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8C_622/2023 (f) du 27.05.2024 – Révision d’une décision entrée en force – Droit aux indemnités chômage / Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_622/2023 (f) du 27.05.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Existence d’un domicile en Suisse – Droit aux indemnités chômage

Mandataire professionnel ne faisant non pas une opposition mais demandant la révison/reconsidération d’une décision non entrée en force – Pas de formalisme excessif de l’autorité

 

L’assurée a notamment bénéficié d’un délai-cadre d’indemnisation de chômage du 01.07.2020 au 30.11.2022. A la suite d’une dénonciation, l’Office cantonal genevois de l’emploi (ci-après: OCE) a demandé une enquête sur le domicile de la prénommée au bureau des enquêtes de l’Office cantonal genevois de la population et des migrations (ci-après: OCPM). Il ressort d’un rapport d’aide administrative interdépartementale établi le 01.06.2022 que l’assurée ne résidait pas à la rue B.__ à Genève, mais à U.__ en France.

Par décision du 03.06.2022, adressée par pli recommandé, l’OCE a nié à l’assurée son droit à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’avait pas de domicile dans le canton de Genève, à tout le moins depuis cette date. Cette décision n’ayant pas été retirée dans le délai de garde postal, l’OCE l’a renvoyée à l’assurée le 20.06.2022, par courrier simple, en précisant que le « délai de recours » avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde.

Le 20.07.2022, l’assurée, assistée d’un avocat, a informé l’OCE n’avoir eu connaissance de la décision du 03.06.2022 que par le biais du pli simple du 20.06.2022. Elle a expliqué ne plus habiter à la rue B.__ depuis le 05.06.2022 et ne pas avoir été en mesure de prendre connaissance de la décision dans le délai de garde postal. Niant être domiciliée en France, elle a réclamé l’annulation de la décision par reconsidération ou révision. Par décision du 22.08.2022, l’OCE a refusé d’entrer en matière sur la demande de l’assurée. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une contestation.

Le 27.09.2022, l’assurée a formulé une nouvelle demande de reconsidération, s’appuyant sur une décision de l’OCE du 22.09.2022 reconnaissant son domicile à Genève du 03.04.2017 au 02.04.2019, ainsi que sur des attestations de tiers concernant son domicile après le 05.06.2022. Cette demande a été rejetée le 01.12.2022.

Parallèlement, l’OCPM a d’abord conclu à l’absence de domicile en Suisse de l’assurée depuis le 06.02.2020, avant d’annuler cette décision le 02.03.2023, reconnaissant finalement son domicile en Suisse sur la base des éléments fournis dans le cadre de la procédure avec l’OCE.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/632/2023 – consultable ici)

Par jugement du 23.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Il convient de définir l’objet du litige, plusieurs décisions ayant été rendues par l’OCE concernant la situation de l’assurée. L’arrêt attaqué porte sur la contestation par l’assurée de la décision du 01.12.2022 rejetant la demande de reconsidération et révision formée le 27.09.2022. Cette demande visait à obtenir la révision, respectivement la reconsidération de la décision de l’OCE du 03.06.2022 niant le droit de l’assurée à l’indemnité de chômage depuis le 01.07.2020, au motif qu’elle n’était pas domiciliée dans le canton de Genève. Le présent litige porte dès lors sur la réalisation des conditions d’une révision de cette dernière décision au moment du dépôt de la demande du 27.09.2022. Le recours est dès lors irrecevable en tant qu’il conclut au constat d’un domicile à Genève dès le 01.07.2020 et à la reconnaissance du droit à l’indemnité de chômage à partir de cette date.

Consid. 4.1
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant. Aussi, par analogie avec la révision des décisions rendues par les autorités judiciaires, l’administration est tenue de procéder à la révision (dite procédurale) d’une décision formellement passée en force lorsque sont découverts des faits nouveaux importants ou de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits avant et qui sont susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 148 V 277 consid. 4.3 et la référence).

Sont « nouveaux », au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus du requérant malgré toute sa diligence. En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de la décision dont la révision est demandée et conduire à une solution différente en fonction d’une appréciation juridique correcte. Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants, qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment du requérant. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers (arrêt 8C_778/2021 du 1 er juillet 2022 consid. 3.2 et 3.3 et les arrêts cités).

 

Consid. 4.2
La cour cantonale a considéré que la décision sur opposition rendue par l’OCE le 22.09.2022 et la décision rendue par l’OPCM le 02.03.2023 ne constituaient pas des nouveaux moyens de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Ces décisions se fondaient sur des témoignages qui auraient pu être présentés en temps utile par l’assurée dans le cadre d’un recours contre la décision de l’OCE du 03.06.2022. Celui-ci avait considéré à tort que cette décision avait été valablement notifiée à l’échéance du délai de garde de son pli recommandé, car la fiction de la notification ne s’appliquait pas lorsque comme en l’espèce, la destinataire ne faisait l’objet d’aucune procédure. La décision du 03.06.2022 avait donc été notifiée par pli simple du 20.06.2022. L’assurée ne pouvait toutefois pas se prévaloir du principe de la bonne foi, car son conseil aurait pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement contenu dans ce courrier. Dès lors, l’assurée aurait dû former une opposition à la décision du 03.06.2022, et non une demande de révision ou reconsidération. Dans la mesure où cette demande avait été formée dans le délai d’opposition, l’assurée aurait encore pu contester dans le délai de 30 jours la décision de l’OCE du 22.08.2022, quand bien même cette décision ne mentionnait pas la possibilité de la contester.

Consid. 4.3 [résumé]
L’assurée soutient que la décision sur opposition de l’OCE du 22.09.2022 constitue un nouveau moyen de preuve avec des faits nouveaux, car elle est postérieure aux décisions précédentes et démontre son domicile à Genève depuis 2016, sauf pour une courte période en 2022. Elle invoque également la décision de l’OCPM du 02.03.2023 qui annule une précédente décision niant son domicile en Suisse, en se basant sur la décision de l’OCE du 22.09.2022 et les documents fournis. L’assurée argue que ces éléments remettent en question le rapport d’enquête administrative de l’OCPM du 01.06.2022 sur lequel l’OCE s’était appuyé.

Consid. 4.4
Il convient de déterminer si les faits dont l’assurée se prévaut, soit l’existence d’un domicile genevois, peuvent constituer des faits nouveaux ouvrant la voie à une révision de la décision du 03.06.2022. L’assurée ne conteste pas que les décisions des 22.09.2022 et 02.03.2023 reposent sur des témoignages qui auraient pu être présentés lors de la procédure contre la décision du 03.06.2022. Les preuves qu’elle tente d’introduire sont des attestations de témoins de juillet et août 2022, relatives à son domicile, utilisées dans la procédure ayant conduit à la décision du 22.09.2022. Les juges cantonaux ont correctement conclu que l’assurée aurait pu présenter ces preuves lors de la procédure d’opposition ou de recours contre la décision du 03.06.2022. Par conséquent, les conditions pour une révision selon l’art. 53 al. 1 LPGA ne sont pas remplies, et le grief de violation de cette disposition doit être rejeté.

Consid. 5 [résumé]
L’assurée allègue une violation de l’interdiction de l’arbitraire et du principe de la bonne foi, arguant que l’arrêt est arbitraire dans sa motivation et son résultat, la décision de l’OCE du 03.06.2022 étant selon elle erronée. Cet argument se confond avec celui précédemment examiné (cf. consid. 4 supra) concernant les conditions de révision, et n’a donc pas plus de portée. Il en va de même du grief tiré d’une prétendue nullité de la décision du 03.06.2022, l’assurée n’exposant pas sur quelle base légales fonde une quelconque cause de nullité.

L’assurée soutient également que la cour cantonale aurait dû analyser les pièces produites sous l’angle de la reconsidération, arguant que le refus de l’OCE de reconsidérer sa décision constituerait un abus de droit et une violation de l’interdiction de l’arbitraire. Le fondement de l’argumentation de l’assurée est nébuleux. Comme l’assurée le reconnaît elle-même, aucune voie de recours n’existe contre un refus de reconsidération (cf. ATF 133 V 50 consid. 4). Les juges cantonaux n’étaient donc pas tenus d’examiner ce refus, et ce grief est rejeté.

 

Consid. 8.1
A titre subsidiaire, l’assurée soutient que les juges cantonaux auraient dû admettre que son courrier du 20.07.2022 adressé à l’OCE était une opposition et qu’à défaut, ils auraient violé l’art. 52 al. 1 et 2 LPGA. On déduit de son argumentation qu’en réalité, l’assurée se plaint que l’OCE n’ait pas interprété le courrier litigieux, qui requérait la reconsidération et la révision de la décision précitée, comme une opposition. Elle se plaint en conséquence d’un formalisme excessif de la part de l’OCE.

Consid. 8.2
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 145 I 201 consid. 4.2.1; 142 IV 299 consid. 1.3.2).

Les formes procédurales sont nécessaires à la mise en œuvre des voies de droit pour assurer le déroulement de la procédure conformément au principe de l’égalité de traitement, ainsi que pour garantir l’application du droit matériel; toutes les exigences formelles ne se trouvent donc pas en contradiction avec la prohibition du formalisme excessif découlant de l’art. 29 al. 1 Cst. (ATF 142 V 152 consid. 4.2; arrêts 4A_254/2023 du 12 juin 2023 consid. 5.4; 5A_18/2018 du 16 mars 2018 consid. 3.3.1). En outre, selon la jurisprudence, l’avocat est non seulement représentant mais encore collaborateur de la justice, de sorte que le juge est en droit d’admettre qu’il agit en pleine connaissance de cause: l’avocat est présumé capable, en raison de sa formation particulière, de représenter utilement la partie; il se justifie dès lors de se montrer plus rigoureux en présence de ses procédés qu’en présence d’un plaideur ignorant du droit (ATF 113 Ia 84 consid. 3d; arrêt 2C_511/2012 du 15 janvier 2013 consid. 7.2).

Consid. 8.3
Il convient de rappeler que l’assurée n’a pas retiré durant le délai de garde postal la décision rendue le 03.06.2022. L’OCE l’a lui a renvoyée par pli simple du 20.06.2022, en indiquant que le délai d’opposition avait commencé à courir à l’échéance du délai de garde postal. Dans son acte du 20.07.2022, rédigé par son conseil, l’assurée a requis l’annulation de la décision de l’OCE du 03.06.2022 par reconsidération ou révision, et n’a pas formulé d’opposition. Il n’est pas contesté que la décision précitée n’était alors pas entrée en force, le délai d’opposition n’ayant débuté qu’après réception du second envoi.

Consid. 8.4
L’assurée expose s’être fondée sur les indications erronées fournies par l’OCE dans son envoi du 20.06.2022, ce dont on ne devrait pas lui tenir rigueur dans la mesure où son conseil aurait été constitué en urgence, soit le 18.07.2022 et donc deux jours à peine avant l’échéance pour agir contre la décision du 03.06.2022. Elle évoque pour le reste que son acte du 20.07.2022 pouvait être considéré comme une opposition, répondant aux conditions de forme et de fond nécessaires.

Consid. 8.5
Il est manifeste en l’espèce que le conseil de l’assurée pouvait, et devait, se rendre compte que la décision du 03.06.2022 n’avait pas été notifiée à l’échéance du délai de garde postal. La jurisprudence y relative (cf. ATF 146 IV 30 consid. 1.1.2 in fine; 139 IV 228 consid. 1.1) est en effet constante et doit être connue de tout conseil professionnel. En outre, le délai d’opposition n’étant pas échu au moment de sa constitution, le conseil devait procéder par cette voie et non requérir la révision ou la reconsidération de la décision litigieuse. Pour le reste, les conclusions de l’acte du 20.07.2022 sont claires et se limitent à requérir la reconsidération ou la révision de la décision du 03.06.2022. L’OCE – et la cour cantonale – n’a donc commis aucun arbitraire en s’en tenant à ce que l’assurée demandait. L’assurée omet au surplus de prendre en compte que sa requête de reconsidération et de révision du 20.07.2022 a fait l’objet d’une décision rendue le 22.08.2022 par l’OCE, contre laquelle elle n’a pas recouru. Si elle entendait faire valoir que sa requête constituait une opposition, c’est dans le cadre d’un tel recours qu’elle aurait dû agir en ce sens. Son grief s’avère mal fondé.

 

Consid. 9
Au vu de ce qui précède, le recours, manifestement mal fondé, doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. L’assurée, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci apparaissait d’emblée dénué de chances de succès et la requête d’assistance judiciaire doit dès lors être rejetée. L’assurée doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_622/2023 consultable ici

 

8C_188/2023 (f) du 31.05.2024 – Révision d’une décision sur opposition entrée en force – 53 al. 1 LPGA / Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_188/2023 (f) du 31.05.2024

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision sur opposition entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Omission, de manière négligente, de l’assuré de faire valoir un « nouveau » moyen de preuve dans la procédure ordinaire

 

Le 01.05.2018, l’assuré a conclu un contrat à durée déterminée avec B.__ SA pour un poste de maçon. Le 28.05.2018, il a été victime d’un accident professionnel en chutant d’un échafaudage.

Un désaccord est survenu concernant sa fonction exacte :

  • Le 19.11.2018, un certificat de travail le désignait comme chef d’équipe.
  • Le 15.10.2020, l’employeur a déclaré à l’assurance-accidents que l’assuré était maçon avec quelques responsabilités supplémentaires. Il a précisé que durant l’engagement, il avait été convenu que l’assuré aurait un peu plus de responsabilités afin d’acquérir de l’expérience en tant que chef d’équipe ; toutefois, au vu de sa courte période de travail et compte tenu du peu d’expérience accumulée, il n’était pas possible de qualifier l’assuré en tant que chef d’équipe.
  • L’assuré a maintenu avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe.

Par décision du 23.11.2020, elle lui a nié le droit à une rente, au motif que le taux d’invalidité était inférieur au degré d’invalidité minimum de 10%.

Le 06.01.2021, l’assuré a formé opposition contre la décision, affirmant avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, ce qui influait sur son salaire, les indemnités journalières et le calcul de la rente d’invalidité.

Le 22.02.2021, l’assuré a affirmé à l’assurance-accidents avoir travaillé uniquement comme chef d’équipe, contredisant la déclaration de B.__ SA du 15.10.2020. Il a fourni des documents appuyant sa position, dont des rapports de travail le désignant comme chef de chantier. Le 10.03.2021, via un syndicat, il a demandé à son ancien employeur de rectifier sa déclaration et de lui verser la différence de salaire, invoquant également un certificat et une attestation de travail confirmant sa fonction de chef d’équipe. Le même jour, il a sollicité une réanalyse de sa situation auprès de l’assurance-accidents.

Par décision sur opposition du 12.03.2021, l’assurance-accidents a confirmé sa décision du 23.11.2020.

Le 25.03.2021, le conseil de la société a répondu au courrier de l’assuré du 10.03.2021 en maintenant sa position quant à sa fonction de maçon. Il a ajouté que le certificat de travail du 19.11.2018 et l’attestation de travail du 02.12.2020 avaient été rédigés à la requête de l’assuré, sans que la société n’ait été informée de leur but.

Non contestée, la décision sur opposition du 12.03.2021 est entrée en force.

Le 11.11.2021, l’assuré a déposé une demande de révision de la décision du 23.11.2020 et de la décision sur opposition du 12.03.2021. Il a expliqué qu’à l’occasion d’une audience de conciliation, tenue le 26.10.2021 dans la procédure civile initiée à l’encontre de son ancien employeur, celui-ci avait reconnu que l’assuré travaillait en qualité de chef d’équipe, acceptant de ce fait de lui payer la différence de salaire correspondante et de corriger son certificat de travail. Ces éléments avaient été consignés dans une convention qui valait jugement définitif et constituait donc un fait ou un moyen de preuve nouveau. Par décision du 16.12.2021 confirmée le 25.05.2022, l’assurance-accidents a refusé d’entrer en matière sur la demande de révision.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/22 – 19/2023 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont estimé que le statut de chef d’équipe de l’assuré n’était pas un fait nouveau au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Cependant, ils ont considéré que la convention conclue entre l’assuré et son ancien employeur, ayant valeur de jugement définitif, constituait un nouveau moyen de preuve important. Cette convention, établie après la décision sur opposition du 12.03.2021, attestait de la fonction de chef d’équipe de l’assuré et du salaire correspondant, éléments que l’assuré n’avait pas pu prouver auparavant.

Le tribunal cantonal a jugé que ce nouveau moyen de preuve était susceptible d’influencer significativement la décision de l’assurance-accidents concernant le montant des indemnités journalières et le droit à la rente d’invalidité. La convention ne servait pas à réévaluer un fait connu, mais à établir un fait objectif définitif. Par conséquent, le tribunal a conclu qu’il s’agissait bien d’un nouveau moyen de preuve selon l’art. 53 al. 1 LPGA.

Par jugement du 15.02.2023, admission du recours interjeté par l’assuré, toujours représenté par le syndicat, et renvoi de la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient pas être produits auparavant.

Consid. 3.1
Sont « nouveaux » au sens de cette disposition les faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables, mais qui n’étaient pas connus de la personne requérant la révision, malgré toute sa diligence (ATF 134 III 669 consid. 2.2 et les références). En outre, les faits nouveaux doivent être importants, c’est-à-dire qu’ils doivent être de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt entrepris et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 144 V 245 consid. 5.2; 143 III 272 consid. 2.2; 134 IV 48 consid. 1.2).

Consid. 3.2
Les preuves, quant à elles, doivent servir à prouver soit les faits nouveaux importants qui motivent la révision, soit des faits qui étaient certes connus lors de la procédure précédente, mais qui n’avaient pas pu être prouvés, au détriment de la personne qui requiert la révision de la décision. Si les nouveaux moyens de preuve sont destinés à prouver des faits allégués antérieurement, le requérant doit aussi démontrer qu’il ne pouvait pas les invoquer dans la procédure précédente. Une preuve est considérée comme concluante lorsqu’il faut admettre qu’elle aurait conduit le juge à statuer autrement s’il en avait eu connaissance dans la procédure principale. Ce qui est décisif, c’est que le moyen de preuve ne serve pas à l’appréciation des faits seulement, mais à l’établissement de ces derniers. Il n’y a ainsi pas motif à révision du seul fait que l’administration ou le tribunal paraît avoir mal interprété des faits connus déjà lors de la décision principale. L’appréciation inexacte doit être, bien plutôt, la conséquence de l’ignorance ou de l’absence de preuve de faits essentiels pour la décision (ATF 144 V 245 consid. 5.3; 127 V 353 consid. 5b).

Consid. 3.3
Comme condition supplémentaire à la révision au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, il faut que les faits ou moyens de preuve n’aient pas été connus de la personne requérant la révision ou de l’assureur social qui entend réviser sa décision, malgré toute sa diligence. Il appartient au requérant qui se fonde sur un nouveau moyen de preuve destiné à prouver des faits allégués antérieurement dans la procédure précédente de démontrer qu’il ne pouvait pas invoquer ce moyen précédemment. Il doit pouvoir se prévaloir d’une excuse valable pour justifier le fait que le moyen en cause n’a pas été invoqué en temps utile. En effet, la révision ne doit pas servir à réparer une omission qui aurait pu être évitée par un requérant diligent. En cela, elle est un moyen subsidiaire par rapport aux voies de droit ordinaires. On appréciera la diligence requise avec moins de sévérité en ce qui concerne l’ignorance des faits, dont la découverte est souvent due au hasard, que l’insuffisance des preuves au sujet de faits connus, la partie ayant le devoir de tout mettre en œuvre pour prouver ceux-ci dans la procédure principale (MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 54 ad art. 53 LPGA; THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar ATSG, 2020, n° 26 ad art. 53 LPGA; arrêts 8C_334/2013 du 15 novembre 2013 consid. 3.3; U 561/06 du 28 mai 2007 consid. 6.2).

 

Consid. 5.1
En l’espèce, la juridiction cantonale a retenu que la convention constituait un nouveau moyen de preuve dès lors qu’elle permettait d’établir, et non seulement d’apprécier, des faits connus au moment de la décision de l’assurance-accidents du 23.11.2020 confirmée sur opposition le 12.03.2021. La question de savoir si c’est à tort ou à raison que les juges cantonaux ont admis que cette convention constituait réellement un « nouveau » moyen de preuve concluant pour établir le statut de chef d’équipe de l’assuré peut demeurer ouverte. En effet, même en présence d’un nouveau moyen de preuve, si la personne requérant la révision ou son représentant omet, de manière négligente, de faire valoir celui-ci dans la procédure ordinaire, la révision n’est pas possible. Le seul facteur décisif est donc celui de savoir si l’assuré aurait déjà pu présenter son nouveau moyen de preuve dans la procédure ordinaire. Le but de la procédure extraordinaire de révision n’est en effet pas de réparer les omissions évitables du requérant commises au cours de la procédure ordinaire (cf. consid. 3.3 supra).

Consid. 5.2
Il ressort des faits constatés par la juridiction cantonale que l’assuré avait correspondu avec son employeur avant et après la décision sur opposition du 12.03.2021 au sujet de sa position au sein de la société. En effet, le 10.03.2021, il avait écrit à son ancien employeur pour lui demander de rectifier son courrier du 15.10.2020 confirmant sa position de maçon auprès de l’assurance-accidents. En date du 08.04.2021, il avait réitéré auprès de son ancien employeur sa demande du 10.03.2021. Bien qu’il estimait que sa position de chef d’équipe avait des conséquences sur son droit à une rente d’invalidité de l’assurance-accident et qu’il ait allégué ces faits devant l’assurance-accidents en tentant de les étayer par divers moyens de preuve, l’assuré n’a cependant pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 devant la juridiction cantonale. Or rien n’indique qu’il aurait été empêché de le faire. Devant l’instance cantonale de recours, dans la mesure où la question du poste qu’il occupait au sein de la société était au cœur du litige, l’assuré aurait pu et dû défendre sa position de chef d’équipe en invoquant ses échanges de courriers avec son ancien employeur et en fournissant les moyens de preuve se trouvant déjà au dossier qu’il a produit ultérieurement devant le Tribunal de prud’hommes. Au besoin, après avoir recouru en temps utile contre la décision sur opposition du 12.03.2021, il aurait pu demander au tribunal des assurances de suspendre la procédure jusqu’à ce que le Tribunal de prud’hommes ait rendu un jugement ou que les parties aient trouvé un accord. Pour des raisons inexplicables, il n’a non seulement pas recouru contre la décision sur opposition du 12.03.2021 mais il a en outre attendu près de six mois après cette décision pour ouvrir action contre son ancien employeur devant le Tribunal de prud’hommes. L’assuré ne saurait cependant faire reposer sa demande de révision sur un élément qu’il aurait, à tout le moins, pu tenter d’invoquer dans le cadre de la procédure initiale. Il faut dès lors conclure à un manque de diligence de sa part puisque la découverte des éléments prétendument nouveaux sur lesquels il fonde sa demande de révision résulte de démarches qui auraient pu et dû être effectuées durant la procédure précédente. La voie de la révision ne constitue pas uniquement la continuation de la procédure précédente, mais bel et bien un moyen de droit extraordinaire et il appartient ainsi aux parties de contribuer en temps utile à l’établissement des faits litigieux conformément aux règles de procédure applicables (arrêt 8C_334/2013 déjà cité consid. 3.3 et les références).

Consid. 6
Compte tenu de ce qui précède, c’est de manière contraire au droit fédéral que la juridiction cantonale a admis que l’on était en présence d’un nouveau moyen de preuve au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA. Il s’ensuit que le recours est bien fondé.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_188/2023 consultable ici

 

9F_9/2023 (f) du 17.10.2023 – Règlement amiable lors de la procédure devant la CourEDH – Révision d’un arrêt du TF pour violation de la CEDH – 122 LTF / Rente de veuf au-delà du 18e anniversaire du benjamin

Arrêt du Tribunal fédéral 9F_9/2023 (f) du 17.10.2023

 

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Règlement amiable lors de la procédure devant la CourEDH – Révision d’un arrêt du TF pour violation de la CEDH / 122 LTF

Rente de veuf au-delà du 18e anniversaire du benjamin / 24 al. 2 LAVS

 

A la suite du décès de son épouse, le veuf, né en 1963 et père de trois enfants (nés en 1993, 1995 et 1998), s’est vu octroyer une rente de veuf dès le 01.05.2015 par la caisse de compensation. Par décision du 07.03.2016, confirmée sur opposition le 15.06.2017, la caisse de compensation a, en application de l’art. 24 al. 2 LAVS, mis fin au versement de la prestation au 31.03.2016, au motif que la benjamine de l’intéressé avait atteint l’âge de 18 ans révolus.

Les recours formés par le veuf successivement contre cette décision devant la cour cantonale, puis contre l’arrêt de celle-ci du 21.12.2017 devant le Tribunal fédéral (arrêt 9C_119/2018 du 04.04.2018) ont été rejetés.

Par requête du 25.04.2018 (requête n° 20341/18), le veuf a saisi la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après: la CourEDH), invoquant un grief tiré d’une violation de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH (discrimination fondée sur le sexe dans l’allocation d’une rente de veuf). Par décision du 17.05.2023, rectifiée le 29.06.2023, la CourEDH a pris acte de l’accord intervenu entre le veuf et la Suisse. Elle a rayé la requête du rôle conformément à l’art. 39 CEDH (résolution adoptée le 21.09.2023).

 

Demande de révision de l’arrêt du TF 9C_119/2018

Consid. 2.1
En vertu de l’art. 122 let. a in fine LTF, dans sa version en vigueur à partir du 1er juillet 2022 (RO 2022 289), la révision d’un arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la CEDH peut être demandée si la CourEDH a constaté, dans un arrêt définitif (art. 44 CEDH), une violation de la CEDH ou de ses protocoles, ou a conclu le cas par un règlement amiable (art. 39 CEDH). Si les parties parviennent à un règlement amiable lors de la procédure devant la CourEDH, celle-ci rend une décision au sens des art. 39 par. 3 CEDH et 43 par. 3 du Règlement du 4 novembre 1998 de la Cour européenne des droits de l’homme (RS 0.101.2). En pareil cas, le délai de 90 jours prévu par l’art. 124 al. 1 let. c LTF – qui ne mentionne pas l’éventualité du règlement amiable – pour la demande de révision devant le Tribunal fédéral court à compter du prononcé de la décision de radiation de la CourEDH (DENYS, Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 6 ad art. 122 et 124 LTF). En outre, le requérant doit avoir la qualité pour former une demande de révision et, notamment, disposer d’un intérêt actuel à obtenir un nouveau jugement sur le point litigieux (ATF 144 I 214 consid. 2.1 et les références).

Consid. 2.2
Partie à la procédure ayant abouti à l’arrêt du Tribunal fédéral dont la révision est demandée, le requérant bénéficie de la qualité pour agir et d’un intérêt actuel à obtenir le réexamen de sa cause ensuite de la décision de la CourEDH, sous réserve du consid. 3.3 ci-après. Par ailleurs, la CourEDH a rayé la requête du rôle, car les parties étaient parvenues à un règlement amiable conformément aux art. 39 par. 3 CEDH et 43 par. 3 du règlement de la CourEDH. Pour le surplus, la demande de révision est recevable à la forme et déposée en temps utile.

Consid. 3.1
Le motif de révision de l’art. 122 LTF suppose, de surcroît, outre que les parties soient parvenues à un accord, qu’une indemnité ne soit pas de nature à remédier aux effets de la violation (let. b) et que la révision soit nécessaire pour remédier aux effets de la violation (let. c).

Consid. 3.2
En l’espèce, dans l’arrêt 9C_119/2018, le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par le veuf, jugeant qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de la jurisprudence selon laquelle la suppression de la rente d’un conjoint survivant à la majorité du dernier enfant n’entrait pas dans le champ d’application de l’art. 8 CEDH, de sorte que la situation ne se prêtait pas à un examen sous l’angle de l’art. 14 CEDH (ATF 139 I 257).

Dans l’affaire Beeler c. Suisse, la Grande Chambre de la CourEDH a admis le 11.102022 qu’un litige portant sur le droit à une rente de veuf de l’assurance-vieillesse et survivants suisse au-delà de la majorité du dernier enfant entrait dans le champ d’application de l’art. 8 par. 1 CEDH sous l’angle du droit au respect de la vie familiale (arrêt Beeler c. Suisse du 11 octobre 2022, n° 78630/12, § 73 ss; cf. aussi sur les critères pertinents quant au point de savoir « ce qui tombe sous l’empire de l’art. 8 CEDH en matière de prestations sociales » § 66 ss). A la suite de cet arrêt, conformément à la décision de la CourEDH du 17 mai 2023, rectifiée le 29 juin 2023, la Suisse et le requérant sont parvenus à un accord amiable, réservant la question de la réparation du dommage matériel pour le requérant résultant de l’interruption du versement de la rente du veuf au moment où son dernier enfant a atteint l’âge de la majorité. La Suisse a en outre constaté dans ce règlement amiable que la présente affaire soulevait une question similaire à celle de l’affaire Beeler c. Suisse. Dans ces circonstances, la réparation du dommage matériel ayant été réservée, la révision est nécessaire pour remédier aux effets de la violation. Il y a dès lors lieu d’admettre le motif de révision et de procéder conformément à l’art. 128 al. 1 LTF, en d’autres termes, d’annuler le ch. 2 du dispositif de l’arrêt 9C_119/2018 et de statuer à nouveau sur le recours à la lumière de l’accord amiable et de l’arrêt Beeler contre Suisse du 11 octobre 2022.

Consid. 3.3
En revanche, dans le cadre du règlement amiable, la Suisse a versé au requérant la somme de 4’996 euros (environ 5’000 fr.) afin de couvrir l’ensemble des frais et dépens encourus par celui-ci dans les procédures internes et devant la Cour à raison des faits qui ont donné lieu à l’introduction de la requête. Le requérant ne saurait dès lors obtenir la révision du ch. 3 du dispositif de l’arrêt 9C_119/2018, en tant qu’il met des frais de procédure de 500 fr. à sa charge. Sur ce point, le requérant ayant déjà été indemnisé, la demande de révision est irrecevable (art. 122 let. b LTF).

Consid. 4.1
La Grande Chambre de la CourEDH a jugé dans l’arrêt Beeler c. Suisse que le Gouvernement suisse n’avait pas démontré qu’il existait des considérations très fortes ou des « raisons particulièrement solides et convaincantes » propres à justifier à l’art. 24 al. 2 LAVS la différence de traitement fondée sur le sexe entre les veufs et les veuves. Selon cette disposition, outre les causes d’extinction mentionnées à l’art. 23 al. 4 LAVS, le droit à la rente de veuf s’éteint lorsque le dernier enfant atteint l’âge de 18 ans. La Grande Chambre de la CourEDH a retenu dès lors que l’inégalité de traitement entre les veufs et les veuves ne saurait reposer sur une justification raisonnable et objective (au sens de l’art. 14 CEDH, combiné avec l’art. 8 CEDH).

Il convient de prendre acte de l’interprétation de l’art. 14 CEDH, combiné avec l’art. 8 par. 1 CEDH, donnée par la Grande Chambre de la CourEDH. Appliqué à la lumière de ces principes, l’art. 24 al. 2 LAVS ne repose dès lors pas sur une justification raisonnable et objective susceptible de permettre un traitement différent du requérant et recourant après le 18e anniversaire de son plus jeune enfant. Aussi, la rente de veuf du recourant octroyée sur la base de l’art. 23 LAVS ne devait pas prendre fin lorsque le dernier de ses enfants a atteint l’âge de 18 ans et devait continuer à être versée (cf. Bulletin de l’OFAS n° 460 du 21 octobre 2022 à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC, ch. 2). Le droit à sa rente de veuf est maintenu au-delà du 31 mars 2016. Cela conduit à l’annulation de l’arrêt cantonal du 21 décembre 2017 et de la décision sur opposition de la caisse de compensation du 15 juin 2017, ainsi qu’au renvoi de la cause à ladite caisse afin qu’elle fixe le montant du droit à la rente de veuf au-delà du 31 mars 2016 ainsi que les paiements rétroactifs y relatifs, avec intérêts moratoires (cf. Bulletin de l’OFAS précité, ch. 2), étant précisé que le recourant a indiqué s’être remarié entre-temps.

Consid. 4.2
Dans la mesure où l’accord amiable prévoit déjà une indemnisation couvrant l’ensemble des frais et dépens encourus par l’intéressé dans les procédures internes, il n’y a pas lieu de revenir sur la réparation des frais et dépens de la procédure cantonale et fédérale antérieure (consid. 3.3. supra).

 

Consid. 5. 

Le requérant obtient gain de cause sur le principe de la révision.

Au vu des circonstances, il y a lieu de renoncer exceptionnellement à percevoir des frais judiciaires (art. 66 al. 1, 2e phrase, LTF). L’intimée versera au requérant une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF).

 

Arrêt 9F_9/2023 consultable ici

 

8C_554/2022 (f) du 22.06.2023 – Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_554/2022 (f) du 22.06.2023

 

Consultable ici

 

Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / 36 LPGA

Examen d’un conflit d’intérêt entre le médecin-conseil et le médecin-traitant travaillant dans une clinique qui collabore avec plus de 200 médecins spécialistes

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA – Rapport du médecin-conseil / 6 LAA

Demande de révision procédurale / 53 al. 1 LPGA

 

Assurée, infirmière, s’est blessée au genou gauche le 05.12.2007 (choc contre un lit) et présentait des douleurs au niveau du genou, du tibia et de la cheville gauches. Aucun diagnostic précis n’a été posé durant les différentes investigations réalisées. En 2009, l’assurée a consulté à plusieurs reprises pour les douleurs à sa jambe gauche le Dr  C.__ spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, qui lui a prescrit neuf séances de physiothérapie. Par déclaration de rechute du 18.01.2013, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents que l’assurée souffrait d’un début d’arthrose. Après avoir recueilli l’avis du Dr  D.__, médecin-conseil et spécialiste en chirurgie orthopédique, l’assurance-accidents a rendu le 04.03.2013 une décision, confirmée sur opposition le 12.06.2013, constatant que les troubles traités dès le 08.01.2013 n’étaient pas en relation de causalité naturelle avec l’accident du 05.12.2017 et que la responsabilité de l’assurance-accidents n’était dès lors pas engagée.

Le 08.05.2018, l’assurée a glissé sur un marque-page en sortant du lit et a subi une foulure respectivement une entorse du genou gauche. Dans un rapport d’IRM réalisée le 20.02.2019, il est fait état d’une rupture ancienne du LCA, d’une arthrose fémoro-tibiale médiane sévère et d’une chondropathie de grade II diffuse fémoro-tibiale latérale. Par décision du 15.06.2020, l’assurance-accidents a informé l’assurée que la relation de causalité entre ses lésions au genou gauche et l’accident du 08.05.2018 ne pouvait être admise que jusqu’au 08.08.2018 et que le cas relevait de l’assurance-maladie dès le 09.08.2018. L’assurée a formé opposition contre cette décision, en faisant notamment valoir que la découverte d’une rupture ancienne du LCA lors de l’IRM réalisée en février 2019 constituait un fait nouveau qui justifiait la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013. Après avoir soumis une nouvelle fois le cas à son médecin-conseil (Dr  D.__), l’assurance-accidents a rendu le 17.08.2021 une décision sur opposition par laquelle elle a admis jusqu’au 08.11.2018 l’existence d’un rapport de causalité entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles du genou gauche, rejetant l’opposition pour le surplus.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 121/21 – 99/2022 – consultable ici)

Par jugement du 15.08.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents

Consid. 3.1
Dans un grief d’ordre formel, l’assurée fait valoir un motif de récusation à l’encontre du Dr D.__, qui travaille en tant que médecin-conseil de l’assurance-accidents parallèlement à son activité de médecin accrédité à la Clinique H.__ du Groupe G.__.

Consid. 3.2
A cet égard, la cour cantonale a exposé correctement les dispositions légales régissant la récusation d’un médecin-conseil d’un assureur-accidents (cf. art. 36 al. 1 LPGA en lien avec l’art. 10 PA, applicable à titre subsidiaire selon l’art. 55 al. 1 LPGA).

Consid. 3.3
L’assurée invoque un conflit d’intérêts, dans la mesure où le Dr D.__ serait un collègue du Dr C.__, qu’elle avait consulté en 2008 et 2009 et auquel elle reproche de ne pas avoir fait d’IRM de son genou gauche à la suite de l’accident du 5 décembre 2007. A l’appui de son argumentation, elle se réfère à l’ATF 148 V 225.

Consid. 3.4
La cour cantonale a examiné le bien-fondé du motif de récusation et a constaté, sur la base des informations figurant sur le site internet de la Clinique H.__ du Groupe G.__, que cet établissement collaborait avec plus de 200 médecins spécialistes, qui exploitaient des cabinets différents. Elle a conclu que ces circonstances n’étaient pas de nature à créer l’apparence d’une prévention, dans la mesure où le Dr D.__ et le Dr C.__ n’exploitaient pas un même cabinet de groupe.

Consid. 3.5
L’assurée, qui ne conteste pas ces faits, se borne à présenter sa propre appréciation de la situation, sans aucunement démontrer en quoi le raisonnement de la cour cantonale serait manifestement insoutenable. En effet, on peine à comprendre en quoi le fait d’exercer comme médecin accrédité dans la même clinique privée qu’un autre confrère serait susceptible de créer l’apparence d’une prévention, surtout lorsque cette clinique occupe plus de 200 médecins spécialisés. Comme les premiers juges l’ont relevé à bon droit, on ne saurait comparer la situation du cas d’espèce à celle qui a donné lieu à l’ATF 148 V 225, qui concernait deux médecins travaillant dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe, dont ils partageaient les frais.

Force est en outre de constater que la supposition de l’assurée selon laquelle il ne serait pas exclu que le Dr C.__ travaille (aussi) en qualité de médecin-conseil de l’assurance-accidents, ne trouve aucun fondement dans les pièces du dossier et est d’ailleurs expressément réfutée par l’assurance-accidents.

Enfin, on ne saurait suivre l’assurée lorsqu’elle entrevoit un indice de prévention dans le fait que l’assurance-accidents ait demandé au Dr C.__ de transmettre les renseignements médicaux directement au Dr D.__ plutôt que de les envoyer à l’adresse électronique générale de l’assureur. En effet, les motifs tenant à l’organisation interne de l’assureur, notamment le fait qu’un médecin spécialiste, comme le Dr D.__, intervienne à plusieurs reprises dans le même dossier, ne constituent pas une raison de douter de son impartialité, même si ses avis ont pu être défavorables à l’assuré (Anne-Sylvie Dupont, in: Dupont/Moser-Szeless [éd.], Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, Bâle 2018, n° 12 ad art. 36 LPGA et les références).

 

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante

Consid. 4.2
Pour l’examen du lien de causalité naturelle entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles au genou, la cour cantonale s’est fondée sur le rapport du médecin-conseil du 23.04.2021. Dans cette appréciation, le médecin-conseil a retenu qu’il était hautement probable que la déchirure du LCA se soit constituée progressivement à cause de la déformation très importante du genou, suffisamment sévère pour générer des contraintes particulièrement anormales sur le pivot central, ainsi qu’à cause d’une conséquence de l’arthrose, l’ostéophytose de l’échancrure, laquelle était susceptible de générer un conflit chronique avec le LCA. Il a conclu, sur la base de l’ensemble des éléments radio-cliniques, que l’événement du 08.05.2018 avait été responsable d’une contusion ou distorsion bénigne du genou qui cessait généralement de déployer ses effets après quelques jours ou semaines, un éventuel hématome ou un œdème post-contusionnel se résorbant dans ce délai. En présence de troubles dégénératifs sous-jacents ou de troubles de surmenage, qui pouvaient ralentir quelque peu la récupération fonctionnelle, le délai de résorption pouvait aller jusqu’à trois, voire six mois si ces troubles étaient importants, par exemple en cas de gonarthrose avancée ou d’obésité morbide. Au-delà de ce délai, et sans preuve d’une lésion structurelle émanant d’un événement traumatique, les troubles persistants étaient dus à une autre cause.

Consid. 4.4
On rappellera que le simple fait qu’un médecin-conseil soit engagé par un assureur et qu’il soit, dans cette fonction, amené à se prononcer plusieurs fois dans un même dossier ne constitue pas un motif pour mettre en doute la fiabilité et la pertinence de ses constatations. Ce qui est au contraire déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2; 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a).

Contrairement à ce que soutient l’assurée, le médecin-conseil a été cohérent et constant dans ses rapports des 24.05.2020 et 23.04.2021. Il a en particulier constaté que l’IRM réalisée neuf mois après l’événement du 08.05.2018 avait mis en évidence une déchirure ancienne du LCA, qui – en l’absence de tout épanchement – ne pouvait en l’occurrence pas être rattachée à cet événement, mais constituait une pathologie qui s’était progressivement développée à cause de la déformation très importante du genou gauche (plus marquée que celle du genou droit). Tenant compte du caractère anodin des deux événements accidentels de 2007 et 2018, des éléments radio-cliniques, des courtes périodes d’incapacité de travail et des importantes pathologies préexistantes (obésité, déviation sévère de l’axe de la jambe vers l’intérieur), le médecin-conseil est parvenu à la conclusion que l’événement du 08.05.2018, qui s’est soldé par une contusion ou distorsion bénigne du genou gauche, a transitoirement (soit pendant une durée de trois mois) décompensé l’état de celui-ci.

En l’absence d’un avis médical contraire, c’est à bon droit que la cour cantonale s’est fondée sur l’appréciation du médecin-conseil, sans qu’il fût nécessaire d’administrer des preuves supplémentaires (cf. ATF 148 V 356 consid. 7.4 sur l’appréciation anticipée des preuves), et a retenu que l’assurance-accidents était fondée à mettre un terme au versement des prestations d’assurance six mois après l’événement du 08.05.2018.

 

Demande de révision procédurale

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont relevé que la recevabilité de la demande de révision était douteuse, puisque l’assurée n’avait demandé la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013 que le 30.07.2020, soit plus d’une année après la découverte de la déchirure du LCA. Ils ont en outre relevé que la découverte de la rupture du LCA en février 2019 ne semblait pas être un fait nouveau ouvrant la voie de la révision, dès lors que le rapport d’IRM ne permettait pas de dater la déchirure du LCA et qu’aucune pièce médicale ne permettait de lier, au degré de la vraisemblance prépondérante, cette atteinte à l’accident survenu onze ans plus tôt. Sur la base de ces constatations, la cour cantonale a conclu qu’il n’existait pas de motif de révision.

Consid. 5.2
L’assurée se limite à soulever des critiques de type appellatoire, sans démontrer en quoi la juridiction cantonale aurait établi les faits de manière manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF. En particulier, elle ne se prononce aucunement sur la recevabilité de sa demande de révision, ni ne démontre que les conditions nécessaires à la révision d’une décision administrative (cf. arrêt 8C_562/2019 du 16 juin 2020 consid. 3) seraient remplies, si bien qu’il n’y a pas lieu de revenir sur l’appréciation de la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_554/2022 consultable ici

 

9C_454/2022 (f) du 15.06.2023 – Modification d’une décision d’octroi de prestations complémentaires / Reconsidération – Examen des rapports juridiques sous tous leurs aspects – 53 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_454/2022 (f) du 15.06.2023

 

Consultable ici

 

Obligation de restituer des prestations indûment touchées – Modification d’une décision d’octroi de prestations complémentaires / 25 LPGA

Reconsidération – Examen des rapports juridiques sous tous leurs aspects / 53 al. 2 LPGA

 

Assuré, marié et père de deux enfants (nés en 1999 et 2001), est au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité, assortie de rentes pour enfants, depuis le 01.11.2011. Par décision du 04.07.2014, la caisse de compensation lui a alloué des prestations complémentaires à compter du 01.11.2011. Ce droit a été confirmé à plusieurs reprises par la suite.

Dans le cadre d’une révision périodique du dossier de l’assuré initiée en novembre 2019, la caisse de compensation a constaté que les allocations familiales versées à l’assuré pour ses enfants avaient augmenté et que des allocations familiales complémentaires devaient être prises en compte à partir du mois de mars 2017. Par décision du 06.11.2020, elle a exigé de l’assuré la restitution d’un montant de 6’210 fr., correspondant aux prestations complémentaires indûment perçues du 01.03.2017 au 30.11.2020. Après que l’assuré s’est opposé à cette décision en indiquant qu’il ne contestait pas la correction du montant des allocations familiales et complémentaires, mais la prise en compte d’un revenu hypothétique pour son épouse dans le calcul de son droit à des prestations complémentaires (opposition du 04.12.2020), la caisse de compensation a confirmé sa décision (décision sur opposition du 28.07.2021). En bref, elle a considéré que sa décision du 06.11.2020 portait uniquement sur le montant des allocations familiales et complémentaires, si bien qu’il n’était pas possible de réexaminer, dans ce cadre, la prise en compte d’un revenu hypothétique pour l’épouse, qui n’avait jamais été contesté; elle a également précisé que les éléments invoqués par l’assuré ne permettaient pas d’écarter le revenu hypothétique du calcul.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 29.08.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Considérant que l’assuré ne contestait pas le bien-fondé de la restitution découlant de l’augmentation des allocations familiales et complémentaires, ni le calcul opéré par la caisse de compensation à cet égard, la juridiction cantonale a circonscrit l’objet du litige au point de savoir si, dans le cadre du réexamen de son droit aux prestations complémentaires justifié par ladite augmentation, l’assuré pouvait valablement contester le poste relatif au revenu hypothétique de son épouse, lequel n’avait pas été modifié dans ce cadre et était entré en force. Elle a d’abord nié que l’art. 25 al. 2 let. b de l’Ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 15 janvier 1971 (OPC-AVS/AI), en relation avec l’art. 17 LPGA, fût applicable en l’espèce, dès lors que l’assuré n’avait pas fait état d’une modification de ses circonstances personnelles ou économiques nécessitant d’adapter le montant de la prestation au sens de la disposition précitée de l’OPC-AVS/AI. Les juges cantonaux ont considéré à cet égard que l’assuré avait signalé une erreur commise par l’administration dès l’octroi des prestations complémentaires, si bien qu’il sollicitait la reconsidération, respectivement la révision du poste relatif au revenu hypothétique de son épouse.

L’instance précédente a ensuite examiné si la voie de la reconsidération pour ledit poste était ouverte, ce qu’elle a nié. En se fondant sur l’état de fait existant à l’époque tel qu’il ressortait du dossier, elle a considéré que la caisse de compensation n’avait pas procédé à une application erronée du droit, dès lors qu’elle ne disposait, à ce moment-là, d’aucun élément attestant du fait que l’épouse de l’intéressé avait diminué son taux d’activité pour s’occuper de lui. Par ailleurs, l’assuré n’avait à aucun moment fait part à la caisse de compensation du besoin d’aide qu’il nécessitait de la part de son épouse ni transmis les rapports d’enquête établis par l’office AI. La juridiction cantonale a également nié que l’assuré pût se prévaloir d’un motif de révision procédurale fondé sur la production de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_165/2020 du 15 juin 2020 (concernant le droit à l’allocation pour impotent du recourant), dès lors déjà qu’il n’avait pas agi dans le délai relatif de 90 jours à partir du moment où il avait pris connaissance de cet arrêt (art. 67 al. 1 PA par renvoi de l’art. 55 al. 1 LPGA). Elle a au demeurant considéré que les faits ressortant de cet arrêt n’étaient pas nouveaux.

 

Consid. 3.1
A la suite des juges cantonaux, on rappellera que l’obligation de restituer des prestations indûment touchées (art. 25 LPGA) suppose que soient remplies les conditions d’une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA) ou d’une révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) de la décision – formelle ou non – par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 130 V 318 consid. 5.2). Selon l’art. 53 al. 2 LPGA, l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable.

Consid. 3.2
Comme le fait valoir à juste titre l’assuré, lorsque les conditions de la reconsidération – ou de la révision procédurale (éventualité écartée par la juridiction cantonale dont le raisonnement n’est pas remis en cause par les parties) – sont réalisées, le rapport juridique doit être examiné pour le futur sous tous ses aspects, comme il en va en cas de révision au sens de l’art. 17 LPGA, c’est-à-dire en tenant compte de l’ensemble des faits déterminants pour le droit aux prestations et son éventuelle étendue, sur la base d’un état de fait établi de manière correcte et complète au moment de la décision ou de la décision sur opposition (arrêt 9C_321/2013 du 19 septembre 2013 consid. 2.1.2 et les arrêts cités). L’examen du droit à la prestation et, le cas échéant, de son étendue (ex nunc et) pro futuro est la règle en matière d’assurance-invalidité (arrêts 9C_215/2007 du 2 juillet 2007 consid. 6.1 et 9C_960/2008 du 6 mars 2009 consid. 1.2).

En revanche, la modification d’une décision d’octroi de prestations complémentaires peut avoir un effet ex tunc ou un effet ex nunc et pro futuro (cf. sur la seconde éventualité, art. 25 OPC-AVS/AI). La modification a un effet ex tunc – et partant justifie, le cas échéant, la répétition des prestations déjà perçues – lorsque sont réalisées les conditions qui président à la révocation, par son auteur, d’une décision administrative, dont celles de la reconsidération (arrêt P 26/02 du 20 janvier 2003 consid. 2). Dans ce cas, l’obligation de restituer des prestations complémentaires indûment perçues doit simplement permettre de rétablir l’ordre légal, après la découverte du motif justifiant la reconsidération (ou la révision procédurale) de la décision initiale d’octroi de prestations (ATF 122 V 134 consid. 2 d-e; arrêt 9C_398/2021 du 22 février 2022 consid. 5.3). Compte tenu de cet objectif, si l’administration admet que les conditions de la reconsidération de la décision d’octroi des prestations complémentaires sont réalisées et requiert la restitution de celles-ci – la modification correspondante déployant alors un effet ex tunc -, elle est tenue d’examiner le rapport juridique sous tous ses aspects lorsque l’ayant droit fait valoir qu’un autre élément de fait ou de droit que celui justifiant, de l’avis de l’organe d’exécution, la reconsidération conduirait à un résultat différent.

Consid. 3.3
En l’occurrence, la juridiction cantonale a examiné la question de la prise en compte du revenu hypothétique de l’épouse de l’assuré dès mars 2017, soulevée au stade de l’opposition, sous l’angle uniquement de la reconsidération et du caractère « manifestement erroné » de cet élément. Quant à la caisse de compensation, elle a procédé à l’examen du droit du recourant à des prestations complémentaires en tenant compte du poste relatif au revenu hypothétique de son épouse, sous l’angle de la révision, et elle a effectué un examen pro futuro, à compter du mois de décembre 2020, soit au moment où l’intéressé avait indiqué que « [son] épouse […] ne p[ouvait] plus travailler en raison du besoin d’aide dû au handicap de son mari » (opposition du 4 décembre 2020). Dans la décision sur opposition du 28.07.2021, la caisse de compensation a en effet indiqué qu’elle serait en mesure d’adapter le calcul des prestations complémentaires de l’assuré, en application de l’art. 25 al. 1 let. c et al. 2 let. b OPC-AVS/AI, en relation avec l’art. 17 LPGA, à supposer que l’état de santé de l’intéressé se fût aggravé depuis la décision du 04.07.2014, ce qu’elle a toutefois nié.

Dans ces circonstances, et comme les éléments de fait déterminants sous l’angle de l’examen du droit aux prestations complémentaires défini en l’espèce font défaut dans l’arrêt attaqué, il convient de renvoyer la cause à la caisse de compensation afin qu’elle procède à un nouvel examen du droit de l’assuré à des prestations complémentaires qui portera également sur la question du revenu hypothétique de son épouse, pour la période sur laquelle porte la restitution (de mars 2017 à novembre 2020).

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_454/2022 consultable ici

 

9C_457/2022 (f) du 03.04.2023 – Conditions pour révision procédurale de décision entrée en force – 53 al. 1 LPGA / Délais applicables en matière de révision – Délai de péremption absolu de 10 ans – 55 al. 1 PA – 67 al. 1 PA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_457/2022 (f) du 03.04.2023

 

Consultable ici

 

Conditions pour révision procédurale de décision entrée en force / 53 al. 1 LPGA

Délais applicables en matière de révision – Délai de péremption absolu de 10 ans / 55 al. 1 PA – 67 al. 1 PA

 

Assuré a déposé une première demande de prestations de l’assurance-invalidité le 12.10.2004. Dans le cadre de l’instruction de cette demande, l’office AI a notamment mis en œuvre une expertise psychiatrique. Le 15.11.2007, l’office AI a, en se fondant sur les conclusions de l’expertise psychiatrique, nié le droit de l’assuré à des prestations de l’assurance-invalidité.

Par décision du 29.08.2013, l’office AI a rejeté la deuxième demande de prestations déposée par l’assuré en date du 10.05.2012. Il a constaté qu’il n’existait aucun fait médical nouveau depuis la décision du 15.11.2007.

Le 05.01.2021, l’assuré a déposé une troisième demande de prestations. Par décision du 02.09.2021, l’office AI a rejeté cette nouvelle demande.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 363/21 – 273/2022 – consultable ici)

Par jugement du 29.08.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision du 02.09.2021 et renvoyant la cause à l’office AI pour qu’il complète l’instruction dans le sens des considérants puis rende une nouvelle décision.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant.

Aussi, par analogie avec la révision des décisions rendues par les autorités judiciaires, l’administration est tenue de procéder à la révision (dite procédurale) d’une décision formellement passée en force lorsque sont découverts des faits nouveaux importants ou de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits avant et qui sont susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 148 V 277 consid. 4.3 et la référence). La notion de faits ou moyens de preuve nouveaux s’apprécie de la même manière en cas de révision (dite procédurale) d’une décision administrative (art. 53 al. 1 LPGA), de révision d’un jugement cantonal (art. 61 let. i LPGA) ou de révision d’un arrêt du Tribunal fédéral fondée sur l’art. 123 al. 2 let. a LTF (qui correspond à l’ancien art. 137 let. b OJ et auquel s’applique la jurisprudence rendue à propos de cette norme, cf. ATF 144 V 245 consid. 5.1). La révision suppose la réalisation de cinq conditions:

  1. le requérant invoque un ou des faits;
  2. ce ou ces faits sont « pertinents », dans le sens d’importants (« erhebliche »), c’est-à-dire qu’ils sont de nature à modifier l’état de fait qui est à la base du jugement et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte;
  3. ces faits existaient déjà lorsque le jugement a été rendu: il s’agit de pseudo-nova (« unechte Noven »), c’est-à-dire de faits antérieurs au jugement ou, plus précisément, de faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables;
  4. ces faits ont été découverts après coup (« nachträglich »), soit postérieurement au jugement, ou, plus précisément, après l’ultime moment auquel ils pouvaient encore être utilement invoqués dans la procédure principale;
  5. le requérant n’a pas pu, malgré toute sa diligence, invoquer ces faits dans la procédure précédente (ATF 143 III 272 consid. 2.2; arrêt 8C_562/2020 du 14 avril 2021 consid. 3.2).

Consid. 3.2
S’agissant des délais applicables en matière de révision, l’art. 53 al. 1 LPGA n’en prévoit pas. En vertu du renvoi prévu par l’art. 55 al. 1 PA, sont déterminants les délais applicables à la révision de décisions rendues sur recours par une autorité soumise à la PA (ATF 143 V 105 consid. 2.1). A cet égard, l’art. 67 al. 1 PA prévoit un délai (de péremption) absolu de dix ans dès la notification de la décision sur recours (soit la décision soumise à révision; ATF 148 V 277 consid. 4.3). La jurisprudence a précisé que ce délai absolu de dix ans était aussi applicable lorsque la révision procédurale porte sur une décision de l’administration (ATF 140 V 514 consid. 3.3; arrêt 8C_377/2017 du 28 février 2018 consid. 7.2 et la référence).

Après dix ans, la révision ne peut être demandée qu’en vertu de l’art. 66 al. 1 PA (art. 67 al. 2 PA; ATF 140 V 514 consid. 3.3). Aux termes de cette disposition, l’autorité de recours procède, d’office ou à la demande d’une partie, à la révision de sa décision lorsqu’un crime ou un délit l’a influencée.

Consid. 3.3
Sur le vu des éléments qui précèdent, la demande de révision procédurale de la décision du 15.11.2007 devait être adressée par écrit à l’autorité qui a rendu la décision dans les 90 jours qui suivaient la découverte du motif de révision, mais au plus tard dix ans après la notification de la décision (art. 67 al. 1 PA en corrélation avec l’art. 55 al. 1 LPGA; arrêt 8C_434/2011 du 8 août 2011 consid. 3, in SVR 2012 UV n° 17 p. 63). En agissant le 05.01.2021, soit plus de 13 ans après la notification de la décision du 15.11.2007, l’assuré a agi tardivement. Il ne prétend par ailleurs pas qu’un crime ou un délit a influencé cette décision (révision « propter falsa », au sens de l’art. 66 al. 1 PA).

Dans ces conditions, le droit de demander la révision procédurale de la décision du 15.11.2007, fondée sur les irrégularités alléguées de l’expertise psychiatrique du 25.11.2005, était périmé au moment où l’assuré s’en est prévalu le 05.01.2021. Les conditions d’une révision procédurale au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA ne sont dès lors pas réalisées, sans qu’il y ait lieu de trancher les autres questions soulevées dans le recours.

Consid. 4
L’introduction du délai absolu de 10 ans de l’art. 67 al. 2 PA a pour double finalité de garantir la sécurité juridique et de faciliter le bon fonctionnement de l’administration, en stabilisant définitivement des rapports de droit après l’écoulement d’un certain temps, sans que cette durée ne puisse être prolongée. Aussi, après un délai de 10 ans, l’assuré ne saurait demander la révision procédurale de la décision du 15.11.2007 qui est entrée en force, ni la révision procédurale de la décision ultérieure du 29.08.2013 en raison d’éléments – l’expertise psychiatrique du 25.11.2005 – qui ont déjà fondé la décision du 15.11.2007.

A moins qu’il existe un motif de révision matérielle (art. 17 LPGA), l’autorité de la chose décidée interdit de recommencer la procédure qui a conduit à la décision du 15.11.2007 sur le même objet. Pour demander la révision procédurale de la décision du 29.08.2013, l’assuré devait invoquer, conformément aux exigences découlant de la sécurité du droit, des faits nouveaux importants ou des nouveaux moyens de preuve qui ne fondent pas déjà la décision du 15.11.2007. La répétition des moyens invoqués tardivement pour demander la révision de la décision du 15.11.2007 ne saurait par conséquent ouvrir la voie de la révision « propter nova » de la décision du 29.08.2013.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_457/2022 consultable ici

 

9C_753/2020 (f) du 23.11.2021 – Révision d’une décision reposant sur un rapport d’expertise de la Clinique Corela – 53 al. 1 LPGA – 67 al. 1 PA / Dies a quo du délai de 90 jours

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_753/2020 (f) du 23.11.2021

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision reposant sur un rapport d’expertise de la Clinique Corela / 53 al. 1 LPGA – 67 al. 1 PA

Dies a quo du délai de 90 jours

Notion de faits notoires

Principe de la bonne foi

 

Assuré, né en 1958, directeur d’une entreprise active dans le domaine de la construction, a chuté le 12.06.2015 et subi des contusions aux épaules et à la nuque. L’assurance-accidents a pris le cas en charge et a versé des indemnités jusqu’au 24.08.2016. En vertu d’un contrat d’assurance collective pour perte de gain maladie régi par la LAMal, la caisse-maladie a pris le relais et alloué des indemnités journalières. Par décision du 22.06.2017, elle a mis un terme au droit à ces prestations avec effet au 31.12.2016. Sa décision – qui n’a pas été contestée – était fondée sur une expertise pluridisciplinaire réalisée par les médecins de la Clinique Corela qui avaient conclu, dans un rapport du 02.05.2017, à l’inexistence d’une atteinte à la santé diminuant la capacité de travail.

Le 05.09.2018, l’assuré a sollicité de la caisse-maladie la révision de la décision du 22.06.2017, motif pris qu’aucune force probante ne pouvait être reconnue à l’expertise pluridisciplinaire en raison des graves manquements commis par la Clinique Corela dans la réalisation de ses expertises. Par décision du 30.04.2019, confirmée sur opposition le 28.08.2019, la caisse-maladie a refusé d’entrer en matière sur la demande de révision, au motif qu’elle était tardive.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 262 – consultable ici)

Par jugement du 05.11.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Les juges cantonaux ont exposé de manière complète les règles relatives à la révision procédurale d’une décision administrative dans le domaine des assurances sociales, ainsi qu’au respect du délai relatif de 90 jours dès la découverte du motif de révision (art. 53 al. 1 LPGA; art. 67 al. 1 PA, applicable en vertu du renvoi de l’art. 55 al. 1 LPGA; ATF 143 V 105 consid. 2.4; voir aussi ATF 144 V 258 consid. 2.1). Il suffit d’y renvoyer.

A la suite de l’instance cantonale, on rappellera que le moment à partir duquel la partie aurait pu découvrir le motif de révision invoqué se détermine selon le principe de la bonne foi. Le délai de 90 jours commence à courir dès le moment où la partie a une connaissance suffisamment sûre du fait nouveau ou du moyen de preuve déterminant pour pouvoir l’invoquer, même si elle n’est pas en mesure d’en apporter une preuve certaine; une simple supposition voire des rumeurs ne suffisent pas et ne sont pas susceptibles de faire débuter le délai de révision (cf. arrêts 8C_665/2020 du 8 juin 2021 consid. 5.2; U 120/06 du 13 mars 2007 consid. 4.1; U 465/04 du 16 juin 2005 consid. 1 et 2.2).

 

Consid. 6.1
La juridiction cantonale a considéré que les faits en cause (les dysfonctionnements survenus au sein de la Clinique Corela) étaient de notoriété publique, de sorte qu’ils pouvaient être connus de toute personne s’informant régulièrement des nouvelles romandes et fribourgeoises, ce qui pouvait être raisonnablement attendu de tout citoyen actif.

Il convient de préciser à cet égard que la notion de faits notoires, c’est-à-dire des faits qui sont connus de chacun ou que personne ne peut raisonnablement ignorer, a trait à l’objet de la preuve en procédure judiciaire (cf. Message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse [CPC], FF 2006 6922). De tels faits, qu’il n’est pas nécessaire d’alléguer ni de prouver, sont ceux dont l’existence est certaine au point d’emporter la conviction du juge, qu’il s’agisse de faits connus de manière générale du public ( allgemeine notorische Tatsachen) ou seulement du juge ( amtskundige oder gerichtskundige Tatsachen). Pour être notoire, un renseignement ne doit pas être constamment présent à l’esprit, il suffit qu’il puisse être contrôlé par des publications accessibles à chacun (ATF 135 III 88 consid. 4.1 et 5; arrêt 5A_639/2014 du 8 septembre 2015 consid. 7.3 et les références), à l’instar par exemple des indications figurant au registre du commerce accessibles sur Internet (ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1 et les références). Cependant, les informations provenant d’Internet ne peuvent être considérées comme notoires que si elles bénéficient d’une empreinte officielle (par ex: Office fédéral de la statistique, inscriptions au registre du commerce, cours de change, horaire de train des CFF etc.), ce qui n’est pas le cas de sites Internet de presse (cf. ATF 143 IV 380 consid. 1.2). De plus, les faits notoires ne peuvent pas être considérés comme des faits nouveaux puisqu’il n’est pas nécessaire de les alléguer ni de les prouver et le juge peut les prendre en considération d’office (arrêt 1C_91/2018 du 29 janvier 2019 consid. 2.1; BERNARD CORBOZ, Commentaire romand de la LTF, 2e éd., 2014, n° 13b ad art. 99 LTF).

En l’occurrence, les dysfonctionnements survenus au sein de la Clinique Corela (soit la modification de rapports d’expertises ayant conduit au retrait temporaire de l’autorisation d’exploiter le département « expertise ») avaient fait l’objet de comptes-rendus dans les médias romands en février et mars 2018; à cette occasion, la possibilité de demander la révision de décisions fondées sur une expertise de cette clinique avait également été mentionnée. Par ailleurs, ces dysfonctionnements ont suscité à la même époque des questions sur le plan politique, de la part de parlementaires fédéraux et cantonaux (ainsi, Question 18.5054 de la conseillère nationale Ruiz, déposée le 28 février 2018).

A l’aune de la jurisprudence rappelée ci-avant, les faits en cause ne correspondent toutefois pas à la notion de faits notoires (« de notoriété publique »), la circonstance qu’ils ont été relayés par les médias romands ne suffisant pas pour les qualifier de tels. On ne saurait dès lors admettre qu’ils ne pouvaient être ignorés de tout citoyen.

 

Consid. 6.3
Sous l’angle ensuite du principe de la bonne foi, il paraît excessif d’exiger de toute personne qu’elle s’informe systématiquement des nouvelles actuelles par le biais des médias. La fonction de directeur d’entreprise qu’occupait l’assuré, mise en exergue par les juges cantonaux, n’y change rien, puisqu’elle n’impliquait pas qu’il se tînt au courant du genre d’information en cause, à tout le moins dans la mesure où celle-ci n’était pas liée à son activité professionnelle.

De plus, l’assuré avait certes confié la défense de ses intérêts à une protection juridique dans le cadre des litiges l’opposant à l’assurance-invalidité et à l’assurance-accidents. Cela ne permet toutefois pas d’en déduire que l’assurance de protection juridique était ou aurait dû être au courant des circonstances dans lesquelles la caisse-maladie (assureur perte de gain en cas de maladie) avait décidé de mettre un terme au versement de ses indemnités journalières, puisqu’elle n’avait pas été mandatée à cet effet. Au demeurant, pour déterminer le moment de la découverte du motif de révision, il ne faut pas se fonder sur la connaissance effective (subjective) par le représentant légal mandaté ultérieurement, mais il faut examiner à partir de quand la personne habilitée à demander la révision a pu avoir connaissance du motif de révision (arrêts du Tribunal fédéral des assurances U 120/06 du 13 mars 2007 consid. 4.2 et U 465/04 du 16 juin 2005, consid. 1 et 2.2, résumé in : REAS 2005 p. 242). Si la juridiction cantonale a ensuite considéré que les litiges alors en cours auraient dû inciter l’assuré à se tenir plus particulièrement au courant d’informations dans le domaine des assurances sociales, on peut également en déduire l’inverse, en particulier dans le contexte des « grandes difficultés tant sur le plan personnel que professionnel » de l’assuré qu’elle a évoquées: le fait de confier un mandat à son assureur protection juridique en matière d’assurance-accidents et assurances-invalidité constitue précisément un indice que l’assuré entendait se décharger des problèmes juridiques sur un tiers qualifié.

Quant à la caisse-maladie intimée, elle donne à l’ATF 144 V 258 une portée qu’il n’a pas. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a constaté que la demande de révision avait été introduite dans les 90 jours après que la requérante a eu connaissance du retrait de l’autorisation en cause par le biais des informations publiées par le site internet rts.ch, le 28 février 2018 (consid. 1.2 de l’ATF 144 V 258); il ne s’est pas prononcé sur le point de savoir si la publication du retrait de l’autorisation de pratiquer par les médias avait fait courir le délai de l’art. 67 al. 1 PA.

 

Consid. 6.4
Il résulte de ce qui précède qu’en l’absence d’éléments concrets permettant d’admettre que l’assuré aurait dû connaître les faits justifiant la demande de révision de la décision du 22.06.2017 avant le 29.06.2018, jour de son entretien avec son avocat, le délai 90 jours prévu à l’art. 67 al. 1 PA n’a commencé à courir qu’à ce moment-là. Il n’était donc pas encore échu au moment du dépôt de la demande de révision, le 05.09.2018, de sorte que le recours doit être admis et la cause renvoyée à la caisse-maladie intimée afin qu’elle examine la demande.

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annulant le jugement cantonal et la décision de la caisse-maladie.

 

 

Arrêt 9C_753/2020 consultable ici

 

 

9C_662/2020 (f) du 16.09.2021 – Révision procédurale niée – 53 al. 1 LPGA / Expertises médicales – Faits nouveaux vs Appréciation divergente d’un même état de fait

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_662/2020 (f) du 16.09.2021

 

Consultable ici

 

Révision procédurale niée / 53 al. 1 LPGA

Expertises médicales – Faits nouveaux vs Appréciation divergente d’un même état de fait

 

Assurée, née en 1957, a requis des prestations de l’assurance-invalidité en raison de différents troubles somatiques et psychiques le 14.05.2004. L’office AI lui a accordé une rente entière d’invalidité à partir du 01.10.2003. Sa décision reposait sur une expertise psychiatrique du docteur B.__. Dans son rapport du 16.03.2004, l’expert avait fait état d’un trouble dépressif majeur et d’un trouble de la personnalité dépendante à l’origine d’une incapacité totale de travail à compter du mois d’août 2002.

En juillet 2006, l’office AI a entrepris une procédure de révision, à l’issue de laquelle il a supprimé la rente avec effet au 01.01.2010 (décision du 18.11.2009). Sa décision se fondait sur un examen clinique rhumato-psychiatrique des docteurs C.__ et D.__, médecins de son Service médical régional (SMR). Ces médecins avaient observé une amélioration de l’état de santé, avec un trouble dépressif en rémission complète ainsi qu’un trouble mixte non décompensé de la personnalité (avec des traits dépendants) autorisant la reprise à plein temps, depuis le 01.12.2005, d’une activité adaptée à des limitations fonctionnelles dues à des douleurs rachidiennes (rapport du 02.11.2007). La décision du 18.11.2009 est entrée en force après que le Tribunal cantonal vaudois a déclaré irrecevable le recours formé par l’assurée (arrêt du 13.10.2011, confirmé par arrêt 9C_893/2011 du Tribunal fédéral du 30.04.2012).

L’intéressée a de nouveau sollicité des prestations le 03.09.2013. L’administration n’est pas entrée en matière sur cette requête (décision du 12.02.2015).

L’assurée s’est à nouveau annoncée à l’assurance-invalidité le 21.07.2015. L’office AI est entré en matière sur la nouvelle demande de prestations et a fait réaliser une nouvelle expertise. Les experts E.__ et F.__, spécialistes en psychiatrie et psychothérapie, ont retenu un trouble de la personnalité paranoïaque totalement incapacitant dès 2002 mais autorisant la reprise à mi-temps d’une activité impliquant un minimum d’interactions sociales dès 2006 (rapport du 04.12.2017). Considérant cependant que les circonstances personnelles de l’intéressée rendaient inexploitable une quelconque capacité de travail depuis le mois de janvier 2016, l’administration a reconnu le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité depuis le 01.01.2017 (décision du 12.09.2018).

 

Le 12.10.2018, l’assurée a sollicité de l’office AI la révision procédurale et/ou la reconsidération des décisions des 18.11.2009 et 12.02.2015. L’office AI n’est pas entré en matière sur la demande de reconsidération (courrier du 21.01.2019). Il a rejeté la demande de révision procédurale de la décision du 18.11.2009 (décision du 10.02.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt AI 307/18 & 86/20 – 313/20 – consultable ici)

Le 12.10.2018, l’assurée a déféré la décision du 12.09.2018 et, le 16.03.2020, la décision du 10.02.2020 au tribunal cantonal. Les causes ont été jointes.

Par jugement du 15.09.2020, la cour cantonale a rejeté le recours contre la décision du 10.02.2020 et admis partiellement celui contre la décision du 12.09.2018, qu’il a réformée en ce sens que la rente entière d’invalidité était octroyée à l’assurée dès le 01.01.2016.

 

TF

Etant donné les motifs et les conclusions recevables du recours, selon lesquels seule la période de novembre 2009 à décembre 2015 est litigieuse sous l’angle de la révision procédurale de la décision du 18.11.2009, seule reste à trancher la question de savoir si la juridiction cantonale pouvait confirmer le rejet de cette demande.

 

Le tribunal cantonal a retenu que les conditions d’une révision procédurale au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA n’étaient pas remplies en l’occurrence. Il a admis que les experts E.__ et F.__ avaient posé un nouveau diagnostic (trouble de la personnalité paranoïaque) mais considéré que ce diagnostic reposait sur une nouvelle appréciation d’un état de fait connu depuis la décision d’octroi de rente du 08.11.2005. Selon les juges cantonaux, la différence de qualification du trouble de la personnalité (paranoïaque en 2017 par rapport à dépendante en 2004 et 2007) se fondait essentiellement sur des symptômes (plus particulièrement sur les difficultés à gérer les relations interpersonnelles) décrits par le docteur G.__de l’Institut für Medizinisch-Psychiatrische Expertise dans son rapport du 18.08.2003, qui avait certes été écarté dans la mesure où il avait été jugé confus mais dont de larges extraits avaient été repris par le docteur B.__. Les juges cantonaux ont par ailleurs considéré sous l’angle de l’art. 17 al. 1 LPGA que les rapports produits par les médecins traitants et les experts établissaient au degré de la vraisemblance prépondérante une modification notable de l’état de santé de l’assurée (décompensation psychique) qui justifiait l’incapacité de travail constatée par les docteurs E.__ et F.__ à compter du mois de janvier 2015. Ils ont dès lors fixé la naissance du droit à la rente au 01.01.2016.

 

Contrairement à ce que fait valoir l’assurée, le tribunal cantonal ne s’est pas interdit d’examiner la situation antérieure à 2016 ou ne s’est pas trompé d’approche dans son analyse. En effet, il s’est dans un premier temps attaché à déterminer si le trouble de la personnalité paranoïaque diagnostiqué par les docteurs E.__ et F.__ en 2017 constituait un fait nouveau qui pouvait justifier la modification de la qualification de l’affection retenue dans la décision initiale du 08.11.2005 et si l’incapacité de travail engendrée par cette affection à partir de 2002 d’après les médecins cités pouvait justifier la révision procédurale de la décision de suppression de rente du 18.11.2009. Ce n’est que dans un second temps que les juges cantonaux ont restreint leur examen aux événements postérieurs à la dernière décision entrée en force du 12.02.2015 pour déterminer sous l’angle de l’art. 17 al. 1 LPGA et à la lumière des informations transmises par les docteurs E.__ et F.__ si l’état de santé de l’assurée s’était éventuellement aggravé.

On relèvera ensuite que conformément à ce qu’a retenu la juridiction cantonale, si le trouble diagnostiqué par les docteurs E.__ et F.__ est différent de celui retenu par les docteurs B.__ ou C.__ et D.__ auparavant, il résulte d’une appréciation divergente d’un même état de fait. Tous ont fait état d’un « trouble spécifique de la personnalité » (F 60 de la CIM-10). Seule la qualification de ce trouble diffère selon les médecins. Les docteurs B.__ ainsi que C.__ et D.__ ont considéré que l’assurée présentait une « personnalité dépendante » (F 60.7 CIM-10) tandis que les docteurs E.__ et F.__ qu’elle présentait une « personnalité paranoïaque » (F 60.0 CIM-10).

De plus, la qualification spécifique du trouble de la personnalité (F….0 ou F….7) dépend des symptômes observés concrètement. Or, à ce propos, le tribunal cantonal a à juste titre nié l’existence de faits nouveaux au motif que les docteurs E.__ et F.__ s’étaient fondés sur des éléments constatés par le docteur G.__ (notamment les difficultés à gérer les relations interpersonnelles) et connus du docteur B.__ pour qualifier rétrospectivement différemment le trouble de la personnalité unanimement admis. Le fait pour l’assurée d’affirmer péremptoirement que les docteurs B.__, C.__ et D.__ avaient totalement omis de tenir compte dans leur appréciation des difficultés qu’elle avait rencontrées dans son enfance, dans la mesure où ils avaient focalisé leur attention sur la problématique dépressive, ne remet pas valablement en cause l’arrêt cantonal et ne démontre pas la découverte de faits nouveaux. En effet, l’assurée se contente ainsi d’alléguer l’existence de difficultés sans en préciser la nature. En tout état de cause, on constate à la lecture des rapports des docteurs B.__, C.__ et D.__ ainsi que E.__ et F.__ que les éléments anamnestiques concernant les difficultés rencontrées durant l’enfance sont décrits d’une manière foncièrement identique, ce qui relativise en outre la portée des propos du docteur H.__ quant à la superficialité de l’anamnèse du rapport des docteurs C.__ et D.__. L’argument y relatif tombe donc à faux.

Il est aussi erroné de prétendre, comme le fait l’assurée, que l’attention des experts et médecins examinateurs avait initialement été concentrée sur la problématique dépressive. Le docteur B.__ décrivait effectivement le trouble dépressif comme étant en rémission partielle et de gravité actuelle mineure. En revanche, il liait la reprise d’une activité lucrative avant tout à l’amendement du fort aspect dépendant du trouble de la personnalité. Les docteurs C.__ et D.__ s’étaient certes exprimés sur la problématique dépressive (en rémission complète) mais avaient également déduit de leurs investigations que le trouble de la personnalité n’était pas décompensé.

Compte tenu de ce qui précède, il apparaît que le tribunal cantonal n’a pas fait preuve d’arbitraire (sur cette notion, cf. ATF 137 I 58 consid. 4.1.2) ni violé l’art. 53 al. 1 LPGA en concluant que les docteurs E.__ et F.__ avaient procédé rétrospectivement à une appréciation divergente d’un état de fait connu et n’avaient pas mis en évidence de faits nouveaux justifiant une appréciation différente de l’évolution de la capacité de travail de l’assurée depuis 2002.

Les autres éléments critiqués par l’assurée (la référence des juges cantonaux à l’avis de ses médecins traitants et à l’instauration d’une curatelle en 2014) ne laissent pas non plus apparaître l’existence de tels faits.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_662/2020 consultable ici

 

 

8C_704/2019 (f) du 05.12.2019 – Révision d’une décision initiale d’octroi des indemnités journalières – Faits nouveaux / 53 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_704/2019 (f) du 05.12.2019

 

Consultable ici

 

Révision d’une décision initiale d’octroi des indemnités journalières – Faits nouveaux / 53 al. 1 LPGA

 

Assuré, né en 1961, a été engagé dès le 01.04.2004 en qualité de sertisseur responsable par B.__ Sàrl, dont il avait été l’unique associé gérant. Le 05.01.2014, l’assuré a été victime d’un accident. L’assurance-accidents lui a alloué en particulier des indemnités journalières pour des périodes d’incapacité totale et partielle de travail allant du 08.01.2014 au 10.01.2016, date au-delà de laquelle il a recouvré une capacité de travail entière.

Le 01.07.2016, l’employeur a annoncé une rechute de cet accident. L’assurance-accidents lui a alloué des indemnités journalières, compte tenu d’une incapacité totale de travail du 10.06.2016 au 25.10.2017.

En début d’année 2018, l’assurance-accidents a procédé à une révision des comptes de B.__ Sàrl, au cours de laquelle elle s’est aperçue que les salaires pris en compte pour le calcul des indemnités journalières versées à l’assuré à la suite de l’accident, d’une part, et de la rechute, d’autre part, étaient tous deux erronés. Aussi a-t-elle rendu une décision le 13.04.2018, confirmée sur opposition, par laquelle elle a réclamé à l’assuré la restitution d’un montant global de 202’189 fr. 90 qu’elle estimait avoir versé à tort selon ses décomptes de prestations rectifiés.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/840/2019 – consultable ici)

Par jugement du 16.09.2019, la cour cantonale a annulé la décision attaquée en tant qu’elle portait sur la restitution de 83’129 fr. 80 à titre d’indemnités journalières versées en trop pour la période du 08.01.2014 au 10.01.2016 et, sur ce point, a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision. En ce qui concernait la restitution des prestations versées à la suite de la rechute, la juridiction cantonale a confirmé la décision sur opposition et l’obligation de l’assuré de rembourser à ce titre le montant de 119’060 fr. 10.

 

TF

Aux termes de l’art. 53 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve de nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant (al. 1 ; révision procédurale). L’assureur peut également revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable (al. 2 ; reconsidération).

Bien qu’ils ne le mentionnent pas expressément, les juges cantonaux ont confirmé le bien-fondé de la créance en restitution en application de l’art. 53 al. 1 LPGA. En effet, ils ont retenu que les salaires annoncés dans les déclarations de sinistre, sur lesquels s’est initialement fondée l’assurance-accidents pour calculer le montant de l’indemnité journalière, ne correspondaient pas aux gains assurés à prendre en considération. De l’avis de la cour cantonale, cette découverte constituait indéniablement un fait nouveau permettant la révision d’une décision. Cela étant, dans la mesure où elle est parvenue à la conclusion que les conditions d’une révision procédurale (53 al. 1 LPGA) étaient remplies, elle pouvait renoncer à examiner le cas sous l’angle de la reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA). Le point de savoir s’ils ont appliqué à juste titre l’art. 53 al. 1 LPGA, plutôt que l’art. 53 al. 2 LPGA, relève du fond et non des exigences de motivation découlant de l’art. 29 al. 2 Cst. Au demeurant, le raisonnement de la cour cantonale n’apparaît pas critiquable dans la mesure où l’assurance-accidents se prévalait d’une inexactitude initiale sur les faits (art. 53 al. 1 LPGA) et non d’une application initiale erronée du droit ou d’une appréciation insoutenable des preuves (art. 53 al. 2 LPGA).

Il n’est pas contesté que l’assurance-accidents a découvert, lors de la révision des comptes de l’employeur, que l’assuré n’avait pas reçu de salaire en 2016 malgré son activité, de sorte que le salaire inscrit sur la déclaration de sinistre relative à la rechute ne correspondait pas au revenu perçu avant la rechute. Une telle découverte justifiait la révision de la décision initiale d’octroi des indemnités journalières. En outre, l’assurance-accidents était en droit de se fier aux indications fournies par l’employeur, sans procéder d’office à leur vérification. En l’absence d’indices susceptibles de mettre en doute les données en cause, on ne saurait lui reprocher un manque de diligence ou un comportement contraire à la bonne foi.

 

L’assuré, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1 p. 537). Au regard des motifs avancés dans le mémoire de recours, celui-ci était dénué de chances de succès. L’assuré doit par conséquent payer les frais judiciaires et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_704/2019 consultable ici

 

 

8F_8/2018 (f) du 07.01.2019 – Demande de révision d’un arrêt du Tribunal fédéral – 123 LTF / Expertise médicale réalisée en son temps par la Clinique Corela

Arrêt du Tribunal fédéral 8F_8/2018 (f) du 07.01.2019

 

Consultable ici

 

Demande de révision d’un arrêt du Tribunal fédéral / 123 LTF

Expertise médicale réalisée en son temps par la Clinique Corela

 

Assurée, employée administrative, a été victime le 06.11.2014 d’un accident de la circulation qui a entraîné une contracture musculaire cervicale bilatérale et des cervicalgies post-traumatiques, post-AVP avec traumatisme cervical de décélération.

L’assurance-accidents a confié une expertise à la Clinique Corela. Se fondant sur les conclusions de l’expertise, l’assureur-accidents a rendu une décision, confirmée sur opposition, par laquelle il a supprimé le droit de l’assurée aux prestations d’assurance (frais de traitement et indemnité journalière) à compter du 26.11.2014.

Le recours a été rejeté par le tribunal cantonal. Par arrêt du 06.11.2017 (8C_221/2017), le Tribunal fédéral a rejeté le recours en matière de droit public formé par l’assurée contre le jugement cantonal.

Par lettre du 30.04.2018 (timbre postal), l’assurée demande la révision de l’arrêt du 06.11.2017.

 

TF

L’assurée se prévaut de faits constatés par le Tribunal fédéral dans un arrêt 2C_32/2017 rendu le 22.12.2017, dont elle a eu connaissance à la suite d’un article de presse publié par le site internet rts.ch.

Par arrêté du 25.06.2015, le Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé de la République et canton de Genève a retiré à la Clinique Corela l’autorisation d’exploiter une institution de santé pour une durée de trois mois. Ce retrait a été confirmé par le Tribunal fédéral en ce qui concerne du moins les départements « psychiatrie » et « expertise » de cet établissement, par l’arrêt cité du 22.12.2017; il a été effectif du 01.03.2018 au 01.06.2018 (publication de la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève du 21.02.2018). A la suite de cet arrêt, la Cour de justice de la République et canton de Genève a publié un communiqué de presse (consultable sur le lien https://ge.ch/justice/clinique-corela-information-relative-une-demande-de-revision) aux termes duquel les assurés dont le droit à des prestations a été nié sur la base d’une expertise effectuée à la Clinique Corela ont la possibilité de demander la révision – devant l’autorité qui a statué en dernier lieu (Office cantonal de l’assurance-invalidité, CNA ou autre assurance, Chambre des assurances sociales de la Cour de justice ou Tribunal fédéral) – de la décision les concernant – sans garantie quant au succès de cette démarche – dans un délai de 90 jours depuis la connaissance des faits susmentionnés. La presse romande a fait largement état de la sanction en question et relayé le contenu du communiqué de presse de la Cour de justice, notamment le site internet rts.ch le 28.02.2018 (consultable sur le lien https://pages.rts.ch/la-1ere/programmes/on-en-parle/28-02-2018).

En conséquence, en déposant sa demande de révision moins de 90 jours après avoir eu connaissance du retrait de l’autorisation en cause par le biais des informations publiées par le site internet rts.ch le 28.02.2018, l’assurée a respecté le délai prévu par l’art. 124 al. 1 let. d LTF (sur la notion de connaissance suffisante, ATF 143 V 105 consid. 2.4 p. 108 et les arrêts cités). Par ailleurs, elle fonde sa demande sur des motifs prévus par la loi, de sorte que sa demande de révision est recevable.

L’art. 123 al. 2 let. a LTF prévoit que la révision peut être demandée dans les affaires civiles et dans les affaires de droit public, si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu’il n’avait pas pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits ou moyens de preuve postérieurs à l’arrêt. La jurisprudence a précisé que ces faits doivent être pertinents, c’est-à-dire de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt attaqué et à aboutir à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 143 V 105 consid. 2.3 p. 107; 143 III 272 consid. 2.2 p. 275 et les arrêts cités).

Dans l’arrêt dont la révision est demandée, le Tribunal fédéral a considéré que l’appréciation de l’autorité cantonale de recours selon laquelle l’expertise de la Clinique Corela avait valeur probante et pouvait être suivie malgré l’avis divergent des médecins de la Clinique F.__ n’était pas critiquable.

Dans son arrêt 2C_32/2017 cité, le Tribunal fédéral a retenu que les expertises pratiquées auprès du « département expertise » de la Clinique Corela ont un poids déterminant pour de nombreux justiciables, de sorte que l’on doit attendre de ces expertises qu’elles soient rendues dans les règles de l’art. Il existe ainsi un intérêt public manifeste à ce que des acteurs intervenant dans des procédures administratives en tant qu’experts, et qui au demeurant facturent d’importants montants à la charge de la collectivité, rendent des expertises dans lesquelles l’administré et l’autorité peuvent avoir pleine confiance, ceux-ci n’étant le plus souvent pas des spécialistes des domaines en cause. Or de très importants manquements ont été constatés dans la gestion de l’institution de santé et en particulier des graves violations des devoirs professionnels incombant à une personne responsable d’un tel établissement. En particulier, cette personne qui était responsable médical du « département expertise » avait modifié (notamment sur des points non négligeables) et signé des dizaines d’expertises sans avoir vu les assurés et sans l’accord de l’expert, ce qui constituait un comportement inadmissible relevant d’un manquement grave au devoir professionnel. C’est pourquoi le Tribunal fédéral a jugé qu’une mesure de retrait de trois mois de l’autorisation d’exploiter le « département expertise » n’était pas contraire au droit (consid. 6 et 7 de l’arrêt cité).

En droit des assurances sociales, une évaluation médicale effectuée dans les règles de l’art revêt une importance décisive pour l’établissement des faits pertinents (ATF 122 V 157 consid. 1b p. 159). Elle implique en particulier la neutralité de l’expert, dont la garantie vise à assurer notamment que ses conclusions ne soient pas influencées par des circonstances extérieures à la cause et à la procédure (cf. ATF 137 V 210 consid. 2.1.3 p. 231), ainsi que l’absence de toute intervention à l’insu de l’auteur de l’expertise, les personnes ayant participé à un stade ou à un autre aux examens médicaux ou à l’élaboration du rapport d’expertise devant être mentionnées comme telles dans celui-ci. Or les manquements constatés au sein du « département expertise » par le Tribunal fédéral dans la procédure relative au retrait de l’autorisation de la Clinique D.________ soulèvent de sérieux doutes quant à la manière dont des dizaines d’expertises ont été effectuées au sein de cet établissement (arrêt 2C_32/2017 cité consid. 7.1) et portent atteinte à la confiance que les personnes assurées et les organes des assurances sociales sont en droit d’accorder à l’institution chargée de l’expertise (voir aussi arrêts 9F_5/2018 du 16 août 2018 consid. 2.3.2; 8C_657/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.2.2). Dès lors, de même que l’assureur-accidents ou le juge ne peut se fonder sur un rapport médical qui, en soi, remplit les exigences en matière de valeur probante (sur ce point, cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352) lorsqu’il existe des circonstances qui soulèvent des doutes quant à l’impartialité et l’indépendance de son auteur, fondés non pas sur une impression subjective mais une approche objective (ATF 137 V 210 consid. 6.1.2 p. 267; 132 V 93 consid. 7.1 p. 109 et la référence; arrêt 9C_104/2012 du 12 septembre 2012 consid. 3.1), il n’est pas admissible de reprendre les conclusions d’une expertise qui a été établie dans des circonstances ébranlant de manière générale la confiance placée dans l’institution mandatée pour l’expertise en cause.

 

En l’occurrence, l’expertise rendue par le spécialiste en neurochirurgie de la Clinique Corela, sur laquelle s’est essentiellement appuyée la juridiction cantonale pour nier le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-accidents à partir du 26.11.2014 et qui a été prise en considération dans la procédure principale par le Tribunal fédéral pour juger de la conformité au droit de l’appréciation des preuves par la cour cantonale, a été réalisée à une époque où le responsable médical du « département expertise » modifiait illicitement le contenu de rapports. En conséquence, cette expertise ne peut pas servir de fondement pour statuer sur le droit de l’assurée aux prestations de l’assurance-accidents. Peu importe le point de savoir si ledit responsable est concrètement intervenu dans la rédaction du rapport du spécialiste en neurochirurgie, voire en a modifié le contenu à l’insu de son auteur, parce qu’il n’est en tout état de cause pas possible d’accorder pleine confiance aux rapports, établis sous l’enseigne de la Clinique Corela. Les exigences liées à la qualité de l’exécution d’un mandat d’expertise médicale en droit des assurances sociales ne pouvaient être considérées comme suffisamment garanties au sein du « département expertise » de celle-ci (sur l’importance de la garantie de qualité de l’expertise administrative, SUSANNE LEUZINGER, Die Auswahl der medizinischen Sachverständigen im Sozialversicherungsverfahren [Art. 44 ATSG], in Soziale Sicherheit – Soziale Unsicherheit, Mélanges à l’occasion du 65ème anniversaire de Erwin Murer, 2010, p. 438). On relèvera à cet égard que les organes de l’assurance-invalidité ont renoncé à confier des mandats d’expertise à la Clinique Corela depuis 2015 (cf. réponse du Conseil fédéral à la question de Madame la Conseillère nationale Rebecca Ruiz 18.5054 « La clinique Corela a-t-elle encore la confiance de l’OFAS? »). Même si, comme le relève l’assurance-accidents dans sa réponse, l’assurée n’a pas contesté les conclusions du spécialiste en neurochirurgie au stade de la procédure de recours et que celles-ci, en soi, satisfont aux exigences en matière de valeur probante, on ne saurait toutefois s’y référer lorsque, comme en l’occurrence, il existe des circonstances qui soulèvent des doutes, fondés sur une approche objective, quant à l’impartialité et l’indépendance de son auteur.

Cela étant, les faits en cause sont de nature à modifier l’état de fait à la base de l’arrêt dont l’assurée demande la révision, dès lors que, eussent-ils été connus du Tribunal fédéral, ils auraient conduit celui-ci à donner une autre issue au litige, singulièrement à nier que l’expertise suivie par la juridiction cantonale pût servir de fondement pour la suppression du droit à prestations. Sur le rescindant, il s’impose dès lors d’annuler l’arrêt rendu le 06.11.2017 par la Ire Cour de droit social dans la cause 8C_221/2017.

 

Le TF admet la demande de révision et l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_221/2017 est annulé. La cause est renvoyée à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

 

 

Arrêt 8F_8/2018 consultable ici