant de la détermination de ce médecin, produite en cours de procédure cantonale, dans laquelle il atteste désormais une incapacité de travail totale dans toute activité, force est de constater que ses conclusions n’emportent pas la conviction. Outre le fait qu’il est admis de jurisprudence constante que le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l’unit à ce dernier (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc), on relèvera qu’il s’est essentiellement fondé sur les douleurs de l’assurée et n’a pas mis en évidence un élément objectif nouveau par rapport à l’examen final du médecin-conseil de l’assurance-accidents.

Quant au rapport du 4 septembre 2019 du Prof. E.__ et de la doctoresse F.__, respectivement médecin chef et médecin associée au Département de l’appareil locomoteur du Service d’orthopédie et traumatologie de l’Hôpital G.__, duquel il ressort que l’assurée n’est plus en mesure d’exercer son ancien métier il n’est pas pertinent pour la question litigieuse. En effet, le droit à une rente d’invalidité présuppose une diminution totale ou partielle des possibilités de gain de la personne assurée sur le marché du travail équilibré qu’entre en considération (art. 7 al. 1 et 8 al. 1 LPGA). Or, comme on l’a vu, les juges cantonaux ont constaté que l’assurée avait une capacité de travail résiduelle de 100% dans une activité adaptée. C’est aussi en conformité avec le droit fédéral qu’ils ont évalué l’existence d’une invalidité potentielle en tenant compte de toutes les possibilités de gain de l’assurée sur un marché de travail équilibré.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_96/2021 consultable ici

 

Cf. arrêt 8C_95/2021 du 27.05.2021 pour le volet AA du dossier.

 

 

8C_450/2020 (d) du 15.09.2020 – Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA – 16 LPGA / Analyse comptable – Revenu sans invalidité – Revenu d’invalide

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_450/2020 (d) du 15.09.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA / 16 LPGA

Analyse comptable – Revenu sans invalidité – Revenu d’invalide

 

Assuré, né en 1949, est le seul membre du conseil d’administration et l’unique actionnaire du bureau d’ingénieurs B.__ SA. Il travaille également pour l’entreprise en tant qu’employé. Le 03.11.2012, son index et son majeur droits se sont coincés dans la tondeuse à gazon, sectionnant une partie desdits doigts.

Par courrier du 19.09.2016, l’assurance-accidents a informé l’assuré que, selon un examen médical, aucun autre traitement n’était nécessaire, raison pour laquelle elle a mis fin aux prestations précédentes à compter du 31.10.2016. Par décision du 27.01.2017, confirmée sur opposition le 27.09.2018, l’assurance-accidents a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité, motif pris qu’il n’y avait pas d’atteinte significative à la capacité de gain à la suite de l’accident. Toutefois, elle a accordé à l’assuré une IPAI de 7,5%.

 

Procédure cantonale

Le tribunal cantonal a déterminé le revenu sans invalidité sur la base des inscriptions au compte individuel (CI), en prenant la moyenne des cinq dernières années avant l’accident (2007-2011). L’année d’accident 2012 n’a pas été prise en compte, car l’assuré n’avait pas travaillé à 100% cette année-là en raison d’une incapacité totale de travail à partir de la date de l’accident. En outre, lui seul avait pu déterminer quel salaire il réglerait avec la caisse de compensation, de sorte que des considérations ou réflexions de techniques d’assurance ne pouvaient être exclues. En tout état de cause, la raison pour laquelle les documents comptables font apparaître un salaire brut de CHF 106’300 pour 2012, alors qu’un salaire brut de CHF 135’300 avait été enregistré dans le CI, n’est pas claire. Sur la base des inscriptions pour les années 2007 à 2011, la cour cantonale a calculé – en tenant compte de l’évolution nominale des salaires – un revenu de CHF 99’984,32 (valeur 2016). Les juges cantonaux ont également souligné que même si l’on prenait en compte les trois dernières années (CHF 103’984,51) ou même seulement la dernière année avant l’accident (CHF 130’485,75), cela n’entraînerait pas un degré d’invalidité justifiant une rente.

Pour déterminer le revenu d’invalide, le tribunal cantonal a pris en compte les revenus enregistrés au CI pour les années 2013 à 2016, en ajoutant aux revenus individuels les paiements de dividendes dépassant 10% de la valeur fiscale de l’entreprise – par analogie à la « Nidwaldner Praxis » développée dans la jurisprudence sur les cotisations AVS (cf. ATF 134 V 297) – et en indexant les résultats respectifs à l’évolution nominale des salaires jusqu’en 2016. Le revenu d’invalide moyen (2013-2016) est de CHF 156’856,94.

Par jugement du 02.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le tribunal cantonal a considéré que l’assuré était le seul directeur général, le seul membre du conseil d’administration et le seul employé du bureau d’ingénieurs B.__ SA. Il était habilité à disposer du capital de la société et à prendre seul toutes les décisions concernant la société. Par conséquent, bien qu’il soit officiellement un employé de la société anonyme, il est assimilé à un travailleur indépendant au regard de la législation sur la sécurité sociale. Ceci n’est à juste titre remis en cause par aucune partie (voir SVR 2019 UV n° 3 p. 9, 8C_121/2017 consid. 7.1 et les références ; arrêts 8C_202/2019 du 9 mars 2020 consid. 3.3 ; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.2).

 

Revenu d’invalide

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Si l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et encore que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 143 V 295 consid. 2.2 p. 296 ; 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475 ; 126 V 75 consid. 3b/aa p. 76).

Dans le cas présent, il n’est pas contesté que le revenu d’invalide doit être déterminé sur la base de la situation professionnelle concrète.

Dans la mesure où l’assuré veut considérer, comme étant décisif pour la détermination du revenu d’invalide, uniquement le revenu gagné en 2016 selon l’inscription au compte individuel (CHF 51’036) en ajoutant les indemnités journalières LAA perçues cette année-là (CHF 16’851,25), il faut lui opposer qu’en tant qu’unique actionnaire et unique membre du conseil d’administration de la société, il a une influence déterminante sur la répartition du salaire/part des bénéfices. Par conséquent, la détermination du degré d’invalidité ne peut pas être basée uniquement sur l’extrait du compte individuel (cf. arrêt 8C_346/2012 du 24 août 2012 consid. 4.6). Outre le risque évident que le degré de l’incapacité de gain lui-même puisse être influencé, une telle approche créerait une nette inégalité de traitement par rapport aux travailleurs indépendants (propriétaires d’une entreprise individuelle) qui n’ont pas la possibilité de thésauriser/capitaliser les bénéfices (« Gewinne zu horten ») via des entités juridiques intermédiaires ou de les distribuer sous forme de dividendes. Il n’est donc pas contestable que le tribunal cantonal ait également pris en compte les bénéfices réalisés par le bureau d’ingénieurs B.__ SA pour déterminer le revenu d’invalide, d’autant plus que ceux-ci sont principalement imputables au travail de l’assuré et – compte tenu des circonstances économiques – doivent lui être attribués en tant qu’indépendant de fait. À cet égard, il n’est pas différent du cas d’un assuré non salarié qui est propriétaire d’une entreprise individuelle (cf. SVR 2019 UV n° 3 p. 9, 8C_121/2017 consid. 7.1 et 7.8 et les références ; arrêts 8C_928/2015 du 19 avril 2016 consid. 2.3.4 ; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.2 ; I 185/02 du 29 janvier 2003 consid. 3.3). Dans la mesure où le grief est dirigé contre la « Nidwaldner Praxis » appliquée par l’instance cantonale, l’assuré passe donc à côté de l’essentiel.

Les documents comptables de l’entreprise B.__ SA montrent qu’après l’accident de l’assuré en 2012, la société a réalisé des bénéfices au cours des années suivantes, de 2013 à 2016, à hauteur de CHF 148’301,85 (2013), CHF 228’086,64 (2014), CHF 168’215,21 (2015) et CHF 154 508,12 (2016). En 2013 et 2014, des montants de CHF 11’500 (2013) et CHF 5’000 (2014) ont été affectés à la réserve légale (voir dans ce contexte l’arrêt I 5/99 du 18 janvier 2000 consid. 3b/bb). En outre, des salaires bruts d’un montant de CHF 111’200 (2013), CHF 98’400 (2014), CHF 98’400 (2015) et CHF 96’868,80 (2016) ont été enregistrés dans les comptes, étant établi que l’entreprise B.__ SA n’emploie aucun autre employé que l’assuré. Même si la totalité du bénéfice de l’entreprise ne pouvait être prise en compte dans le revenu d’invalide, une perte de revenus pertinente due à l’accident en 2012 n’est pas discernable au vu des chiffres susmentionnés.

Il est vrai que les circonstances au moment de la naissance du droit à la rente sont déterminantes et que les revenus à comparer doivent être déterminés sur une base identique (ATF 129 V 222 consid. 4.3.1 p. 224). Toutefois, cela n’exclut pas, dans un cas particulier, de fonder la détermination du revenu d’invalide – de la même manière que pour le revenu sans invalidité (cf. arrêt 9C_651/2019 du 18 février 2020 consid. 6.2) – sur les revenus moyens réalisés pendant une période plus longue (arrêts 8C_228/2020 du 28 mai 2020 consid. 4.1.3 ; 8C_121/2017 du 5 juillet 2018 consid. 7.8 ; 9C_812/2015 du 7 juillet 2016 consid. 5.2 ; 9C_479/2015 du 22 décembre 2015 consid. 4.1).

 

Revenu sans invalidité

Dans son rapport daté du 17 août 2016, l’expert-comptable mandaté par l’assurance-accidents a déclaré que la société d’ingénierie dépendait des prestations de l’assuré. Par conséquent, la baisse de rendement se répercuterait principalement sur les postes du résultat d’exploitation (revenus), du travail fourni par des tiers et des dépenses de personnel. L’analyse a montré une forte augmentation du résultat d’exploitation au cours de l’exercice 2007. Les années suivantes, les résultats d’exploitation avaient encore diminué jusqu’à l’exercice 2010. Une augmentation marquée et ponctuelle a été à nouveau perceptible au cours de l’exercice 2011. Au cours des deux années suivantes, les résultats d’exploitation ont de nouveau diminué de manière constante avant d’augmenter à nouveau au cours de l’exercice 2014. L’expert-comptable a souligné que le résultat d’exploitation de l’exercice 2014 était le deuxième meilleur résultat de la période considérée. Il a également souligné que la société travaillait avec des indépendants pour gérer les pics de travail. Au cours de l’exercice 2014, les dépenses consacrées aux travaux fournis par des tiers ont augmenté à la fois en termes absolus et en proportion des résultats d’exploitation. Cependant, une comparaison sur plusieurs années a montré que les dépenses se situaient dans la fourchette atteinte avant l’accident. L’expert-comptable a conclu qu’aucune perte liée à un accident ne pouvait être déduite des chiffres de l’entreprise.

Selon le Tribunal fédéral, les documents comptables pour les années 2015 et 2016 montrent que des bénéfices élevés ont également été réalisés au cours de ces années – même en tenant compte de l’augmentation de la part des travaux de tiers. Dans le passé, de meilleurs résultats d’exploitation n’ont été obtenus qu’en 2011 et en 2012, année de l’accident. Contrairement aux allégations de l’assuré, une baisse marquée des commandes n’est pas évidente dans les années 2015 et 2016. Ainsi, au cours de ces années, le montant des honoraires se sont élevés à CHF 604’625,50 (2015) et CHF 506’510,50 (2016), ce qui représente une diminution par rapport à l’année la plus fructueuse à ce jour, à savoir 2011. Toutefois, le montant des honoraires est sensiblement plus élevé que celui de 2004 à 2010 et est comparable à celui de 2012 à 2014, de sorte que l’analyse économique/comptable reste tout à fait pertinente pour les questions dont il est question ici.

Ensuite, contrairement à ce qui est indiqué dans le recours, ce n’est pas le résultat opérationnel 1 [« Betriebsergebnis 1 »] (bénéfice brut 1 moins les charges de personnel et d’exploitation) des années 2004 à 2012 qui s’est élevé en moyenne à CHF 393’729,68, mais le bénéfice brut 1 (résultat d’exploitation [« Betriebsertrag »] moins le travail de tiers).

En comparaison, le bénéfice brut 1 moyen pour les années 2013 à 2017 s’élève à CHF 415’381,00. L’assuré n’est pas non plus en mesure de tirer quelque chose en sa faveur de cette comparaison. En outre, il n’y a pas d’éléments concrets indiquant que les travaux effectués avant l’accident n’auraient pas été comptabilisés dans l’exercice concerné. Enfin, l’assuré ne prouve pas que le développement de l’entreprise aurait été économiquement bien meilleur sans les atteintes à la santé.

A l’aune de ce qui précède, c’est à bon droit que la cour cantonale a (également) nié une incapacité de gain liée à l’accident, sur la base de l’analyse des résultats d’exploitation de l’entreprise B.__ SA et au vu des documents comptables des années 2015 et 2016.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_450/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_450/2020 (d) du 15.09.2020 – Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/01/8c_450-2020)

 

9C_618/2019 (f) du 16.03.2020 – Evaluation des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives – Trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline – 6 LPGA – 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA / Evaluation des troubles psychiques selon 141 V 281 et 145 V 215 / Obligation de diminuer le dommage – 7 al. 1 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 (f) du 16.03.2020

 

NB : nous n’avons pas voulu trop résumer l’arrêt, qui aborde dans le détail la problématique. Cet arrêt (en français) reprend les notions développées dans les ATF 141 V 281 et 145 V 215 (en allemand).

 

Consultable ici

 

Incapacité de travail et de gain – Evaluation des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives – Trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline / 6 LPGA – 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA

Pertinence des diagnostics posés par le médecin-expert – 43 LPGA

Evaluation des troubles psychiques selon 141 V 281 et 145 V 215

Obligation de diminuer le dommage – Traitement psychothérapeutique et sevrage dans le cadre d’une hospitalisation de longue durée (six à douze mois) suivie d’un accompagnement ambulatoire post-cure raisonnablement exigibles / 7 al. 1 LAI

 

Assuré, né en 1978, responsable des risques (Risk Officer) dans un établissement bancaire. Arguant souffrir depuis le mois d’octobre 2011 des suites d’une dépression et d’un burn out, il a déposé une demande de prestations auprès de l’office AI le 02.06.2014. Les rapports de travail ont pris fin le 30.06.2014.

Entre autres mesures d’instruction, l’administration a recueilli l’avis des médecins traitants, dont celui de la psychiatre traitant. En septembre 2014, cette dernière a diagnostiqué un état dépressif sévère, un trouble mixte de la personnalité ainsi que des troubles mentaux et du comportement liés notamment à l’utilisation (en cours) de cocaïne. Elle a estimé que l’assuré ne pouvait plus assumer ses anciennes responsabilités mais que des mesures de réadaptation associées à un traitement médical approprié devraient lui permettre de reprendre une activité adaptée à 50 voire 100%. En mars 2015, elle a par la suite attesté une évolution thymique positive (l’épisode dépressif était léger) mais la persistance des symptômes du trouble de la personnalité.

L’office AI a accordé à l’intéressé des mesures d’ordre professionnel. Il a ainsi pris en charge les frais d’un stage (de chargé de partenariats et de « fundraising » pour une fondation) avec mesure d’accompagnement durant ce stage et d’un réentraînement au travail aussi avec accompagnement.

L’assuré ayant produit des certificats d’arrêt de travail pendant son dernier stage, l’administration a recueilli des informations complémentaires auprès du psychiatre traitant. En février 2017, celui-ci a annoncé une détérioration de l’état de santé de son patient en lien avec la consommation de toxiques. Outre un épisode dépressif léger à moyen et un trouble mixte de la personnalité, il a attesté l’existence de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation (en cours) de cocaïne, d’alcool et de cannabis. Il a conclu à une incapacité totale de travail dans toute activité depuis quatre mois environ. L’office AI a en outre mandaté un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie pour une expertise. Dans son rapport du 04.10.2017, il a considéré que les troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de cocaïne, d’alcool et de cannabis, syndromes de dépendance, utilisation continue, découlaient d’un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline, rendaient illusoire toute mesure de réadaptation ou de réinsertion dans le domaine bancaire mais permettaient d’envisager la reprise d’une activité adaptée à 100% dans un environnement peu stressant à condition que l’état clinique fût stabilisé par la mise en œuvre d’un traitement (hospitalier/ambulatoire) de six à douze mois. Il a également diagnostiqué une dysthymie et des traits de personnalité narcissique sans répercussion sur la capacité de travail.

Se référant à un avis du médecin de son Service médical régional (SMR), l’administration a refusé d’accorder d’autres mesures d’ordre professionnel à l’intéressé et nié son droit à une rente au motif qu’il ne présentait pas d’affections ressortissant à l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/689/2019 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont considéré que les diagnostics et conclusions du médecin-expert étaient insuffisamment précis et motivés. Citant la définition du trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline selon la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-10, 10ème révision), ils ont inféré du rapport d’expertise que les éléments fondant ce diagnostic n’étaient en l’occurrence pas remplis de sorte que celui-ci ne pouvait être admis ni, par conséquent, le caractère secondaire des syndromes de dépendance. Ils ont en outre relevé que le médecin-expert ne s’était exprimé ni sur la gravité du trouble ni sur sa décompensation et semblait lier l’augmentation de la consommation de drogue à l’épisode dépressif de 2014. Ils ont également procédé à l’examen du trouble de la personnalité ainsi que des syndromes de dépendance à l’aune des indicateurs développés par la jurisprudence. Ils ont nié le caractère invalidant de ces atteintes à la santé au motif que l’assuré n’avait pas été empêché de mener une carrière professionnelle normale durant de nombreuses années, qu’il refusait de suivre un traitement approprié alors même que les médecins traitants admettaient l’exigibilité d’un sevrage, que les pathologies retenues avaient peu d’impact sur sa vie sociale et qu’il n’avait pas exploité toutes les possibilités de réadaptation offertes.

Par jugement du 06.08.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Il appartient aux médecins d’évaluer l’état de santé d’un assuré (c’est-à-dire, de procéder aux constatations nécessaires en effectuant des examens médicaux appropriés, de tenir compte des plaintes de l’intéressé et de poser les diagnostics). En particulier, poser un diagnostic relève de la tâche exclusive des médecins. Il leur appartient aussi de décrire l’incidence de ou des atteintes à la santé constatées sur la capacité de travail. Leur compétence ne va cependant pas jusqu’à trancher définitivement cette question mais consiste à motiver aussi substantiellement que possible leur point de vue, qui constitue un élément important de l’appréciation juridique visant à évaluer quels travaux sont encore exigibles de l’assuré. Il revient en effet aux organes chargés de l’application du droit (soit à l’administration ou au tribunal en cas de litige) de procéder à l’appréciation définitive de la capacité de travail de l’intéressé (ATF 140 V 193 consid. 3.2 p. 195 s.).

On ajoutera que l’évaluation de la capacité de travail par un médecin psychiatre est soumise à un contrôle (libre) des organes chargés de l’application du droit à la lumière de l’ATF 141 V 281 (ATF 145 V 361 consid. 4.3 p. 367), dont les principes ont ultérieurement été étendus à l’ensemble des troubles psychiques ou psychosomatiques (cf. ATF 143 V 409 et 418; ATF 145 V 215).

Comme pour les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), les troubles dépressifs (ATF 143 V 409) et les autres troubles psychiques (ATF 143 V 418), le point de départ de l’évaluation des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives (cf. ATF 145 V 215) est l’ensemble des constatations médicales qui ont été faites par l’expert psychiatre et lui ont permis de poser un diagnostic reposant sur les critères d’un système reconnu de classification (ATF 141 V 281 consid. 2.1 p. 285). L’expert doit motiver le diagnostic de telle manière que l’autorité chargée de l’application du droit soit en mesure de comprendre non seulement si les critères de la classification sont effectivement remplis (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1 p. 285 s.) mais également si la pathologie diagnostiquée présente un degré de gravité susceptible d’occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante (ATF 141 V 281 consid. 2.1.2 p. 286 s.). A ce stade, ladite autorité doit encore s’assurer que l’atteinte à la santé résiste aux motifs d’exclusion (ATF 141 V 281 consid. 2.2 p. 287), tels que l’exagération des symptômes ou d’autres manifestations analogues (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 p. 287 s.), qui conduiraient d’emblée à nier le droit à la rente (ATF 141 V 281 consid. 2.2.2 p. 288).

 

Les diagnostics posés par le médecin-expert et les constatations médicales y relatives ont été motivés conformément aux exigences de la jurisprudence.

Tout d’abord, les troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de cocaïne, d’alcool et de dérivés du cannabis, syndromes de dépendance, utilisation continue, reposent sur la CIM-10 (F 14.25, F 12.25 et F 10.25 de la CIM-10). Ces troubles ne nécessitent pas d’explication ou d’étayage particulier, du moins à ce stade. L’expert a constaté l’ampleur de la consommation de l’assuré, en cours à l’époque de son examen, de plusieurs psychotropes à l’origine de syndromes de dépendance qui interféraient non seulement avec l’exercice d’une activité lucrative mais aussi avec celui du droit de visite sur les enfants.

C’est le lieu de relever que le diagnostic de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives, assorti du codage supplémentaire « syndrome de dépendance » (quatrième chiffre « .2 » des diagnostics F10-F19 de la CIM-10) ne comprend pas en tant que tel un critère de gravité inhérent au diagnostic (comme c’est le cas, par exemple, du diagnostic de trouble somatoforme douloureux persistant [F45.40 de la CIM-10]; à ce sujet, ATF 141 V 281 consid. 2.1.1 p. 286). Il n’est pas caractérisé par des limitations concrètes (p. ex., pour les degrés de dépression [F32.- de la CIM-10], « réduction de l’énergie et diminution de l’activité ou diminution de l’aptitude à se concentrer ») dont on pourrait tirer directement un degré de gravité. Un « ensemble de phénomènes comportementaux, cognitifs et physiologiques survenant à la suite d’une consommation répétée d’une substance psychoactive, typiquement associés à un désir puissant de prendre de la drogue, à une difficulté à contrôler la consommation, à une poursuite de la consommation malgré des conséquences nocives, à un désinvestissement progressif des autres activités et obligations au profit de la consommation de cette drogue, à une tolérance accrue, et, parfois, à un syndrome de sevrage physique » (.2 Syndrome de dépendance [CIM-10]) ne comprend qu’indirectement des éléments susceptibles de fonder une limitation des capacités fonctionnelles, déterminante pour évaluer la capacité de travail: ainsi, la difficulté à contrôler la consommation ou le désinvestissement progressif des autres activités et obligations. Le degré de gravité du diagnostic en cause, en tant qu’élément déterminant sous l’angle juridique, n’apparaît dès lors qu’en lien avec les répercussions fonctionnelles concrètes qu’entraîne l’atteinte à la santé (cf. ATF 143 V 418 consid. 5.2.2 p. 425).

En ce qui concerne ensuite le diagnostic du trouble de la personnalité, on ne saurait suivre la juridiction cantonale lorsqu’elle en nie la pertinence. Contrairement à ce qu’elle a retenu, le diagnostic de trouble de la personnalité a suffisamment été motivé par l’expert psychiatre. Celui-ci ne s’est pas borné à qualifier cette affection de « grave » dans le chapitre relatif au traitement exigible mais en a évoqué les critères diagnostiques dans plusieurs pages de son rapport d’expertise. Il l’a fait en termes clairs et non en utilisant des « notions psychanalytiques […] difficilement accessibles aux profanes ». Il a ainsi extrait de l’anamnèse (familiale, personnelle, professionnelle et médicale), des plaintes exprimées par l’assuré, des renseignements obtenus auprès des médecins traitants ou du status clinique au moment de l’expertise des événements de vie précis qui mettaient en évidence de nombreux éléments ou traits de caractère justifiant le diagnostic de trouble de la personnalité, qu’il a qualifié de grave. Il convient dès lors de prendre également en compte ce trouble pour une évaluation dans son ensemble de la situation de l’assuré sous l’angle psychique.

 

Les indicateurs standards devant être pris en considération en général sont classés d’après leurs caractéristiques communes (sur les catégories et complexes d’indicateurs, cf. ATF 141 V 281 consid. 4.1.3 p. 297 s.). Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 p. 298).

Concernant le complexe « atteinte à la santé » (ATF 141 V 281 consid. 4.3 p. 298 ss), la juridiction cantonale s’est limitée à retenir que le trouble de la personnalité (allégué) et les syndromes de dépendance n’avaient pas entravé l’assuré dans sa vie professionnelle durant de nombreuses années, qu’il refusait de se soumettre à un traitement approprié et que la comorbidité que représentait le trouble de la personnalité apparaissait clairement au second plan. Ce raisonnement succinct ne suffit toutefois pas pour une évaluation conforme au droit.

Le fait d’avoir été en mesure d’exercer une activité lucrative pendant quatorze ans sans problème majeur est un élément important à prendre en considération dans l’évolution de la situation médicale de l’assuré. Il est toutefois arbitraire d’en déduire – comme l’a fait la juridiction cantonale – une absence de gravité des atteintes à la santé. Une telle déduction, fondée exclusivement sur la situation antérieure à la fin de l’année 2016, méconnaît totalement la problématique de la décompensation du trouble de la personnalité consécutive à des événements de vie marquants et la perte de contrôle de la consommation de psychotropes survenues à la fin de l’année 2016 et au début de l’année 2017, mises en évidence par la psychiatre traitant et confirmées par le médecin-expert. Ainsi, l’expert a repris la description d’une personne qui avait augmenté de manière importante la consommation de substances psychoactives en été 2016, à la suite d’une aggravation de l’état psychique liée à la séparation conjugale et de conflits qui en ont résulté.

Les nombreux éléments constatés par l’expert psychiatre lui ont en outre permis de mettre en évidence les interactions entre les affections diagnostiquées ainsi que les conséquences de ces interactions sur la capacité de l’assuré à exploiter ses ressources personnelles.

Le médecin-expert a ainsi retenu que la fragilité de la personnalité de l’assuré avait favorisé une consommation abusive d’alcool, de cannabis et de cocaïne ou que la dépendance aux substances psychoactives s’était installée de manière secondaire au trouble de la personnalité. Il a également déclaré que nombre des symptômes du trouble de la personnalité perturbait l’engagement de l’assuré dans les démarches thérapeutiques ou de réadaptation. L’humeur plus ou moins fortement dépressive en fonction des difficultés rencontrées (divorce, licenciement, etc.) et les traits de personnalité narcissique contribuaient aussi à l’entretien de la consommation d’alcool et de drogue. L’expert a par ailleurs fait état d’une inconsistance de l’investissement relationnel perturbant l’instauration de rapports professionnels stables et persistants, d’une limitation du seuil de tolérance à la frustration, ainsi qu’une vulnérabilité au stress, aux pressions temporelles et aux enjeux relationnels; le fonctionnement perturbé de l’assuré entraînait des difficultés d’organisation, d’autodiscipline et du sens du devoir. Cette analyse, prenant en considération les affections concomitantes aux syndromes de dépendance (y compris la dysthymie et les traits de personnalité narcissique), démontre dès lors l’existence au moment de l’expertise de plusieurs facteurs d’affaiblissement des ressources dont dispose l’assuré pour faire face à sa toxicomanie et de limitation de la capacité fonctionnelle. Le trouble de la personnalité « [n’]apparaît [donc pas] clairement au second plan », au contraire de ce qu’ont retenu les juges cantonaux sans plus ample motivation, mais doit être considéré comme une atteinte participant à la gravité des syndromes de dépendance.

 

Le déroulement et l’issue d’un traitement médical sont en règle générale aussi d’importants indicateurs concernant le degré de gravité du trouble psychique évalué. Il en va de même du déroulement et de l’issue d’une mesure de réadaptation professionnelle. Ainsi, l’échec définitif d’une thérapie médicalement indiquée et réalisée selon les règles de l’art de même que l’échec d’une mesure de réadaptation – malgré une coopération optimale de l’assuré – sont en principe considérés comme des indices sérieux d’une atteinte invalidante à la santé. A l’inverse, le défaut de coopération optimale conduit plutôt à nier le caractère invalidant du trouble en question. Le résultat de l’appréciation dépend toutefois de l’ensemble des circonstances individuelles du cas d’espèce (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2 p. 299 s. et les références).

Au regard de la constatation de la juridiction cantonale sur le refus de l’assuré de se soumettre à une thérapie menée dans les règles de l’art, il convient de mettre en lumière une situation plus nuancée. Certes, le médecin-expert mentionne de nombreux éléments pouvant être interprétés comme un manque de collaboration de la part de l’assuré ou considérés comme autant d’indices atténuant le caractère de gravité des syndromes de dépendance. L’expert psychiatre évoque de surcroît l’existence d’options thérapeutiques sérieuses permettant d’envisager la reprise d’une activité lucrative.

Cependant, il apparaît également à la lecture du rapport d’expertise que les comorbidités psychiatriques ont joué un rôle non négligeable dans l’entrave du bon déroulement et du succès des traitements, influençant de manière significative la volonté de l’assuré.

Dans ces circonstances, le refus de l’assuré de se soumettre à des traitements appropriés ou l’échec des traitements entrepris ainsi que le défaut d’exploitation adéquate des possibilités de réadaptation offertes ne sauraient être considérés comme un indice du peu de gravité du diagnostic retenu comme l’a affirmé la juridiction cantonale. Au contraire, les conclusions de l’expert à cet égard – qui, pour la première fois, montre la complexité d’une situation qui n’est certes pas figée mais dont la résolution nécessite la mise en œuvre de moyens importants de la part de l’assuré – justifient de retenir des indicateurs en faveur du degré de gravité des atteintes psychiques, temporairement du moins.

A propos du complexe « personnalité » (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2 p. 302), il a déjà été abordé précédemment en relation avec les diagnostics en cause ainsi que l’échec des traitements et de la réadaptation professionnelle. Il suffit de rappeler que d’après l’expert psychiatre, l’intensité avec laquelle se sont exprimés et s’exprimaient encore les symptômes du trouble de la personnalité associés aux symptômes des traits de personnalité narcissique avait clairement entretenu la consommation d’alcool et de drogue et amoindri tout aussi clairement la capacité de l’assuré à s’investir pleinement dans le sevrage de ses toxicomanies. Le médecin-expert n’a cependant pas considéré que la situation était définitivement figée mais qu’une longue période de traitement addictologique et psychothérapeutique combiné pourrait permettre la reprise d’une activité lucrative adaptée. Il apparaît dès lors que la personnalité de l’assuré au moment de l’examen influence de manière négative les capacités de l’assuré.

S’agissant du complexe « contexte social », dont il est aussi possible de faire des déductions quant aux ressources mobilisables de l’assuré (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 p. 303), le tribunal cantonal a constaté que les atteintes à la santé diagnostiquées n’avaient eu que peu d’incidence sur la vie sociale de l’assuré: celui-ci avait eu deux relations sentimentales depuis la séparation d’avec son épouse et avait indiqué à l’expert psychiatre se consacrer à des loisirs festifs et avoir un important cercle d’amis. Ces constatations sont toutefois manifestement incomplètes et doivent être nuancées. On ne voit d’abord pas en quoi le fait de se consacrer à des loisirs festifs (dans le contexte particulier d’une addiction à la cocaïne) mettrait en évidence un soutien dont l’assuré bénéficierait de manière positive. La circonstance que depuis 2017, il partage apparemment sa vie avec une nouvelle compagne perçue comme une alliée représente en revanche un appui certain. Le fait pour l’assuré de devoir faire contrôler son abstinence à la cocaïne s’il entend exercer le droit de visite sur ses enfants met néanmoins en évidence les répercussions négatives de son atteinte à la santé sur le plan privé, ce dont les premiers juges n’ont pas tenu compte. En définitive, on ne saurait déduire du contexte social que l’assuré dispose de ressources mobilisables de manière décisive.

Reste encore à examiner si les conséquences qui sont tirées de l’analyse des indicateurs de la catégorie « degré de gravité fonctionnel » résistent à l’examen sous l’angle de la catégorie « cohérence » (ATF 141 V 281 consid. 4.4 p. 303 s.). A ce titre, il convient notamment d’examiner si les limitations fonctionnelles se manifestent de la même manière dans la vie professionnelle et dans la vie privée, de comparer les niveaux d’activité sociale avant et après l’atteinte à la santé ou d’analyser la mesure dans laquelle les traitements et les mesures de réadaptation sont mis à profit ou négligés. Dans ce contexte, un comportement incohérent est un indice que les limitations évoquées seraient dues à d’autres raisons qu’une atteinte à la santé.

Or un tel comportement incohérent ne saurait être retenu en l’espèce. Il apparaît effectivement que la décompensation de la consommation d’alcool et de drogues, survenue alors que l’assuré effectuait un stage dans le cadre d’une mesure de réadaptation, a entraîné non seulement une incapacité totale de travail mais aussi des dysfonctionnements dans la vie privée: l’assuré devait faire contrôler son abstinence pour pouvoir exercer son droit de visite sur ses enfants. De surcroît, se consacrer à des loisirs festifs (activité que l’assuré reconnaissait avoir depuis l’âge de seize ans) ne peut servir de seul critère pour juger l’évolution du niveau d’activités sociales avant et après l’atteinte à la santé dans le contexte d’une consommation de psychotropes depuis l’adolescence. Enfin, s’agissant du comportement de l’assuré face aux traitements médicaux et à la réadaptation, il y a lieu de prendre en considération que le refus de se soumettre à des traitements appropriés ou l’échec des traitements entrepris ainsi que le défaut d’exploitation adéquate des possibilités de réadaptation offertes étaient conditionnés par les atteintes psychiques. Il n’y a dès lors pas de raison de penser que les limitations rencontrées par l’assuré dans le domaine professionnel seraient dues à d’autres facteurs que les atteintes à la santé qu’il présente.

En conséquence, en se fondant sur l’expertise, qui permet une évaluation convaincante de la capacité de travail de l’assuré à l’aune des indicateurs déterminants, il convient de constater que l’assuré est atteint de troubles psychiques présentant un degré de gravité certain et entraînant une incapacité totale de travail tant dans la profession exercée jusqu’en juin 2014 que dans une activité adaptée.

 

On ne saurait considérer la situation de l’assuré comme définitivement figée sur le plan médical. L’expert psychiatre atteste l’existence d’une option thérapeutique sérieuse, à savoir la prise en charge combinée du trouble de la personnalité (traitement psychothérapeutique) et des différents syndromes de dépendance (sevrage) dans le cadre d’une hospitalisation de longue durée (six à douze mois) suivie d’un accompagnement ambulatoire post-cure pour permettre la reprise d’une activité lucrative. Par conséquent, il apparaît raisonnablement exigible de l’assuré qu’il entreprenne un tel traitement médical dans le but de réduire la durée et l’étendue de son incapacité de travail au titre de son obligation de diminuer le dommage (art. 7 al. 1 LAI). Il appartiendra à l’office AI d’examiner ce point en fonction de la situation actuelle de l’assuré et, sous réserve d’un changement des circonstances, d’enjoindre à l’assuré de se soumettre au traitement recommandé par le médecin-expert, en procédant à une mise en demeure écrite conformément à l’art. 21 al. 4 LPGA (cf. art. 7b al. 1 en relation avec l’art. 7 al. 2 let. d LAI; voir aussi ATF 145 V 215 consid. 5.3.1 p. 225 s.; arrêt 9C_309/2019 du 7 novembre 2019 consid. 4.2.2 i. f. et les références).

 

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_618/2019 consultable ici

 

 

9C_724/2018 (d) du 11.07.2019, destiné à la publication – Prestations de l’assurance-invalidité en cas de toxicomanie : changement de jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_724/2018 (d) du 11.07.2019, destiné à la publication

 

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 05.08.2019 disponible ici

Arrêt consultable ici

 

Prestations de l’assurance-invalidité en cas de toxicomanie : changement de jurisprudence

 

Le Tribunal fédéral change sa jurisprudence concernant le droit à des prestations de l’assurance-invalidité en cas de toxicomanie. Comme pour toutes les autres maladies psychiques, il convient désormais de clarifier au moyen d’une grille d’évaluation normative et structurée si la dépendance à des substances addictives diagnostiquée par des spécialistes influe sur la capacité de travail de la personne concernée.

 

Selon la jurisprudence constante jusqu’à présent du Tribunal fédéral, les toxicomanies primaires en tant que telles ne justifiaient en principe pas la reconnaissance d’une invalidité au sens de la loi. Une toxicomanie n’était pertinente dans l’assurance-invalidité que lorsqu’elle engendrait une maladie ou occasionnait un accident ou lorsque la dépendance résultait d’une maladie. Cette jurisprudence partait somme toute du principe que la personne dépendante était elle-même responsable de son état et que toute dépendance pouvait sans autre être traitée par un sevrage.

Le Tribunal fédéral parvient dans la présente décision à la conclusion que sa pratique antérieure ne peut plus être maintenue, notamment à la suite d’un examen approfondi des connaissances médicales. Du point de vue médical, une dépendance correspond clairement à un phénomène ayant caractère de maladie. Il s’impose dès lors, comme pour les autres troubles psychiques à l’examen spécifique desquels s’appliquent des critères objectifs, de se poser la question de savoir si la personne concernée peut malgré l’affection diagnostiquée médicalement exercer à plein temps ou à temps partiel une activité (adaptée). C’est pourquoi la jurisprudence développée à ce propos doit être modifiée en ce sens que, dans l’assurance-invalidité, toute pertinence ne puisse plus être d’emblée niée à un syndrome de dépendance ou à un trouble d’utilisation de substances addictives diagnostiqué irréfutablement par des spécialistes. Il s’agit, comme pour toutes les autres maladies psychiques, de déterminer selon une grille d’évaluation normative et structurée (à cet égard, ATF 141 V 281, communiqué de presse du Tribunal fédéral du 17 juin 2015) si, et le cas échéant jusqu’à quel point, un syndrome de dépendance diagnostiqué par des spécialistes influence dans le cas examiné la capacité de travail.

Evidemment, l’obligation de diminuer le dommage s’applique aussi en cas de syndrome de dépendance. Il peut par exemple être exigé de la personne concernée une participation active à des traitements médicaux raisonnables. Si celle-ci ne se conforme pas à son obligation de diminuer le dommage et permet ainsi le développement de son état pathologique, un refus ou une réduction des prestations est possible.

Dans le cas concret, le Tribunal fédéral admet le recours d’un homme dépendant de benzodiazépines et d’opioïdes qui avait vainement requis une rente de l’assurance-invalidité. Le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion que l’expertise psychiatrique réalisée sur la personne concernée, de laquelle résultait une incapacité de travail due à une toxicomanie, remplissait les exigences d’une évaluation normative et structurée. Comme une augmentation progressive de la capacité fonctionnelle par la poursuite du suivi thérapeutique (entre autres avec la délivrance contrôlée d’opioïdes) est exigible après un sevrage progressif des benzodiazépines, sans que cela ne soit cependant possible dans un délai déterminé ainsi que cela a été établi au degré de la vraisemblance prépondérante, le droit à une rente de l’assurance-invalidité est, au préalable, ouvert. Le droit aux prestations de cet homme devra, par voie de révision, être réexaminé par l’office AI en temps opportun après la mise en œuvre de la thérapie.

 

 

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 05.08.2019 disponible ici

Arrêt 9C_724/2018 consultable ici

 

 

4A_367/2016 (f) du 20.03.2017 – Assurance perte de gain – Assurances de sommes vs de dommage / Notion de l’incapacité de gain / Fardeau de la preuve – Preuve de la perte de gain – 8 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_367/2016 (f) du 20.03.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2t1LDSu

 

Assurance perte de gain – Assurances de sommes vs de dommage

Notion de l’incapacité de gain

Fardeau de la preuve – Preuve de la perte de gain – 8 CC

 

Assuré propriétaire, administrateur ou employé de nombreuses sociétés en Suisse et au Liechtenstein. Depuis 1992, il était au bénéfice d’une assurance perte de gain, lui garantissant une rente annuelle en cas d’invalidité. En 1998, il avait également conclu une assurance perte de gain relative à un capital invalidité.

Le 30.11.1998, A.________ Sàrl (preneur d’assurance) a souscrit une assurance invalidité en faveur de l’assuré auprès d’une compagnie d’assurance.

Le 17.09.1999, l’assuré a été victime d’un accident, à la suite duquel il s’est trouvé en incapacité de travail (à 100% jusqu’au 31.01.2000, puis à 75% jusqu’au 08.10.2000, puis à nouveau à 100% jusqu’au 20.10.2000). Un spécialiste FMH en psychiatrie et en neurologie s’est prononcé sur l’état de santé de l’assuré et a conclu qu’en raison des séquelles de l’accident, l’assuré était dans l’incapacité prononcée (80%), voire complète (100%) d’exercer son métier.

Le 16.03.2001, la compagnie d’assurance a invité le preneur d’assurance à lui adresser les documents relatifs à la perte de gain consécutive à l’accident de l’assuré. Sans réponse, elle l’a relancée le 11.06.2001. En été 2001, la compagnie d’assurance a demandé à deux reprises au preneur d’assurance de lui fournir les taxations fiscales pour les périodes 1997-1998 et 1999-2000, la déclaration fiscale 2001 relative aux revenus 1999-2000, ainsi que la comptabilité de la société pour les mêmes années. Ni le preneur d’assurance, ni l’assuré n’ont donné suite à ces demandes. La compagnie d’assurance n’a versé aucune rente à l’assuré depuis le 17.09.2001.

En juillet 2003, l’assurance-invalidité de la Principauté du Liechtenstein a reconnu à l’assuré le droit à une rente entière depuis le 01.10.2001 et fixé le degré d’invalidité à 100%. En août 2003, l’assurance-invalidité fédérale (AI) a alloué à l’assuré une rente entière depuis le 01.09.2000, le degré d’invalidité étant fixé à 90%.

Le 23.12.2003, l’assuré a déposé une demande dirigée contre la compagnie d’assurance. En cours d’instruction, une expertise médicale et une expertise comptable ont été ordonnées. Selon le spécialiste en neurologie et psychiatrie, l’assuré présente toujours des éléments déficitaires sur le plan neuropsychologique et sa capacité de travail résiduelle n’est pas supérieure à 25%. L’expert-comptable a relevé que les revenus déclarés au fisc par l’assuré ont diminué de 79% en dix ans, à partir de 2001, et que ceux déclarés à l’AVS du Liechtenstein ont diminué de 98% en onze ans, à partir de 2000; il apparaît également que le preneur d’assurance a réalisé un chiffre d’affaires de 85’950 fr. en 1997 et de 76’000 fr. en 1998, l’expert ne disposant d’aucunes données comptables relatives à cette société pour les exercices 1999 et suivants (société déclarée en faillite en septembre 2010).

Par jugement du 04.03.2015, la Cour civile a condamné la compagnie à verser à l’assuré le montant de 3’094 fr.20, toutes autres ou plus amples conclusions étant rejetées (jugement 15/2015/SNR – http://bit.ly/2s1Vhjv ). Par arrêt du 05.04.2016, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l’appel et confirmé le jugement attaqué (arrêt 205 – http://bit.ly/2rIOBar).

 

TF

Assurance de sommes vs de dommage

En droit des assurances privées, la LCA distingue l’assurance contre les dommages (art. 48 à 72) de l’assurance de personnes (art. 73 à 96). Par rapport à l’assurance contre les dommages, l’assurance de personnes, conçue comme une assurance de sommes, se caractérise par sa nature non indemnitaire; elle est une promesse de capital, indépendante du montant effectif du préjudice subi par le preneur ou l’ayant droit (cf. ATF 133 III 527 consid. 3.2.4 p. 532). Cependant, même dans le cas d’une assurance qui a pour objet une personne physique, on est en présence d’une assurance de personnes uniquement lorsque les parties au contrat d’assurance n’ont subordonné la prestation de l’assureur, dont elles ont fixé le montant lors de la conclusion du contrat, qu’à la survenance de l’événement assuré, sans égard à ses conséquences pécuniaires. En revanche, l’assurance sera qualifiée d’assurance contre les dommages lorsque les parties au contrat font de la perte patrimoniale effective une condition autonome du droit aux prestations (ATF 119 II 361 consid. 4 p. 364 s.).

Selon la police d’assurance ici en cause, dont la teneur n’est pas contestée (cf. art. 11 et 12 LCA), la prestation assurée est une rente annuelle de 75’000 fr. versée en cas d’incapacité de gain. Dans son sens courant, l’incapacité de gain (Erwerbsunfähigkeit) consiste en la diminution concrète de la possibilité d’acquérir un revenu, synonyme de perte économique (cf. arrêt 4A_451/2015 du 26 février 2016 consid. 2.3). En l’espèce, la police renvoie expressément aux CGA, lesquelles, sous le ch. 3.1 définissant l’incapacité de gain, exigent bel et bien « une perte de gain ou un autre préjudice pécuniaire équivalent » en relation avec l’incapacité d’exercer une activité professionnelle appropriée pour cause de maladie ou d’accident.

La prestation de l’assureur étant subordonnée à l’existence d’une perte patrimoniale effective, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en rangeant l’assurance litigieuse parmi les assurances contre les dommages, soumises au principe indemnitaire, comme le Tribunal fédéral a du reste déjà eu l’occasion de le juger en présence de clauses semblables à celles ici en cause (cf. arrêt précité du 26 février 2016 consid. 2.3; arrêt 5C.21/2007 du 20 avril 2007 consid. 3.1 et 3.2).

Selon l’arrêt attaqué, la perte de gain à prouver par le recourant devait l’être en relation avec l’activité qu’il exerçait au service du preneur d’assurance. Or, l’assuré n’a pas rapporté la preuve de l’étendue de la perte de gain qu’il aurait subie au sein de l’entreprise A.________.

 

Fardeau de la preuve

Conformément à la règle générale posée par l’art. 8 CC, la personne titulaire de la prétention – ici l’assuré – doit prouver les faits propres à la justification de ses prétentions, à savoir notamment la réalisation du risque assuré et l’étendue de la prétention (ATF 130 III 321 consid. 3.1 p. 323).

Une perte de gain effective constitue en l’espèce une condition à l’octroi des prestations d’assurance; dans le système adopté dans le contrat litigieux, elle exerce une incidence indirecte sur le montant de la prestation d’assurance, fixé forfaitairement mais susceptible de varier en fonction du degré d’incapacité de gain (cf. ATF 139 III 263 consid. 1.3.1 p. 266 et consid. 1.3.4 p. 267; arrêt précité du 26 février 2016 consid. 3.1.2; arrêt 4A_134/2015 du 14 septembre 2015 consid. 4). Une perte de gain doit donc être prouvée. Soit l’assuré démontre qu’en raison de l’incapacité de travail constatée médicalement, il ne réalise plus aucun revenu et n’est plus en mesure d’en acquérir; son incapacité de gain est alors totale et lui donne droit à la rente annuelle fixée dans le contrat d’assurance. Soit l’assuré établit un revenu inférieur à celui qu’il aurait pu réaliser sans l’incapacité de travail; son incapacité de gain est alors partielle et le montant de la rente éventuelle dépendra du degré d’incapacité de gain, correspondant à la différence, exprimée en pour-cent, entre le revenu que l’assuré aurait vraisemblablement pu acquérir et le revenu qu’il a effectivement acquis (cf. arrêt précité du 26 février 2016 consid. 3.1).

Le risque assuré correspond à l’événement redouté en vue duquel le contrat a été conclu (cf. ATF 136 III 334 consid. 3 p. 339). En l’espèce, il s’agit de l’incapacité de gain de l’assuré, due à une maladie ou à un accident.

Il ne ressort pas des constatations de l’arrêt attaqué que ce risque se serait entièrement réalisé, en ce sens que l’assuré n’aurait plus rien gagné, ni été en mesure d’acquérir un revenu à la suite de l’accident du 17.09.1999. Pour justifier sa prétention à une rente annuelle de 75’000 fr., l’assuré devait établir que le degré de son incapacité de gain atteignait au moins 662 /3%, une rente d’un montant inférieur supposant pour sa part un taux d’incapacité de gain d’au moins 25%. La détermination du degré d’incapacité de gain, pertinent pour fixer le montant de la rente, implique une comparaison entre le revenu que l’assuré aurait pu réaliser sans l’accident et le gain acquis malgré l’accident. Comme la prestation assurée tendait indirectement à compenser un manque à gagner de l’assuré en tant qu’employé du preneur d’assurance, cette opération nécessitait d’établir les revenus réalisés, avant l’accident, ainsi que ceux acquis après l’accident grâce à cette activité, voire l’absence de tels revenus. Or, l’assuré, qui avait la charge de la preuve, n’a pas fourni les moyens de preuve permettant d’apprécier ces éléments. Faute d’avoir disposé des données comptables du preneur d’assurance pour les exercices 1999 et suivants, l’expert n’a en effet pas été en mesure de comparer les revenus d’honoraires perçus par le recourant avant et après l’accident de septembre 1999.

 

En jugeant que l’assuré n’avait ainsi pas démontré un taux d’incapacité de gain suffisant pour justifier une rente, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_367/2016 consultable ici : http://bit.ly/2t1LDSu