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8C_741/2022 (f) du 06.07.2023 – Lésions de la coiffe des rotateurs – Récusation tardive de l’expert judiciaire / 10 al. 1 PA – 36 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_741/2022 (f) du 06.07.2023

 

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Lésions de la coiffe des rotateurs – Récusation tardive de l’expert judiciaire / 10 al. 1 PA – 36 al. 1 LPGA

Causalité naturelle / 6 LAA

 

A.__, né en 1962, travaillait depuis le 01.07.2018 comme instructeur de fitness. Le 13.07.2018, il a chuté dans les escaliers du studio dans lequel il travaillait et a subi des lésions au niveau de l’épaule et du genou gauches. Diagnostic échographique : enthésopathie de l’insertion du supra-épineux associée à une calcification tendineuse de 7 mm et à une bursite sous-acromio-deltoïdienne expliquant vraisemblablement la symptomatologie. Intervention au genou gauche le 19.09.2018.

Consultation le 12.02.2019 auprès du docteur D.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur et spécialisé en chirurgie de l’épaule et du coude, en raison de douleurs persistantes à l’épaule gauche. Le docteur D.__ a indiqué douter que l’assuré puisse reprendre une activité professionnelle avec les lésions d’allure traumatique retrouvées au niveau de son tendon sous-scapulaire. Selon lui, l’état de l’assuré nécessitait une arthroscopie du long chef du biceps, une réinsertion du tendon sous-scapulaire et une simple évaluation de la coiffe des rotateurs supérieurs.

Examen à la demande de l’assurance par le docteur E.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’assuré avait fait état d’un faux mouvement survenu en mai 2016 et intéressant l’épaule gauche. Il avait également appris que l’assuré avait été opéré le 04.03.2019 par le docteur D.__. Dans son rapport, le docteur E.__ a conclu que la contusion de l’épaule gauche de l’assuré avait dû cesser de déployer ses effets délétères après un délai maximal de trois mois. Au-delà, le cursus de cette épaule était régi par son état pathologique préexistant. La relation de causalité naturelle entre l’événement du 13.07.2018 et les lésions de la coiffe des rotateurs de l’épaule était hautement, voire très hautement improbable. Il en allait de même pour l’arthropathie acromio-claviculaire.

Par décision du 15.08.2019, confirmée sur opposition le 15.01.2020, l’assurance-accidents a mis un terme à ses prestations concernant l’épaule gauche à compter du 12.10.2018 et concernant le genou gauche à compter du 18.03.2019, en se fondant sur le rapport du docteur E.__.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/977/2022 – consultable ici)

Par avis du 22.02.2021, la Présidente de la cour cantonale a informé les parties qu’elle entendait confier une expertise au docteur Pierre-Alexandre F.__, spécialiste FMH en orthopédie et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’assurance-accidents a récusé ce médecin, au motif qu’il était co-fondateur aux côtés du docteur D.__ de l’Hôpital G.__, et a proposé de mandater à sa place un autre spécialiste.

Par ordonnance d’expertise du 08.04.2021, la Présidente de la cour cantonale a écarté les motifs de récusation invoqués, ordonné une expertise orthopédique et désigné le docteur F.__ en tant qu’expert. Le docteur F.__ a rendu son rapport d’expertise judiciaire le 21.01.2022.

Par jugement du 09.11.2022, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 1.3
Sont de nature formelle les motifs de récusation qui sont énoncés dans la loi (cf. art. 10 al. 1 PA et 36 al. 1 LPGA) parce qu’ils sont propres à éveiller la méfiance à l’égard de l’impartialité de l’expert. En revanche, les motifs de nature matérielle, dirigés contre l’expertise elle-même ou contre la personne de l’expert, ne mettent pas en cause son impartialité (arrêt 8C_510/2013 du 10 février 2014 consid. 2.1 et les références citées). De tels motifs doivent en principe être examinés avec la décision sur le fond dans le cadre de l’appréciation des preuves.

Consid. 1.4
Dans son recours en matière de droit public et son recours constitutionnel subsidiaire, l’assurance-accidents reproche en premier lieu à la cour cantonale de ne pas avoir admis sa demande de récusation de l’expert judiciaire. Elle invoque une violation de son droit à un expert indépendant et impartial tel qu’il est garanti par les art. 29 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. La « connivence d’intérêts » et les relations privilégiées qu’entretiendraient ces deux médecins feraient naître, selon l’assurance-accidents, des doutes objectivement justifiés quant à l’équité de la procédure d’expertise et, par conséquent, de la procédure judiciaire dans son ensemble, d’autant que la cour cantonale aurait tranché le litige en prenant appui de façon déterminante sur le rapport d’expertise judiciaire.

Consid. 1.5
En l’occurrence, les griefs à l’encontre de l’expert judiciaire soulevés par l’assurance-accidents dans le cadre de son recours contre l’arrêt final du 09.11.2022 sont de nature formelle puisqu’ils mettent en cause l’impartialité de l’expert. Ils auraient dû, conformément à l’art. 92 al. 1 LTF, faire l’objet d’un recours immédiat au Tribunal fédéral, sans attendre la suite de la procédure (arrêt 8C_467/2014 du 29 mai 2015 consid. 2 et 4, publié in SVR 2015 IV n° 34 p. 108; arrêt 6B_1149/2014 du 16 juillet 2015 consid. 3.2). Invoqués par l’assurance-accidents seulement dans le cadre de son recours en matière de droit public ou dans son recours constitutionnel subsidiaire, les griefs à l’encontre de l’expert sont donc tardifs puisqu’ils n’ont pas été interjetés dans les 30 jours à compter de la réception de l’ordonnance incidente sur expertise du 08.04.2021. Il est sans importance que la décision du 08.04.2021 ne comportait aucune indication sur la voie de recours (cf. arrêt 6B_35/2017 du 26 février 2018 consid. 1.2.2). En l’occurrence, il ne pouvait pas échapper à l’assurance-accidents, représentée par un avocat, que la question de la récusation de l’expert judiciaire nécessitait d’être réglée définitivement avant qu’il soit statué sur le fond. Nonobstant l’absence d’indication de voie de droit dans la décision du 08.04.2021, l’assurance-accidents devait donc agir aussitôt contre cette décision et saisir le Tribunal fédéral. L’assurance-accidents est désormais forclose à se plaindre de la non-récusation de l’expert judiciaire, que ce soit par un recours en matière de droit public (art. 92 al. 2 LTF) ou par un recours constitutionnel subsidiaire (art. 117 LTF). Son grief est irrecevable.

Consid. 3.3.1
C’est la tâche du médecin de porter un jugement sur l’état de santé et d’indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2; 125 V 256 consid. 4 et les arrêts cités). En matière d’appréciation des preuves médicales, le juge doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit leur provenance, puis décider s’ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S’il existe des avis contradictoires, il ne peut pas trancher l’affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu’une autre. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, ce qui est déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a; 122 V 157 consid. 1c et les références).

Consid. 3.3.2
S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et la référence citée).

Consid. 3.4
En l’occurrence, la cour cantonale n’a pas écarté sans raison l’avis du docteur E.__. Comme cela ressort de l’ordonnance d’expertise du 08.04.2021, c’est parce que l’assuré a établi, par l’avis du docteur D.__, des éléments objectivables suffisamment pertinents pour susciter des doutes quant à la valeur probante du rapport du docteur E.__ que la cour cantonale a mis en œuvre une expertise judiciaire. La cour cantonale a ainsi ordonné une expertise judiciaire pour trancher entre l’avis du docteur E.__ et celui du docteur D.__; elle ne s’est pas fondée sur le seul avis du docteur D.__ comme le lui reproche l’assurance-accidents. On ajoutera que, contrairement à ce qu’affirme l’assurance-accidents, le docteur D.__ n’avait pas omis de rappeler les antécédents de son patient, bien au contraire. Dans son ordonnance d’expertise du 08.04.2021, la cour cantonale a constaté que le docteur D.__ avait indiqué, dans son rapport du 3 mars 2020, être d’accord avec le docteur E.__ sur le fait que les lésions du supra-épineux étaient déjà préexistantes et n’étaient pas en lien de causalité avec l’accident; il avait en revanche ajouté que la déchirure de la coiffe antérieure, sous-scapulaire, n’était quant à elle pas préexistante.

Consid. 3.6
En définitive, l’arrêt entrepris échappe à la critique en tant qu’il retient, sur la base des conclusions de l’expertise judiciaire, que l’assuré a droit aux prestations de l’assurance-accidents en relation avec les lésions de son épaule gauche résultant de l’accident du 13.07.2018 jusqu’au 11.10.2019, date à laquelle le statu quo a été atteint.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_741/2022 consultable ici

 

8C_554/2022 (f) du 22.06.2023 – Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_554/2022 (f) du 22.06.2023

 

Consultable ici

 

Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents / 36 LPGA

Examen d’un conflit d’intérêt entre le médecin-conseil et le médecin-traitant travaillant dans une clinique qui collabore avec plus de 200 médecins spécialistes

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – Déchirure du LCA – Rapport du médecin-conseil / 6 LAA

Demande de révision procédurale / 53 al. 1 LPGA

 

Assurée, infirmière, s’est blessée au genou gauche le 05.12.2007 (choc contre un lit) et présentait des douleurs au niveau du genou, du tibia et de la cheville gauches. Aucun diagnostic précis n’a été posé durant les différentes investigations réalisées. En 2009, l’assurée a consulté à plusieurs reprises pour les douleurs à sa jambe gauche le Dr  C.__ spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, qui lui a prescrit neuf séances de physiothérapie. Par déclaration de rechute du 18.01.2013, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents que l’assurée souffrait d’un début d’arthrose. Après avoir recueilli l’avis du Dr  D.__, médecin-conseil et spécialiste en chirurgie orthopédique, l’assurance-accidents a rendu le 04.03.2013 une décision, confirmée sur opposition le 12.06.2013, constatant que les troubles traités dès le 08.01.2013 n’étaient pas en relation de causalité naturelle avec l’accident du 05.12.2017 et que la responsabilité de l’assurance-accidents n’était dès lors pas engagée.

Le 08.05.2018, l’assurée a glissé sur un marque-page en sortant du lit et a subi une foulure respectivement une entorse du genou gauche. Dans un rapport d’IRM réalisée le 20.02.2019, il est fait état d’une rupture ancienne du LCA, d’une arthrose fémoro-tibiale médiane sévère et d’une chondropathie de grade II diffuse fémoro-tibiale latérale. Par décision du 15.06.2020, l’assurance-accidents a informé l’assurée que la relation de causalité entre ses lésions au genou gauche et l’accident du 08.05.2018 ne pouvait être admise que jusqu’au 08.08.2018 et que le cas relevait de l’assurance-maladie dès le 09.08.2018. L’assurée a formé opposition contre cette décision, en faisant notamment valoir que la découverte d’une rupture ancienne du LCA lors de l’IRM réalisée en février 2019 constituait un fait nouveau qui justifiait la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013. Après avoir soumis une nouvelle fois le cas à son médecin-conseil (Dr  D.__), l’assurance-accidents a rendu le 17.08.2021 une décision sur opposition par laquelle elle a admis jusqu’au 08.11.2018 l’existence d’un rapport de causalité entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles du genou gauche, rejetant l’opposition pour le surplus.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 121/21 – 99/2022 – consultable ici)

Par jugement du 15.08.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Demande de récusation du médecin-conseil de l’assurance-accidents

Consid. 3.1
Dans un grief d’ordre formel, l’assurée fait valoir un motif de récusation à l’encontre du Dr D.__, qui travaille en tant que médecin-conseil de l’assurance-accidents parallèlement à son activité de médecin accrédité à la Clinique H.__ du Groupe G.__.

Consid. 3.2
A cet égard, la cour cantonale a exposé correctement les dispositions légales régissant la récusation d’un médecin-conseil d’un assureur-accidents (cf. art. 36 al. 1 LPGA en lien avec l’art. 10 PA, applicable à titre subsidiaire selon l’art. 55 al. 1 LPGA).

Consid. 3.3
L’assurée invoque un conflit d’intérêts, dans la mesure où le Dr D.__ serait un collègue du Dr C.__, qu’elle avait consulté en 2008 et 2009 et auquel elle reproche de ne pas avoir fait d’IRM de son genou gauche à la suite de l’accident du 5 décembre 2007. A l’appui de son argumentation, elle se réfère à l’ATF 148 V 225.

Consid. 3.4
La cour cantonale a examiné le bien-fondé du motif de récusation et a constaté, sur la base des informations figurant sur le site internet de la Clinique H.__ du Groupe G.__, que cet établissement collaborait avec plus de 200 médecins spécialistes, qui exploitaient des cabinets différents. Elle a conclu que ces circonstances n’étaient pas de nature à créer l’apparence d’une prévention, dans la mesure où le Dr D.__ et le Dr C.__ n’exploitaient pas un même cabinet de groupe.

Consid. 3.5
L’assurée, qui ne conteste pas ces faits, se borne à présenter sa propre appréciation de la situation, sans aucunement démontrer en quoi le raisonnement de la cour cantonale serait manifestement insoutenable. En effet, on peine à comprendre en quoi le fait d’exercer comme médecin accrédité dans la même clinique privée qu’un autre confrère serait susceptible de créer l’apparence d’une prévention, surtout lorsque cette clinique occupe plus de 200 médecins spécialisés. Comme les premiers juges l’ont relevé à bon droit, on ne saurait comparer la situation du cas d’espèce à celle qui a donné lieu à l’ATF 148 V 225, qui concernait deux médecins travaillant dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe, dont ils partageaient les frais.

Force est en outre de constater que la supposition de l’assurée selon laquelle il ne serait pas exclu que le Dr C.__ travaille (aussi) en qualité de médecin-conseil de l’assurance-accidents, ne trouve aucun fondement dans les pièces du dossier et est d’ailleurs expressément réfutée par l’assurance-accidents.

Enfin, on ne saurait suivre l’assurée lorsqu’elle entrevoit un indice de prévention dans le fait que l’assurance-accidents ait demandé au Dr C.__ de transmettre les renseignements médicaux directement au Dr D.__ plutôt que de les envoyer à l’adresse électronique générale de l’assureur. En effet, les motifs tenant à l’organisation interne de l’assureur, notamment le fait qu’un médecin spécialiste, comme le Dr D.__, intervienne à plusieurs reprises dans le même dossier, ne constituent pas une raison de douter de son impartialité, même si ses avis ont pu être défavorables à l’assuré (Anne-Sylvie Dupont, in: Dupont/Moser-Szeless [éd.], Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, Bâle 2018, n° 12 ad art. 36 LPGA et les références).

 

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine vel ante

Consid. 4.2
Pour l’examen du lien de causalité naturelle entre l’événement du 08.05.2018 et les troubles au genou, la cour cantonale s’est fondée sur le rapport du médecin-conseil du 23.04.2021. Dans cette appréciation, le médecin-conseil a retenu qu’il était hautement probable que la déchirure du LCA se soit constituée progressivement à cause de la déformation très importante du genou, suffisamment sévère pour générer des contraintes particulièrement anormales sur le pivot central, ainsi qu’à cause d’une conséquence de l’arthrose, l’ostéophytose de l’échancrure, laquelle était susceptible de générer un conflit chronique avec le LCA. Il a conclu, sur la base de l’ensemble des éléments radio-cliniques, que l’événement du 08.05.2018 avait été responsable d’une contusion ou distorsion bénigne du genou qui cessait généralement de déployer ses effets après quelques jours ou semaines, un éventuel hématome ou un œdème post-contusionnel se résorbant dans ce délai. En présence de troubles dégénératifs sous-jacents ou de troubles de surmenage, qui pouvaient ralentir quelque peu la récupération fonctionnelle, le délai de résorption pouvait aller jusqu’à trois, voire six mois si ces troubles étaient importants, par exemple en cas de gonarthrose avancée ou d’obésité morbide. Au-delà de ce délai, et sans preuve d’une lésion structurelle émanant d’un événement traumatique, les troubles persistants étaient dus à une autre cause.

Consid. 4.4
On rappellera que le simple fait qu’un médecin-conseil soit engagé par un assureur et qu’il soit, dans cette fonction, amené à se prononcer plusieurs fois dans un même dossier ne constitue pas un motif pour mettre en doute la fiabilité et la pertinence de ses constatations. Ce qui est au contraire déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2; 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a).

Contrairement à ce que soutient l’assurée, le médecin-conseil a été cohérent et constant dans ses rapports des 24.05.2020 et 23.04.2021. Il a en particulier constaté que l’IRM réalisée neuf mois après l’événement du 08.05.2018 avait mis en évidence une déchirure ancienne du LCA, qui – en l’absence de tout épanchement – ne pouvait en l’occurrence pas être rattachée à cet événement, mais constituait une pathologie qui s’était progressivement développée à cause de la déformation très importante du genou gauche (plus marquée que celle du genou droit). Tenant compte du caractère anodin des deux événements accidentels de 2007 et 2018, des éléments radio-cliniques, des courtes périodes d’incapacité de travail et des importantes pathologies préexistantes (obésité, déviation sévère de l’axe de la jambe vers l’intérieur), le médecin-conseil est parvenu à la conclusion que l’événement du 08.05.2018, qui s’est soldé par une contusion ou distorsion bénigne du genou gauche, a transitoirement (soit pendant une durée de trois mois) décompensé l’état de celui-ci.

En l’absence d’un avis médical contraire, c’est à bon droit que la cour cantonale s’est fondée sur l’appréciation du médecin-conseil, sans qu’il fût nécessaire d’administrer des preuves supplémentaires (cf. ATF 148 V 356 consid. 7.4 sur l’appréciation anticipée des preuves), et a retenu que l’assurance-accidents était fondée à mettre un terme au versement des prestations d’assurance six mois après l’événement du 08.05.2018.

 

Demande de révision procédurale

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont relevé que la recevabilité de la demande de révision était douteuse, puisque l’assurée n’avait demandé la révision de la décision sur opposition du 12.06.2013 que le 30.07.2020, soit plus d’une année après la découverte de la déchirure du LCA. Ils ont en outre relevé que la découverte de la rupture du LCA en février 2019 ne semblait pas être un fait nouveau ouvrant la voie de la révision, dès lors que le rapport d’IRM ne permettait pas de dater la déchirure du LCA et qu’aucune pièce médicale ne permettait de lier, au degré de la vraisemblance prépondérante, cette atteinte à l’accident survenu onze ans plus tôt. Sur la base de ces constatations, la cour cantonale a conclu qu’il n’existait pas de motif de révision.

Consid. 5.2
L’assurée se limite à soulever des critiques de type appellatoire, sans démontrer en quoi la juridiction cantonale aurait établi les faits de manière manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF. En particulier, elle ne se prononce aucunement sur la recevabilité de sa demande de révision, ni ne démontre que les conditions nécessaires à la révision d’une décision administrative (cf. arrêt 8C_562/2019 du 16 juin 2020 consid. 3) seraient remplies, si bien qu’il n’y a pas lieu de revenir sur l’appréciation de la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_554/2022 consultable ici

 

8C_358/2022 (f) du 12.04.2023 – Récusation d’une gestionnaire du dossier – 36 LPGA / Accumulation d’erreurs et de comportements chicaniers de la gestionnaire – Apparence de prévention

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_358/2022 (f) du 12.04.2023

 

Consultable ici

 

Récusation d’une gestionnaire du dossier / 36 LPGA

Accumulation d’erreurs et de comportements chicaniers de la gestionnaire – Apparence de prévention

 

Assurée victime d’un accident de vélo en mai 2020 ayant entraîné une paraplégie complète. L’assurance-accidents a pris en charge les suites de l’accident, avec B.__ comme experte technique prestations accidents. En décembre 2021, B.__ et C.__ ont adressé une lettre au conseil de l’assurée, rappelant les mesures nécessaires pour une adaptation des moyens auxiliaires et des aménagements au domicile, nécessaires à l’assurée. Ils ont fixé un délai jusqu’au 15.01.2022 pour leur faire parvenir un relevé des mesures effectivement prises par les différents intervenants. À défaut, l’assurance-accidents examinerait le droit de l’assurée à une allocation pour impotent et limiterait les prestations découlant de l’OPAS. Le mandataire de l’assurée a répondu le 14.01.2022, demandant la récusation de B.__ et la transmission du dossier à un autre gestionnaire, invoquant une opinion préconçue de la part de l’intéressée. La demande se fondait sur plusieurs reproches, notamment que B.__ outrepassait ses compétences, mettait une pression intolérable sur l’assurée, n’utilisait pas la maxime d’office, posait des questions inutiles et demandait des rapports de manière incessante, adoptait un comportement chicanier et ne payait pas les infirmières en charge des soins pendant plusieurs mois.

Par lettre du 14.02.2022, l’assurance-accidents a rejeté la demande de récusation.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/375/2022 – consultable ici)

Par jugement du 27.04.2022, le tribunal cantonal a rejeté le recours formé par l’assurée contre le refus de l’assurance-accidents de récuser la gestionnaire en charge du dossier, qu’elle a qualifié de décision.

 

TF

Consid. 2.1
Le litige a pour objet la récusation, au sens de l’art. 36 LPGA, de la gestionnaire de l’assurance-accidents en charge du dossier de l’assurée.

Aux termes de l’art. 36 LPGA, les personnes appelées à rendre ou à préparer des décisions sur des droits ou des obligations doivent se récuser si elles ont un intérêt personnel dans l’affaire ou si, pour d’autres raisons, elles semblent prévenues (al. 1). Si la récusation est contestée, la décision est rendue par l’autorité de surveillance (al. 2, première phrase). Par ce dernier terme, il faut entendre le supérieur hiérarchique de la personne visée par la demande de récusation et non l’autorité de surveillance au sens de l’art 76 LPGA (arrêt U 302/05 du 30 août 2006 consid. 3.2 et les références; ANNE-SYLVIE DUPONT, in Commentaire romand, LPGA, 2018 n° 24 ad art. 36 LPGA).

Consid. 2.2
Un litige qui porte uniquement sur une question de récusation ne concerne pas en soi l’octroi ou le refus de prestations en espèces. Par conséquent, l’exception prévue à l’art. 105 al. 3 LTF, qui doit être interprétée de manière restrictive (ATF 140 V 136 consid. 1.2.2; 135 V 412 consid. 1.2.2), ne s’applique pas. Le Tribunal fédéral est donc lié par les faits établis par l’autorité précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF a contrario) et ne peut s’en écarter que si ces faits ont été établis en violation du droit ou de façon manifestement inexacte, à savoir arbitraire (ATF 148 V 366 consid. 3.3), ce qu’il incombe au recourant d’invoquer et de démontrer par une argumentation précise (ATF 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2).

 

Consid. 4.2.1
L’art. 29 al. 1 Cst. dispose que toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement. Selon la jurisprudence, ce droit permet notamment d’exiger la récusation des membres d’une autorité administrative dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur leur indépendance ou leur impartialité; il tend à éviter que des circonstances extérieures à l’affaire ne puissent influencer une décision en faveur ou au détriment de la personne concernée. La récusation peut s’imposer même si une prévention effective du membre de l’autorité visée n’est pas établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Cependant, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d’une des personnes impliquées ne sont pas décisives (ATF 127 I 196 consid. 2b; 125 I 119 consid. 3b, 209 consid. 8a; arrêt 2C_110/2019 du 9 décembre 2019 consid. 5.1).

Consid. 4.2.2
De manière générale, les dispositions sur la récusation sont moins sévères pour les membres des autorités administratives que pour les autorités judiciaires. Contrairement à l’art. 30 al. 1 Cst., l’art. 29 al. 1 Cst. n’impose pas l’indépendance et l’impartialité comme maxime d’organisation. En règle générale, les prises de positions qui s’inscrivent dans l’exercice normal des fonctions gouvernementales, administratives ou de gestion, ou dans les attributions normales de l’autorité partie à la procédure, ne permettent pas, dès lors que l’autorité s’exprime avec la réserve nécessaire, de conclure à l’apparence de la partialité et ne sauraient justifier une récusation, au risque sinon de vider de son sens la procédure administrative (ATF 140 I 326 consid. 5.2; 137 II 431 consid. 5.2; 125 I 119 consid. 3f). Une autorité, ou l’un de ses membres, a en revanche le devoir de se récuser lorsqu’elle dispose d’un intérêt personnel dans l’affaire à traiter, qu’elle manifeste expressément son antipathie envers l’une des parties ou s’est forgée une opinion inébranlable avant même d’avoir pris connaissance de tous les faits pertinents de la cause (arrêt 1C_228/2018 du 18 juillet 2019 consid. 6.1).

Consid. 4.2.3
D’après la jurisprudence, une faute de procédure – voire une fausse application du droit matériel – ne suffit pas à elle seule pour donner une apparence de prévention. Il n’en va autrement que si le membre d’une autorité administrative ou judiciaire a commis des erreurs grossières ou répétées constituant une grave violation des devoirs de sa charge. Une personne qui exerce la puissance publique est nécessairement amenée à devoir trancher des questions controversées ou des questions qui dépendent largement de son appréciation. Même si elle prend dans l’exercice normale de sa charge une décision qui se révèle erronée, il n’y a pas lieu de redouter une attitude partiale de sa part à l’avenir. Par ailleurs, la procédure de récusation ne saurait être utilisée pour faire corriger des fautes – formelles ou matérielles – prétendument commises par une personne détentrice de la puissance publique; de tels griefs doivent être soulevés dans le cadre du recours portant sur le fond de l’affaire (ATF 115 Ia 400 consid. 3b et les références; arrêt 2C_110/2019 précité consid. 5.2).

Consid. 4.2.4
La jurisprudence tirée de l’ATF 132 V 93 – dont l’assurée invoque une mauvaise interprétation par les juges cantonaux – concernait notamment la question de la récusation d’un expert dans le domaine de l’assurance-invalidité. Il en ressort qu’en matière de récusation, il convient de distinguer entre les motifs formels et les motifs matériels. Les motifs de récusation qui sont énoncés dans la loi (cf. art. 10 al. 1 PA et 36 al. 1 LPGA) sont de nature formelle parce qu’ils sont propres à éveiller la méfiance à l’égard de l’impartialité de l’expert. Les motifs de nature matérielle, qui peuvent également être dirigés contre la personne de l’expert, ne mettent en revanche pas en cause son impartialité. De tels motifs doivent en principe être examinés avec la décision sur le fond dans le cadre de l’appréciation des preuves. Il en va ainsi, entre autres exemples, d’un prétendu manque de compétence de l’expert, lequel ne saurait constituer comme tel un motif de défiance quant à l’impartialité de ce dernier (ATF 132 V 93 consid. 6.5).

S’agissant des motifs de récusation formels d’un expert, il y a lieu selon la jurisprudence d’appliquer les mêmes principes que pour la récusation d’un juge, qui découlent directement du droit constitutionnel à un tribunal indépendant et impartial garanti par l’art. 30 al. 1 Cst. – qui en la matière a la même portée que l’art. 6 par. 1 CEDH – respectivement, pour un expert, des garanties générales de procédure de l’art. 29 al. 1 Cst., qui assure à cet égard une protection équivalente à celle de l’art. 30 al. 1 Cst. Un expert passe ainsi pour prévenu lorsqu’il existe des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. Dans ce domaine, il s’agit toutefois d’un état intérieur dont la preuve est difficile à apporter. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de prouver que la prévention est effective pour récuser un expert. Il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l’expert. L’appréciation des circonstances ne peut pas reposer sur les seules impressions de l’expertisé, la méfiance à l’égard de l’expert devant au contraire apparaître comme fondée sur des éléments objectifs (ATF 148 V 225 consid. 3.4 et les références).

Consid. 4.2.5
Dans l’arrêt 9C_499/2013 invoqué par l’assurée (publié in SVR 2014 IV n° 13 p. 50, concernant une demande de récusation d’un office AI dans son ensemble, respectivement des collaborateurs ayant géré le dossier de la personne assurée), le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y avait pas apparence de prévention lorsque l’ensemble des mesures d’instruction mises en œuvre au cours de la procédure administrative s’expliquaient objectivement par la complexité de la situation médicale (syndrome somatoforme douloureux persistant), les circonstances du cas (dénonciation) ainsi que les exigences posées par la jurisprudence en matière d’instruction (cf. consid. 5 et 6). Dans le cas particulier, la partie recourante reprochait à l’office AI et à un certain nombre de ses collaborateurs une série de comportements (répétition inutile de mesures d’instruction; refus de statuer; prise en considération d’une dénonciation anonyme; mise en œuvre d’une mesure de surveillance; refus de donner un accès complet au dossier) qui, pris dans leur ensemble, ne permettaient pas d’exiger la poursuite de l’instruction de la part de l’office AI et de ses employés. Selon l’assurée, l’importance de la tension entre les parties était de nature à fonder une apparence de prévention justifiant la demande de récusation (consid. 6.1). Pour autant qu’ils ont été considérés comme suffisamment établis sur le plan factuel, de tels griefs ont été examinés par le Tribunal fédéral indépendamment d’une décision de l’office AI sur le fond et ont ainsi été traités (implicitement) comme étant de nature formelle.

Consid. 4.2.6
En l’espèce,
certains reproches formulés par l’assurée pourraient certes, pris individuellement, être qualifiés de motifs d’ordre matériel au sens de la jurisprudence tirée de l’ATF 132 V 93 (on pense par exemple à un défaut de compétence). Il n’en reste pas moins que l’assurée se plaignait de l’accumulation d’erreurs et de comportements chicaniers. Or, si la procédure de récusation ne doit pas être utilisée pour faire corriger des fautes, la jurisprudence admet que des erreurs grossières ou répétées constituant une grave violation des devoirs de l’autorité administrative (ou judiciaire) peuvent donner une apparence de prévention (cf. consid. 4.2.3 supra). A cela s’ajoute que d’autres griefs invoqués par l’assurée dans son mémoire de recours en procédure cantonale étaient clairement de nature formelle. Il en va ainsi, par exemple, lorsque celle-ci se plaignait du comportement inadéquat de la gestionnaire en se référant aux notes d’entretien téléphoniques rédigés par cette dernière (« Mme A.__ présente clairement des troubles psychologiques difficiles à gérer »; « c’est une personne qui veut tout maîtriser et qui est prête à tout pour y parvenir »; « vous pourrez constater les nouvelles exagérations de votre patiente »; « Mme A.__ n’est pas transparente et triangule », etc.).

Il y a donc lieu d’admettre que la juridiction cantonale a violé le droit en considérant d’emblée que les griefs étaient d’ordre matériel, de sorte qu’il ne se justifiait pas de les examiner plus avant. Il convenait au contraire d’entrer en matière et d’apprécier si ces griefs pouvaient fonder une apparence de prévention au sens de l’art. 36 LPGA, indépendamment d’une décision sur le fond. D’ailleurs, selon un principe général, la partie qui a connaissance d’un motif de récusation doit l’invoquer immédiatement, sous peine d’être déchue du droit de s’en prévaloir ultérieurement (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3; 139 III 120 consid. 3.2.1). Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré d’une suspicion de prévention pour ne l’invoquer qu’en cas d’issue défavorable (ATF 148 V 225 consid. 3.2; 143 V 66 consid. 4.3).

Consid. 4.2.7
Cela dit, si l’arrêt attaqué mentionne des reproches d’erreurs grossières et répétées, il ne contient pas la moindre constatation en lien avec les faits allégués par l’assurée dans son mémoire de recours. Or il n’appartient pas au Tribunal fédéral de constater ces faits d’office, ni de statuer sur leur pertinence en première instance, quand bien même les conditions pour admettre une prévention de la part d’un membre d’une autorité administrative sont strictes (cf. arrêts 1C_647/2021 du 15 septembre 2022 consid. 2.4; 1C_442/2011 du 6 mars 2012 consid. 2.1 in fine). L’assurée n’a par ailleurs conclu qu’au renvoi de la cause à la juridiction cantonale (cf. art. 107 al. 1 LTF). Il convient dès lors de renvoyer la cause à cette dernière pour qu’elle examine si les motifs invoqués par l’assurée à l’appui de sa demande sont bien fondés, respectivement si les circonstances donnent l’apparence d’une prévention de la part de l’intéressée.

 

Le TF admet le recours de l’assurée, annulant le jugement cantonal et renvoyant la cause au tribunal cantonal.

 

 

Arrêt 8C_358/2022 consultable ici

 

8C_668/2021 (i) du 18.02.2022 – Récusation d’un juge du tribunal cantonal tessinois / Causalité naturelle – Valeur probante d’un rapport d’expertise – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_668/2021 (i) du 18.02.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Récusation d’un juge du tribunal cantonal tessinois

Causalité naturelle – Valeur probante d’un rapport d’expertise / 44 LPGA

 

Le 06.07.1985, l’assurée, née en 1953, est tombée en sortant de la baignoire et s’est cognée le genou gauche, entraînant une rupture partielle du ménisque médian postérieur. Le cas a été pris en charge par l’assurance-accidents.

Le 02.08.2004, l’assurée a subi a subi une blessure par distorsion en valgus au genou droit en jouant avec son chien. Le même assureur-accidents a pris en charge les suites de cet événement.

L’assurée a été hospitalisée à la clinique de neurologie de l’hôpital B.__ du 27.07.2016 au 30.07.2016 et à la clinique C.__ du 18.10.2016 au 05.11.2016.

Par arrêt du 10.09.2018, le tribunal cantonal a condamné l’assurance-accidents à prendre en charge les frais à la Clinique C.__, tout en lui renvoyant l’affaire pour complément d’enquête s’agissant du séjour à l’Hôpital B.__.

Par jugement du 02.06.2020, le tribunal cantonal a rejeté le recours de l’assurée contre une décision incidente de l’assurance-accidents, qui avait attribué l’expertise au Prof. E.__. Le tribunal cantonal a nié l’existence d’un motif de récusation. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel.

L’assurée a eu la possibilité de commenter le rapport rendu par le Prof. E.__. L’assurance-accidents a nié sa responsabilité pour le problème rachidien, en l’absence de lien de causalité naturelle.

 

Procédure cantonale (arrêt 35.2021.42 – consultable ici)

Par jugement du 30.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Dans la mesure où l’assurée laisserait entendre que la fille du juge de la première instance, Ivano Ranzanici, aurait pu traiter le litige en tant qu’avocat de l’assureur-accidents, cette affirmation présentée sous forme d’hypothèse n’est étayée par aucun élément de preuve. De plus, l’arrêt cantonal du 10.09.2018 mentionnait précisément l’abstention (et non la récusation) du magistrat en question. Même dans ce cas, l’assurée pourrait en déduire qu’il pourrait y avoir un problème de parenté. Selon la pratique établie, fondée sur le principe de la bonne foi, la partie qui a connaissance d’un motif de récusation doit l’invoquer sans délai et non seulement si l’issue de la procédure lui est défavorable, faute de quoi elle est déchue du droit de l’invoquer (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3). La composition ordinaire du Tribunal cantonal des assurances figure également sur le site internet du canton et l’assurée avait donc déjà connaissance de la présence potentielle du juge Ranzanici avant le prononcé de l’arrêt attaqué. Dans ces circonstances particulières, l’assurée ne pouvait donc pas attendre l’issue défavorable du recours pour ne soulever des doutes sur le magistrat en question que plus tard, mais devait procéder immédiatement au recours cantonal.

 

Consid. 4.1
Le tribunal cantonal a relevé que le Prof. E.__ a expliqué dans son rapport du 26.10.2020 pourquoi il n’a pas jugé nécessaire d’examiner l’assurée à la lumière de la vaste documentation disponible. Le Prof. E.__ a noté que les altérations de la colonne vertébrale sont une expression de l’évolution naturelle et que les difficultés de la marche sont tout au plus une cause possible. Se référant à la littérature médicale, le Prof. E.__ a noté que les troubles rachidiens existaient depuis longtemps (les premières investigations radiologiques remontent à 1999), que l’assurée n’a présenté une boiterie importante qu’à partir de 2012 au moins, que le problème neurologique est apparu en 2007 dans le cadre de l’opération du genou, et qu’il y avait une corrélation claire entre l’arthrose du genou et la dégénérescence des disques intervertébraux, attribuable à une certaine disposition génétique.

Le Prof. E.__ s’est rallié à l’avis de l’hôpital B.__ selon lequel le trouble de la marche était d’origine multifonctionnelle. Il a toutefois relevé que le diagnostic de radiculopathie L5 n’apparaissait pas dans l’IRM de 2017. Le Prof. E.__ a en revanche contesté le rapport du Dr. F.__ du 20.05.2015, selon lequel le problème de dos était une conséquence indirecte de la boiterie à gauche. Les altérations dégénératives au niveau lombaire existaient déjà huit ans avant l’opération de la prothèse de genou. Le Prof. E.__ a relevé que la corrélation n’était que possible et que les études citées n’étaient pas considérées comme concluantes. L’expert a considéré que les conclusions des médecins de l’assureur-accidents étaient défendables, notamment lorsqu’ils ont affirmé, à la lumière des résultats objectifs de l’électromyographie (EMG), que la polyneuropathie et la radiculopathie L5 n’étaient pas des conséquences directes de l’accident.

Consid. 5.1
Il est de jurisprudence constante que les constatations de l’autorité cantonale de recours sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l’exigibilité – pour autant qu’elles ne soient pas fondées sur l’expérience générale de la vie – relèvent d’une question de fait et peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral uniquement sous l’angle restreint de l’arbitraire (ATF 132 V 393 consid. 3.2). Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de réévaluer les éléments de preuve produits, mais au recourant d’établir pourquoi l’avis de la juridiction précédente serait manifestement inexact. Si le recourant veut s’écarter des faits établis par l’autorité précédente, il doit expliquer en détail pourquoi les conditions pour s’en écarter seraient remplies (ATF 145 V 188 consid. 2 ; 135 II 313 consid. 5.2.2 ; arrêt 8C_558/2021 du 20 janvier 2022 consid. 2.2).

Consid. 5.2
Contrairement aux (simples) rapports médicaux internes de l’assureur, pour lesquels un doute même minime quant à la fiabilité et la validité des constatations suffit pour que l’assuré soit soumis à un examen médical externe, les rapports établis par des médecins spécialistes externes dans le cadre d’une expertise administrative (art. 44 LPGA) ou judiciaire doivent se voir reconnaître une pleine force probante dans l’établissement des faits, dans la mesure où aucun indice concret de la fiabilité du rapport lui-même n’est présenté (ATF 135 V 465 consid. 4.4 ; 125 V 351 consid. 3b/bb). De tels rapports d’expertise ne peuvent être mis en doute simplement parce qu’ils arrivent à des conclusions différentes de celles des médecins traitants. Sont réservés les cas où un complément doit être demandé afin de clarifier certains aspects, les médecins traitants ayant laissé apparaître des aspects importants et pas seulement une interprétation médicale purement subjective. A cet égard, il convient de rappeler la nature différente du mandat de soins et d’expert (cf. entre autres arrêts 8C_55/2018 du 30 mai 2018 consid. 6.2 et 8C_820/2016 du 27 septembre 2017 consid. 5.3).

Consid. 5.3
L’assurée expose ses critiques comme si le rapport d’expertise du Prof. E.__ était librement « réexaminable » par le tribunal. Afin de réfuter les conclusions d’une expertise externe, des preuves concrètes sont nécessaires pour démontrer le manque de fiabilité du rapport. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Au contraire, le Prof. E.__ a exposé la situation médicale de l’assurée et les documents médicaux versés au dossier. [..] Il est vrai que le Prof. E.__ a abouti à des conclusions en partie divergentes de celle des rapports précédents, mais cette circonstance n’est pas suffisante pour infirmer les conclusions d’une expertise externe. Il ne s’agit que d’opinions divergentes et non pas d’indications concrètes qui pourraient conduire à douter de la validité du rapport d’expertise. En fait, le Prof. E. ________, après avoir résumé le contenu de l’ensemble du dossier de l’assurée, a jugé inutile de l’examiner à nouveau. L’expert a expliqué en détails les raisons pour lesquelles les lésions dorsales étaient dues à des troubles dégénératifs. La boiterie, quant à elle, était multifactorielle. L’expert a également répondu aux appréciations du Dr F.__ du 20.05.2015 et du Dr G.__ du 06.04.2018. A l’aune de ce qui précède, aucune violation du droit fédéral ne peut donc être retenue.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_668/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_668/2021 (i) du 18.02.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/11/8c_668-2021)

 

8C_514/2021 (f) du 27.04.2022, publié ATF 148 V 225 – Récusation d’un expert – Apparence de prévention – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_514/2021 (f) du 27.04.2022, publié aux ATF 148 V 225

 

Arrêt consultable ici et ATF 148 V 225 consultable ici

 

Récusation d’un expert – Apparence de prévention / 44 LPGA

Médecin-conseil et médecin-expert partageant les locaux et les frais d’un petit cabinet de groupe

 

Assuré, victime d’une chute à vélo le 05.08.2018, se réceptionnant sur l’épaule droite, occasionnant une fracture non déplacée du trochiter droit et une fracture de l’extrémité dorsale du radius gauche. L’assurance-accidents a soumis le cas à son médecin-conseil, le docteur C.___, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, qui a conclu à un lien de causalité certain entre lesdites fractures et l’accident du 05.08.2018 et a escompté une reprise d’activité pour fin 2018.

Dans un avis du 28.01.2019, le médecin-conseil a situé le statu quo sine au plus tard à l’arthro-IRM du 08.01.2019, qui montrait selon lui que la fracture du trochiter était guérie et que le reste était dégénératif. Par décision du 06.02.2019, l’assurance-accidents a signifié à l’assuré la prise en charge des prestations légales jusqu’au 08.01.2019 inclus, les traitements au-delà de cette date n’étant en revanche plus en rapport avec l’événement du 05.08.2018.

L’assuré, sous la plume de sa protection juridique, a fait opposition à cette décision. Le médecin-conseil a préconisé la mise en œuvre d’une expertise qu’il proposait de confier au docteur E.___, au docteur F.___ ou au docteur G.___, tous spécialistes en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur.

Par communication du 16.08.2019, Helsana a informé l’assuré qu’une expertise était mise en œuvre auprès du docteur E.___ et que l’examen y relatif interviendrait le 11.09.2019, un délai au 06.09.2019 étant imparti à l’intéressé pour faire part d’éventuelles remarques, objections ou questions complémentaires.

Dans son rapport du 12.11.2019, l’expert E.___ a estimé que le statu quo sine avait été retrouvé avant l’opération de l’épaule droite du 06.06.2019 et que l’état de la coiffe des rotateurs n’était manifestement pas en lien de causalité naturelle avec l’accident, mais avec un état pathologique préexistant.

Le 28.01.2020, l’assuré a contesté les conclusions de l’expert E.___. Dans un avis du 27.05.2020, le médecin-conseil a lui écarté les nouvelles appréciations apportées par l’assuré. Par décision sur opposition du 14.07.2020, Helsana a confirmé sa décision du 06.02.2019.

Lors d’un entretien téléphonique du 24.07.2020 avec l’assurance-accidents, l’avocat, nouveau conseil de l’assuré, a critiqué l’octroi de mandats d’expertise au docteur E.___ alors même que ce médecin et le docteur C.___ (médecin-conseil) étaient associés, et a remis en cause l’impartialité et l’indépendance de l’expert. Il a proposé l’annulation de la décision sur opposition du 14.07.2020 et la mise en œuvre d’une nouvelle expertise neutre, ce que Helsana a refusé par courriel du 28.07.2020 en se référant à un arrêt valaisan du 13.03.2013 « confirm[ant] l’indépendance et l’impartialité du Dr E.___ ». Par courriel du 29.07.2020, le mandataire de l’assuré a relevé que cet arrêt ne portait pas sur la question qu’il avait soulevée et qu’il allait donc déposer un recours.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 83/20 – 77/2021 – consultable ici)

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition du 14.07.2020. L’assurance-accidents a conclu au rejet du recours. Elle a produit une prise de position du médecin-conseil du 02.11.2020 contenant les déclarations suivantes: « Je précise que je ne suis pas l’associé du Dr E.___. Notre cabinet n’est pas une S[à]rl ou SA. Nous ne faisons que partager les locaux et les frais qui en découlent, mais notre travail et nos revenus sont indépendants. Ceci signifie que je ne suis pas impliqué dans les choix et décisions de mon confrère, que cela soit concernant [s]es patients ou [s]es expertises ».

La cour cantonale a d’abord examiné si le motif de récusation avait été invoqué tardivement. Elle a relevé que l’assuré n’avait aucune obligation générale – légale ou jurisprudentielle – d’effectuer des recherches quant à la personne de l’expert, singulièrement quant aux liens entretenus par ce dernier avec d’autres praticiens et avec le médecin-conseil plus spécifiquement. On ne pouvait par ailleurs pas reprocher à l’assuré de ne pas avoir immédiatement réagi lorsqu’il s’était rendu dans les locaux partagés par le médecin-expert et le médecin-conseil le jour de l’expertise le 11.09.2019, quand bien même le nom de ces médecins figurait à l’entrée du cabinet. En effet, l’assuré n’avait jamais été examiné personnellement par le médecin-conseil et avait tout au plus eu connaissance du nom de celui-ci à la lecture de certaines correspondances de l’assurance-accidents (notamment un courrier du 17.12.2018 et la décision du 06.02.2019, adressés à l’assuré alors non représenté) largement antérieures à l’expertise. De telles circonstances n’étaient à l’évidence pas propres à lui faire garder en mémoire l’identité exacte du médecin-conseil de l’assureur, ni à faire le rapprochement avec le docteur C.___ le jour de l’expertise. Ce rapprochement n’avait en définitive été fait que fortuitement à la faveur d’un changement de mandataire dans les suites de la décision sur opposition du 14.07.2020, après quoi le motif de récusation en découlant avait été directement invoqué devant l’assurance-accidents puis auprès du tribunal cantonal, soit un enchaînement chronologique qui n’apparaissait en rien contraire au principe de la bonne foi.

Examinant le bien-fondé du motif de récusation soulevé par l’assuré à l’encontre de l’expert E.___, la cour cantonale a constaté qu’il était admis que les docteurs C.___ et E.___ exploitaient ensemble un cabinet de groupe et que c’était le premier qui, initialement, avait proposé de confier un mandat d’expertise au second tout en avançant également le nom de deux autres confrères. Quand bien même le docteur C.___ avait ultérieurement indiqué que le docteur E.___ et lui-même se limitaient à partager des locaux et les frais y relatifs tout en demeurant indépendants dans l’exercice de leurs activités respectives, une telle constellation était de nature à créer objectivement l’apparence d’une prévention. Force était en effet de constater que deux spécialistes exploitant un même cabinet de groupe – qui plus est, un cabinet de petite taille impliquant des contacts autrement plus fréquents et étroits que ceux d’experts œuvrant au sein d’un même centre d’expertise – avaient en définitive été sollicités par l’assurance-accidents aux fins d’émettre des appréciations décisives pour le sort de la cause. Sous cet angle, le motif de récusation invoqué apparaissait donc fondé.

Par jugement du 08.07.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour complément d’instruction dans le sens des considérants et nouvelle décision.

 

TF

Faits C.b.
Par ordonnance du 04.11.2021, le juge instructeur a requis de l’assurance-accidents la production d’une liste anonymisée des cas dans lesquels elle a désigné le docteur E.___ comme expert indépendant (art. 44 LPGA) dans un dossier relevant de l’assurance-accidents depuis le 01..01.2010, avec indication des honoraires de l’expert.

L’assurance-accidents a produit un tableau dont il résulte les éléments suivants: Sur la période allant du 01.09.2009 au 31.08.2021, le docteur E.___ a rendu 169 rapports d’expertise (dont environ 10% sont des rapports d’expertise complémentaire) dans des dossiers relevant de l’assurance-accidents dans lesquels l’assurance-accidents l’a désigné comme expert au sens de l’art. 44 LPGA sur proposition du docteur C.___ (étant précisé que celui-ci a parfois proposé plusieurs noms d’experts); il a encaissé à ce titre des honoraires pour un montant total de 562’920 fr. 90. Sur ces douze années, il a ainsi effectué pour l’assurance-accidents une moyenne de 14 expertises ou compléments d’expertise par année (avec un plus haut de 30 en 2010 et un plus bas de 1 en 2020) et a encaissé un montant annuel moyen de 46’910 fr. à titre d’honoraires d’expert.

 

Consid. 3.1
Selon l’art. 44 LPGA, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties; celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. La communication du nom de l’expert doit notamment permettre à l’assuré de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il pourrait disposer d’un motif de récusation. Lorsque l’intéressé soulève des objections quant à la personne de l’expert, l’assureur doit se prononcer à leur sujet avant Ie commencement de l’expertise (ATF 146 V 9 consid. 4.2.1 et les références).

Consid. 3.2
Si un motif de récusation n’est découvert qu’au moment de la réalisation de l’expertise ou après celle-ci, le motif de récusation doit être invoqué dès que possible, soit en principe dès que le plaideur a connaissance du motif, faute de quoi il est réputé avoir tacitement renoncé à s’en prévaloir (JACQUES OLIVIER PIGUET, in Dupont/Moser-Szeless [édit.], Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, Bâle 2018, n° 47 ad art. 44 LPGA). Il est en effet contraire au principe de la bonne foi d’attendre l’issue d’une procédure pour ensuite, à l’occasion d’un recours, tirer argument d’un motif de récusation qui était connu auparavant (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3; 139 III 120 consid. 3.2.1; 136 III 605 consid. 3.2.2).

Consid. 3.3
Les objections que peut soulever l’assuré à l’encontre de la personne de l’expert peuvent être de nature formelle ou matérielle; les motifs de récusation formels sont ceux prévus par la loi (cf. art. 36 al. 1 LPGA); d’autres motifs, tels que le manque de compétence dans le domaine médical retenu ou encore un manque d’adéquation personnelle de l’expert, sont de nature matérielle (ATF 132 V 93 consid. 6.5; arrêt 9C_180/2013 du 31 décembre 2013 consid. 2.3; JACQUES OLIVIER PIGUET, op. cit., n° 24 ad art. 44 LPGA).

Consid. 3.4
S’agissant des motifs de récusation formels d’un expert, il y a lieu selon la jurisprudence d’appliquer les mêmes principes que pour la récusation d’un juge (ATF 137 V 210 consid. 2.1.3; 132 V 93 consid. 7.1; 120 V 357 consid. 3a), qui découlent directement du droit constitutionnel à un tribunal indépendant et impartial garanti par l’art. 30 al. 1 Cst. – qui en la matière a la même portée que l’art. 6 par. 1 CEDH (ATF 134 I 20 consid. 4.2) – respectivement, pour un expert, des garanties générales de procédure de l’art. 29 al. 1 Cst., qui assure à cet égard une protection équivalente à celle de l’art. 30 al. 1 Cst. (arrêts 8C_452/2020 du 7 octobre 2021 consid. 2.3.1; 5A_484/2015 du 2 octobre 2015 consid. 2.3.2 et les références).

Un expert passe ainsi pour prévenu lorsqu’il existe des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. Dans ce domaine, il s’agit toutefois d’un état intérieur dont la preuve est difficile à apporter. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de prouver que la prévention est effective pour récuser un expert. Il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l’expert. L’appréciation des circonstances ne peut pas reposer sur les seules impressions de l’expertisé, la méfiance à l’égard de l’expert devant au contraire apparaître comme fondée sur des éléments objectifs (ATF 132 V 93 consid. 7.1; 120 V 357 consid. 3a et les références). Compte tenu de l’importance considérable que revêtent les expertises médicales en droit des assurances sociales, il y a lieu de poser des exigences élevées à l’impartialité de l’expert médical (ATF 132 V 93 consid. 7.1 in fine; 120 V 357 consid. 3b in fine).

Consid. 3.5
Selon la jurisprudence, le fait qu’un expert, médecin indépendant, ou une institution d’expertises sont régulièrement mandatés par un organe de l’assurance sociale, le nombre d’expertises ou de rapports confiés à l’expert, ainsi que l’étendue des honoraires en résultant ne constituent pas à eux seuls des motifs suffisants pour conclure au manque d’objectivité et à la partialité de l’expert (ATF 137 V 210 consid. 1.3.3 et les références; arrêt 9C_343/2020 du 22 avril 2021 consid. 4.3; cf. aussi arrêt 8C_112/2010 du 17 août 2010 consid. 4.1).

Consid. 4.3
Si l’avocate employée de la protection juridique qui a représenté l’assuré dès février 2019 savait, par les pièces du dossier, que le docteur C.___ était intervenu comme médecin-conseil de l’assurance-accidents, il n’est pas prétendu qu’elle savait, lorsqu’elle a reçu la communication du 16.08.2019 proposant de confier une expertise au docteur E.___, que ce dernier exerçait au sein du même cabinet que le docteur C.___. Par ailleurs, bien que l’on soit en droit d’attendre d’un assuré ou de son mandataire qu’il s’intéresse à la personne de l’expert proposé par l’assureur en vue de soulever un éventuel motif de récusation, l’avocate de la protection juridique n’avait en l’espèce aucune obligation générale – comme l’a relevé à juste titre la cour cantonale – d’effectuer des recherches quant à la personne du docteur E.___, plus particulièrement quant aux liens que celui-ci entretiendrait avec l’assurance-accidents et/ou avec le médecin-conseil. Quant à l’assuré lui-même, s’il avait bien pu avoir connaissance du nom du médecin-conseil à la lecture de certaines correspondances qui lui avaient été adressées en décembre 2018 et février 2019 alors qu’il n’était pas encore représenté, il n’est pas établi qu’il aurait eu ce nom encore à l’esprit lorsqu’il s’est rendu le 11.09.2019 au cabinet du docteur E.___ pour l’expertise. Ce n’est ainsi que lorsqu’il a consulté le nouvel avocat à la suite de la décision sur opposition du 14.07.2020 que l’assuré a eu connaissance des éléments lui permettant d’invoquer ce motif de récusation, ce que son mandataire a fait sans délai auprès de l’assurance-accidents, puis – ensuite du refus de celle-ci d’entrer en matière – à l’appui d’un recours contre la décision sur opposition. L’arrêt attaqué échappe ainsi à la critique en tant qu’il retient que le motif de récusation a été invoqué en temps utile.

Consid. 5.3
La situation de deux médecins spécialistes en chirurgie orthopédique qui partagent les locaux et les frais d’un petit cabinet de groupe n’est pas comparable à celle de deux médecins psychiatres qui œuvrent parallèlement au sein d’un même centre d’expertise pluridisciplinaire. En effet, l’appartenance à un même centre d’expertise, qui n’implique normalement pas une présence régulière dans les mêmes locaux, n’est pas de nature à favoriser des liens plus étroits que ceux pouvant exister entre des spécialistes qui se croisent à l’occasion hors de leur lieu de travail habituel (cf. arrêt 8C_1058/2010 précité consid. 4.6). Il en va en revanche différemment de deux médecins qui, à l’instar des docteurs C.___ et E.___, travaillent tous les jours dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe dont ils partagent les frais. De tels contacts quotidiens doublés d’une communauté d’intérêts économiques à travers le partage des frais constituent des éléments objectifs suffisants – au vu des exigences élevées posées à l’impartialité des experts médicaux (cf. consid. 3.4 supra) – pour faire naître à tout le moins une apparence de prévention lorsque l’un des associés est désigné comme expert par un assureur accidents alors que son associé a déjà émis un avis médical sur le cas en tant que médecin-conseil dudit assureur. C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale a, au vu de ces éléments, retenu une apparence de prévention de l’expert E.___.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_514/2021 consultable ici et ATF 148 V 225 consultable ici

 

8C_452/2020 (f) du 07.10.2021 – Récusation d’un expert – Pas d’inimitié marquée de l’expert à l’encontre de l’avocat de l’assuré – 44 LPGA / Tentative de désignation consensuelle préalable pas applicable en assurance-accidents

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 (f) du 07.10.2021

 

Consultable ici

NB: arrêt du TF détaillé , avec de nombreuses références. Arrêt d’une grande utilité dans la pratique quotidienne, tant pour les assurés (pour motiver une récusation) que pour les assureurs-accidents.

 

Récusation d’un expert – Pas d’inimitié marquée de l’expert à l’encontre de l’avocat de l’assuré / 44 LPGA

Procédure de mise en œuvre d’une expertise – Tentative de désignation consensuelle préalable pas applicable en assurance-accidents – Pas de droit justiciable de l’assuré à la mise en œuvre d’une expertise sur une base consensuelle

 

 

Assuré, né en 1972, peintre, a été victime le 28.10.2013 d’une chute qui a entraîné une contusion lombaire.

Par courrier du 09.05.2019, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle estimait une expertise nécessaire et qu’elle entendait la confier au CEMED à Nyon, plus particulièrement au professeur C.__ pour le volet orthopédie-chirurgie du rachis, au docteur D.__ pour le volet neurologique et au docteur E.__ pour le volet psychiatrique ; elle invitait l’assuré à prendre position sur l’opportunité de l’expertise en soi, le centre d’expertise proposé et les questions qu’elle entendait poser aux experts.

Le 05.06.2019, l’assuré, sous la plume de son avocat, a approuvé le principe de l’expertise et les questions posées. Il s’est toutefois opposé à la désignation en tant qu’expert du docteur D.__, au motif que celui-ci avait montré, par le passé, « une remarquable propension à ne pas faire la part des choses entre attaques ad hominem et sa mission d’expertise, en s’en prenant à un expertisé en raison du fait que [son avocat avait] émis des critiques quant à sa nomination en qualité d’expert ». Il se référait à cet égard au ch. 70 d’un arrêt ATAS/818/2017 rendu le 25.09.2017 par la Chambre des assurances sociales dans une cause concernant une autre assurée représentée par le même avocat. Estimant ainsi qu’en raison de l’animosité dont il avait fait preuve par le passé envers son avocat, le docteur D.__ « ne [remplissait] pas les conditions nécessaires pour être nommé expert au sens de l’art. 44 LPGA », l’assuré proposait les noms de trois autres médecins neurologues.

Par décision incidente du 13.06.2019, l’assurance-accidents a rejeté la demande de récusation du docteur D.__, au motif que les griefs évoqués dans le courrier du 05.06.2019 ne constituaient pas des motifs de récusation pertinents au sens des dispositions légales applicables ou de la jurisprudence du Tribunal fédéral.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/444/2020 – consultable ici)

Par arrêt du 08.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Recevabilité du recours

Une décision porte sur une demande de récusation lorsqu’elle tranche la question de la récusation d’un membre de l’autorité, tel qu’un juge; la jurisprudence a cependant admis que l’art. 92 LTF s’applique aussi à la décision sur la récusation d’un expert (BERNARD CORBOZ, in Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 15 ad art. 92 LTF; ATF 138 V 271 consid. 2.2.1). Doit en outre être assimilée à une décision sur une demande de récusation au sens de l’art. 92 LTF toute décision qui se prononce séparément sur la composition régulière de l’autorité qui entend statuer ensuite sur le fond; il s’agit en effet d’une question préliminaire qui doit être définitivement liquidée sans attendre la suite de la procédure (arrêt 4A_141/2018 du 4 septembre 2018 consid. 1.2, avec référence à CORBOZ, op. cit., n° 18 ad art. 92 LTF, et au Message du Conseil fédéral, FF 2001 p. 4131).

Un préjudice au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF ne peut être qualifié d’irréparable que s’il cause un dommage de nature juridique qui ne peut pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant; en revanche, un dommage de pur fait, comme la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est pas considéré comme irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 et les arrêts cités). Il appartient à la partie recourante, sous peine d’irrecevabilité, non seulement d’alléguer, mais aussi d’établir la possibilité que la décision incidente lui cause un dommage irréparable, à moins que celui-ci ne fasse d’emblée aucun doute (ATF 133 III 629 consid. 2.3.1).

En l’espèce, l’arrêt attaqué constitue indubitablement une décision préjudicielle ou incidente qui porte sur une demande de récusation, au sens exposé ci-dessus, en tant qu’il statue sur la question de la récusation de l’expert D.__. Dans cette mesure, le recours est donc recevable au regard de l’art. 92 LTF. Il y a lieu d’admettre que l’assuré peut aussi, dans le cadre de ce recours, contester la composition régulière de la Chambre des assurances sociales. Il peut également invoquer la violation de ses droits de participation sur le choix de l’expert, dans la mesure où il risquerait de subir un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF s’il ne pouvait le faire que dans le cadre d’un recours contre la décision finale (cf. ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.7; 141 V 330 consid. 5.2 et 7.1).

 

Récusation d’un expert – 44 LPGA

Selon l’art. 44 LPGA, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties; celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. La communication du nom de l’expert doit notamment permettre à l’assuré de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il pourrait disposer d’un motif de récusation (ATF 146 V 9 consid. 4.2). Lorsque l’assureur social et l’assuré ne s’entendent pas sur le choix de l’expert, l’administration doit rendre une décision directement soumise à recours (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6; 138 V 318 consid. 6.1).

Les objections que peut soulever l’assuré à l’encontre de la personne de l’expert peuvent être de nature formelle ou matérielle; les motifs de récusation formels sont ceux prévus par la loi (cf. art. 10 al. 1 PA et 36 al. 1 LPGA); d’autres motifs, tels que le manque de compétence dans le domaine médical retenu ou encore un manque d’adéquation personnelle de l’expert, sont de nature matérielle (ATF 132 V 93 consid. 6.5; arrêt 9C_180/2013 du 31 décembre 2013 consid. 2.3; JACQUES OLIVIER PIGUET, in Commentaire romand de la LPGA, 2018, n° 24 ad art. 44 LPGA).

S’agissant des motifs de récusation formels d’un expert, il y a lieu selon la jurisprudence d’appliquer les mêmes principes que pour la récusation d’un juge (ATF 137 V 210 consid. 2.1.3; 132 V 93 consid. 7.1; 120 V 357 consid. 3a) et qui découlent directement du droit constitutionnel à un tribunal indépendant et impartial garanti par l’art. 30 al. 1 Cst. – qui en la matière a la même portée que l’art. 6 par. 1 CEDH (ATF 134 I 20 consid. 4.2) – respectivement, pour un expert, des garanties générales de procédure de l’art. 29 al. 1 Cst., qui assure à cet égard une protection équivalente à celle de l’art. 30 al. 1 Cst. (arrêt 5A_484/2015 du 2 octobre 2015 consid. 2.3.2 et les références).

Un expert passe ainsi pour prévenu lorsqu’il existe des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. Dans ce domaine, il s’agit toutefois d’un état intérieur dont la preuve est difficile à apporter. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de prouver que la prévention est effective pour récuser un expert. Il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l’expert. L’appréciation des circonstances ne peut pas reposer sur les seules impressions de l’expertisé, la méfiance à l’égard de l’expert devant au contraire apparaître comme fondée sur des éléments objectifs (ATF 132 V 93 consid. 7.1; 128 V 82 consid. 2a).

Selon l’art. 58 al. 1 PCF, applicable par renvoi de l’art. 55 LPGA à travers l’art. 19 PA, les cas de récusation prévus à l’art. 34 LTF s’appliquent par analogie à la récusation des experts. Selon l’art. 34 let. e LTF – qui, à l’instar de l’art. 56 let. f CPP ou de l’art. 47 al. 1 let. f CPC, ne fait que concrétiser les principes découlant de l’art. 6 par. 1 CEDH et de l’art. 30 al. 1 Cst. et a la portée d’une clause générale (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêt 4A_586/2008 du 12 juin 2009 consid. 2) -, un juge peut être récusé s’il peut être prévenu de toute autre manière, notamment en raison d’une amitié étroite ou d’une inimitié personnelle avec une partie ou son mandataire.

En ce qui concerne l’inimitié, il faut qu’il y ait un antagonisme passionné (« leidenschaftliche Gegnerschaft ») (arrêts 1P.340/1993 du 8 septembre 1993 consid. 2a; 1P.559/1992 du 11 novembre 1992 consid. 2c; P.373/1982 du 30 novembre 1982 consid. 4a) ou à tout le moins un différend marqué (« besonderes Zerwürfnis ») ou des tensions prononcées (« ausgeprägte Spannungen ») entre le juge et une partie, ce qui, d’un point de vue objectif, suggère une inimitié (ISABELLE HÄNER, in Basler Kommentar zum Bundesgerichtsgesetz, 3e éd. 2018, n° 16 ad art. 34 LTF; REGINA KIENER, Richterliche Unabhängigkeit, 2001, p. 99). Ainsi, un juge qui a déposé une plainte pénale et pris des conclusions civiles en réparation du tort moral pour atteinte à l’honneur est tenu de se récuser dans une procédure ultérieure impliquant l’auteur de l’atteinte (ATF 134 I 20 consid. 4). En revanche, de simples déclarations d’un magistrat portant une appréciation sur la personne ou le comportement d’une partie (« wertende Äusserungen »; cf. HÄNER, op. cit., n° 16 ad art. 34 LTF; KIENER, op. cit., p. 100 ss) doivent être interprétées de manière objective, en tenant compte de leur contexte, de leurs modalités et du but apparemment recherché par leur auteur (arrêt 1B_255/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3.1). Ainsi, par exemple, le seul fait qu’un juge ait utilisé dans son jugement des termes inadéquats et contraires à l’exigence d’humanité et de respect du justiciable (traitant celui-ci de « justiciable querelleur, menteur, ergoteur et vindicatif », ayant « des comportements querelleurs, ergoteurs et pénibles que rien n’excuse ») ne justifie pas sa récusation lorsqu’aucune marque de prévention antérieure à la rédaction du jugement de condamnation ne ressortait du procès-verbal ou du déroulement de l’audience (arrêt 1B_255/2021 précité consid. 3.3).

Il convient d’examiner en premier lieu le grief selon lequel les juges cantonaux auraient violé le droit fédéral en retenant qu’il n’existait pas de motif de récusation formel à l’encontre du docteur D.__.

Après avoir rappelé les principes applicables à la récusation d’un expert, la cour cantonale a exposé que l’assuré reprochait au docteur D.__ d’éprouver une inimitié marquée à l’encontre de son mandataire, comme cela ressortirait de la procédure ayant abouti à l’arrêt ATAS/818/2017 du 25 septembre 2017, dans laquelle ce médecin aurait déclaré à la personne qu’il devait expertiser que son avocat  » lui avait fait du mal, car il l’avait critiqué (…). Lorsque la consultation [avait] repris, il [était] à nouveau revenu sur le problème avec [son] avocat qui avait, selon lui, écrit de mauvaises choses sur lui. A la fin, il [avait] également dit la même chose à [la fille de l’expertisée]. (…) il [était] revenu sur le sujet, en disant que ce que M e Maugué affirmait était de la diffamation. (…). Il [avait dit à la fille de l’expertisée] qu’il allait le faire en attaquant certainement Me M.__ en diffamation ». Comme cela ressortait de la doctrine et de la jurisprudence, il fallait un désaccord particulier ou une tension prononcée entre le docteur D.__ et l’avocat, suggérant une inimitié, pour que le motif de récusation prévu par l’art. 34 al. 1 let. e LTF pût être retenu. Or force était de constater que les propos reprochés au médecin précité, pour autant qu’ils eussent été effectivement tenus, l’avaient été dans le cadre de l’expertise d’une autre assurée. Le comportement reproché au docteur D.__ ne semblait pas avoir fait l’objet d’une dénonciation à l’autorité de surveillance des médecins. De même, le comportement reproché à l’avocat n’avait pas été porté à la connaissance du Bâtonnier ou de la commission du barreau. Il ne ressortait pas non plus de l’arrêt du 25 septembre 2017 invoqué par l’assuré que le comportement du docteur D.__ aurait eu des répercussions sur l’appréciation faite par ce médecin, la valeur probante de son rapport n’ayant en particulier été remise en question ni par l’assurée ni par la Chambre des assurances sociales. Enfin, l’assuré ne prétendait pas non plus que lesdites dissensions, pour autant qu’elles eussent existé, auraient perduré au-delà de la procédure ayant conduit à l’arrêt du 25 septembre 2017 précité. En réalité, les commentaires du docteur D.__, pour autant qu’ils eussent effectivement été tenus, l’avaient été dans une procédure particulière, à laquelle les prétendues dissensions entre l’expert et l’avocat susmentionné semblaient se limiter. Dans ces circonstances, on ne pouvait pas parler d’inimitié entre les deux intéressés, de sorte que c’était à juste titre que l’assurance-accidents avait refusé de récuser le docteur D.__.

Cette appréciation de la cour cantonale échappe à la critique au regard des faits sur lesquels elle se fonde, lesquels ne sont pas remis en cause par l’assuré et lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 et 2 LTF). L’assuré se contente de maintenir que la « virulence » des propos qu’aurait tenus le docteur D.__ à l’encontre de son conseil en 2015 (cf. ch. 55 et 59 de l’arrêt ATAS/818/2017 du 25 septembre 2017) dénoterait une animosité qui dépasserait largement le cadre de la procédure dans laquelle ils auraient été tenus. Toutefois, force est de constater que le fait que le docteur D.__ ait mal pris les critiques dont il avait fait l’objet de la part de l’avocat alors que ce dernier défendait une autre assurée il y a une demi-douzaine d’années ne permet nullement de retenir qu’il existerait actuellement entre le premier – qui n’a pas saisi la justice pénale ou civile ni même la commission du Barreau – et le second un antagonisme passionné ou même seulement des tensions prononcées qui seraient de nature à jeter un doute sur l’impartialité de l’expert à l’égard de l’assuré.

 

Tentative de désignation consensuelle préalable

Dans un arrêt de principe publié à l’ATF 137 V 210, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence antérieure (ATF 132 V 93) selon laquelle la mise en œuvre d’une expertise par l’assureur social ne revêtait pas le caractère d’une décision; il a jugé qu’en l’absence d’accord entre les parties, une telle mise en œuvre devait revêtir la forme d’une décision, qui pouvait être attaquée devant les tribunaux cantonaux des assurances sociales, respectivement devant le Tribunal administratif fédéral (consid. 3.4.2.6 et 3.4.2.7). Par la suite, le Tribunal fédéral a précisé que dans le domaine de l’assurance-accidents également, il fallait ordonner une expertise en cas de désaccord, par le biais d’une décision incidente sujette à recours auprès du tribunal cantonal des assurances, respectivement auprès du Tribunal administratif fédéral (ATF 138 V 318 consid. 6.1).

À l’ATF 139 V 349, le Tribunal fédéral a considéré qu’il était conforme au droit de limiter l’attribution des mandats d’expertise selon le principe aléatoire – tel que requis depuis l’ATF 137 V 210 pour les mandats d’expertises médicales confiées à un COMAI – aux expertises comprenant trois ou plus de trois disciplines médicales selon l’art. 72bis RAI (consid. 2.2 et 5.4). Il a relevé que pour les expertises médicales mono- et bidisciplinaires qui n’étaient pas attribuées selon le principe aléatoire (consid. 4.2), l’incombance (Obliegenheit) de l’Office AI et de la personne assurée de s’efforcer d’aboutir à une désignation consensuelle de l’expert ou des experts prenait une importance particulière et que, lorsqu’il entendait confier une telle expertise à un COMAI, l’Office AI avait l’obligation d’entreprendre cette procédure de désignation consensuelle (consid. 5.4).

Examinant le grief de l’assuré selon lequel l’assurance-accidents n’aurait pas recherché un accord sur la personne de l’expert et n’aurait ainsi pas respecté ses droits de participation, la Chambre des assurances sociales a indiqué qu’elle avait été amenée à rendre des arrêts de principe sur le sujet en 2013, dans lesquels elle avait alors jugé qu’indépendamment des griefs invoqués par l’assuré à l’encontre de l’expert, la cause devait être renvoyée à l’Office AI, au motif que ce dernier n’avait pas essayé de parvenir à un accord avec l’assuré sur le choix de l’expert, ce qui violait les droits de participation de l’assuré dans la procédure de désignation de l’expert (ATAS/226/2013 du 28 février 2013 et ATAS/263/2013 du 13 mars 2013). Toutefois, ces deux arrêts, qu’elle avait ensuite régulièrement mentionnés dans sa jurisprudence, avaient été rendus en matière d’assurance-invalidité et ce antérieurement à l’ATF 139 V 349, dans lequel le Tribunal fédéral avait évoqué une incombance (cf. consid. 2.4.2 supra). En revanche, le Tribunal administratif fédéral et plusieurs juridictions cantonales s’étaient prononcés postérieurement à l’ATF 139 V 349 précité et avaient, de manière générale, considéré que l’assuré n’avait pas de droit justiciable à la mise en œuvre d’une expertise sur une base consensuelle (cf. arrêt du Tribunal administratif fédéral C-463/2013 du 1 er mai 2014; arrêt de la Cour des assurances sociales du canton de Vaud Al 143/12 du 26 août 2013; arrêt du Tribunal des assurances sociales de Bâle-Ville IV.2018.37 du 23 juillet 2018; arrêts du Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich UV.2019.00276 du 13 mars 2020, UV.2017.00202 du 23 février 2018 et IV.2016.00514 du 8 novembre 2016; arrêt du Tribunal administratif, division des assurances sociales, du canton de Berne 200 17 517 IV du 29 août 2017; arrêt de la Cour de justice d’Appenzell Rhodes-Extérieures O3V 14 15 du 18 février 2015).

Au vu de l’ATF 139 V 349, il fallait considérer que la désignation consensuelle d’un expert ne constituait pas un droit pouvant être déduit en justice, dès lors qu’il s’agissait d’une simple incombance et non d’une obligation, et que le caractère obligatoire de la procédure de désignation consensuelle se limitait aux cas dans lesquels l’Office AI souhaitait confier une expertise mono- ou bidisciplinaire à un COMAI. En effet, le Tribunal fédéral avait considéré que dans de tels cas, il existait un risque d’abus de la part de l’OAI, en ce sens que cet office pouvait être tenté de renoncer à une ou plusieurs disciplines médicales pour s’épargner la procédure d’attribution aléatoire qui prévalait en cas d’expertises pluridisciplinaires (ATF 139 V 349 consid. 5.4; arrêt 9C_718/2013 du 12 août 2014 consid. 4). En revanche, il n’était pas nécessaire de prévoir un tel correctif en matière d’assurance-accidents, dans laquelle la procédure d’attribution ne s’appliquait pas.

En l’espèce, la cour cantonale a constaté que l’assurance-accidents avait informé l’assuré de la mise en œuvre de l’expertise, en lui indiquant le nom de l’organisme envisagé et des médecins pressentis pour la réaliser (avec leurs spécialités) et en lui soumettant la liste des questions envisagées. L’assuré s’était catégoriquement opposé à ce que le docteur D.__ fût retenu en tant qu’expert au motif que celui-ci avait par le passé montré un comportement critiquable à l’encontre de son avocat dans le cadre d’une cause concernant une autre assurée. En l’absence de consensus sur le choix de l’expert, c’était à juste titre que l’assurance-accidents avait statué sur la question par une décision incidente, dans laquelle elle avait motivé sa position, sans qu’un nouvel échange à ce propos fût nécessaire. Au surplus, il ressortait des écritures de l’assuré que celui-ci était catégoriquement opposé à la désignation du docteur D.__. Or dans de telles circonstances, renvoyer la cause pour une désignation consensuelle de l’expert reviendrait à reconnaître un droit de véto à l’assuré et à exiger de l’assurance-accidents qu’elle renonce à l’expert choisi afin d’arriver à un consensus, ce qui ne correspondait pas à la jurisprudence fédérale.

L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir violé les « règles relatives à un procès équitable » en retenant que les droits de participation de l’assuré tels que consacrés par la jurisprudence du Tribunal fédéral ne sont pas des droits justiciables dans le champ de l’assurance-accidents, mais une simple incombance.

La question de savoir s’il existe un droit justiciable à la désignation consensuelle de l’expert en matière d’assurance-accidents peut demeurer indécise en l’espèce. Il n’est en effet pas contesté que le principe de l’attribution aléatoire des mandats d’expertises pluridisciplinaires développé en matière d’assurance-invalidité ne s’applique pas à l’assurance-accidents (cf. consid. 2.4.2 supra). Si l’assureur-accidents – comme l’Office AI pour les expertises mono- ou bidisciplinaires – doit s’efforcer de mettre en œuvre une expertise sur une base consensuelle et prendre en considération les objections soulevées par l’assuré quant à la personne de l’expert, le Tribunal fédéral a clairement rejeté la conception selon laquelle un expert ne pourrait être désigné qu’avec le consentement de l’assuré dès que celui-ci émet des objections sur la personne de l’expert, car cela reviendrait à reconnaître un droit de veto à l’assuré; il a précisé que même en cas d’objection justifiée de l’assuré, l’assureur n’est pas tenu de suivre sans autre les contre-propositions de l’assuré (ATF 139 V 349 consid. 5.2.1).

En l’espèce, la seule objection soulevée par l’assuré à l’encontre de la désignation du docteur D.__ tenait à la prétendue inimitié de celui-ci envers son avocat, qui aurait constitué un motif formel de récusation. Or comme cette objection était dénuée de fondement, l’assurance-accidents n’avait pas, en l’absence de toute objection de nature matérielle envers la personne du docteur D.__, à continuer de rechercher une désignation consensuelle de l’expert. En effet, cela serait revenu à admettre un droit de veto de l’assuré à l’encontre du docteur D.__ en dépit de l’inexistence de motifs de récusation. C’est ainsi à juste titre que l’assurance-accidents a statué sur la question par une décision incidente. Le grief de l’assuré doit dès lors être rejeté.

 

Droit à un tribunal établi par la loi

L’assuré reproche enfin à la Chambre des assurances sociales d’avoir violé son droit à un tribunal établi par la loi (art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH). Il invoque à cet égard l’art. 133 al. 2 de la loi cantonale genevoise sur l’organisation judiciaire (LOJ/GE; RS/GE E 2 05), qui dispose que lorsqu’elle entend se prononcer sur une question de principe ou modifier la jurisprudence, la chambre des assurances sociales siège dans la composition de cinq juges et deux juges assesseurs, et non dans sa composition ordinaire d’un juge et deux juges assesseurs (cf. art. 133 al. 1 LOJ/GE). Il soutient qu’en considérant que la désignation consensuelle d’un expert ne constituait pas un droit pouvant être déduit en justice, la cour cantonale aurait modifié sa jurisprudence antérieure, selon laquelle le droit de l’assuré à une tentative de désignation consensuelle de l’expert, consacré par les ATF 137 V 210 et 138 V 318, était un droit justiciable. Il se réfère à quatre arrêts de la Chambre des assurances sociales, tous rendus en matière d’assurance-accidents (ATAS/1138/2017 du 13 décembre 2017; ATAS/1109/2019 du 27 novembre 2019; ATAS/178/2020 du 4 mars 2020; ATAS/362/2020 du 7 mai 2020).

Ce grief est dénué de fondement. En effet, la cour cantonale a rejeté le recours au motif que l’assuré est catégoriquement opposé à la désignation comme expert du docteur D.__, à l’encontre duquel il n’existe pas de motif de récusation, et que dans de telles circonstances, renvoyer la cause pour une désignation consensuelle de l’expert reviendrait à reconnaître un droit de veto à l’assuré, ce qui ne correspondrait pas à la jurisprudence publiée à l’ATF 139 V 349. Comme on l’a vu, une telle motivation échappe à la critique indépendamment du point de savoir s’il existe un droit justiciable à la désignation consensuelle de l’expert en matière d’assurance-accidents. Dans la mesure où l’arrêt attaqué n’opère pas un revirement de la jurisprudence de la Chambre des assurances sociales mais se fonde sur la jurisprudence publiée du Tribunal fédéral, il n’avait pas à être rendu dans la composition prévue par l’art. 133 al. 2 LOJ/GE.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_452/2020 consultable ici

 

 

4A_318/2020 (f) du 22.12.2020, destiné à la publication – Arbitrage international en matière de sport – Demande de révision d’un arrêt du TAS et récusation d’un arbitre / Garantie d’un tribunal indépendant et impartial – 30 al. 1 Cst

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_318/2020 (f) du 22.12.2020, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

 

Arbitrage international en matière de sport – Demande de révision d’un arrêt du TAS et récusation d’un arbitre

Garantie d’un tribunal indépendant et impartial / 30 al. 1 Cst.

 

Un arbitre doit, à l’instar d’un juge étatique, présenter des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité. Le non-respect de cette règle conduit à une désignation irrégulière relevant de l’art. 190 al. 2 let. a LDIP en matière d’arbitrage international. Pour dire si un arbitre présente de telles garanties, il faut se référer aux principes constitutionnels développés au sujet des tribunaux étatiques, en ayant égard, toutefois, aux spécificités de l’arbitrage – surtout dans le domaine de l’arbitrage international – lors de l’examen des circonstances du cas concret (ATF 142 III 521 consid. 3.1.1; 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608 et les précédents cités; arrêts 4A_292/2019 du 16 octobre 2019 consid. 3.1; 4A_236/2017 du 24 novembre 2017 consid. 3.1.1).

La garantie d’un tribunal indépendant et impartial découlant de l’art. 30 al. 1 Cst. permet d’exiger la récusation d’un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l’affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d’une partie. Elle n’impose pas la récusation seulement lorsqu’une prévention effective du juge est établie, car une disposition relevant du for intérieur ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d’une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 142 III 521 consid. 3.1.1; 140 III 221 consid. 4.1 et les arrêts cités).

 

S’agissant du motif de récusation tiré des remarques prétendument désobligeantes et déplacées faites dans la sentence attaquée, on relèvera d’emblée que le requérant aurait dû l’invoquer dans les trente jours suivant la notification de la sentence, ce qu’il n’a pas fait. Aussi l’intéressé est-il forclos à fonder sa demande de révision sur certains passages de la sentence attaquée, mis en évidence par lui, lesquels ne sauraient, de toute façon, justifier la récusation de l’arbitre mis en cause.

Quant à l’autre motif avancé par l’intéressé pour obtenir la récusation de l’arbitre concerné, il y a lieu de relever qu’un arbitre peut parfaitement défendre ses convictions sur les différents réseaux sociaux. Cela ne signifie pas pour autant que l’arbitre puisse exprimer sur internet tout ce qu’il pense, en des termes extrêmement forts, sans risquer d’éveiller certaines craintes, fussent-elles infondées, quant à son impartialité, et ce même s’il n’agit pas sous sa « casquette » d’arbitre.

En l’occurrence, il est clair que l’arbitre, qui a de toute évidence pris fait et cause pour la défense des animaux, a entendu, par ses différents tweets, fustiger une pratique chinoise en matière d’abattage de chiens, assimilée par lui à de la torture, de même que la dégustation à grande échelle, à l’occasion d’un festival gastronomique annuel local, de la chair des animaux sacrifiés et dénoncer des personnes que l’arbitre considère comme des bourreaux. L’arbitre n’a en outre pas hésité à dénoncer les actes de cruauté envers les animaux commis dans d’autres pays et à soutenir des personnes de nationalité chinoise ayant entrepris des démarches en vue de mettre un terme à la pratique dénoncée par lui. Ses violentes critiques n’étaient ainsi visiblement pas dirigées contre tous les ressortissants chinois. Considéré abstraitement, le fait pour l’arbitre de critiquer sévèrement la consommation de viande canine lors du festival annuel de Yulin et de dénoncer certains ressortissants chinois coupables selon lui de torture envers les animaux ne saurait, à lui seul, constituer une circonstance permettant d’inférer l’existence d’un parti pris de l’arbitre mis en cause à l’encontre de tout ressortissant chinois. A cet égard, si l’on voulait tenter une comparaison, on pourrait prendre l’exemple d’un arbitre de nationalité indienne qui s’insurgerait, sur les réseaux sociaux, en des termes sévères, contre la pratique de la corrida qui a cours dans certaines régions d’Espagne. A supposer que cette personne siège dans une Formation du TAS appelée à statuer sur un appel formé contre une sanction disciplinaire infligée à un athlète espagnol, serait-elle récusable à raison des déclarations faites par elle pour dénoncer la cruauté commise selon elle envers les animaux ? La réponse devrait probablement être résolue par la négative, en l’absence d’autres circonstances corroboratives.

Cela étant, il faut bien voir que ce n’est pas tant la cause défendue par l’arbitre qui apparaît en l’espèce problématique mais plutôt certains termes employés par lui. En effet, l’arbitre n’a pas hésité à utiliser des termes extrêmement violents, de façon répétée, et plusieurs messages ont été publiés alors même que la présente affaire était en cours d’instruction devant le TAS. Il a notamment usé des termes suivants: « those bastard sadic chinese who brutally killed dogs and cats in Yulin », « This yellow face chinese monster smiling while torturing a small dog,deserves the worst of the hell », « those horrible sadics are CHINESE! », « Old yellow-face sadic trying to kill and torture a small dog », « Torturing innocent animal is a flag of chinese!Sadics, inhumans ». Parmi ceux-ci, les mots « yellow face », utilisés à deux reprises par l’arbitre, après sa désignation en tant que président de la Formation, sont sans nul doute les plus contestables. Certes, l’arbitre concède lui-même que certains mots ont parfois dépassé sa pensée. Dire que les termes « yellow face » sont  » maladroits « , comme le soutient la fondation intimée, relève toutefois de l’euphémisme. Si on les replace dans leur contexte, ces mots, utilisés au singulier, qui ont pu être prononcés sous le coup de l’émotion procurée par des images considérées comme révoltantes par l’intéressé, visent certes à chaque fois une personne déterminée que l’arbitre a individualisée sur une vidéo et/ou une photographie et qu’il traite aussi de sadique parce qu’elle est, selon lui, en train de torturer un petit chien. Cependant, ces termes font manifestement référence à la couleur de peau de certains individus chinois et ne visent nullement à qualifier leur comportement jugé cruel, à l’inverse d’autres termes incisifs voire blessants utilisés par l’arbitre, tels que « sadique ». De tels qualificatifs, quand bien même ils ont été employés dans un contexte particulier, n’ont strictement rien à voir avec les actes de cruauté reprochés à certains ressortissants chinois et sont, quel que soit le contexte, inadmissibles. Si l’on ajoute à cela le fait que l’arbitre a tenu de tels propos, non seulement à deux reprises, mais aussi après sa désignation en tant que président d’une Formation appelée à statuer sur l’appel interjeté par un ressortissant chinois, alors même que la procédure était pendante, il y a lieu d’admettre que les appréhensions du requérant quant à l’éventuelle partialité de l’arbitre mis en cause peuvent passer pour objectivement justifiées. A cet égard, il importe peu que l’arbitre incriminé soit, subjectivement, conscient ou non du fait que ses déclarations apparaissent critiquables d’un point de vue objectif. Seule l’appréciation objective des circonstances alléguées à l’appui d’une demande de récusation est en effet décisive. Or, en l’occurrence, les circonstances précitées, considérées du point de vue d’un tiers raisonnable en ayant connaissance, sont de nature à faire naître un doute sur l’impartialité de l’arbitre mis en cause et à créer une apparence de prévention.

Sur le vu de ce qui précède, le motif de récusation avancé par le requérant s’avère fondé. Il y a dès lors lieu d’admettre la demande de révision et, partant, d’annuler la sentence attaquée. Il convient en outre de prononcer la récusation de l’arbitre incriminé.

 

 

Arrêt 4A_318/2020 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 15.01.2021 disponible ici

 

 

8C_298/2018 (f) du 05.07.2018 – Demande de récusation des juges cantonaux puis juges fédéraux niés / Déni de justice nié – 29 al. 2 Cst. / Témérité des recours – Démarches procédurières – Avertissement des recourants par le Tribunal fédéral

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_298/2018 (f) du 05.07.2018

 

Consultable ici

 

Demande de récusation des juges cantonaux puis juges fédéraux niés

Déni de justice nié / 29 al. 2 Cst.

Témérité des recours – Démarches procédurières – Avertissement des recourants par le Tribunal fédéral

 

Par arrêt du 03.08.2015 (ATAS/579/2015), la Chambre des assurances sociales a déclaré irrecevable un recours formé par les époux A.___ et B.___, en tant qu’il portait sur les allocations familiales versées par Unia au Service de protection des mineurs, et l’a rejeté pour le surplus.

Les époux ont déposé un acte intitulé « demande de récusation et demande de révision » contre l’arrêt susmentionné. Ces demandes ont fait l’objet de deux arrêts cantonaux, l’un sur la question de la révision (ATAS/944/2015) et l’autre sur celle de la récusation (ATAS/328/2016).

Contre le premier arrêt, les époux ont déposé une « demande de révision avec demande de récusation », laquelle a été déclarée irrecevable par décision d’une délégation des juges de la Cour de justice en matière de récusation (ci-après: l’autorité en matière de récusation) (ATAS/438/2016).

Contre la décision précitée, les époux ont déposé une « requête de récusation provisoire », déclarée irrecevable le 15.08.2016 (ATAS/623/2016), puis une « demande de révision avec un motif qui est une demande de récusation définitive », déclarée irrecevable le 27.10.2017 (ATAS/956/2017), toutes deux par l’autorité en matière de récusation.

Les époux ont déposé deux actes contre la décision du 27.10.2017. Premièrement, ils ont formé un recours en matière de droit public devant le Tribunal fédéral, qui l’a déclaré irrecevable par arrêt du 11.01.2018 (cause 8C_883/2017). Deuxièmement, ils ont déposé une écriture intitulée « demande en révision contenant un motif qui est une demande de récusation », laquelle a été déclarée irrecevable par décision de l’autorité en matière de récusation du 20.02.2018 (ATAS/154/2018).

Dans la décision attaquée, les juges cantonaux ont constaté que la décision du 27.10.2017 n’était pas définitive lorsque les époux en ont demandé la révision. En effet, le délai de recours au Tribunal fédéral n’était pas encore échu. Aussi, la demande de révision n’était-elle pas recevable, eu égard à l’art. 80 de la loi [du canton de Genève] sur la procédure administrative (LPA; RS/GE E 5 10), en vertu duquel la voie de la révision n’est ouverte qu’aux décisions définitives.

En outre, à supposer que la décision du 27.10.2018 fût définitive, la demande de révision n’était pas fondée. En effet, le grief soulevé par les intéressés semblait se rapporter aux développements juridiques prétendument viciés et défavorables à leur thèse. Or, statuer en défaveur d’une partie n’était pas constitutif de prévention.

S’agissant du grief de déni de justice, l’autorité cantonale n’avait pas à examiner les conclusions des époux sur le fond ni à répondre à l’ensemble de leur argumentation, dès lors qu’elle a déclaré leur écriture irrecevable en raison du caractère non définitif de la décision dont ils demandaient la révision. Partant, quoi qu’en disent les époux, on voit mal comment l’examen de leurs griefs était susceptible d’entraîner l’admission de leur demande. Par ailleurs, les premiers juges ont répondu, de manière subsidiaire, à l’argumentation des époux.

Quant aux griefs suivants, ce n’est pas parce qu’ils déposent des demandes de révision et/ou de récusation que leurs actes ne répondent à aucune condition de recevabilité. En outre, il ne suffit pas d’affirmer, de manière péremptoire, que l’art. 80 LPA ne s’appliquait pas à leur demande de révision/récusation pour démontrer une application arbitraire du droit cantonal. Quoi qu’il en soit, la cour cantonale a expliqué que le motif de prévention invoquée à l’appui de la demande de révision n’était pas admissible, ce que les époux n’ont purement et simplement pas l’intention d’accepter. En se plaignant de l’absence de détermination des magistrats qu’ils estiment prévenus, les époux perdent une nouvelle fois de vue que les demandes de récusation répondent à des conditions de recevabilité et qu’il ne suffit pas de requérir la récusation d’un magistrat pour que la procédure prévue à cet effet soit d’emblée mise en œuvre (sur le sujet cf. AUBRY GIRARDIN, Commentaire de la LTF, 2 e éd. 2014, n° 13-17 ad art. 36 LTF).

Dans la présente procédure, les époux demandent également la récusation des juges Maillard, Frésard et Wirthlin « en raison d’un conflit d’intérêts avec les causes 8F_3/2018 et 8C_883/2017 ». La Cour de droit social du Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de leur expliquer que la participation à une procédure antérieure devant le Tribunal fédéral ne constitue pas à elle seule un motif de récusation (art. 34 al. 2 LTF; cf. arrêt 8F_4/2017 du 3 mars 2017 et ordonnance du 31 octobre 2016 dans la cause 8F_13/2016).

 

Le TF relève enfin que l’arrêt de la Chambre des assurances sociales du 03.08.2015 a été le point de départ de nombreuses procédures, tant au niveau cantonal qu’au niveau fédéral. Selon les juges précédents, la Cour de justice a été saisie pour la cinquième fois à la suite de l’arrêt précité et a rendu cinq décisions dans des compositions de juges différentes qui ont toutes conclu à l’irrecevabilité, respectivement au rejet des requêtes déposées par les époux. Le Tribunal fédéral s’est prononcé tout autant de fois dans ce même contexte de procédures. A plusieurs reprises, il a attiré l’attention des recourants sur le caractère abusif ou procédurier de leurs écritures (cf. ordonnances et arrêts rendus dans les causes 8F_13/2016, 8F_4/2017 et 8F_3/2018). Force est de constater que les recourants ne tirent aucune leçon des mises en garde qui leur sont adressées. Dans ces conditions, les recourants sont formellement avertis que, s’ils persistent dans leurs démarches procédurières, ils s’exposeront au prononcé d’une amende d’ordre de 2’000 francs au plus, voire de 5’000 francs en cas de récidive (cf. art. 33 al. 2 LTF).

 

Le TF rejette le recours des époux.

 

 

Arrêt 8C_298/2018 consultable ici

 

 

8C_146/2016 (f) du 09.08.2016 – Expertise médicale – 43 LPGA / Récusation des experts proposés niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_146/2016 (f) du 09.08.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2bVwTwT

 

Expertise médicale – 43 LPGA

Récusation des experts proposés niée

 

Assurée, travaillant en qualité de serveuse, a été victime d’un accident de la circulation le 05.10.2012 en tant que passagère d’un véhicule, au cours duquel elle a subi d’importantes lésions corporelles.

Le 31.10.2014, l’assurance-accidents a informé l’assurée de son intention de mettre en œuvre une expertise médicale et l’a invitée à faire valoir d’éventuels motifs de récusation à l’encontre des deux experts proposés, à savoir les docteurs C.__ et D.__, tous deux spécialistes en chirurgie orthopédique. L’assurée a requis la récusation des deux médecins proposés.

Par décision incidente du 04.06.2015, l’assurance-accidents a écarté les motifs de récusation invoqués, ordonné une expertise orthopédique et désigné le docteur C.__ en tant qu’expert.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 67/15 – 4/2016 – consultable ici : http://bit.ly/2dhma0a)

Par arrêt du 12.01.2016, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 43 LPGA, l’assureur examine les demandes, prend d’office les mesures d’instruction nécessaires et recueille les renseignements dont il a besoin. Les renseignements donnés oralement doivent être consignés par écrit (al. 1). L’assuré doit se soumettre à des examens médicaux ou techniques si ceux-ci sont nécessaires à l’appréciation du cas et qu’ils peuvent être raisonnablement exigés (al. 2). D’après l’art. 44 LPGA, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. Lorsque l’assureur social et l’assuré ne s’entendent pas sur le choix de l’expert, l’administration doit rendre une décision directement soumise à recours (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6 p. 256).

Le fait qu’un expert, médecin indépendant ou œuvrant au sein d’un centre d’expertise médicale, est régulièrement mandaté par les organes d’une assurance sociale ou par les tribunaux ne constitue toutefois pas à lui seul un motif suffisant pour conclure à la prévention ou à la partialité de l’expert (ATF 137 V 210 consid. 1.3.3 p. 226 s. et les arrêts cités). Aussi, est-ce à juste titre que le Tribunal cantonal n’a pas donné suite à la requête de renseignements présentée par l’assurée sur le nombre de mandats d’expertise éventuellement confiés au docteur C.__, cet élément ne constituant pas une preuve pertinente pour établir les faits relatifs à la récusation (SVR 2015 IV n° 34 p. 108, précité, consid. 5; arrêt 9C_366/2013 du 2 décembre 2013 consid. 5.3). Ne constitue pas non plus un motif de récusation le fait que l’assurance a renoncé à mandater le docteur D.__. Comme le relèvent les premiers juges, même si cette question n’était pas claire au départ, l’assureur a par la suite signifié sans équivoque à l’assurée que l’expertise serait confiée alternativement soit au docteur C.__ soit au docteur D.__. On ne voit pas que le choix de l’un d’entre eux puisse engendrer un soupçon de partialité à son égard.

L’assurée, en réalité, voudrait que le Tribunal fédéral modifie sa jurisprudence relative à l’indépendance des experts. Elle se prévaut de l’avis exprimé par JACQUES OLIVIER PIGUET (Le choix de l’expert et sa récusation: le cas particulier des assurances sociales, HAVE/REAS 2/2011 p. 127 ss, plus spécialement p. 134 s.), selon lequel l’expert qui consacre la majeure partie de son temps à des mandats d’expertise finit par se trouver dans un rapport de loyauté avec l’assureur.

En dépit de cette critique et quoi qu’en dise l’assurée, il n’y a pas lieu de revenir sur la jurisprudence mise en cause, bien établie et que le Tribunal fédéral a confirmée à maintes reprises (outre l’ATF 137 V 210 consid. 1.3.3 p. 226 s., déjà mentionné, et les nombreux arrêts cités, voir plus récemment, par exemple, SVR 2015 IV n° 34 p. 108 consid. 4; voir aussi l’arrêt de la CourEDH Spycher contre Suisse du 17 novembre 2015, § 21 ss). Le Tribunal fédéral n’a pas méconnu les objections que pouvait soulever cette jurisprudence et l’assurée n’invoque aucun argument nouveau qui justifierait de la modifier (sur les conditions d’un changement de jurisprudence, cf. ATF 139 V 307 consid. 6.1 p. 313; 138 III 270 consid. 2.2.2 p. 273).

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_146/2016 consultable ici : http://bit.ly/2bVwTwT

 

 

8C_397/2014 (f) du 27.04.2015 – Récusation d’un juge – 9 LPA-VD – 30 al. 1 Cst. / Droit d’être entendu – 29 al. 2 Cst. – Droit à la réplique et délai pour déposer

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_397/2014 (f) du 27.04.2015

 

Consultable ici : http://bit.ly/1KeDRkU

 

Récusation d’un juge – 9 LPA-VD – 30 al. 1 Cst.

Droit d’être entendu – 29 al. 2 Cst. – Droit à la réplique et délai pour déposer

 

Recours déposé le 07.06.2013 devant la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud contre une décision sur opposition de Mutuel Assurances SA.

Le 15.09.2014, l’assuré a déposé des observations et a requis la récusation de la Juge assesseure B.__. A l’appui de sa demande, il a fait valoir notamment que la Juge est la mère de C.__, lequel travaille au sein du Groupe Mutuel. En outre, il a allégué que lors d’une audience du 16.06.2014, la Juge l’aurait invité à s’adresser directement à l’assureur responsabilité civile du tiers responsable de l’accident qu’il a subi, ce qui constitue selon lui un indice de prévention en faveur de l’assureur-accidents.

La Juge et l’assureur-accidents se sont opposés à la récusation.

 

Procédure cantonale (arrêt AA64/13  – consultable ici : http://bit.ly/1Rg1uyQ)

Statuant le 03.11.2014, la Cour administrative du Tribunal cantonal vaudois a rejeté la demande de récusation.

 

TF

Droit d’être entendu – Droit à la réplique et délai pour déposer

Selon l’art. 29 al. 2 Cst., les parties ont le droit d’être entendues. Cela comprend notamment le droit pour une partie à un procès de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal et de se déterminer à son propos, que celle-ci contienne ou non de nouveaux éléments de fait ou de droit, et qu’elle soit ou non concrètement susceptible d’influer sur le jugement à rendre. Toute prise de position ou pièce nouvelle versée au dossier doit ainsi être communiquée aux parties pour leur permettre de décider si elles veulent ou non faire usage de leur faculté de se déterminer (ATF 139 I 189 consid. 3.2 p. 191 s.; 137 I 195 consid. 2.3.1 p. 197 et les références).

Lorsque la partie est représentée par un avocat, la jurisprudence considère que le droit de répliquer n’impose pas à l’autorité judiciaire l’obligation de fixer un délai à la partie pour déposer d’éventuelles observations. On peut attendre de l’avocat, à qui une détermination ou une pièce est envoyée pour information, qu’il connaisse la pratique selon laquelle, s’il entend prendre position, il le fait directement ou demande à l’autorité de lui fixer un délai à cet effet; sinon, il est réputé avoir renoncé à se prononcer (cf. ATF 138 I 484 consid. 2.2 p. 486; 133 I 100 consid. 4.8 p. 105 et les références). Pour que le droit à la réplique soit garanti, il faut toutefois que le tribunal laisse un laps de temps suffisant à l’avocat entre la remise des documents et le prononcé de sa décision, pour que le mandataire ait la possibilité de déposer des observations s’il l’estime nécessaire à la défense des intérêts de son client. Cette pratique peut certes engendrer une certaine incertitude, dans la mesure où la partie ignore de combien de temps elle dispose pour formuler une éventuelle prise de position. La Cour européenne des droits de l’homme a toutefois admis la conformité du procédé avec l’art. 6 par. 1 CEDH, dès lors qu’il suffit à la partie de demander à l’autorité de pouvoir prendre position et de requérir la fixation d’un délai (arrêt de la CourEDH Joos contre Suisse du 15 novembre 2012, §§ 27 ss, en particulier §§ 30-32). De manière générale, le Tribunal fédéral considère qu’un délai inférieur à dix jours ne suffit pas à garantir l’exercice du droit de répliquer (cf. ATF 137 I 195 consid. 2.6; arrêt 1C_688/2013 du 17 avril 2014 consid. 3.1 et les arrêts cités; pour un résumé de jurisprudence 5D_112/2013 du 15 août 2013 consid. 2.2.3).

L’autorité précédente a transmis les déterminations précitées à l’assuré le 14.10.2014, sous pli simple, de sorte que celui-ci les a reçues probablement le lendemain ou le surlendemain. L’assuré ne prétend pas qu’il les aurait reçues dans un délai excédant le temps d’acheminement usuel d’un courrier. Il a ainsi bénéficié de 18 voire 19 jours, pour se déterminer ou à tout le moins demander qu’on lui accorde un délai pour ce faire. Dans ces conditions, on ne peut reprocher à l’autorité précédente d’avoir empêché l’assuré d’exercer son droit à la réplique, d’autant moins que les prises de position transmises étaient brèves et qu’une seule pièce avait été produite.

 

Récusation

L’art. 9 LPA-VD prévoit que toute personne appelée à rendre ou à préparer une décision ou un jugement doit se récuser, notamment si elle est parente ou alliée en ligne directe ou, jusqu’au troisième degré inclus, en ligne collatérale avec une partie, son mandataire ou une personne qui a agi dans la même cause comme membre de l’autorité précédente (let. d), ou si elle pourrait apparaître comme prévenue de toute autre manière, notamment en raison d’une amitié étroite ou d’une inimitié personnelle avec une partie ou son mandataire (let. e).

Par ailleurs, la garantie d’un tribunal indépendant et impartial découlant de l’art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH permet d’exiger la récusation d’un juge dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à l’affaire puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d’une partie. Il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seuls les éléments objectivement constatés doivent être pris en considération; les impressions purement individuelles du plaideur ne sont pas décisives (ATF 140 III 221 consid. 4.1 p. 221 s. et les références).

On ne peut tirer du seul lien de parenté entre la Juge et C.__ un motif de récusation. Celui-ci n’est pas partie à la procédure, est un employé de l’assureur-accidents et rien ne permet d’admettre qu’il ait pris connaissance du dossier du recourant ou discuté de l’affaire avec des collègues. On notera que le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un motif de récusation, dans une affaire où l’une des parties était représentée par l’avocat associé d’une étude dans laquelle travaillait le fils du juge appelé à statuer (arrêt 1P.754/2006 du 13 février 2007 consid. 2.4; cf. aussi arrêt 1C_428/2007 du 19 juin 2008 consid. 2.1). Dans cette affaire, il a considéré que rien ne permettait de retenir une quelconque participation du fils dans la procédure ou d’établir l’existence de liens particuliers entre le juge et la partie représentée.

Lors de l’audience du 16.06.2014, la Juge a posé une question au recourant « quant à l’éventuelle démarche de réclamer les divers frais refusés sur la base de la LAA directement auprès de l’assureur responsabilité civile du tiers responsable ». Ce faisant, elle ne lui a pas suggéré d’abandonner ses prétentions contre l’assureur-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_397/2014 consultable ici : http://bit.ly/1KeDRkU