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4A_271/2023 (d) du 14.11.2023 – Indemnités journalières maladie LCA / Notion d’incapacité de travail – Question de droit – Interprétation des CGA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_271/2023 (d) du 14.11.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Indemnités journalières maladie LCA

Notion d’incapacité de travail – Question de droit – Interprétation des CGA

Caractéristique essentielle ou importante de l’activité professionnelle habituelle

 

Assuré, chef d’équipe CNC né en 1957, employé par C.__ SA. Déclaration de sinistre le 13.02.2019, annonçant une incapacité de travail depuis le 23.01.2019. Par lettre du 17.10.2019, l’employeur a résilié le contrat de travail avec l’assuré pour le 31.01.2020.

Sur la base du rapport du Dr D.__, l’assurance perte de gain maladie a informé l’assuré le 02.10.2019 qu’il était dès à présent apte à travailler à 100% à un autre poste. Elle a toutefois accepté de continuer à verser l’indemnité journalière à 100% jusqu’au 31.10.2019 et, après cette date, les indemnités journalières seraient versées en fonction de son incapacité de travail. Par courriel du 21.10.2019, l’assuré a fait part de son désaccord et a remis des rapports médicaux à l’assurance. Le 06.12.2019, l’assurance a informé l’intéressé que les documents médicaux remis se rapportaient au poste actuel et a rappelé que l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans un autre poste. En guise de geste commercial, l’assurance a informé qu’elle continuerait à verser les indemnités journalières jusqu’au 31.01.2020 et qu’elle ne verserait plus d’indemnités journalières après cette date.

Le 19.06.2020, le médecin du SMR a estimé que l’assuré présentait une capacité de travail de 50 à 70%, tout en recommandant, en raison du déconditionnement probable entre-temps et dans l’optique d’une réinsertion professionnelle durable, de débuter avec un taux d’occupation de 50%.

Par courriel du 29.09.2020, l’assuré a demandé à l’assurance de continuer à verser l’indemnité journalière à 100% avec effet rétroactif. Par courrier du 23.10.2020, l’assurance l’a informé que, sur la base de l’évaluation du médecin du SMR, elle verserait l’indemnité journalière du 01.02.2020 au 18.06. 2020 sur la base d’une incapacité de travail de 100% et, à partir du 19.06.2020, sur la base d’une incapacité de travail de 50%. L’assurance a ensuite versé l’indemnité journalière jusqu’à l’épuisement du droit aux prestations (05.03.2021) sur la base d’une incapacité de travail de 50%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 95/14 – 85/2015 – consultable ici)

L’instance cantonale a considéré que l’assurance avait à juste titre considéré que l’assuré avait une capacité de travail de 50% pour la période déterminante. Cette capacité de travail attestée s’applique ensuite à l’activité habituelle de l’intéressé. Dans ce contexte, elle a constaté qu’une activité adaptée supposait si possible de ne pas travailler de nuit, que les horaires de travail soient réguliers, que l’employeur soit bienveillant et compréhensif et que le lieu de travail soit calme. L’activité ne devait pas non plus, du moins au début, comporter de tâches de direction. Il ressort du questionnaire rempli par l’employeur le 25.07.2019 que l’activité de l’assuré consistait à diriger des collaborateurs (34 à 66%, soit 3 à 5,25 heures par jour), parfois à programmer et à effectuer des travaux de bureau (6 à 33% chacun, soit 0,5 à 3 heures par jour) et rarement à travailler à la machine CNC (1 à 5%, soit jusqu’à environ 0,5 heure par jour). Ces indications d’activités comportaient une marge de manœuvre relativement importante en termes de temps, de sorte qu’il n’était pas possible de déterminer avec précision l’étendue des tâches de direction et de gestion qui n’étaient pas possibles du point de vue psychiatrique. Toutefois, la cour cantonale est partie du postulat que l’assuré aurait pu exercer son activité habituelle ou une activité comparable à sa profession habituelle à un taux d’occupation de 50% depuis le 19.06.2020.

Par jugement du 19.04.2023, le tribunal cantonal a rejeté la demande de l’assuré.

 

TF

Consid. 3.1
Le 1er janvier 2022, la loi révisée sur le contrat d’assurance est entrée en vigueur. Conformément à la disposition transitoire de l’art. 103a LCA, les dispositions suivantes du nouveau droit s’appliquent aux contrats qui ont été conclus avant l’entrée en vigueur de la modification du 19 juin 2020 : les prescriptions en matière de forme (let. a) ; le droit de résiliation au sens des art. 35a et 35b (let. b). Toutes les autres dispositions ne s’appliquent qu’aux contrats nouvellement conclus (cf. message relatif à la modification de la loi sur le contrat d’assurance du 28 juin 2017, FF 2017 5089 ss, 5136 [en français : FF 2017 4767, 4812]). Le contrat d’assurance à l’origine du présent litige a été conclu avant le 19 juin 2020. A l’exception des prescriptions de forme et du droit de résiliation, les dispositions de la LCA dans sa version en vigueur jusqu’à fin 2021 (ci-après aLCA) sont donc applicables. A l’exception de l’art. 87 aLCA, qui norme le droit de créance du bénéficiaire dans l’assurance-accidents ou maladie collective, l’aLCA ne contient pas de dispositions spécifiques concernant les indemnités journalières en cas de maladie. Ce sont donc en premier lieu les conventions contractuelles qui sont déterminantes.

Consid. 3.2
Si l’assuré est en incapacité de travail après constatation médicale, l’assurance paie, conformément à l’art. B8 ch. 1 f. CGA, l’indemnité journalière est versée à l’expiration du délai d’attente convenu, au plus tard pendant la durée des prestations mentionnée dans la police. En cas d’incapacité de travail totale, l’assurance l’indemnité journalière mentionnée dans la police. En cas d’incapacité de travail partielle, le montant est déterminé en fonction de l’étendue de l’incapacité de travail. L’incapacité de travail est déterminée selon l’art. A4, ch. 2 CGA : l’incapacité totale ou partielle, due à une maladie, d’accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui. En cas d’incapacité de longue durée, l’activité raisonnablement exigible dans une autre profession ou un autre domaine de tâches est également prise en compte.

Consid. 4.3.1
L’assuré se plaint d’une application erronée de l’art. A4 ch. 2 CGA par l’instance cantonale. Selon lui, celui qui, pour des raisons de santé, ne peut plus exercer qu’une partie secondaire des activités nécessaires à son ancienne profession est totalement incapable de travailler dans celle-ci. Ainsi, un cuisinier qui, pour des raisons de santé, ne peut plus travailler en cuisine, mais qui est encore en mesure de passer des commandes de denrées alimentaires à l’ordinateur, doit être considéré comme totalement incapable de travailler dans son ancienne profession de cuisinier, tout comme un chef d’équipe CNC qui ne peut plus assumer de tâches de direction. L’assuré fait donc valoir en substance que l’instance cantonale s’est fondée sur une notion erronée de l’incapacité de travail dans l’ancienne profession. Alors que l’état de santé de l’assuré, la liste des tâches de l’ancienne profession ainsi que la détermination des activités professionnelles qui ne peuvent plus être exercées en raison de l’état de santé constituent des constatations de fait, la notion d’incapacité de travail constitue une notion juridique qui peut être librement examinée par le Tribunal fédéral (ULRICH MEYER – BLASER, Der Rechtsbegriff der Arbeitsunfähigkeit und seine Bedeutung in der Sozialversicherung, namentlich für den Einkommensvergleichung in der Invaliditätsbemessung, in : Schaffhauser/Schlauri [Hrsg. ], Schmerz und Arbeitsunfähigkeit, 2003, p. 47 ss ; cf. aussi ATF 140 V 193 consid. 3.1). En conséquence, il convient de définir ci-après la notion d’incapacité de travail selon l’art. A4 ch. 2 CGA.

Consid. 4.3.2
Les CGA sont des conditions générales, donc des dispositions contractuelles, qui ont été préformulées de manière générale en vue de la conclusion future d’un grand nombre de contrats (ATF 148 III 57 consid. 2). Lorsqu’elles sont valablement intégrées dans des contrats, les conditions générales doivent en principe être interprétées selon les mêmes principes que les clauses contractuelles rédigées individuellement (ATF 148 III 57 consid. 2.2.1 et les références ; 142 III 671 consid. 3.3 et les références). Ce qui est donc déterminant, c’est en premier lieu la volonté réelle et commune des parties contractantes et, en second lieu, si une telle volonté ne peut être établie, l’interprétation des déclarations des parties sur la base du principe de la confiance (ATF 148 III 57 consid. 2.2.1 ; 142 III 671 consid. 3.3). Pour ce faire, il convient de partir du texte des déclarations, qui ne doivent toutefois pas être appréciées isolément, mais en fonction de leur sens concret (ATF 148 III 57 consid. 2.2.1 ; 146 V 28 consid. 3.2). Même si le texte semble clair à première vue, il ne faut donc pas s’en tenir à une interprétation purement littérale (ATF 148 III 57 consid. 2.2.1 ; 131 III 606 consid. 4.2). Les déclarations des parties doivent au contraire être interprétées de la manière dont elles pouvaient et devaient être comprises en fonction de leur teneur et de leur contexte ainsi que de l’ensemble des circonstances. Le juge doit prendre en considération le but réglementaire de la disposition contractuelle poursuivi par le déclarant, tel que le destinataire de la déclaration pouvait et devait le comprendre de bonne foi (ATF 148 III 57 consid. 2.2.1 ; 146 V 28 consid. 3.2). Par conséquent, ce qui est déterminant pour l’interprétation d’une disposition contractuelle rédigée par une partie contractante, c’est le but réglementaire que l’autre partie contractante pouvait et devait raisonnablement reconnaître dans la clause considérée en tant que partie contractante de bonne foi. En principe, il faut présumer que le destinataire de la déclaration peut supposer que le déclarant vise une règle raisonnable et appropriée (ATF 148 III 57 consid. 2.2.1, avec références). L’examen d’une interprétation objective des déclarations de volonté est une question de droit, que le Tribunal fédéral examine librement, alors qu’il est en principe lié par les constatations de l’autorité cantonale concernant les circonstances extérieures ainsi que la connaissance et la volonté des parties (art. 105 al. 1 LTF ; ATF 148 III 57 consid. 2.2.1 ; 146 V 28 consid. 3.2).

Consid. 4.3.3
Selon l’art. A4 ch. 2 CGA, l’incapacité de travail est définie comme l’incapacité totale ou partielle, due à une maladie, d’accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui. Il résulte du libellé de l’art. A4 ch. 2 CGA que le travailleur est partiellement apte à travailler tant que ses capacités restantes lui permettent d’accomplir un travail exigible dans sa profession actuelle. Il en découle en même temps que la seule incapacité du travailleur, due à la maladie, d’exercer une fonction déterminée (même si elle est essentielle) dans son ancienne profession ne conduit en principe pas à une incapacité de travail totale. Il en serait autrement si, en raison de la maladie, une caractéristique essentielle ou importante (« zwingende bzw. dominierende Eigenschaft ») pour l’exercice de la profession devenait impossible à tel point que la capacité de travail restante dans l’ancienne profession ne serait pas économiquement exploitable ou ne pourrait être raisonnablement exigée. Une capacité de travail résiduelle économiquement exploitable dans l’activité exercée jusqu’alors exclut ainsi, en règle générale, le droit à la totalité de l’indemnité journalière assurée (cf. ATF 114 V 281 consid. 3d). Le but de l’assurance d’indemnités journalières conclue plaide également en faveur d’une telle interprétation. Ainsi, une assurance d’indemnités journalières sert de revenu de substitution et ne remplace l’obligation de l’employeur de continuer à verser le salaire que dans la mesure et aussi longtemps que le travailleur n’est pas en mesure, pour des raisons de santé, de remplir tout ou partie de ses obligations contractuelles ou d’exercer une autre activité lucrative. Elle n’est toutefois pas destinée à compenser la perte de salaire d’un bénéficiaire qui pourrait à nouveau obtenir un revenu d’une activité lucrative (arrêt 9C_595/2008 du 5 novembre 2008 consid. 4.1).

On ne peut donc pas suivre l’assuré dans la mesure où il fait valoir qu’il est totalement incapable de travailler dans sa profession habituelle parce qu’il ne peut pas assumer de tâches de direction. Ainsi, dans son recours, il ne démontre pas suffisamment en quoi l’exercice de tâches de direction constitue une caractéristique essentielle de son activité professionnelle au point que la capacité de travail restante dans son ancienne profession n’aurait pas été économiquement exploitable ou n’aurait pas été exigible.

Le Tribunal fédéral confirme la conclusion de l’instance cantonale selon laquelle l’assuré avait une capacité de travail de 50% durant la période déterminante.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 4A_271/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 4A_271/2023 (d) du 14.11.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/02/4a_271-2023)

 

9C_435/2021 (f) du 07.09.2022 – Notion de survenance de l’incapacité de travail – 23 LPP / Connexité matérielle et temporelle – Principes généraux en matière de droit transitoire

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_435/2021 (f) du 07.09.2022

 

Consultable ici

 

Notion de survenance de l’incapacité de travail / 23 LPP

Connexité matérielle et temporelle

Principes généraux en matière de droit transitoire

 

Assurée, née en 1963, a travaillé notamment comme secrétaire comptable auprès d’un grand magasin de 1985 à 1990, puis comme commise administrative à 50% auprès de l’Hôpital C.__ dès le 01.08.1996. A ce titre, elle était affiliée pour la prévoyance professionnelle auprès de la caisse de prévoyance CIA du 01.08.1996 au 31.01.2002, puis de la caisse de prévoyance CEH dès le 01.02.2002. Le 01.01.2014, la CEH a fusionné avec la CIA afin de constituer la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève (ci-après: la CPEG).

En mars 2017, l’assurée a déposé une demande AI. Dans un avis du 07.03.2018, le médecin auprès du SMR a diagnostiqué une anorexie mentale; l’assurée était en incapacité de travail à 50% depuis le 17.05.1989 et à 100% depuis le 25.04.2017. L’office AI a, en se fondant sur l’avis du médecin de son SMR, octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité dès le 01.09.2017 (décision du 21.11.2018).

Donnant suite à la décision de l’office AI, la CPEG a nié le droit de l’assurée à des prestations de la prévoyance professionnelle au motif que l’incapacité de travail de celle-ci était survenue le 17.05.1989, soit avant l’affiliation du 01.08.1996.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/677/2021 – consultable ici)

Par jugement du 24.06.2021, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
La CPEG est une institution de prévoyance de droit public dite enveloppante, en ce sens qu’elle alloue à ses affiliés des prestations obligatoires et plus étendues (sur la notion d’institution de prévoyance enveloppante, voir ATF 140 V 169 consid. 6.1). Une telle institution est libre de définir, dans les limites des dispositions expressément réservées à l’art. 49 al. 2 LPP en matière d’organisation, de sécurité financière, de surveillance et de transparence, le régime de prestations, le mode de financement et l’organisation qui lui convient, pour autant qu’elle respecte les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que l’interdiction de l’arbitraire (ATF 140 V 145 consid. 3.1 et les références).

La faculté réservée aux institutions de prévoyance en vertu de l’art. 49 al. 2 LPP n’implique cependant pas pour elles un pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’elles adoptent dans leurs statuts ou règlements un certain système d’évaluation, elles doivent se conformer, dans l’application des critères retenus, aux conceptions de l’assurance sociale ou aux principes généraux (voir par exemple, en ce qui concerne la notion de l’invalidité, ATF 120 V 106 consid. 3c, ou en ce qui concerne la notion de l’événement assuré, arrêts B 31/03 du 23 janvier 2004 consid. 3; B 57/02 du 19 août 2003 consid. 3.3; B 40/93 du 22 juin 1995 consid. 4, in SVR 1995 LPP n° 43 p. 127). Autrement dit, si elles ont une pleine liberté dans le choix d’une notion, elles sont néanmoins tenues de donner à celle-ci sa signification usuelle et reconnue en matière d’assurance (arrêt 9C_52/2020 du 1 er février 2021 consid. 5.2.1, non publié in ATF 147 V 146).

Consid. 3.2
Le règlement d’une institution de prévoyance de droit public peut être modifié même en l’absence de toute disposition réservant un changement de réglementation, à condition toutefois de respecter les principes d’égalité de traitement et d’interdiction de l’arbitraire (ATF 135 V 382 consid. 6.1; 134 I 23 consid. 7.2 et les références citées). La nouvelle réglementation ne doit également pas porter atteinte aux droits acquis. Ces derniers ne naissent en faveur des personnes concernées que si la loi a fixé une fois pour toutes les relations en cause pour les soustraire aux effets des modifications légales, ou lorsque des assurances précises ont été données à l’occasion d’un engagement individuel (sur la notion de droits acquis, voir ATF 143 I 65 consid. 6.2; 134 I 23 consid. 7.2). En matière de prévoyance plus étendue, seul le droit à la rente comme tel constitue un droit acquis, lequel n’est pas touché par un changement des paramètres de calcul de la surindemnisation, même si ce changement peut avoir une incidence sur le montant des prestations d’assurance en cours (ATF 144 V 236 consid. 3.4.1; arrêt 9C_111/2018 du 14 septembre 2018 consid. 4.2 et les références).

 

Consid. 5.1
La juridiction cantonale a retenu que l’incapacité de travail de l’assurée était survenue le 17.05.1989, soit à une époque où l’intéressée n’était pas encore assurée auprès de la caisse de prévoyance. En raison d’une anorexie mentale, l’assurée avait été incapable de travailler à 50% du 17.05.1989 au 24.04.2017, puis à 100% dès le 25.04.2017. Dans la mesure où elle n’avait pas présenté une capacité de travail de plus de 80% dans une activité adaptée pendant plus de trois mois depuis le 17.05.1989, le lien de connexité matérielle et temporelle entre l’incapacité de travail survenue à cette date et l’invalidité reconnue « officiellement en septembre 2017 » n’avait par ailleurs pas été interrompu. Il n’incombait par conséquent pas à l’institution de prévoyance de prendre en charge le cas d’invalidité, l’incapacité de travail déterminante existant déjà à une époque où l’assurée n’était pas encore assurée auprès de la caisse de prévoyance.

Consid. 6.1
D’après les principes généraux en matière de droit transitoire, on applique, en cas de changement de règles de droit et sauf réglementation transitoire contraire, les dispositions en vigueur lors de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié juridiquement et qui a des conséquences juridiques. Ces principes valent également en cas de changement de dispositions réglementaires ou statutaires des institutions de prévoyance (ATF 138 V 176 consid. 7.1 et les références). Leur application ne soulève pas de difficultés en présence d’un événement unique, qui peut être facilement isolé dans le temps. S’agissant par exemple des prestations de survivants, on applique les règles en vigueur au moment du décès de l’assuré, c’est-à-dire la date à laquelle naît le droit aux prestations du bénéficiaire (ATF 137 V 105 consid. 5.3.1 et la référence).

En cas d’incapacité de travail donnant lieu à une rente d’invalidité, l’état de fait dont découle le droit aux prestations de la prévoyance professionnelle n’est pas la survenance de l’incapacité de travail, événement déterminé dans le temps, mais l’incapacité de travail comme telle, qui est un état durable. La situation juridique qui donne lieu à une rente d’invalidité n’est donc pas ponctuelle, mais perdure jusqu’à la naissance du droit aux prestations de la prévoyance professionnelle. En cas de modification réglementaire après la survenance de l’incapacité de travail, mais avant le début du droit aux prestations, ce sont donc les nouvelles règles qui sont applicables, sauf disposition contraire (ATF 121 V 97 consid. 1c).

Consid. 6.2
Ces principes conduisent à retenir que le droit de l’assurée à une rente de la prévoyance professionnelle (surobligatoire) doit être examiné conformément aux dispositions du RCPEG et non pas des statuts de la CEH, comme l’ont retenu à juste titre les juges cantonaux. En effet, l’état de fait dont découle le droit aux prestations – que ce soit en vertu de l’art. 27 des statuts ou de l’art. 33 RCPEG – est l’incapacité de remplir sa fonction ou l’incapacité de remplir au sens de l’assurance-invalidité comme telle, qui est un état de fait durable. La situation juridique qui donne lieu à une rente d’invalidité perdure donc jusqu’à la naissance du droit aux prestations, coïncidant ici avec celui du droit à une rente de l’assurance-invalidité (art. 33 al. 3 RCPEG; art. 27 al. 4 des statuts), soit le 01.09.2017. Le RCPEG ne contient en outre aucune disposition transitoire qui déclarerait applicables les anciennes dispositions en cas d’incapacité de travail survenue avant cette date.

Par ailleurs, l’art. 27 al. 1 des statuts de la CEH n’attache aucune conséquence juridique particulière à la date de la survenance de l’incapacité de travail, tant et aussi longtemps que cette incapacité ne fonde pas un droit à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle. Dans la mesure où aucun droit à la rente en faveur de l’assurée n’a pris naissance sous l’empire des statuts de la CEH, l’assurée ne saurait par conséquent être suivie lorsqu’elle prétend être au bénéfice d’un droit acquis, qui conduirait, selon elle, à l’application des statuts de la CEH.

 

Consid. 7.1
Dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, le versement des prestations d’invalidité incombe à l’institution de prévoyance auprès de laquelle la personne assurée était affiliée au moment de la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité, même si celle-ci est survenue après la fin des rapports de prévoyance (art. 23 let. a LPP; ATF 138 V 227 consid. 5.1 et les références citées). Ce principe sert à délimiter les responsabilités entre institutions de prévoyance, notamment lorsque le travailleur, déjà atteint dans sa santé dans une mesure propre à influer sur sa capacité de travail, entre au service d’un nouvel employeur en changeant en même temps d’institution de prévoyance, et bénéficie, ultérieurement, d’une rente de l’assurance-invalidité (ATF 123 V 262 consid. 1c; 121 V 97 consid. 2a; arrêt 9C_797/2013 du 30 avril 2014 consid. 3.4).

Les mêmes principes sont applicables en matière de prévoyance professionnelle surobligatoire, à tout le moins en l’absence de dispositions réglementaires ou statutaires contraires (ATF 138 V 409 consid. 6.1; 136 V 65 consid. 3.2; 123 V 262 consid. 1b).

Consid. 7.2
En l’espèce, le RCPEG, applicable au présent litige, prévoit que le membre salarié reconnu invalide par l’AI l’est également par la caisse pour autant qu’il ait été assuré auprès de la caisse lorsqu’est survenue l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité (art. 33 al. 1 RCPEG). Cette disposition réglementaire a donc la même teneur que l’art. 23 let. a LPP, sur les points litigieux. Les principes posés par l’art. 23 let. a LPP s’imposent par conséquent dans le domaine de la prévoyance professionnelle surobligatoire, dans la mesure où le RCPEG n’y déroge aucunement.

Consid. 7.3
La référence de l’assurée à l’arrêt B 101/02 n’y change rien. Dans le cadre de la prévoyance professionnelle surobligatoire, les institutions de prévoyance sont libres de définir, dans les limites des dispositions expressément réservées à l’art. 49 al. 2 LPP, le régime de prestations qui leur convient (arrêt B 101/02 précité consid. 4.1). A cet égard, elles peuvent notamment faire dépendre le droit à une rente d’invalidité étendue (respectivement le droit à la part étendue de la rente d’invalidité en cas de solutions de prévoyance enveloppantes) de l’existence du rapport de prévoyance au moment de la survenance, respectivement de l’aggravation de l’invalidité définie réglementairement (ATF 118 V 158 consid. 5a; arrêt 9C_658/2016 du 3 mars 2017 consid. 6.4.2; HÜRZELER, Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 5 et 58 ad art. 23 LPP et les références). Le cas échéant, elles ont alors la possibilité d’instituer une réserve pour l’affection qui est à l’origine de l’invalidité (arrêt B 101/02 précité consid. 4.4; ATF 118 V 158 consid. 5a). Dans l’arrêt B 101/02, le Tribunal fédéral a jugé qu’une obligation de prester à la charge des institutions de prévoyance peut découler de l’interprétation de leur règlement de prévoyance selon le principe de la confiance lorsqu’elles renoncent à instituer une réserve, alors qu’elles ont dûment connaissance d’une atteinte à la santé préexistante. Tel est le cas de l’institution de prévoyance qui confirme expressément à la personne concernée, sur la base d’investigations médicales qui ont révélé une atteinte à la santé préexistante, qu’elle l’assure sans réserve pour sa capacité de gain résiduelle (arrêt B 101/02 consid. 4.4).

A l’inverse de la situation qui a donné lieu à l’arrêt B 101/02 précité, l’assurée n’a pas établi en l’espèce que la caisse de prévoyance avait eu connaissance du certificat d’examen médical du 18.01.2002. Il s’agit en effet d’un certificat d’aptitude demandé par l’employeur, singulièrement par la Direction des ressources humaines de l’Hôpital C.__. On ne voit dès lors pas ce que ce certificat médical, qui n’a pas été porté à la connaissance de la caisse de prévoyance, apporterait de plus à l’interprétation littérale de l’art. 33 al. 1 RCPEG. Qui plus est, le médecin qui a rédigé ce certificat a uniquement confirmé l’aptitude de l’assurée à exercer sa fonction à un taux d’activité de 50% et n’a pas mentionné une atteinte à la santé préexistante (voire une incapacité de travail pour les 50% restants). Dans ces circonstances, les motifs invoqués par l’assurée, en particulier le fait qu’elle a été assurée sans réserve par la caisse de prévoyance (à ce sujet, voir arrêt 9C_536/2012 du 28 décembre 2012 consid. 2.4), ne justifient aucunement de s’écarter des conditions d’assurance résultant du RCPEG.

Consid. 7.4
Finalement, l’assurée ne prétend pas que le lien de connexité temporelle et matérielle entre l’incapacité de travail survenue dès 1989 et l’invalidité ultérieure a été interrompue. Il s’ensuit que la juridiction cantonale a retenu à juste titre que l’institution de prévoyance intimée, auprès de laquelle l’assurée n’était pas affiliée lors de la survenance de l’incapacité de travail déterminante en 1989, n’est pas tenue de prendre en charge le cas d’invalidité ainsi que son aggravation.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_435/2021 consultable ici

 

9C_154/2021 (d) du 10.03.2022 – Survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité – Connexité temporelle et matérielle / 23 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_154/2021 (d) du 10.03.2022

 

Consultable ici

NB : Traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité – Connexité temporelle et matérielle / 23 LPP

Conflit de compétences entre caisse de pensions et la Fondation institution supplétive

 

Assurée, né en 1976, a travaillé du 02.11.2010 au 31.05.2011 dans le cadre d’un stage professionnel suivi d’un engagement à durée déterminée auprès de l’office B.__ et, à partir du 01.06.2011, auprès de l’office C.__ de la même ville. L’institution de prévoyance professionnelle compétente durant cette période était la caisse de pension de la ville de Lucerne (ci-après : CP Ville de Lucerne). Après la résiliation des rapports de travail d’un commun accord pour fin février 2015 (accord du 15.10.2014), l’assurée a perçu des indemnités de chômage du 16.03.2015 au 13.12.2015 et était assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation institution supplétive LPP.

En mars 2016, l’assurée a déposé une demande AI. Après examen psychiatrique réalisé par un médecin du SMR, l’office AI a accordé à l’assurée une rente entière d’invalidité dès le 01.09.2016 (décision du 07.04.2017). A partir de cette date, la Fondation institution supplétive LPP a avancé les prestations de la prévoyance professionnelle.

 

Procédure cantonale

Le 29.11.2019, l’assurée a ouvert action contre la CP Ville de Lucerne et la Fondation institution supplétive LPP, en demandant que la CP Ville de Lucerne soit tenue de verser les prestations obligatoires et réglementaires, majorées d’un intérêt de 5% à compter de l’introduction de l’action ; à titre subsidiaire, que la Fondation institution supplétive LPP soit tenue de verser les prestations obligatoires et réglementaires, majorées d’un intérêt de 5% à compter de l’introduction de l’action ; cette dernière doit en outre être tenue, à titre de mesure provisoire, de (continuer à) avancer les prestations pendant la procédure en cours.

Par jugement du 20.01.2021, le tribunal cantonal a ordonné à la CP Ville de Lucerne de verser à l’assurée les prestations d’invalidité obligatoires et réglementaires, majorées des intérêts, conformément à l’art. 7 OLP, à compter de l’introduction de la demande ou de la date d’échéance ultérieure ; il a rejeté le recours pour le reste.

 

TF

Consid. 2.1
[…] Les expertises sur dossier peuvent également avoir valeur de preuve, dans la mesure où il existe une analyse sans faille et qu’il ne s’agit pour l’essentiel que de l’évaluation d’un état de fait médical établi en soi, c’est-à-dire que la consultation directe de la personne assurée par un médecin spécialiste passe au second plan (cf. parmi d’autres : SVR 2010 n° 46 p. 143, 9C_1063/2009 consid. 4.2.1 ; arrêts 9C_647/2020 du 26 août 2021 consid. 4.2 et 9C_524/2017 du 21 mars 2018 consid. 5.1 et les références).

Consid. 2.2
Le moment de la survenance de l’incapacité de travail déterminante pour la prévoyance professionnelle doit être établi au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références), usuel en droit des assurances sociales (arrêts 9C_52/2018 du 21 juin 2018 consid. 3.2 et 9C_96/2008 du 11 juin 2008 consid. 2.2, et leurs références). La preuve juridiquement suffisante d’une perte de capacité fonctionnelle pertinente pour le droit de la prévoyance professionnelle ne requiert pas nécessairement une incapacité de travail attestée en temps réel par un médecin. Des hypothèses professionnelles ou médicales ultérieures et des réflexions spéculatives, comme par exemple une incapacité de travail médico-théorique déterminée rétroactivement seulement après des années, ne suffisent toutefois pas (arrêt 9C_61/2014 du 23 juillet 2014 consid. 5.1 et les références). Pour suivre l’attestation médicale rétrospective de l’incapacité de travail et pouvoir renoncer à un certificat médical en temps réel, il faut au contraire que les effets négatifs de la maladie sur la capacité de travail soient documentés en temps réel (arrêts 9C_517/2020 du 28 janvier 2021 consid. 3.2 et 9C_851/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.2 et la référence, in : SZS 2015 p. 469).

Consid. 2.3
Les constatations de l’instance précédente concernant la nature de l’atteinte à la santé (constat, diagnostic, etc.) et la capacité de travail, qui sont le résultat d’une appréciation des preuves, lient en principe le Tribunal fédéral (ATF 132 V 393 consid. 3.2). La question de fait est également celle du moment de la survenance de l’incapacité de travail dont la cause a conduit à l’invalidité (SVR 2008 LPP n° 31 p. 126, 9C_182/2007 consid. 4.1.1). En revanche, le Tribunal fédéral examine librement les éléments sur lesquels se fonde la décision à ce sujet (SVR 2009 LPP n° 7 p. 22, 9C_65/2008 consid. 2.2 ; arrêt 9C_670/2010 du 23 décembre 2010 consid. 1.2) et si celle-ci repose sur des preuves suffisantes (arrêt 9C_100/2018 du 21 juin 2018 consid. 2.3).

Consid. 3.1
L’office AI a fixé le début du délai d’attente d’un an selon l’art. 28 al. 1 let. b LAI au mois de mai 2015. Or, comme la demande de prestations AI de l’assurée n’a été déposée qu’à la mi-mars 2016, et donc tardivement (cf. art. 29 al. 1 LAI), le tribunal cantonal a nié tout lien à cet égard et a examiné librement l’obligation de la CP Ville de Lucerne de verser des prestations, ce qu’aucune partie ne conteste à juste titre (cf. p. ex. arrêt 9C_679/2020 du 9 février 2021 consid. 4).

Consid. 3.2
L’instance cantonale a considéré qu’une incapacité de travail d’au moins 20% pour raisons psychiques était survenue, au degré de la vraisemblance prépondérante, pendant le rapport de prévoyance avec la CP Ville de Lucerne. Une nouvelle évaluation psychiatrique ne n’aurait apporté que peu de résultats utiles, étant donné que le dossier contient déjà des rapports impartiaux en « temps réel » sur le comportement de l’assurée. Ensuite, la cour cantonale est partie du postulat qu’il existait un lien matériel étroit entre la problématique de santé à partir d’août 2014 et l’invalidité ultérieure. En outre, à partir de cette date, il existait, d’un point de vue médical, une incapacité de travail complètement sans interruption, de sorte qu’il fallait également admettre un lien temporel ininterrompu. En conséquence, le tribunal cantonal a admis l’obligation de la CP Ville de Lucerne de verser ses prestations.

Consid. 4.1
La conclusion centrale de l’instance cantonale, selon laquelle les résultats psychopathologiques invalidants auraient selon toute vraisemblance déjà entraîné une incapacité de travail d’au moins 20% pendant les rapports de travail avec la ville de Lucerne, repose sur une appréciation complète et détaillée du dossier. La cour cantonale a d’abord tenu compte du fait qu’une incapacité de travail attestée en temps réel était avérée et qu’elle concernait le rapport de prévoyance en question. Ainsi, selon l’établissement des faits du tribunal cantonal, l’assurée était en incapacité totale de travail dès le 28.08.2014. Le médecin traitant a expressément confirmé que l’emploi auprès de l’office C.__ avait dû être abandonné pour des raisons de santé ; une poursuite de l’activité était impossible (certificat du 20.03.2015). Le fait que des causes autres que psychiques aient été à l’origine de l’incapacité total de travail attestée par le médecin n’est ni visible ni exposé (de manière étayée) dans le recours. […] Il n’existe aucun indice valable pour que l’assurée ait retrouvé durablement une capacité de travail supérieure à 80% après la fin de ses rapports de travail avec la ville de Lucerne (à ce sujet : ATF 144 V 58 consid. 4.4).

Consid. 4.2
[…] Certes, les explications fournies dans le rapport d’examen du SMR du 11.01.2017 permettent de conclure que les travaux de construction (changement de sol) ont bien déclenché les troubles psychiatriques dans le sens où une détérioration de l’état de santé s’est produite par la suite. Cela ne permet toutefois pas d’ignorer le fait que le médecin n’a pas exclu que la maladie ait déjà eu un impact significatif sur la capacité de travail ( » […] trouble délirant développé depuis le printemps 2015 ou auparavant […]). A ce sujet, le médecin du SMR a précisé que chez l’assurée, ce n’était pas (seulement) la grande sensibilité aux odeurs, aux émissions et aux composés chimiques, apparue dans le cadre de la transformation de l’appartement, qui était frappante, mais le traitement et l’interprétation des expériences et des événements en soi, ce qui s’était déjà manifesté lors du décès de l’animal domestique ou de l’avocat. Selon le médecin, le trouble délirant (CIM-10 F22.0) qui a finalement conduit à une rente AI avec une incapacité de travail de 100% se caractérise par le fait que la patiente est gravement atteinte dans son appréciation de la réalité, qu’elle ne peut donc pas se distancier de sa perception de la réalité et qu’elle ne dispose en outre d’aucune conscience de la maladie ; à cet égard, elle réagit au contraire de manière défensive et même irascible.

Consid. 4.3
L’instance cantonale a procédé à sa propre appréciation du dossier personnel (en temps réel) et ne s’est fondée qu’en dernier lieu sur l’expertise médicale du 05.11.2019, qui intègre ces conclusions et les confirme en tous points. Le médecin-expert a exposé en détail, sur la base des inscriptions dans le dossier personnel, les parallèles entre les symptômes principaux d’un trouble délirant déjà décrits par le médecin du SMR et le comportement de l’assurée durant son emploi à la ville de Lucerne. Le début de l’incapacité de travail déterminante fixé par le médecin-expert en raison des difficultés rencontrées sur le lieu de travail correspond également à la date indiquée par le médecin traitant – fin août 2014. […] On ne voit pas non plus que la cour cantonale n’aurait pas tenu compte des principes applicables aux expertises des parties, puisque le médecin-expert a uniquement évalué la survenance rétrospective de l’incapacité de travail pertinente pour des faits médicaux établis en soi.

Consid. 4.4
En conséquence, on ne saurait reprocher à l’instance cantonale une constatation manifestement inexacte ou une appréciation des preuves juridiquement erronée en ce qui concerne la survenance de l’incapacité de travail pertinente d’au moins 20%. Le fait qu’elle ait renoncé à des investigations supplémentaires, en particulier à la demande d’expertise judiciaire, n’est pas critiquable (appréciation anticipée des preuves ; ATF 144 V 361 consid. 6.5 ; 136 I 229 consid. 5.3). Il n’y a pas non plus de violation du droit à la preuve (art. 29 al. 2 Cst. et art. 6 ch. 1 CEDH). La condition du lien matériel et temporel étroit entre l’incapacité de travail existant pendant le rapport de prévoyance et l’invalidité survenue ultérieurement est restée incontestée et ne donne lieu à aucune remarque.

 

Le TF rejette le recours de la caisse de pension.

 

 

Proposition de citation : 9C_154/2021 (d) du 10.03.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/07/9c_154-2021)

 

Arrêt 9C_154/2021 consultable ici

 

Postulat Nantermod 22.3196 «Quelles mesures pour lutter contre les certificats médicaux de complaisance? » – Avis du Conseil fédéral

Postulat Nantermod 22.3196 «Quelles mesures pour lutter contre les certificats médicaux de complaisance? » – Avis du Conseil fédéral

 

Consultable ici

 

Texte déposé

Dans un rapport, le Conseil fédéral est prisé d’analyser les mesures qui pourraient être mises en œuvre pour lutter efficacement contre l’établissement de certificats médicaux de complaisance. Une statistique des cas avérés de fraude est aussi requise, notamment par un sondage auprès des employeurs.

 

Développement

Le Code des obligations garantit à l’employé le versement du salaire et le protège contre le licenciement en cas de maladie, durant une période variable en fonction de la durée des rapports de travail.

Si cette protection est incontestable, il arrive malheureusement que des soupçons de fraude soient constatés et que les employeurs se trouvent confrontés à des certificats médicaux de complaisance. Si les moyens d’action existent en théorie, ils sont complexes à mettre en œuvre et aboutissent rarement à des sanctions.

Or, des mesures pour lutter contre les cas de fraude existent. Certains cantons ont adopté par exemple les formulaires officiels pour les certificats médicaux, sur le modèle du droit du bail, qui rappellent aux professionnels de la santé les droits et devoirs du médecin. D’autres mesures pourraient être envisagées, notamment concernant des certificats médicaux rétroactifs ou de certificats délivrés sans consultation médicale.

Par ailleurs, une communication renforcée entre le médecin, l’employeur et l’employé optimise la convalescence des travailleurs malades ou accidentés et favorise leur réinsertion dans le processus de travail. Cela contribue à la réduction des arrêts de travail et donc à la diminution des coûts de la santé.

Le Conseil fédéral est aussi invité à analyser l’efficacité des mesures déjà entreprises et les statistiques des fraudes constatées. Ces statistiques devront reposer aussi sur une enquête auprès des employeurs.

 

Avis du Conseil fédéral du 18.05.2022

L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ne dispose d’aucune donnée concernant des cas avérés de fraude en rapport avec des certificats médicaux. Ces infractions étant principalement sanctionnées par des tribunaux régionaux ou cantonaux, l’OFSP n’est pas en mesure d’établir de statistiques en la matière.

Le Conseil fédéral est toutefois disposé à faire analyser l’efficacité de certaines mesures de prévention des fraudes déjà mises en œuvre.

 

Proposition du Conseil fédéral du 18.05.2022

Le Conseil fédéral propose d’accepter le postulat.

 

 

Postulat Nantermod 22.3196 «Quelles mesures pour lutter contre les certificats médicaux de complaisance? » consultable ici

Postulato Nantermod 22.3196 “Quali misure per contrastare i certificati medici compiacenti?” disponibile qui

Postulat Nantermod 22.3196 «Welche Massnahmen gegen Gefälligkeitszeugnisse von Ärztinnen und Ärzten?» hier verfügbar

 

 

9C_682/2020 (f) du 03.11.2021 – Incapacité de travail pour troubles psychiques – Lien de connexité temporelle et matérielle – 23 let. a LPP / Absence de preuve d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail déterminante sous l’angle du droit de la prévoyance professionnelle

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_682/2020 (f) du 03.11.2021

 

Consultable ici

 

Incapacité de travail pour troubles psychiques – Lien de connexité temporelle et matérielle / 23 let. a LPP

Absence de preuve d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail déterminante sous l’angle du droit de la prévoyance professionnelle

 

Assurée a travaillé en qualité d’enseignante à 60% dès le 15.08.2015, puis à 58% à partir du 01.08.2016 au service de l’école B.__. A ce titre, elle était assurée auprès de la caisse de pensions depuis le 01.08.2015 pour la prévoyance professionnelle.

L’assurée a été en arrêt de travail à 100% pour cause de maladie depuis le 06.02.2017. La caisse de pensions l’a mise au bénéfice d’une pension d’invalidité temporaire à partir du 28.03.2017. Le 21.08.2017, la caisse de pensions a fait savoir à son assurée qu’elle mettait fin au versement des prestations avec effet au 31.07.2017, date de la fin des rapports de service. L’assurée s’y étant opposée, la caisse de pensions a mandaté un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Dans son rapport, ce médecin a posé les diagnostics, ayant des répercussions sur la capacité de travail, de trouble anxieux généralisé (F41.1) et d’épisode dépressif encore léger (en rémission) (F32.0), à l’origine de l’incapacité de travail totale attestée depuis le 07.03.2017. Selon le médecin-expert, l’assurée pouvait reprendre son activité d’enseignante, d’abord à 50% (50% de 60%), puis à 80% (80% de 60%) depuis le 01.03.2018, et à 100% à compter du 01.04.2018. Le 26.04.2018, le Conseil d’administration de la caisse de pensions a confirmé que le versement de la rente temporaire n’était pas possible au-delà du 31.07.2017.

De son côté, l’office AI a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire qui a été réalisée par un spécialiste en oto-rhino-laryngologie, un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie un spécialiste en neurologie. Dans leur synthèse, les experts ont retenu une capacité de travail dans l’activité habituelle de 0% dès février 2017, de 20% dès février 2018 et de 40% dès janvier 2019. En cas de rémission des troubles psychiques, et après rééducation vestibulaire, la capacité de travail dans une activité adaptée resterait de 80% en raison de la pathologie ORL. Par décision du 21.01.2020, l’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.02.2018 au 31.03.2019, fondée sur un degré d’invalidité de 80%, puis trois-quarts de rente à compter du 01.04.2019 en raison d’un taux d’invalidité de 60%.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 9/18 – 27/2020 – consultable ici)

Entre-temps, le 24.05.2018, l’assurée a ouvert action devant le tribunal cantonal, en concluant implicitement à l’octroi de prestations d’invalidité définitive au-delà du 31.07.2017 par la caisse de pensions.

Les juges cantonaux ont constaté que l’assurée ne présentait pas une capacité de travail diminuée de plus de 20% avant son engagement au service de l’école B.__ en se fondant sur le rapport de l’expertise pluridisciplinaire. Ils ont encore constaté que l’anxiété généralisée provoquée par l’activité au sein de l’école B.__ avait conduit à l’incapacité totale de travail à partir de février 2017, ce qui suffisait, conformément à la jurisprudence (cf. ATF 144 V 58 consid. 4.4 et 4.5), à interrompre le lien de causalité temporelle. Quant au lien de connexité matérielle, la juridiction cantonale a également nié son existence s’agissant du trouble anxieux généralisé apparu en février 2017 mais l’a admis pour le trouble vestibulaire présent depuis 2010. Dans ces conditions, l’art. 23 let. a LPP ne permettait pas à la caisse de pensions de refuser d’allouer ses prestations.

Par jugement du 22.09.2020, la juridiction cantonale a admis la demande en ce sens que la caisse de pensions a été condamnée à verser mensuellement à l’assurée, avec effet au 01.08.2017, une rente d’invalidité de 1327 fr. 95, valeur au 31.08.2015, et une rente-pont AI de 445 fr. 25, montants qu’il conviendra d’adapter au 01.08.2017, sous déduction de la rente de l’assurance-invalidité versée à l’assurée.

 

TF

Les constatations de la juridiction cantonale relatives à l’incapacité de travail résultant d’une atteinte à la santé (survenance, degré, durée, pronostic) relèvent d’une question de fait et ne peuvent être examinées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint dans la mesure où elles reposent sur une appréciation des circonstances concrètes du cas d’espèce (art. 97 al. 1 et 105 al. 1 et 2 LTF). Les conséquences que tire la juridiction cantonale des constatations de fait quant à la connexité temporelle sont en revanche soumises au plein pouvoir d’examen du Tribunal fédéral (arrêt 9C_503/2013 du 25 février 2014 consid. 3.3, in SVR 2014 BVG n° 38 p. 143 et la référence).

Le rapport de l’expertise pluridisciplinaire mandaté par l’AI a force probante et permet de statuer en connaissance de cause. Dans l’anamnèse, les experts ont en effet clairement relaté l’évolution de l’état de santé depuis 2010 en mentionnant les affections psychiques et somatiques dont l’assurée avait été atteinte. S’ils ont attesté que l’incapacité totale de travail avait commencé en février 2017 en raison des troubles psychiques, les experts n’ont en revanche pas indiqué que ces affections auraient entraîné une incapacité de travail supérieure à 20%, tant au début des rapports de service en août 2015 que durant la période qui l’avait précédé. On ajoutera que l’expert psychiatre mandaté par la caisse de pensions n’a pas non plus fait état d’une incapacité de travail d’origine psychique antérieurement au mois de mars 2017 dans son rapport d’expertise, en précisant que l’anamnèse psychiatrique était vide.

Dans ce contexte, il faut rappeler que si la preuve d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail déterminante sous l’angle du droit de la prévoyance professionnelle (ATF 134 V 20 consid. 3.2.2) ne suppose pas forcément l’attestation médicale d’une incapacité de travail « en temps réel » (« echtzeitlich »), des considérations subséquentes et des suppositions spéculatives, comme par exemple, une incapacité médico-théorique établie rétroactivement après bien des années, ne suffisent pas. L’atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur les rapports de travail; en d’autres termes, la diminution de la capacité fonctionnelle de travail doit s’être manifestée sous l’angle du droit du travail, notamment par une baisse des prestations dûment constatée, un avertissement de l’employeur ou une accumulation d’absences du travail liées à l’état de santé (arrêt 9C_556/2019 du 4 novembre 2019 consid. 4.3 et la référence). De tels éléments ne sont pourtant pas établis en l’espèce. En outre, les seuls problèmes d’ordre psychiatrique mentionnés par les experts mandatés par l’AI sur la base du dossier concernent un déconditionnement psychique survenu en février 2013, soit bien avant le début de l’activité au service de l’école B.__, le 01.08.2015. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la caisse de pensions, rien ne permet d’admettre que l’assurée aurait d’emblée restreint son activité professionnelle en raison de son état de santé, lorsqu’elle a accepté l’emploi à temps partiel qui a commencé le 01.08.2015 (à 60% puis à 58%).

Vu ce qui précède, l’instance cantonale a admis à juste titre que l’activité déployée d’août 2015 à février 2017 avait interrompu le lien de connexité temporelle entre une éventuelle incapacité de travail pour troubles psychiques qui aurait existé avant le 01.08.2015 et celle qui est survenue en février 2017 (cf. ATF 144 V 58 consid. 4.4 et consid. 4.5), elle-même à l’origine de l’invalidité durable. C’est donc sans violation de l’art. 23 let. a LPP ainsi que des art. 59 et 60 du Règlement de la Caisse de pensions que l’obligation de l’institution de prévoyance de verser des prestations d’invalidité définitive à compter du 01.08.2017 a été reconnue. Sur ce point, le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette – sur ce point – le recours de la caisse de pensions.

 

 

Arrêt 9C_682/2020 consultable ici

 

 

9C_423/2020 (f) du 02.12.2020 – Début et fin de droit à des prestations d’invalidité / 23 let. a LPP – 26 LPP / Connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l’obligation de prester d’une institution de prévoyance / Force contraignante de la décision de l’AI pour l’institution de prévoyance – Décisions et communications de l’OAI pas adressé à l’IP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_423/2020 (f) du 02.12.2020

 

Consultable ici

 

Début et fin de droit à des prestations d’invalidité / 23 let. a LPP – 26 LPP

Connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l’obligation de prester d’une institution de prévoyance

Force contraignante de la décision de l’AI pour l’institution de prévoyance – Décisions et communications de l’OAI pas adressé à l’IP

 

L’assuré a travaillé pour le compte de B.__ SA du 03.06.1985 au 31.08.2000. A ce titre, il a été assuré pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation de prévoyance et de secours en faveur du personnel de B.__ SA (laquelle a été reprise en 2002 par la Fondation de prévoyance C.__, devenue par la suite Fondation de Prévoyance D.__ [ci-après : la Caisse de pensions]). Il a ensuite été affilié à la Fondation institution supplétive LPP (ci-après : l’institution supplétive), dans le cadre de l’assurance-chômage (délai-cadre d’indemnisation du 01.09.2000 au 31.08.2002). Le 01.01.2003, l’assuré a débuté un emploi en tant qu’horloger au sein de l’entreprise familiale de ses parents.

Au mois de septembre 2003, l’assuré a présenté une demande de prestations de l’assurance-invalidité, à la suite de laquelle l’office AI lui a reconnu le droit à une rente entière d’invalidité dès le 01.09.2002 (décision du 20.09.2011).

Le 06.03.2012, l’assuré s’est adressé à la Fondation de Prévoyance D.__ en vue d’obtenir des prestations de la prévoyance professionnelle. Celle-ci a nié toute obligation de prester. Par jugement du 4 septembre 2013, la Cour cantonale a rejeté l’action ouverte par l’assuré contre la Caisse de pensions. Saisi d’un recours de l’assuré, le Tribunal fédéral l’a rejeté (arrêt 9C_736/2013 du 07.04.2014).

L’assuré a par la suite sollicité le versement de prestations d’invalidité pour les personnes au chômage auprès de l’institution supplétive, qui a rejeté la demande au motif que l’incapacité de travail ayant conduit à l’invalidité avait débuté le 31.08.2000.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 12/16 – 12/2020 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont constaté que l’office AI avait retenu que l’assuré présentait une incapacité de travail depuis le 01.01.1999. Cette date n’était cependant pas déterminante pour l’examen du droit aux prestations de la prévoyance professionnelle dès lors que l’institution de prévoyance n’avait pas reçu les décisions et communications de l’office AI. En conséquence, la juridiction cantonale a considéré qu’il lui appartenait de procéder à une appréciation du cas au regard des rapports versés au dossier afin de déterminer la survenance de l’incapacité de travail qui a constitué la cause de l’invalidité ayant fondé le droit de l’assuré à une rente de l’assurance-invalidité à compter du 01.09.2002. Dans le cadre de son examen, elle a constaté que l’assuré s’était inscrit au chômage avec une pleine aptitude au placement, et que les médecins n’avaient pas fait état de périodes d’incapacité de travail significatives durant le délai-cadre d’indemnisation ouvert du 01.09.2000 au 31.08.2002. La conclusion que l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail était par ailleurs concrètement confirmée par le fait qu’il avait obtenu un diplôme fédéral d’économiste d’entreprise le 18.11.2002, à la suite d’une formation prise en charge par l’assurance-chômage. Compte tenu de ces éléments, les premiers juges ont nié que l’incapacité de travail à l’origine de l’invalidité constatée par l’office AI le 20.09.2011 fût survenue durant la période d’affiliation de l’assuré auprès de l’institution supplétive, et partant, l’existence d’une obligation à charge de celle-ci de verser des prestations.

Par jugement du 08.05.2020, rejet par le tribunal cantonal de l’action ouverte le 18.05.2016 par l’assuré contre l’institution supplétive.

 

TF

Force contraignante de la décision de l’AI pour l’institution de prévoyance

Les juges cantonaux ont indiqué la raison pour laquelle la décision de l’office AI de septembre 2011 ne peut, en l’espèce, pas lier l’institution de prévoyance. Ils ont en effet expliqué que l’office AI n’avait pas transmis un exemplaire de sa décision du 20.09.2011 à l’institution supplétive. La question de la force contraignante de la décision de l’assurance-invalidité pour l’institution de prévoyance a par ailleurs également été examinée par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 07.04.2014, qui a considéré que les constatations et autres appréciations des organes de l’assurance-invalidité faites au-delà de la période de douze mois précédant le dépôt tardif de la demande de prestations de l’assuré en 2003 n’ont en l’espèce a priori aucune force contraignante pour les organes de la prévoyance professionnelle (arrêt 9C_736/2013 précité, consid. 3.2 et 6.1).

 

Incapacité de travail – Connexité matérielle et temporelle

Certes, comme le relève l’assuré, le fait qu’un assuré ait la capacité de satisfaire intégralement aux prescriptions de contrôle de l’assurance-chômage ne signifie pas encore qu’il dispose nécessairement d’une capacité de travail durant la même période (arrêt 9C_162/2013 du 8 août 2013 consid. 2.3.2). Cela étant, selon la jurisprudence, dûment rappelée par les juges cantonaux, lorsque l’assuré a perçu des indemnités de chômage, il convient de prendre en considération la situation telle qu’elle apparaît de l’extérieur pour apprécier la relation de connexité temporelle entre l’incapacité de travail et l’invalidité au sens de l’art. 23 let. a LPP (ATF 134 V 20 consid. 3.2.1 p. 22 s.; arrêts B 100/02 du 26 mai 2003 consid. 4.1; B 18/06 du 18 octobre 2006 consid. 4.2.1 in fine et les références).

En l’espèce, il ressort des constatations cantonales que l’assuré s’est inscrit au chômage en qualité de demandeur d’emploi pleinement apte au placement, donnant ainsi aux tiers l’impression de disposer d’une capacité de travail entière. L’assuré avait bénéficié, pendant le délai-cadre d’indemnisation ouvert du 01.09.2000 au 31.08.2002, de 145 jours d’indemnités de chômage, de 5 jours de maladie et de 193 jours de cours. La conclusion que l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail était encore concrètement renforcée par le fait qu’il avait obtenu un diplôme fédéral d’économiste d’entreprise le 18.11.2002, à la suite de la formation prise en charge par l’assurance-chômage, soit postérieurement au délai-cadre d’indemnisation. A cet égard, c’est en vain que l’assuré soutient qu’il n’aurait suivi que 322 périodes de cours de 45 minutes réparties sur une période de 4 mois, et que sa « capacité de travail nécessaire à suivre les cours en question » aurait été « arbitrairement surestimée » par les premiers juges. D’une part, il ressort des constatations cantonales, que l’intéressé ne conteste pas, qu’il a perçu 193 indemnités journalières de cours de l’assurance-chômage, ce qui correspond à une période de près de 9 mois (au vu de la moyenne de jours de travail par mois arrêtée à 21,7; cf. art. 40a OACI). D’autre part, les premiers juges n’ont pas fait preuve d’arbitraire en considérant qu’il s’agissait d’une formation contraignante, dès lors déjà que l’assuré avait lui-même indiqué à la doctoresse H.__ que les examens qu’il avait dû passer au terme de la formation étaient complexes.

Les rapports des médecins invoqués par l’assuré ne permettent pas au regard des exigences posées par la jurisprudence en matière de valeur probante de documents médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352; 122 V 157 consid. 1c p. 160 et les références) de retenir que l’incapacité de travail au sens de l’art. 23 let. a LPP serait survenue entre le 01.09.2000 et le 30.09.2002.

Selon le Tribunal fédéral, on ne saurait reprocher à la juridiction cantonale d’avoir fait preuve d’arbitraire lorsqu’elle a nié que l’invalidité constatée par l’office AI le 20.09.2011 trouvât sa cause dans une incapacité de travail de l’assuré qui serait survenue pendant la période durant laquelle il avait été affilié auprès de l’institution supplétive. A défaut d’un lien de connexité temporelle, c’est donc sans violation de l’art. 23 let. a LPP qu’elle a nié l’obligation de la Fondation institution supplétive LPP de verser des prestations d’invalidité. L’incapacité de travail déterminante doit être survenue après la période d’affiliation de l’assuré tant à la Fondation de Prévoyance D.__ (arrêt 9C_736/2013 précité, consid. 6.3), qu’à la Fondation institution supplétive LPP, c’est-à-dire postérieurement au 30.09.2002.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_423/2020 consultable ici

 

 

8C_327/2019 (f) du 05.05.2020 – Droit à l’indemnité de chômage – 8 LACI / Incapacité de travail pour maladie – Libération des conditions relatives à la période de cotisation – 13 LACI – 14 LACI / Capacité résiduelle de travail de 20% pas considérée comme insignifiante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_327/2019 (f) du 05.05.2020

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité de chômage / 8 LACI

Incapacité de travail pour maladie – Libération des conditions relatives à la période de cotisation / 13 LACI – 14 LACI

Capacité de travail de 20% interrompt le lien de causalité entre l’absence de cotisation durant plus de douze mois et l’incapacité de travail due à la maladie

Capacité résiduelle de travail de 20% pas considérée comme insignifiante

 

Assuré, né en 1964, a travaillé à plein temps pour le compte d’une SA à partir du 01.05.2014, où il exerçait la fonction de directeur. Il a été licencié le 29.10.2015 pour le 29.02.2016. La fin des rapports de travail a toutefois été reportée au 31.08.2016 en raison d’un arrêt maladie. La capacité de travail médicalement attestée était nulle entre les 15.01.2016 et 31.07.2017 ; elle a ensuite été de 20% jusqu’au 30.09.2017 puis de 50% jusqu’au 31.12.2017.

L’assuré s’est inscrit auprès de l’office régional de placement (ORP) le 27.09.2017. Il a déposé une demande d’indemnité de chômage le 30.10.2017, requérant le versement de cette indemnité depuis le 01.09.2017.

Par décision, confirmée sur opposition, la caisse de chômage (ci-après: la caisse) a nié le droit de l’intéressé à l’indemnité de chômage au motif qu’il ne remplissait ni les conditions relatives à la période de cotisation ni celles pour en être libéré.

 

Procédure cantonale

Les juges cantonaux ont considéré que l’assuré n’avait pas droit à l’indemnité de chômage dans la mesure où il ne remplissait pas les conditions relatives à la période de cotisation. Sur ce point, la cour cantonale a en particulier exclu que les informations transmises par l’ORP à l’assuré (en relation avec le classement de sa première demande d’inscription au chômage en raison de son incapacité de travail ainsi qu’avec les répercussions de la date d’inscription au chômage sur la période de cotisation et le droit aux prestations) soient constitutives d’une violation du devoir de renseigner ou du principe de la bonne foi justifiant malgré tout l’attribution de l’indemnité requise. Le tribunal cantonal a considéré que l’assuré ne pouvait pas prétendre à l’indemnité de chômage sur la base d’une libération des conditions relatives à la période de cotisation dès lors que le recouvrement d’une capacité résiduelle de travail de 20% à partir du 01.08.2017 avait empêché la réalisation de la condition de l’absence de rapports de travail pour raisons médicales pendant plus de douze mois durant le délai-cadre de cotisation.

Par jugement du 01.04.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 8 al. 1 let. e LACI, l’assuré a droit à l’indemnité de chômage s’il remplit les conditions relatives à la période de cotisation ou en est libéré (art. 13 et 14 LACI). Aux termes de l’art. 13 al. 1 LACI, celui qui, dans les limites du délai-cadre prévu à cet effet (art. 9 al. 3 LACI), a exercé durant douze mois au moins une activité soumise à cotisation remplit les conditions relatives à la période de cotisation. Selon l’art. 14 al. 1 let. c LACI, sont libérés des conditions relatives à la période de cotisation les personnes qui, dans les limites du délai-cadre (art. 9 al. 3 LACI) et pendant plus de douze mois au total, n’étaient pas parties à un rapport de travail et, partant, n’ont pu remplir les conditions relatives à la période de cotisation en raison notamment d’une maladie (art. 3 LPGA). Selon la jurisprudence, il doit exister un lien de causalité entre le motif de libération invoqué et l’absence de période de cotisation. Par ailleurs, l’empêchement doit avoir duré plus de douze mois. En effet, en cas d’empêchement de plus courte durée, il reste assez de temps à la personne assurée, pendant le délai-cadre de deux ans, pour exercer une activité d’une durée de cotisation suffisante. Comme la période de cotisation des personnes occupées à plein temps (art. 11 al. 4, première phrase, OACI), la causalité requise n’est de plus donnée que si, pour l’un des motifs énumérés à l’art. 14 al. 1 let. a-c LACI, il n’était ni possible, ni exigible de la part de la personne assurée, d’exercer une activité à temps partiel (ATF 141 V 625 consid. 2 p. 627; 141 V 674 consid. 4.3.1 p. 678 s.; 139 V 37 consid. 5.1 p. 38 s.).

L’existence d’une capacité de travail de 20% n’est pas contestée par les parties. Or le Tribunal fédéral a déjà statué dans une situation analogue. Il a en substance considéré que l’assuré qui disposait d’une telle capacité de travail durant le délai-cadre de cotisation pouvait être partie à un rapport de travail (et obtenir ainsi un salaire déterminant [soumis à cotisation] au sens de l’art. 5. LAVS) susceptible d’interrompre le lien de causalité entre l’absence de cotisation durant plus de douze mois et l’incapacité de travail due à la maladie et, par conséquent, d’empêcher l’application de l’art. 14 LACI (arrêt 8C_516/2012 du 28 février 2013 consid. 6.2 et les références), tout comme en l’occurrence.

Cette approche n’est pas schématique mais concrète dans la mesure où elle a été élaborée dans un cas particulier. On ajoutera que, du moment que les médecins attestent une capacité de travail, cela signifie que la personne concernée peut concrètement la mettre en valeur sur le marché du travail (arrêt 8C_516/2012 précité consid. 6.2.2 in limine). On précisera encore qu’une capacité résiduelle de travail de 20% n’est pas insignifiante dès lors qu’elle représente une journée complète de travail et qu’elle est de surcroît significative dans le cadre de la détermination de l’aptitude au placement (art. 5 OACI en relation avec les art. 8 al. 1 let. f et 15 al. 1 LACI; arrêt 8C_516/2012 précité consid. 6.2.2.1 in limine). Le fait que cette capacité corresponde à une brève période n’est d’aucune utilité à l’assuré dans la mesure où, justement, cette brève période s’inscrit dans un processus de reprise du travail à temps complet. Il ne s’agit effectivement pas d’une capacité passagère qui démontrerait une reprise infructueuse du travail en raison d’une appréciation erronée de l’incidence de la maladie sur la capacité de travail mais, selon les mots mêmes de l’assuré, « d’une courte phase sur le chemin d’une reprise du travail complète ».

Il n’y a par ailleurs pas lieu d’entrer en matière sur les autres arguments soulevés par l’assuré dès lors qu’il se borne à alléguer qu’aucun employeur n’aurait accepté de l’engager dans ces conditions, qu’un tel emploi n’aurait de toute façon pas été convenable au sens de l’art. 16 LACI et que d’autres circonstances étaient susceptibles d’entraver les possibilités d’embauche, sans invoquer le moindre élément concret qui établirait que tel aurait bien été le cas en l’occurrence. Le Tribunal fédéral n’a en effet pas à entrer en matière sur de tels arguments appellatoires (cf. ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 265 ss et les références).

 

L’assuré soutient subsidiairement que si son argumentation principale ne devait pas être retenue, il faudrait fixer à plus de 20% – et non à 20% comme en l’espèce – le taux permettant d’exiger l’exercice à temps partiel d’une activité soumise à cotisation au sens des art. 13 et 14 LACI, conformément à ce que préconise un auteur (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 25 ad art. 14 LACI).

Cet argument n’est pas davantage fondé que le précédent. Les juges cantonaux ont pris position sur cette question en rappelant que, selon le Tribunal fédéral, un taux de 20% ne pouvait pas être ignoré dans le contexte de l’art. 14 LACI (arrêt 8C_516/2012 du 28 février 2013 consid. 6.2.2) et que l’avis de Boris Rubin était isolé et exprimé de façon retenue. L’assuré n’avance aucun élément pertinent qui remettrait en cause ces considérations. Le seul fait que la jurisprudence fédérale citée ne soit pas publiée au recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse ne change rien à la valeur de son contenu. On précisera au surplus que l’arrêt 8C_516/2012 mentionné établit un parallèle entre aptitude au placement et capacité de travail permettant d’exiger d’un assuré qu’il exerce à temps partiel une activité soumise à cotisation. Or une personne est apte au placement en particulier lorsqu’elle est en situation d’accepter un travail convenable à un taux d’occupation d’au moins 20% ou, en d’autres termes, déjà lorsque sa capacité de travail est équivalente à 20%.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_327/2019 consultable ici

 

 

8C_403/2019 (f) du 17.04.2020 – Indemnité journalière LAA – Incapacité de travail préexistante « maladie » et incapacité de travail « accident » – 16 LAA / Rappel de la jurisprudence et de la recommandation ad hoc 13/85 « Accident et maladie concomitants »

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_403/2019 (f) du 17.04.2020

 

Consultable ici

 

Indemnité journalière LAA – Incapacité de travail préexistante « maladie » et incapacité de travail « accident » / 16 LAA

Rappel de la jurisprudence et de la recommandation ad hoc 13/85 « Accident et maladie concomitants »

 

Assuré, né en 1968, a été mis au bénéfice d’une demi-rente AI depuis le 01.09.1999. Dès 2006, il a travaillé dans un atelier protégé, à un taux de 50%. Le 14.01.2016, il a été victime d’une chute, laquelle a entraîné une fracture diaphysaire de l’humérus à droite. L’assuré a repris son activité selon l’horaire habituel dès le 12.09.2016.

A partir du 23.05.2017, l’assuré a présenté une nouvelle incapacité totale de travail. En sus des diagnostics relatifs aux atteintes orthopédiques dues à l’accident du 14.01.2016 (status post enclouage de l’humérus droit et capsulite rétractile de l’épaule droite en phase de récupération), le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur a posé le diagnostic de dépression/anxiété traitée en milieu hospitalier.

Afin de déterminer le droit aux indemnités journalières de son assuré, l’assurance-accidents a recueilli des renseignements relatifs à l’incapacité de travail imputable à des troubles psychiatriques. Les médecins ont retenu les diagnostics de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptômes psychotiques (F33.2), et d’autres troubles anxieux mixtes (F41.3). Du point de vue psychiatrique, une incapacité de travail a été attestée à 90% du 11.05.2017 au 11.06.2017, de 70% du 12.06.2017 au 10.07.2017, puis dès le 10.08.2017.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’assuré à des indemnités journalières sur la base d’une incapacité de travail de 10% du 23.05.2017 au 11.06.2017, puis de 30% dès le 12.06.2017.

 

Procédure cantonale

Les juges cantonaux ont constaté que l’assuré avait présenté une incapacité de travail en raison de troubles psychiques à compter du 11.05.2017 au moins, soit antérieurement à la période d’incapacité de travail consécutive aux suites de l’accident de janvier 2016, qui a débuté le 23.05.2017. Dans la mesure où l’assuré n’avait pas allégué une amélioration de ses troubles psychiques, respectivement une modification de son taux d’incapacité de travail sous cet angle, la juridiction cantonale a admis que c’était à bon droit que l’assurance-accidents avait limité le droit de son assuré à des indemnités journalières calculées sur la base d’une incapacité de travail de 10% du 23.05.2017 au 11.06.2017, puis de 30% dès le 12.06.2017.

Par jugement du 09.05.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Aux termes de l’art. 16 LAA, l’assuré totalement ou partiellement incapable de travailler (art. 6 LPGA) à la suite d’un accident a droit à une indemnité journalière (al. 1) ; le droit à l’indemnité journalière naît le troisième jour qui suit celui de l’accident ; il s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail, dès qu’une rente est versée ou dès que l’assuré décède (al. 2) ; l’indemnité journalière de l’assurance-accidents n’est pas allouée s’il existe un droit à une indemnité journalière de l’assurance-invalidité ou à une allocation de maternité selon la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité (LAPG ; al. 3). Le droit au versement de l’indemnité journalière de l’assurance-accidents suppose en outre, cumulativement, l’existence d’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre l’atteinte à la santé et l’événement assuré (ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181 et les arrêts cités ; arrêt 8C_301/2018 du 22 août 2019 consid. 4).

Le point de savoir si l’assuré perçoit ou non des prestations d’un assureur perte de gain en cas de maladie n’est pas déterminant pour l’octroi des indemnités journalières de l’assurance-accidents. L’élément décisif à cet égard réside dans l’existence ou non d’un lien de causalité entre l’événement accidentel et l’atteinte à la santé induisant une incapacité de travail. Dans l’arrêt 8C_942/2015 du 7 juillet 2016, le Tribunal fédéral a en effet jugé que l’épuisement du droit aux prestations de l’assureur perte de gain en cas de maladie n’a aucune incidence sur l’étendue du droit à des indemnités journalières de l’assurance-accidents. Il a ainsi nié qu’une incapacité de travail due initialement à un état maladif puisse, à la suite de la cessation des prestations contractuelles de l’assureur perte de gain, être mise à la charge de l’assureur-accidents, faute de lien de causalité avec l’accident (arrêt 8C_942/2015 précité, consid. 4.4; cf. aussi ATF 113 V 54 consid. 2 p. 58; arrêt 8C_380/2018 du 28 février 2019 consid. 4.1). Il n’en va pas différemment lorsque l’assuré ne bénéficie pas d’une couverture d’assurance auprès d’un assureur perte de gain en cas de maladie. Dans les deux cas, l’assureur-accidents n’est tenu de prester que pour l’incapacité de travail qui est en lien de causalité avec l’accident.

Cette solution correspond au demeurant aux recommandations de la Commission ad hoc sinistres LAA établies à l’intention des assureurs-accidents afin de garantir une application uniforme de la LAA [consultables sur le site internet de l’ASA]. Selon la Recommandation n° 13/85 intitulée « Accident et maladie concomitants », du 3 septembre 1985, révisée entièrement le 17 novembre 2008, en cas de troubles de la santé distincts, selon l’art. 16 LAA, une incapacité de gain causée par un accident est une condition pour le versement d’une indemnité journalière ; tant et aussi longtemps qu’il existe avant l’accident une incapacité de travail causée par une maladie, l’accident ne peut pas déclencher le versement d’indemnités journalières.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_403/2019 consultable ici

 

NB : L’annexe à la recommandation 13/85 donne une vision claire et simple d’une pareille situation.

 

 

9C_618/2019 (f) du 16.03.2020 – Evaluation des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives – Trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline – 6 LPGA – 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA / Evaluation des troubles psychiques selon 141 V 281 et 145 V 215 / Obligation de diminuer le dommage – 7 al. 1 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 (f) du 16.03.2020

 

NB : nous n’avons pas voulu trop résumer l’arrêt, qui aborde dans le détail la problématique. Cet arrêt (en français) reprend les notions développées dans les ATF 141 V 281 et 145 V 215 (en allemand).

 

Consultable ici

 

Incapacité de travail et de gain – Evaluation des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives – Trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline / 6 LPGA – 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA

Pertinence des diagnostics posés par le médecin-expert – 43 LPGA

Evaluation des troubles psychiques selon 141 V 281 et 145 V 215

Obligation de diminuer le dommage – Traitement psychothérapeutique et sevrage dans le cadre d’une hospitalisation de longue durée (six à douze mois) suivie d’un accompagnement ambulatoire post-cure raisonnablement exigibles / 7 al. 1 LAI

 

Assuré, né en 1978, responsable des risques (Risk Officer) dans un établissement bancaire. Arguant souffrir depuis le mois d’octobre 2011 des suites d’une dépression et d’un burn out, il a déposé une demande de prestations auprès de l’office AI le 02.06.2014. Les rapports de travail ont pris fin le 30.06.2014.

Entre autres mesures d’instruction, l’administration a recueilli l’avis des médecins traitants, dont celui de la psychiatre traitant. En septembre 2014, cette dernière a diagnostiqué un état dépressif sévère, un trouble mixte de la personnalité ainsi que des troubles mentaux et du comportement liés notamment à l’utilisation (en cours) de cocaïne. Elle a estimé que l’assuré ne pouvait plus assumer ses anciennes responsabilités mais que des mesures de réadaptation associées à un traitement médical approprié devraient lui permettre de reprendre une activité adaptée à 50 voire 100%. En mars 2015, elle a par la suite attesté une évolution thymique positive (l’épisode dépressif était léger) mais la persistance des symptômes du trouble de la personnalité.

L’office AI a accordé à l’intéressé des mesures d’ordre professionnel. Il a ainsi pris en charge les frais d’un stage (de chargé de partenariats et de « fundraising » pour une fondation) avec mesure d’accompagnement durant ce stage et d’un réentraînement au travail aussi avec accompagnement.

L’assuré ayant produit des certificats d’arrêt de travail pendant son dernier stage, l’administration a recueilli des informations complémentaires auprès du psychiatre traitant. En février 2017, celui-ci a annoncé une détérioration de l’état de santé de son patient en lien avec la consommation de toxiques. Outre un épisode dépressif léger à moyen et un trouble mixte de la personnalité, il a attesté l’existence de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation (en cours) de cocaïne, d’alcool et de cannabis. Il a conclu à une incapacité totale de travail dans toute activité depuis quatre mois environ. L’office AI a en outre mandaté un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie pour une expertise. Dans son rapport du 04.10.2017, il a considéré que les troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de cocaïne, d’alcool et de cannabis, syndromes de dépendance, utilisation continue, découlaient d’un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline, rendaient illusoire toute mesure de réadaptation ou de réinsertion dans le domaine bancaire mais permettaient d’envisager la reprise d’une activité adaptée à 100% dans un environnement peu stressant à condition que l’état clinique fût stabilisé par la mise en œuvre d’un traitement (hospitalier/ambulatoire) de six à douze mois. Il a également diagnostiqué une dysthymie et des traits de personnalité narcissique sans répercussion sur la capacité de travail.

Se référant à un avis du médecin de son Service médical régional (SMR), l’administration a refusé d’accorder d’autres mesures d’ordre professionnel à l’intéressé et nié son droit à une rente au motif qu’il ne présentait pas d’affections ressortissant à l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/689/2019 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont considéré que les diagnostics et conclusions du médecin-expert étaient insuffisamment précis et motivés. Citant la définition du trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline selon la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-10, 10ème révision), ils ont inféré du rapport d’expertise que les éléments fondant ce diagnostic n’étaient en l’occurrence pas remplis de sorte que celui-ci ne pouvait être admis ni, par conséquent, le caractère secondaire des syndromes de dépendance. Ils ont en outre relevé que le médecin-expert ne s’était exprimé ni sur la gravité du trouble ni sur sa décompensation et semblait lier l’augmentation de la consommation de drogue à l’épisode dépressif de 2014. Ils ont également procédé à l’examen du trouble de la personnalité ainsi que des syndromes de dépendance à l’aune des indicateurs développés par la jurisprudence. Ils ont nié le caractère invalidant de ces atteintes à la santé au motif que l’assuré n’avait pas été empêché de mener une carrière professionnelle normale durant de nombreuses années, qu’il refusait de suivre un traitement approprié alors même que les médecins traitants admettaient l’exigibilité d’un sevrage, que les pathologies retenues avaient peu d’impact sur sa vie sociale et qu’il n’avait pas exploité toutes les possibilités de réadaptation offertes.

Par jugement du 06.08.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Il appartient aux médecins d’évaluer l’état de santé d’un assuré (c’est-à-dire, de procéder aux constatations nécessaires en effectuant des examens médicaux appropriés, de tenir compte des plaintes de l’intéressé et de poser les diagnostics). En particulier, poser un diagnostic relève de la tâche exclusive des médecins. Il leur appartient aussi de décrire l’incidence de ou des atteintes à la santé constatées sur la capacité de travail. Leur compétence ne va cependant pas jusqu’à trancher définitivement cette question mais consiste à motiver aussi substantiellement que possible leur point de vue, qui constitue un élément important de l’appréciation juridique visant à évaluer quels travaux sont encore exigibles de l’assuré. Il revient en effet aux organes chargés de l’application du droit (soit à l’administration ou au tribunal en cas de litige) de procéder à l’appréciation définitive de la capacité de travail de l’intéressé (ATF 140 V 193 consid. 3.2 p. 195 s.).

On ajoutera que l’évaluation de la capacité de travail par un médecin psychiatre est soumise à un contrôle (libre) des organes chargés de l’application du droit à la lumière de l’ATF 141 V 281 (ATF 145 V 361 consid. 4.3 p. 367), dont les principes ont ultérieurement été étendus à l’ensemble des troubles psychiques ou psychosomatiques (cf. ATF 143 V 409 et 418; ATF 145 V 215).

Comme pour les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), les troubles dépressifs (ATF 143 V 409) et les autres troubles psychiques (ATF 143 V 418), le point de départ de l’évaluation des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives (cf. ATF 145 V 215) est l’ensemble des constatations médicales qui ont été faites par l’expert psychiatre et lui ont permis de poser un diagnostic reposant sur les critères d’un système reconnu de classification (ATF 141 V 281 consid. 2.1 p. 285). L’expert doit motiver le diagnostic de telle manière que l’autorité chargée de l’application du droit soit en mesure de comprendre non seulement si les critères de la classification sont effectivement remplis (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1 p. 285 s.) mais également si la pathologie diagnostiquée présente un degré de gravité susceptible d’occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante (ATF 141 V 281 consid. 2.1.2 p. 286 s.). A ce stade, ladite autorité doit encore s’assurer que l’atteinte à la santé résiste aux motifs d’exclusion (ATF 141 V 281 consid. 2.2 p. 287), tels que l’exagération des symptômes ou d’autres manifestations analogues (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 p. 287 s.), qui conduiraient d’emblée à nier le droit à la rente (ATF 141 V 281 consid. 2.2.2 p. 288).

 

Les diagnostics posés par le médecin-expert et les constatations médicales y relatives ont été motivés conformément aux exigences de la jurisprudence.

Tout d’abord, les troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de cocaïne, d’alcool et de dérivés du cannabis, syndromes de dépendance, utilisation continue, reposent sur la CIM-10 (F 14.25, F 12.25 et F 10.25 de la CIM-10). Ces troubles ne nécessitent pas d’explication ou d’étayage particulier, du moins à ce stade. L’expert a constaté l’ampleur de la consommation de l’assuré, en cours à l’époque de son examen, de plusieurs psychotropes à l’origine de syndromes de dépendance qui interféraient non seulement avec l’exercice d’une activité lucrative mais aussi avec celui du droit de visite sur les enfants.

C’est le lieu de relever que le diagnostic de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives, assorti du codage supplémentaire « syndrome de dépendance » (quatrième chiffre « .2 » des diagnostics F10-F19 de la CIM-10) ne comprend pas en tant que tel un critère de gravité inhérent au diagnostic (comme c’est le cas, par exemple, du diagnostic de trouble somatoforme douloureux persistant [F45.40 de la CIM-10]; à ce sujet, ATF 141 V 281 consid. 2.1.1 p. 286). Il n’est pas caractérisé par des limitations concrètes (p. ex., pour les degrés de dépression [F32.- de la CIM-10], « réduction de l’énergie et diminution de l’activité ou diminution de l’aptitude à se concentrer ») dont on pourrait tirer directement un degré de gravité. Un « ensemble de phénomènes comportementaux, cognitifs et physiologiques survenant à la suite d’une consommation répétée d’une substance psychoactive, typiquement associés à un désir puissant de prendre de la drogue, à une difficulté à contrôler la consommation, à une poursuite de la consommation malgré des conséquences nocives, à un désinvestissement progressif des autres activités et obligations au profit de la consommation de cette drogue, à une tolérance accrue, et, parfois, à un syndrome de sevrage physique » (.2 Syndrome de dépendance [CIM-10]) ne comprend qu’indirectement des éléments susceptibles de fonder une limitation des capacités fonctionnelles, déterminante pour évaluer la capacité de travail: ainsi, la difficulté à contrôler la consommation ou le désinvestissement progressif des autres activités et obligations. Le degré de gravité du diagnostic en cause, en tant qu’élément déterminant sous l’angle juridique, n’apparaît dès lors qu’en lien avec les répercussions fonctionnelles concrètes qu’entraîne l’atteinte à la santé (cf. ATF 143 V 418 consid. 5.2.2 p. 425).

En ce qui concerne ensuite le diagnostic du trouble de la personnalité, on ne saurait suivre la juridiction cantonale lorsqu’elle en nie la pertinence. Contrairement à ce qu’elle a retenu, le diagnostic de trouble de la personnalité a suffisamment été motivé par l’expert psychiatre. Celui-ci ne s’est pas borné à qualifier cette affection de « grave » dans le chapitre relatif au traitement exigible mais en a évoqué les critères diagnostiques dans plusieurs pages de son rapport d’expertise. Il l’a fait en termes clairs et non en utilisant des « notions psychanalytiques […] difficilement accessibles aux profanes ». Il a ainsi extrait de l’anamnèse (familiale, personnelle, professionnelle et médicale), des plaintes exprimées par l’assuré, des renseignements obtenus auprès des médecins traitants ou du status clinique au moment de l’expertise des événements de vie précis qui mettaient en évidence de nombreux éléments ou traits de caractère justifiant le diagnostic de trouble de la personnalité, qu’il a qualifié de grave. Il convient dès lors de prendre également en compte ce trouble pour une évaluation dans son ensemble de la situation de l’assuré sous l’angle psychique.

 

Les indicateurs standards devant être pris en considération en général sont classés d’après leurs caractéristiques communes (sur les catégories et complexes d’indicateurs, cf. ATF 141 V 281 consid. 4.1.3 p. 297 s.). Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 p. 298).

Concernant le complexe « atteinte à la santé » (ATF 141 V 281 consid. 4.3 p. 298 ss), la juridiction cantonale s’est limitée à retenir que le trouble de la personnalité (allégué) et les syndromes de dépendance n’avaient pas entravé l’assuré dans sa vie professionnelle durant de nombreuses années, qu’il refusait de se soumettre à un traitement approprié et que la comorbidité que représentait le trouble de la personnalité apparaissait clairement au second plan. Ce raisonnement succinct ne suffit toutefois pas pour une évaluation conforme au droit.

Le fait d’avoir été en mesure d’exercer une activité lucrative pendant quatorze ans sans problème majeur est un élément important à prendre en considération dans l’évolution de la situation médicale de l’assuré. Il est toutefois arbitraire d’en déduire – comme l’a fait la juridiction cantonale – une absence de gravité des atteintes à la santé. Une telle déduction, fondée exclusivement sur la situation antérieure à la fin de l’année 2016, méconnaît totalement la problématique de la décompensation du trouble de la personnalité consécutive à des événements de vie marquants et la perte de contrôle de la consommation de psychotropes survenues à la fin de l’année 2016 et au début de l’année 2017, mises en évidence par la psychiatre traitant et confirmées par le médecin-expert. Ainsi, l’expert a repris la description d’une personne qui avait augmenté de manière importante la consommation de substances psychoactives en été 2016, à la suite d’une aggravation de l’état psychique liée à la séparation conjugale et de conflits qui en ont résulté.

Les nombreux éléments constatés par l’expert psychiatre lui ont en outre permis de mettre en évidence les interactions entre les affections diagnostiquées ainsi que les conséquences de ces interactions sur la capacité de l’assuré à exploiter ses ressources personnelles.

Le médecin-expert a ainsi retenu que la fragilité de la personnalité de l’assuré avait favorisé une consommation abusive d’alcool, de cannabis et de cocaïne ou que la dépendance aux substances psychoactives s’était installée de manière secondaire au trouble de la personnalité. Il a également déclaré que nombre des symptômes du trouble de la personnalité perturbait l’engagement de l’assuré dans les démarches thérapeutiques ou de réadaptation. L’humeur plus ou moins fortement dépressive en fonction des difficultés rencontrées (divorce, licenciement, etc.) et les traits de personnalité narcissique contribuaient aussi à l’entretien de la consommation d’alcool et de drogue. L’expert a par ailleurs fait état d’une inconsistance de l’investissement relationnel perturbant l’instauration de rapports professionnels stables et persistants, d’une limitation du seuil de tolérance à la frustration, ainsi qu’une vulnérabilité au stress, aux pressions temporelles et aux enjeux relationnels; le fonctionnement perturbé de l’assuré entraînait des difficultés d’organisation, d’autodiscipline et du sens du devoir. Cette analyse, prenant en considération les affections concomitantes aux syndromes de dépendance (y compris la dysthymie et les traits de personnalité narcissique), démontre dès lors l’existence au moment de l’expertise de plusieurs facteurs d’affaiblissement des ressources dont dispose l’assuré pour faire face à sa toxicomanie et de limitation de la capacité fonctionnelle. Le trouble de la personnalité « [n’]apparaît [donc pas] clairement au second plan », au contraire de ce qu’ont retenu les juges cantonaux sans plus ample motivation, mais doit être considéré comme une atteinte participant à la gravité des syndromes de dépendance.

 

Le déroulement et l’issue d’un traitement médical sont en règle générale aussi d’importants indicateurs concernant le degré de gravité du trouble psychique évalué. Il en va de même du déroulement et de l’issue d’une mesure de réadaptation professionnelle. Ainsi, l’échec définitif d’une thérapie médicalement indiquée et réalisée selon les règles de l’art de même que l’échec d’une mesure de réadaptation – malgré une coopération optimale de l’assuré – sont en principe considérés comme des indices sérieux d’une atteinte invalidante à la santé. A l’inverse, le défaut de coopération optimale conduit plutôt à nier le caractère invalidant du trouble en question. Le résultat de l’appréciation dépend toutefois de l’ensemble des circonstances individuelles du cas d’espèce (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2 p. 299 s. et les références).

Au regard de la constatation de la juridiction cantonale sur le refus de l’assuré de se soumettre à une thérapie menée dans les règles de l’art, il convient de mettre en lumière une situation plus nuancée. Certes, le médecin-expert mentionne de nombreux éléments pouvant être interprétés comme un manque de collaboration de la part de l’assuré ou considérés comme autant d’indices atténuant le caractère de gravité des syndromes de dépendance. L’expert psychiatre évoque de surcroît l’existence d’options thérapeutiques sérieuses permettant d’envisager la reprise d’une activité lucrative.

Cependant, il apparaît également à la lecture du rapport d’expertise que les comorbidités psychiatriques ont joué un rôle non négligeable dans l’entrave du bon déroulement et du succès des traitements, influençant de manière significative la volonté de l’assuré.

Dans ces circonstances, le refus de l’assuré de se soumettre à des traitements appropriés ou l’échec des traitements entrepris ainsi que le défaut d’exploitation adéquate des possibilités de réadaptation offertes ne sauraient être considérés comme un indice du peu de gravité du diagnostic retenu comme l’a affirmé la juridiction cantonale. Au contraire, les conclusions de l’expert à cet égard – qui, pour la première fois, montre la complexité d’une situation qui n’est certes pas figée mais dont la résolution nécessite la mise en œuvre de moyens importants de la part de l’assuré – justifient de retenir des indicateurs en faveur du degré de gravité des atteintes psychiques, temporairement du moins.

A propos du complexe « personnalité » (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2 p. 302), il a déjà été abordé précédemment en relation avec les diagnostics en cause ainsi que l’échec des traitements et de la réadaptation professionnelle. Il suffit de rappeler que d’après l’expert psychiatre, l’intensité avec laquelle se sont exprimés et s’exprimaient encore les symptômes du trouble de la personnalité associés aux symptômes des traits de personnalité narcissique avait clairement entretenu la consommation d’alcool et de drogue et amoindri tout aussi clairement la capacité de l’assuré à s’investir pleinement dans le sevrage de ses toxicomanies. Le médecin-expert n’a cependant pas considéré que la situation était définitivement figée mais qu’une longue période de traitement addictologique et psychothérapeutique combiné pourrait permettre la reprise d’une activité lucrative adaptée. Il apparaît dès lors que la personnalité de l’assuré au moment de l’examen influence de manière négative les capacités de l’assuré.

S’agissant du complexe « contexte social », dont il est aussi possible de faire des déductions quant aux ressources mobilisables de l’assuré (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 p. 303), le tribunal cantonal a constaté que les atteintes à la santé diagnostiquées n’avaient eu que peu d’incidence sur la vie sociale de l’assuré: celui-ci avait eu deux relations sentimentales depuis la séparation d’avec son épouse et avait indiqué à l’expert psychiatre se consacrer à des loisirs festifs et avoir un important cercle d’amis. Ces constatations sont toutefois manifestement incomplètes et doivent être nuancées. On ne voit d’abord pas en quoi le fait de se consacrer à des loisirs festifs (dans le contexte particulier d’une addiction à la cocaïne) mettrait en évidence un soutien dont l’assuré bénéficierait de manière positive. La circonstance que depuis 2017, il partage apparemment sa vie avec une nouvelle compagne perçue comme une alliée représente en revanche un appui certain. Le fait pour l’assuré de devoir faire contrôler son abstinence à la cocaïne s’il entend exercer le droit de visite sur ses enfants met néanmoins en évidence les répercussions négatives de son atteinte à la santé sur le plan privé, ce dont les premiers juges n’ont pas tenu compte. En définitive, on ne saurait déduire du contexte social que l’assuré dispose de ressources mobilisables de manière décisive.

Reste encore à examiner si les conséquences qui sont tirées de l’analyse des indicateurs de la catégorie « degré de gravité fonctionnel » résistent à l’examen sous l’angle de la catégorie « cohérence » (ATF 141 V 281 consid. 4.4 p. 303 s.). A ce titre, il convient notamment d’examiner si les limitations fonctionnelles se manifestent de la même manière dans la vie professionnelle et dans la vie privée, de comparer les niveaux d’activité sociale avant et après l’atteinte à la santé ou d’analyser la mesure dans laquelle les traitements et les mesures de réadaptation sont mis à profit ou négligés. Dans ce contexte, un comportement incohérent est un indice que les limitations évoquées seraient dues à d’autres raisons qu’une atteinte à la santé.

Or un tel comportement incohérent ne saurait être retenu en l’espèce. Il apparaît effectivement que la décompensation de la consommation d’alcool et de drogues, survenue alors que l’assuré effectuait un stage dans le cadre d’une mesure de réadaptation, a entraîné non seulement une incapacité totale de travail mais aussi des dysfonctionnements dans la vie privée: l’assuré devait faire contrôler son abstinence pour pouvoir exercer son droit de visite sur ses enfants. De surcroît, se consacrer à des loisirs festifs (activité que l’assuré reconnaissait avoir depuis l’âge de seize ans) ne peut servir de seul critère pour juger l’évolution du niveau d’activités sociales avant et après l’atteinte à la santé dans le contexte d’une consommation de psychotropes depuis l’adolescence. Enfin, s’agissant du comportement de l’assuré face aux traitements médicaux et à la réadaptation, il y a lieu de prendre en considération que le refus de se soumettre à des traitements appropriés ou l’échec des traitements entrepris ainsi que le défaut d’exploitation adéquate des possibilités de réadaptation offertes étaient conditionnés par les atteintes psychiques. Il n’y a dès lors pas de raison de penser que les limitations rencontrées par l’assuré dans le domaine professionnel seraient dues à d’autres facteurs que les atteintes à la santé qu’il présente.

En conséquence, en se fondant sur l’expertise, qui permet une évaluation convaincante de la capacité de travail de l’assuré à l’aune des indicateurs déterminants, il convient de constater que l’assuré est atteint de troubles psychiques présentant un degré de gravité certain et entraînant une incapacité totale de travail tant dans la profession exercée jusqu’en juin 2014 que dans une activité adaptée.

 

On ne saurait considérer la situation de l’assuré comme définitivement figée sur le plan médical. L’expert psychiatre atteste l’existence d’une option thérapeutique sérieuse, à savoir la prise en charge combinée du trouble de la personnalité (traitement psychothérapeutique) et des différents syndromes de dépendance (sevrage) dans le cadre d’une hospitalisation de longue durée (six à douze mois) suivie d’un accompagnement ambulatoire post-cure pour permettre la reprise d’une activité lucrative. Par conséquent, il apparaît raisonnablement exigible de l’assuré qu’il entreprenne un tel traitement médical dans le but de réduire la durée et l’étendue de son incapacité de travail au titre de son obligation de diminuer le dommage (art. 7 al. 1 LAI). Il appartiendra à l’office AI d’examiner ce point en fonction de la situation actuelle de l’assuré et, sous réserve d’un changement des circonstances, d’enjoindre à l’assuré de se soumettre au traitement recommandé par le médecin-expert, en procédant à une mise en demeure écrite conformément à l’art. 21 al. 4 LPGA (cf. art. 7b al. 1 en relation avec l’art. 7 al. 2 let. d LAI; voir aussi ATF 145 V 215 consid. 5.3.1 p. 225 s.; arrêt 9C_309/2019 du 7 novembre 2019 consid. 4.2.2 i. f. et les références).

 

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_618/2019 consultable ici

 

 

4A_578/2018 (f) du 25.11.2019 – Indemnité journalière maladie LCA / Incapacité de travail de nature psychique – Expertise médicale mandatée par l’assureur avec tests psychométriques

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_578/2018 (f) du 25.11.2019

 

Consultable ici

 

Indemnité journalière maladie LCA

Incapacité de travail de nature psychique – Expertise médicale mandatée par l’assureur avec tests psychométriques

 

Assuré, né en 1961, titulaire d’une licence en chimie, a travaillé dès septembre 1989 au service d’une société genevoise en qualité de directeur exécutif, puis de directeur général.

Comme l’ensemble du personnel, il était couvert par l’assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie que son employeuse avait souscrite auprès de la compagnie Z.__ SA. La police d’assurance prévoyait le versement d’indemnités pendant 730 jours, après un délai d’attente de 60 jours. L’indemnité équivalait à 80% du salaire assuré, plafonné à 250’000 fr. par an. Les conditions générales d’assurance (CGA) excluaient tout versement en cas d’incapacité de travail inférieure à 25%.

Le 21.04.2016, l’employeur l’a licencié pour le 31.07.2016 en le libérant immédiatement de son obligation de travailler.

En juin 2016, l’assuré a annoncé un cas de maladie à la compagnie d’assurances précitée en lui transmettant deux certificats établis par son médecin traitant, spécialiste FMH en cardiologie et médecine interne, attestant d’une incapacité de travail totale à compter du 25.05.2016.

Après l’écoulement du délai d’attente, la compagnie d’assurances a versé à l’assuré dès le 24.07.2016 des indemnités journalières calculées sur la base d’une incapacité de travail à 100%. A compter de la mi-août 2016, l’assuré a été suivi par une spécialiste FMH en psychiatrie, qui a attesté d’une incapacité de travail à 100%.

A la demande de la compagnie d’assurances, le médecin traitant a établi le 21.09.2016 un rapport faisant état d’un épisode dépressif de nature réactionnelle, induisant une incapacité de travail à 100% ; le pronostic était bon avec un suivi psychologique (psychothérapie).

Le 29.09.2016, la compagnie d’assurances a invité l’assuré, conformément aux CGA, à se présenter à la consultation d’un spécialiste FMH en neurologie, psychiatrie et psychothérapie. Ce dernier a procédé à l’examen psychiatrique de l’assuré le 18.10.2016. Le médecin-expert a retenu un trouble de l’adaptation avec prédominance de la perturbation d’autres émotions (F 42.23 CIM-10), consécutif à des conflits répétés sur le lieu de travail et à un licenciement signifié à la fin du mois d’avril 2016, chez un sujet dépourvu de tout antécédent psychiatrique. Sur les deux tests psychométriques effectués, l’échelle de Hamilton n’indique qu’un état dépressif léger, tandis que l’échelle de dépression M.A.D.R.S [Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale, réd.] exclut même tout état dépressif. Dans son rapport, le médecin a conclu que l’assuré était capable de reprendre immédiatement une activité professionnelle à 50%, puis à 80% dès le 15.11.2016, et enfin à 100% dès le 01.12.2016.

Sur la base de cette analyse, la compagnie d’assurances a informé l’assuré par courrier du 03.11.2016 qu’elle mettrait fin à sa participation financière le 14.11.2016. L’intéressé a contesté la position de l’assurance par courrier du 07.11.2016.

Dans le courant du même mois, il a débuté une psychothérapie auprès d’une autre spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

La psychiatre traitant a attesté mensuellement d’une incapacité de travail à 100% dès le mois de décembre 2016 jusqu’à la fin mai 2017, puis d’une incapacité de 50% dès juin 2017, ayant pris fin le 31.08.2017.

Parallèlement, l’office AI a été saisi d’une demande de prestations signée par l’assuré le 10.10.2016. Par décision du 13.11.2017, il a refusé toute rente d’invalidité, de même que des mesures professionnelles.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/834/2018 – consultable ici)

L’assuré a déposé une demande en paiement contre la compagnie d’assurances auprès de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice genevoise.

La première psychiatre traitant a vu l’assuré neuf fois entre le 11.08.2016 et le 17.11.2016. Ce médecin a contesté l’appréciation portée par le médecin-expert quant à la capacité de travail de l’assuré. La seconde psychiatre a commencé à suivre l’assuré dans le courant du mois de novembre 2016, à raison d’une fois par semaine, puis d’une fois tous les quinze jours. Selon ce médecin, l’assuré a initialement souffert d’un trouble de l’adaptation, qui s’est cependant accompagné de réactions anxieuses et dépressives de façon suffisamment durable pour engendrer un épisode dépressif d’intensité même sévère.

Le médecin-expert a notamment reproché à ses consoeurs d’avoir répété avec peu de recul critique les plaintes que l’assuré avait également présentées lors de l’examen d’expertise, en s’abstenant d’appliquer des échelles psychométriques standardisées pour objectiver la symptomatologie. Or, l’assuré avait pu maintenir un bon rythme journalier durant son arrêt de travail et avait même pu partir une semaine aux Etats-Unis, voyage peu compatible avec une symptomatologie dépressive moyenne à sévère, tout comme le fait de jouer au tennis une fois par semaine. Eu égard à son niveau d’activités dès la fin de l’année 2016, il était évident que sa symptomatologie anxio-dépressive n’était que d’intensité légère à moyenne au maximum, avec au demeurant un soutien pharmacologique minimal.

La cour cantonale a jugé que la preuve d’une incapacité de travail d’au moins 25% dès le 15.11.2016 n’était pas rapportée. Tous les médecins s’accordaient à dire que la symptomatologie était uniquement imputable aux conflits professionnels et au licenciement de l’assuré, et partant de nature purement réactionnelle. A cet élément, qui plaidait en faveur du diagnostic du médecin-expert, s’ajoutaient trois éléments. Premièrement, l’assuré – nonobstant quelques problèmes de motivation, notamment pour se lever le matin et sortir de chez lui – avait été capable de respecter une bonne structure journalière, d’assumer certaines tâches administratives, d’entretenir des contacts sociaux et de se lancer dans des activités (recherches d’emploi ; voyage aux Etats-Unis ; pratique du tennis, etc.). Deuxièmement, les tests psychométriques n’attestaient au pire que d’une symptomatologie anxio-dépressive d’intensité légère. Troisièmement, l’assuré présentait une blessure narcissique importante, le tout alors qu’il n’était au bénéfice que d’un soutien psychopharmaceutique minimal. Les deux psychiatres traitants n’avaient pas étayé leurs dires sur des tests psychométriques et n’avaient pas décrit de symptômes qui n’aient déjà été pris en compte par le médecin-expert. Dans l’intervalle avait été établi le rapport médical de ce dernier, ressenti négativement par l’assuré en tant qu’il le privait de l’assise médicale requise pour obtenir le versement des indemnités journalières. Qui plus est, les deux doctoresses avaient qualité de médecins traitants ; par la relation de confiance qui s’était tissée avec l’assuré, elles étaient enclines à soutenir peu objectivement les démarches visant à bénéficier de prestations au-delà de l’échéance retenue par la défenderesse.

Par jugement du 25.09.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assuré, qui prétend au versement d’indemnités journalières, doit établir la persistance d’une telle incapacité de travail à l’aune de la vraisemblance prépondérante (ATF 141 III 241 consid. 3.1; arrêt 4A_516/2014 du 11 mars 2015 consid. 4.1). Sa position est facilitée dans la mesure où il n’est pas contesté qu’il s’est trouvé en incapacité de travail jusqu’à une certaine date. Cela étant, ce n’est pas à la compagnie d’assurances de prouver un recouvrement total ou partiel de la capacité de travail. Dans le cadre de son droit à la contre-preuve, elle doit tout au plus apporter des éléments propres à instiller des doutes et à ébranler la vraisemblance prépondérante que l’assuré s’efforce d’établir ; ce genre de doutes peut découler déjà d’allégations de partie, respectivement d’expertises privées (ATF 130 III 321 consid. 3.4; arrêt 4A_85/2017 du 4 septembre 2017 consid. 2.3).

 

L’assuré tente de tirer argument du fait que le médecin-expert ne l’a reçu qu’une seule fois, tandis que ses deux psychiatres l’ont suivi régulièrement et ont ainsi pu attester d’une péjoration de son état de santé, qui se serait produite après la consultation du médecin précité.

La consultation en question s’est tenue le 18.10.2016. Or, la première psychiatre traitant a situé l’aggravation de son état au mois d’octobre 2016, respectivement à la mi-septembre 2016. Le rapport du médecin-expert évoque une augmentation de la dose d’antidépresseurs deux semaines avant la consultation précitée. L’argument d’une aggravation postérieure à la consultation du médecin-expert apparaît ainsi privé d’assise. Qui plus est, l’arrêt attaqué retient que les deux psychiatres n’ont mis en avant aucun nouveau symptôme qui n’aurait pas déjà été décrit par le médecin-expert.

 

L’assuré objecte en outre que la Cour de justice n’avait pas les connaissances nécessaires pour apprécier la pertinence de l’argument tiré des deux tests psychométriques et qu’elle aurait même dû ordonner une expertise. C’est toutefois méconnaître que ni les deux doctoresses, ni le médecin du service régional de l’AI n’ont critiqué la pertinence de ces tests, dont la littérature scientifique accessible sur Internet semble au demeurant admettre qu’ils restent très répandus, nonobstant les critiques qu’appellent immanquablement les tentatives de mesurer une affection psychique (cf. par ex. HELLEM, SCHOLL ET AL., Preliminary Psychometric Evaluation of the Hamilton Depression Rating Scale in Methamphetamine Dependence, in Journal of Dual Diagnosis 2017 p. 305 ss; CARNEIRO ET AL., Hamilton Depression Rating Scale and Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale in Depressed and Bipolar I Patients […], in Health and Quality of Life Outcomes 2015 13:42; RACHEL SHARP, The Hamilton Rating Scale for Depression, in Occupational Medicine 2015 65:340).

 

En définitive, la cour cantonale pouvait clairement exclure sans arbitraire la haute vraisemblance d’une incapacité de travail supérieure à 25%, des doutes suffisants s’opposant à un tel constat.

Dans ce cas de figure, le demandeur a encore la possibilité de rapporter la preuve par la mise en oeuvre d’une expertise judiciaire. Toutefois, dans sa réplique, l’intéressé concède avoir renoncé à requérir une telle expertise qui lui paraissait dépourvue de pertinence plus de deux ans après les faits (sur cette problématique, cf. arrêt 4A_66/2018 du 15 mai 2019 consid. 2.6.2). Cela suffit à clore toute discussion.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_578/2018 consultable ici